Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit
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Document generated on 07/10/2022 9:32 p.m. Continuité Les jardins de Métis et les quatre vents Benoît Bégin L’architecture de paysage au Québec Number 1, Special, Fall 1990 URI: https://id.erudit.org/iderudit/15990ac See table of contents Publisher(s) Éditions Continuité ISSN 0714-9476 (print) 1923-2543 (digital) Explore this journal Cite this article Bégin, B. (1990). Les jardins de Métis et les quatre vents. Continuité, (1), 42–45. Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1990 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
U n e double arcade vient mirer, à la Lorsqu'ils sont conçus avec la par- Les rocailles aux Jardins de Métis, (photo: manière d'un péristyle, la façade de la ticipation d'artistes, les jardins défient les Armand Dubé, MLCP) maison Shaughnessy. L'espace qui résulte règles habituelles de l'aménagement. Ils de ce doublage distingue l'intérieur du inventent d'autres histoires, créent de jardin, arrête le regard, isole du bruit, nouvelles intrigues dans les lieux publics. permet la promenade, le jeu, le coup Il s'agit d'en faire des espaces appréciés, d'oeil à travers les ouvertures et trace une fréquentés, défendus par la collectivité. continuité avec le développement de l'es- Gaston Bachelard introduit, dans ses planade. enquêtes sur les «espaces aimés», le Au sommet de cette dernière, des terme «topophilie». Il lui confère des «colonnes allégoriques» au nombre de douze font écho de façon signalétique à l'architecture de cheminées, silos, valeurs qui touchent l'existence des jar- dins: «Ces enquêtes visent à déterminer la valeur humaine des espaces de pos- L es Jardins de Métis comme ceux des Quatre Vents ont été aménagés par des particuliers dans la tradition des jar- flèches et clochers qui marquent l'hori- session, des espaces défendus contre des dins des grandes villas palladiennes du zon sud de la ville et en constituent la forces adverses, des espaces aimés. Pour XIXe siècle. O n les considère parmi les toile de fond. Ces colonnes sont données des raisons souvent très diverses et avec plus beaux du pays. Dans notre environ- à voir dans des configurations inatten- les différences que comportent les nement rudoyé, ces quelques arpents de dues, parfois humoristiques, anthropo- nuances poétiques, ce sont des espaces grâce, clos et soignés, nous livrent un morphiques. Elles deviennent des icônes, louanges. À leur valeur de protection qui message de beauté et de réflexion. des signaux qui évoquent de multiples peut être positive, s'attachent aussi des indices de l'entourage et dont la séquence valeurs imaginées, et ces valeurs sont LES J A R D I N S DE M É T I S narrative réinvente l'histoire de l'archi- bientôt des valeurs dominantes. L'espace George Stephen, président de la tecture à travers les interprétations saisi par l'imagination ne peut rester l'es- Banque de Montréal et du C a n a d i e n locales. Il faut d'ailleurs préciser que pace indifférent livré à la mesure et à la Pacifique, acquiert en 1886 un terrain sis cette «exposition» de colonnes-sculp- réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il sur la rive sud du Saint-Laurent, au nord- tures sur l'esplanade établit un parallèle est vécu, non pas dans sa positivité, mais est de l'embouchure de la rivière Métis. exact avec les longues salles d'exposition avec toutes les partialités de l'imagina- Il y établit Esteven Lodge, un camp de du C C A . tion. En particulier, presque toujours il pêche au saumon. En 1919, il cède la Certains secteurs du jardin sont attire 6 . » propriété à sa nièce Elsie Meighen Reford plantés de grilles, d'arbres, d'arbustes, L'existence du jardin tient d'abord qui convertit le camp en résidence d'été. d'un verger dans la partie est, tandis que à notre présence. O n entre dans son Elle entreprend en 1928 la réalisation la partie opposée évoque un pré, confor- image par la traversée de seuils qu'ac- d'une série de jardins. En 1954, elle lègue mément à l'état du site au début du XIXe complit le regard ou le corps entier. Il le domaine à son fils Bruce Reford qui, siècle. Ces végétaux participent à la s'agit là d'un cérémonial qui possède un sept ans plus tard, vend au gouvernement composition formelle du jardin et à l'ar- pouvoir de fascination. du Québec la partie du domaine consa- ticulation d'une structure qui donne ses 1. Maurice Blanche*, L'espace littéraire, Paris, Gallimard, crée aux jardins. Ouverts au public du délimitations, son périmètre, tant au sol, 1978, p. 46. début juin à la mi-septembre, les Jardins où les limites sont soulignées par les voies 2.On peut consulter le catalogue de l'exposition: Terri- de Métis accueillent chaque année plus toires d'artistes: Paysages verticaux, Musée du Québec, d'accès et les dénivellations du terrain, 1989. de 33 000 visiteurs. qu'en hauteur, avec les élévations voi- 3. Tous les ministères et organismes dont le budget est Les jardins se déploient sur un pla- sines, les silhouettes des sculptures, mais voté par l'Assemblée nationale doivent consacrer une part teau d'un peu plus de deux hectares qui aussi les tours et les collines qui se pro- (environ 1 %) du coût de construction de l'édifice - surplombe le fleuve. La villa est entourée 150 000$ ou plus - à l'exécution d'oeuvres d'art par des filent au loin. créateurs et créatrices en arts visuels du Québec. De même de grandes pelouses traversées par une Le jardin de Charney est un qu'elle améliore l'environnement visuel des lieux, la créa- avenue curviligne, plantée d'épinettes tion d'oeuvres d'art intégrées en permanence offre un volume dont l'espace est matériel et débouché aux artistes québécois et permet à la population alignées (attaquées depuis par la tor- atmosphérique, tout autant qu'historique de s'initier à l'art actuel. deuse). L'allée royale, le jardin des rho- et architectural. Il s'impose comme une 4. Melvin Charney, L'architecture comme roman. Une inter- dodendrons, la rocaille, les jardins des figure inédite dans la ville; il crée un view de Louis Martin. Parachute (Montréal), n° 56, oct.- primevères et des pommetiers, le sous- nov.-déc. 1989, p. 10. caractère, une particularité du lieu, sai- 5. Ludger Gerdes. Essays, Saint-Étienne, Maison de la sissable en tant qu'image qui se grave ET LE. Culture et de la Communication et Musée d'art moderne, dans la mémoire. 1988, p. 55. 6. Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, Patis, Pres- DES IMAGES À TRAVERSER ses universitaires de France, 1957, p. 17. Comme l'exprime l'artiste Ludger Gerdes, «les jardins sont des images fré- Louise Déry est conservatrice de quentables. Ils sont des mises en scène l'art actuel au Musée du Québec et direc- du monde devenues réalités; c'est en elles trice de la Galerie du Musée. que se concrétise le désir de l'homme d'interpréter et d'aménager. Les jardins sont un modèle de communication puis- qu'ils impliquent toujours une commu- nication entre art et nature, et souvent aussi une communication entre les dif- férents domaines artistiques 5 .» 42 CONTINUITÉ automne 1990
bois et le massif floral constituent le sec- teur paysager. Les méandres d'un ravin bordé d'arbres procurent à trois de ceux- ci (des rhododendrons, la rocaille et des primevères) le microclimat propice à l'épanouissement d'une végétation exo- tique. Typique des jardins anglais, l'allée royale (a) consiste en une voie pavée, bordée sur soixante-cinq mètres de plates-bandes en terrasses pentues, sou- tenues par des murets de pierres sèches. Des plantes vivaces et arbustives compo- sent des tableaux animés par les pivoines, rosiers, hémérocalles, campanules et del- phiniums. D'autres plantes rampent sur les murets ou pointent entre les pierres. Cette allée formelle débouche sur une aire d'observation d'où l'on découvre le jardin des rhododendrons (b), situé plus bas. Tel un amphithéâtre, il s'étage en gradins couverts de plantes naines. Les pentes du ravin, au fond duquel coule un ruisseau, accueillent les massifs de rhododendrons, au parfum capiteux, les pavots bleus du Tibet, rosiers, lis et hémérocalles, complétant ainsi le tableau des coloris. En parcourant un sentier puis un pont sur le ruisseau, on arrive à la rocaille (c) aménagée sur les versants du talus, les bords du ruisseau et le fond accidenté du ravin. Là surgit un espace animé par la lumière qui joue sur les eaux, rehausse l'éclat des floraisons, soulignant les ron- deurs des pierres qui apparaissent entre les bouquets de plantes basses. Plus loin, par une passerelle sur le ruisseau, le sentier traverse des bosquets d'épinettes, de pommetiers et de lilas, et débouche sur le jardin des primevères (d) qui occupe un terrain ondulé. La dis- position sensible au relief en tire parti. LES JARDINS DE METIS Ce jardin comprend, outre les massifs de QUATRE VENTS primevères, des agencements d'héméro- calles, de fougères et de filipendules émergeant de plates-bandes à demi dis- simulées sous les arbrisseaux et la ramure des arbres. Dans notre environnement malmené, Par contre, le jardin des pomme- quelques arpents de grâce. tiers (e) relève le défi d'un terrain assez plat, parcouru de sentiers aux courbes douces et agréables, bordés de plantes tapissantes et de plates-bandes incurvées. par Benoît Bégin Des plantations de pommetiers, d'aubé- pines et de lilas épousent les courbes, enclosent l'espace, en préservent l'inti- mité. CONTINUITÉ automne 1990 43
LES Q U A T R E V E N T S oitxoooo o -QUO 0 0 . 0 0 0 0 0 0 0 ""OC l ^ & o a t M S . < ' o o o o : : â g ^ 0 - o ? o 0 0 0 0 0 po 1
Le pont de lune au jardin des Quatre Vents. (photo: Benoît Bégin) passerelles de corde relient les parois du ravin permettant une vue en plongée sur le jardin exotique. La construction de deux pavillons japonais est prévue: l'un, tourné vers le ravin, à cheval sur l'étang et la rive droite du ruisseau; le second, environ trente mètres en aval, orienté sur le paysage de la vallée. Les sentiers du sous-bois débou- chent près d'une fontaine murale, sur l'al- lée des vivaces et sur la roseraie (u), composée de parterres surélevés à l'aide de murets de pierres. L'allée des vivaces au ruisseau, trois aires respectivement (v) est construite en paliers; la prépon- carrée, rectangulaire et ovale, closes par dérance de plantes à hauteur moyenne des haies élevées de thuyas et agrémen- accentue l'effet de cascade des floraisons. tées d'escaliers de pierre, de bassins et de Le jardin de la piscine (w) tire parti fontaines. Sur un axe perpendiculaire au d'éléments architecturaux forts plutôt premier, et au centre de la cour rectan- que de composants végétaux. Un grand gulaire, s'étale le miroir d'eau de trente escalier convexe à deux volées est relié mètres sur trois, encadré par des rangées par un axe à l'esplanade et à la baie vitrée de tilleuls taillés en forme de table. Ce principale de la villa. Une piscine tra- bassin est aligné sur le pigeonnier, situé pézoïdale incurvée, accolée à l'escalier, dans l'axe d'un étang naturel bordé d'un domine une terrasse surbaissée, cernée côté d'un jardin de bruyères et, de l'autre, d'un mur de pierres, en corniche sur la d'une vaste rocaille. vallée et La Malbaie. Au travers d'une haie d'aubépines Enfin, du côté sud de la maison, et sur un terrain en pente, un sentier en une longue perspective vers le fleuve s'ouvre sur le jardin des plates-bandes et de chaque côté d'un axe, deux grands ombragées (r), dissimulées sous la ramure jardins. Près de la résidence, le jardin de d'une futaie de bouleaux blancs. Les deux prairie (x) s'étend sous des bouleaux plus typiques forment des massifs plats et blancs et des pommiers épars. Au prin- succession de bassins où, en amont, l'eau profonds constitués, tantôt en contraste, temps, la variété des plantes à bulbes jaillit d'un dauphin et se déverse dans tantôt en harmonie, de plantes à fleurs compose une symphonie de couleurs l'étang par la tête d'une tortue. et à fruits (astilbes et actées) allant du continue. Un peu plus tard, les lupins Plus au nord, l'allée des thuyas (n) rouge vif au blanc pur en passant par les prennent la relève. Le second jardin est groupés en triades mène au jardin du nuances de rose. situé dans une pente double; c'est le jar- ruisseau (o) constitué d'une végétation Toujours du même côté du ravin et din des terrasses (y) où chacun des bacs sylvestre et palustre indigène. Plans d'eau dans une ancienne pessière, s'étend le de bois offre un arrangement différent et sentes s'entrecroisent, créant diffé- jardin du sous-bois (s). D'étroits sentiers inspiré des jardins noueux victoriens. Ce rentes atmosphères selon la prépondé- découpent des îlots traversés de rigoles jardin est aussi une pépinière pour cer- rance des plantes qui les bordent: converties ici et là en bassins d'où taines variétés de vivaces de collection, aubépines, mélèzes, saules de l'Arctique. émerge, selon une disposition en appa- notamment les delphiniums. Le poulail- Une montée et le visiteur, ravi, découvre rence spontanée, une flore appropriée ler (z), ou «doodle-doo», est ouvert de le pavillon de musique et un pont de lune aux lieux humides. L'environnement du part en part. H est relié à la villa et au chinois. sous-bois, eau-lumière-sol, est étudié jardin de prairie par un axe qui débouche Le lac des libellules (p) s'est formé pour reproduire les conditions exigées par sur l'est, du côté du fleuve. à partir du barrage érigé sur le ruisseau. ces plantes, notamment pour la collec- Le pourtour en pente est orné d'arbustes tion de primevères, une des plus impor- florifères et de plantes vivaces dont plu- tantes de l'Est de l'Amérique. Benoît Bégin est architecte paysa- sieurs de rivage. En longeant le côté droit Le jardin du ravin (t) tire parti de giste et urbaniste, et professeur titulaire à du ravin, le visiteur rejoint le jardin du la tranchée creusée par le ruisseau et de la retraite, École d'architecture de paysage pigeonnier (q). S'étalant sur deux hec- l'ombre des arbres à haut fût. Milieu pri- de l'Université de Montréal. tares, il est le plus grand des jardins des vilégié pour une flore variée, les plantes Quatre Vents. Son plan à la géométrie à grandes feuilles occupent le fond du classique comprend, sur un axe parallèle ravin et les rebords du ruisseau. Deux CONTINUITÉ automne 1990 45
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