Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit

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Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit
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Continuité

Les jardins de Métis et les quatre vents
Benoît Bégin

L’architecture de paysage au Québec
Number 1, Special, Fall 1990

URI: https://id.erudit.org/iderudit/15990ac

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Publisher(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (print)
1923-2543 (digital)

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Bégin, B. (1990). Les jardins de Métis et les quatre vents. Continuité, (1), 42–45.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1990                                      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit
U n e double arcade vient mirer, à la                  Lorsqu'ils sont conçus avec la par-                   Les rocailles aux Jardins de Métis, (photo:
      manière d'un péristyle, la façade de la       ticipation d'artistes, les jardins défient les                Armand Dubé, MLCP)
      maison Shaughnessy. L'espace qui résulte      règles habituelles de l'aménagement. Ils
     de ce doublage distingue l'intérieur du        inventent d'autres histoires, créent de
     jardin, arrête le regard, isole du bruit,      nouvelles intrigues dans les lieux publics.
     permet la promenade, le jeu, le coup           Il s'agit d'en faire des espaces appréciés,
     d'oeil à travers les ouvertures et trace une   fréquentés, défendus par la collectivité.
     continuité avec le développement de l'es-      Gaston Bachelard introduit, dans ses
     planade.                                       enquêtes sur les «espaces aimés», le
            Au sommet de cette dernière, des        terme «topophilie». Il lui confère des
      «colonnes allégoriques» au nombre de
     douze font écho de façon signalétique à
     l'architecture de cheminées, silos,
                                                    valeurs qui touchent l'existence des jar-
                                                    dins: «Ces enquêtes visent à déterminer
                                                    la valeur humaine des espaces de pos-
                                                                                                                  L     es Jardins de Métis comme ceux des
                                                                                                                        Quatre Vents ont été aménagés par
                                                                                                                  des particuliers dans la tradition des jar-
     flèches et clochers qui marquent l'hori-       session, des espaces défendus contre des                      dins des grandes villas palladiennes du
     zon sud de la ville et en constituent la       forces adverses, des espaces aimés. Pour                      XIXe siècle. O n les considère parmi les
     toile de fond. Ces colonnes sont données       des raisons souvent très diverses et avec                     plus beaux du pays. Dans notre environ-
     à voir dans des configurations inatten-        les différences que comportent les                            nement rudoyé, ces quelques arpents de
     dues, parfois humoristiques, anthropo-         nuances poétiques, ce sont des espaces                        grâce, clos et soignés, nous livrent un
     morphiques. Elles deviennent des icônes,       louanges. À leur valeur de protection qui                     message de beauté et de réflexion.
     des signaux qui évoquent de multiples          peut être positive, s'attachent aussi des
     indices de l'entourage et dont la séquence     valeurs imaginées, et ces valeurs sont                        LES J A R D I N S DE M É T I S
     narrative réinvente l'histoire de l'archi-     bientôt des valeurs dominantes. L'espace                             George Stephen, président de la
     tecture à travers les interprétations          saisi par l'imagination ne peut rester l'es-                  Banque de Montréal et du C a n a d i e n
     locales. Il faut d'ailleurs préciser que       pace indifférent livré à la mesure et à la                    Pacifique, acquiert en 1886 un terrain sis
     cette «exposition» de colonnes-sculp-          réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il                     sur la rive sud du Saint-Laurent, au nord-
     tures sur l'esplanade établit un parallèle     est vécu, non pas dans sa positivité, mais                    est de l'embouchure de la rivière Métis.
     exact avec les longues salles d'exposition     avec toutes les partialités de l'imagina-                     Il y établit Esteven Lodge, un camp de
     du C C A .                                     tion. En particulier, presque toujours il                     pêche au saumon. En 1919, il cède la
            Certains secteurs du jardin sont        attire 6 . »                                                  propriété à sa nièce Elsie Meighen Reford
     plantés de grilles, d'arbres, d'arbustes,              L'existence du jardin tient d'abord                   qui convertit le camp en résidence d'été.
     d'un verger dans la partie est, tandis que     à notre présence. O n entre dans son                          Elle entreprend en 1928 la réalisation
     la partie opposée évoque un pré, confor-       image par la traversée de seuils qu'ac-                       d'une série de jardins. En 1954, elle lègue
     mément à l'état du site au début du XIXe       complit le regard ou le corps entier. Il                      le domaine à son fils Bruce Reford qui,
     siècle. Ces végétaux participent à la          s'agit là d'un cérémonial qui possède un                      sept ans plus tard, vend au gouvernement
     composition formelle du jardin et à l'ar-      pouvoir de fascination.                                       du Québec la partie du domaine consa-
     ticulation d'une structure qui donne ses       1. Maurice Blanche*, L'espace littéraire, Paris, Gallimard,   crée aux jardins. Ouverts au public du
     délimitations, son périmètre, tant au sol,     1978, p. 46.                                                  début juin à la mi-septembre, les Jardins
     où les limites sont soulignées par les voies   2.On peut consulter le catalogue de l'exposition: Terri-      de Métis accueillent chaque année plus
                                                    toires d'artistes: Paysages verticaux, Musée du Québec,
     d'accès et les dénivellations du terrain,      1989.                                                         de 33 000 visiteurs.
     qu'en hauteur, avec les élévations voi-        3. Tous les ministères et organismes dont le budget est              Les jardins se déploient sur un pla-
     sines, les silhouettes des sculptures, mais    voté par l'Assemblée nationale doivent consacrer une part     teau d'un peu plus de deux hectares qui
     aussi les tours et les collines qui se pro-    (environ 1 %) du coût de construction de l'édifice -          surplombe le fleuve. La villa est entourée
                                                    150 000$ ou plus - à l'exécution d'oeuvres d'art par des
     filent au loin.                                créateurs et créatrices en arts visuels du Québec. De même    de grandes pelouses traversées par une
            Le jardin de Charney est un             qu'elle améliore l'environnement visuel des lieux, la créa-   avenue curviligne, plantée d'épinettes
                                                    tion d'oeuvres d'art intégrées en permanence offre un
     volume dont l'espace est matériel et           débouché aux artistes québécois et permet à la population
                                                                                                                  alignées (attaquées depuis par la tor-
     atmosphérique, tout autant qu'historique       de s'initier à l'art actuel.                                  deuse). L'allée royale, le jardin des rho-
     et architectural. Il s'impose comme une        4. Melvin Charney, L'architecture comme roman. Une inter-     dodendrons, la rocaille, les jardins des
     figure inédite dans la ville; il crée un       view de Louis Martin. Parachute (Montréal), n° 56, oct.-      primevères et des pommetiers, le sous-
                                                    nov.-déc. 1989, p. 10.
     caractère, une particularité du lieu, sai-
                                                    5. Ludger Gerdes. Essays, Saint-Étienne, Maison de la
     sissable en tant qu'image qui se grave

                                                                                                                              ET LE.
                                                    Culture et de la Communication et Musée d'art moderne,
     dans la mémoire.                               1988, p. 55.
                                                    6. Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, Patis, Pres-
     DES IMAGES À TRAVERSER                         ses universitaires de France, 1957, p. 17.
            Comme l'exprime l'artiste Ludger
     Gerdes, «les jardins sont des images fré-
                                                           Louise Déry est conservatrice de
     quentables. Ils sont des mises en scène
                                                    l'art actuel au Musée du Québec et direc-
     du monde devenues réalités; c'est en elles
                                                    trice de la Galerie du Musée.
     que se concrétise le désir de l'homme
     d'interpréter et d'aménager. Les jardins
     sont un modèle de communication puis-
     qu'ils impliquent toujours une commu-
     nication entre art et nature, et souvent
     aussi une communication entre les dif-
     férents domaines artistiques 5 .»

42   CONTINUITÉ automne 1990
Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit
bois et le massif floral constituent le sec-
                                    teur paysager. Les méandres d'un ravin
                                    bordé d'arbres procurent à trois de ceux-
                                    ci (des rhododendrons, la rocaille et des
                                    primevères) le microclimat propice à
                                    l'épanouissement d'une végétation exo-
                                    tique.
                                           Typique des jardins anglais, l'allée
                                    royale (a) consiste en une voie pavée,
                                    bordée sur soixante-cinq mètres de
                                    plates-bandes en terrasses pentues, sou-
                                    tenues par des murets de pierres sèches.
                                    Des plantes vivaces et arbustives compo-
                                    sent des tableaux animés par les pivoines,
                                    rosiers, hémérocalles, campanules et del-
                                    phiniums. D'autres plantes rampent sur
                                    les murets ou pointent entre les pierres.
                                           Cette allée formelle débouche sur
                                    une aire d'observation d'où l'on découvre
                                    le jardin des rhododendrons (b), situé
                                    plus bas. Tel un amphithéâtre, il s'étage
                                    en gradins couverts de plantes naines.
                                    Les pentes du ravin, au fond duquel coule
                                    un ruisseau, accueillent les massifs de
                                    rhododendrons, au parfum capiteux, les
                                    pavots bleus du Tibet, rosiers, lis et
                                    hémérocalles, complétant ainsi le
                                    tableau des coloris.
                                           En parcourant un sentier puis un
                                    pont sur le ruisseau, on arrive à la rocaille
                                     (c) aménagée sur les versants du talus,
                                    les bords du ruisseau et le fond accidenté
                                    du ravin. Là surgit un espace animé par
                                    la lumière qui joue sur les eaux, rehausse
                                    l'éclat des floraisons, soulignant les ron-
                                    deurs des pierres qui apparaissent entre
                                    les bouquets de plantes basses.
                                           Plus loin, par une passerelle sur le
                                    ruisseau, le sentier traverse des bosquets
                                    d'épinettes, de pommetiers et de lilas, et
                                    débouche sur le jardin des primevères (d)
                                    qui occupe un terrain ondulé. La dis-
                                    position sensible au relief en tire parti.

 LES JARDINS DE METIS               Ce jardin comprend, outre les massifs de

QUATRE VENTS                        primevères, des agencements d'héméro-
                                    calles, de fougères et de filipendules
                                    émergeant de plates-bandes à demi dis-
                                    simulées sous les arbrisseaux et la ramure
                                    des arbres.
Dans notre environnement malmené,          Par contre, le jardin des pomme-
quelques arpents de grâce.          tiers (e) relève le défi d'un terrain assez
                                    plat, parcouru de sentiers aux courbes
                                    douces et agréables, bordés de plantes
                                    tapissantes et de plates-bandes incurvées.
par Benoît Bégin                    Des plantations de pommetiers, d'aubé-
                                    pines et de lilas épousent les courbes,
                                    enclosent l'espace, en préservent l'inti-
                                    mité.

                                    CONTINUITÉ automne 1990                         43
Les jardins de Métis et les quatre vents - Benoît Bégin - Érudit
LES Q U A T R E V E N T S

                                                                               oitxoooo o -QUO 0 0 . 0 0 0 0 0 0 0                                     ""OC
                                                                                           l ^ & o a t M S . < ' o o o o : : â g ^ 0 - o ? o 0 0 0 0 0 po

                                                                                                              1
Le pont de lune au jardin des Quatre Vents.
                                                                                                (photo: Benoît Bégin)

                                                                                                passerelles de corde relient les parois du
                                                                                                ravin permettant une vue en plongée sur
                                                                                                le jardin exotique. La construction de
                                                                                                deux pavillons japonais est prévue: l'un,
                                                                                                tourné vers le ravin, à cheval sur l'étang
                                                                                                et la rive droite du ruisseau; le second,
                                                                                                environ trente mètres en aval, orienté
                                                                                                sur le paysage de la vallée.
                                                                                                       Les sentiers du sous-bois débou-
                                                                                                chent près d'une fontaine murale, sur l'al-
                                                                                                lée des vivaces et sur la roseraie (u),
                                                                                                composée de parterres surélevés à l'aide
                                                                                                de murets de pierres. L'allée des vivaces
                                                 au ruisseau, trois aires respectivement        (v) est construite en paliers; la prépon-
                                                 carrée, rectangulaire et ovale, closes par     dérance de plantes à hauteur moyenne
                                                 des haies élevées de thuyas et agrémen-        accentue l'effet de cascade des floraisons.
                                                 tées d'escaliers de pierre, de bassins et de          Le jardin de la piscine (w) tire parti
                                                 fontaines. Sur un axe perpendiculaire au       d'éléments architecturaux forts plutôt
                                                 premier, et au centre de la cour rectan-       que de composants végétaux. Un grand
                                                 gulaire, s'étale le miroir d'eau de trente     escalier convexe à deux volées est relié
                                                 mètres sur trois, encadré par des rangées      par un axe à l'esplanade et à la baie vitrée
                                                 de tilleuls taillés en forme de table. Ce      principale de la villa. Une piscine tra-
                                                 bassin est aligné sur le pigeonnier, situé     pézoïdale incurvée, accolée à l'escalier,
                                                dans l'axe d'un étang naturel bordé d'un        domine une terrasse surbaissée, cernée
                                                côté d'un jardin de bruyères et, de l'autre,    d'un mur de pierres, en corniche sur la
                                                d'une vaste rocaille.                           vallée et La Malbaie.
                                                        Au travers d'une haie d'aubépines              Enfin, du côté sud de la maison,
                                                et sur un terrain en pente, un sentier          en une longue perspective vers le fleuve
                                                s'ouvre sur le jardin des plates-bandes         et de chaque côté d'un axe, deux grands
                                                ombragées (r), dissimulées sous la ramure       jardins. Près de la résidence, le jardin de
                                                d'une futaie de bouleaux blancs. Les deux       prairie (x) s'étend sous des bouleaux
                                                plus typiques forment des massifs plats et      blancs et des pommiers épars. Au prin-
succession de bassins où, en amont, l'eau       profonds constitués, tantôt en contraste,       temps, la variété des plantes à bulbes
jaillit d'un dauphin et se déverse dans         tantôt en harmonie, de plantes à fleurs         compose une symphonie de couleurs
l'étang par la tête d'une tortue.               et à fruits (astilbes et actées) allant du      continue. Un peu plus tard, les lupins
        Plus au nord, l'allée des thuyas (n)    rouge vif au blanc pur en passant par les       prennent la relève. Le second jardin est
groupés en triades mène au jardin du            nuances de rose.                                situé dans une pente double; c'est le jar-
ruisseau (o) constitué d'une végétation                 Toujours du même côté du ravin et       din des terrasses (y) où chacun des bacs
sylvestre et palustre indigène. Plans d'eau     dans une ancienne pessière, s'étend le          de bois offre un arrangement différent
et sentes s'entrecroisent, créant diffé-        jardin du sous-bois (s). D'étroits sentiers     inspiré des jardins noueux victoriens. Ce
rentes atmosphères selon la prépondé-           découpent des îlots traversés de rigoles        jardin est aussi une pépinière pour cer-
rance des plantes qui les bordent:              converties ici et là en bassins d'où            taines variétés de vivaces de collection,
aubépines, mélèzes, saules de l'Arctique.       émerge, selon une disposition en appa-          notamment les delphiniums. Le poulail-
Une montée et le visiteur, ravi, découvre       rence spontanée, une flore appropriée           ler (z), ou «doodle-doo», est ouvert de
le pavillon de musique et un pont de lune       aux lieux humides. L'environnement du           part en part. H est relié à la villa et au
chinois.                                        sous-bois, eau-lumière-sol, est étudié          jardin de prairie par un axe qui débouche
        Le lac des libellules (p) s'est formé   pour reproduire les conditions exigées par      sur l'est, du côté du fleuve.
à partir du barrage érigé sur le ruisseau.      ces plantes, notamment pour la collec-
Le pourtour en pente est orné d'arbustes        tion de primevères, une des plus impor-
florifères et de plantes vivaces dont plu-      tantes de l'Est de l'Amérique.                          Benoît Bégin est architecte paysa-
sieurs de rivage. En longeant le côté droit            Le jardin du ravin (t) tire parti de     giste et urbaniste, et professeur titulaire à
du ravin, le visiteur rejoint le jardin du      la tranchée creusée par le ruisseau et de       la retraite, École d'architecture de paysage
pigeonnier (q). S'étalant sur deux hec-         l'ombre des arbres à haut fût. Milieu pri-      de l'Université de Montréal.
tares, il est le plus grand des jardins des     vilégié pour une flore variée, les plantes
Quatre Vents. Son plan à la géométrie           à grandes feuilles occupent le fond du
classique comprend, sur un axe parallèle        ravin et les rebords du ruisseau. Deux

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