Piercing - Perspectives psychosociales d'un phénomène de société
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Formation continue / Fortbildung Vol. 14 No. 4 2003 33 Piercing – Perspectives psychosociales d’un phénomène de société Résumé préjugés, elles associent toujours encore prétendent que le piercing «estropie le les pratiques culturellement sanctionnées corps»4). Malheureusement des employeurs La pratique de plus en plus populaire du du tatouage et du piercing à une automuti- aussi semblent associer des connotations piercing, avec laquelle un grand nombre lation et les qualifient p.ex. de destruction négatives aux individus portant un piercing5). de différentes professions médicales se volontaire, non-suicidaire du propre tissu Dans la société actuelle, où piercings et voient confrontées dans une mesure de corporel2). Cela semble aussi être la ten- tatouages se trouvent dans toutes les cou- plus en plus large, est un phénomène dance dans des articles s’adressant aux ches sociales, le recours à des interpré- social qui suscite en général étonnement médecins d’autres spécialités et qui qua- tations discriminatoires et considérant ces si ce n’est rejet. Les préjugés sont grands lifient le piercing p.ex. de «atteinte à l’in- pratiques comme exclusivement patho- et la méconnaissance du contexte psycho- tégrité physique due à la mode»3) ou qui logiques n’est plus permis. social et des motivations des piercés amène à considérer cette pratique comme pathologique. Par cette contribution, nous aimerions combler ce manque de connais- sance et plaider la compréhension pour les motivations souvent intenses qui peuvent être liées au piercing. Mots clé • piercing • psychologie • motivations Introduction Les textes évoquant les aspects psycho- logiques et sociologiques de modifications corporelles dans les sociétés occidentales sont encore plus rares que les traités mé- dicaux à ce propos. Il semble exister une certaine réticence à l’égard de ce sujet. Ainsi, la plus grande partie de la littérature publiée jusqu’à il y a peu de temps était imprégnée d’un fond discriminatoire, la présence de modifications corporelles comme les tatouages ou le piercing étant associée à des comportements psycho- pathologiques ou anti-sociaux1). Bien que des études psychiatrico-légales récentes soient nettement moins empreintes de
Formation continue / Fortbildung Vol. 14 No. 4 2003 34 Perception sociale du piercing nelles de modification corporelle du mon- de occidental qui se limitent, depuis l’idéa- Le piercing est défini par «l’introduction d’un lisation grecque du corps humain et la bijou dans des ouvertures apportées à cer- représentation de la beauté en tant taines parties du corps: sourcils, pavillon qu’essence platonique standardisée, au de l’oreille, lèvres, langue, nez, nombril, percement du lobe de l’oreille. Ainsi le pier- mamelons et parties génitales»6) 7). Le pier- cing devient étranger, différent, inconnu et cing du lobe de l’oreille – percement tra- porte en soi déjà toutes les bases du re- ditionnel aussi dans le monde occidental jet et des préjugés de la société d’une – est exclu de cette définition et différen- part, de la provocation personnelle d’autre cié des pratiques n’ayant pas d’arrière- part. Vu sous cet angle, le piercing peut plan culturel dans les sociétés occiden- être comparé à d’autres courants comme tales. Muldoon propose néanmoins de ils ont toujours existé, provoquant la so- considérer tout piercing, qu’il soit au-des- ciété et blessant les sentiments généra- sus ou au-dessous du cou, au même titre lement acceptés (dans les temps moder- que ce qui était considéré jadis «tradition- nes p.ex. le rock ’n’ roll, les Beatles, les nel», c’est-à-dire le percement du lobe des longs cheveux des hippies, les punks etc.). oreilles.8) Des piercings situés ailleurs Le piercing va plus loin et est plus extrême qu’au visage sont désignés aussi de «in- dans le sens qu’il blesse – dans le vrai times»9) ou «non-conventionnels»10). Pier- sens du terme – l’image traditionnelle que cings de l’oreille et d’autres parties ana- notre société se fait du corps humain. Tout tomiques ne sont généralement pas con- d’abord des parties du corps sont trans- sidérés comme modification durable du percées – au contraire du tatouage qui ne corps, car les trous, surtout lorsqu’ils sont fait que graver la peau. Cela prend un petits, se referment après que le bijou ait aspect particulièrement provoquant lors- été enlevé pendant un temps suffisam- qu’il s’agit de parties rendues tabou, tels ment long. Dans des articles concernant les mamelons ou la région génitale. Mais la réglementation du piercing, les défini- les piercings du visage aussi provoquent ment. Entre temps un changement de tions sont plus larges et la question de la un rejet chez les personnes n’arborant cette perception semble se dessiner, du durabilité est évaluée différemment. La pas de piercing. Par la suppression de moins parmi les groupes d’âge semblable. législation de l’état américain de Virginie, l’homogénéité du tissu, par la sensation Ainsi Armstrong a constaté que des col- par exemple, définit le piercing comme «un inimaginable de voir des zones sensibles légiens non-tatoués perçoivent leurs acte de pénétration de la peau, dans le but du visage pencées par des bijoux influen- camarades présentant des modifications de produire un trou, une marque, une ci- çant et gênant la mimique. S’ajoute à cela corporelles de façon neutre voir positive12). catrice de nature généralement durable»11). la matière des bijoux utilisés: du métal – donc une substance «d’acier», «lisse» et Motivations amenant au piercing La question de la définition recèle déjà le «froide», poussée à travers le tissu doux, et à modifier son corps potentiel conflictuel du piercing. Piercing, sensible, «intouchable» de l’épiderme. appelé par les anglo-saxons de façon L’association de blessure, douleur et en- Le piercing représente une lésion visible, beaucoup plus pertinente «body piercing», suite, s’agissant d’un acte volontaire, de auto-appliquée des standards de beauté exclut les – rares – pratiques tradition- perversion et anomalie se conçoit facile- et des limites corporelles communément
Formation continue / Fortbildung Vol. 14 No. 4 2003 35 acceptés et devient de ce fait une provo- leur apparence extérieure et leur estime Dans cette même étude, quelques fem- cation sociale1). Nous trouvons là sans de soi par des mesures extrêmes voir mes ont rapporté avoir eu, après un pier- doute une des motivations au piercing, re- dangereuses, représente une tendance cing du clitoris, pour la première fois un cherchée surtout par les adolescents. Mis régressive dans notre culture14). Mais ce orgasme lors d’un rapport sexuel vaginal19). à part le fait de choquer, leurs raisons im- point de vue ne tient pas compte du fait Traditionnellement, le piercing génital a pliquent la recherche d’une façon de s’ex- qu’un grand nombre de piercings sont pra- été mis en relation longtemps exclusive- primer personnalisée, de faire preuve de tiqués par des étudiants qui se trouvent ment avec des hommes homosexuels; courage et de suivre une mode. En arrière- dans une sorte de stade de transition – néanmoins des hommes et des femmes plan, il y a souvent la pression des pairs plus vraiment enfants et pas non plus tout se soumettent à un piercing génital pour et le désir d’appartenance à un groupe.7) à fait adultes. Ainsi Sarnecky propose des raisons aussi bien esthétiques que Il semble que, lorsque des adolescents l’idée que, surtout pour les étudiants, sexuelles20). Dans une étude récente ef- souhaitent une forme d’art corporel (ta- l’art corporel est «un moyen pour se créer fectuée par une clinique de vénérologie, la touage, piercing ou branding*), ils ne se leur propre rituel de passage, là où nos présence d’un piercing ne corrélait pas soucient ni des règlementations, ni des ris- sociétés n’ont rien prévu pour eux» – et avec le statut socio-économique, le mode ques ou de coûts13). Myers suggère que elle entend par là une préparation globa- de prévention utilisé, le nombre des par- l’art corporel serve à un accroissement de le à la vie d’adulte15). Cette vision est par- tenaires sexuels ou la présence d’infec- l’estime de soi10). Pour Perkins, le besoin tagée par Myers qui souligne que le pier- tions génitales21). Cette étude soutenait par de beaucoup d’adolescents de modifier cing n’a rien à voir avec un «plaisir de la ailleurs la thèse que les piercings sont douleur» pathologique, mais que la douleur effectués pour des raisons de mode. En qui accompagne le piercing n’est qu’un effet, au gré des changements des idéaux effet secondaire – important – nécessai- de beauté et de nouveaux courants de re à un rituel de passage réussi. Ce rituel la mode, le piercing peut être compris représente pour lui une des motivations comme une des nombreuses traditions des plus importantes incitant à s’appliquer que les hommes ont toujours suivies, par- des modifications corporelles, même tout au monde, pour modifier leur corps à dans les sociétés occidentales10) **. Pour la recherche d’une image de beauté cul- cette raison le rapport établi occasion- turellement sanctionnée1). Il ne suffit pour- nellement entre piercings érotiques, sado- tant pas de réduire le piercing au simple masochisme et fétichisme16) n’est proba- gag d’une mode, car la mode implique par blement pas applicable à la situation définition un état changeant et modifiable. actuelle et ne peut plus être maintenu Il ressort clairement d’une étude-interview comme seule explication du phénomène. réalisée par Sweetman avec des individus Une enquête récente parmi 134 lecteurs plus ou moins fortement piercés et ta- d’un magazine d’art corporel a révélé que toués que la plupart des personnes que- moins de 1/5 se considèrent masochiste, stionnées se sont tournées vers l’art cor- sadique, fétichiste, exhibitionniste ou nar- porel pour créer quelque chose «de diffé- cissique. Un peu plus que la moitié par rent, d’individuel, de durable» sur soi- contre se considéraient «aventureux»17) 18). même, tout en étant conscients que le * Branding: en allemand «Brandmarken»; application piercing ne pouvait pas être considéré d’une marque par un fer incandescent, ce qui provo- ** dans les sociétés traditionnelles d’Asie, d’Afrique ou aussi définitif qu’un tatouage par exem- que une cicatrice. Le temps de guérison est souvent d’Amérique du Sud, ces pratiques sont encore mon- long, jusqu’à 6 mois. naie courante de nos jours1). ple22). Cela contredit la thèse de l’effet de
Formation continue / Fortbildung Vol. 14 No. 4 2003 36 mode – d’autant plus si l’on tient compte étude a révélé que la motivation principa- nelle, ou pour marquer la fin ou le fait de la douleur très vive provoquée par le le au piercing portait sur la recherche de d’avoir surmonté une crise p.ex., mais piercing. l’individualité, voir de l’identité personnelle. aussi à l’occasion de moments positifs. Les personnes questionnées se disent Pour les adolescents des moments typi- Il faut plutôt supposer que piercings et être devenues, par le piercing, «entier», ques pour un piercing sont p.ex. un exa- tatouages retirent leur importance des «nouveau», «content de soi» – et ces sen- men scolaire réussi, l’atteinte de l’âge deux – du processus et du résultat. Les ré- timents seraient encore renforcés par cha- adulte etc. Sarnecki a constaté une très sultats de Sweetman sont corroborés par que piercing ultérieur. En accord avec cela, forte corrélation entre tatouage et piercing une étude faite au moyen d’un question- les mêmes personnes rapportent avoir pra- et des évènements dans la vie du tatoué/ naire de l’auteur et qui a donné les mêmes tiqué leurs piercings dans des moments piercé – surtout des évènements trauma- résultats à partir d’une cohorte nettement clé de leur vie, pour commémorer un épi- tiques14). Une telle corrélation a aussi été plus nombreuse (N = 104)23). En plus cette sode particulier de leur biographie person- constatée dans de petites études basées sur des interviews24) 25), et a pu être con- firmé dans la récente enquête de l’au- teur26). Il est intéressant de constater que la commémoration par un tatouage ou un piercing d’un évènement personnel trau- matique surmonté, est en relation surtout avec le piercing des organes génitaux féminins. Ici les piercings représentent éventuellement une sorte de reconquête d’organes psychologiquement détachés, l’expérience traumatique ayant été trop douloureuse pour se sentir encore liée à cette partie de son corps – p.ex. après un abus sexuel26) 27). En revivant une douleur plutôt violente dans un setting contrôlé (la séance de piercing), où l’ancienne victime s’identifie psychologiquement avec l’agres- seur, la réintégration des organes détachés par le traumatisme devient possible. Le piercing peut donc d’une part être considé- ré comme une pratique visant la création d’un soi cohérent. La semi-permanence du piercing s’accorde avec la construction d’une histoire personnelle consistante21), certains épisodes de la vie étant marqués par le piercing et celui-ci pouvant être en- levé lorsque l’épisode est surmonté – et le piercing n’étant donc plus nécessaire. D’autre part, le piercing peut aussi être
Formation continue / Fortbildung Vol. 14 No. 4 2003 37 considéré comme un acte thérapeutique en général, ni les préjugés collectifs envers Du même auteur est paru un article de personnel – l’acte du piercing étant suivi le piercing, ni les complications occa- revue sous le titre «Body Piercing: me- par un processus de guérison et, durant sionnellement graves ne semblent impres- dical consequences and psychological des semaines voir des mois, de soins obli- sionner les piercés au point de les faire re- motivations», The Lancet 2003; 361: geant la personne de s’occuper pendant noncer à cette pratique. Au contraire: cela 1205-15 qui, en plus des aspects un temps prolongé de son propre corps et semble même représenter plutôt un attrait. psycho-sociaux et des motivations ex- de soi même. Cet aspect du piercing est Le piercing doit donc être accepté, indé- posés dans l’article ci-dessus, décrit, particulièrement significatif et devrait pendamment du jugement personnel, l’histoire, l’origine et le particularités être retenu comme indication importante comme réalité sociale, ce qui peut aussi des différentes formes et localisations lors d’une exploration anamnestique, non être déduit de l’influence rapidement crois- de piercing, les procédures utilisées, seulement en psychothérapie ou médecine sante que cette pratique a sur la santé les aspects légaux ainsi que les psycho-somatique, mais aussi par les mé- publique. Les personnes actives dans le temps de guérison, les complications decins de famille, les internistes ou les secteur de la santé devraient être au cou- et effets secondaires. pédiatres – ceci d’autant plus si l’on consi- rant des nouvelles recherches dans ce dère la fascination maladive que le piercing domaine pour pouvoir conseiller en con- semble avoir sur tant de personnes7) 22) 28). naissance de cause et savoir gérer de fa- Aglaja Stirn, Frankfurt am Main Ainsi le souhait de toujours davantage de çon compétente les effets secondaires et Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds piercings représente avec une très grande les éventuelles complications. Pour pré- probabilité une recherche d’identité avor- venir ces complications et minimiser les Correspondance: Dr. Aglaja Stirn tée et peut être considéré comme symp- répercussions financières déjà tangibles Klinikum der Johann-Wolfgang-Goethe-Universität tôme d’un conflit psychique. sur la santé publique, des deux côtés Klinik für Psychiatrie und Psychotherapie I (Hs 93) Heinrich-Hoffmann-Strasse 10 (Services de santé publique ainsi que les D-60528 Frankfurt am Main stirn@em.uni-frankfurt.de Conclusion personnes pratiquant le tatouage et le pier- cing) tous les efforts devraient être entre- Malgré le grand nombre de risques et de pris pour créer des réglementations co- Littérature complications, le piercing est pratiqué, hérentes (formation, formation continue, Voir le texte allemand. dans les cultures occidentales, par tou- contrôle des mesures d’hygiène). De même, Photos: TätowierMagazin jours plus de personnes. Les motivations les professionnels du secteur de la santé pour le piercing sont hétérogènes et vont devraient s’occuper sans préjugés de per- de l’effet de mode dû à une pression de sonnes portant un piercing et être cons- groupe jusqu’à l’acte thérapeutique, visant cients du message que celles-ci veulent à surmonter des événements traumati- peut-être nous transmettre avec leur art ques. L’individu adresse, selon la locali- corporel, beaucoup d’entre eux effectuant sation de son piercing, par sa décoration ces modifications de leur corps dans la corporelle une déclaration extrovertie, pub- tentative d’atteindre une identité et un soi lique et en même temps introvertie, privée cohérent. à la société qu’il/elle considère comme «mainstream» (entendant par là les indi- vidus non-piercés de cette société). Cela est reçu de la part de la société de façon ambivalente sinon négative. Malgré cela,
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