Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - Zâher Châh : roi détrôné devenu père de la nation L'économie libérale a-t-elle sa place ? - AFRANE
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Vingt-huitième année N°118 Août 2007 (3ème trimestre) Les Nouvelles 8 Euros d’AFGHANISTAN Zâher Châh : roi détrôné devenu père de la nation L’économie libérale a-t-elle sa place ? ISSN 0249-0072 La neutralité des ONG
Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan SOMMAIRE N°118 Du défaitisme . HISTOIRE Mohammed Zâher Châh 3 U n certain défaitisme s’est emparé de l’opinion mondiale concernant Le roi a traversé près de 75 ans d’histoire l’Afghanistan. Tout y irait de mal en pis. Une fois de plus certains afghane articles de ce numéro vont à rebours de cette tendance. Cela ne par E. CASTEL-DOMPIERRE 5 vient pas de notre part d’un a priori d’optimisme. Nous n’avons pas choisi les auteurs en fonction de leurs sentiments, mais en fonction de leur proximité avec la réalité afghane. Il n’est pas inutile de rappeler que cette réalité ne se ONG résume pas à de la violence, même si celle-ci a pris une certaine ampleur La neutralité des ONG dans le sud et le long de la frontière pakistanaise. par Pierre LAFRANCE 8 Le défaitisme en question n’est pas sans conséquence sur les dé- cideurs et les financeurs. A quoi bon, nous dit-on par exemple, financer la RECONSTRUCTION construction d’écoles si elles doivent être brûlées par les Tâlebân ? Un tel raisonnement ne peut être retenu, et ceci pour au moins trois Tchagha- Saraï raisons. D’abord pour des raisons factuelles. Le nombre d’écoles incendiées par Jean BRAUD 10 est sans commune mesure avec le développement de l’éducation en Afgha- nistan. Dans beaucoup de régions les écoles fonctionnent normalement. ECONOMIE Faudrait-il priver les enfants de Waras de salles de classes parce qu’une L’économie libérale en Afghanistan école du Logar a été incendiée ? Et faudrait-il ne plus construire à Djalalabad par Zia FARHANG 15 parce que des groupes font des attentats à 50 km de là ? Il faut aussi souligner une erreur d’analyse. Ce qui fait sens aujourd’hui en Afghanistan, ce ne sont pas, contrairement à ce qu’on pourrait AMITIE FRANCO-AFGHANE penser, les incendies d’écoles, mais l’immense demande de scolarisation à Echange scolaire à Djalalabad 17 travers tout le pays. Enfin, il n’est pas possible de donner si vite raison aux adversaires de l’école. Il leur suffirait de brûler quelques bâtiments pour décourager la CULTURE communauté internationale de financer les milliers d’écoles réclamées par la Lettre à un joueur de robâb population afghane ? Les Tâlebân brûleraient dix écoles et la communauté par Razâ MAYEL HERAWI 19 internationale en déduirait l’inutilité d’en construire cent autres ! Ce serait vraiment, pour reprendre une expression en vogue, du « gagnant-gagnant » DERNIERES NOUVELLES pour les ennemis de la connaissance. AFRANE décidément n’est pas dans cette logique et est assez fière Chronologie, brèves, bibliographie 21 d’avoir pu démarrer trois chantiers de construction cet été à l’est, à l’ouest et à Kaboul. J’en profite pour remercier tous ceux qui permettent ces construc- tions : aussi bien les volontaires que les donateurs. Le joueur de robâb qui « joue un air nouveau et met le feu aux âmes Photo de couverture: Le choix pour fatiguées » est là pour nous faire oublier les vieux airs d’autrefois et pour l’Afghanistan d’adopter un système libéral nous éviter de sombrer dans les délices du défaitisme. d’économie a conduit au développement à Kaboul d’immeubles modernes de bureaux ou à usage commercial, en décalage parfois avec le niveau de développement du pays Etienne GILLE (voir article page 15). Photo Zia Farhang Le 29 août Adresse E-mail afrane.paris@gmail.com Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.asso.fr 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°118
HISTOIRE Mohammed Zâher Châh (1914 – 2007) L’ancien roi Zâher est décédé à la fin du mois de juillet. Il était affaibli par l’âge et la maladie depuis des mois. Sa présence aux tout premiers rangs de la politique afghane, comme roi, puis comme observa- teur attentif et consulté, et enfin comme « père de la nation » a duré soixante-quatorze ans. Nous donnons ci-dessous quelques points de repère sur sa vie et sur son action politique en tant que roi. Beaucoup l’ont critiqué pour ce que l’on a appelé sa faiblesse ou pour la corruption qui gangrenait une partie de son administration. Mais son bilan est en quelque sorte validé par ce qui s’est passé après. Et tout le monde s’accorde pour dire que son règne fut un des rares moments paisibles de l’histoire de l’Afghanistan. Le règne de Zaher Chah de 1933 à 1973 a été marqué par : (1958) et avec la Chine populaire (1963), accord controversé sur les eaux de l’Helmand avec l’Iran (1973). Une politique de non-alignement et d’équilibre entre les influences soviétiques et américaines: Plusieurs voyages à l’étranger : URSS (1957, 1962, Adhésion de l’Afghanistan à la Société des nations le 28 1965 et 1968), Etats-Unis (1963), Chine (1964), Inde (1958 septembre 1934. Signature d’un traité d’amitié avec les Etats et 1966), Pakistan (1958 et 1966), France (1965), Japon Unis le 26 mars 1936, neutralité de l’Afghanistan lors de la (1969), Angleterre (1971), Italie (1973). seconde guerre mondiale, participation à la création du mou- vement des pays non alignés en 1955, contrats notamment Un début d’industrialisation : Début de la produc- militaires avec l’URSS, mainmise de l’URSS sur le gaz du tion de l’usine de sucre de Baghlân en 1939, inauguration nord du pays. de la route du Sâlang 1er septembre 1964. Voient aussi le jour avant 1964 l’usine de textile de Pol-e Khomri avec une Des relations fluctuantes avec le Pakistan: Vote production de 12 millions de mètres de tissu par an et les négatif de l’Afghanistan concernant l’adhésion du Pakistan usines hydroélectriques de Tchak-e Wardak (4000 KW) et de aux Nations unies le 30 septembre 1947, tension en 1955, Pol-e Khomri (9000 KW). La culture du coton est introduite rupture des relations diplomatique avec le Pakistan de sep- dans le nord. Plus tard apparaissent l’usine de textile de Gol- tembre 1961 à juin 1963. Bahâr avec une capacité annuelle de 35 millions de mètres et l’usine hydroélectrique de Saroubi, avec une capacité de De bonnes relations avec les autres voisins de 22000 KW. l’Afghanistan et une insertion du pays dans le concert international : Adhésion de l’Afghanistan aux Un développement spectaculaire de la scolarisa- Nations Unies le 9 novembre 1946, signature d’un traité tion : De 1931 à 1972, le nombre d’écoles passe de 22 à d’amitié avec l’Inde en 1955, accords frontaliers avec l’URSS 3972, le nombre d’instituteurs de 105 à 21920, le nombre Les Nouvelles d’Afghanistan n°118 3
HISTOIRE d’élèves de 1350 à 760 000. Création de la faculté de mé- decine de Kaboul en 1932, de l’Université en 1946, de la faculté de médecine de Djalalabad en 1963. Chronologie Un effort global de démocratisation : Malgré quel- 15 octobre 1914 : Naissance à Kaboul ques périodes de durcissements dans la première partie du rè- Encore enfant, il accompagne son père en France où il fait ses études gne : élection à bulletins secrets pour la mairie de Kaboul en primaires et secondaires (au lycée Janson de Sailly puis à Montpellier). avril 1948, parution en 1951 de journaux indépendants vite Après l’intronisation de son père en 1929, Mohammad Zâher, qui fait suspendus, arrestations d’intellectuels ou de personnalités figure de prince héritier, retourne en Afghanistan en 1932. Il apprend les (par ex. en 1957), promulgation d’une constitution libérale rudiments de l’art militaire à l’école militaire avec un officier instructeur en 1964, adoption de lois et de codes. allemand et est nommé ministre de l’Education à 18 ans. 8 novembre 1933 : A la suite de l’assassinat de son père, Mohammad Un climat global de paix civile, malgré quelques Zaher, qui est l’aîné après la mort de Mohammad Tâher (mort en prison sous le règne d’Habibollâh Kalakâni), est choisi pour monter sur le trône, périodes de trouble mais c’est son oncle paternel, Hâchem qui devient premier ministre et exerce la réalité du pouvoir. Un début d’émancipation des femmes : La reine 9 mai 1946 : Hâchem est contraint de démissionner par le roi désireux apparaît dévoilée (1956), fin de l’obligation pour les femmes de prendre une part plus importante dans les affaires de l’Etat et de de porter la voile (31 août 1959), ouverture d’écoles de filles, mettre en place des méthodes de gouvernement plus conformes aux nomination de ministres femmes. règles internationales. Chah Mahmoud, autre oncle du roi, plus libéral, Eléments reccueillis par Etienne Gille. le remplace. 6 septembre 1953 : Démission de Châh Mahmoud et nomination de Mohammad Dâoud au poste de Premier ministre. Mars 1963 : Remplacement de M. Daoud par Mohamad Youssof au Hommage poste de Premier ministre. C’est le premier Premier ministre à ne pas faire partie de la famille royale. Suivent ensuite les gouvernements Dès notre mariage, Sabrina et moi-même rêvions d’une exis- Maïwandwâl (1965), Etemâdi (1967), Abdul Zâher (1970), Moussâ tence plus riche, plus colorée, celle d’un Orient mythique. Chafiq (1972). Professeurs d’anglais au lycée Jeanson de Sailly à Paris dans les années 60, j’apprends que le roi d’Afghanistan y a été élè- 1er octobre 1964 : Promulgation d’une constitution « démocratique ». ve et m’en ouvre au proviseur qui me remet pour sa Majesté C’est cette constitution qui sera remise provisoirement en vigueur après une lettre de recommandation débutant ainsi : « Un proviseur le départ des Tâlebân. peut toujours s’adresser à un ancien élève, fût-il devenu roi de son pays… » 1971-72 : Période de sécheresse et de famine qui provoque cent mille Nantis de ce précieux sésame, nous prenons en voiture le morts et de nombreux déplacés. Le roi et son gouvernement sont vive- chemin de l’Asie pour un voyage hors du commun qui va du- ment critiqués pour ne s’en être souciés que très tardivement. rer quatre ans et demi, dont plus d’un an pour le seul Afgha- 17 juillet 1973 : Renversement du roi par Daoud (cousin et beau-frère nistan. La lettre du proviseur nous en vaut une autre éma- du roi) qui proclame la République, alors que le roi est en vacances en nant du roi qui demande aux autorités provinciales afghanes Italie. Zaher Chah y demeure dès lors en exil. d’aider un jeune couple français à découvrir les us et coutu- mes de ce pays, la lettre se terminant par cette formule : « 27 avril 1978 : Les communistes prennent le pouvoir au bénéfice Montrez-leur l’Afghanistan ». A la parution de notre premier d’un coup d’Etat sanglant et le démettent de sa nationalité. De 1978 album sur ce pays, Mohammad Zâher Châh va jusqu’à nous à 2002 : Durant la guerre de Résistance qui s’installe, plusieurs partis accorder l’autorisation exceptionnelle de nous rendre dans militent pour son retour tandis que d’autres, les partis islamistes, s’y le corridor du Wakhan. Nous partageons l’existence de ce opposent. Lui-même reste discret, se contentant de suivre de près les qui va être la dernière caravane sur le toit du monde, une événements et de publier de temps à autres des communiqués. A plu- mémorable expédition avec les Kirghizes du Pamir qui, pour sieurs reprises son entourage essaie de susciter la réunion d’une loya gagner leur campement d’hiver à 4000 m d’altitude, utilisent djirga (Grande assemblée traditionnelle) en vue de mettre fin au conflit, comme voie de passage la rivière gelée. Cette « Caravane de mais en vain. Périodiquement il apparaît comme un recours possible, Tartarie » symbolise la plus remarquable aventure de notre mais, semble-t-il, le Pakistan n’en veut pas. carrière photographique. Lorsqu’en 1980 paraît « Mémoire de Septembre 1991 : La nationalité afghane lui est rendue par Nadjibullah, l’Afghanistan », le roi en exil à Rome, nous adresse une let- alors président du régime communiste qui cherche à le réintégrer dans tre émouvante : « Vous nous faites redécouvrir notre pays » et un processus de « réconciliation ». nous exprime son affection. De ce personnage, parfait gentleman farmer, discret, bien- 4 novembre 1991 : Il est blessé dans un attentat contre sa personne par veillant et emprunt de noblesse, nous gardons le souvenir un faux journaliste portugais. d’un temps de paix que le souverain sut instaurer dans son 19 avril 2002 : Retour en Afghanistan. En juin il inaugure la loya djirga pays avant qu’un destin cruel ne jette celui-ci dans un long destinée à mettre en place les institutions provisoires. malheur. Il reçoit le titre honorifique de « Père de la nation ». Nous saluons ici sa mémoire avec émotion et comme il est dit en terre d’Islam : « Que Dieu soit content de lui ! » 23 juillet 2007 : Décès. Le gouvernement décrète un deuil de trois jours. Zaher Châh a eu six fils et deux filles. Deux sont encore en vie. Roland et Sabrina MICHAUD. 4 Les Nouvelles d’Afghanistan n°118
HISTOIRE Le Roi a traversé près de 75 ans d’histoire afghane par E. CASTEL-DOMPIERRE* Les visiteurs français de marque à Kaboul, se faisaient tous, dérablement dans la région, le vieil adversaire britannique jusqu’à ces derniers mois, un point d’honneur de rencontrer quitte l’Inde, le Raj disparaît au profit de deux nations l’Inde ce très digne et très vieux monsieur qui, les recevant avec une et le Pakistan mais pourtant le « grand jeu » se poursuit et immense courtoisie dans les communs et les jardins du Palais les Etats-Unis, prenant très vite la place de la Grande-Breta- qui fut le sien, savait leur parler, avec grâce et émotion, dans gne, lancent (en 1946) une action d’envergure en Afghanis- un français aujourd’hui suranné, de ses jeunes années à Paris tan (après une première mission dès 1942) face à l’influence et Montpellier. grandissante de l’Union Soviétique. Les hôtes du Président Karzaï n’auront plus le privilège de Le Roi, à partir de 1946, impulse une modernisation rencontrer celui qui régna officiellement à Kaboul 40 ans et d’abord dans le domaine agricole : l’Afghanistan consacre demeura, pendant plus de 70 ans, un acteur essentiel de la vie une partie des réserves accumulées au cours de la guerre à politique afghane. de grands projets de valorisation agricole dans les bassins Le jeune Prince quitta la France au début des années trente de l’Helmand et de l’Arghandab au sud du pays (efforts qui mais il n’est sans doute pas faux d’affirmer que, toute sa vie, seront relayés à partir des années 50 par des crédits améri- il demeura fidèle à cette formation intellectuelle dans les éco- cains puis l’intervention directe de l’US Aid). L’éducation, les de la République, au sein de ces lycées français de l’entre- qui avant-guerre restait confinée à un modèle mis en place deux-guerres où il avait pu lire (et aimer) les classiques des dans les quelques écoles de Kaboul soutenues par les gou- siècles passés et les grands auteurs de son temps (Proust et vernements étrangers (au premier rang desquelles les lycées Gide notamment). Fidèle lecteur du Monde depuis sa créa- Esteqlal et Malalaï), va elle aussi bénéficier d’un développe- tion, observateur très attentif de la vie sociale et culturelle ment important dans le primaire et le secondaire mais égale- française, fin connaisseur de son personnel politique d’avant ment le supérieur (création de l’Université de Kaboul en mai et d’après guerre, il conserva jusqu’à la fin de sa vie la nos- 1945). Cette modernisation sera accélérée à partir de la fin talgie de la France de sa jeunesse. des années cinquante par l’ouverture du pays et notamment par l’émancipation des femmes et des jeunes filles, cette ré- volution qui avait coûté son trône à Amanullah. En effet, à Un roi timidement moderniste partir de 1959, des membres de la famille royale puis, peu à peu, les femmes issues de la bourgeoisie éclairée de Kaboul Mohammed Zaher Chah, rentré à Kaboul en 1932, confron- quittent le tchadri, prélude à un rôle de plus en plus important té très vite à la mort de son père et devenu roi à peine sorti de des femmes dans la société afghane. l’adolescence, règnera pendant longtemps par procuration. A partir de 1953 le Premier Ministre est le Prince Daoud, Ses oncles, d’abord Hachem (jusqu’en 1946) puis le réputé son cousin, qui avait sans doute ses propres vues sur la politi- plus libéral, Chah Mahmoud (jusqu’en 1953), exerçant le que. Zaher Chah poussait néanmoins avec sa discrétion cou- pouvoir en son nom en tant que Premiers Ministres. L’ouver- tumière son pays vers plus d’ouverture et de développement. ture du pays (notamment par l’envoi d’étudiants à l’étranger) Mais il y avait, bien sûr, les Afghans si indociles… Les tribus, lancée par Amanullah au cours des années 20 (et qui aura été d’abord, qui restaient toujours remuantes, avec des révoltes funeste à ce monarque moderniste) sera poursuivie, très pru- en 1933 (Mohmands), 1937 (Mohmands encore et Chinwa- demment, par les oncles du Roi qui sauront également préser- ver la neutralité de l’Afghanistan au cours du second conflit mondial (malgré de fortes pressions contradictoires entre Allemands et alliés). Zaher Chah gardera toujours le souve- nir de la Loya Djirga exceptionnelle qui décida, en 1941, de cette neutralité mais également de ne pas livrer à l’Empire Britannique les Allemands résidant en Afghanistan. Dès l’immédiat après-guerre, les choses évoluent consi- * Observateur attentif de la situation en Afghanistan depuis la fin des années 70. Un billet de banque de 1949 à l’effigie du roi. Les Nouvelles d’Afghanistan n°118 5
HISTOIRE ris), 1945 (vallée de la Kunar), 1948 (Safis) et 1957 (Djadjis) significativement leur aide économique dès la fin des années pour les plus marquantes… rendant plus essentiel encore le 50 et l’administration Kennedy enverra en nombre les jeunes rôle de l’armée garante de la paix civile. Les mollahs, ensui- du Peace Corps dans le pays. Par ailleurs, celui-ci, jusque là te, généralement obscurantistes (et assez peu considérés par très fermé aux étrangers, s’ouvrira au tourisme en 1963 et les tribaux comme par les citadins), garderont toutefois une peu à peu deviendra une destination appréciée d’une jeunesse influence et, à partir des années 60, les militants islamistes en quête de sens et d’authenticité ! formés à l’étranger (Le Caire comme Qom), contesteront de Beaucoup d’Afghans se souviennent de ces années 60 plus en plus vivement la modernisation du pays. Les commu- comme un âge d’or dans les villes et, même à la campagne, nistes enfin, de diverses tendances opposées, qui ne s’accor- les progrès seront notables (ouverture d’écoles, début de mise daient que sur leur volonté de promptement faire tomber la en place de dispensaires, création d’un réseau de routes se- Monarchie « rétrograde ». condaires désenclavant les innombrables vallées, grands tra- Tous ces opposants résolus, peu soucieux de contradiction, vaux hydrauliques, appui à l’amélioration de l’agriculture). étaient bien souvent issus des rangs de l’aristocratie ou pro- Le Roi, lui-même, avec sa ferme de Karez-e Mir montre la ches de la maison royale voire même avaient été élevés en voie et cultive son personnage d’aristocrate aux goûts sim- son sein comme, par exemple, Babrak Karmal. ples bien conformes à ceux de son peuple (il aime bien aller à la chasse près de Ghazni ou dans la belle vallée d’Adjar). Et nombreux sont encore les Afghans d’un certain âge qui, Un âge d’or ? aujourd’hui, devant les cortèges de voitures officielles lour- dement protégées, rappellent que le Roi conduisait lui-même Ils profitaient tous également de la volonté démocratique sa voiture et s’en allait suivi seulement (et d’assez loin) par du Roi qui, en 1963, obtenait le départ de Daoud et poussait un véhicule de police chargé d’éventuellement suppléer aux à la rédaction d’une nouvelle constitution (adoptée en 1964) pannes du véhicule royal. faisant de l’Afghanistan une monarchie constitutionnelle. Hélas, le début des années 70 sera plus tragique. La grande Rédigée par un juriste français, cette constitution afghane sécheresse de 1971 – 1972 qui frappera le nord du pays et qui s’inspirait souvent de celle de la Vème République ne fera plus de cent mille morts et de très nombreux déplacés va donna malheureusement pas ce modèle de parlementarisme ternir l’image du Roi. Beaucoup, en Afghanistan comme par- rationalisé prôné par les pères de la constitution française. mi les membres de la communauté internationale, critique- L’inexpérience démocratique des élus (et peut-être de tout le ront la relative indifférence des autorités face au drame des corps social afghan) est sans doute pour une bonne part dans paysans afghans. L’aristocratie afghane et le Roi lui-même l’échec final de cette initiative fondamentale du Roi… porteront, aux yeux du peuple, la responsabilité de l’inertie Dans ces années d’après-guerre où graduellement le Roi de l’administration voire de sa corruption. Pour une part, le prend plus d’ascendant sur les choses publiques, l’environ- pacte avec le peuple afghan sera brisé au cours de ces mois nement international de l’Afghanistan se modifie. Et d’abord de sécheresse. apparaît un pays nouveau, le Pakistan qui enflamme la re- L’instabilité du régime parlementaire, l’agitation de plus vendication afghane sur les populations pachtounes, séparées en plus vive des groupes extrémistes (étudiants de gauche et depuis 1893 (indûment selon Kaboul) par la ligne Durand. islamistes), les effets de la sécheresse sur le renom de la mo- Seul pays à voter contre l’admission du Pakistan à l’ONU narchie poussent finalement, en juillet 1973, le prince Daoud en 1947, l’Afghanistan inaugurait des décennies de tension à renverser le régime (révolution de palais sans effusion de avec son voisin de l’Est… Relations rythmées par les cri- sang appuyée par l’armée) et à proclamer la République. Le ses entre les deux pays avec des fermetures de frontières masque sévère du Sardar Daoud remplaçait l’image un peu en 1950, 1953 et surtout de 1961 à 1963 (avec la rupture lointaine d’un Roi d’Afghanistan qui, pour beaucoup de ses des relations diplomatiques), le Sardar Daoud faisant de la farouches sujets (y compris au sein de sa propre famille), question du Pachtounistan, un point central de sa politique aimait sans doute un peu trop la chasse, les vacances en Italie étrangère. Cela entraîne, bien sûr, des répercussions sur les et la culture française. alliances avec les Etats-Unis et l’URSS dans cette période de guerre froide et notamment la décision de Washington (allié du Pakistan), en 1953, de ne pas participer à la formation des cadres de l’armée afghane. L’URSS ne manquera pas de sai- L’exil sir cette occasion inespérée et formera, à partir de cette date, Et il y aura donc l’exil…à Rome. l’ensemble des hauts responsables militaires. Cela ne sera pas Cet exil, d’abord assez rapidement accepté (presque sans sans conséquence dans un pays où, compte tenu du caractère regret semble t-il) mais qui, bien vite, changera radicalement remuant des tribus, la chose militaire reste essentielle. Rapi- de sens, avec le renversement sanglant du Sardar Daoud en dement conscients de cette erreur, les Etats-Unis accroîtront Le roi à travers les timbres 6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°118
HISTOIRE 1978 et les premières années d’une longue tragédie pour le peuple afghan (extermination des familles proches de l’an- Que retenir ? cien régime comme des élites religieuses, révoltes dans les De ces cinq dernières années à Kaboul au crépuscule d’une provinces, début de l'exode des paysans vers le Pakistan ou si longue vie, que retenir ? Le très jeune aristocrate, féru l’Iran et enfin luttes internes féroces, pour aboutir à l’inter- d’auteurs français, si inquiet devant ce pays tellement arriéré ? vention soviétique de décembre 1979). Alors le Roi sera plus Le jeune monarque dont les oncles sévères contrôlent les faits présent… Certains chefs de la Résistance se réclameront de et gestes et gouvernent en son nom ? Le souverain qui peu à son patronage et, au début, nombre de groupes de résistants peu, lentement, discrètement, trop discrètement peut-être, es- dans les campagnes libérées seront proches des idées roya- saie de faire prévaloir ses idéaux ? Le monarque voyant son listes. dessein trahi par des hommes politiques trop frustes ou, par- Peu à peu, le poids des islamistes (très peu favorables au fois trop habiles ? Ou enfin, le Roi trahi par son cousin et beau- monarque), le manque de consistance de beaucoup de chefs frère qui, toujours avec discrétion, se détermine à l’exil dans la se réclamant du Roi, l’influence du Pakistan (institué, sans belle, trop belle sans doute, capitale italienne. doute à tort, fondé de pouvoir des Etats-Unis pour le sou- Il y a eu cette longue période de déchirements où chaque tien à l’Afghanistan), toujours très opposé au Roi du fait du année qui passait voyait les souffrances du peuple afghan se Pachtounistan et aussi l’éloignement du terrain, vont faire prolonger et s’aggraver. De Rome, bien sûr, on n’était sans que le monarque perdra, peu à peu, en Afghanistan même (et doute pas en première ligne aux côtés des résistants mal armés surtout auprès des combattants) le prestige qu’il conservait ou avec les réfugiés démunis de tout qui fuyaient les bombar- au tout début de la lutte contre les Soviétiques. L’Iran, quant dements et arrivaient, désespérés, dans d’immenses camps au à lui, toujours réticent à tout ce qui pouvait s’apparenter à milieu du brûlant désert baloutche ou dans les maquis aux ar- une restauration monarchique, ne permit guère aux Hazaras, bustes clairsemés des zones tribales. L’exil était lointain certes majoritairement installés sur son sol, de se réclamer du mo- mais les émissaires, nombreux, savaient rappeler que là-bas, narque qui, largement, avait été leur protecteur face à la tradi- un peuple se battait et souffrait. tionnelle et pesante domination des nomades pachtounes. Comme on peut regretter qu’en ce début de l’année 80 où le Toutefois, en 1987-1988 encore, il demeurait largement pays tout entier attendait un message d’espoir et de résistance, préféré, face à tous les chefs modjahedin, dans le coeur des une proclamation condamnant irrévocablement l’invasion so- Afghans réfugiés au Pakistan. La publication par Bahoddin viétique et enjoignant aux Afghans, à tous les Afghans, de ré- Madjrouh du sondage qui révélait cette préférence coûtera la sister. Peut-être, alors, les choses auraient–elles été autres…. vie au poète. Et pourtant, le vieil homme, très âgé, est revenu dans sa ca- Les atroces luttes de pouvoir entre modjahedin du début des pitale… Il a dans ses toutes dernières années de vie, essayé de années 90 devaient occulter la voix de la raison qui parfois contribuer au rétablissement de son pays… Il a présidé cette venait de Rome. Toutefois, régulièrement on parlait d’une le- première Loya Dirga. Il est devenu (sans opposition véritable), vée en masse, dans le sud, de tribus royalistes qui au nom du le Père de la Nation et, sans doute aurait-il pu, aurait-il souhai- Roi devaient libérer le pays de l’arbitraire… On annonçait, à té faire plus…. On peut regretter que les mentors américains, Kandahar, le vieux monarque ou, parfois son gendre, le sar- n’aient jamais voulu lui permettre de faire la tournée des vil- dar Abdul Wali… Certains émissaires étaient même venus les et des provinces afghanes avec Hamed Karzaï. Sans doute jusqu’au Pakistan pour préparer les voies du retour à la Paix nombre de ceux qui, aujourd’hui, ont mis leur pas dans ceux mais, bien sûr, les combats reprenaient soudain et alors que des Tâlebân auraient envisagé d’autres chemins… L’Améri- les services pakistanais protestaient de leur innocence quant que a toujours été réticente aux restaurations monarchiques et aux affaires afghanes, les espoirs de bien des Afghans étaient trop bienveillante, sans doute, aux voix d’Islamabad… réduits, une nouvelle fois, à néant.... Alors, le vieux Roi a reçu bien des hôtes étrangers. Il a tant Vinrent les Tâlebân…. Ils étaient du sud, pachtounes et de fois accueilli, toujours écouté, parfois conseillé, quelque- parfois, chez certains, on sentait une certaine nostalgie pour fois même ordonné… Beaucoup se souviennent avec émotion le Roi… Mais les plus jeunes ne savaient rien des années 60 de ces conversations, dans le secret de ce palais, où il aimait ou 70, ils n’avaient connu que la fin de la guerre soviétique à évoquer sa jeunesse, la politique française dont il était fin et les exactions des commandants, le Roi n’était qu’un per- connaisseur et les Grands de ce monde rencontrés durant son sonnage un peu mythique seulement présent dans le discours règne (et bien souvent il évoquait la mémoire du Général de des anciens…. Gaulle dont il se disait le fervent admirateur). Il parlait égale- Pourtant, pour beaucoup d’anciens chefs modjahedin (Rab- ment de ce « jeune M. Karzaï » dont il espérait qu’il pourrait, bani, Massoud et même Sayyaf et les chefs hazaras, voire lui aussi, sortir un jour de sa réserve et tous ses regrets de ne Dostum), le recours au Roi, face aux étudiants en théologie, pouvoir aller dans le sud berceau de sa famille, le nord où devenait plus envisageable. Des rencontres étaient organi- les tchapandoz l’attendaient avec impatience et surtout dans le sées, au Proche-Orient en Europe, à Rome…. Mais l’Amé- centre, vers sa chère vallée d’Adjar où le gibier était si beau. rique restait indifférente et le Pakistan hostile… Alors la Et puis, on se souviendra surtout de cette sortie aux portes de guerre se poursuivait… Kaboul, dans sa ferme de Karez-e Mir, là où ne demeuraient L’attentat contre Massoud, l’attaque de New York, l’assaut que des ruines et un pigeonnier qui, encore fièrement, bravait contre les Tâlebân allaient faire basculer l’échiquier afghan. les destructions et symbolisait sans doute la fierté du peuple Et en décembre 2001, intervenaient les accords de Bonn avec afghan. De cette escapade-là, le vieux Roi revint en larmes car l’intronisation d’une autorité intérimaire dirigée par Hamed sans doute on ne doit jamais essayer de remonter le temps. Karzaï…. Les monarchistes étaient présents à Bonn, le Roi Aujourd’hui, Mohammed Zaher Chah est mort. De ces der- avait été consulté… peut-être les choses changeaient. En nières années où il aura été si proche, peut-être pour la pre- avril 2002, après 29 années d’exil, le vieux Roi revenait à mière fois, de son peuple, on pourra dire que non, pour lui, la Kaboul…. Cinq années plus tard, vieillard recru d’épreuves, vieillesse n’aura pas été un naufrage… il s’éteignait dans cette même ville de Kaboul. Les Nouvelles d’Afghanistan n°118 7
ONG La neutralité des ONG par Pierre LAFRANCE* Organisations non gouvernementales, les ONG peuvent parfois apparaître, volens nolens, comme ayant des liens privilégiés avec les autorités des pays où elles exercent ou avec les gouvernements qui les financent ou les protègent. Elles peuvent aussi, du fait de leur attachement aux droits de l’homme, être amenées à critiquer gouvernements ou forces d’opposition. Pierre Lafrance rappelle quelques principes définissant où se situe la neutralité des ONG. Il y a quelques mois, l’action si justement célébrée de l’Ab- mais hors de toute influence comme de tout présupposé. bé Pierre qui venait de mourir nous a rappelé une évidence: Bref, les ONG sont neutres. quels que soient les efforts encouragés ou entrepris par les Cela veut dire, en particulier, qu’elles ne sont, à priori, Etats pour organiser la solidarité nationale par la croissance ni amies ni ennemies des Etats, des partis politiques, des économique, le prélèvement fiscal et la redistribution sociale convictions religieuses. Elles tiennent simplement compte de et quel que soit l’enrichissement global d’une population, les leur existence et ne prétendent nullement faire des uns ou cas de détresse insupportable, de vie misérable que nul toit des autres leurs instruments puisqu’elles pallient et de ce fait n’abrite, de malnutrition paraissent innombrables et hors du sanctionnent leurs carences ou déficiences. champ d’action des gouvernements, du moins au stade actuel A contrario, elles ne peuvent en aucun cas devenir les ins- de la civilisation. truments de quelconques institutions, tendances, croyances. La carence des solidarités gérées par la voie officielle ou Si les unes et les autres viennent en renfort à leur action, elles attendues de la seule vertu du lien économique rend urgente en profitent pour mieux l’accomplir ; si au contraire, elles y l’intervention d’acteurs bénévoles mus apparemment par leur font obstacle, elles s’efforcent de les contourner mais s’inter- sensibilité dite « humanitaire », mais, plus profondément, par disent de les affronter. un refus viscéral, lié à l’instinct de survie, de voir l’humanité Ces banalités méritent d’être rappelées, car elles rendent devenir inhumaine. compte du rejet par les ONG de toute affiliation. S’il apparaît Ce qui s’applique à la France comme à d’autres pays ne parfois souhaitable de les compter, de les recenser on ne de- peut que s’appliquer aussi à l’Afghanistan. La mission des vrait jamais pouvoir les « cataloguer ». ONG y est donc de fournir une aide que ni l’Etat, ni les or- ganisations internationales, ni le secteur privé ne peuvent ap- Il est donc clair que si les évolutions politiques, économi- porter alors que cette aide est urgente soit pour secourir les ques, sociales de l’Afghanistan préoccupent les ONG, celles- détresses soit pour les prévenir. ci n’ont pas pour objectif d’y intervenir en tant que protago- nistes d’un conflit. En d’autres termes, si les populations, déçues par certains Indépendance politique développements récents, ont la nostalgie de l’ordre imposé par les Tâlebân, si, au contraire, elles rejettent cet ordre pour Il est donc clair que les ONG agissent de leur propre ini- lui en préférer un autre, cela n’a pas d’incidence sur la stra- tiative et conçoivent leurs programmes sans autre visée que tégie des ONG qui vise seulement à mettre ces populations celle inscrite dans leur nature comme dans leurs statuts. à l’abri de la détresse, de la misère et autres atteintes à leur Elles peuvent et même doivent s’assigner une stratégie, dignité. C’est cette volonté de placer leur propre action hors du champ politique qui leur vaut d’être respectées, comprises * Ambassadeur de France, président de Madéra ou, à tout au moins, supportées. 8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°118
ONG Le non-engagement des ONG Programmes NSP Il ne peut donc être question pour elles de s’engager aux Que dire par contre des NSP ? Ce programme de dévelop- côtés de toute partie à un conflit armé. Ce fut là le choix de la pement participatif et intégré procède d’une stratégie de lutte Croix Rouge dès sa création et l’on peut dire sans risque d’er- contre la pauvreté, stratégie voisine de celle des ONG. On se reur que le CICR [Comité International de la Croix-Rouge], trouve alors dans le cas où l’action institutionnelle et celle apte à être l’interlocuteur de tous les belligérants et de tous des ONG pourraient converger. La jonction entre l’une et les régimes pour le bien du droit et de l’action humanitaires, l’autre devient possible. Il reste que l’issue la plus souhaita- est un exemple que les autres ONG tentent de suivre. ble de cette coopération est que l’Etat Afghan, les institutions Un attachement aussi résolu au non-engagement en tant internationales et les communautés locales finissent par met- que condition efficace d’une aide aux populations peut heur- tre en œuvre un tel programme sans les ONG en recourant au ter telle ou telle conviction. Il revient à ceux qui préfèrent besoin à des opérateurs privés, tandis que les ONG conce- l’engagement à la neutralité d’inscrire leur action dans un vront et appliqueront des programmes obéissant aux mêmes autre cadre que celui des ONG ordinaires, et d’annoncer principes, là où les institutions font défaut. ouvertement leur appartenance. Il va de soi que les ONG ne sauraient, sans trahir leurs objectifs fondamentaux jouer le rôle d’un secteur privé au Si les ONG apparaissent le plus souvent comme des ordres rabais et par là masquer les incohérences d’une économie. mendiants elles ne sauraient laisser les bailleurs de fonds Imagine-t-on le gouvernement français résoudre la crise du dicter leur conduite pas plus que les moines errants, les ma- logement en confiant, moyennant quelques aumônes, aux langs, les Sâdhus ne se placent au service de ceux qui leur compagnons d’Emmaüs ou aux enfants de Don Quichotte font l’aumône. le soin d’aider les sans logis à se construire des habitations de fortune ? Cela équivaudrait à une démission du pouvoir politique de la tâche élémentaire de mettre en harmonie ses ONG et PRT politiques sociale et économique. Les ONG sanctionnent les imperfections mais ne sauraient Ces considérations permettent de mieux comprendre la contribuer à les perpétuer en les rendant plus supportables. différence radicale séparant les ONG des PRT [équipes de reconstruction provinciale, dépendant des structures militai- res]. On sait que les secondes répondent comme l’a fort bien montré l’article d’Alain Labrousse (Les Nouvelles d’Afgha- nistan n° 116 du mois de février 2007) à des préoccupations politico-militaires dans une guerre qui, même appelée pacifi- cation, n’en est pas moins une. Ce sont des institutions parmi d’autres, dont certaines ac- tions font obstacle au travail des ONG ou qui parfois ont des effets bénéfiques à plus ou moins long terme pour la popu- lation. En tout état de cause, ce ne sont pas des acteurs neu- tres et les ONG doivent redoubler d’efforts pour ne pas être confondues avec ces « équipes provinciales » surtout quand celles-ci tendent à prendre l’aspect extérieur d’ONG en fai- sant intervenir sur leur théâtre d’opérations des acteurs vêtus de costumes civils et se déplaçant dans des véhicules bana- lisés. Pourrait-on admettre que des unités militaires se dissi- Le conseil de développement communautaire (CDC) est composé de membres élus de la communauté, dans le cadre du fonctionnement du Programme de Solidarité Nationale. mulent en arborant des croix rouges ? Photo Madera Les Nouvelles Afrane Permanence: 16 passage de la Main d’Or -75011 Paris d’Afghanistan Tel. : (33) 01.43.55.63.50 L’association Amitié Franco-Afghane (Afrane) a été fondée au début La revue LES NOUVELLES D’AFGHANISTAN est une revue trimes- de 1980, en réponse à l’occupation militaire de l’Afghanistan par trielle éditée par AFRANE (Amitié Franco-Afghane). Les opinions les Soviétiques. Organisme d’aide humanitaire, Afrane ne souhaite émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Titres et sous- qu’aider les Afghans et ne se situe dans la mouvance d’aucun pati titres sont de la responsabilité de la rédaction. politique. Elle soutient à présent prinicpalement des projets éducatifs. Abonnement France et U.E. - 4 numéros ............................. 30 € Adhésion avec abonnement à la revue Abonnement de soutien France et U.E. -4 numéros ............ 40 € Les Nouvelles d’Afghanistan .................................................. 48 € Abonnement France et U.E. -8 numéros ............................. 57 € Adhésion de soutien à partir de ............................................... 60 € Autres pays -4 numéros ....................................................... 37 € Adhésion seule (sans abonnement) ......................................... 28 € Autres pays -8 numéros ........................................................ 70 € DON (déductible de l’impôt dans les limites prévues par la loi) (un reçu sera adressé sur demande) .......................................... € NOM .......................................... Prénom........................................... NOM .......................................... 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RECONSTRUCTION Tchagha-Saraï janvier 1967 – mars 2007 par Jean BRAUD* Jean Braud fait presque partie aujourd’hui des « barbes blanches » de la pro- vince du Kounar. Il y a travaillé entre 1967 et 1969, puis effectué des séjours sous presque tous les régimes. Il délivre ici ses impressions sur les évolutions qu’il a observées entre son premier séjour à Tchagha Saraï, chef-lieu du Kou- nar, et sa dernière visite cette année. Plutôt que d’impressions, il s’agit de no- tations presque brutes, faisant ressortir un développement économique certain au-delà des nombreuses vicissitudes politiques et donnant de la situation une image assez différente de celle projetée par les médias. Le début de mon premier séjour en Afghanistan date de janvier 1967. Il a duré trois ans et s’est déroulé à Salar-Bagh à cinq kilomètres de Tchagha-Saraï. La mission a consisté à monter et mettre en fonction une scierie-menuiserie et à en former le personnel. J’ai aussi formé une vingtaine de jeunes Nouristanis au travail traditionnel du bois : sculpture, coffres, chaises, décors de maison… Cette activité m’a amené à me déplacer fréquemment dans le Nouristan. Je ne suis revenu dans le Kounar qu’en 1988 quelques jours après l’entrée des modjahedin dans la ville. Paysage du Kounar. Photo J. Braud 1969 Dans le cadre du programme forestier de Madera que j’ai mis en place dans la vallée de Waïgal (au centre du Nouristan), j’ai séjourné à plusieurs reprises à Salar-Bagh juste en face de l’usine, tant sous le régime modjahed que taleb. J’ai eu une interruption de fréquentation de quatre ans entre 2002 et 2007. Fin des années 60 Les artisans ont acquis une grande expérience. Photo Jean Brand (régime de Zaher Chah) * Expert forestier, vice-président de Madéra, ONG française spécialisée La vallée de la Kounar est une belle région agricole grâce dans le développement rural en Afghanistan. à une eau abondante et un climat propice. Les paysans réali- 10 Les Nouvelles d’Afghanistan n°118
RECONSTRUCTION sent deux récoltes par an : blé d’hiver récolté en mai, riz ou maïs récolté en octobre. Dans les environs de Salar-Bagh je n’ai observé que trois vergers, quelques champs de luzerne et de rares petites parcelles de pavot. Les productions agricoles sont peu diversifiées. Tchara-Saraï est un gros bourg agricole dont le bazar est constitué d’une unique ruelle bordée d’une vingtaine de boutiques en terre. Les marchands sont principalement des épiciers généralistes, on trouve un boucher, deux boulan- gers, une tchaïkhana et une famille sikhe vendant du tissu et taillant des vêtements. Les bureaux du gouverneur, de style traditionnel, sont si- tués au fond d’un beau jardin surplombant la rivière. Une clinique abrite une petite équipe médicale provinciale. Un pont sur le Petch construit par la coopération bulgare fa- cilite l’accès à l’amont de la vallée. Une partie de nos simples manoeuvres portent des vête- ments de toile grossière et sont chaussés de sandales en pneu Etat de l’atelier de menuiserie pillé par les modjahedin. Photo J. Braud. 1988 ou en paille. Leurs conditions de vie sont rudimentaires. d’une grande partie de la population, moins de la moitié des terres sont cultivées. Certaines zones plus éloignées sont complè- Septembre 1988 tement à l’abandon. (régime communiste) Les modjahedin ont pillé l’usine de bois de Salar-Bagh, em- portant toutes les parties de machines facilement démontables. La garnison gouvernementale abandonne précipitamment Les ateliers ressemblent à un cimetière de machines mais la ville sous la pression des modjahedin. Quelques semaines les bâtiments sont en bon état. L’usine hydroélectrique a subi auparavant leur dépôt de munitions a sauté. Une grande partie le même sort. de la population, liée à l’armée afghane et au régime, quitte aussi la ville qui est en partie pillée. Je visite le site de la fosse commune du massacre de Kerala (quartier de Tchagha-Saraï où, à la suite d’une révolte, l’armée du régime communiste Septembre 1992 massacra tous les homme en 1979). L’époque de Daoud puis (régime modjahed) du communisme a peu transformé Tchagha-Saraï. Une pe- tite centrale hydroélectrique a été construite au confluent du Madera installe un centre forestier et une pépinière à Salar- Petch et de la Kounar. Le carrefour au centre du bourg a été Bagh juste en face de l’ancienne usine de bois. Nous propo- aménagé autour d’un rond-point avec en son centre un petit sons au Ministère français des Affaires étrangères la remise monument. Trois quatre immeubles en béton hébergent un en route de l’usine avec l’expertise préalable d’un ami fran- nouveau bazar. Des services administratifs, en particulier le çais ayant participé à sa mise en place. Finalement ce projet service agricole provincial où je suis logé quelques jours, bé- est abandonné. néficient de bâtiments modernes. A cette époque la vallée de la Kounar a retrouvé tout son A 10 km en aval de Tchagha-Saraï, à Nao-Abad, un nou- potentiel agricole d’avant la guerre. Le réseau d’irrigation a veau pont franchit la Kounar permettant un accès facile au été rapidement restauré, une partie importante des réfugiés Pakistan (Badjaur) par le col de Nawapass. L’activité agri- est rentrée. La reconstruction des maisons détruites est en cole autour de Tchagha-Saraï est faible : du fait du départ grande partie réalisée. Le bazar de Tchagha-Saraï est très animé, de nouvelles boutiques se construisent. Le pont de Nao-Abad sur la Kounar au sud de Tchagha-Saraï permet en hiver le transit routier de Peshawar à Chitral en évitant le col de Laworaï enneigé. Le chantier de la grande mosquée de Tchagha-Saraï finan- cé par les Wahhabites démarre. Les trafiquants pakistanais effectuent les premières coupes de bois dans la forêt nou- ristanie. Les bois équarris passent au Pakistan par Asmar et Nawapass. Période tâleb (1996-2001) Madera parvient tant bien que mal à maintenir son activité de développement agricole. Le contexte pachtoun de la pro- vince rend les Tâlebân moins arrogants. Reste du dépôt de munitions. Photo J. Braud. 1988 Le gouvernement interdit l’exportation des bois et bloque Les Nouvelles d’Afghanistan n°118 11
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