UN SEUL MONDE N 4 / DÉCEMBRE 2021 - RECHERCHE - ReliefWeb
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UN SEUL MONDE N° 4 / DÉCEMBRE 2021 Le magazine de la DDC sur le développement et la coopération www.un-seul-monde.ch RECHERCHE Progrès et défis en matière de lutte contre la pauvreté MYANMAR Une jeunesse courageuse DÉCOLONISATION DE L’AIDE Un processus trop lent
SOMMAIRE DOSSIER HORIZONS FORUM RECHERCHE MYANMAR 8 De nets progrès, mais encore 20 L’ère de la confiance est terminée 34 L’aide humanitaire en phase insuffisants Au Myanmar, les jeunes font preuve de d’introspection Si des améliorations ont été enregistrées beaucoup de courage. Le mouvement Black Lives Matter a en matière de lutte contre la pauvreté, les relancé le débat sur le racisme structurel défis restent immenses. 24 dans la coopération au développement. Sur le terrain avec … 12 Mark Häussermann, coresponsable de 37 Alliances scientifiques pour un l’aide humanitaire à Yangon. Un espace de sécurité et de liberté développement pertinent Carte blanche : la Cambodgienne Bopha Le programme suisse r4d a déjà financé plus de 50 projets. 25 Phorn relate la répression continue contre les médias dans son pays. En pleine crise, une grande solidarité Une gynécologue décrit les conditions 14 difficiles dans lesquelles elle travaille. Pratiquer la recherche sur un pied d’égalité CULTURE Confiance mutuelle et collaboration à long terme sont capitales pour favoriser des DDC partenariats fructueux. 16 « Moins de concepts, plus de 38 pragmatisme et d’enthousiasme ! » Entretien avec Marcel Tanner, ancien 26 directeur de l’Institut tropical et de santé publique suisse. Le cinéma tunisien, entre 18 Quand les règles mettent les l’Égypte et la France Depuis le Printemps arabe, la production Un engagement aux mille facettes de films en Tunisie connaît un nouvel filles au ban de l’école La DDC encourage depuis longtemps déjà essor. Dans les zones rurales d’Éthiopie, les la recherche. menstruations restent taboues. 19 29 Faits et chiffres Violence à huis clos Les cas de harcèlement contre les UN SEUL MONDE en ligne : femmes ont augmenté en Jordanie. www.un-seul-monde.ch www.eine-welt.ch www.un-solo-mondo.ch www.one-world-magazine.ch 32 Des infirmières bien formées pour améliorer la santé des patients La Bosnie et Herzégovine renforce le 3 Éditorial Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de secteur des soins. 4 Périscope coopération internationale du Département fédéral 31 Prise de position du Conseiller des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est fédéral Ignazio Cassis cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est 41 Service pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement 43 Coup de cœur avec Nadja Räss le point de vue de la DDC et des autorités fédérales. 43 Impressum 2 UN SEUL MONDE 04/2021
ÉDITORIAL LA RECHERCHE FAVORISE UN CHANGEMENT POSITIF ET DURABLE Dès le premier jour de la crise, nous avons adapté nos programmes pour continuer à soutenir la population et trouver des stratégies visant à résoudre les conflits. Dans ce numéro, un article donne la parole aux jeunes qui ont vécu les événements tragiques du 1er février, tandis que deux témoignages montrent comment les citoyens et les acteurs institutionnels comme la DDC ont réagi à la nouvelle situation. © DDC Au Myanmar, la DDC soutient deux projets qui Ces dernières années, nous avons assisté à une recourent à des données scientifiques pour résoudre dégradation progressive, mais marquée des valeurs des problèmes concrets. En 2020, l’Union internatio- démocratiques. Nous avons aussi été confrontés à nale pour la conservation de la nature a lancé, à tra- des défis de plus en plus urgents en matière de chan- vers le programme BRIDGE, une initiative qui a pour gement climatique et de durabilité. La pandémie de but de former les différentes communautés vivant Covid-19 a mis en évidence la fragilité de notre espèce le long de la section birmane du fleuve Salouen à la et a eu un impact dévastateur sur la sécurité alimen- gestion durable du bassin et à la résolution des mul- taire de millions de personnes, plongeant nombre tiples conflits. Depuis plusieurs années, l’Université d’entre elles dans la pauvreté. de Berne mène un projet qui, grâce à l’utilisation de données GPS, favorise la prise de décisions éclairées La Suisse s’est adaptée à cette évolution, en finan- ainsi qu’une utilisation plus durable et moins conflic- çant des programmes qui répondent à des problèmes tuelle des terres et des ressources naturelles. L’inter- globaux tels que le changement climatique, l’accès à ruption de la collaboration avec les autorités militaires l’eau, la sécurité alimentaire, la santé et la migration, oblige les responsables des deux projets à repenser ou en renforçant ce que l’on appelle le nexus entre leur mise en œuvre, sans toutefois remettre en cause l’aide humanitaire, la coopération au développement leurs objectifs à long terme. et la promotion de la paix. La recherche, thème du dos- sier de ce numéro, favorise incontestablement des Comme vous le découvrirez dans le dossier de ce changements positifs et durables. numéro, la DDC soutient, en collaboration avec le Fonds national suisse de la recherche scientifique, Le Myanmar, un pays confronté à de multiples défis, des universités, les écoles polytechniques fédérales a accompli ces dernières années des progrès consi- et des institutions multilatérales, différents projets dérables en termes de réduction de la pauvreté et qui contribuent à trouver des solutions innovantes de transition vers la démocratie. Cependant, après pour améliorer durablement la qualité de vie des la prise du pouvoir par l’armée et la crise provoquée populations du Sud. En plus de répondre aux besoins par le nouveau coronavirus, le pays s’est retrouvé au concrets des gens, les projets renforcent leurs capa- bord de l’effondrement économique et de la guerre cités et impliquent activement les scientifiques des civile. En tant que responsable de la coopération inter- pays partenaires. Cet effort n’est pas dénué de diffi- nationale au Myanmar, je suis directement confronté à cultés, mais il est certainement payant à long terme. la souffrance de la population qui s’est en grande par- C’est la clé du succès de cette approche. tie opposée à l’intervention de l’armée. La souffrance n’est pas seulement matérielle, mais aussi spirituelle, Giacomo Solari car les militaires ont volé aux gens leurs rêves d’un Chef adjoint de la Mission suisse, responsable de la avenir meilleur. coopération internationale au Myanmar UN SEUL MONDE 4/2021 3
PÉRISCOPE gravir. Le coût du traitement annuel s’élève désormais à moins de 120 dollars par enfant, contre 480 auparavant. www.unitaid.org DES MILLIONS DE FEMMES INDIENNES PLONGÉES DANS LA PAUVRETÉ © EPFZ/Iwan Hächler (sch) Une équipe de l’Université Azim Premji de Karnataka, en Inde, a étudié comment la première vague de Covid-19 avait affecté les plus pauvres en Inde. Elle constate que le confinement d’avril à mai 2020 a fait disparaître environ QUAND L’EAU POTABLE VIENT DU CIEL 100 millions d’emplois, qui étaient majoritairement occu- pés par des femmes et de jeunes adultes. De nombreuses (bf) Dans de nombreuses régions du monde, l’eau douce familles ont dû réduire leur consommation de nourriture, est rare et doit être extraite à grands frais. Raison pour vendre des objets de valeur ou emprunter de l’argent. Lors laquelle des chercheurs de l’EPFZ ont mis au point un de la finalisation du rapport, la deuxième vague venait tout condensateur destiné aux pays manquant d’eau et plus juste de commencer, qualifiée par les scientifiques comme particulièrement aux pays en développement et émer- la pire crise humanitaire de l’histoire récente du pays. Ces gents. C’est le premier dispositif à extraire l’eau de l’at- derniers recommandent plusieurs interventions : étendre la mosphère sans consommation d’énergie tout au long de la distribution gratuite de nourriture, effectuer des transferts journée, même sous un soleil de plomb. Il fonctionne grâce en espèces au plus grand nombre de ménages possible, lan- à une surface autorefroidissante et à un écran spécial cer des programmes d’occupation pour les femmes et aug- contre les radiations. Une plaque de verre à revêtement menter les pensions. Selon les recherches de CNN, la fortune spécial réfléchit le rayonnement solaire tout en libérant sa des plus riches entrepreneurs d’Inde a gonflé de plusieurs propre chaleur, se refroidissant donc automatiquement milliards en 2020. Il apparaît une fois de plus que la pandé- jusqu’à 15°C en dessous de la température ambiante. Ce mie exacerbe les inégalités de revenu à travers le monde. nouveau procédé permet d’extraire au moins deux fois www.azimpremjiuniversity.edu.in (recherche : Covid 19, plus d’eau par surface et par jour qu’avec les meilleures poverty) technologies utilisées jusqu’ici. Dans des conditions idéales, il produit jusqu’à 0,53 décilitre d’eau par mètre carré de surface vitrée et par heure. « Ce volume est proche de la valeur maximale théorique de 0,6 décilitre « UNE LENTEUR INACCEPTABLE » par heure, impossible à dépasser pour des raisons phy- (zs) Fruits, légumes et protéines restent inaccessibles pour siques », explique Iwan Hächler, chercheur à l’EPFZ. une grande partie des Africains. Près des trois quarts www.ethz.ch (recherche : Trinkwasser) d’entre eux, soit un milliard de personnes, ne peuvent pas s’offrir un régime sain, selon un rapport publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et la Commission de l’Union africaine. Les UN PREMIER GÉNÉRIQUE CONTRE LE SIDA DESTINÉ AUX ENFANTS prix alimentaires sur le continent comptent parmi les plus (zs) Bonne nouvelle sur le front du VIH/sida. Un comprimé prohibitifs au regard d’autres régions affichant un niveau à l’arôme de fraise a été administré à des enfants infectés par ce virus dans six pays africains (Bénin, Kenya, Malawi, Nigeria, Ouganda, Zimbabwe). Il s’agit de la première version pédiatrique générique d’un antirétroviral clé, qui convient même aux bébés. Selon l’organisation UNITAID, qui amé- liore l’accès aux médicaments contre le VIH/sida, 1,7 million d’enfants dans le monde vivent avec cette maladie. Or, seule la moitié bénéficie d’un traitement, souvent mal dosé ou difficile à avaler en raison de son goût amer. Quelque 100 000 enfants meurent du sida chaque année. UNITAID © Sven Torfinn/laif et la Clinton Health Access Initiative ont conclu un accord sur les prix avec deux fabricants de génériques pour cette première formulation pédiatrique dispersible du doluté- 4 UN SEUL MONDE 4/2021
PÉRISCOPE COUP DE CRAYON de Amorim (Brésil) de développement similaire. « Cela se reflète dans la charge (hormis celle de la Chine) serait déjà largement couverte de morbidité élevée associée à la malnutrition maternelle par les énergies renouvelables. En 2019, près de 90 % de la et infantile, à la masse corporelle élevée, aux carences en production supplémentaire d’électricité était éolienne et micronutriments et aux facteurs de risque alimentaires », solaire. Les pays dépourvus d’infrastructures énergétiques déclarent les trois institutions. Pour rendre les aliments parviennent de mieux en mieux à investir directement nutritifs plus abordables, une transformation des systèmes dans le solaire ou l’éolien, sans passer par les ressources agroalimentaires s’avère nécessaire : « Une vision commune, nuisibles au climat que sont le charbon, le pétrole et le une direction politique forte et une collaboration intersec- gaz. La tendance est prometteuse, car, d’ici à 2040, 88 % de torielle efficace, y compris avec le secteur privé, sont essen- la demande énergétique supplémentaire proviendra des tielles (…). » Pour l’heure, les efforts visant à éradiquer la pays émergents, en particulier de la Chine et de l’Inde. malnutrition en Afrique sont d’une « lenteur inacceptable ». www.ceew.in www.fao.org/home/fr (recherche : Afrique, sécurité alimentaire 2020) CAP SUR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES (sch) Selon un rapport de l’agence indienne CEEW et du groupe de réflexion Carbon Tracker, la production mon- © Kuni Takahashi/NYT/Redux/laif diale d’énergie fossile a atteint son pic. Les pays émer- gents et en développement jouent un rôle important dans ce tournant. Ils s’appuient de plus en plus sur l’énergie solaire et éolienne, dont les prix ont chuté ces dernières années. La croissance de leur consommation d’énergie UN SEUL MONDE 4/2021 5
DOSSIER RECHERCHE Neema Mbilinyi, technicienne de recherche à l’Institut international d’agriculture tropicale de Dar es Salaam, en Tanzanie, dilue des échantillons d’ADN de manioc pour détecter la présence de maladies. © Nichole Sobecki/VII/Redux/laif
DOSSIER RECHERCHE DOSSIER RECHERCHE DE NETS PROGRÈS, MAIS ENCORE INSUFFISANTS PAGE 8 ALLIANCES SCIENTIFIQUES POUR UN DÉVELOPPEMENT PERTINENT PAGE 12 PRATIQUER LA RECHERCHE SUR UN PIED D’ÉGALITÉ PAGE 14 « MOINS DE CONCEPTS, PLUS DE PRAGMATISME ET D’ENTHOUSIASME ! » PAGE 16 UN ENGAGEMENT AUX MILLE FACETTES PAGE 18 FAITS ET CHIFFRES PAGE 19
DOSSIER RECHERCHE DE NETS PROGRÈS, MAIS ENCORE INSUFFISANTS La recherche peut jouer un rôle clé dans la réduction de la pauvreté et des dégâts environnementaux. La sécurité alimentaire en bénéficie. Elle connaît de grandes avancées, même si les défis restent immenses. Texte : Christian Zeier Jamais Lucy Gituamba n’aurait ima- ou qui allaitent, ainsi que les enfants de marché. Destinées pour une large part giné qu’un petit haricot changerait moins de cinq ans. à l’autoconsommation, les récoltes sont tant sa vie. Depuis des années, avec les toutefois commercialisées à hauteur de femmes de la coopérative Ushirikiano Les femmes de la coopérative parti- 40 % environ en Afrique subsaharienne. de Nakuru, au sud-ouest du Kenya, cipent à des ateliers. Elles apprennent à cette enseignante à la retraite plante semer et à cultiver ce nouveau haricot. Depuis sa création, PABRA a développé des légumineuses pour les cuisiner ou Deux bonnes années plus tard, le bilan et mis sur le marché plus de 500 nou- les vendre. À l’automne 2019, lorsqu’on de Lucy Gituamba est clair : « Jamais velles sortes de haricots. Dans de nom- leur propose une variété plus riche en nous ne reviendrions en arrière. » Avec breux pays, la productivité et la sécu- fer et en zinc, ces femmes tentent l’ex- la variété Nyota, la productivité des sur- rité alimentaire ont pu être renforcées périence. Le manque de fer est l’une des faces cultivées a pratiquement doublé. grâce à des méthodes écologiques et la principales causes d’anémie, qui touche Le haricot est en outre plus nourrissant production a fortement augmenté. Pour particulièrement les femmes enceintes et plus rapide à cuire. À la suite de ces cela, un savoir-faire, un réseau étendu résultats encourageants, il a été adopté et, surtout, de la recherche s’avèrent par de nombreux habitants de la ré- nécessaires. Développer une nouvelle gion, poursuit Lucy Gituamba : « Pour variété suppose en premier lieu de beaucoup, cette innovation signifie une sonder les besoins des clients, explique meilleure qualité de vie. » Jean Claude Rubyogo. Ensuite, il s’agit de comprendre ceux des agriculteurs et LE CGIAR ET LA SUISSE des agricultrices. Entrent encore en jeu Partenariat mondial de recherche Une recherche fructueuse les connaissances sur la culture des lé- agricole, le CGIAR a pour but gumineuses, l’alimentation, l’économie d’éradiquer la faim, la pauvreté et Ce constat ne surprend guère Jean privée, les systèmes de semences, entre les atteintes à l’environnement dans le monde. La Suisse, d’une Claude Rubyogo, directeur de l’Alliance autres. part, contribue au financement panafricaine de recherche sur le haricot général de sa structure (33,1 mil- (PABRA). Si les femmes de la coopérative « Pour apporter des améliorations tout lions de francs pour la période Ushirikiano ont découvert la variété au long de la chaîne de création de va- 2020-21) et, d’autre part, sou- Nyota, c’est aussi grâce à PABRA. Depuis leur, nous générons des savoirs dans tient, via des projets spécifiques, vingt-cinq ans, ce réseau international chaque domaine, souligne Jean Claude la recherche agronomique natio- nale et le conseil dans des pays réunissant des chercheurs, des instituts Rubyogo. Notre premier objectif, ce ne prioritaires. Elle encourage les nationaux de recherche agronomique sont pas les publications scientifiques, synergies entre les instituts de ainsi que des organisations partenaires mais des produits concrets, qui sont recherche suisses et les centres développe pour l’Afrique des variétés de utiles aux gens. » Une recherche au du CGIAR. La DDC est membre haricots plus nutritives et résistantes. service du développement : PABRA fait active du groupe de donateurs européens pour le CGIAR, auquel Dans certaines régions d’Afrique de l’Est en cela partie d’un mouvement qui, au revient un important rôle de en particulier, la fève se trouve au cœur cours des dernières décennies, a permis leader stratégique. de l’alimentation et de l’économie de de grandes avancées dans le domaine de 8 UN SEUL MONDE 4/2021
DOSSIER RECHERCHE Deux agricultrices de la coopérative Ushirikiano au Kenya : grâce à de la sécurité alimentaire. Les défis à rele- Cinquante ans après sa création, le nouvelles variétés de haricots, plus nutritives et plus résistantes, leurs ver demeurent néanmoins de taille. CGIAR et ses instituts partenaires moyens de subsistance se sont peuvent se féliciter de grands succès. Il nettement améliorés. Dans les années 1960, de nombreux pays s’agit, d’une part, d’innovations dans © CGIAR en développement ont connu des in- les domaines les plus divers : le suivi novations : techniques agronomiques, de rizières par satellite, qui fournit des engrais, produits phytosanitaires et données à l’assurance pour les pertes variétés à haut potentiel de rendement. de récoltes, des spécialisations inédites Cette « révolution verte » a contribué en agriculture, basées sur des méthodes duits alimentaires, moins chers. Les à accroître considérablement la pro- numériques, ou encore la vaccination taux de malnutrition et de pauvreté duction de denrées dans le monde et à de bétail pour sauver des cheptels. En sont moindres et l’empreinte écologique garantir la sécurité alimentaire dans outre, de nombreuses denrées alimen- de l’agriculture réduite. de nombreux pays. Des initiatives et taires sont désormais plus nutritives, réseaux planétaires tels que le CGIAR, plus résistantes et présentent un meil- Si ces progrès ont été possibles, c’est un partenariat mondial de recherche leur rendement grâce à la recherche aussi grâce à la coopération au déve- agricole, ont joué un rôle déterminant agronomique. loppement de la Suisse : cette dernière à cet égard. Depuis 1971, le CGIAR œuvre compte parmi les principaux dona- pour un monde sans faim ni pau- teurs du CGIAR. Dans le domaine de vreté ni atteintes à l’environnement. Au plus près du terrain la recherche et du développement, la Il compte quinze centres de recherche contribution à ce partenariat constitue agronomique renommés ainsi que des Selon une étude de la fondation SOAR l’engagement le plus important de la antennes locales dans plus de 100 pays. publiée en 2020, les quelque 60 milliards DDC pour un projet donné et fait par- Le Centre international d’agriculture de dollars investis depuis 1981 dans la tie d’un portefeuille très diversifié (voir tropicale (CIAT), fondateur de l’alliance recherche au sein du CGIAR seraient article page 18). Si l’agriculture et la sé- PABRA citée plus haut, fait aussi partie source de bénéfices dix fois plus impor- curité alimentaire représentent près de de ce réseau. tants. La population des pays pauvres 50 % des fonds alloués chaque année à dispose ainsi d’une offre élargie de pro- la recherche par la DDC, bien d’autres UN SEUL MONDE 4/2021 9
DOSSIER RECHERCHE domaines comportent des aspects qui y sont liés : la santé, l’éducation ou encore les questions environnementales et les droits humains. Pour la DDC, recherche et innovation ne sont toutefois pas une fin en soi, mais des outils pour promouvoir un déve- loppement mondial et durable, sans pauvreté. Les résultats recueillis par les chercheurs sont intégrés aux décisions de la Suisse en matière de politique de développement, à celles de ses parte- naires ainsi qu’aux programmes, pour une meilleure efficacité, efficience et durabilité de la coopération au dévelop- pement. « Ces dernières années, ces efforts en faveur de la recherche ont permis de nombreuses avancées », commente Na- Les haricots (ci-dessus), comme le thalie Wyser, conseillère en matière de riz (ci-dessous), sont des aliments recherche à la DDC. Or, l’heure n’est pas nombreuses régions où la famine n’a de base dans de nombreuses régions du monde, d’où l’importance à l’autosatisfaction : il s’agit de rappro- pas été éradiquée, le modèle de la ré- de la recherche dans ces domaines. cher toujours plus recherche et besoins volution verte ne prend pas. Si, dans Ci-dessous, une expérience concrets de la population. Avec l’Agenda d’autres, la sécurité alimentaire a été menée à l’Institut international de 2030 de l’ONU notamment, la commu- atteinte, un lourd tribut a été payé. recherche sur le riz, aux Philippines. © CGIAR nauté scientifique internationale est © Robb Kendrick/Cavan Images/laif appelée à contribuer à la réalisation des La Chine, l’Indonésie, le Sri Lanka ou le Objectifs de développement durable. Vietnam ont augmenté massivement Ainsi, le programme « Transform » leur production de riz, mais au prix (2020-2030) mettra davantage l’accent d’atteintes à l’environnement et d’une sur des projets de recherche adaptés aux érosion de la biodiversité considérables. besoins qui, pour leur mise en œuvre, « Ce genre de pays est de plus en plus impliquent le plus étroitement possible confronté à cette question : comment des partenaires du monde politique et contrer les effets négatifs sans renoncer de la pratique, originaires des pays en pour autant à la productivité ? », relève développement. Michel Evéquoz. C’est précisément pour y répondre que Révolution verte : voie sans issue le projet Corigap, soutenu par la DDC, a vu le jour. Cette initiative de l’Institut Dans le domaine de la sécurité alimen- international de recherche sur le riz taire aussi, l’un des principaux défis est (IRRI) permet de compenser des rende- de confronter la recherche à la pratique. ments insuffisants, tout en réduisant « L’immense succès de la révolution l’empreinte écologique de la production verte a consisté à transférer purement de riz. Au Vietnam, par exemple, les et simplement les résultats de la re- agriculteurs ayant adopté les mesures cherche aux agricultrices et agricul- proposées par le projet ont diminué teurs, indique Michel Evéquoz, du Pro- de 50 % l’emploi de pesticides et, dans gramme global Sécurité alimentaire à le même temps, nettement augmenté la DDC. Seule la productivité comptait leurs récoltes et leurs revenus. alors, et les effets néfastes, colossaux, ont longtemps été ignorés. » Force est « L’urgence climatique nous oblige ce- de constater aujourd’hui que, dans de pendant à aller au-delà de l’optimisa- 10 UN SEUL MONDE 4/2021
DOSSIER RECHERCHE tion de l’efficience en matière de res- responsable scientifique du Centre pour portent sur des systèmes de production sources », concède Michel Evéquoz. Il est la recherche forestière internationale durables restent insignifiants. Fergus fondamental que la recherche, la pro- (Cifor) et cofondateur de la TPP. D’abord, Sinclair fait néanmoins preuve d’un duction et les consommateurs changent certaines populations souffrent tou- optimisme prudent : « Nous évoluons leur regard sur les systèmes alimen- jours de la faim alors que d’autres assez rapidement dans le bon sens, es- taires dans leur ensemble. L’expert en luttent contre l’obésité. Ensuite, la pro- time le chercheur. Et, ici, la Suisse ouvre est convaincu : « Les réponses sont à duction de denrées alimentaires est la voie. » ■ chercher du côté de l’agroécologie. » responsable d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre et www.pabra-africa.org considérée comme la principale cause www.cgiar.org L’avenir sera agroécologique d’érosion de la biodiversité. Enfin, l’agri- www.bioversityinternational.org/ culture industrielle détruit de manière alliance Ceci explique l’engagement de la Suisse systématique les ressources en eau et en https ://corigap.irri.org dans le cadre de la Plateforme de par- sols, bien qu’elle en dépende. www.globallandscapesforum.org tenariat pour la transformation agro (recherche : TPP) écologique (TPP), créée en 2020. Ce par- Selon Fergus Sinclair, il est prouvé que tenariat, porté par la DDC, mais aussi la les approches agroécologiques peuvent France, l’Union européenne ou encore le être au moins aussi productives que CGIAR, promeut le passage à une agri l’agriculture conventionnelle, sans pour culture agroécologique. Pour simplifier : autant porter durablement atteinte à plutôt que de miser sur une production l’environnement. Mais la volonté poli- industrielle et l’unique recherche d’une tique de mettre rapidement en œuvre efficience maximale, il s’agit d’encoura- les solutions nécessaires fait encore ger l’agriculture en harmonie avec des défaut, de même qu’une recherche ca- ressources naturelles à préserver sur le pable de démontrer quelles solutions long terme. agroécologiques fonctionnent dans quel contexte. Contrairement à ceux « Le système alimentaire actuel ne qui concernent l’agriculture conven- fonctionne pas », insiste Fergus Sinclair, tionnelle, les budgets de recherche qui QU’EST-CE QUE L’AGROÉCOLOGIE ? Concept dynamique, l’agroéco- logie désigne tant une approche scientifique en matière de recherche, qui considère les éco- systèmes alimentaires et agri- coles dans leur globalité, qu’un mouvement sociopolitique. De plus en plus, elle est encouragée pour contribuer à une réorganisa- tion des systèmes alimentaires par l’application de principes écologiques à l’agriculture et par la garantie d’un recours pérenne aux ressources naturelles et aux services écosystémiques. Elle répond à la nécessité de mettre en place des systèmes alimentaires socialement justes, dans lesquels la population peut décider de ce qu’elle mange, de la provenance des aliments et de la façon de les produire. L’agroéco- logie est aujourd’hui un domaine transdisciplinaire qui englobe, de la production à la consom- mation, toutes les dimensions écologiques, socioculturelles, technologiques, économiques et politiques des systèmes alimentaires. UN SEUL MONDE 4/2021 11
DOSSIER RECHERCHE ALLIANCES SCIENTIFIQUES POUR UN DÉVELOPPEMENT PERTINENT Avec le programme r4d, la Suisse a financé plus de cinquante projets de recherche transnationaux en dix ans. À des problèmes planétaires, des réponses les plus diverses : insectes destinés à nourrir des élevages ou algorithme pour l’emploi d’antibiotiques. (cz) Le problème n’est pas récent et, livré des résultats positifs. Ce projet en Bénin, du Burkina Faso et du Togo ont pourtant, ses conséquences sont graves : est la preuve : la recherche peut directe- démontré que les larves de mouches et trop souvent, des antibiotiques sont ment sauver des vies. de termites constituaient une source prescrits aux enfants malades dans les de protéines économiquement, socia- pays en développement. Il en résulte des Ces progrès ont été rendus possible no- lement et écologiquement acceptable résistances et les traitements ultérieurs tamment grâce au soutien de la DDC. pour les élevages de volailles et de pois- perdent en efficacité. Le recours exces- L’e-POCT compte parmi les 57 projets sons de petites exploitations agricoles sif aux antibiotiques est aujourd’hui de recherche en partenariats transna- d’Afrique de l’Ouest. Aux Philippines, reconnu comme l’un des problèmes de tionaux menés dans le cadre du pro- pour le projet « Cocoboards », la Haute santé majeurs de la planète. Selon les gramme suisse r4d pour étudier des école spécialisée bernoise a développé, estimations, les affections dues à des questions de portée mondiale en lien avec le soutien de la DDC, la production germes résistants causent, chaque an- avec le développement. Lancé en 2012, le de panneaux de fibre de coco à l’aide née, le décès de 700 000 personnes, avec programme est financé par la DDC et le de résidus de récoltes. Disponibles et une tendance à la hausse. Fonds national suisse. peu coûteuses, les matières premières peuvent être utilisées pour des ouvrages Pour contrer cette évolution, des cher- Selon Claudia Zingerli, responsable du légers et offrir ainsi une réponse à la cheurs suisses associés à des instituts programme pour le Fonds national crise du logement. de recherche helvétiques et étrangers suisse, le bilan, au bout de presque dix ont développé l’algorithme e-POCT. ans, est positif. « L’ampleur du soutien Utilisé comme application sur une ta- offert était exceptionnelle, confie-t-elle. Transmettre le savoir : un objectif blette, il guide le personnel soignant Et la diversité des projets encouragés tout au long de l’examen clinique de tout aussi impressionnante. » Au total, Désormais, le recours à l’algorithme l’enfant, aide à l’établissement du dia- plus de 290 personnes ont bénéficié de e-POCT+ ne se limite plus à la Tanzanie. gnostic et détermine si l’administration contributions et mené des recherches L’application est aussi testée dans diffé- d’antibiotiques est nécessaire. dans plus de 50 pays, parfois au sein de rents projets au Rwanda, au Kenya, en grandes équipes. Quand il ne s’agissait Inde et au Sénégal. Il s’agit d’améliorer pas de mises au concours sans restric- l’algorithme et, au final, de convaincre De nombreuses vies sauvées tions thématiques, l’accent portait sur les gouvernements de l’utiliser autant les conflits sociaux, l’emploi, la sécurité que possible sur l’ensemble de leur ter- Le bilan est saisissant. Dans le cadre alimentaire, les écosystèmes et la santé ritoire, explique Valérie D’Acremont, d’une étude clinique menée par l’Insti- publique. professeure associée à la Faculté de mé- tut tropical et de santé publique suisse decine du Centre hospitalier universi- (Swiss TPH), l’Ifakara Health Institute « Les projets soutenus se distinguent taire vaudois (CHUV), cheffe de groupe (IHI) de Tanzanie et le ministère de la par leur qualité scientifique et leur de recherche au TPH et responsable de Santé tanzanien, l’innovation a été pertinence pour le développement », projets. testée auprès de quelque 3000 enfants ajoute Claudia Zingerli. Outre les projets de moins de cinq ans. Résultat : au lieu associés à des pays précis, la recherche Depuis de longues années, la cher- des quelque 90 % habituels, seuls 11 % transnationale, dans son effort de déve- cheuse a recours à l’e-POCT et collabore des enfants ont été soignés par antibio- lopper des solutions pour les contextes avec des pays tels que la Tanzanie ou tiques. Là où l’e-POCT a été utilisé, l’évo- les plus divers, fait l’objet d’une atten- le Rwanda. « Nous n’avons jamais fini lution clinique était même globalement tion particulière. d’apprendre », souligne-t-elle. La mise meilleure. Une étude pilote réalisée ré- en œuvre sur place s’accompagne tou- cemment avec, pour la première fois, Deux exemples l’illustrent bien : dans le jours de nouveaux défis. La coopéra- des enfants jusqu’à 14 ans et une version cas du projet « Insects as Feed in West tion avec les autorités et les instituts plus élaborée de l’algorithme, e-POCT+, a Africa », des chercheurs du Ghana, du de recherche locaux joue ici un rôle clé, 12 UN SEUL MONDE 4/2021
DOSSIER RECHERCHE tout comme les retours réguliers que son équipe épaulent les spécialistes lo- l’équipe de chercheurs reçoit de la part caux dans le cadre de leur formation et AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT des groupes d’intérêts impliqués. Par s’appliquent à renforcer la coopération Dans le cadre du programme ailleurs, des échanges étroits ont été Sud-Sud entre la Tanzanie et le Rwanda. r4d, la DDC et le Fonds national suisse financent la recherche établis entre les pays : des informati- « Si nous voulons nous retirer, il est inter- et transdisciplinaire menée ciens tanzaniens ont ainsi bénéficié de important que ces pays s’entraident, en Suisse comme en Afrique, formations continues en Suisse, alors commente la chercheuse. Nous avons en Asie et en Amérique latine. que des collaborateurs suisses ont ef- développé l’outil ensemble, maintenant Les deux institutions allouent fectué un séjour prolongé en Tanzanie c’est à d’autres de l’utiliser. » Si ce projet ensemble près de 98 millions de francs à ce programme sur dix pour faire avancer le projet. devait susciter suffisamment d’intérêt ans. Avec deux objectifs : d’une et de soutien, l’idée pourrait bientôt part, réduire la pauvreté et les À long terme, cette technologie devra révolutionner les systèmes de santé de risques globaux grâce à des se passer de tout personnel helvétique : nombreux pays africains. ■ connaissances scientifiques ; un transfert de savoirs qui correspond d’autre part, offrir aux décideurs bien aux valeurs du programme r4d. www.insectsasfeed.org ainsi qu’aux groupes d’intérêts des approches pratiques et holis- C’est pourquoi Valérie D’Acremont et www.bfh.ch (recherche : Cocoboards) tiques pour répondre aux défis planétaires. www.r4d.ch Échange d’informations entre chercheurs tanzaniens et suisses. © swisstph UN SEUL MONDE 4/2021 13
DOSSIER RECHERCHE PRATIQUER LA RECHERCHE SUR UN PIED D’ÉGALITÉ En matière de recherche, la Suisse s’attache, depuis plus de vingt-cinq ans, à favoriser des partenariats Nord-Sud fructueux et équitables. Confiance mutuelle et collaboration à long terme sont capitales, comme le montre un projet au Cameroun. Texte : Samuel Schlaefli Fredy Nandjou grandit au Cameroun. haite rapporter dans son pays, grâce à la développement (KFPE), basée à Berne. Bien vite, il comprend qu’il lui faudra start-up Soft Power. Étudier des projets tels que celui de traverser des frontières pour mener à Fredy Nandjou et œuvrer, à l’échelle bien sa carrière. Ses études d’ingénieur Comme dans nombre de pays africains, de toute la Suisse, en faveur d’une re- le conduiront à Rome et à Paris, puis à la plupart des foyers au Cameroun uti- cherche transfrontalière fait partie de Grenoble pour un doctorat en énergé- lisent du bois, du charbon ou du die- son travail. La KFPE offre à ses membres tique. Le Laboratoire de la science et sel pour cuisiner, chauffer ou éclairer une plateforme d’information et les de l’ingénierie de l’énergie renouve- leurs logements. Faute d’autres options, sensibilise à l’importance des parte- lable à l’EPFL (LRESE) lui apparaît alors quelque trois milliards de personnes nariats de recherche Nord-Sud. Elle est comme la chance d’approfondir ses dépendent de ces combustibles, avec des cofinancée par la DDC depuis vingt-cinq connaissances dans ce domaine. Sophia conséquences écologiques et sanitaires ans. Haussener, professeure associée et res- désastreuses. Une étude menée en 2019 ponsable du laboratoire, l’invite dans a établi que les émissions de gaz nocives Comme le souligne Fabian Käser, dans son équipe pour un cursus postdoctoral dues à l’emploi de combustibles fossiles maintes hautes écoles occidentales, la de quatre ans. Ensemble, ils développent dans des endroits clos seraient respon- conception prédominante au cours des une technologie que Fredy Nandjou sou- sables de 3,8 millions de décès chaque années 1990 était celle d’experts quit- année, dont 40 % d’enfants. tant le Nord pour aller résoudre les pro- blèmes du Sud. « Longtemps, les savoirs locaux, spécifiques au contexte, et le po- Reconnaître les savoirs locaux tentiel qu’ils représentaient dans l’éla- TECHNOLOGIES POUR LE boration de solutions ont été ignorés. » DÉVELOPPEMENT ENCOURAGÉES Dans ses recherches, Fredy Nandjou Depuis sa création en 1994, la KFPE s’est Le programme Tech4Dev a été imagine une solution. Par électrolyse, donc donné pour mission de sensibiliser lancé en 2019 à l’EPFL pour l’eau peut être décomposée et l’hydro- les chercheurs, les hautes écoles et les encourager la collaboration entre gène recueilli. Cet hydrogène, aisément institutions chargées d’encourager la des chercheurs de l’EPFL et des ONG ayant des projets dans le utilisable en cuisine, peut être sim- recherche à une coopération équitable, Sud ou encore des universités plement stocké dans des bombonnes. respectueuse et transfrontalière. À cet sur place. En 2020 comme Seul « déchet » résiduel : l’eau. Pour effet, elle a défini onze principes dans en 2021, le jury a sélectionné l’électrolyse, gourmande en énergie, un guide. quatre projets prometteurs, leur l’équipe fait appel à des cellules photo- allouant 300 000 francs sur deux ans, dont 40 % au moins doivent voltaïques. En collaboration avec l’EPFL, Le premier principe prévoit que l’agenda être dépensés dans le pays la start-up du Camerounais développe soit défini d’un commun accord et que partenaire du Sud. Pour favoriser actuellement une station pilote pour toutes les phases d’identification et l’émergence d’entreprises dix familles, à Douala. La recherche et le d’évaluation des questions pertinentes sociales autonomes, les parti- développement nécessaires sont finan- au sein d’un projet de recherche soient cipants bénéficient aussi d’une cés grâce au programme Tech4Dev de menées conjointement. D’autres cri- formation en entrepreneuriat. Le programme est financé par l’EPFL l’EPFL (voir encadré). Si tout se déroule tères concernent l’interaction avec les et la DDC chacune à hauteur d’un au mieux et que les investisseurs poten- parties prenantes, la clarification des million de francs par année, sur tiels suivent, mille foyers devraient bé- responsabilités, l’encouragement de trois ans (2019-2022). néficier du projet à partir de la mi-2022. l’apprentissage mutuel et le partage des données. https ://kfpe.scnat.ch/fr www.epfl.ch (recherche : Ethnologue, Fabian Käser est respon- tech4dev) sable de la Commission pour le par- Dans le cas de la coopération entre www.softpower2020.com tenariat scientifique avec les pays en la Suisse et le Cameroun, la langue a 14 UN SEUL MONDE 4/2021
DOSSIER RECHERCHE Fredy Nandjou et Sophia Haussener de l’EPFL présentent leur réacteur à énergie solaire qui produit de disposant des connaissances requises scientifiques en Côte d’Ivoire, mis en l’hydrogène pour cuisiner. pour le projet. « Au Cameroun, notre place dès les années 1950 et au sein du- © EPFL technologie est à 90 % inconnue. » Fredy quel le rôle des partenaires locaux a été Nandjou a donc fait appel à des ingé- continuellement développé. nieurs ayant déjà travaillé dans d’autres pays africains. Grâce aux livres et aux Pour le financement, les jeunes cher- constitué un défi de taille, confie Fredy manuels apportés de Suisse pour des cheurs camerounais dépendent d’ap- Nandjou : « Dans notre équipe à Lau- ateliers à proposer sur place, il les a aidés puis tels que le programme Tech4Dev, sanne, tout le monde ne parle pas cou- à se familiariser avec cette technologie. confirme Fredy Nandjou. « Là-bas, ramment le français. Au Cameroun, personne n’endosserait un tel risque l’anglais de la plupart des collègues est financier pour une technologie en- rudimentaire. » La bureaucratie de son Partenariats solides core largement inconnue. » Mais ce qui pays a aussi été un obstacle important : compte aux yeux du Camerounais, c’est « Tout à coup, la douane voulait appli- Selon Fabian Käser, renforcer les capa- la confiance. « Aujourd’hui encore, la quer aux cellules photovoltaïques et aux cités dans le Sud est d’ailleurs l’un des réussite de ce projet repose d’abord sur bombonnes destinées à notre station aspects majeurs de ces collaborations la collaboration de longue date avec So- pilote les mêmes taxes qu’à des mar- transfrontalières. « Pratiquer la re- phia Haussener. » ■ chandises commerciales », rapporte cherche sur un pied d’égalité suppose le chercheur. Du jour au lendemain, le des partenaires solides. » Dans le meil- matériel est devenu 30 à 50 % plus cher. leur des cas, un projet financé par la « Difficile de justifier cela vis-à-vis de Suisse permet de consolider des capaci- nos donateurs à l’EPFL. » tés sur la durée. Pour cela, il faut néan- moins des programmes d’encourage- Enfin, il a été compliqué, dans un pre- ment à long terme. Fabian Käser cite en mier temps, de trouver des partenaires exemple le Centre suisse de recherches UN SEUL MONDE 4/2021 15
DOSSIER RECHERCHE « MOINS DE CONCEPTS, PLUS DE PRAGMATISME ET D’ENTHOUSIASME ! » Ancien directeur de l’Institut tropical et de santé publique suisse (Swiss TPH), Marcel Tanner a encouragé pendant des années la coopération en matière de recherche entre la Suisse et le Sud. Il a formé des centaines de chercheurs en Afrique et en Asie. Sa recette : la curiosité et le goût du partage. Entretien : Samuel Schlaefli Monsieur Tanner, commençons par une meilleure adéquation avec les besoins pleine brousse à l’ouest du Cameroun, question fondamentale : comment défi- de vos partenaires dans le Sud. D’où nous avons fait « digérer » ces nodules niriez-vous une recherche de qualité ? vient cet intérêt pour l’impact pratique par des protéases afin d’isoler la larve, La science au service de la société de- de la recherche ? que nous avons congelée puis rapportée vrait fonctionner comme une courroie Il faut remonter assez loin ! Pendant au laboratoire de Bâle pour en tirer les de transmission qui guiderait l’innova- mon doctorat à l’Institut tropical de antigènes. À l’époque, je doutais déjà : tion vers sa mise en pratique. Au départ, Bâle, j’effectuais des recherches en la- nous nous concentrions sur les larves, il y a une problématique et une hypo- boratoire sur les agents pathogènes sur l’antigène, alors qu’au Cameroun la thèse. Elles trouvent leur source dans la responsables de la maladie du som- population souffrait de toutes sortes de curiosité de trouver des solutions à un meil. Fin 1979, je suis parti au Came- problèmes de santé. problème donné. Ce qui compte aussi, roun et au Liberia recueillir des an- c’est le goût de partager cette solution et tigènes pour des tests diagnostiques. de la mettre en œuvre. Avec des équipes chirurgicales, nous Quels enseignements avez-vous tirés de allions dans les villages pour rassem- cette expérience ? bler les patients sur lesquels on prélè- Un chercheur ne peut pas se contenter En tant que directeur du Swiss TPH, verait des nodules contenant les para- d’aller en chasseur ou en collectionneur vous avez plaidé, dix-huit ans durant, sites pathogènes. Dans le laboratoire dans les villages prélever du matériel pour plus de recherche appliquée et une de terrain de la mission catholique, en biologique qui lui garantira des travaux 16 UN SEUL MONDE 4/2021
DOSSIER RECHERCHE Au cours de sa carrière de problème, il a d’abord fallu déterminer, abstraits tels que les facteurs d’impact chercheur, qui a duré dix ans, des revues. Aujourd’hui encore, le pro- grâce à la recherche fondamentale en l’épidémiologiste et spécialiste de la santé publique Marcel Tanner a géologie, pourquoi certains sols étaient fesseur est souvent sous les feux des travaillé notamment en Tanzanie. aussi riches en arsenic. Dans le même projecteurs. Les porteurs d’eau, en par- © swisstph temps, nous devions collaborer étroite- ticulier les jeunes, restent dans l’ombre. ment avec la population et les décideurs Malheureusement, cette culture dans le sur place, pour saisir quels étaient les secteur des sciences prévaut dans nos problèmes et le contexte, puis identifier hautes écoles, mais aussi dans celles du les possibilités de transformation. Sud. intéressants et une publication dans Nature ou d’autres revues scientifiques renommées. Bien sûr, avec ce genre de Cela m’a tout l’air d’un exemple de bonne Que souhaiter à la coopération, en ma- pratique, vous gagnez du temps. Mais il pratique. Pourtant, mon sentiment est tière de recherche, entre la Suisse et les est exclu d’avoir un impact sur la du- que, dans de nombreuses coopérations pays en développement ? rée, de mettre en place des réseaux de Nord-Sud, les intérêts des chercheurs Surtout, moins de concepts. Et que l’on recherche efficaces. Pourtant, nous ve- du Nord déterminent les problématiques revienne à un certain pragmatisme, nons de le constater avec la pandémie traitées. allié à de l’enthousiasme ! Aujourd’hui, de Covid-19, ces réseaux sont essentiels. Oui. Trop souvent encore, la recherche nous nous concentrons souvent plus sur À l’époque, je me suis donc spécialisé en s’aligne sur l’agenda des pays industria- les problèmes que sur les solutions. Il santé publique à Londres, pour pouvoir lisés. Prenez par exemple les Objectifs faut renverser la tendance et cesser de appréhender les systèmes et problèmes de développement durable (ODD), sur penser en fonctionnaires, avec des idées de santé dans leur globalité. lesquels la plupart des organisations qui font bonne figure dans les classeurs basent leurs activités. Les chercheurs fédéraux, mais n’ont pas grand-chose planifient un projet et, à la fin, se de- à voir avec la réalité. Pour créer un im- Dans la coopération au développement, mandent en quoi leur problématique pact, la tête ne suffit pas : nous avons be- la plupart du temps, les subventions pourrait aussi être pertinente quant à soin du cœur et des mains. ■ vont clairement à la recherche appli- la réalisation de ces objectifs globaux. quée. La recherche fondamentale et la Ils reprennent alors leur demande de liberté de la recherche en général n’en subvention en ajoutant quelque chose, pâtissent-elles pas ? mettons, sur la pauvreté ou la pénurie En tant que directeur du Swiss TPH, en eau. C’est insensé. Il faudrait plutôt je me suis toujours efforcé d’allier re- se demander quelles sont, en matière de cherche fondamentale et recherche recherche et de développement, les im- MARCEL TANNER est professeur appliquée. Nous devons conjuguer l’ex- plications de l’agenda des ODD pour une émérite d’épidémiologie et de situation et un pays donnés. Des problé- parasitologie médicale à l’Univer- pertise de la recherche fondamentale sité de Bâle et expert reconnu en avec celle des gens qui connaissent le matiques se dessineraient et les cher- santé publique. De 1981 à 1984, il problème sur le terrain. La recherche cheurs pourraient contribuer concrète- a dirigé le Swiss Tropical Institute fondamentale est très importante, ment à la réalisation de cet agenda. Field Laboratory (aujourd’hui, pour l’Afrique et l’Asie aussi, mais il faut Ifakara Health Institute) en qu’elle soit associée à l’agenda du pays Tanzanie. De 1997 à 2015, il était directeur de l’Institut tropical et concerné en matière de recherche. Et je De nos jours, le domaine des sciences de santé publique suisse (Swiss ne parle pas là des idées de l’élite poli- connaît une concurrence impitoyable. Si TPH ; autrefois, Institut tropical tique, mais des questions liées aux pro- vous ne publiez pas régulièrement dans suisse), qui est affilié à l’Univer- blèmes concrets que la population ren- les revues prestigieuses, on vous oublie. sité de Bâle. Sur les 860 collabo- contre au quotidien. Dans ce contexte, Cette culture ne met-elle pas en péril une rateurs que compte l’Institut, la coopération Nord-Sud fructueuse pour plupart font de la recherche sur la transdisciplinarité est primordiale des questions de santé, dans pour une recherche de qualité. C’est in- la recherche ? plus de 130 pays. Depuis janvier déniable. Bien sûr, elle est absurde ! Les perfor- 2020, Marcel Tanner préside les mances collectives devraient être bien Académies suisses des sciences. plus valorisées et la déclaration DORA D’avril 2020 à janvier 2021, il était Pouvez-vous nous donner un exemple ? (San Francisco Declaration on Re- membre du conseil consultatif de la Swiss National COVID-19 Au Bangladesh, de nombreuses per- search Assessment) respectée à la lettre. Science Task Force. sonnes tombent malades en raison de Celle-ci prévoit que les chercheurs la présence d’arsenic dans l’eau potable. soient évalués selon leurs performances www.swisstph.ch Lorsque le Swiss TPH s’est penché sur le réelles, et non sur la base de paramètres https ://sfdora.org/ UN SEUL MONDE 4/2021 17
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