La Vie économique Plateforme de politique économique - Die Volkswirtschaft
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92e année N° 1–2 / 2019 Frs. 12.– La Vie économique Plateforme de politique économique ENTRETIEN ROBOTISATION MAIN D’ŒUVRE QUALIFIÉE DOSSIER Les conseils du spécialiste Les recettes fiscales La participation au marché Rendre les dispositifs de la Chine Ruedi Nützi baissent-elles ? du travail augmente médicaux plus sûrs pour aux PME 44 46 les patients 30 49 L’ÉVÉNEMENT L’ère de l’Asie
ÉDITORIAL L’Asie n’est plus si lointaine La classe moyenne croît en Asie. Des groupes de visiteurs en provenance de Chine et d’Inde investissent désormais de hauts lieux touristiques comme Lucerne ou Interlaken. Les pays asiatiques connaissent une forte croissance sur le plan écono- mique. La région Asie-Pacifique abrite 60 % de la population mondiale et a généré, en 2017, 40% du produit intérieur brut mondial. Cette part augmente chaque année, alors qu’en parallèle, la contribution des États-Unis et de l’Europe recule. L’année dernière, le conglomérat d’État chinois Chem- China, un géant de la chimie, rachetait l’agrochimiste bâlois Syngenta pour plus de 40 milliards de dollars : l’Asie, ou plus précisément la Chine, avait mis le pied en Suisse. Or, les conditions entre la Suisse et la Chine sont inégales, notamment en ce qui concerne les investisse- ments directs des entreprises d’État : c’est ce que relève « L’Événement » de cette édition, intitulé « L’ère de l’Asie ». La Chine acquiert des sociétés dans le monde entier pour se ménager un accès aux technologies importantes. Elle veut se hisser à la pointe de la technologie mondiale à l’horizon 2049, année du centenaire de la République populaire. La guerre commerciale engagée avec les États-Unis retardera-t-elle l’avènement économique de la Chine ? L’avenir nous le dira. Expert de la Chine à la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW), Ruedi Nützi explique dans l’entretien que le chef d’une entreprise suisse qui souhaite développer ses activités en Chine doit se rendre régulièrement sur place, car les relations d’affaires y fonctionnent différemment. Il est difficile d’engranger des bénéfices rapides sur le marché chinois, souligne encore Ruedi Nützi. Quelles relations la Suisse entretient-elle avec l’Asie ? Nous souhaitons dans cette édition vous familiariser avec le continent asiatique, et en particulier avec la Chine. Bonne lecture ! Susanne Blank et Nicole Tesar Rédactrices en chef de La Vie économique
SOMMAIRE 4 14 L’ÉVÉNEMENT L’ère de l’Asie 4 La diplomatie commerciale 9 L’ascension de l’Asie modifie suisse mise à l’épreuve en Asie la politique extérieure de Christine Büsser Mauron la Suisse Secrétariat d’État à l’économie Raphael Nägeli Département fédéral des affaires étrangères 14 O uvrir les portes des places 18 Touristes chinois en Suisse : financières asiatiques peu de bénéficiaires Peter Stutz Jürg Stettler, Lukas Huck Secrétariat d’État aux questions financières Haute école de Lucerne internationales 30 ENTRETIEN 22 Chine : nouvelles ambitions 26 Centre suisse du renminbi : « Le marché chinois, c’est pour une nouvelle ère ? des espoirs déçus ? l’affaire du patron » Jean-Jacques de Dardel, Dimitri Pittet, Markus Braun, Esther Kessler, Beat Affolter Entretien avec Ruedi Nützi, directeur de la Haute Aurèle Aquillon ZHAW School of Management and Law école d’économie rattachée à la Haute école Département fédéral des affaires étrangères spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) 59 CHIFFRES 61 DANS LE PROCHAIN NUMÉRO 61 IMPRESSUM
SOMMAIRE 38 41 12 RUBRIQUES Le virage numérique sous différents angles 36 UN CERTAIN REGARD 38 NUMÉRISATION 41 GÉNÉRATION Y Les pièges des réseaux sociaux La transition numérique Plus raisonnable qu’on Reto Hofstetter aux Grisons ne le croyait : la génération Y Université de Lucerne Patricia Deflorin, Kathrin Dinner, Peter Moser face à l’épargne Haute école technique et économique (HTW) Alessandra Fiorito de Coire Banque cantonale de Zurich Andreas Schweizer ZHAW School of Management and Law 44 ROBOTISATION 46 PÉNURIE DE SPÉCIALISTES 60 INFOGRAPHIE L’automatisation, un danger La participation au marché du Les grandes entreprises pour l’équilibre des finances travail augmente exemplaires en matière de publiques ? Daniela Bieri formation continue Secrétariat d’État à l’économie Simon Schnyder Administration fédérale des contributions DOSSIER Des dispositifs médicaux sûrs 50 Mieux protéger les patients 53 La protection de la santé La reconnaissance mutuelle 55 Urs Spahr et les chances d’exportation permet un accès facilité au Office fédéral de la santé publique ont un prix marché de l’UE Sarah Werner, Ursula Walther Viviane Farré Tiercy Ecoplan Secrétariat d’État à l’économie 57 PRISE DE POSITION 58 PRISE DE POSITION Renoncer au « Swiss Finish » ! Un approvisionnement Peter Studer en danger Swiss Medtech Reto Bucher Hôpital cantonal d’Aarau
ASIE La diplomatie commerciale suisse mise à l’épreuve en Asie De nouvelles alliances et des tendances protectionnistes en Asie donnent du fil à retordre aux entreprises. La politique économique extérieure de la Suisse essaie d’apporter des solutions ciblées au problème. Christine Büsser Mauron Abrégé Les marchés asiatiques en forte croissance revêtent une im- rects étrangers en Asie ont eux aussi progressé portance toujours plus grande pour l’économie suisse. Des accords entre 2007 et 2017, avec une augmentation suprarégionaux comme l’Accord de Partenariat transpacifique global et annuelle de 12 %, supérieure à celle enregistrée progressiste (PTPGP) et le Partenariat économique régional global (RCEP) pour l’Amérique du Nord et l’Europe. La Suisse pourraient transformer durablement les chaînes de valeur mondiales. Prise figure ainsi parmi les dix plus grands investis- entre la mondialisation et le protectionnisme, la Suisse vise, au titre de sa politique économique extérieure, à assurer à ses entreprises un accès à ces seurs en Asie3. marchés qui soit juridiquement sûr, prévisible et, dans la mesure du pos- Les marchés asiatiques, leurs structures ainsi sible, dépourvu d’obstacles et non discriminatoire. Pour ce faire, elle doit que leur niveau de développement et d’intégra- d’une part créer des conditions-cadre solides, par exemple au travers d’ac- tion sont extrêmement diversifiés. L’Association cords de libre-échange ou de protection des investissements, et d’autre des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase, égale- part protéger leurs intérêts économiques à l’étranger. ment connue sous son acronyme anglais Asean) en est le parfait exemple (voir illustration 2). D’un côté, ses dix États membres comptent L e centre de gravité de l’économie mondiale se décale de l’ouest vers l’est. L’Asie devient par conséquent toujours plus importante pour près de 650 millions d’habitants et ont généré l’année dernière un produit intérieur brut (PIB) total de 2800 milliards de dollars, ce qui en les entreprises suisses, que ce soit comme fait le sixième plus grand espace économique débouché, comme site d’investissement et de du monde. D’un autre côté, les écarts entre les fabrication ou comme fournisseur de produits États de l’Anase sont énormes. Tandis qu’en industriels semi-finis. Le commerce extérieur 2017, le revenu moyen par habitant atteignait entre la Suisse et l’Asie a doublé au cours des 57 713 dollars à Singapour, alors quatorzième dix dernières années, les échanges avec les partenaire commercial de la Suisse, il n’était que pays asiatiques représentant aujourd’hui déjà de 1278 dollars au Myanmar, qui figure seule- près d’un quart de l’ensemble du commerce ment à la 99e position des partenaires commer- extérieur (voir illustration 1). ciaux de notre pays4. En 2017, la région Asie-Océanie a absorbé Fin 2015, cette association d’États a décidé près d’un cinquième des exportations suisses d’officiellement créer la Communauté éco- pour un montant de 90 milliards de francs1, nomique de l’Anase avec l’intention de pour- soit davantage que l’Amérique du Nord2. Mal- suivre son intégration à l’économie mondiale 1 Voir les Informations gré la force du franc, les exportations vers en tant que marché unique et concurrentiel. par pays sur www.seco. admin.ch. l’Asie-Océanie ont augmenté d’environ 200 % Aujourd’hui déjà, 99 % des droits de douane 2 AFD (2018) : Statistique entre 2007 et 2017. Cette hausse a été parti- entre six des États de l’Anase – soit le Brunei, du commerce extérieur (2018), commerce de l’or culièrement marquée en ce qui concerne la l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singa- et des autres métaux précieux inclus. Chine. L’année dernière, les exportations vers pour et la Thaïlande –, ont été supprimés ou 3 FMI (2017), Coordinated ce pays ont totalisé 24 milliards de francs, ce sont inférieurs à 5 %. Cela n’est pas encore le Direct Investment Survey CDIS. qui en fait le troisième partenaire commercial cas pour les quatre États restants (Cambodge, 4 FMI (2018), « World Eco- de la Suisse, juste derrière l’Union européenne Laos, Myanmar et Vietnam). Sans surprise, nomic Outlook », octobre. (UE) et les États-Unis. Les investissements di- l’élimination des barrières non tarifaires et 4 La Vie économique 1–2 / 2019
La Chine représente un important débouché pour les entreprises suisses. Une rue commerçante à Shanghai. KEYSTONE
ASIE l’harmonisation des normes et des standards Un autre accord commercial en négociation au sein de cette alliance hétérogène s’avèrent depuis 2013 fait beaucoup parler de lui : le Par- compliquées. Malgré les efforts d’intégration tenariat économique régional global (RCEP), qui de l’organisation, les échanges entre pays de doit renforcer les relations commerciales entre l’Anase ne représentent selon la Banque mon- l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le diale qu’environ un quart de leur commerce Japon, la Nouvelle-Zélande et les dix États de total. En comparaison, ce taux atteint 35 % l’Anase. Le RCEP couvrirait près de 40 % du en Asie de l’Est – qui comprend notamment PIB mondial et représenterait 3,4 milliards de la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Il est consommateurs. L’accord est toutefois moins en revanche nettement plus bas en Asie du ambitieux que le PTPGP et ne prévoit notam- Sud (Bangladesh, Inde, Pakistan, Sri Lanka, ment aucune disposition concernant les mar- etc.), qui compte parmi les régions les moins chés publics, les entreprises d’État ou encore les intégrées du monde sur le plan économique : normes environnementales et de travail. seuls 5 % de l’ensemble des échanges y sont intrarégionaux. La Suisse mise sur le libre-échange Méga-accords régionaux À moyen terme, plus des deux tiers de la crois- sance de la classe moyenne auront lieu en Asie. Cette année, quatre pays de l’Anase (le Brunei, On peut donc s’attendre à ce que la demande en la Malaisie, Singapour et le Vietnam) ont signé biens de consommation, ainsi qu’en produits de l’Accord de Partenariat transpacifique global et qualité et de luxe suisses continue d’augmen- progressiste (PTPGP) avec l’Australie, le Chili, ter. Selon des estimations, la classe moyenne le Japon, le Canada, le Mexique, la Nouvelle- asiatique sera cinq fois plus importante que Zélande et le Pérou. La conclusion fructueuse de la classe moyenne européenne en 2030 déjà. cet accord a permis aux pays signataires, en dépit Dans ce contexte, la politique économique ex- du retrait des États-Unis, d’envoyer un signal fort térieure de la Suisse vise à créer les meilleures en faveur du libre-échange. À l’origine de 14 % du conditions-cadres possibles pour les entreprises PIB mondial, les États parties au PTPGP forment suisses en Asie. Les accords de libre-échange par le biais de cet accord un espace économique (ALE) sont là l’un des instruments les plus intégré fort d’un demi-milliard d’habitants en importants. région Asie-Pacifique. Si d’autres pays venaient Dans le cadre de l’Association européenne à rejoindre les rangs des signataires, le PTPGP de libre-échange (AELE), la Suisse dispose en pourrait devenir le plus grand accord commercial Asie d’ALE avec Singapour (2003), la Corée du multilatéral du monde et entraîner une réorgani- Sud (2006), Hong Kong, la Chine (2012) et les sation des chaînes de valeur mondiales – avec des Philippines (2018). Elle a par ailleurs conclu des 5 OMC (2018), Tariff pro- file of Indonesia. conséquences également pour l’économie suisse. ALE bilatéraux avec le Japon (2009) et la Chine (2014). Cette année, un nouvel accord de libre- échange de large portée entre l’AELE et l’Indo- Ill. 1. Évolution du commerce extérieur de la Suisse nésie a vu le jour. Un accord de ce genre avec 1% 1% le quatrième pays le plus peuplé du monde est 2007 2017 4% 6% précieux pour l’économie d’exportation, d’autant 11% 14% que les droits de douane moyens de l’Indonésie 11% s’établissent à 8 %, un taux relativement élevé, et que l’UE ne dispose pas encore d’un tel accord5. 73% 55% Grâce à cet accord, 98 % des exportations suisses AFD / LA VIE ÉCONOMIQUE 24% vers l’Indonésie seront à moyen terme exonérées de droits de douane. Il sera soumis en 2019 au processus d’approbation parlementaire. Des déclarations de coopération ont en outre Océanie Afrique et Moyen-Orient Amérique Asie Europe et Asie centrale été conclues avec la Mongolie, le Myanmar et 6 La Vie économique 1–2 / 2019
L’ÉVÉNEMENT / in Vorbereitung Ea-Zusammenarbeitserklärungen le Pakistan. Elles instaurent un dialogue insti- propriété intellectuelle doivent par exemple être tutionnalisé en vue d’approfondir les relations surmontées. Les négociations amorcées avec la commerciales bilatérales. Thaïlande sont au point mort depuis un certain La Suisse mène depuis longtemps, dans le temps déjà. Par ailleurs, la Suisse est en train cadre de l’AELE, des négociations avec l’Inde, la d’examiner dans quelle mesure ses relations Malaisie et le Vietnam concernant un accord de commerciales avec le Pakistan pourraient être libre-échange. Néanmoins, ces négociations se renforcées. Taïwan serait aussi en principe un révèlent difficiles à plusieurs titres. Dans le cas autre partenaire de libre-échange intéressant de l’Inde, des divergences dans le domaine de la pour la Suisse. Ill 2. Accords de libre-échange de la Suisse en Asie/Océanie Mongolie Corée du Nord Chine Japon Afghanistan Corée du Sud Bhoutan Népal Hong Kong Taïwan Inde Laos Pakistan Bangladesh Cambodge Myanmar Vietnam Philippines Thaïlande Singapour Sri Lanka Brunei Malaisie Indonésie Papouasie-Nouvelle-Guinée Australie Accords de libre-échange existants Négociations conclues Négociations en cours SECO / SHUTTERSTOCK / LA VIE ÉCONOMIQUE Déclarations de coopération États de l’Anase (marqués en caractères gras) Nouvelle-Zélande La Vie économique 1–2 / 2019 7
ASIE Les tensions entre mondialisation et protec- mettre sur la table des préoccupations concrètes tionnisme sont une réalité avec laquelle les ac- comme des problèmes de commerce et d’investis- teurs économiques doivent aujourd’hui compo- sement. La question de mesures non tarifaires, ser. Partout dans le monde, les gouvernements qui mettent en difficulté les entreprises suisses tentent toujours plus de soustraire certains dans tel ou tel pays partenaire, se pose aussi secteurs de l’économie domestique à la concur- régulièrement dans ce cadre. rence étrangère. En Asie par exemple, la Chine, En Asie, les entreprises suisses sont de plus l’Inde et l’Indonésie ont introduit au cours de en plus touchées par des prescriptions en ma- ces deux dernières années un nombre supérieur tière de localisation, qui les obligent à générer à la moyenne de mesures visant les branches ex- une part élevée de valeur ajoutée sur place. Or, portatrices importantes pour l’économie suisse les entreprises innovantes, notamment dans comme les biotechnologies, la métallurgie, l’in- le secteur de l’industrie pharmaceutique, sont dustrie électrotechnique et celle des machines. souvent confrontées à des difficultés dues à une La dénonciation par certains pays émergents protection insuffisante des brevets. L’insécurité d’accords bilatéraux de protection des inves- juridique, les démarches administratives labo- tissements est également venue s’ajouter aux rieuses et manquant parfois de transparence, la facteurs d’incertitude des entreprises. Tant corruption ainsi que le manque de main-d’œuvre l’Indonésie en 2015 que l’Inde l’année suivante sont autant de facteurs supplémentaires qui ont mis fin à l’accord de protection des in- compliquent la tâche des acteurs économiques vestissements avec la Suisse. Ces actions ont suisses dans de nombreux pays asiatiques. engendré un vide juridique dans les conditions Dans le cadre de sa mission de sauvegarde des contractuelles bilatérales, notamment pour ce intérêts économiques, le Seco tient compte non qui est des nouveaux investissements. Bien que seulement des problématiques sectorielles, mais les négociations aient entre-temps été reprises aussi des intérêts des entreprises. Il se joint ainsi avec ces deux pays, on ignore encore si le degré aux représentations diplomatiques sur place élevé de protection que ces accords instauraient pour conseiller de manière ciblée les entreprises précédemment pourra être retrouvé. qui en ont besoin. Afin de pouvoir continuer Au regard des défis évoqués, la diplomatie d’assumer à l’avenir cette tâche importante de économique et commerciale de la Suisse a gagné manière compétente, la Suisse s’efforce d’élar- en importance au cours des dernières années. Les gir continuellement son réseau de relations en missions économiques officielles accompagnées matière de politique économique extérieure. d’une délégation de représentants du secteur privé que le conseiller fédéral Johann Schneider- Ammann a conduites à plusieurs reprises en Asie ces dernières années constituent un instrument important. Les commissions économiques mixtes, auxquelles participe le S ecrétariat d’État à l’économie (Seco) avec plusieurs pays partenaires en Asie, constituent également une précieuse plateforme. Ces dialogues institutionnalisés Christine Büsser Mauron portant sur des questions de politique écono- Cheffe du secteur Asie/Océanie, centre de prestations mique, auxquels les représentants du secteur Relations économiques bilatérales, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne privé prennent part formellement, p ermettent de 8 La Vie économique 1–2 / 2019
L’ÉVÉNEMENT L’ascension de l’Asie modifie la politique extérieure de la Suisse Le centre de gravité du pouvoir politique mondial se déplace vers l’Orient et l’influence de la Suisse diminue en conséquence. Petit par la taille, le pays peut y faire face en r enforçant sa présence en Asie et en s’engageant en faveur du système juridique international. Raphael Nägeli Abrégé L’accession de la Chine au rang de leader économique et politique d’investissement dans les infrastructures (BAII) ainsi que le dynamisme d’un certain nombre d’États asiatiques offrent des et de la Nouvelle banque de développement opportunités économiques, mais posent également des défis considé- (NDB), la Chine tente de façonner l’organisation rables aux pays de la région ainsi qu’à la Suisse et au système multilatéral de la politique financière dans d’importants en place depuis 1945. En appliquant dans le cadre de sa stratégie pour corridors économiques en complément des l’Asie une politique coordonnée fondée sur de solides relations bilatérales, sur un engagement accru dans les organisations régionales et sur une so- banques de développement établies. Grâce à lidarité active, la Suisse tente de saisir les opportunités et de protéger ses une mise en réseau dans le cadre de la « Belt intérêts de manière durable. La participation accrue des États asiatiques and Road Initiative » (BRI), elle souhaite aussi émergents aux organisations multilatérales existantes, mais aussi, le cas garantir une croissance économique durable échéant, la défense des valeurs mondiales et des règles du jeu font partie pour tous les pays participants. Cette « Nou- de cette politique. Pour la Suisse, petit pays à l’économie ouverte, le main- velle route de la soie » devrait également offrir tien d’un ordre mondial libéral revêt une importance capitale. à la Chine un moyen de soutenir ses ambitions géopolitiques par l’effet de l’interdépendance économique et de la puissance douce. Le projet L’ Asie est devenue un pôle de la politique mondiale. La région Asie-Pacifique, qui s’étend de l’Afghanistan au Japon et à l’Australie, offre assurément des possibilités de développe- ment économique et de stabilisation aux États et aux régions fragiles. Dans le même temps, compte 4,5 milliards d’habitants. L’an dernier, l’ascension de la Chine devient un défi pour les les 39 pays qu’elle regroupe ont réalisé plus pays voisins, pour le multilatéralisme et pour de 42 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, l’équilibre mondial. en grande partie grâce aux membres du G20 L’abandon par les États-Unis, sous l’admi- que sont la Chine, le Japon, l’Inde, l’Indonésie, nistration Trump, de leur stratégie de « rééqui- la Corée du Sud et l’Australie. Alors que la part librage » ainsi que leur retrait du projet d’accord des pays asiatiques au PIB mondial augmente de Partenariat commercial transpacifique (TPP) constamment, le poids relatif des États-Unis et de l’Union européenne (UE) diminue (voir illus- tration). Actuellement, 80 % de la croissance de La Suisse officielle dans la région Asie-Pacifique La Suisse entretient des relations diplomatiques avec les la classe moyenne mondiale se réalise en Asie. 39 États de la région Asie-Pacifique. Elle est représentée par L’influence croissante de l’Asie se reflète 17 ambassades, six consulats généraux, neuf bureaux de coo- également dans la politique mondiale, où la pération de la Direction du développement et de la coopération Chine, l’Inde, le Japon et l’Indonésie jouent un (DDC) et du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), deux sites Swissnex (réseau créé dans le domaine de la formation, de la rôle de plus en plus important. La Chine surtout, recherche et de l’innovation), six bureaux scientifiques et tech- membre permanent du Conseil de sécurité, nologiques ainsi que huit bureaux commerciaux. Des contacts étend systématiquement sa présence à l’ONU et directs ont en outre été établis au niveau du Parlement, des cantons et des villes, de l’économie, des institutions acadé- aspire explicitement à un ordre plus conforme à miques, etc. Au Département fédéral des affaires étrangères ses propres besoins que le système multilatéral (DFAE), la Division Asie et Pacifique (DAP) regroupe les intérêts existant. Avec la création de la Banque asiatique suisses et les coordonne sur le plan politique. La Vie économique 1–2 / 2019 9
ASIE et de l’Accord de Paris sur le climat ont laissé un croissante de la Chine se traduit également par vide rapidement occupé par la Chine. La rivalité des frictions à la frontière indienne ou au sud de entre les deux grandes puissances façonnera de la mer de Chine. plus en plus la politique mondiale au XXIe siècle. En raison de l’absence d’une architecture On ne sait pas encore si la guerre commerciale de sécurité régionale forte, les problèmes se entre les deux plus grandes économies du règlent souvent de manière bilatérale. La Chine monde entraînera des distorsions durables. Au- concentre plus de la moitié des dépenses de jourd’hui déjà, en Asie, la structure du pouvoir défense de la région. Elle est suivie par l’Inde, la est en train de changer, car le Japon, la Corée du Corée du Sud et le Japon. On observe en même Sud et l’Australie, alliés traditionnels des États- temps des tendances à l’intégration, avant Unis, mais aussi les États du Sud-Est asiatique tout motivées par des raisons économiques. perdent confiance dans les États-Unis et sont de L’exemple le plus réussi d’intégration asiatique plus en plus conscients de la nécessité de suivre est l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est une voie nouvelle et plus indépendante. (Anase, également connue sous son acronyme anglais Asean), dont les dix membres s’em- Lignes de conflit internes en Asie ploient sans relâche à renforcer les échanges économiques. Dans le cas du TPP également, les La liste des zones de tension intra-asiatiques onze États du Pacifique restants – après le retrait est longue : des différences significatives de re- des États-Unis – sont sur le point de parvenir à venus, des problèmes environnementaux crois- un accord. sants, une gouvernance faible ou des situations politiques précaires menacent la stabilité, de L’influence de l’Europe pâlit même que les conflits historiques non résolus au Cachemire et en Afghanistan. La situation Nous serions bien avisés de reconnaître en dans la péninsule coréenne reste également Suisse le caractère historique de ces change- imprévisible. S’ajoutent à cela de nouveaux ments. La croissance du PIB chinois est énorme : conflits internes ayant des répercussions in- alors qu’en 1980, la production économique de la ternationales comme la crise des Rohingyas au Chine correspondait à 40 % de celle de la Suisse, Myanmar ou le terrorisme islamiste en Indoné- le PIB chinois est aujourd’hui vingt fois supérieur sie, aux Philippines ou au Pakistan. L’assurance à celui de notre pays. La perte de poids relative de Parts des régions du monde au PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat) 50 % 45 40 35 30 25 20 FMI, DFAE (2018) / LA VIE ÉCONOMIQUE 15 10 5 0 80 84 88 92 96 0 4 8 12 16 20 0 0 0 20 20 19 19 19 20 19 19 20 20 20 Afrique Asie et Pacifique (39 pays) Union européenne (UE-27) Amérique latine et Caraïbes Proche-Orient États-Unis 10 La Vie économique 1–2 / 2019
L’ÉVÉNEMENT La Suisse est membre de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastruc- tures initiée par la Chine. Le ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann et le président chinois Xi Jinping lors de la cérémonie de signa- KEYSTONE ture en juin 2015 à Pékin. l’Europe et de l’Occident place la Suisse dans une et s’est engagée à la renforcer. Seules des condi- situation nouvelle et nous devons partir du prin- tions de lutte à armes égales et des procédures cipe que notre avance technologique et notre de règlement des différends reconnues nous puissance économique relative vont encore donnent l’assurance que les États ne feront pas diminuer dans les années à venir. passer la force avant le droit. Dès lors, l’engage- Le monde est devenu non seulement multi- ment en faveur du multilatéralisme et des règles polaire, mais également multiconceptuel. Les internationales est également au cœur d’une puissances émergentes d’Asie suivent parfois participation éventuelle de la Suisse à des initia- d’autres concepts politiques et valeurs sociales. tives régionales telles que la Nouvelle route de la Pour préserver ses intérêts dans un équilibre soie. Renforcer les organisations multilatérales mondial modifié, la Suisse doit également coo- et défendre le droit international, l’État de droit, pérer avec ces pays, mais elle ne peut s’appuyer les droits humains fondamentaux et l’ordre que partiellement sur des valeurs communes. mondial libéral sont dans l’intérêt même de la Dans d’autres cas, ce sont des intérêts sélec- Suisse. tifs convergents qui nous mettent en contact avec de nouveaux partenaires. Les problèmes L’image de la Suisse est bonne mondiaux exigent des réponses mondiales : les objectifs de développement durable de l’ONU Devant ces opportunités et ces défis, il s’agit de et l’Accord de Paris sur le climat sont quelques sauvegarder au mieux les intérêts de la Suisse exemples de ces alliances entre États de l’Est et grâce à une politique étrangère cohérente dans de l’Ouest, du Nord et du Sud, qui, pour diverses la région Asie-Pacifique (voir encadré). Celle-ci raisons, s’unissent dans des actions planétaires. comprend trois lignes d’action : la première Demain, la Nouvelle route de la soie pourrait en consiste à renforcer les relations bilatérales. À être un autre. cet égard, il est utile que les relations politiques Petit pays à l’économie de marché ouverte, entre la Suisse et les pays d’Asie-Pacifique soient la Suisse aura toujours besoin de règles interna- fondamentalement bonnes et que la Suisse tionales fiables et d’organisations multilatérales jouisse presque partout d’une excellente image. fortes. Elle a ainsi soutenu l’adhésion de la Chine Perçu à la fois comme éloigné et peu important à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au sein de l’Europe, notre pays doit cultiver La Vie économique 1–2 / 2019 11
ASIE ses relations avec un soin tout particulier pour des intérêts communs, comme la protection du pouvoir faire valoir efficacement ses intérêts et climat. Les partenaires prioritaires de la coo- trouver des partenaires intéressés par des préoc- pération économique au développement sont cupations spécifiques. Ces dernières années, un l’Indonésie et le Vietnam. dialogue politique régulier s’est ainsi établi avec La Confédération fournit une aide humani- de nombreux pays de la région Asie-Pacifique, taire en cas de catastrophe, comme dernièrement en priorité avec les poids lourds mondiaux que lors des typhons aux Philippines et des tremble- sont la Chine, l’Inde et le Japon. ments de terre en Indonésie. Elle renforce aussi la D’un point de vue économique, il est essen- prévention des catastrophes et apporte une aide tiel pour la Suisse d’assurer de bonnes condi- alimentaire aux jeunes enfants en Corée du Nord. tions-cadre pour le commerce et les investisse- Dans le cadre de la coopération multilatérale, ments et de protéger la propriété intellectuelle. Des la Suisse met l’accent sur la sécurité humaine accords de libre-échange nous lient actuellement et la promotion de la paix, le désarmement nu- entre autres à la Chine, au Japon et à la Corée du cléaire, la politique environnementale durable et Sud1. En novembre dernier, les négociations ont la protection du climat. Des dialogues politiques pu aboutir avec l’Indonésie, un pays qui compte réguliers (par exemple avec la Chine sur les 270 millions d’habitants. D’autres accords sont questions liées aux Nations unies) permettent prévus avec l’Inde, la Thaïlande et le Vietnam. d’identifier les possibilités de coopération et La deuxième ligne d’action de la politique donnent l’occasion de promouvoir le soutien étrangère consiste à renforcer la présence de aux positions ou candidatures suisses, ainsi que la Suisse dans les forums régionaux. En 2012, la Genève internationale. la Suisse a adhéré au Dialogue Asie-Europe Enfin, la Suisse participe à la Commission de (Asem). Cette plateforme de 30 États européens supervision des nations neutres (NNSC) de la pé- et 21 États asiatiques permet d’entretenir des ninsule coréenne et fait partie du Groupe d’obser- relations fructueuses au niveau ministériel vateurs militaires des Nations unies pour l’Inde et et présidentiel. Des sujets d’importance pri- le Pakistan (UNMOGIP). Au Népal, au Sri Lanka, mordiale tels que le libre-échange, le climat au Myanmar, en Indonésie, en Thaïlande et aux ou le développement durable peuvent y être Philippines, le Département fédéral des affaires débattus dans un contexte régional. La Suisse étrangères (DFAE) soutient des activités ciblées participe par ailleurs aux forums régionaux sur visant la résolution pacifique des conflits. Notre l’Afghanistan et le Pakistan. Depuis juillet 2016, expertise dans ces domaines est très appréciée, elle est en outre un partenaire de dialogue sec- comme le montre l’intérêt de plusieurs États en toriel des États de l’Anase. Enfin, elle envisage matière de fédéralisme (Népal, Myanmar) ou de une coopération plus étroite avec l’Association médiation des conflits (Chine, Thaïlande). sud-asiatique pour la coopération régionale et le En résumé, l’essor de l’Asie offre beaucoup Forum des îles du Pacifique. d’opportunités et de défis à la Suisse. Grâce à sa position claire en faveur du multilatéralisme et à Durabilité et droits humains ses larges engagements dans le cadre de la straté- 1 Voir à ce propos l’article gie pour l’Asie, elle est bien armée pour les saisir de Christine Büsser Mauron (Seco) dans ce La troisième priorité de la Suisse est le dévelop- et les relever. numéro (p. 4). pement durable, la paix et les droits de l’homme dans la région. Dans les pays les plus pauvres de cette zone – l’Afghanistan, le Laos, le Cambodge, la Mongolie, le Myanmar et le Népal – la coopéra- tion au développement se concentre sur la santé, la formation professionnelle, l’eau, l’environne- ment, la bonne gouvernance, les droits humains et la migration. L’objectif n’est désormais plus Raphael Nägeli de transférer des connaissances de la Suisse Ambassadeur, chef de la Division Asie et Pacifique, Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Berne vers les pays bénéficiaires, mais de promouvoir 12 La Vie économique 1–2 / 2019
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ASIE Ouvrir les portes des places financières asiatiques Les établissements financiers suisses peinent à accéder aux grands marchés asiatiques que sont la Chine, l’Inde et le Japon. La Suisse œuvre aux niveaux multilatéral et bilaté- ral pour une ouverture et l’intégration de ces marchés dans le système financier global. Peter Stutz Abrégé Les grandes banques et assurances suisses misent sur l’Asie. Elles lionnaire sur quatre vit aujourd’hui en Asie. Les y gagnent déjà un franc sur six. Rien d’étonnant à cela, car les pays d’Asie applications fintech y sont aussi le plus utilisées. connaissent une ascension constante depuis les années soixante. Le Japon et les Dragons asiatiques ont ouvert la voie. Aujourd’hui, la Chine est en passe de devenir la puissance économique dominante du XXIe siècle, dépla- L’ascension de l’Asie çant ainsi vers l’est le centre de gravité des marchés financiers mondiaux. La place financière suisse s’efforce quant à elle de participer à la croissance L’émergence (ou réémergence) asiatique a dé- de ces marchés. Si son positionnement est favorable, la Chine, le Japon et buté au Japon, qui a connu une croissance éco- l’Inde restent des marchés difficiles d’accès. Raison de plus pour la Suisse nomique fulgurante dans les années soixante. de s’engager tant au niveau bilatéral que multilatéral afin de préserver ses C’est à cette époque que fut notamment fondée intérêts et ceux de sa place financière. la Banque asiatique de développement (BAD), régionale et multilatérale – dont le Japon est le principal contributeur. Au sein du Fonds moné- L a couverture du dernier rapport de gestion d’une grande banque suisse offre au lecteur une vue au-delà du plus haut gratte-ciel de Hong taire international (FMI), le Japon est rapidement devenu le deuxième plus important détenteur de parts. Lorsque la société immobilière du groupe Kong vers l’ouest et le port Victoria. La voie Mitsubishi rachète le Rockefeller Center à New maritime qui sépare l’île de Hong Kong du conti- York à la fin des années quatre-vingt, l’ascension nent voit passer un tiers du transport maritime du Japon semble inexorable. Outre le Japon, le international de marchandises. Au nord, on « miracle économique est-asiatique » est porté trouve les deuxième et troisième économies les par Hong Kong, la Corée du Sud, Singapour et plus puissantes du monde, la Chine et le Japon ; Taïwan. Les dix pays membres de l’Association au sud, en passant par le détroit de Malacca et des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase, égale- Singapour, on arrive en Inde, la sixième écono- ment connue sous son acronyme anglais Asean) mie de la planète. Entre deux s’étendent l’Indo- génèrent désormais 3 % de la création de valeur nésie, dont la population est la quatrième plus mondiale et cherchent à rapprocher les marchés nombreuse au monde, ainsi que les économies financiers de la région. émergentes de l’Asie du Sud-Est. La Chine, dont la politique de réforme et Le choix de cette image n’est pas dû au hasard : d’ouverture a débuté dans les années quatre- les banques et les assurances suisses misent sur vingt, a dépassé le Japon en 2010, hissant son l’Asie. Car la région Asie-Pacifique remporte la économie au deuxième rang mondial, juste palme de tous les superlatifs dans le domaine fi- derrière les États-Unis. La République popu- nancier. Cette zone héberge notamment les cinq laire vise également un rôle de premier plan plus grandes banques du monde, quatre des dix sur la scène financière internationale : elle est marchés financiers les plus importants du globe devenue le troisième plus gros contributeur et quatre des dix principaux marchés boursiers du FMI et, au moins depuis sa présidence du et assurantiels. Elle héberge aussi un nombre de G20 voici deux ans, figure parmi les membres grosses fortunes en forte progression : un mil- les plus influents de ce club d’États exclusif. La 14 La Vie économique 1–2 / 2019
Hong Kong constitue souvent une étape importante pour les affaires bancaires suisses avec la Chine. KEYSTONE La Vie économique 1–2 / 2019 15
ASIE Chine a encore posé d’autres jalons avec l’in- viennent de Hong Kong et de Singapour, tandis clusion du renminbi dans le panier des devises que la Chine et le Japon y contribuent à hauteur du FMI en 2016, puis l’intégration des actions de 8 % chacun, et l’Inde à hauteur de 2 % seule- négociées sur le territoire chinois dans l’indice ment. En 2017, les assurances suisses ont généré MSCI des marchés émergents en 2018. La Chine près de 10 % de leurs recettes étrangères en Asie, encourage par ailleurs l’intégration des marchés dont 30 % en Chine et au Japon, 12 % à Singapour financiers régionaux à travers la « Belt and Road et 3 % à Hong Kong. L’Inde fait ici aussi figure de Initiative » (ou « Nouvelle route de la soie »). Dans lanterne rouge, avec 2 % seulement. cette optique, elle a notamment créé en 2015 la Ces chiffres montrent qu’il est difficile, en Banque asiatique d’investissement dans les in- particulier pour les banques suisses, de fournir frastructures (Asian Infrastructure Investment des services aux clients japonais, chinois et in- Bank, AIIB), instrument multilatéral et régional. diens. Tandis que les contrôles de la circulation D’autres instances et organisations régionales des capitaux compliquent les opérations trans- dirigées par la Chine sont en cours de gestation, frontalières dans les cas de la Chine et de l’Inde, par exemple pour le développement de normes les services aux clients japonais depuis la Suisse dans le secteur financier. sont en grande partie restreints par la législation L’Inde n’est jusqu’à présent pas parvenue nippone sur les marchés financiers. à exploiter pleinement son potentiel. Sa po- Les banques et les assurances suisses ont pulation compte néanmoins aujourd’hui plus donc commencé relativement tôt à s’établir de 1,3 milliard d’habitants, ce qui place le pays physiquement en Asie. Il existe toutefois aussi parmi les acteurs majeurs de la scène internatio- des restrictions sur place. Ainsi, tant en Chine nale et représente aussi un marché à fort taux de qu’en Inde, il n’est possible de fonder une banque croissance. qu’avec la participation d’investisseurs locaux. Du point de vue helvétique, l’essor de Hong De plus, les banques qui ont des actionnaires Kong et de Singapour, devenus des centres fi- étrangers sont en partie défavorisées par rapport nanciers internationaux, est aussi particulière- aux concurrents locaux lors de l’octroi de licences ment intéressant. Si la grandeur des indicateurs et d’autorisations. En Chine, par exemple, la part financiers de la Chine, de l’Inde et du Japon de marché des banques étrangères est inférieure n’étonne guère au regard de leur population, de à 1 % et évolue à la baisse depuis des années. Dans leur performance économique et de la concen- le secteur assurantiel, elle reste constante à 4,5 % tration du marché, Hong Kong et Singapour se depuis longtemps. En outre, seulement 2 % des démarquent par leur spécialisation très aiguisée actions chinoises sont en possession d’investis- dans le secteur des services financiers. Ces deux seurs étrangers, un pourcentage qui est encore États se situent sur de grands axes du commerce plus bas pour les obligations. international, sont stables, disposent d’institu- Malgré cela, les grandes banques et les tions fortes et de systèmes juridiques rigoureux, grandes compagnies d’assurance suisses ainsi que d’une main-d’œuvre hautement quali- gagnent actuellement un franc sur six en Asie, fiée – des caractéristiques qui ne sont pas sans et elles y emploient 15 % de leur personnel. Sin- rappeler celles de la Suisse. gapour et Hong Kong leur servent de tremplin pour accéder aux grandes économies régionales. Des obstacles conséquents À l’inverse, les établissements financiers asiatiques ont jeté des têtes de pont en Suisse, La place financière helvétique participe à la qui accueille 16 banques d’origine asiatique. De- croissance des grandes économies asiatiques. puis l’ouverture en 2016 d’une représentation de L’accès à ces marchés reste toutefois semé d’em- la China Construction Bank (CCB) à Zurich, il est bûches. Les revenus des services financiers (sans possible d’effectuer des paiements en renminbis les assurances) provenant d’Asie n’ont ainsi en Suisse. Deuxième plus grande institution 1 BNS (2017), Balance représenté l’an dernier qu’environ 3 % de toutes chinoise, l’Industrial and Construction Bank des paiements de la les recettes étrangères dans la balance suisse (ICBC) a également ouvert cette année une filiale Suisse – Balance des transactions courantes. des paiements1. Près de 70 % de ces revenus pro- sur les bords de la Limmat. 16 La Vie économique 1–2 / 2019
L’ÉVÉNEMENT La diplomatie comme outil des domaines d’intérêt réciproque est également approfondie. Les discussions se concentrent Le Secrétariat d’État aux questions financières sur les développements du système financier internationales (SFI) s’engage en faveur des mondial, sur la politique en matière de marchés intérêts de la Suisse et de la place financière financiers, ainsi que sur le positionnement helvétique en Asie. Il met l’accent sur la prise dans les forums financiers internationaux. Ces en compte des normes internationales dans contacts bilatéraux sont par ailleurs l’occasion l’intégration régionale des marchés financiers, d’exprimer les préoccupations de l’industrie fi- la préservation de la stabilité financière face à nancière, en particulier en ce qui concerne l’ac- l’importance croissante des marchés asiatiques cès au marché et les conditions juridiques préva- pour le système financier mondial, ainsi que lant en Asie. Le chef du Département fédéral des l’amélioration des conditions cadres pour l’accès finances Ueli Maurer s’est ainsi rendu en Asie en au marché. avril 2017, accompagné par des représentants de Au niveau multilatéral, la Suisse est à la haut rang de la place financière helvétique, afin tête d’un groupe de vote au FMI qui compte de promouvoir la collaboration concrète tant au notamment les États d’Asie centrale, à savoir niveau étatique que de l’économie privée. l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le La Suisse soutient et participe à l’ouverture et Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan. à l’intégration des marchés financiers asiatiques Elle est également membre de la BAD et de l’AIIB. dans le système financier mondial. En dépit du L’année passée, elle a pris part au plus haut ni- récent regain de tendances protectionnistes, veau au premier « Belt and Road Forum » à Pékin. les marchés asiatiques s’efforcent de poursuivre La Suisse s’engage, aussi bien dans le cadre des leur politique d’ouverture et de récolter les fruits institutions financières traditionnelles (FMI et de la mondialisation. La Suisse s’engagera à Banque mondiale) qu’au sein des institutions l’avenir également pour qu’elle-même et sa place régionales (ADB et AIIB), pour que l’intégration financière puissent tirer parti des opportunités des marchés asiatiques en croissance soit le qui en découlent. résultat d’un processus ordonné et réponde à des normes strictes. La Suisse n’étant liée à aucun bloc géopolitique, elle peut intervenir de manière efficace et crédible. Au niveau bilatéral, la Suisse entretient un dialogue financier régulier avec les autorités partenaires en Chine, à Hong Kong, en Inde, au Japon et à Singapour. Ces contacts sont l’oc- Peter Stutz casion de procéder à des échanges de vues et Collaborateur scientifique, Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI), Berne d’expérience lors desquels la collaboration dans La Vie économique 1–2 / 2019 17
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