Les téléphones reconditionnés, c'est vraiment écolo, sauf si .
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Enquête — Quotidien Justine Guitton-Boussion (Reporterre) 18 mai 2021 Les téléphones reconditionnés, c'est vraiment écolo, sauf si.... Les smartphones d’occasion remis à neuf permettent de limiter le gas- pillage. Ils le sont davantage lorsque les appareils sont collectés, réparés et vendus en France. Mais le gouvernement agit peu pour favoriser ces entre- prises locales. Saint-Mathieu-de-Tréviers (Hérault), reportage D’une main experte, Sergey désosse un iPhone X. Ses outils : plu- sieurs petits tournevis, un cutter, une pince à épiler et une brosse à dents. Sa mission : changer les pièces défectueuses du smart- phone. Avec des gestes d’une précision chirurgicale, le technicien remplace la grille du haut-parleur puis l’écran LCD. Une fois son travail achevé, le téléphone est comme neuf, prêt à être revendu. Cette scène se répète chaque jour dans cet atelier de 6 000 m² situé à Saint-Mathieu-de-Tréviers, près de Montpellier (Hérault). En 2017, les cadres de Sofi Groupe — spécialisé depuis 1986 dans la maintenance électronique d’appareils de télécommunication — ont décidé de réorienter l’entreprise vers une activité de reconditionnement. Autrement dit : la collecte de téléphones d’occasion, leur re- mise en état, puis leur revente. La marque Smaaart était née. "Nous sommes des mécaniciens de matériels télécoms, on suit leur évolution depuis trente-cinq ans, dit Jean-Christophe Estoudre, président de Sofi Groupe. On a connu les téléphones à cadran, le Minitel, les por- tables et maintenant les smartphones reconditionnés." Chez Smaaart, toutes les étapes du reconditionnement sont réalisées au même endroit. Chaque ma- tin, un camion livre des centaines de smartphones, achetés "à 75 % en France", auprès de particuliers, d’opérateurs téléphoniques, d’entreprises et de constructeurs. Une fois dans les locaux de Saint-Ma- thieu-de-Tréviers, les téléphones passent de main en main. Carole ouvre les cartons et efface les données personnelles présentes sur les appareils ; Philippe les inspecte un par un et leur attribue une note esthétique ; Émilie leur fait subir un contrôle technique pour identifier des pannes éven- tuelles ; et selon celles-ci, les smartphones sont dirigés vers des techniciens comme Sergey. Une fois les dysfonctionnements réglés, Margot vérifie le produit fini et lui donne une note globale. Le smartphone est alors mis en boîte et prêt à être expédié à son nouveau propriétaire. Chaque matin, des centaines de smartphones d’occasion sont livrés à l’atelier de recondition- nement de Smaaart. Depuis leur apparition au début des années 2010, la consomma- tion de téléphones reconditionnés s’est démocratisée. En 2020, 2,6 millions d’entre eux ont été vendus en France, contre 16 mil- lions de neufs. L’écart entre les deux marchés reste grand, mais les ventes de smartphones reconditionnés ne cessent de croître : 1 sur 6
elles étaient en hausse de 4 % par rapport à l’année précédente en 2019, et ont même connu une augmentation de presque 20 % en 2020. D’après une étude menée en octobre 2020 par l’institut Ifop et la marque Smaaart, 60 % des Français ont acheté ou ont l’intention d’acheter un smartphone reconditionné. Parmi les motivations avancées par les consommateurs, on retrouve l’argument écologique : un téléphone remis à neuf serait forcé- ment "meilleur pour la planète" qu’un smartphone neuf. Mais est-ce réellement le cas ? 75 % de l’impact écologique d’un smartphone est lié à sa fabrication "La réponse est clairement oui,” affirme Erwann Fangeat, ingénieur au sein de la direction économie circu- laire et déchets de l’Agence de la transition écologique (Ademe). “75 % de l’impact écologique d’un smart- phone est lié à sa fabrication, donc acheter un téléphone qui a déjà été fabriqué fera un différentiel écolo- gique très important." Les chiffres disponibles sont éloquents : d’après une analyse réalisée par l’entreprise de recondition- nement Recommerce, un téléphone neuf émettrait sur toute sa vie 56 kilogrammes de CO2 (78 % à cause de la production, 18 % pour l’utilisation, 3 % pour le transport et 1 % pour le recyclage), tandis qu’un appareil reconditionné en émettrait seulement 9 kg (production 11 %, utilisation 22 %, transport 56 %, recyclage 11 %). En outre, un téléphone neuf nécessiterait l’extraction de 44 kg de matières premières primaires1, contre 4 à 10 kg pour un appareil reconditionné. Pour réparer les téléphones, les techniciens utilisent des pièces neuves achetées en Asie, voire quand cela est possible des pièces d’occasion récupérées sur d’autres produits. Un smartphone neuf nécessiterait l’extraction de 44 kg de matières premières primaires, contre 4 à 10 kg pour un modèle reconditionné. L’Ademe prépare une analyse du cycle de vie des smartphones, qui permettra de comparer plus précisément l’utilisation d’un télé- phone neuf à celle d’un reconditionné. Les résultats sont attendus au mois d’octobre. Pour l’heure, les données disponibles ne laissent pas de place au doute : oui, un téléphone reconditionné est une alternative écologique au neuf. Surtout à une époque où le numérique prend de plus en plus de place dans les émissions de gaz à effet de serre de la France. Selon un rapport du Sénat, à politique constante, la part du numé- rique atteindra 6,7 % des émissions en 2040, contre 2 % en 2019. "Si le téléphone est reconditionné à l’étranger, l’argument écologique est faussé" Toutefois, certains appareils reconditionnés semblent "plus écologiques" que d’autres. Tout dépend de l’origine du smartphone (a-t-il été collecté en France ou à l’autre bout du monde ?) et de son lieu de reconditionnement. "Tous les produits que nous récupérons sont reconditionnés dans nos locaux à Lyon, puis envoyés à notre centre logistique à Arnas [Rhône], qui s’occupe de la revente”, dit Lucas Kaiser, chargé de communication de 1 Pour fabriquer un smartphone actuellement, plusieurs types de matières premières sont nécessaires : des métaux ferreux et non ferreux comme l’aluminium et le cuivre ; des métaux précieux comme l’or, le platine ; des métaux rares (appelés "terres rares") et d’autres sub- stances telles que le magnésium, le lithium, etc. 2 sur 6
la plateforme française de revente e-Recycle. “Nous essayons de limiter les intermédiaires pour éviter une empreinte carbone de transport excessive. C’est un des enjeux majeurs du secteur du reconditionné : très souvent, cela se fait à l’étranger, là où la main-d’œuvre est moins chère, donc l’argument écologique est faussé. C’est dur de dire qu’on limite notre impact alors que le téléphone fait plusieurs fois le tour du monde." D’autres entreprises sont basées en France, mais travaillent avec des usines d’autres pays. Le groupe Recommerce notamment, pionnier du secteur du reconditionnement, rachète des téléphones, les teste, puis les envoie en fonction du diagnostic dans des ateliers de réparation à Dijon, en Nor- mandie, à Genève (Suisse) ou encore en Roumanie. "On a un positionnement un peu spécifique, on ne cherche pas à tout faire nous-mêmes”, explique Benoît Varin, cofondateur de Recommerce. “Nous sommes une plateforme qui couvre toute la chaîne de valeur en passant par les meilleurs partenaires à chaque étape." Toutes ces entreprises, quel que soit leur modèle, vendent leurs produits reconditionnés dans la grande distribution, sur leur site internet, ou via de grandes "places de marché" en ligne, comme Amazon, Alibaba, ou Back Market pour la France. Le site travaille avec "1 500 reconditionneurs partenaires" venus du monde entier. "Il y a plein d’acteurs différents dans cet écosystème”, décrit Vianney Vaute, cofondateur de Back Market. “On a des ateliers de reconditionnement, du tout petit atelier avec trois salariés, aux usines beaucoup plus dimensionnées. On travaille aussi avec des brokers [intermédiaires entre un acheteur et un vendeur] qui vont racheter des produits reconditionnés, les vérifier, mais ne seront pas forcément en mesure de les répa- rer." La "place de marché" française Back Market propose des smartphones reconditionnés, vendus par des partenaires locaux mais aussi par des usines étrangères. Le site affiche depuis quelques mois le pays d’origine du recondi- tionneur d’un produit, et garantit que tous les partenaires res- pectent les mêmes règles de réparation, de sérieux et de garan- ties. "Ce n’est pas avec les centaines de marchands français, même mis bout à bout, qu’on peut créer une alternative massive aux téléphones neufs, sur tous les produits, toutes les références, tout au long de l’année”, justifie Vianney Vaute. “On ne peut le faire qu’en créant des fédéra- tions bien plus larges." "Si vous achetez un téléphone reconditionné fait en Chine, sur Amazon ou Alibaba, il n’est pas impossible que le produit soit envoyé en fret express par avion, ce qui n’est évidemment pas du tout écolo — même si les émissions dues à la fabrication du téléphone sont bien plus lourdes que celles du transport”, rappelle Alma Dufour, chargée de campagne surproduction et surconsommation pour l’association Les Amis de la Terre. “Et on n’a aucune traçabilité sur ce qu’est le reconditionné en Chine : on ne sait pas si ce sont des téléphones neufs tombés du camion, s’ils ont changé des pièces ou non." 3 sur 6
D’où le besoin pour les consommateurs (comme pour les reconditionneurs français, qui dénoncent une concurrence déloyale) d’aller vers une labellisation officielle, avec un cahier des charges spéci- fique. "Le secteur peut très bien couler dans les quatre mois qui arrivent" Mais pour le moment, l’État ne semble pas soutenir le développement de la filière du reconditionné en France. Quelques "bonnes mesures" sont saluées par les entreprises, comme la création en 2021 d’un indice de réparabilité sur les produits neufs (ce qui pousse les constructeurs à améliorer leurs pratiques, et facilite le travail des reconditionneurs en bout de chaîne), ou l’ambition d’atteindre l’achat de 20 % de matériel reconditionné dans les commandes publiques. "C’est un objectif ambitieux”, approuve Jean-Christophe Estoudre, président de Sofi Groupe. “On échange actuellement avec les acheteurs du secteur public pour les éduquer, leur expliquer comment rédiger un appel d’offres pour inclure le reconditionné, par exemple. Il y a encore une vraie éducation à faire vis-à-vis des consommateurs, le public n’est pas du tout habitué." Les reconditionneurs saluent quelques "bonnes mesures" du gouvernement français, comme l’objectif de 20 % de matériel reconditionné dans les commandes publiques. Mais ils demandent davantage d’efforts pour le développement de la filière. Mais dans le même temps, certains reconditionneurs français cri- tiquent la politique de l’État. Ils aimeraient que les pouvoirs publics mettent en place une définition officielle du reconditionné et une labellisation des entreprises. Ils plaident aussi pour que le gouver- nement impose aux constructeurs une éco-conception des pro- duits (pour faciliter la réparation), un moindre prix des pièces déta- chées (qui coûtent actuellement très cher) ou encore un pourcentage de matières recyclées à inclure dans les smartphones neufs. "L’enjeu, c’est de réussir à viabiliser un modèle économique avec des emplois à clé qui se développent en France”, dit Benoît Varin, le cofondateur de Recommerce également président de RCube, une fédération de professionnels du réemploi et de la réparation. “Aujourd’hui, le modèle économique peut être balayé d’un revers de la main, et c’est bien ce qui pourrait arriver dans les prochains mois." Le gouvernement voudrait en effet faire payer deux fois aux consommateurs de smartphones recon- ditionnés la "redevance copie privée". Celle-ci, collectée par la société Copie France, s’applique actuelle- ment sur tous les produits électroniques neufs (téléphones, ordinateurs, tablettes, etc.) qui sont sus- ceptibles d’enregistrer (et donc copier illégalement) un contenu culturel. Au lieu de considérer que la redevance a déjà été payée au moment de la première vente d’un smartphone, Copie France voudrait qu’un téléphone reconditionné soit taxé lui aussi, jusqu’à 14 euros. "Cette redevance peut mettre à genoux le secteur,” prévient Benoît Varin. “Si on augmente de 14 euros nos prix, les gens vont se dire “À ce prix-là, autant acheter du neuf”. Ce sera très difficile de rester com- pétitifs, le secteur peut très bien couler dans les quatre mois qui arrivent." Le sénateur Patrick Chaize (Les Républicains) a déposé un amendement, lors de l’examen en jan- vier 2021 de la proposition de loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique, vi- sant à exclure explicitement les produits reconditionnés de cette redevance. Le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, Cédric O, a émis un avis défavorable. 4 sur 6
"Les produits reconditionnés en Europe ont déjà été soumis à la taxe, mais les produits reconditionnés et ré- importés depuis l’Asie ne l’ont jamais acquittée, puisqu’ils n’ont pas été acquis une première fois, dans leur état neuf, sur notre continent", a-t-il expliqué. Les reconditionneurs espèrent que cet amendement passera l’épreuve de l’examen du texte de loi en commission à l’Assemblée nationale, à partir du 25 mai — même si les députés La République en marche (LREM) y sont majoritaires, contrairement au Sénat. Ils ont lancé une pétition. Pour que le smartphone reconditionné continue d’être une réelle alternative écologique à la pollution numérique, les pouvoirs publics vont donc devoir agir pour maintenir — voire développer — le sec- teur en France, et éviter une appropriation des entreprises étrangères. "Mais le secteur du reconditionnement ne pourra pas régler à lui tout seul le problème de l’impact clima- tique colossal de l’électronique”, rappelle toutefois Alma Dufour, des Amis de la Terre. “La pollution vient majoritairement de la production de téléphones neufs ; les constructeurs devraient baisser leur nombre de mises en marché. Mais si on passe prochainement à la 5G et que tout le monde veut remplacer son télé- phone pour l’avoir, cela va devenir très compliqué." Le trajet d’un téléphone reconditionné en images : Chaque matin, des centaines de smartphones d’occasion Première étape : tous les smartphones sont branchés, Les smartphones sont ensuite systématiquement connec- sont livrés à l’atelier de reconditionnement pour pouvoir les tester par la suite. tés à un ordinateur, muni d’un logiciel Les produits subissent un contrôle de leur aspect esthé- Vient ensuite le contrôle des fonctionnalités. Ici, une tech- On teste chaque fonctionnalité une par une, pour identifier tique : selon leurs défauts (cassures, rayures…) nicienne teste la qualité du son du haut-parleur les pannes potentielles et les pièces à changer. Les téléphones sont ensuite triés selon leur type et leur Le plus souvent, les techniciens sont formés pour réparer Les salariés ont une multitude d’outils à leur disposition nombre de pannes. un type précis de panne, ou une marque en particulier. pour réparer les smartphones. 5 sur 6
S'il faut changer une pièce défectueuse, on peut la rem- Les techniciens peuvent aussi remplacer une pièce Si un téléphone est trop vieux ou en trop mauvais état placer par une pièce neuve, d’origine ou compatible, défectueuse par une pièce d’occasion en bon état, pour être reconditionné, il est démonté et ses pièces sont venue d’Asie. Ces petites pièces ne sont pas fabriquées récupérée sur un autre téléphone. Elles sont gardées envoyées dans différentes filières de recyclage en France. en France. précieusement dans un "magasin" au centre de l’usine. Une fois les pannes réparées, le smartphone est contrôlé Le produit est ensuite mis en boîte et prêt à être envoyé à La "place de marché" française Back Market propose des une dernière fois sur son aspect esthétique et sur ses son nouveau propriétaire. smartphones reconditionnés, vendus par des partenaires fonctionnalités. Une note finale lui est attribuée. locaux mais aussi par des usines étrangères. Jean-Christophe Estoudre, président de Sofi Groupe Un smartphone neuf nécessiterait l’extraction de 44 kg de Les reconditionneurs saluent quelques "bonnes mesures" (marque Smaaart). matières premières primaires, contre 4 à 10 kg pour un du gouvernement français, comme l’objectif de 20 % de modèle reconditionné. matériel reconditionné dans les commandes publiques. Mais ils demandent davantage d’efforts pour le dévelop- pement de la filière. Précisions Source : Justine Guitton-Boussion pour Reporterre Photos : © David Richard/Reporterre Après cet article Quotidien - Contre l’obsolescence des smartphones et des machines à laver, l’indice de réparabilité devient obligatoire 6 sur 6
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