Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma

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Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
LE MENSUEL

                         Les Étendues
                         imaginaires
MARS 2019

                         Rencontre avec Yeo Siew Hua
                         Dernier amour de Benoît Jacquot
                         C’est ça l’amour de Claire Burger
                         Heart of a Dog de Laurie Anderson
•

                         M de Yolande Zauberman
                         McQueen de Ian Bonhôte et Peter Ettedgui
#3

                         Entretien avec Çagla Zencirci et
                         Guillaume Giovanetti pour Sibel
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
SOMMAIRE
                   FILMS DU 6 MARS 2019
A Kind of Magic de Neasa Ní Chianáin et David Rane   HHH
A Thousand Girls Like Me de Sahra Mani               HHH
Bêtes blondes de Alexia Walther et Maxime Matray     HH
Captain Marvel de Anna Boden et Ryan Fleck           HH
Le Cochon, le renard et le moulin de Erick Oh        HHH
Damien veut changer le monde de Xavier de Choudens   HH
Dans les bois de Mindaugas Survila			                HH
Les Étendues imaginaires de Yeo Siew Hua             HHH
Rencontre avec Yeo Siew Hua
Exfiltrés de Emmanuel Hamon		                        HH
Funan de Denis Do			                                 HHH
Maguy Marin : L’Urgence d’agir de David Mambouch     HH
Le Mystère Henri Pick de Rémi Bezançon               HHH
Nos vies formidables de Fabienne Godet               HHH
On ment toujours à ceux qu’on aime de Sandrine Dumas m
Sibel de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti      HHH
Rencontre avec Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Stan & Ollie de Jon S. Baird		                       HH

                  FILMS DU 13 MARS 2019
Aïlo de Guillaume Maidatchevsky		                          HH
Depuis Mediapart de Naruna Kaplan de Macedo                HHH
Dragon Ball Super : Broly de Tatsuya Nagamine              HHH
McQueen de Ian Bonhôte et Peter Ettedgui                   HHH
Ma vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan                H
Meltem de Basile Doganis		                                 HH
Mon bébé de Lisa Azuelos			                                H
La Petite fabrique de nuages Film collectif                HH
Quand je veux, si je veux de Susana Arbizu, Henri Belin,
Nicolas Drouet et Mickaël Foucault                         HHH
Rebelles de Allan Mauduit			                               HH
Rosie Davis de Paddy Breathnach		                          HH
Les Témoins de Lendsdorg de Amichai Greenberg              HH
Teret de Ognjen Glavonic			                                HH
We the Animals de Jeremiah Zagar		                         HHH
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
FILMS DU 20 MARS 2019
Cómprame un revólver de Julio Hernández Cordón      HH
Le Corps sauvage de Cheyenne-Marie Carron           HH
Dernier amour de Benoît Jacquot		                   HHHH
Entre les roseaux de Mikko Makela			                H
#Female Pleasure de Barbara Miller			               HH
L’Homme qui a surpris tout le monde
de Natasha Merkulova et Aleksey Chupov			           HHH
Leur souffle de Cécile Besnault et Ivan Marchika    HH
M de Yolande Zauberman			                           HHH
Qui m’aime me suive ! de José Alcala		              HH
Résistantes de Fatima Sissani			                    HHH
Le Rêve de Sam Film collectif 			                   HHH
Sauvages de Dennis Berry			                         H
Sunset de László Nemes		                            H
Les Yeux de la parole
de David Daurier et Jean-Marie Montangerand         H

                   FILMS DU 27 MARS 2019
Boy Erased de Joel Edgerton			                      HH
La Cacophonie du Donbass de Igor Minaev             HHH
C’est ça l’amour de Claire Burger		                 HHH
Compañeros de Álvaro Brechner		                     HH
Gentlemen cambrioleurs de James Marsh               H
Heart of a Dog de Laurie Anderson		                 HHH
Love, Cecil de Lisa Immordino Vreeland		            HHH
Mon meilleur ami de Martín Deus			                  HH
Ne coupez pas ! de Shin’ichirô Ueda			              HHH
La Section Anderson de Pierre Schoendoerffer		      HHH
Sergio & Sergeï de Ernesto Daranas Serrano		        HH
Still Recording de Saeed Al Batal et Ghiath Ayoub   HHH
Styx de Wolfgang Fischer			                         H
Synonymes de Nadav Lapid			                         HH
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
LES FICHES DU CINÉMA
                                                                                                                       ÉDITO
26, rue Pradier
75019 Paris

                                                                 Netflix : faire avec ou sans ?
Administration & Rédaction :
01.42.36.20.70
Fax : 09.55.63.49.46
..............................................................   Aux Fiches, nous n’avons pas qu’à résoudre des problèmes
RÉDACTEUR EN CHEF                                                financiers structurels et conjoncturels, la question de notre survie
Nicolas Marcadé
                                                                 n’a pas totalement ankylosé nos neurones. Nous avons également à
redaction@fichesducinema.com
RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT                                        répondre à des questions nouvelles, des choix à faire, des décisions
Michael Ghennam                                                  à prendre - et qui sait ? - des virages à négocier peut-être. Pour
michael@fichesducinema.com                                       une revue comme la nôtre, dont l’exhaustivité est la religion
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
                                                                 - la salle et rien que la salle ! - la montée en puissance d’un acteur
Thomas Fouet
thomas@fichesducinema.com                                        tel que Netflix nous amène à réinterroger notre posture critique et,
..............................................................   plus largement, notre cinéphilie, à repenser ses socles,
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO                                        à savoir le grand écran d’une part, les films partagés en commun de
François Barge-Prieur, Michel Berjon,
                                                                 l’autre. Naturellement, nous pourrions faire la sourde oreille. Mais il
Simon Blondeau, Isabelle Boudet,
Sarah Brunelière, Jef Costello,                                  nous paraît chaque mois plus douloureux de ne rien écrire quand les
Isabelle Danel, Clément Deleschaud,                              œuvres de cinéastes comme Joel & Ethan Coen, Steven Soderbergh,
Florian Fessenmeyer, Thomas Fouet,                               Alfonso Cuarón, J.C. Chandor, Paul Greengrass, Julian Schnabel,
Margherita Gera, Michael Ghennam,
                                                                 Noah Baumbach, Dan Gilroy, Martin Scorsese et nombre à venir
Mehdi Haddou, Roland Hélié, Simon
Hoareau, Aude Jouanne, Cyrille                                   assurément, échappent au périmètre qu’en d’autres temps notre
Latour, Amélie Leray, Julie Loncin,                              revue a dessiné. On pourrait s’arc-bouter et reprocher
Jacques-Antoine Maisonobe, Nicolas                               à ces cinéastes comme le fait l’AFCAE à travers la voix de François
Marcadé, Keiko Masuda, Sulamythe
                                                                 Aymé, son président, dans une tribune qu’a publiée Le Monde,
Mokounkolo, Marion Philippe, Marine
Quinchon, Gaël Reyre, Chloé Rolland,                             de se laisser griser par les trompeuses sirènes de cette nouvelle
Louis Roux, David Speranski, Gilles                              puissance de production, de trahir les réseaux d’exploitants qui
Tourman, Marie Toutée, Valentine                                 les ont soutenus jusque-là. Ce serait mal connaître les cinéastes,
Verhague, Nathalie Zimra.
                                                                 tourner et réaliser est une obsession légitime, comment ne pas
Les commentaires des «Fiches»
reflètent l’avis général du comité                               le comprendre. Qui aurait à cœur d’admonester tel ou tel cinéaste
..............................................................   d’autrefois d’avoir cédé à la puissance des studios ? Les films se
PRÉSIDENT                                                        faisaient, voilà tout. Et bien souvent, ils étaient bons, “ils éclataient
François Barge-Prieur
                                                                 de beauté” comme l’écrivait Nicolas Marcadé voici peu. On ne
ADMINISTRATRICE
Chloé Rolland                                                    saurait passer sous silence cependant que le cas Netflix relève
administration@fichesducinema.com                                d’un débat spécifiquement franco-français dû, pour l’essentiel,
TRÉSORIER                                                        à ce qu’on appelle la chronologie des médias. Initialement conçue
Guillaume de Lagasnerie
                                                                 pour protéger la salle et les exploitants, elle s’est muée en
Conception Graphique
5h55                                                             un piège en passe précisément de se refermer sur eux. Des pièges,
www.5h55.net                                                     ils peuvent en sortir, c’est loin d’être le premier qui leur est tendu,
IMPRESSION                                                       leur vitalité le leur a toujours permis. En attendant, pour en finir
Compédit Beauregard
                                                                 avec cette frustration dans nos pages, deux voies s’offrent à nous :
61600 La Ferté-Macé
Tél : 02.33.37.08.33                                             considérer ces films comme des annexes ou des “curiosa”, de sales
..............................................................   petits secrets d’alcôve, des bonus cachés d’œuvres déjà existantes
DÉPÔT LÉGAL                                                      dont nous choisirions de ne circonscrire les appréciations critiques
Mars 2019
                                                                 qu’à notre seul site, ou comme des œuvres appelées à forcer
COMMISSION PARITAIRE
0320 G 86313 - ISSN 0336-9331                                    la porte de cette exhaustivité rappelée plus haut, à légitimer par
«Les Fiches du Cinéma».                                          voie de conséquence un traitement analogue à tous les autres films
Tous droits réservés.                                            - éventualité inévitable dès lors que Netflix commencerait à produire
Toute reproduction même partielle des
                                                                 et révéler de nouveaux talents de cinéastes - auquel cas nous
textes est soumise à autorisation.
Photo de couverture :                                            nous sentirions tenus de leur consacrer autant de pages de notre
Les Étendues imaginaires                                         mensuel que nécessaire. Mais si nous commençons à ouvrir notre
(Épicentre Films)                                                champ d’action au-delà des sorties en salle, combien de temps
© Épicentre Films
                                                                 le principe d’exhaustivité restera-t-il tenable ? Débat à suivre donc…
WWW.FICHESDUCINEMA.COM
                                                                                                                            ROLAND HÉLIÉ
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
A Kind of Magic Une année pour grandir (In loco parentis)
de Neasa Ní Chianáin et David Rane

En Irlande, l’école de Headford, dernier internat                                                                      DOCUMENTAIRE
                                                                                                                   Adultes / Adolescents
primaire du pays, repose sur une pédagogie
alternative. Parmi les enseignants, John et Amanda                        u GÉNÉRIQUE
Leyden, un couple au seuil de la retraite. Un documentaire                Images : Neasa Ní Chianáin Montage : Mirjam Strugalla Musique :
émouvant et - c’est le cas de le dire - instructif.                       Eryck Abecassis Son : David Rane Production : Soilsiu Films et
                                                                          Grismedio Producteurs : David Rane, Angelo Orlando, Montse
                                                                          Portabella et Efthymia Zymvragaki Distributeur : Docks 66.

                                                          © Docks 66

                                                                                      99 minutes. Irlande - Espagne, 2016
   HHH       Premier documentaire cinéma du duo Neasa                                    Sortie France : 16 janvier 2019
Ní Chianáin et David Rane, A Kind of Magic a connu
un véritable engouement en festivals avec plus de                         qui vit peut-être là sa dernière année avant la retraite,
80 sélections avec son actif, parmi lesquelles Amsterdam                  et après 46 ans d’activité. Une décision qui tourmente
et Sundance. C’est à travers le regard de deux professeurs                John et Amanda, lesquels n’ont connu que cet amour
à l’humour british bien trempé, John et Amanda Leyden,                    réciproque pour Hadford et ses élèves. Néanmoins,
que l’internat irlandais nous est présenté ; un cadre                     cela n’impacte en rien leur façon de faire : toujours
qui a de quoi émerveiller, par le charme de la campagne qui               à l’écoute et soucieux du bien-être des enfants,
l’environne, et par l’architecture quelque peu particulière               ils dédient tout leur temps, et toute leur énergie,
- proche de celle d’un château - de l’école. Celle-ci repose              à transmettre leur savoir. En cours, on aborde aussi
sur des valeurs d’enseignement singulières, et met en avant               la question du vivre-ensemble : vous en pensez quoi,
une pédagogie dite alternative : bien qu’il y ait des cours               de l’homosexualité ? Et du mariage homosexuel ?
de mathématiques ou de français, la liberté est de mise :                 Les réactions sont divisées, mais jamais tranchées :
au lieu d’imposer aux enfants un programme scolaire                       les enfants font preuve d’une intelligence rare,
très cadré, les enseignants les invitent à partager leurs                 d’une curiosité précieuse et d’une ouverture d’esprit
envies. Il leur revient même de choisir quels livres vont                 qui leur permet d’échanger dans le calme et le respect.
être rangés en classe, ou s’ils ont plutôt envie de faire                 L’une d’elle semble clore le débat par une phrase
du théâtre, du chant, de la musique, du sport... L’école                  à la fois naïve et touchante d’humanisme : “Parfois,
propose beaucoup de temps libres, afin que chacun puisse                  c’est mieux d’être gay que d’être célibataire”. Utilisés
s’exprimer et échanger, tout en apprenant les valeurs                     comme fil rouge, certains enfants sont présents
du respect, du partage et de la créativité. Pour ce qui est               tout au long du film, on peut alors peut constater
du contenu des cours, quitte à les initier à la littérature,              leur évolution, à commencer par celle d’Eliza, d’abord
Amanda Leyden fait la lecture du Club des Cinq. De son                    peu épanouie, très renfermée sur elle-même.
côté, John choisit le jeu pour tester la culture générale de              Et pourtant, à la fin de l’année, elle retrouve
ses élèves - avec des bonbons à la clé : en formant deux                  le sourire et remporte tous les prix d’excellence :
équipes, les enfants s’amusent en s’instruisant et apprennent             une réussite qui réchauffe le cœur. Dans ce
à travailler ensemble. Mais A Kind of Magic ne se limite                  documentaire, personne ne s’adresse à la caméra ni
pas la présentation d’une année en école alternative : par                ne justifie sa méthode d’enseignement : les images
le biais d’une double narration, le film rend également                   parlent d’elles-mêmes et pour eux. Un vrai rayon de
compte d’une période difficile pour le couple d’enseignants,              soleil, dont on ressort heureux et léger. _F.F.

                       Visa d’exploitation : 150156. Format : 1,77 - Couleur - Son : Dolby SRD. 20 copies (vo).

                                                                  5                                               © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
A Thousand Girls Like Me (A Thousand Girls Like Me)
de Sahra Mani

Victime d’inceste paternel, une jeune Afghane décide                                                                     DOCUMENTAIRE
                                                                                                                     Adultes / Adolescents
de porter l’affaire devant les tribunaux. Le film suit
pas à pas, avec tact et intensité, le long chemin                         u GÉNÉRIQUE
vers la reconnaissance de son statut de victime                           Avec : Khatera.
dans une société réticente et patriarcale.                                Scénario : Sahra Mani, Khosraw Mani et Olivier Trives Images :
                                                                          Sahra Mani Montage : Sahra Mani Musique : Élodie du Détroit,
                                                                          Jacobo Velez Mesa et Cyril Orcel Son : Hussain Kargar Production :
                                                                          BBD Films et Les Films du Tambour de Soie Coproduction :
                                                                          Afghanistan Doc House, Marmitafilms et First Hand Films
                                                                          Productrice : Nicole Levigne Distributeur : Bluebird Distribution.

                                                         © BBD Films

                                                                                    80 minutes. Afghanistan - France, 2017
  HHH         Khatera est une jeune afghane de 23 ans                                    Sortie France : 6 mars 2019
qui, sa vie durant, fut violée par son père jusqu’au jour
où elle décide de livrer son calvaire lors d’une émission                 femmes ne sont pas tirées d’affaire. Kathera donne
télévisée. Devant les caméras, elle ose évoquer une vie                   naissance à un fils, mais ne parvient pas à
faite de violences sexuelles, d’avortements successifs,                   l’abandonner. Tous quatre partent en vain à
et de brutalité masculine. Le retentissement est immédiat :               la recherche d’un lieu qui les protègerait du regard
les autorités afghanes incarcèrent le père. Nous faisons                  désapprobateur du voisinage. Les réseaux sociaux
connaissance avec Khatera, en attente des audiences                       perturbent la recherche de l’anonymat. Même si
préliminaires au procès. Elle est enceinte des œuvres                     la justice de son pays l’a reconnue comme victime
de son père, tenue de garder l’enfant comme preuve                        d’actes monstrueux, la société afghane considère
“à charge”, et vit recluse en compagnie de sa mère et de                  la souillure que porte la jeune femme comme
sa petite fille, qui est aussi sa sœur. Menacée de toutes                 indélébile. C’est ce que met en lumière avec
parts par ses oncles, incitée à se taire par ses jeunes frères,           force A Thousand Girls Like Me, film prenant par
condamnée pour crime moral par la société, Khatera tient                  son intensité, ses moments d’incertitudes et de
bon. Elle est conseillée par une avocate confiante en l’issue             tensions s’apparentant, sans dérive spectaculaire,
de l’affaire. La caméra de Sahra Mani accompagne la jeune                 à une forme de suspense. La réalisatrice a choisi
femme dans les actes de la vie quotidienne, moments                       d’aborder son sujet frontalement, dans toute
pendant lesquels elle raconte son histoire. Se dessine                    sa scandaleuse iniquité, quitte à être prise à
alors une vue en coupe de la société afghane d’essence                    partie par les protagonistes. Elle cadre avec tact
patriarcale et clanique. Les rues de Kaboul, personnage                   les moments d’intimité familiale, parfois apaisés,
à part entière du récit, sont arpentées par des hommes,                   comme les brusques accès de désarroi. La situation
jeunes ou vieux. Cette foule masculine est traversée de                   est suffisamment forte pour qu’il ne soit pas
rares fantômes drapés, quasi invisibles. L’influence de                   nécessaire d’en rajouter. Le parcours de Kathera
ce père monstrueux reste entière et se manifeste hors                     trouve une conclusion en demie teinte. Elle part
champ malgré son incarcération. Il exhorte les membres                    s’exiler en France, où elle vit aujourd’hui. Incapable
de sa famille à incendier la maison de Khatera, l’obligeant               d’affronter ses contradictions et le statut indigne
à des déménagements incessants pour lui échapper.                         réservé aux femmes, l’Afghanistan expulse le grain
Les autorités tiennent à faire de ce procès un exemple.                   de sable qui risquerait de gripper cette domination
Les juges condamnent le père à la peine capitale sans                     masculine. Ce document le montre avec force et
statuer sur son exécution. Malgré le verdict, les trois                   authenticité, sa pertinence est une évidence. _J.C.

                              Visa d’exploitation : en cours. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD.

                                                                  6                                                 © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
Bêtes blondes
de Alexia Walther et Maxime Matray

Comme un rêve éveillé, les aventures d’une ex-vedette                                                                  COMÉDIE ABSURDE
                                                                                                                      Adultes / Adolescents
de sitcom, d’un ange déchu et d’une tête dans un sac
se jouent dans un inédit registre dionysaco-poético-                     u GÉNÉRIQUE
marrant. Une bizarrerie pleine de rythme, de trouvailles,                Avec : Thomas Scimeca (Fabien), Basile Meilleurat (Yoni), Agathe
qui révèle l’univers singulier d’un duo à suivre.                        Bonitzer (Katia), Youssef Hajdi (Johann), Paul Barge (Ricky), Anne
                                                                         Rotger (Jacqueline), Bertrand de Roffignac (Lionel), Gaspard
                                                                         Delanoë (Michel), Lucille Guillaume (Claire), Harpo Guit (Erwan),
                                                                         Lenny Guit (Ronan), Alyzée Lalande (Corinne / Betty), Pierre
                                                                         Moure (Arnaud), Louise Ronk-Sengès (Sonia), Vanessa Bettane (la
                                                                         chasseuse), Margaux Fabre (la jeune conductrice), Akram Guellou
                                                                         (le vigile), Pascal Humbert (le chauffeur de taxi), Clémentine
                                                                         Kaul-Surdez (la petite fille), Romain Lacroix (l’officier), Hammoud
                                                                         Zouaghi (l’épicier), Mohammed Zeggaï (l’invité à la fenêtre), Coralie
                                                                         Russier (la barmaid), Emmanuel Rabita (l’homme au saumon),
                                                                         Saverio Maligno, Jean-Philippe M’Peng, Adrien Bardi, Sophia Djitli,
                                                                         Édouard Cabrera, Yannick Geiser, Vanessa Vicente, Kevin Sallibartan,
                                                                         François-Xavier Soupault, Pierre Destenave, Adrien Rob, Thomas
                                                                         Gendronneau, Stanislas Briche, Téo Fdida, Olivia Lioret.
                                                                         Scénario : Maxime Matray et Alexia Walther Images : Simon Beaufils
                                                                         Montage : Martial Salomon et Jeanne Sarfati 1er assistant réal. :
                                                         © Ecce Films    Kevin Soirat Son : Colin Favre-Bulle, Luc Meilland et Sébastien
                                                                         Pierre Décors : Barnabé d’Hauteville Costumes : Sabrina Violet
                                                                         et Adrien Genty Production : Ecce Films Producteur : Emmanuel
    HH        Un jeune homme endormi, une clairière,
                                                                         Chaumet Productrice exécutive : Mathilde Delaunay Dir. de
quelques notes de L’Après-midi d’un faune de Debussy...
                                                                         production : Louise Hentgen Distributeur : UFO Distribution.
Ces premiers plans bucoliques de Bêtes blondes sont
bien vite infléchis par un zoom qui dévoile des fruits pourris,                            102 minutes. France, 2018
et un endormi plus brun cracra que prince imberbe.                                         Sortie France : 6 mars 2019
Et comme le héros qui émerge dans le cadre au format 4/3,
                                                                         u RÉSUMÉ
on se demande où on est, et dans quel drôle de film on
                                                                         Fabien se réveille égaré en foret. Il arrive dans une maison
est allés se fourrer. Salué à la Semaine internationale de               en deuil et s’incruste à la cérémonie. Katia, une serveuse,
la Critique de la Mostra de Venise 2018, cet ovni est signé              reconnaît en Fabien l’ex-vedette de @Sois pas triste Patrice,
du duo franco-suisse Maxime Matray et Alexia Walther,                    une sitcom des années 1990. La famille doit enterrer le beau
venu des arts plastiques. Ils signent, la quarantaine passée,            Ricky. Alors qu’il va voir Ricky, mort décapité, il essaie de
un premier long métrage que l’on peut classer dans                       lui voler sa boucle d’oreille et la tête se détache. Arrive
la catégorie expérimentale, mais pas que. Car le récit offre             Yoni, le petit ami de Ricky. La famille le conspue et refuse
plusieurs niveaux de lecture qui font que l’on peut prendre              qu’il entre. Fabien l’aide alors à voir le mort en échange
                                                                         d’un trajet à Paris. Ils s’échappent en voiture, Yoni ayant
les aventures de Fabien et Yoni comme un road movie
                                                                         emporté la tête de Ricky dans un sac. Ils ont un accident.
déglingué, où deux anti-héros tentent d’échapper à leurs                 Sur une aire, ils se racontent.
poursuivants avec une tête dans un sac. Mais aussi, comme
                                                                         SUITE... Fabien évoque la mort de Corine, sa partenaire de
l’expliquent les deux auteurs dans leurs intentions, comme
                                                                         sitcom, dans un accident, alors qu’ils roulaient à moto. Mais
une épopée ultra référencée, inspirée par un vers d’Henri                ils se battent. Sur la route, Katia prend Fabien en stop, avec
Michaux, nourrie de pensée nietzschéenne, de références                  le sac. Il se réveille chez elle et révèle ne se souvenir de
à la télé des années 1990 comme aux vidéos des artistes                  rien. Katia le fait se changer en look “Patrice”, et essaie de
Paul Mc Carthy et Mike Kelley, sous l’influence scorsesienne             le faire tourner dans un film “coprophage”. Fabien s’enfuit
d’After Hours, dans une esthétique poético-trash à la Yann               avec la tête. De son côté, Yoni rejoint Paris et se rend au
Gonzalez... Alors, tout cela fait-il un film ? Eh bien oui !             Crachoir, bar dont lui avait parlé Fabien. Ce dernier n’a plus
Car forts d’un travail dense sur l’image, les couleurs et                la tête. Ils vont alors voir le président de son fan club, sorte
                                                                         d’oracle qui les dirige vers une serre. Là, ils ne trouvent rien.
le son, Matray et Walther créent un monde cohérent, qui
                                                                         Fabien renvoie Yoni chez lui puis se rend sur le mémorial
se tient et qui emporte. Loin d’une élucubration blagueuse,              dédié à Corine. Là, le fantôme de Corine lui rend la tête. Et
le film se demande “que faire pour vivre avec le souvenir de             le libère. Chez lui, l’attend un trio à qui il doit de l’argent.
la mort d’un proche”. Et y répond avec émotion, humour,                  Il leur cède la boucle d’oreille de Ricky. Yoni se réveille à
poésie et originalité. _I.B.                                             côté de la tête. Il part en moto avec la tête, jusqu’à la mer.

                         Visa d’exploitation : 142871. Format : 1,37 - Couleur - Son : Dolby SRD. 100 copies.

                                                                   7                                                 © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
Captain Marvel (Captain Marvel)
de Anna Boden et Ryan Fleck

Au milieu des années 1990, une guerre galactique fait                                                                         SUPER-HÉROS
                                                                                                                        Adultes / Adolescents
rage. Une jeune femme amnésique devient la clé du
conflit. Un scénario qui réserve de jolies surprises                       u GÉNÉRIQUE
et un duo de comédiens en forme : ça ne suffit pas à                       Avec : Brie Larson (Vers / Carol Danvers / Captain Marvel), Samuel
faire de Captain Marvel l’événement qu’il devrait être.                    L. Jackson (Nick Fury), Ben Mendelsohn (Talos / le directeur Keller),
                                                                           Jude Law (Yonn-Rogg), Annette Benning (l’Intelligence Suprême
                                                                           / le docteur Wendy Lawson), Lashana Lynch (Maria Rambeau),
                                                                           Djimon Hounsou (Korath), Lee Pace (Ronan l’Accusateur),
                                                                           Gemma Chan (Minn-Erva), Clark Gregg (Phil Coulson), Akira Akbar
                                                                           (Monica Rambeau), Algenis Pérez Soto (Att-Lass), Rune Temte
                                                                           (Bron-Char), McKenna Grace, London Fuller, Kenneth Mitchell,
                                                                           Colin Ford, Matthew Maher, Connor Ryan.
                                                                           Scénario : Anna Boden, Ryan Fleck et Geneva Robertson-Dworet,
                                                                           d’après une histoire de Nicole Perlman, Meg LeFauve, Anna
                                                                           Boden, Ryan Fleck et Geneva Robertson-Dworet D’après : le
                                                                           personnage de bandes dessinées de Roy Thomas et Gene Colan
                                                                           (1968) Images : Ben Davis Montage : Elliot Graham et Debbie
                                                                           Berman 1er assistant réal. : Lars P. Winther Musique : Pinar
                                                                           Toprak Son : Kyrsten Mate et David Acord Décors : Andy Nicholson
                                                                           Costumes : Sanja Hays Effets spéciaux : Dan Sudick Effets visuels :
                                                           © Walt Disney   Christopher Townsend Dir. artistique : Andrew Max Cahn Casting :
                                                                           Sarah Halley Finn Production : Marvel Studios Producteur : Kevin
                                                                           Feige Producteurs exécutifs : Louis D’Esposito, Victoria Alonso,
    HH        Chez Marvel, la première super-héroïne à avoir
                                                                           Jonathan Schwartz, Patricia Whitcher et Stan Lee Distributeur :
les faveurs d’un long métrage pour elle seule n’aura pas été
                                                                           The Walt Disney Company.
la Black Widow de Scarlett Johansson (introduite dans l’oubliable
Iron Man 2). Ni la Scarlet Witch d’Elizabeth Olsen (débarquée, elle,                       124 minutes. États-Unis, 2019
dans Avengers : L’Ère d’Ultron). C’est finalement une nouvelle                              Sortie France : 6 mars 2019
venue, Captain Marvel, qui a les honneurs d’une “genesis story”
                                                                           u RÉSUMÉ
(à la manière d’Iron Man ou de Doctor Strange) avant le grand
                                                                           1995. Sur Hala, la planète des Kree, Vers s’entraîne avec son
rassemblement d’Avengers : Endgame. Mi “buddy movie” - que                 mentor, Yon-Rogg. L’Intelligence suprême, qui dirige les Kree,
vient surligner l’ambiance années 1990 - mi space opera, ce                envoie Vers en mission avec Yon-Rogg et son groupe : ils
Captain Marvel entreprend de présenter Carol Danvers,                      doivent secourir un espion sur une planète occupée par
potentielle future figure clé d’une bande d’Avengers éreintée.             les Skrulls, une espèce polymorphe belliqueuse. Mais Talos,
La première incursion d’Anna Boden et Ryan Fleck - les auteurs             le leader des Skrulls, capture Vers. Il fouille son subconscient
du génial Half Nelson en 2006 - dans l’univers des super-héros             pour y trouver la localisation du réacteur supraluminique
laisse espérer un blockbuster qui prenne le risque d’être                  créé par Wendy Lawson, instigatrice du projet Pegasus. Vers
                                                                           se libère et fuit. Elle s’écrase sur la planète C-53 : la Terre.
différent... Le film tend plutôt à toucher aux limites du système
Marvel : le jeu des références apparaît à bout de souffle,                 SUITE... Vers fait équipe avec l’agent Fury, chargé d’enquêter,
la nostalgie nineties reste curieusement inexploitée, la mise en           pour échapper aux Skrulls. Talos se fait passer pour Keller,
                                                                           le directeur du SHIELD. Ils apprennent que Lawson est morte
scène est impersonnelle. Et l’humour ? Omniprésent, il peut
                                                                           en 1989, et que Vers était certainement à ses côtés... En
sonner creux comme faire mouche. Le scénario très rythmé                   Louisiane, ils interrogent Maria Rambeau, qui reconnaît Carol
semble avoir cristallisé les efforts de la production : se reposant        Danvers, sa meilleure amie et pilote de l’USAF comme elle, en
sur l’alchimie entre Brie Larson et un Samuel L. Jackson rajeuni           Vers. Talos fournit la preuve de la responsabilité de Yon-Rogg
par les miracles de la technologie, il réserve quelques belles             dans la mort de Lawson, en réalité Mar-Vell, une Kree. Parce
surprises en assumant - un temps seulement - de brouiller                  qu’elle souhaitait sauver les Skrulls de la violence de son
les cartes. Ce soupçon d’ambiguïté bienvenu, Boden et Fleck                peuple, Yon-Rogg l’avait abattu sous les yeux de Carol, qui avait
ne l’entretiennent malheureusement pas. On ne s’ennuie pas                 alors détruit le réacteur. Son corps avait absorbé l’énergie
                                                                           libérée… Carol, Fury et Maria décident d’aider Talos, et trouvent
une seconde, mais on ne sera jamais secoué par le féminisme
                                                                           le labo spatial de Mar-Vell. Là, Talos retrouve sa famille. Yon-
“light” de Carol, qui méritait d’afficher ses convictions avec plus        Rogg capture Carol, qui le neutralise et permet à ses amis
de fierté - et un film plus ambitieux en guise d’écrin. Ce sera            de retourner sur Terre. Elle met en déroute les Accusateurs
pour sa suite ? Car le véritable enjeu de ce Captain Marvel                de Ronan, et renvoie Yon-Rogg sur Hala avec un message
est de s’interroger sur l’avenir du MCU... _Mi.G.                          pour l’Intelligence suprême : elle va mettre fin à leur guerre.

                     Visa d’exploitation : 150402. Format : Scope & IMAX (2D / 3D) - Couleur - Son : Dolby SRD Atmos.

                                                                      8                                                © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
Le Cochon, le renard et le moulin (Pig : The Dam Keeper Poems)
de Erick Oh

Laissé seul sur une colline menacée par la pollution,                                                                         AVENTURES
                                                                                                                                  Enfants
un petit cochon fait face à ses premières découvertes
et angoisses. À mi-chemin entre le conte dystopique                       u GÉNÉRIQUE
et la fable écologique, l’œuvre d’Erick Oh ravit par                      Scénario : Erick Oh D’après : le court métrage The Dam Keeper de
son imagerie poétique et ses drôleries visuelles.                         Robert Kondo et Daisuke Tsutsumi (2014) Animation : Stéphanie
                                                                          Mercier, Sam Marin, Toshihiro Nakamura, Erick Oh et Toniko
                                                                          Pantoja Musique : Zach Johnston et Matteo Roberts Son :
                                                                          Hajime Takagi Production : Tonko House Producteurs : Robert
                                                                          Kondo, Daisuke “Dice” Tsutsumi et Daisuke ”Zen” Miyake Dir. de
                                                                          production : Courtney Lockwood Distributeur : Gebeka Films.

                                                        © Tonko House

   HHH        Tiré de l’univers de The Dam Keeper, court
métrage d’animation réalisé par Robert Kondo et Dice
Tsutsumi en 2014, Le Cochon, le renard et le moulin est
de ces œuvres qui rassemble et émeut les plus grands et                                    50 minutes. États-Unis, 2017
les plus petits. Constitué de dix chapitres, le film d’animation                            Sortie France : 6 mars 2019
épouse, dans un premier temps, les codes attendus du récit
                                                                          u RÉSUMÉ
initiatique. Non sans une belle fluidité, il narre entre autres
la naissance d’une amitié et la notion de solidarité. Mais                1. Cochon naît. Il grandit auprès de son père. Ce dernier
il aborde aussi l’inévitable question des responsabilités                 construit un moulin pour repousser un nuage sombre qui
                                                                          menace la colline. Un jour, le père part combattre le nuage,
- ainsi que la solitude que ces dernières impliquent.
                                                                          laissant Cochon s’occuper d’une fleur jaune.
En l’absence de son père, Cochon, le jeune héros, doit                    2. Cochon prend soin du moulin et de la fleur. Un poisson
en effet jongler entre les moments d’insouciance et son                   vole son arrosoir. À sa poursuite, Cochon rencontre Renard.
devoir de veilleur des brumes. Car non loin de son moulin,                3. La fleur est devenue un arbuste. Renard et Cochon sont
un nuage mortel menace la colline et ses habitants. Ce                    embêtés par une horde d’insectes.
lourd héritage, porté par de si petites épaules, nourrit alors            4. Cochon pique-nique et partage tout ce qu’il a avec
une gravité inattendue et offre au passage quelques tableaux              les autres animaux. Une famille de lions s’apprête à
poignants. À hauteur de son genre, le moyen métrage dresse                le manger. Cochon est sauvé par ses amis.
                                                                          5. Encouragé par Renard, Cochon découvre la baignade.
ensuite le constat d’une urgence climatique dont seul Cochon
                                                                          Craintif, il finit par plonger pour sauver son ami de
semble avoir conscience. Outre ses évidentes intelligence                 la noyade.
et acuité écologique, l’œuvre d’Erick Oh surprend par son                 6. Ayant chaud, Hippopotame tourne le moulin vers lui. Le nuage
exigence formelle. Puisant dans les excès et les limites de               noir envahit la colline, tuant la végétation. Trouvant le masque
l’anthropomorphisme, le réalisateur nous offre des trouvailles            de son père, Cochon sauve ses amis.
visuelles, où même la poésie se fait la représentation de                 7. Sur la colline, après la confusion, Cochon et ses amis
moments plus anxiogènes - le jeune Cochon luttant contre                  recherchent leurs queues.
un double maléfique ou encore le nuage noir avalant                       8. Sur sa balançoire, Cochon se met à rêver que son double
                                                                          géant, poussé par le nuage, détruit le moulin.
les jeunes animaux de la colline. Mais ces idées ne seraient
                                                                          9. L’hiver est là. Les animaux jouent en famille. Seul, Cochon
rien sans la finesse et la douceur des traits qui composent               attend son père. Renard lui tient compagnie.
les 31 000 photogrammes, tous peints à la main. Moins                     10. Le père de Cochon réapparaît. Père et fils construisent
anguleux mais tout aussi attachant que son modèle, le dessin              un plus grand moulin et un barrage contre le nuage. Le père
est un ravissement. À l’image de l’ensemble. _S.H.                        repart, laissant Cochon veiller sur la colline.

                          Visa d’exploitation : 150400. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 90 copies.

                                                                   9                                              © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires - Les Fiches du Cinéma
Damien veut changer le monde
de Xavier de Choudens

Doté de solides atouts et d’un sympathique casting                                                                      COMÉDIE SOCIALE
                                                                                                                      Adultes / Adolescents
habitué du genre, un “feel good movie” sincère
et bienveillant, au sujet brûlant d’actualité, mais                       u GÉNÉRIQUE
qui souffre d’un scénario trop manichéen et trop                          Avec : Franck Gastambide (Damien), Melisa Sözen (Salma), Gringe
poussif pour être pris au sérieux.                                        (Rudy), Camille Lellouche (Mélanie), Jessim Kas (Behzad), Youssef
                                                                          Hajdi (Marco), Bass Dhem (Souleman), Rémy Adriaens (Steve),
                                                                          Liliane Rovère (Madame Lopez), Patrick Chesnais (Vigo), Sébastien
                                                                          Chassagne (Vigo, jeune), Claire Chust (Carole), Tatiana Rojo (Rama
                                                                          N’Dongo), Roda Canioglu (Raissa Sakka), Anne Jacq (la présidente
                                                                          du tribunal), William Sciortino (l’agent de sécurité), Sarkaw Gorany
                                                                          (l’homme slave), Geoffrey De La Taille (le journaliste).
                                                                          Scénario : Xavier de Choudens et Charly Delwart Images : Pierre
                                                                          Aïm Montage : Sophie Reine et Thibaut Damade 1er assistant
                                                                          réal. : Sébastien Matuchet Scripte : Florence Mettler Musique :
                                                                          Sébastien Schuller Son : Gilles Vivier-Boudrier, Antoine Baudouin
                                                                          et François-Joseph Hors Décors : Christophe Couzon Costumes :
                                                                          Alice Cambournac Maquillage : Alice Robert Production : AGAT
                                                                          Films & Cie Coproduction : France 3 Cinéma, C8 Films et Apollo
                                                                          Films Producteurs : Muriel Meynard et Marc Bordure Dir. de
                                                                          production : Anaïs Ascaride Distributeur : Apollo Films.
                                                     © AGAT Films & Cie

    HH       Damien veut changer le monde, quatrième
long métrage de Xavier de Choudens, marque le passage
du réalisateur de Joseph et la fille (2009) à la comédie.
Une première remarquée puisque le film était présenté                                        99 minutes. France, 2018
en compétition au Festival de l’Alpe d’Huez, seul événement                                 Sortie France : 6 mars 2019
européen à mettre en avant la comédie au cinéma.
                                                                          u RÉSUMÉ
Absent du palmarès, Damien... a surtout été ovationné
                                                                          Enfants de grands militants de gauche, Mélanie est avocate
par le public. Le sujet du film, brûlant d’actualité, a en effet          d’affaire et Damien surveillant dans une école primaire.
de quoi séduire : pour renouer avec la fibre militante de                 Un jour, Damien doit rester avec Bahzad, un enfant dont
ses parents, Damien se lance à corps perdu dans                           la mère est en retard. Sur un malentendu, Damien l’emmène
la défense des droits des sans-papiers en formant                         à l’adresse qui lui a été donnée par son patron : c’est en
une communauté de pères de substitution. Un combat                        fait un commissariat. Bahzad prend peur et lui dit que sa
perdu d’avance pour son entourage, mais qui a le mérite                   mère et lui sont sans papiers. En voyant son fils, sa mère,
de donner un sens à la vie de ces hommes et de                            Selma, est furieuse. Damien cherche une solution pour
                                                                          se rattraper et les aider. Selma lui dit que le seul moyen
rendre hommage à la mère de Damien, brutalement
                                                                          de les aider est de reconnaître Bahzad. Après réflexion,
décédée lors d’une manifestation. S’il est impossible                     il accepte, malgré les réticences de son ami Rudy et de
de ne pas adhérer aux valeurs prônées par cette histoire,                 Madame Lopez, leur voisine retraitée. Plusieurs femmes
il est beaucoup moins évident d’apprécier la qualité                      sans papiers se présentent chez eux avec leurs enfants et
du film, qui disposait pourtant de solides atouts et                      demandent le même service...
d’un casting habitué du genre, Frank Gastambide en                        SUITE... Damien et Rudy recherchent alors de nouveaux
premier lieu. Mais les acteurs pataugent, englués dans                    “pères”. Selma trouve un nouvel emploi et entame
un scénario mièvre et bâclé dans lequel tout va trop vite,                une relation avec Damien, qui ne lui parle pas de ses
et qui n’échappe pas à quelques clichés raciaux. L’écriture,              activités. Lorsqu’il s’apprête à reconnaître une adolescente,
on le sent, est portée par une profonde sincérité mais                    le père débarque à la mairie et provoque une bagarre. Tout
se laisse guider par une vision trop manichéenne de son                   est découvert, y compris par Selma, qui rejette Damien.
                                                                          Mélanie aide tout le monde à se préparer pour le procès.
sujet, et rate les élans dramatiques du récit qui, dotés de
                                                                          Selma tente de fuir avec Bahzad, mais elle s’évanouit et ils
plus de subtilité, auraient pu nuancer l’ensemble. Damien                 sont transportés à l’hôpital. Ils se rendent au tribunal, où
veut changer le monde constitue un feel good movie                        elle annonce à Damien qu’elle est enceinte. Ils se marient
bienveillant et honorable mais bien trop poussif pour être                quelques mois plus tard… puis Damien est à nouveau par
pris au sérieux. _A.L.                                                    la police.

                          Visa d’exploitation : 148256. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 250 copies.

                                                                    10                                               © les Fiches du Cinéma 2019
Dans les bois (Sengire)
de Mindaugas Survila

Une plongée au cœur de la faune diverse et parfois rare                                                                      DOCUMENTAIRE
                                                                                                                         Adultes / Adolescents
d’une forêt de la Baltique, époustouflante par la proximité
des prises de vue, sa qualité sonore et le dialogue entre                  u GÉNÉRIQUE
ses couleurs. Un documentaire sans commentaire pour                        Images : Mindaugas Survila Montage : Danielius Kokanauskis
ressentir la beauté, même âpre, de la nature.                              Son : Saulius Irbonavicius et Jonas Maksvytis Production : Vsl
                                                                           Sengiré, Ou Vesiland et Ma.ja.de Filmproduktions Producteurs :
                                                                           Ginte Zulyte, Mindaugas Survila et Radvile Sumile Coproducteurs :
                                                                           Heino Deckert, Riho Västrik et Kestutis Drazdauskas Distributeur :
                                                                           Les Films du Préau.

                                                    © Les Films du Préau

                                                                                63 minutes. Lituanie - Estonie - Allemagne, 2017
  HHH         Rarement ressort-on d’un documentaire                                       Sortie France : 6 mars 2019
avec une telle sensation d’immersion. Miracle dû à
une double réussite : la certitude d’avoir vécu au cœur même               ailes. Si chaque image possède sa magie visuelle,
de l’environnement et une impression de proximité nous                     comme cette “roue” de dindon se déployant de
ayant donné envie de toucher les animaux. Cette magie                      part et d’autre du tronc qui le cache, certains très
est le prodigieux résultat de huit années de travail (quatre               gros plans sont simplement fascinants. Celui de
pour la préparation, quatre pour le tournage et le montage),               la patte d’un rapace confine même au fantastique.
de la collaboration de huit scientifiques, de 400 heures de                Plus miraculeusement encore, Mindaugas Survila
rushes et de centaines de bois investis avec la complicité des             a l’art de nous faire ressentir “physiquement”
autochtones avant d’être filmés et fondus en une seule forêt,              la pesanteur du monde engourdi par la neige et ce
symbole d’un Éden disparu. Contrairement à tant d’autres,                  qu’il faut d’efforts pour sortir de son trou, se mouvoir
qui filment la vie comme un spectacle, Mindaugas Survila                   et se nourrir... Mais aussi la force de nous attendrir
et ses deux opérateurs adjoints, Ainis Pivoras et Gintaras                 devant un sconse - une mouffette - se grattant
Malmiga, font naître le spectacle de la vie elle-même.                     le ventre allongé sur le dos… Et la cruelle virtuosité
Dès la première image, où de petites lumières volantes                     de nous faire partager, impuissant et sidéré, au
et fixes nous laissent imaginer que nous allons découvrir                  déplacement puis au repas - tous deux silencieux -
un ciel de nuit - alors qu’il s’agit d’une rivière survolée par            d’un serpent dont on peut compter les écailles. On en
des lucioles -, nous sommes prévenus : sans commentaire                    ressort admiratif, en pensant au travail qu’il aura fallu
pour orienter notre interprétation, il nous faut mettre en                 pour capturer et restituer, sans les dénaturer, autant
synergie nos sens. En effet, ce que l’on voit est aussi trompeur           de sons et de couleurs, tant ils rythment de concert
qu’inséparable de ce que l’on entend, y compris hors champ.                le film au fil des travellings sur les décors fixes
Par cette intelligence d’approche, le réalisateur nous rappelle            alternant avec les plans fixes sur les animaux qui
qu’étymologiquement, le spectacle est l’art de contempler,                 bougent... ou encore ceux des arbres ployant sous
ce qui implique une part de détachement de soi - et des                    le vent. Tout comme le scandent, quasi musicalement,
apparences - pour atteindre et “voir” l’essentiel. Jamais plus,            le jour et la nuit, l’hiver et l’été, les hauteurs et
après le générique de fin, on ne dissociera le calme apparent              les profondeurs. Point d’orgue quasi chamanique
des bois des murmures agités de l’eau et du bruissement                    de cette féerie qui ravive notre immarcescible part
du vent... Ni le surgissement de louveteaux des hurlements                 d’animalité : le retour final sur la rivière, nous
lointains de la meute des adultes... Ni la vision d’un combat              rappelant que la nature est un cycle et que nous
de dindons pour séduire une dinde du bruit agressif de leurs               appartenons à un tout. _G.To.

                   Visa d’exploitation : 150455. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 40 copies [sans paroles].

                                                                     11                                              © les Fiches du Cinéma 2019
Les Étendues imaginaires (A Land Imagined)
de Yeo Siew Hua

Un policier recherche un ouvrier disparu dans un chantier                                                                           THRILLER
                                                                                                                         Adultes / Adolescents
d’extension de Singapour. Il y rencontre des chimères
et des questions sans réponse. Un film fascinant par                       u GÉNÉRIQUE
ses paysages étonnants, par sa réalisation inspirée,                       Avec : Peter Yu (Lok), Xiaoyi Liu (Wang), Luna Kwok (Mindy), Jack
et par ses questionnements pertinents.                                     Tan (Jason), Ishtiaque Zico (Ajit), Kelvin Ho (George), George Low
                                                                           (le contremaître Lee), Andie Chen (Ming Ming), Debabrota Basu
                                                                           (Hossein), Khalishan Liang (Tong), Tianshu Qin (Brat), Ottylia Liu
                                                                           (la copine de Brat), Jing Xiao (Zhou), Andy Nyo (Ah Hao), Joey Heng
                                                                           (la fille du couple), Gabriel Yeo (le garçon du couple), Hani Pham
                                                                           (la vendeuse), Jit Kin Tan (le propriétaire de la boutique), Sidd Perez
                                                                           (Madame Geylang), Alvin Eng Hui Kim (Troll862), Billal Hossain,
                                                                           Mosaraf, Bari Ceddeke et Maby Ujjul (les musiciens), Jony Kumar
                                                                           et Shahalam (les danseurs).
                                                                           Scénario : Yeo Siew Hua Images : Hideho Urata Montage : Daniel
                                                                           Hui 1er assistant réal. : Brian Chew Scripte : Vicki Yang Musique :
                                                                           Teo Wei Yong Son : Gilles Benardeau Décors : James Page
                                                                           Costumes : Meredith Lee Effets visuels : David van Heeswijk
                                                                           Maquillage : Dollei Seah Casting : Huimin Png Production :
                                                                           Akanga Film Productions, MM2 Entertainment, Films de Force
                                                                           Majeure et Volya Films Production associée : 13 Little Pictures
                                                       © Épicentre Films   et Singapore Film Commission Producteurs : Fran Borgia, Gary
                                                                           Goh, Jean-Laurent Csinidis et Denis Vaslin Coproducteurs :
                                                                           Gary Goh, Jean-Laurent Csinidis et Denis Vaslin Producteurs
   HHH       Présenté comme une enquête policière
                                                                           associés : Melvin Ang, Ng Say Yong et Dan Koh Distributeur :
à propos d’une disparition, ce film envoûtant n’est
                                                                           Épicentre Films.
cependant jamais perçu comme un polar. Il s’agit d’un thriller
original, aux frontières du cinéma politique, fantastique                       95 minutes. Singapour - France - Pays-Bas, 2018
ou existentiel, selon le regard qu’on choisit de porter                                   Sortie France : 6 mars 2019
sur lui. Politique, il l’est quand il met le doigt sur
                                                                           u RÉSUMÉ
le trafic humain des ouvriers immigrés exploités tels des
                                                                           Singapour. L’inspecteur Lok enquête sur la disparition de
esclaves et réprimés lorsqu’ils tentent de se révolter,                    Wang, un immigré chinois qui travaillait sur un chantier
sur l’opacité des pratiques des BTP, sur le développement                  d’aménagement du littoral. Lok rencontre les chefs de
mégalomaniaque de Singapour, bref sur la loi de la jungle                  Wang. Il avait été blessé au poignet sur le chantier et,
du capitalisme global. Fantastique, il l’est dans la mesure                en attendant sa guérison, était devenu le chauffeur du
où la perception de certaines séquences est polysémique :                  patron. Lok se rend au dortoir de Wan et se couche dans
qui est le cadavre vu dans le sable, Ajit ou l’ouvrier révolté             son lit, d’où celui-ci, insomniaque, observait le cyber-café
perché ? Aperçoit-on Wang ou son fantôme à la fin ?                        E-Lover-Cyberspace, de l’autre côté de la rue. Lok rêve
                                                                           qu’il est Wang, qu’il joue aux jeux vidéo dans le club, et qu’il
Le cyber-café est-il une base de spectres virtuels et
                                                                           emmène son hôtesse mystérieuse, Mindy, au bord de la mer.
son hôtesse (Luna Kwok, qui n’est autre que Yue Guo,                       Un ouvrier manifeste au chantier. Lors d’une crevaison, Wang
découverte dans Kaili Blues) a-t-elle des super-pouvoirs ?                 se fait aider par Ajit, un collègue bangladais, pour changer
Enfin, existentiel - comme pouvait l’être, dans un autre style,            la roue. Ils sympathisent et participent à des soirées arrosées
Le Désert rouge d’Antonioni -, il l’est par les questionnements            de bière. Wang s’adonne aussi à des danses hypnotiques.
que ce chantier d’agrandissement de la ville-État de                       SUITE... À la différence d’Ajit, Wang n’a pas confiance en
Singapour implique : les îles créées ex nihilo, avec du                    Jason, le neveu du patron, qui retient les passeports des
sable importé de Malaisie, du Cambodge et du Vietnam,                      immigrés. Ajit ayant disparu, Wang force le bureau de
sont-elles vraiment une terre singapourienne ?                             Jason et y trouve le passeport d’Ajit, puis croit voir son
Les personnages, souvent privés de sommeil et hypnotisés                   cadavre dans le sable. Au cyber-café, Mindy lui propose
par la danse, vivent-ils dans un monde réel ? Le montage,                  de l’endormir par hypnose. Wang correspond avec Troll862
                                                                           et rêve qu’il meurt dans un jeu vidéo. Il rêve aussi de Lok.
subtil, parvient à brouiller les cartes : le policier se projette
                                                                           De son côté, Lok piège Troll862 avant de rechercher Ajit.
dans le disparu, grâce à une sorte de mimétisme vertigineux,               Jason lui fait visiter le chantier et le conduit dans une cabane
rendant sa quête encore plus fascinante. Enfin, le paysage                 où se trouve Ajit qui, gêné, le rassure, mais garde le silence
industriel est magnifiquement inclus dans le dispositif                    à propos de Wang. Mindy conduit Lok à une fête où il croit
fictionnel. _M.B.                                                          voir Wang, de dos...

                        Visa d’exploitation : 149660. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 90 copies (vo).

                                                                     12                                                 © les Fiches du Cinéma 2019
Rencontre avec Yeo Siew Hua

  “Vivre dans une société qui réinvente ses
frontières, c’est quelque chose de fascinant”
                                                                      montrer que le rêve se fait le pont entre les différents états
                                                                      de conscience. Il ouvre un nouveau dialogue avec l’Autre.
                                                                      Ce concept de frontières fluides et mobiles est ce qui réunit
                                                                      mes personnages masculins. Par bien des aspects,
                                                                      l’inspecteur Lok et le travailleur Wang sont très différents.
                                                                      D’un point de vue social comme personnel. Pourtant,
                                                                      à travers les rêves, ils vont permuter. Celui qui a disparu
                                                                      finit par enquêter. Celui qui enquête finit par se perdre.
                                                                      L’insomnie est un aspect intrinsèque de la société
                                                                      singapourienne. De plus en plus de personnes vivent la nuit.
                                                                      Vous abordez ce phénomène à travers le prisme du film
                                                                      noir, mais aussi à travers les codes du documentaire...
                                                                      Par le passé, je me suis familiarisé avec les documentaires,
                                                                      cette expérience m’a beaucoup aidé. Dans l’esprit, j’ai toujours
                                                                      approché ce film par le biais du documentaire. Avec mes
                                                                      collaborateurs, je voulais saisir le réel en premier lieu. J’ai d’abord
                                                                      enquêté sur les étendues artificielles, leur processus de
                                                                      construction, ainsi que sur la vie des travailleurs. J’ai passé deux
                                                                      années à visiter les chantiers. J’ai longuement discuté avec
                                                                      les immigrés, partagé des moments avec eux. Une relation
                                                                      de confiance s’est installée et, à partir de là, j’ai pu récolter des
                                                                      récits qui ont été les premiers éléments narratifs de mon film.
C’est votre second film après House of Straw [court                   Mais je me suis toujours efforcé de montrer la situation telle
métrage sorti en 2015, ndlr]. Pouvez-vous nous en dire                qu’elle était. C’est pour cela que je voulais que les figurants
plus sur la genèse du projet ?                                        soient de vrais travailleurs. Leur expérience du réel était
Le film est tout d’abord né de ma fascination pour                    importante pour moi. Elle a constitué la matière première de
les étendues artificielles qui, depuis plus de cinquantes ans,        mon film. Mais je voulais aussi expérimenter la forme, d’où
se multiplient à Singapour. Depuis l’indépendance d’avec              l’insertion des motifs du film noir. Et il est vrai que le contexte
la Malaisie, en 1965, Singapour n’a cessé de grandir et de            spatio-temporel m’a aidé : c’est un monde qui vit naturellement
s’étendre. Le gouvernement continue de créer des étendues             la nuit. Le fait que le film ait été tourné pendant la mousson
avec du sable importé d’autres pays. Vivre dans une société           a aussi beaucoup participé à cet aspect naturellement moite et
qui poursuit son extension, qui réinvente sa géographie et            humide. Je me suis donc réapproprié les codes d’un genre
ses frontières, c’est quelque chose de fascinant. Lorsque             pour les transposer dans la société singapourienne. De ce
je me suis penché sur ce phénomène, j’ai découvert que                mélange, j’ai voulu créer un trouble. Notamment avec la
99,9 % des travailleurs embauchés étaient en réalité                  bande originale, qui mêle des éléments jazzy et electro, mais
des immigrés. Le pays se construit littéralement sur le dos           aussi avec le personnage de Mindy. La jeune femme n’est pas
des migrants, et leur histoire fait partie intégrante                 la femme fatale que l’on pourrait attendre...
désormais de celle du pays. J’ai alors commencé à imaginer
la vie et les familles de ces personnes coupées                       Vos travaux de recherches vous ont-ils également aidé
pratiquement de leurs racines.                                        à appréhender les espaces ?
                                                                      Oui, dès le départ, je voulais que l’environnement soit
Vous avez étudié la philosophie. Est-ce que cela a influencé          un personnage à part entière. L’important était de puiser dans
votre approche ?                                                      des sources d’inspiration déjà existantes. Avec mon équipe,
Tout est parti, surtout, de mon intérêt pour la question de           il nous fallait des lieux qui avaient déjà ce potentiel de
l’identité. J’aime cette idée selon laquelle notre identité           rêverie. Qu’il s’agisse des néons qui bordent le cybercafé ou
se façonne par rapport à notre environnement, notre                   des plages artificielles, nous nous sommes tout simplement
habilité à transcender notre propre conscience pour mieux             nourris de décors “naturels”. Rien n’a été créé ex nihilo.
comprendre les autres. Ce processus de transformation m’a
poussé à explorer le concept du rêve. Contrairement à                 Vous avez fait vos armes dans le cinéma expérimental.
la philosophie occidentale, l’approche orientale tend à               Cela se ressent dans l’hybridité de votre œuvre, sur
                                                                      le plan narratif, dans la temporalité de votre histoire.

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