LES VICTOIRES DU DIVIN SELON L'EGYPTE ANCIENNE: UNE RELECTURE DES TEXTES FUNERAIRES EGYPTIENS (2563-1085 AV. J.-C.)

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  LES VICTOIRES DU DIVIN SELON L'EGYPTE
  ANCIENNE: UNE
              ,   RELECTURE
                         ,         DES TEXTES
          FUNERAIRES EGYPTIENS
             (2563-1085 AV. J.-C.)

      Michel-Alain MOMBO
      Université Marien NGOUABI
      Brazzaville - Congo

   RÉSUMÉ
   Dans les écrits funéraires égyptiens, la vie en éternité dans les paradis osiriens ne s'acquiert qu'au prix
   d'une série de victoires que le défunt doit remporter sur lui-même, sur la faim et la soif, sur tous les
   dangers qui jonchent les chemins de l'au-delà. Par ces victoires:

                    l'équilibre de l'univers se maintient;
                    la vie en éternité devient une réalité;
                    l'Homme accède au statut divin.

   Le salut éternel chez les anciens Egyptiens est la résultante d'une lutte permanente contre les ennemis
   de la vie. De cette lutte, le défunt doit sortir victorieux grâce aux rites.

            Mots-clés: Victoire, divin, Egypte ancienne.

    INTRODUCTION                                              manifestation du mal, qui ne sont que des facettes
                                                              de la mort.
Une étude des rites osiriens de réanimation du mort
dans la perspective d'une vie future et le culte
                                                              De nombreux textes y font allusion. Pour s'en
funéraire pratiqué à cet effet, dans l'Egypte
                                                              convaincre, il convient de se référer aux trois
ancienne, à toutes les époques, met en exergue la
                                                              ouvrages funéraires de base et aux rituels funéraires
détermination de triompher sur tous les plans
                                                              fondamentaux sur lesquels repose la présente
comme moyen primordial d'accession à l'état divin.
                                                              analyse:
Cette détermination peut être désignée sous le
vocable « victoire du divin »; car l'aspiration à la
                                                                      - Les Textes des Pyramides 1 : la version que
vie en éternité dans l'Egypte pharaonique est aussi
                                                              nous avons exploitée dans le cadre de cette
synonyme d'acquisition de la condition de divinité.
                                                              contribution, est celle de R.O. FAULKNER, The
Le corps, humain est un véhicule provisoire. Pour
                                                              Ancient Egyptian Pyramid Texts. Cette traduction
accéder à la vie éternelle, le défunt se doit, avec
                                                              a été éditée à Oxford, aux Clarendon Press, en 1969
l'appui des rites, de remporter coup sur coup des
                                                              et comporte 330 pages. Le document le plus
victoires sur lui-même et sur toutes les formes de
                                                              anciennement attesté des Textes des Pyramides est

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celui qui fut gravé sur les parois intérieures de la
pyramide du roi Ounas aux environs de 2625 av. J.-
C. 2 • Des parois de la pyramide d' Ounas de la Vè
dynastie, ces textes ont été utilisés dans l'élaboration
des règles de la VI è dynastie. De l'avis de
FAULKNER, les Textes des Pyramides constituent
les plus anciens écrits religieux et funéraires de la
littérature égyptienne connus de nos jours3 • En un
mot, les Textes des Pyramides représentent le
recueil des textes sculptés à l'intérieur des cinq
pyramides de Saqqarah, une de la V è dynastie, celle
d'Ounas, les autres de la VI è (2460-2200 av. J.-                                 le rituel de "rouvel11llt de la OOllChe": il est ~ sytrbole dt la victoUe dt la parole SUI le
                                                                                  sil.,.,•. lb détilllf pout faire usage de la puole pOUl se dtfebdJ,e 101$ du )'lg'lmml
c.); celle de Téti, de Pépi l, de Mérirê et de Pépi II.                           d'Osm.. Sowee: hpJlTU$ du !Me œs morts do HOUIll'fer, epoque de Sethi leI. Bnllsh
                                                                                  Museum CF DAUMAS. La Cr.'ilisll.tioll de rEgypte phll.roonique).
Ces textes sont apparus entre 2560 et 2420 av. J.-
c., et ont été découverts en 1881 et publiés par G.
MASPERO de 1882 et 18924 • La traduction de                                       Dans le cadre de la présente contribution, nous avons
FAULKNER est divisée en 759 utterances ou                                         utilisé la traduction de P. BARGUET intitulée Textes
énoncés et comprend 2291 chapitres.                                               des Sarcophages Egyptiens du Moyen Empire. Cette
                                                                                  traduction a été publiée aux éditions du Cerf, à Paris,
                 Les Textes des Sarcophages 5 : Ces                               en 1986 et comprend 725 pages. Elle est constituée
textes, datant du Moyen Empire (2065-1558 av. J.-                                 de textes funéraires répartis en Spells ou formules 1 •
C.), ont émergé lors de la Première période                                       A l'instar des Textes des Pyramides, les Textes des
intermédiaire (2200-2060 av. J.-C.), caractérisée par                             Sarcophages retracent les étapes de la vie après la
une anarchie intérieure. Les textes des Sarcophages                               mort physique.
qui sont une compilation des Textes des Pyramides,
ont remplacé ceux-ci au Moyen Empire. Le thème                                    - Le Livre des Morts 2 : Son contenu est fortement
central est le même: mettre à la disposition du défunt                            influencé par bon nombre de textes remontant à la
tous les moyens nécessaires à la survie de l'âme                                  Première période intermédiaire (2263-2160 av. J.-
dans l'au-delà. La différence fondamentale entre les                              C.). Le Livre des Morts apparaît comme faisant déjà
Textes des Pyramides et les Textes des Sarcophages                                un ensemble à la XVIII è siècle. Ce recueil s'est
est que, les premiers furent rédigés pour le salut du                             constitué dans la région de Thèbes. Le Livre des
pharaon exclusivement, tandis que les seconds                                     Morts a été rédigé à l'intention des Egyptiens de la
prennent en compte le salut des grands dignitaires.                               classe moyenne. Écrit presque toujours sur un
Les Textes des Sarcophages sont donc l'ensemble                                   papyrus, portant les titres du mort, il accompagnait
des textes trouvés dans les sarcophages égyptiens                                 celui-ci dans la tombe 3 • La traduction du Livre des
du Moyen Empire.                                                                  Morts à laquelle nous avons eu recours dans la
                                                                                  rédaction du présent article, est celle de P.
                                                                                  BARGUET intitulée Le Livre des Morts des anciens
                                                                                  Egyptiens, éditée à Paris, aux éditions du Cerf, en
                                                                                  1967 et comprend 307 pages.

                                                                                  A ces trois principaux documents nous pouvons
1  FAULKNER R.O., The ancient Egyptian Pyramid Tex/s, Translated into
English, Oxford, Clarendon Press, 1969, ut.23 § 16; ut. 26 § 19, ut. 27, §        ajouter les rituels funéraires fondamentaux que
19, ut. 32 §§ 22-23, ut. 36, §§ 28-29, ut. 38 § 30, ut. 93, §§ 62-63, ut. 510
§§ 138-1140.                                                                      sont :
l DRIOTON E. et VANDIER J., Les peuples de 1Dnent méditerranéen,

tome 2, L'Egyple, Paris, P.U.F., 1946, p.66.
 , FAULKNER R.O., op. cil., préface.                                              - Le rituel de l'embaumement: ce sont deux papyrus
4 DRIOTON E. et VANDIER J., op. cil.. p. 17.

 1 BARGUET P., Textes des Sarcophages égyptiens du lfoyen Empire, Pa-
                                                                                  hiératiques, le papyrus n03 du Musée de Boulaq et
ris, Cert~ 1986, sp. 901, sp. 779, sp. 781, sp. 783, sp. 237, sp. 595, sp. 607,
sp. 935, sp. 936, sp.464.

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___________________________ Sciences socù:lks et IaIUlUlÎlles

        le papyrus n05158 du Musée du Louvre,               dimension mythique des victoires du divin, un
        d'origine thébaine, qui nous livrent les            thème central de la théologie osirienne, illustré dès
        grandes articulations de cette dernière phase       les origines par la lutte entre Osiris et Seth d'abord,
        de la momification4 •                               ensuite entre Seth et Horus. Ce thème transparaît
                                                            dans tous les textes funéraires égyptiens et fait de
        L'un et l'autre ne remontent pas au-delà de         la victoire du Bien (la vie) sur le Mal (la mort) le
        la première moitié de notre ère. Ils sont un        point où culminent toutes les aspirations des dieux
        guide technique et pratique. Les premières          ainsi que celles des défunts admis à la condition
        attestations de ce rituel sont contemporaines       divine. Ainsi, les victoires du divin à partir d'une
        de l' époque des pyramides, pl us                   relecture des textes funéraires égyptiens constituent
        précisément, du règne de Chéopss .                  l'essentiel de cet article. Ceci nous conduira à
                                                            répondre aux questions suivantes :
        - Le rituel de l'ouverture de la bouche : il a
        pour objet, à l'origine, souligne J. C.                        - Qui sont les divins?
        GOYON,de:                                                      - Quel est le rôle théologique de la liturgie
                                                                       des victoires?
        « Célébrer l'achèvement heureux d'une                          - Le salut dans l'autre monde passe-t-il
        statue royale ou divine, de l'animer par des                   nécessairement par le refus des échecs et
        passes magiques, de la vêtir et de la                          l'exaltation des victoires sur les ennemis de
        conduire solennellement à sa chapelle »6.                      la vie?
                                                                       - De quelles victoires s'agit-il en réalité?
        Ces pratiques doivent, selon la conception
        égyptienne, redonner à la statue, support de        Il est important de signaler que l'ampleur du thème
        l'esprit divin ou royal, vie, c'est-à-dire la       de recherche défini au départ nous incite à
        possibilité de se mouvoir, de prendre               circonscrire notre champ d'analyse à trois corpus
        possession des offrandes qui lui sont dédiées       de textes 9 et aux rites funéraires réunis dans
        quotidiennement ou à l'occasion des                 l'ouvrage de J. C. GOYONlo: le rituel'de
        festivités spéciales en l'honneur des morts.        l'embaumement et le rituel de l'ouverture de la
                                                            bouche. Cette masse documentaire offre l'avantage
Toutefois, si la documentation existe, le rôle              de mettre la détermination de vaincre tous les
liturgique des victoires du divin n'a pas encore fait       obstacles au centre de la théologie osirienne du
l'objet d'une synthèse de fond jusqu'à ce jour. A           salut.
notre connaissance, c'est 1. ZANDEE qui aborde              Pour faire ressortir les éléments essentiels de notre
la question en désignant la mort comme un ennemi            analyse, nous commencerons par mentionner les
à vaincre, dans un article intitulé: « Death as an          textes funéraires qui développent la thématique de
Enemy according to Ancient Egyptian                         la victoire. Ensuite, dans un second point, nous
conceptions >/. Cependant, il ne s'agit pas d'une           tâcherons d'analyser leurs données relatives aux
étude approfondie sur la thématique des victoires à         victoires du divin, moyen essentiel pour donner à
remporter pour susciter l'éclosion de la vie en             l'existence des dieux et à la vie des défunts dans
éternité. Il convient de noter également à ce stade         l'au-delà un sens et une essence certains.
de notre réflexion, l'article de L. SPELEERS intitulé
                                                            1 DRIOTON E. et VANDIER 1. op. cit., p.127.
« La résurrection et la toilette du mort selon les          l  BARGUET P., Le Livre des Morts des anciens Egyptiens, Paris, Cerf,
textes des pyramides »8. Il a mis en valeur la              1967, chap. l, JO, 15, 18, 19,20,31,33,39,42,54.
                                                            J BARGUET P., Le Livre des Morts des anciens Egyptiens, Paris, Cerf,
résurrection du mort comme victoire de la vie sur           1967, p.6.
                                                            4 SAUNERON S., « Rituel de l'embaumement», Papyrus Boulaq, III, pap.
la mort, mais le concept « victoire» n'apparaît pas         Louvre 5158, dans SAE.le Caire, Imprimerie Nationale, 1952.
dans son analyse. L'auteur de cette contribution a          , GOYON 1.e., op. cil., p.89 et note 1.
                                                            6 Id., Ibid., p.14, note 2, pp.89-90 et notes.
mis l'accent sur les rites qui sous-tendent le thème        7 ZANDEE 1., « Death as an Enemy according to Ancient Egyptian con-
de la résurrection dans les Textes des Pyramides.           ceptions», Studies in the History of Religions, Supplements to Numen, V,
                                                            Leiden, 1960.
                                                            , SPELEERS L., « La Résurrection et la toilette du mort selon les Textes des
Sans prétendre épuiser la question, le but de la            Pyramides» dans Rd'E. 3, IFAO, Le Caire, 1938.
                                                            9 Ils'agit, rappelons-nous, des Textes des Pyramides, des Textes des Sarco-
présente analyse est de contribuer à approfondir la         phages et du Livre des Morts.
                                                            10 GaYON 1. e., Rituelsfunéraires de l'ancienne Egypte, Paris, Cerf, 1972.

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        libis à crête symbolise Je rayom.ement
     I1Utnt'MUX de fesprit ressuscité: victoire
          la vie sur la mort. (Mesteba
        'Akhetetep datant du M. empire, in
         ARDlNER. Egyptian grammar)

       Reproduction de l'Ibis comata.             IL'Ibis symbole de fimmortalité chez
       Source: F, GRIFFITH, Beni                  ~s Yoruba (Nigeria),
        H8S~   Part II, Planche n.

96                                   Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol, 009 N° 2-2007   (2~m.   Semestre)
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II. LES VICTOIRES DU DIVIN DANS LES                          Ce passage des Textes des Pyramides montre que
ECRITS FUNERAIRES                                            la flamme de la vie, pour être maintenue, a besoin
                                                             de l'action des dieux. Ceux-ci, par les pouvoirs qui
Le principal objectif de notre contribution, faut-il         sont en eux, doivent barrer la route à tous les
le rappeler, est de déceler dans les écrits funéraires       ennemis de la vie. Si on admet avec Socrate que la
égyptiens les rites qui témoignent de la victoire des        philosophie est essentiellement une « méditation sur
forces revitalisantes sur celles tendant à priver            la mort» et sur la destinée post-mortem de l'âme 3 ,
l'homme de la vie en éternité dans les paradis de            on conviendra aisément que nul mieux que les
l'au-delà osirien. De l'examen des documents en              anciens      Egyptiens       n'a     élaboré     une
notre possession, il ressort que le thème des                « métaphysique de la mort» qui a soutenu, trois
« victoires du divin» est présent dans toute la              millénaires durant, les actions des vivants. Cette
liturgie funéraire de l'Egypte ancienne, de l'Ancien         métaphysique de la mort présente celle-ci comme
au Nouvel Empire (2778-1085 av. J.-c.). C'est                une bête à apprivoiser, un obstacle franchissable par
pourquoi, la plupart des textes pour illustrer notre         lequel doit passer l'être humain pour atteindre la
propos viennent des Textes des Pyramides, des                vraie vie. Les dieux ont aussi pour mission de
Textes des Sarcophages et du Livre des Morts, les            remporter des victoires sur les forces qui se
principaux corpus qui retracent les étapes de la vie         rattachent à la mort, afin de placer par-dessus tout
de l'au-delà selon l'Egypte ancienne. En effet,              l'esprit lumineux qui symbolise la vie. En effet, dès
comment comprendre et appréhender·le fond de la              l'Ancien Empire (2778-2400 av. J.-C.), les anciens
spiritualité de l'Egypte ancienne sans mener une             Egyptiens désignaient par le vocable akhu l'Esprit
étude approfondie des diverses victoires qui                 lumineux et impérissable du défunt par opposition
transparaissent à travers les rites funéraires?              au corps corruptible et putrescible appelé khat.
                                                             L'esprit lumineux renvoie à la croyance en
        1. Les victoires des dieux sur leurs                 l'immortalité de l'âme, par voie de conséquence, à
           ennemis                                           la victoire permanente des dieux sur les ennemis
                                                             de la vie.
Dans les écrits funéraires égyptiens, les principaux
ennemis des dieux sont Seth et la mort. Seth est             Mieux, le vocable akhu est attesté pour la première
une manifestation d'Isefet! au même titre que la             fois dans les Textes des Pyramides4 pour prouver
faim, la soif, le crocodile Sobek (énorme reptile            la conception égyptienne de la vie en éternité.
inspirant la terreur sur les rivages de l'au-delà),          L'objet de notre contribution n'est pas de revenir
Apophis (serpent géant, ennemi du dieu Rê dans               sur l'origine des doctrines exposées dans les Textes
l'au-delà). Dans les Textes des Pyramides, les               des Pyramides, car de nombreux chercheurs 5 ont
victoires des dieux se confondent avec celles du             déjà apporté des lumières suffisamment
pharaon défunt. Cela n'a rien d'étonnant, d'autant           convaincantes à cette question. Nous voulons tout
plus que le roi d'Egypte est le descendant direct            simplement montrer que la victoire de la vie sur la
des dieux; il fait partie de la lignée divine. A ce          mort est un thème développé depuis les débuts de
titre, Osiris et Thot interviennent et mettent en            la civilisation égyptienne. L'esprit lumineux de
déroute tous ceux qui profèrent des méchancetés              1'homme est associé à l'idée de résurrection incarnée
contre le roi. Ce passage des Textes des Pyramides           par la personne d'Osiris. Il renvoie aussi, dans les
l'illustre bien:                                             Textes des Pyramides, au double, à l'âme du
                                                             défunt6 • Toutefois, Sir Wallis BUDOE reconnaît la
        « 0 Osiris, écarte tous ceux qui haïssent le         difficulté de cerner le contenu sémantique du
roi et disent de mauvaises choses contre son nom.            vocable akhu:
Ô Thot, hâte-toi, écarte celui qui s'en prend à Osiris
et rejette celui qui profère des mauvaises choses                    « The .exact meaning ofthe word khu or, as
contre le nom du roi; prends-le dans ta main »2.             it is written in the Pyramid Texts Aiikhu, is very

Revue du CAMES - Nouvelle Série R, Vol. 009 N° 2-2007 (2 fm • Semestre)                                        97
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

hard to discorve and authorities have differed             de la lumière du soleil. Sur terre et dans l'au-delà,
greatly in their translations ofthe word and in their      la lumière du soleil demeure le signe visible de la
descriptions ofwhat the Khu is >/.                         réalité de la vie. De même qu'Horus prend
                                                           possession du trône céleste, de même le roi défunt
Tout ce qui précède traduit la détermination du            est présenté comme une grande puissance et une
clergé égyptien à donner aux dieux et aux rois             image sacrée:
divinisés la possibilité de remporter des victoires
sur les forces du mal. C'est pourquoi dans les Textes                              « The King has travelled around the
des Pyramides, le roi étant de la lignée divine, les                               whole of the two skies, he has
rebellés contre les dieux sont vaincus:                                            circumambulated the Two Banks
                                                                                   (Egypt) For the King is a great
       « 0 Osiris the King, take those who rebelled                                power who has power over the
against you »8.                                                                    Powers; the King is a sacred image;
                                                                                   the most sacred ofsacred images of
Ceux qui se sont rebellés contre le roi, ce sont les                               the Great One ... »/1.
ennemis de l'Egypte et ceux qui s'opposent à la
volonté des dieux, autrement dit, à l'avènement de          L'éclat du soleil et la dimension sacrée de la
la vie en éternité. Dans la même perspective, le roi        personne du roi sont associés pour que triomphe à
apparaît comme le fils d' Atoum, le patron de               jamais la lumière de vie venant des dieux des deux
l'Ennéade d'Héliopolis:                                     grandes Ennéades de l'Egypte. Mieux, l'idée de
                                                            luminosité pour symboliser la victoire des forces
        « ... It is weil with me and with them,             vitales sur les ténèbres, est bien présente dans le
        It is pleasantfor me andfor them,                   vocable akhu (l'immortalité de l'âme). En effet, la
        Within the arms ofmy father,                        racine du mot akhu est représentée en hiéroglyphe
        Within the arms ofAtum »9.                          par un graphème renvoyant à l'ibis à aigrette l2 •
                                                            Oiseau que son plumage vert brillant rendait
Il apparaît que pour triompher des obstacles de l'au-       lumineux et étincelant sur les côtes africaines de la
delà, le roi défunt doit se configurer aux dieux. Ayant     Mer Rouge d'où il serait originaire 13 • Pour qui
été le représentant des dieux sur terre, les victoires      connaît la puissance « symbolique» de l'écriture
des dieux deviennent celles du roi et inversement.          hiéroglyphique égyptienne, le choix de cet oiseau
C'est pour cette raison qu'il est inutile de chercher       brillant pour « incarner» la notion abstraite de
à faire la distinction entre ce que font les dieux et       l'immortalité, ne peut être dû au hasard. D'ailleurs,
ce que fait le roi défunt. Les victoires du divin dans      l'égyptologue Sainte FARE GARNOT a démontré
les écrits funéraires égyptiens sont donc l'ensemble        que le substantif iakhu qui aurait gardé le sens
des interventions des dieux et des défunts divinisés
grâce à la magie des rites, en faveur de la vie             1 Isefet c'est le concept égyptien désignant le mal et toutes ses manifestations.
                                                            'FAULKNER R.O., op. cit., ut. 23, §16, p.4. Textes parallèles: ut. 26, ut.
éternelle. Tant et si bien que le triomphe de toutes       37, ut. 28, p.s.
les forces de la vie passe par la prise en possession       J PLATON, Phédon, 63 E-65D; 69 E-84C, in Œuvres complètes, tome IV,
                                                            1'" partie, Paris, Société d'édition Les Belles Lettres, 1983.
du ciel:                                                    4 SAUNERON S., YOYOTfE 1., « La naissance du monde selon l'Egypte
                                                           ancienne », in La naissance du monde, Sources Orientales l, Editions du
                                                           Seuil, 1959, p.20.
        «There is tumult in the sky; we see something       , MAYASSIS S., Le Livre des Morts de l'Egypte ancienne est un /ivre d'ini-
                                                           tiation, Athènes, BAOA, 1953. Et Mystères et Ini/iations de l'Egypte an-
new, say the primeval gods. 0 you Enneads serve            cienne, Athènes, BAOA, 1957.
                                                           6 « '" Le ka est comparable, dans sa nature, à la force vitale qui joue un si
him, for he sits on the throneofthe LordofAil... »/0.      grand rôle dans de multiples civilisations de l'Afrique noire », in POSENER
                                                           G. (en collaboration avec SAUNERON S. et YOYOTTE 1.), Dictionnaire
                                                           de la civilisation égyptienne, Paris, Editions F. Hazan, 1970, p.143.
Horus, symbole de la victoire sur Seth en vue de           7 BUDGE W (Sir), Osiris and the Egyptian Resurrection, New York, Dover

l'occupation du trône d'Egypte, apparaît dans la           publications, Inc., 1973,
                                                           pp. 132-135.
lumière du soleil. C'est encore une preuve de la           8 FAULKNER R.O., op. ci/., ut.130, p.27.
                                                           'Id., ut. 216, §151, p.44.
victoire de la lumière sur les ténèbres; car pour les       10 Id., ut.257, §§304-305, p.67.

anciens Egyptiens, la pire des catastrophes qui            Il Id., ut.273-4, §406-407, pp.81-82.
                                                            "GARDINER A. (Sir), Egyptian grammar ... Griffith Institute Ashmolean
puisse arriver à un être humain, c'est d'être privé        Museum, Oxford, 1988, p.470.
                                                           Il KUENTZ, « Bulletin de l'Institut Français d'Archéologie Orientale », tome
                                                           XVII, 1920, Le Caire.

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premier de la racine, signifie: « la lumière éclatante       indispensables du pouvoir temporel. Ceux-ci sont
du soleil »14.                                               transférés dans l'au-delà pour y jouer le même rôle.
                                                             Ceci consacre le caractère éternel du pouvoir, en le
Ainsi donc, il apparaît que les victoires des dieux          plaçant dans le sillage de l'intemporel.
sur leurs ennemis renvoient aux actions des dieux
en vue de l'éclosion de la vie et de la victoire             Dans les écrits funéraires 16 ,plusieurs passages font
permanente de la lumière sur les ténèbres qui                mention de l'invitation adressée aux défunts de
cherchent à repousser la vie. C'est aussi l'œuvre            revenir à la vie. Dans les Textes des Pyramides, nous
des dieux de l'Egypte pour vaincre la mort.                  pouvons lire:

        2. Les victoires des dieux sur la mort                      « The libation is poured and Wepwawet is
                                                             on high. Wake up, you sleepers! Wake up, Horus!
Une lecture de l'ensemble des écrits funéraires              Raise yourself, Osiris the King, you first-born son
égyptiens peut nous permettre de dire, peut-être à           01Geb, atwhom the Great Ennead tremble! ... »17.
tort, que les rituels funéraires sont une proclamation
de la victoire des dieux sur la mort. Il s'agit de la        Ce passage fait partie de la rubrique des textes dits
victoire des dieux parce qu'ils sont les principaux          de « résurrection ». Les dieux, maîtres de la vie,
inspirateurs des prêtres qui ont conçu les formules          demandent aux défunts de quitter la mort et
magiques permettant de rompre les liens de la mort.          d'accéder à la vie en éternité. Celui qui se veut
Les dieux mènent à la vie éternelle et admettent dans        compagnon d'Osiris, se doit de briser les liens de la
leurs rangs les défunts qui ont respecté les rites dont      mort par le respect strict des rites seuls capables
le rôle technique est d'ouvrir les portes de l'au-delà.      d'ouvrir les portes de ankh (la vie éternelle).
Ainsi, Osiris étant le premier homme ressuscité
selon la tradition égyptienne, nous commencerons             Dans les Textes des Sarcophages, il est aussi
par prendre l'exemple de « l'érection du pilier              question, à plusieurs endroits, de l'intervention des
Djed» pour illustrer la victoire des dieux sur la mort.      dieux pour mettre fin au règne de la mort:

En effet, les rites égyptiens relatifs à « l'érection du
pilier» sont liés au mystère de la mort et de la                         « Osiris N, Horus t'a protégé: il alait que
résurrection d'Osiris:                                       Nephthys t'embrasse. Elle t'étreint, elle te façonne
                                                             en son nom de Séchat, maîtresse des constructeurs,
        « Le réveil d'Osiris est rappelé, dans les
rites, lorsque le roi redresse le pilier Djed Celui-ci       car telle est cette Grande, maîtresse de la vie dans
désormais sorti de l'engourdissement de la mort,             la barque de la nuit. Horus te redressera ...                        »/8.

s'anime: il peut être muni de bras qui tiennent les
sceptres osiriens, mais, surtout, il a retrouvé sa tête.              Le défunt, réduit au silence par la mort, est
Celle-ci est rarement figurée. On évoque plutôt sa           revivifié parNephthys, une déesse de la lignée d'Osiris.
présence de manière allusive; le Djed est coiffé             Nephthys reconstruit le mort, le façonne, afin que ses
d'une couronne triomphale et il possède deux yeux            organes vitaux et toutes les parties de son corps physique
qui lui permettent de communiquer avec le monde              vibrent au rythme des réalités de la vie de l'au-delà. Il
des vivants, mais qui sont aussi le signe de la              s'agit également d'une vie qui se déroule dans la barque
plénitude cosmique recouvrée »/5.                            nocturne de Rê. En effet, pour assurer le

Le roi, représentant des dieux sur le trône du Double
Pays (Egypte), exécute le rite qui rappelle la victoire        14 SAINTE FARE GARNOT 1., L'hommage aux dieux sous l'Ancien Em·
                                                             pire égyptien d'après les Textes des Pyramides, Paris, P.U.F., 1953, p. 232.
des dieux sur la mort à travers la personne d'Osiris.        l' FRANCO 1., Rites et croyances d'éternité, Paris, Editions Pygmalion/
                                                             Gérard Watelet, 1993, p.l77.
Le pilier Djed redressé devient le symbole d'Osiris           16
                                                                 11 s'agit des Textes des Pyramides, des Textes des Sarcophages et du Livre
triomphant définitivement de la mort, ce qui lui             des Morts.
                                                              17 FAULKNER R.O., op. cit., ut. 483, § 10 Il, p.170. Textes parallèles relatifs
confère la plénitude de la souveraineté sur le monde         à la résurrection: ut.484, p.171; ut.536, p.205; ut.553, p.213; ut.578. p.233.
                                                              18 BARGUET P., Textes des Sarcophages Egyptiens du Moyen Empire, Pa-
des vivants et sur l'au-delà. Cette souveraineté est         ris, Editions du Cerf, 1986, sp.778, pAO.
matérialisée par les sceptres et la couronne, éléments       Osiris N.: Osiris est le nom donné à tout défunt candidat à la résurrection. N.
                                                             est une variable remplaçant le nom du mort.

Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 tm • Semestre)                                                                  99
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

               Métamorphose du pilier DJED, symbole de la stabilité, de la résumction et de
               léternité du dieu Osiris: Victoile de la vie sur la mort.

                                                                                                           ft!
                                                                                                            ~f
                                                                                                             •
                                                                                                            ff

                                                                                            1
                                                                                            !

                                                                                        i

             Pilier DJED 8Nmé brandissant le                              Osiris voilé symbolisant la
             "chasse mouche" et le sceptre, in                            resun:ection. In Champollion,. Le
             BUDGE W., op. cit.                                           Panthéon égyptien.

renouvellement et l'éternité de la vie, le dieu Rê                       renouvelé. En réalité, les anciens Egyptiens
dispose de deux barques: la barque nocturne servant                      assimilaient le défunt au soleil nocturne qui, dans
à quitter le monde des ténèbres pour accéder à la                        sa course, « meurt et renaît» chaque jour et ce dans
lumière vitale; la barque diurne pour descendre dans                     un cycle éternel:
le ventre de la terre, afin de paraître, demain,

« Les Egyptiens qui/aisaient se coucher le soleil dans la terre, le/aisaient aussi sortir du Nun
considéré alors comme le ciel inférieur »1.

1 PALANQUE C., Le Nil à l'époque pharaonique, son rôle et son culte

en Egypte, Paris, Librairie Emile Bouillon, 1903, p,98.

100                                                     Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 èm • Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines

 Les égyptologues admettent, dans leur grande
 majorité, que le Noun est le « dénominateur                voyage des profondeurs abyssales et ténébreuses
 commun» aux différentes cosmogonies égyptiennes            vers la métamorphose stellaire »/ .
 (Héliopolis, Hermopolis, Thèbes, Memphis, Esna,
 etc.»). Le Noun cet océan total et apparemment             Les dieux d'Egypte remportent une victoire sur la
 stérile, est antérieur à toute manifestation de la vie     mort lorsqu'ils arrachent le défunt des griffes du
 et du mouvement. Il est désigné dans les écrits
                                                            monde des ténèbres, c'est-à-dire d'un état synonyme
 funéraires égyptiens sous le vocable « ciel
 inférieur »2 . Le défunt rendu victorieux de la mort       d'absence de vie et de lumière. En effet, pour .les
 par les dieux, descend dans le ciel inférieur où il va     anciens Egyptiens, il n'y a pas de vie sans Lumière,
 s'abreuver des eaux du Noun qui redonnent vie.            notamment l'éclat du soleil qui vient briser les liens
 Pour la tradition égyptienne de l'époque                  de la mort (la manifestation des ténèbres). Le soleil
 pharaonique, cette vie retrouvée est bien réelle et
                                                           est signe    d~   vie pour les anciens Egyptiens, parce
 totale. Par cette victoire de la vie sur la mort, les
 dieux d'Egypte confirment le caractère sacré de           qu'il annonce sempiternellement la venue d'un jour
 l'eau et son rôle déterminant dan~ la primauté de la      nouveau, autrement dit d'un nouvel espoir de vie.
 vie tant sur la terre que dans la Douat3 • C'est
 pourquoi, le défunt qui prend place à bord des            Par ailleurs, quand au travers des rites et formules
 barques de Rê est, pour la conception égyptienne          magiques les dieux parviennent à restaurer et à
 de la vie, un être debout, vivant et en pleine            maintenir la vie sur l'ensemble de l'univers, ils
 possession de toutes ses facultés:
                                                           procèdent à la protection de tous les défunts qui ont
        « ... Tu demeures ferme, et ton ennemi est         respecté les rites funéraires, afin que la mort soit
 renversé; tu traverses le ciel en vie et domination,      vaincue et écartée de leurs sentiers. Dans les Textes
 tu mets en fite le ciel en tant que Adjy; ta barque       des Sarcophages, nous pouvons lire:
 est en pleine joie et ton cœur est réjoui, tandis que
 Maât est apparue en gloire à ta proue ... »4.
                                                                   « Paroles dites par Nout: Osiris N, je suis
  Dans cet extrait du Livre des Morts, le défunt           ta mère, je suis Nout. Je suis venue t'étreindre, je
. victorieux de la mort grâce aux dieux, agit en tant      suis venue te protéger de tout mal.
  que Adjy, autrement dit en sa qualité de « lumière
  de vie », car le terme Adjy n'est qu'une désignation             Paroles dites par Isis: Osiris N, je suis ta
  du soleils. Pour qui connaît le rôlC? du soleil dans
                                                           sœur Isis. Je suis venue prendre possession de toi,
  les cosmogonies égyptiennes, notamment celle
  élaborée par le clergé d'Héliopolis, l'assimilation      ;e suis venue te protéger »2.
  du défunt à cette divinité est la preuve de l'œuvre
  triomphante des dieux sur la totalité des entités        Nout et Isis occupent une place de première
 ennemies de la vie. D'où l'expression « traverser le      grandeur dans le panthéon égyptien. Leur
 ciel en vie et domination ». Il est donc question de      intervention en faveur du défunt consacre le retour
  dominer et apprivoiser la mort, afin que les dieux
                                                           de la vie en éternité. Les dieux ont vaincu la mort.
 demeurent maîtres de tout partout.            /
                                                           Le défunt qui respecte leurs préceptes peut être
       « On comprend dès lors pourquoi, de                 déclaré juste de voix:
l'Egypte pharaonique à nosjours, tous les peuples
négro-africains considèrent la mort - et partant                   « ... Tu n'es plus inerte. Traverse le ciel et
l'immortalité elle-même- comme un passage, un

Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2im• Semestre)                                         101
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

la terre, (car) tu n'es plus inerte, imhakhy N que                                   3. Les victoires des défunts divinisés
voici, éminent et juste de voix! »3.
                                                                                     Les défunts divinisés, faut-il le préciser, sont
                                                                                     l'ensemble des morts qui ont bénéficié des rites
Grâce à l'intervention des dieux, le défunt n'est plus                               funéraires et ont été déclarés justes lors des assises
sans vie, il peut traverser le ciel et la terre4 , parce                             du tribunal d'Osiris. Ils mènent, avec l'appui des
qu'il est conscient de posséder la totalité de ses                                   dieux, le combat pour le triomphe des forces vitales.
facultés. Mieux, il a été déclaré juste de voix,
                                                                                     3.1. Sur leurs ennemis et les ennemis des dieux
autrement dit, il a l'usage de la parole de vérité et
de vie. Il ne ment pas. Il n'a pas tué. Une telle
                                                                                     Le principal ennemi des défunts divinisés et des
attitude est qualifiée de « confession négative» dans                                dieux c'est Apophis. Ce serpent géant, grand
la théologie de l'ancienne Egypte. Le chapitre 125                                   ennemi de Rê, vogue sur les eaux célestes et
du Livre des Morts en est la parfaite illustration:                                  cherche à renverser les barques de Rê. En effet, les
                                                                                     barques de Rê permettent aux défunts de « sortir
                                                                                     au jour »1 , assurent le renouvellement de la vie
            « ... Je n'ai pas commis l'iniquité contre les
                                                                                     post-mortem et confèrent l'éternité. Renverser les
                        hommes.                                                      barques de Rê, serait rompre le cycle de la vie
                        Je n'ai pas maltraité (les) gens.                            véritable et renvoyer l'Egypte, par ce fait même,
                        Je n'ai pas commis de péchés dans                            au chaos originel. Ce chaos est synonyme de
                        la Place de Vérité (. ..)                                    triomphe du règne des ténèbres antérieures à
                                                                                     l'autocréation de Rê. Les défunts qui accèdent à
                        Je n'ai pas fait le mal (. ..)
                                                                                     }' au-delà et les dieux doivent barrer la route à
                        Je n'ai pas blasphémé Dieu (. ..) »5.                        Apophis. Les textes sont multiformes, pour
                                                                                     témoigner de la victoire sur Apophis.
Nommer les péchés ou le mal commis lors de la vie
terrestre, c'est les appeler à l'existence. Comme les                                        « Arrière! A bas! Détourne-toi, Apophis!
dieux ne proclament la victoire de la vie sur la mort                                Va te noyer au puits de l'abîme, là où ton père a
                                                                                     ordonné de faire ton supplice! Éloigne-toi de ce
qu'au profit des défunts qui ont privilégié le Bien,
                                                                                     lieu de naissance de Rê, dans lequel tu trembles!
le « juste de voix» est celui qui ne nomme pas le                                    (. ..) »2.
mal et ne voit que le Bien. Les anciens Egyptiens
l'avaient compris: on parle de la lutte pour la vie.                                 Cette formule prononcée pour repousser Apophis,
Cette lutte n'est pas possible si l'on voit la mort.                                 symbolise les méthodes auxquelles ont recours les
                                                                                     défunts divinisés et les dieux pour mettre Apophis
Les victoires des dieux sur la mort ne sont que les
                                                                                     hors d'état de nuire. On l'aura constaté, il n'est
instants d'affirmation du bien qui confère l'éternité.                               pas question de tuer Apophis. La victoire de la vie
Cette logique doit être suivie par tout défunt                                       sur la mort ne signifie pas la fin de la mort. Il s'agit
divinisé.                                                                            donc de dominer Apophis, l'apprivoiser, aux fins
                                                                                     de l'empêcher de gêner le fonctionnement
                                                                                     harmonieux de la vie céleste. La vie et la mort; le
                                                                                     bien et le mal, étant les deux forces sur lesquelles
1   GOMEZ   J.c.c., « La signification du vocable Akhu en Egypte ancienne
et en Afrique noire contemporaine », in Ankh n03, 1994. p.99.
                                                                                     repose l'équilibre de l'univers, remporter une
 'BARGUET P., Les Textes des Sarcophages, op. ci!., sp.792, p.45.
 ) Idem, sp. 235. p.55.
                                                                                     victoire sur Apophis, c'est franchir l'obstacle situé
4 Le défunt qui traverse le ciel et la terre, c'est celui qui a été jugé digne par

les dieux d'assumer l'héritage tant céleste que terrestre. Il devient maître de
                                                                                     sur les sentiers de la vie. Le mal est toujours à
la vie de l'Egypte terrestre et céleste.
                                                                                     l'affût, il appartient aux défunts et aux dieux non
, BARGUET P., Le Livre des MarIs. op. cil., chap.125, p.158.

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pas de mettre fin à son existence, mais de le                      Seth qui a voulu écraser Osiris afin d'occuper le
renvoyer au « puits de l'abîme» qui n'est autre que                trône du Double Pays, est vaincu par les dieux de
                                                                   l'Ennéade. La vie a remporté une victoire
le bassin du Noun, le siège des eaux primordiales,
                                                                   déterminante sur la mort. C'est pourquoi les
le chaos d'où émergea la vie, le lieu où la lumière                symboles du pouvoir doivent être libérés des mains
revitalisante du soleil n'existe pas encore. C'est                 de Seth. L'un des éléments du pouvoir égyptien c'est
pourquoi, dans les Texte des Sarcophages, Apophis                  le faucon, l'oiseau dont les ailes déployées,
                                                                   protègent le trône du pharaon.
apparaît comme le compagnon fidèle des ténèbres:
                                                                               « Le faucon avait été enlevé par Seth etj'ai
« ... Apophis est enlevé, les ténèbres ... avec lui                vu que tu étais démolie, Campagne des Félicités;
(. ..) »3.                                                         (alors) j'ai délivré le faucon de l'emprise de Seth.
                                                                   J'ai ouvert les chemins à Rê ... »6.
Au travers de cette formule, nous apprenons que
repousser Apophis, c'est barrer la route aux                       Dans l'Egypte pharaonique, le pouvoir du pharaon
                                                                   régule la vie sur l'ensemble du pays, sur terre et
ténèbres, d'autant plus qu'il tente de renverser la
                                                                   dans l'au-delà. Libérer le faucon qui protège le trône
barque de Rê porteuse de lumière et de vie. La                     royal, c'est redonner au pouvoir toutes les forces
victoire sur Apophis est donc le triomphe de la                    qui procurent la victoire lors de la bataille pour la
lumière sur les ténèbres. Cette victoire est à n'en                vie. Le pouvoir du pharaon doit l'emporter sur tous
                                                                   les ennemis de la vie, y compris sur le temps; car il
point douter capitale pour la bonne marche de la
                                                                   est appelé à être éternel. C'est aussi le sens du
vie en éternité. Apophis est renvoyé au « puits de                 Sphinx de Giseh qui, placé sur le sable d'Egypte, la
l'abîme », la lumière du soleil vivifie tous les                   tête du pharaon collée au corps d'un fauve (lion),
défunts, la mort et les ténèbres jouent les seconds                proclame la victoire de la force sur la faiblesse, de
                                                                   l'éternel sur l'éphémère. Ce symbole fort gravé sur
rôles; elles n'ont plus la capacité de se hisser au-
                                                                   la pierre, annonce que la vie représentée par l'image
dessus de la vie et de la lumière.                                 du pharaon, ne doit pas s'arrêter. Le temps,
Par ailleurs, à la lumière des textes funéraires                   l'adversaire redoutable de l'humain et de la vie,
égyptiens, il apparaît que Seth et ses collaborateurs              affronte au travers du Sphinx, la détermination du
font partie des ennemis des défunts divinisés et des               pouvoir pharaonique à proclamer pour toujours la
dieux. Pour accéder à la vie totale, l'on se doit de               victoire de la vie tout court. L'assurance qui découle
vaincre Seth. Le défunt doit s'inscrire dans la                    du pouvoir pharaonique permet au défunt divinisé
logique d'Osiris:                                                  d'acquérir une nouvelle dimension:

        « J'ai frappé les confédérés de Seth, j'ai                            « .., Je suis le taureau maître des dieux, qui marche
fait leur massacre; je les (Ji mis dans cette place                dans la turquoise (le ciel) ».
d'exécution au sud de Sepa et au nord de Hnn, et
ton père est leur maître, Anubis p1t7ître de Sepa et
Horus maître de Hnn ».J.

Seth, frère ennemi d'Osiris, est par excellence
l'ennemi de la vie voulue par les dieux. Il doit être               1 «Sortir au jour» pour les anciens Egyptiens, c'est quitter l'empire des
                                                                   morts pour venir à la lumière du soleil, la contempler et avoir par elle l'assu-
vaincu et Osiris toujours placé au-dessus de lui:                  rance de la vie.
        « Vois, je t'ai amené ceux qui ont tué ton                  2 BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cit., chap. 39, p.81. Textes parallè-
                                                                   les, chap.40, pp.82-83.
père Osiris, en leurs noms-ci de bêtes d'abattage,                 , BARGUET P., Les Textes des Sarcoplulges, op. cil., sp.901, p.37.
afin qu'ils baisent tes pieds. Redresse-toi, mon père
                                                                   4 Idem, sp.595, p.64.
Osiris! Tes ennemis sont tombés sous toi »5.                       , Ibidem, sp.602, p.65.
                                                                   6 Ibidem, sp.464, p.76.

Revue du CANJES - Nouvelle Série B, ~Tol. 009 N° 2-2007   (2~d1·   Semestre)                                                                 103
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 Le taureau, au même titre que le lion, représente la        Quand le défunt divinisé a vaincu ses ennemis, il
 force, l'abondance de force vitale. Le défunt divinisé      franchit un échelon supérieur; il devient la « fleur-
 en se présentant ainsi, montre aux yeux de l'Ennéade        ouneb»4. C'est l'éclosion de la vie en éternité, la
 qu'il a vaincu ses ennemis y compris ses propres            manifestation de la victoire sur tous les ennemis de
 limites, franchi les obstacles dressés sur les chemins      la vie. Le défunt devient comme les dieux; sa vie se
 de l'au-delà. Nous pouvons l'entendre dire:                 confond avec celle des grands dieux de l'Ennéade.
                                                             Dès lors, tous les biens de l'Egypte céleste sont à sa
                « '" La victoire m'a été donnée dans         portée. Il connaît les formules permettant de
                le tribunal de Rê-Atoum; je jubile           repousser et de vaincre les ennemis. Pour cette
                dans la tombe; le Décapiteur n'a pas         raison, il ne peut plus connaître la faim et la soif.
                eu de pouvoir sur moi. Je suis venu,
                (.. .); je satisfais les habitants des               3.2. Sur la faim et la soif
                demeures d'en haut (. ..) »1.
                                                             L'au-delà de la religion égyptienne se caractérise
Chez les anciens Egyptiens, la vie de l'au-delà étant        par ses innombrables action en chaîne. La
la continuation de la vie terrestre, le salut éternel
                                                             particularité est que toutes ces actions visent
n'est autre que la résultante d'une succession de
victoires sur des ennemis multiformes. Le                    inexorablement le bien. « Le défunt aguerri par les
Décapiteur ici c'est celui qui abat les âmes indignes        rites funéraires, exclut de son parcours dans l'au-
dans la salle d'abattage du dieu. Il représente donc         delà toute possibilité d'échec et de famine »5. Il
un ennemi redoutable pour le défunt. Quand le                demeure fidèle à la force de l'affirmation qui conduit
défunt aura surmonté les obstacles (les ennemis),
                                                             toute chose de l'invisible vers le visible. C'est
Thot, le greffier des dieux, lui conférera le statut de
juste, au grand dam de ceux qui l'accusent:                  pourquoi le défunt divinisé ne cesse de dire son refus
                                                             de manger les excréments et de boire les urines 6 •
                « ... Voilà: Horus, il est justifié; les     En effet, pour les anciens Egyptiens, tout défunt en
                Deux Chapelles en sont satisfaites,         route pour l'au-delà se doit de connaître
                et Osiris, son cœur est content. C'est
                                                            parfaitement ses formules et de respecter les
                vraiment Thot qui m'a proclamé
                ;uste contre mes ennemis dans le            recommandations des rites funéraires, afin de ne pas
                tribunal d'Osiris ... »2.                   être condamné à manger les excréments et à boire
                                                            les urines. Ce refus systématique, sans cesse
Les Deux Chapelles, c'est-à-dire la Basse et Haute          renouvelé, des excréments et des urines, est une
Egypte sont satisfaites, cela signifie que la victoire
                                                            victoire remportée sur la faim et la soif. Pour
du défunt divinisé est totale, elle s'étend sur
l'ensemble de l'Egypte. La victoire du défunt               remporter cette victoire, le défunt divinisé prononce
devient celle des dieux; car les deux (les dieux et le      un discours sélectif consistant en l'affirmation de
défunt) militent pour le triomphe des forces de la          ce qu'il désire voir se manifester dans sa vie en
vie. C'est dans cette perspective que Thot,                 éternité? . Il déclare:
s'adressant à Osiris, déclare:

       « Je suis le plus divin des dieux protecteurs.              « Ouvrez-moi le chemin, gardiens de la
J'ai combattu pour toi. Je suis l'un de ces dieux du        Douat! Je suis quelqu'un à la parole efficace, à la
tribunal qui a proclamé juste Osiris contre ses             puissance magique intacte, maître d'offrandes
ennemis, le jour du jugement (.. .) »3.
                                                            nourricières lors de la réception des dons ... »8.

104                                         Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 eme Semestre)
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L'usage de la parole qui permet l'utilisation de la                              ce que nous buvons »1?
puissance magique et ouvre la voie à la possession
et la consommation des offrandes, renvoie au rituel
                                                                                 Avec l'appui des dieux qui l'ont admis dans leurs
de l'ouverture de la bouche et notamment au rite
du « repas funéraire »9. C'est à cet instant que, par                            rangs, le défunt circule dans le ciel lumineux de Rê
la magie des rites dont seuls les anciens Egyptiens                              et vogue sur les eaux du ciel inférieur rempli de
ont le secret, le défunt fourbit les armes qui lui                               toutes sortes de provisions. Tant et si bien que l'on
permettront de vaincre la faim et la soif. L'au-delà
                                                                                 peut être amené à dire que l'au-delà égyptien est le
étant le pays des dieux, maîtres et possesseurs
légitimes de l'Egypte, il est incongru que celui qui                             pays de la démesure; la disette ne peut y prendre le
y séjourne meure de faim et de soif, et soit condamné                            dessus. Voici ce qui est écrit à propos d'Horus dans
à manger et à boire ce qui représente                                            le Livre des Morts:
l'abomination 1o • Le refus de manger les excréments
et de boire les urines est une façon explicite de
                                                                                                      « (...) Horus gouverne l'Egyptë, ét
reconnaître en l'au-delà le lieu du bonheur éternel,
exclusivement. C'est une victoire qui ouvre aussi                                                     les dieux sont à son service. Il nourrit
le passage de la misère au bonheur, du dénuement à                                                    des multitudes, il fait vivre des
l'abondance, de l'enfance à la maturité, de l'humain                                                  multitudes avec son œil, l'unique de
au divin.                                                                                             son maître et le maître de
                                                                                                      l'univers »2.
Refuser de manger les excréments, c'est accepter
de grandir, d'abandonner pro gressivement
                                                                                 Or, à la lumière des textes funéraire égyptiens, nous
l'humanité au profit de la divinité. Par la victoire
                                                                                 savons que l'œil d'Horus, œil sacré, est le symbole
sur la faim et la soif, le défunt s'élève au-dessus de
                                                                                 même de l'offrande alimentaire. Ce qui revient à
lui-même et acquiert une dimension supérieure.
                                                                                 dire que celui qui en dispose triomphe à jamais de
Dans l'au-delà, les dieux ne disent-ils pas:
                                                                                 la faim. Il acquiert des pouvoirs à taille d'océans
                                                                                 qui lui confèrent la maîtrise de l'univers. Par
           « Le serviteur est venu; qu'il vive de ce dont
                                                                                 ailleurs, l'abondance caractérisant la victoire sur la
nous vivons! Mange ce que nous mangeons, boive
                                                                                 faim et la soifs'exprime aussi à travers la quantité
                                                                                 d'eau mise à la disposition du défunt divinisé afin
                                                                                 qu'il s'en serve sans limite et sans crainte:
1  Ibidem, sp. 644, p.84.
, Ibidem, sp.339, p.92.
 l BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.I, p.38. Textes parallèles:              « C'est moi l'Osiris N,je suis celui qui sort
chap. 15, p.49, chap.50: « ... La marche d'Apophis a été enrayée... ». Tout
le chap. 15, pp.47-50. Ce chapitre est un chant de victoire de Rê sur ses        avec le flot, celui à qui a été attribuée l'inondation
principaux ennemis.
4 « La fleur-ouneb est, comme le lotus, sortie des eaux primordiales; c'est      afin qu'il puisse en disposer en tant que Nil »3.
une fleur d'or, symbole de ce qui est impérissable ». BARGUET P., Le Livre
des Morts, op. cil., chap.28, note nOl, p.73.
! MOMBO M.-A., « L'au-delà des anciens Egyptiens d'après une analyse
des écrits funéraires (2563-1085 av. J.-C.»), Thèse unique, Université de        L'Egypte étant entourée de deux déserts, l'eau yest
Cocody (Abidjan), 200 l, p.313.
6 « Ô enfant des excréments, ne me propose pas tes excréments que voici! »       une denrée précieuse. Disposer de l'inondation en
- De quoi vivras-tu?
- Je suis le taureau de la ville de Hennet qui est aux confins du ciel. Je       permanence, c'est refouler de l'au-delà la disette
suis le maitre des cinq portions auprès d'Osiris (car) on a préparé cinq
portions au ciel et sur terre (...) » In BARGUET P. , Les Textes des             due à la sécheresse au pays des pharaons. Le chapitre
Sarcophages, op. cit., sp.191, p.389.
 7 Ce que le défunt recherche et désire voir, c'est l'avènement du bien carac-
térisé par la richesse et l'abondance de toutes choses.
• BARGUET P., Les Textes des Sarcophages, op. cil., sp.237, p.56.                 1 BARGUET P. Les Textes des Sarcophages, op. cil., sp.195. p.391. Textes
9 GOYON j,C., Rituelsfunérairesde l'ancienne Egypte, scènes LXIV-LXXI,           parallèles: BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.106, p.l41.
pp. 165-1 77.                                                                    FAULKNER R.O., op. cil., ut. 205, §§120-123, pp.37-38.
 '0 L'abomination du défunt dans l'au-delà, ce sont les excréments et les        , BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.78, p.117.
urines. In BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cit., chap.124, p.156.            1 Idem, chap.6l, p.94.

Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 tme Semestre)                                                                               105
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