LES VICTOIRES DU DIVIN SELON L'EGYPTE ANCIENNE: UNE RELECTURE DES TEXTES FUNERAIRES EGYPTIENS (2563-1085 AV. J.-C.)
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-------------------- Sciences sociales et humaines 1 1 LES VICTOIRES DU DIVIN SELON L'EGYPTE ANCIENNE: UNE , RELECTURE , DES TEXTES FUNERAIRES EGYPTIENS (2563-1085 AV. J.-C.) Michel-Alain MOMBO Université Marien NGOUABI Brazzaville - Congo RÉSUMÉ Dans les écrits funéraires égyptiens, la vie en éternité dans les paradis osiriens ne s'acquiert qu'au prix d'une série de victoires que le défunt doit remporter sur lui-même, sur la faim et la soif, sur tous les dangers qui jonchent les chemins de l'au-delà. Par ces victoires: l'équilibre de l'univers se maintient; la vie en éternité devient une réalité; l'Homme accède au statut divin. Le salut éternel chez les anciens Egyptiens est la résultante d'une lutte permanente contre les ennemis de la vie. De cette lutte, le défunt doit sortir victorieux grâce aux rites. Mots-clés: Victoire, divin, Egypte ancienne. INTRODUCTION manifestation du mal, qui ne sont que des facettes de la mort. Une étude des rites osiriens de réanimation du mort dans la perspective d'une vie future et le culte De nombreux textes y font allusion. Pour s'en funéraire pratiqué à cet effet, dans l'Egypte convaincre, il convient de se référer aux trois ancienne, à toutes les époques, met en exergue la ouvrages funéraires de base et aux rituels funéraires détermination de triompher sur tous les plans fondamentaux sur lesquels repose la présente comme moyen primordial d'accession à l'état divin. analyse: Cette détermination peut être désignée sous le vocable « victoire du divin »; car l'aspiration à la - Les Textes des Pyramides 1 : la version que vie en éternité dans l'Egypte pharaonique est aussi nous avons exploitée dans le cadre de cette synonyme d'acquisition de la condition de divinité. contribution, est celle de R.O. FAULKNER, The Le corps, humain est un véhicule provisoire. Pour Ancient Egyptian Pyramid Texts. Cette traduction accéder à la vie éternelle, le défunt se doit, avec a été éditée à Oxford, aux Clarendon Press, en 1969 l'appui des rites, de remporter coup sur coup des et comporte 330 pages. Le document le plus victoires sur lui-même et sur toutes les formes de anciennement attesté des Textes des Pyramides est Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 ime Semestre) 93
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - celui qui fut gravé sur les parois intérieures de la pyramide du roi Ounas aux environs de 2625 av. J.- C. 2 • Des parois de la pyramide d' Ounas de la Vè dynastie, ces textes ont été utilisés dans l'élaboration des règles de la VI è dynastie. De l'avis de FAULKNER, les Textes des Pyramides constituent les plus anciens écrits religieux et funéraires de la littérature égyptienne connus de nos jours3 • En un mot, les Textes des Pyramides représentent le recueil des textes sculptés à l'intérieur des cinq pyramides de Saqqarah, une de la V è dynastie, celle d'Ounas, les autres de la VI è (2460-2200 av. J.- le rituel de "rouvel11llt de la OOllChe": il est ~ sytrbole dt la victoUe dt la parole SUI le sil.,.,•. lb détilllf pout faire usage de la puole pOUl se dtfebdJ,e 101$ du )'lg'lmml c.); celle de Téti, de Pépi l, de Mérirê et de Pépi II. d'Osm.. Sowee: hpJlTU$ du !Me œs morts do HOUIll'fer, epoque de Sethi leI. Bnllsh Museum CF DAUMAS. La Cr.'ilisll.tioll de rEgypte phll.roonique). Ces textes sont apparus entre 2560 et 2420 av. J.- c., et ont été découverts en 1881 et publiés par G. MASPERO de 1882 et 18924 • La traduction de Dans le cadre de la présente contribution, nous avons FAULKNER est divisée en 759 utterances ou utilisé la traduction de P. BARGUET intitulée Textes énoncés et comprend 2291 chapitres. des Sarcophages Egyptiens du Moyen Empire. Cette traduction a été publiée aux éditions du Cerf, à Paris, Les Textes des Sarcophages 5 : Ces en 1986 et comprend 725 pages. Elle est constituée textes, datant du Moyen Empire (2065-1558 av. J.- de textes funéraires répartis en Spells ou formules 1 • C.), ont émergé lors de la Première période A l'instar des Textes des Pyramides, les Textes des intermédiaire (2200-2060 av. J.-C.), caractérisée par Sarcophages retracent les étapes de la vie après la une anarchie intérieure. Les textes des Sarcophages mort physique. qui sont une compilation des Textes des Pyramides, ont remplacé ceux-ci au Moyen Empire. Le thème - Le Livre des Morts 2 : Son contenu est fortement central est le même: mettre à la disposition du défunt influencé par bon nombre de textes remontant à la tous les moyens nécessaires à la survie de l'âme Première période intermédiaire (2263-2160 av. J.- dans l'au-delà. La différence fondamentale entre les C.). Le Livre des Morts apparaît comme faisant déjà Textes des Pyramides et les Textes des Sarcophages un ensemble à la XVIII è siècle. Ce recueil s'est est que, les premiers furent rédigés pour le salut du constitué dans la région de Thèbes. Le Livre des pharaon exclusivement, tandis que les seconds Morts a été rédigé à l'intention des Egyptiens de la prennent en compte le salut des grands dignitaires. classe moyenne. Écrit presque toujours sur un Les Textes des Sarcophages sont donc l'ensemble papyrus, portant les titres du mort, il accompagnait des textes trouvés dans les sarcophages égyptiens celui-ci dans la tombe 3 • La traduction du Livre des du Moyen Empire. Morts à laquelle nous avons eu recours dans la rédaction du présent article, est celle de P. BARGUET intitulée Le Livre des Morts des anciens Egyptiens, éditée à Paris, aux éditions du Cerf, en 1967 et comprend 307 pages. A ces trois principaux documents nous pouvons 1 FAULKNER R.O., The ancient Egyptian Pyramid Tex/s, Translated into English, Oxford, Clarendon Press, 1969, ut.23 § 16; ut. 26 § 19, ut. 27, § ajouter les rituels funéraires fondamentaux que 19, ut. 32 §§ 22-23, ut. 36, §§ 28-29, ut. 38 § 30, ut. 93, §§ 62-63, ut. 510 §§ 138-1140. sont : l DRIOTON E. et VANDIER J., Les peuples de 1Dnent méditerranéen, tome 2, L'Egyple, Paris, P.U.F., 1946, p.66. , FAULKNER R.O., op. cil., préface. - Le rituel de l'embaumement: ce sont deux papyrus 4 DRIOTON E. et VANDIER J., op. cil.. p. 17. 1 BARGUET P., Textes des Sarcophages égyptiens du lfoyen Empire, Pa- hiératiques, le papyrus n03 du Musée de Boulaq et ris, Cert~ 1986, sp. 901, sp. 779, sp. 781, sp. 783, sp. 237, sp. 595, sp. 607, sp. 935, sp. 936, sp.464. 94 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 ème Semestre)
___________________________ Sciences socù:lks et IaIUlUlÎlles le papyrus n05158 du Musée du Louvre, dimension mythique des victoires du divin, un d'origine thébaine, qui nous livrent les thème central de la théologie osirienne, illustré dès grandes articulations de cette dernière phase les origines par la lutte entre Osiris et Seth d'abord, de la momification4 • ensuite entre Seth et Horus. Ce thème transparaît dans tous les textes funéraires égyptiens et fait de L'un et l'autre ne remontent pas au-delà de la victoire du Bien (la vie) sur le Mal (la mort) le la première moitié de notre ère. Ils sont un point où culminent toutes les aspirations des dieux guide technique et pratique. Les premières ainsi que celles des défunts admis à la condition attestations de ce rituel sont contemporaines divine. Ainsi, les victoires du divin à partir d'une de l' époque des pyramides, pl us relecture des textes funéraires égyptiens constituent précisément, du règne de Chéopss . l'essentiel de cet article. Ceci nous conduira à répondre aux questions suivantes : - Le rituel de l'ouverture de la bouche : il a pour objet, à l'origine, souligne J. C. - Qui sont les divins? GOYON,de: - Quel est le rôle théologique de la liturgie des victoires? « Célébrer l'achèvement heureux d'une - Le salut dans l'autre monde passe-t-il statue royale ou divine, de l'animer par des nécessairement par le refus des échecs et passes magiques, de la vêtir et de la l'exaltation des victoires sur les ennemis de conduire solennellement à sa chapelle »6. la vie? - De quelles victoires s'agit-il en réalité? Ces pratiques doivent, selon la conception égyptienne, redonner à la statue, support de Il est important de signaler que l'ampleur du thème l'esprit divin ou royal, vie, c'est-à-dire la de recherche défini au départ nous incite à possibilité de se mouvoir, de prendre circonscrire notre champ d'analyse à trois corpus possession des offrandes qui lui sont dédiées de textes 9 et aux rites funéraires réunis dans quotidiennement ou à l'occasion des l'ouvrage de J. C. GOYONlo: le rituel'de festivités spéciales en l'honneur des morts. l'embaumement et le rituel de l'ouverture de la bouche. Cette masse documentaire offre l'avantage Toutefois, si la documentation existe, le rôle de mettre la détermination de vaincre tous les liturgique des victoires du divin n'a pas encore fait obstacles au centre de la théologie osirienne du l'objet d'une synthèse de fond jusqu'à ce jour. A salut. notre connaissance, c'est 1. ZANDEE qui aborde Pour faire ressortir les éléments essentiels de notre la question en désignant la mort comme un ennemi analyse, nous commencerons par mentionner les à vaincre, dans un article intitulé: « Death as an textes funéraires qui développent la thématique de Enemy according to Ancient Egyptian la victoire. Ensuite, dans un second point, nous conceptions >/. Cependant, il ne s'agit pas d'une tâcherons d'analyser leurs données relatives aux étude approfondie sur la thématique des victoires à victoires du divin, moyen essentiel pour donner à remporter pour susciter l'éclosion de la vie en l'existence des dieux et à la vie des défunts dans éternité. Il convient de noter également à ce stade l'au-delà un sens et une essence certains. de notre réflexion, l'article de L. SPELEERS intitulé 1 DRIOTON E. et VANDIER 1. op. cit., p.127. « La résurrection et la toilette du mort selon les l BARGUET P., Le Livre des Morts des anciens Egyptiens, Paris, Cerf, textes des pyramides »8. Il a mis en valeur la 1967, chap. l, JO, 15, 18, 19,20,31,33,39,42,54. J BARGUET P., Le Livre des Morts des anciens Egyptiens, Paris, Cerf, résurrection du mort comme victoire de la vie sur 1967, p.6. 4 SAUNERON S., « Rituel de l'embaumement», Papyrus Boulaq, III, pap. la mort, mais le concept « victoire» n'apparaît pas Louvre 5158, dans SAE.le Caire, Imprimerie Nationale, 1952. dans son analyse. L'auteur de cette contribution a , GOYON 1.e., op. cil., p.89 et note 1. 6 Id., Ibid., p.14, note 2, pp.89-90 et notes. mis l'accent sur les rites qui sous-tendent le thème 7 ZANDEE 1., « Death as an Enemy according to Ancient Egyptian con- de la résurrection dans les Textes des Pyramides. ceptions», Studies in the History of Religions, Supplements to Numen, V, Leiden, 1960. , SPELEERS L., « La Résurrection et la toilette du mort selon les Textes des Sans prétendre épuiser la question, le but de la Pyramides» dans Rd'E. 3, IFAO, Le Caire, 1938. 9 Ils'agit, rappelons-nous, des Textes des Pyramides, des Textes des Sarco- présente analyse est de contribuer à approfondir la phages et du Livre des Morts. 10 GaYON 1. e., Rituelsfunéraires de l'ancienne Egypte, Paris, Cerf, 1972. Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 ème Semestre) 95
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ libis à crête symbolise Je rayom.ement I1Utnt'MUX de fesprit ressuscité: victoire la vie sur la mort. (Mesteba 'Akhetetep datant du M. empire, in ARDlNER. Egyptian grammar) Reproduction de l'Ibis comata. IL'Ibis symbole de fimmortalité chez Source: F, GRIFFITH, Beni ~s Yoruba (Nigeria), H8S~ Part II, Planche n. 96 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol, 009 N° 2-2007 (2~m. Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines II. LES VICTOIRES DU DIVIN DANS LES Ce passage des Textes des Pyramides montre que ECRITS FUNERAIRES la flamme de la vie, pour être maintenue, a besoin de l'action des dieux. Ceux-ci, par les pouvoirs qui Le principal objectif de notre contribution, faut-il sont en eux, doivent barrer la route à tous les le rappeler, est de déceler dans les écrits funéraires ennemis de la vie. Si on admet avec Socrate que la égyptiens les rites qui témoignent de la victoire des philosophie est essentiellement une « méditation sur forces revitalisantes sur celles tendant à priver la mort» et sur la destinée post-mortem de l'âme 3 , l'homme de la vie en éternité dans les paradis de on conviendra aisément que nul mieux que les l'au-delà osirien. De l'examen des documents en anciens Egyptiens n'a élaboré une notre possession, il ressort que le thème des « métaphysique de la mort» qui a soutenu, trois « victoires du divin» est présent dans toute la millénaires durant, les actions des vivants. Cette liturgie funéraire de l'Egypte ancienne, de l'Ancien métaphysique de la mort présente celle-ci comme au Nouvel Empire (2778-1085 av. J.-c.). C'est une bête à apprivoiser, un obstacle franchissable par pourquoi, la plupart des textes pour illustrer notre lequel doit passer l'être humain pour atteindre la propos viennent des Textes des Pyramides, des vraie vie. Les dieux ont aussi pour mission de Textes des Sarcophages et du Livre des Morts, les remporter des victoires sur les forces qui se principaux corpus qui retracent les étapes de la vie rattachent à la mort, afin de placer par-dessus tout de l'au-delà selon l'Egypte ancienne. En effet, l'esprit lumineux qui symbolise la vie. En effet, dès comment comprendre et appréhender·le fond de la l'Ancien Empire (2778-2400 av. J.-C.), les anciens spiritualité de l'Egypte ancienne sans mener une Egyptiens désignaient par le vocable akhu l'Esprit étude approfondie des diverses victoires qui lumineux et impérissable du défunt par opposition transparaissent à travers les rites funéraires? au corps corruptible et putrescible appelé khat. L'esprit lumineux renvoie à la croyance en 1. Les victoires des dieux sur leurs l'immortalité de l'âme, par voie de conséquence, à ennemis la victoire permanente des dieux sur les ennemis de la vie. Dans les écrits funéraires égyptiens, les principaux ennemis des dieux sont Seth et la mort. Seth est Mieux, le vocable akhu est attesté pour la première une manifestation d'Isefet! au même titre que la fois dans les Textes des Pyramides4 pour prouver faim, la soif, le crocodile Sobek (énorme reptile la conception égyptienne de la vie en éternité. inspirant la terreur sur les rivages de l'au-delà), L'objet de notre contribution n'est pas de revenir Apophis (serpent géant, ennemi du dieu Rê dans sur l'origine des doctrines exposées dans les Textes l'au-delà). Dans les Textes des Pyramides, les des Pyramides, car de nombreux chercheurs 5 ont victoires des dieux se confondent avec celles du déjà apporté des lumières suffisamment pharaon défunt. Cela n'a rien d'étonnant, d'autant convaincantes à cette question. Nous voulons tout plus que le roi d'Egypte est le descendant direct simplement montrer que la victoire de la vie sur la des dieux; il fait partie de la lignée divine. A ce mort est un thème développé depuis les débuts de titre, Osiris et Thot interviennent et mettent en la civilisation égyptienne. L'esprit lumineux de déroute tous ceux qui profèrent des méchancetés 1'homme est associé à l'idée de résurrection incarnée contre le roi. Ce passage des Textes des Pyramides par la personne d'Osiris. Il renvoie aussi, dans les l'illustre bien: Textes des Pyramides, au double, à l'âme du défunt6 • Toutefois, Sir Wallis BUDOE reconnaît la « 0 Osiris, écarte tous ceux qui haïssent le difficulté de cerner le contenu sémantique du roi et disent de mauvaises choses contre son nom. vocable akhu: Ô Thot, hâte-toi, écarte celui qui s'en prend à Osiris et rejette celui qui profère des mauvaises choses « The .exact meaning ofthe word khu or, as contre le nom du roi; prends-le dans ta main »2. it is written in the Pyramid Texts Aiikhu, is very Revue du CAMES - Nouvelle Série R, Vol. 009 N° 2-2007 (2 fm • Semestre) 97
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - hard to discorve and authorities have differed de la lumière du soleil. Sur terre et dans l'au-delà, greatly in their translations ofthe word and in their la lumière du soleil demeure le signe visible de la descriptions ofwhat the Khu is >/. réalité de la vie. De même qu'Horus prend possession du trône céleste, de même le roi défunt Tout ce qui précède traduit la détermination du est présenté comme une grande puissance et une clergé égyptien à donner aux dieux et aux rois image sacrée: divinisés la possibilité de remporter des victoires sur les forces du mal. C'est pourquoi dans les Textes « The King has travelled around the des Pyramides, le roi étant de la lignée divine, les whole of the two skies, he has rebellés contre les dieux sont vaincus: circumambulated the Two Banks (Egypt) For the King is a great « 0 Osiris the King, take those who rebelled power who has power over the against you »8. Powers; the King is a sacred image; the most sacred ofsacred images of Ceux qui se sont rebellés contre le roi, ce sont les the Great One ... »/1. ennemis de l'Egypte et ceux qui s'opposent à la volonté des dieux, autrement dit, à l'avènement de L'éclat du soleil et la dimension sacrée de la la vie en éternité. Dans la même perspective, le roi personne du roi sont associés pour que triomphe à apparaît comme le fils d' Atoum, le patron de jamais la lumière de vie venant des dieux des deux l'Ennéade d'Héliopolis: grandes Ennéades de l'Egypte. Mieux, l'idée de luminosité pour symboliser la victoire des forces « ... It is weil with me and with them, vitales sur les ténèbres, est bien présente dans le It is pleasantfor me andfor them, vocable akhu (l'immortalité de l'âme). En effet, la Within the arms ofmy father, racine du mot akhu est représentée en hiéroglyphe Within the arms ofAtum »9. par un graphème renvoyant à l'ibis à aigrette l2 • Oiseau que son plumage vert brillant rendait Il apparaît que pour triompher des obstacles de l'au- lumineux et étincelant sur les côtes africaines de la delà, le roi défunt doit se configurer aux dieux. Ayant Mer Rouge d'où il serait originaire 13 • Pour qui été le représentant des dieux sur terre, les victoires connaît la puissance « symbolique» de l'écriture des dieux deviennent celles du roi et inversement. hiéroglyphique égyptienne, le choix de cet oiseau C'est pour cette raison qu'il est inutile de chercher brillant pour « incarner» la notion abstraite de à faire la distinction entre ce que font les dieux et l'immortalité, ne peut être dû au hasard. D'ailleurs, ce que fait le roi défunt. Les victoires du divin dans l'égyptologue Sainte FARE GARNOT a démontré les écrits funéraires égyptiens sont donc l'ensemble que le substantif iakhu qui aurait gardé le sens des interventions des dieux et des défunts divinisés grâce à la magie des rites, en faveur de la vie 1 Isefet c'est le concept égyptien désignant le mal et toutes ses manifestations. 'FAULKNER R.O., op. cit., ut. 23, §16, p.4. Textes parallèles: ut. 26, ut. éternelle. Tant et si bien que le triomphe de toutes 37, ut. 28, p.s. les forces de la vie passe par la prise en possession J PLATON, Phédon, 63 E-65D; 69 E-84C, in Œuvres complètes, tome IV, 1'" partie, Paris, Société d'édition Les Belles Lettres, 1983. du ciel: 4 SAUNERON S., YOYOTfE 1., « La naissance du monde selon l'Egypte ancienne », in La naissance du monde, Sources Orientales l, Editions du Seuil, 1959, p.20. «There is tumult in the sky; we see something , MAYASSIS S., Le Livre des Morts de l'Egypte ancienne est un /ivre d'ini- tiation, Athènes, BAOA, 1953. Et Mystères et Ini/iations de l'Egypte an- new, say the primeval gods. 0 you Enneads serve cienne, Athènes, BAOA, 1957. 6 « '" Le ka est comparable, dans sa nature, à la force vitale qui joue un si him, for he sits on the throneofthe LordofAil... »/0. grand rôle dans de multiples civilisations de l'Afrique noire », in POSENER G. (en collaboration avec SAUNERON S. et YOYOTTE 1.), Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Editions F. Hazan, 1970, p.143. Horus, symbole de la victoire sur Seth en vue de 7 BUDGE W (Sir), Osiris and the Egyptian Resurrection, New York, Dover l'occupation du trône d'Egypte, apparaît dans la publications, Inc., 1973, pp. 132-135. lumière du soleil. C'est encore une preuve de la 8 FAULKNER R.O., op. ci/., ut.130, p.27. 'Id., ut. 216, §151, p.44. victoire de la lumière sur les ténèbres; car pour les 10 Id., ut.257, §§304-305, p.67. anciens Egyptiens, la pire des catastrophes qui Il Id., ut.273-4, §406-407, pp.81-82. "GARDINER A. (Sir), Egyptian grammar ... Griffith Institute Ashmolean puisse arriver à un être humain, c'est d'être privé Museum, Oxford, 1988, p.470. Il KUENTZ, « Bulletin de l'Institut Français d'Archéologie Orientale », tome XVII, 1920, Le Caire. 98 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 eme Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ Sciences sociales et humaines premier de la racine, signifie: « la lumière éclatante indispensables du pouvoir temporel. Ceux-ci sont du soleil »14. transférés dans l'au-delà pour y jouer le même rôle. Ceci consacre le caractère éternel du pouvoir, en le Ainsi donc, il apparaît que les victoires des dieux plaçant dans le sillage de l'intemporel. sur leurs ennemis renvoient aux actions des dieux en vue de l'éclosion de la vie et de la victoire Dans les écrits funéraires 16 ,plusieurs passages font permanente de la lumière sur les ténèbres qui mention de l'invitation adressée aux défunts de cherchent à repousser la vie. C'est aussi l'œuvre revenir à la vie. Dans les Textes des Pyramides, nous des dieux de l'Egypte pour vaincre la mort. pouvons lire: 2. Les victoires des dieux sur la mort « The libation is poured and Wepwawet is on high. Wake up, you sleepers! Wake up, Horus! Une lecture de l'ensemble des écrits funéraires Raise yourself, Osiris the King, you first-born son égyptiens peut nous permettre de dire, peut-être à 01Geb, atwhom the Great Ennead tremble! ... »17. tort, que les rituels funéraires sont une proclamation de la victoire des dieux sur la mort. Il s'agit de la Ce passage fait partie de la rubrique des textes dits victoire des dieux parce qu'ils sont les principaux de « résurrection ». Les dieux, maîtres de la vie, inspirateurs des prêtres qui ont conçu les formules demandent aux défunts de quitter la mort et magiques permettant de rompre les liens de la mort. d'accéder à la vie en éternité. Celui qui se veut Les dieux mènent à la vie éternelle et admettent dans compagnon d'Osiris, se doit de briser les liens de la leurs rangs les défunts qui ont respecté les rites dont mort par le respect strict des rites seuls capables le rôle technique est d'ouvrir les portes de l'au-delà. d'ouvrir les portes de ankh (la vie éternelle). Ainsi, Osiris étant le premier homme ressuscité selon la tradition égyptienne, nous commencerons Dans les Textes des Sarcophages, il est aussi par prendre l'exemple de « l'érection du pilier question, à plusieurs endroits, de l'intervention des Djed» pour illustrer la victoire des dieux sur la mort. dieux pour mettre fin au règne de la mort: En effet, les rites égyptiens relatifs à « l'érection du pilier» sont liés au mystère de la mort et de la « Osiris N, Horus t'a protégé: il alait que résurrection d'Osiris: Nephthys t'embrasse. Elle t'étreint, elle te façonne en son nom de Séchat, maîtresse des constructeurs, « Le réveil d'Osiris est rappelé, dans les rites, lorsque le roi redresse le pilier Djed Celui-ci car telle est cette Grande, maîtresse de la vie dans désormais sorti de l'engourdissement de la mort, la barque de la nuit. Horus te redressera ... »/8. s'anime: il peut être muni de bras qui tiennent les sceptres osiriens, mais, surtout, il a retrouvé sa tête. Le défunt, réduit au silence par la mort, est Celle-ci est rarement figurée. On évoque plutôt sa revivifié parNephthys, une déesse de la lignée d'Osiris. présence de manière allusive; le Djed est coiffé Nephthys reconstruit le mort, le façonne, afin que ses d'une couronne triomphale et il possède deux yeux organes vitaux et toutes les parties de son corps physique qui lui permettent de communiquer avec le monde vibrent au rythme des réalités de la vie de l'au-delà. Il des vivants, mais qui sont aussi le signe de la s'agit également d'une vie qui se déroule dans la barque plénitude cosmique recouvrée »/5. nocturne de Rê. En effet, pour assurer le Le roi, représentant des dieux sur le trône du Double Pays (Egypte), exécute le rite qui rappelle la victoire 14 SAINTE FARE GARNOT 1., L'hommage aux dieux sous l'Ancien Em· pire égyptien d'après les Textes des Pyramides, Paris, P.U.F., 1953, p. 232. des dieux sur la mort à travers la personne d'Osiris. l' FRANCO 1., Rites et croyances d'éternité, Paris, Editions Pygmalion/ Gérard Watelet, 1993, p.l77. Le pilier Djed redressé devient le symbole d'Osiris 16 11 s'agit des Textes des Pyramides, des Textes des Sarcophages et du Livre triomphant définitivement de la mort, ce qui lui des Morts. 17 FAULKNER R.O., op. cit., ut. 483, § 10 Il, p.170. Textes parallèles relatifs confère la plénitude de la souveraineté sur le monde à la résurrection: ut.484, p.171; ut.536, p.205; ut.553, p.213; ut.578. p.233. 18 BARGUET P., Textes des Sarcophages Egyptiens du Moyen Empire, Pa- des vivants et sur l'au-delà. Cette souveraineté est ris, Editions du Cerf, 1986, sp.778, pAO. matérialisée par les sceptres et la couronne, éléments Osiris N.: Osiris est le nom donné à tout défunt candidat à la résurrection. N. est une variable remplaçant le nom du mort. Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 tm • Semestre) 99
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Métamorphose du pilier DJED, symbole de la stabilité, de la résumction et de léternité du dieu Osiris: Victoile de la vie sur la mort. ft! ~f • ff 1 ! i Pilier DJED 8Nmé brandissant le Osiris voilé symbolisant la "chasse mouche" et le sceptre, in resun:ection. In Champollion,. Le BUDGE W., op. cit. Panthéon égyptien. renouvellement et l'éternité de la vie, le dieu Rê renouvelé. En réalité, les anciens Egyptiens dispose de deux barques: la barque nocturne servant assimilaient le défunt au soleil nocturne qui, dans à quitter le monde des ténèbres pour accéder à la sa course, « meurt et renaît» chaque jour et ce dans lumière vitale; la barque diurne pour descendre dans un cycle éternel: le ventre de la terre, afin de paraître, demain, « Les Egyptiens qui/aisaient se coucher le soleil dans la terre, le/aisaient aussi sortir du Nun considéré alors comme le ciel inférieur »1. 1 PALANQUE C., Le Nil à l'époque pharaonique, son rôle et son culte en Egypte, Paris, Librairie Emile Bouillon, 1903, p,98. 100 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 èm • Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines Les égyptologues admettent, dans leur grande majorité, que le Noun est le « dénominateur voyage des profondeurs abyssales et ténébreuses commun» aux différentes cosmogonies égyptiennes vers la métamorphose stellaire »/ . (Héliopolis, Hermopolis, Thèbes, Memphis, Esna, etc.»). Le Noun cet océan total et apparemment Les dieux d'Egypte remportent une victoire sur la stérile, est antérieur à toute manifestation de la vie mort lorsqu'ils arrachent le défunt des griffes du et du mouvement. Il est désigné dans les écrits monde des ténèbres, c'est-à-dire d'un état synonyme funéraires égyptiens sous le vocable « ciel inférieur »2 . Le défunt rendu victorieux de la mort d'absence de vie et de lumière. En effet, pour .les par les dieux, descend dans le ciel inférieur où il va anciens Egyptiens, il n'y a pas de vie sans Lumière, s'abreuver des eaux du Noun qui redonnent vie. notamment l'éclat du soleil qui vient briser les liens Pour la tradition égyptienne de l'époque de la mort (la manifestation des ténèbres). Le soleil pharaonique, cette vie retrouvée est bien réelle et est signe d~ vie pour les anciens Egyptiens, parce totale. Par cette victoire de la vie sur la mort, les dieux d'Egypte confirment le caractère sacré de qu'il annonce sempiternellement la venue d'un jour l'eau et son rôle déterminant dan~ la primauté de la nouveau, autrement dit d'un nouvel espoir de vie. vie tant sur la terre que dans la Douat3 • C'est pourquoi, le défunt qui prend place à bord des Par ailleurs, quand au travers des rites et formules barques de Rê est, pour la conception égyptienne magiques les dieux parviennent à restaurer et à de la vie, un être debout, vivant et en pleine maintenir la vie sur l'ensemble de l'univers, ils possession de toutes ses facultés: procèdent à la protection de tous les défunts qui ont « ... Tu demeures ferme, et ton ennemi est respecté les rites funéraires, afin que la mort soit renversé; tu traverses le ciel en vie et domination, vaincue et écartée de leurs sentiers. Dans les Textes tu mets en fite le ciel en tant que Adjy; ta barque des Sarcophages, nous pouvons lire: est en pleine joie et ton cœur est réjoui, tandis que Maât est apparue en gloire à ta proue ... »4. « Paroles dites par Nout: Osiris N, je suis Dans cet extrait du Livre des Morts, le défunt ta mère, je suis Nout. Je suis venue t'étreindre, je . victorieux de la mort grâce aux dieux, agit en tant suis venue te protéger de tout mal. que Adjy, autrement dit en sa qualité de « lumière de vie », car le terme Adjy n'est qu'une désignation Paroles dites par Isis: Osiris N, je suis ta du soleils. Pour qui connaît le rôlC? du soleil dans sœur Isis. Je suis venue prendre possession de toi, les cosmogonies égyptiennes, notamment celle élaborée par le clergé d'Héliopolis, l'assimilation ;e suis venue te protéger »2. du défunt à cette divinité est la preuve de l'œuvre triomphante des dieux sur la totalité des entités Nout et Isis occupent une place de première ennemies de la vie. D'où l'expression « traverser le grandeur dans le panthéon égyptien. Leur ciel en vie et domination ». Il est donc question de intervention en faveur du défunt consacre le retour dominer et apprivoiser la mort, afin que les dieux de la vie en éternité. Les dieux ont vaincu la mort. demeurent maîtres de tout partout. / Le défunt qui respecte leurs préceptes peut être « On comprend dès lors pourquoi, de déclaré juste de voix: l'Egypte pharaonique à nosjours, tous les peuples négro-africains considèrent la mort - et partant « ... Tu n'es plus inerte. Traverse le ciel et l'immortalité elle-même- comme un passage, un Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2im• Semestre) 101
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - la terre, (car) tu n'es plus inerte, imhakhy N que 3. Les victoires des défunts divinisés voici, éminent et juste de voix! »3. Les défunts divinisés, faut-il le préciser, sont l'ensemble des morts qui ont bénéficié des rites Grâce à l'intervention des dieux, le défunt n'est plus funéraires et ont été déclarés justes lors des assises sans vie, il peut traverser le ciel et la terre4 , parce du tribunal d'Osiris. Ils mènent, avec l'appui des qu'il est conscient de posséder la totalité de ses dieux, le combat pour le triomphe des forces vitales. facultés. Mieux, il a été déclaré juste de voix, 3.1. Sur leurs ennemis et les ennemis des dieux autrement dit, il a l'usage de la parole de vérité et de vie. Il ne ment pas. Il n'a pas tué. Une telle Le principal ennemi des défunts divinisés et des attitude est qualifiée de « confession négative» dans dieux c'est Apophis. Ce serpent géant, grand la théologie de l'ancienne Egypte. Le chapitre 125 ennemi de Rê, vogue sur les eaux célestes et du Livre des Morts en est la parfaite illustration: cherche à renverser les barques de Rê. En effet, les barques de Rê permettent aux défunts de « sortir au jour »1 , assurent le renouvellement de la vie « ... Je n'ai pas commis l'iniquité contre les post-mortem et confèrent l'éternité. Renverser les hommes. barques de Rê, serait rompre le cycle de la vie Je n'ai pas maltraité (les) gens. véritable et renvoyer l'Egypte, par ce fait même, Je n'ai pas commis de péchés dans au chaos originel. Ce chaos est synonyme de la Place de Vérité (. ..) triomphe du règne des ténèbres antérieures à l'autocréation de Rê. Les défunts qui accèdent à Je n'ai pas fait le mal (. ..) }' au-delà et les dieux doivent barrer la route à Je n'ai pas blasphémé Dieu (. ..) »5. Apophis. Les textes sont multiformes, pour témoigner de la victoire sur Apophis. Nommer les péchés ou le mal commis lors de la vie terrestre, c'est les appeler à l'existence. Comme les « Arrière! A bas! Détourne-toi, Apophis! dieux ne proclament la victoire de la vie sur la mort Va te noyer au puits de l'abîme, là où ton père a ordonné de faire ton supplice! Éloigne-toi de ce qu'au profit des défunts qui ont privilégié le Bien, lieu de naissance de Rê, dans lequel tu trembles! le « juste de voix» est celui qui ne nomme pas le (. ..) »2. mal et ne voit que le Bien. Les anciens Egyptiens l'avaient compris: on parle de la lutte pour la vie. Cette formule prononcée pour repousser Apophis, Cette lutte n'est pas possible si l'on voit la mort. symbolise les méthodes auxquelles ont recours les défunts divinisés et les dieux pour mettre Apophis Les victoires des dieux sur la mort ne sont que les hors d'état de nuire. On l'aura constaté, il n'est instants d'affirmation du bien qui confère l'éternité. pas question de tuer Apophis. La victoire de la vie Cette logique doit être suivie par tout défunt sur la mort ne signifie pas la fin de la mort. Il s'agit divinisé. donc de dominer Apophis, l'apprivoiser, aux fins de l'empêcher de gêner le fonctionnement harmonieux de la vie céleste. La vie et la mort; le bien et le mal, étant les deux forces sur lesquelles 1 GOMEZ J.c.c., « La signification du vocable Akhu en Egypte ancienne et en Afrique noire contemporaine », in Ankh n03, 1994. p.99. repose l'équilibre de l'univers, remporter une 'BARGUET P., Les Textes des Sarcophages, op. ci!., sp.792, p.45. ) Idem, sp. 235. p.55. victoire sur Apophis, c'est franchir l'obstacle situé 4 Le défunt qui traverse le ciel et la terre, c'est celui qui a été jugé digne par les dieux d'assumer l'héritage tant céleste que terrestre. Il devient maître de sur les sentiers de la vie. Le mal est toujours à la vie de l'Egypte terrestre et céleste. l'affût, il appartient aux défunts et aux dieux non , BARGUET P., Le Livre des MarIs. op. cil., chap.125, p.158. 102 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 ém • Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines pas de mettre fin à son existence, mais de le Seth qui a voulu écraser Osiris afin d'occuper le renvoyer au « puits de l'abîme» qui n'est autre que trône du Double Pays, est vaincu par les dieux de l'Ennéade. La vie a remporté une victoire le bassin du Noun, le siège des eaux primordiales, déterminante sur la mort. C'est pourquoi les le chaos d'où émergea la vie, le lieu où la lumière symboles du pouvoir doivent être libérés des mains revitalisante du soleil n'existe pas encore. C'est de Seth. L'un des éléments du pouvoir égyptien c'est pourquoi, dans les Texte des Sarcophages, Apophis le faucon, l'oiseau dont les ailes déployées, protègent le trône du pharaon. apparaît comme le compagnon fidèle des ténèbres: « Le faucon avait été enlevé par Seth etj'ai « ... Apophis est enlevé, les ténèbres ... avec lui vu que tu étais démolie, Campagne des Félicités; (. ..) »3. (alors) j'ai délivré le faucon de l'emprise de Seth. J'ai ouvert les chemins à Rê ... »6. Au travers de cette formule, nous apprenons que repousser Apophis, c'est barrer la route aux Dans l'Egypte pharaonique, le pouvoir du pharaon régule la vie sur l'ensemble du pays, sur terre et ténèbres, d'autant plus qu'il tente de renverser la dans l'au-delà. Libérer le faucon qui protège le trône barque de Rê porteuse de lumière et de vie. La royal, c'est redonner au pouvoir toutes les forces victoire sur Apophis est donc le triomphe de la qui procurent la victoire lors de la bataille pour la lumière sur les ténèbres. Cette victoire est à n'en vie. Le pouvoir du pharaon doit l'emporter sur tous les ennemis de la vie, y compris sur le temps; car il point douter capitale pour la bonne marche de la est appelé à être éternel. C'est aussi le sens du vie en éternité. Apophis est renvoyé au « puits de Sphinx de Giseh qui, placé sur le sable d'Egypte, la l'abîme », la lumière du soleil vivifie tous les tête du pharaon collée au corps d'un fauve (lion), défunts, la mort et les ténèbres jouent les seconds proclame la victoire de la force sur la faiblesse, de l'éternel sur l'éphémère. Ce symbole fort gravé sur rôles; elles n'ont plus la capacité de se hisser au- la pierre, annonce que la vie représentée par l'image dessus de la vie et de la lumière. du pharaon, ne doit pas s'arrêter. Le temps, Par ailleurs, à la lumière des textes funéraires l'adversaire redoutable de l'humain et de la vie, égyptiens, il apparaît que Seth et ses collaborateurs affronte au travers du Sphinx, la détermination du font partie des ennemis des défunts divinisés et des pouvoir pharaonique à proclamer pour toujours la dieux. Pour accéder à la vie totale, l'on se doit de victoire de la vie tout court. L'assurance qui découle vaincre Seth. Le défunt doit s'inscrire dans la du pouvoir pharaonique permet au défunt divinisé logique d'Osiris: d'acquérir une nouvelle dimension: « J'ai frappé les confédérés de Seth, j'ai « .., Je suis le taureau maître des dieux, qui marche fait leur massacre; je les (Ji mis dans cette place dans la turquoise (le ciel) ». d'exécution au sud de Sepa et au nord de Hnn, et ton père est leur maître, Anubis p1t7ître de Sepa et Horus maître de Hnn ».J. Seth, frère ennemi d'Osiris, est par excellence l'ennemi de la vie voulue par les dieux. Il doit être 1 «Sortir au jour» pour les anciens Egyptiens, c'est quitter l'empire des morts pour venir à la lumière du soleil, la contempler et avoir par elle l'assu- vaincu et Osiris toujours placé au-dessus de lui: rance de la vie. « Vois, je t'ai amené ceux qui ont tué ton 2 BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cit., chap. 39, p.81. Textes parallè- les, chap.40, pp.82-83. père Osiris, en leurs noms-ci de bêtes d'abattage, , BARGUET P., Les Textes des Sarcoplulges, op. cil., sp.901, p.37. afin qu'ils baisent tes pieds. Redresse-toi, mon père 4 Idem, sp.595, p.64. Osiris! Tes ennemis sont tombés sous toi »5. , Ibidem, sp.602, p.65. 6 Ibidem, sp.464, p.76. Revue du CANJES - Nouvelle Série B, ~Tol. 009 N° 2-2007 (2~d1· Semestre) 103
Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le taureau, au même titre que le lion, représente la Quand le défunt divinisé a vaincu ses ennemis, il force, l'abondance de force vitale. Le défunt divinisé franchit un échelon supérieur; il devient la « fleur- en se présentant ainsi, montre aux yeux de l'Ennéade ouneb»4. C'est l'éclosion de la vie en éternité, la qu'il a vaincu ses ennemis y compris ses propres manifestation de la victoire sur tous les ennemis de limites, franchi les obstacles dressés sur les chemins la vie. Le défunt devient comme les dieux; sa vie se de l'au-delà. Nous pouvons l'entendre dire: confond avec celle des grands dieux de l'Ennéade. Dès lors, tous les biens de l'Egypte céleste sont à sa « '" La victoire m'a été donnée dans portée. Il connaît les formules permettant de le tribunal de Rê-Atoum; je jubile repousser et de vaincre les ennemis. Pour cette dans la tombe; le Décapiteur n'a pas raison, il ne peut plus connaître la faim et la soif. eu de pouvoir sur moi. Je suis venu, (.. .); je satisfais les habitants des 3.2. Sur la faim et la soif demeures d'en haut (. ..) »1. L'au-delà de la religion égyptienne se caractérise Chez les anciens Egyptiens, la vie de l'au-delà étant par ses innombrables action en chaîne. La la continuation de la vie terrestre, le salut éternel particularité est que toutes ces actions visent n'est autre que la résultante d'une succession de victoires sur des ennemis multiformes. Le inexorablement le bien. « Le défunt aguerri par les Décapiteur ici c'est celui qui abat les âmes indignes rites funéraires, exclut de son parcours dans l'au- dans la salle d'abattage du dieu. Il représente donc delà toute possibilité d'échec et de famine »5. Il un ennemi redoutable pour le défunt. Quand le demeure fidèle à la force de l'affirmation qui conduit défunt aura surmonté les obstacles (les ennemis), toute chose de l'invisible vers le visible. C'est Thot, le greffier des dieux, lui conférera le statut de juste, au grand dam de ceux qui l'accusent: pourquoi le défunt divinisé ne cesse de dire son refus de manger les excréments et de boire les urines 6 • « ... Voilà: Horus, il est justifié; les En effet, pour les anciens Egyptiens, tout défunt en Deux Chapelles en sont satisfaites, route pour l'au-delà se doit de connaître et Osiris, son cœur est content. C'est parfaitement ses formules et de respecter les vraiment Thot qui m'a proclamé ;uste contre mes ennemis dans le recommandations des rites funéraires, afin de ne pas tribunal d'Osiris ... »2. être condamné à manger les excréments et à boire les urines. Ce refus systématique, sans cesse Les Deux Chapelles, c'est-à-dire la Basse et Haute renouvelé, des excréments et des urines, est une Egypte sont satisfaites, cela signifie que la victoire victoire remportée sur la faim et la soif. Pour du défunt divinisé est totale, elle s'étend sur l'ensemble de l'Egypte. La victoire du défunt remporter cette victoire, le défunt divinisé prononce devient celle des dieux; car les deux (les dieux et le un discours sélectif consistant en l'affirmation de défunt) militent pour le triomphe des forces de la ce qu'il désire voir se manifester dans sa vie en vie. C'est dans cette perspective que Thot, éternité? . Il déclare: s'adressant à Osiris, déclare: « Je suis le plus divin des dieux protecteurs. « Ouvrez-moi le chemin, gardiens de la J'ai combattu pour toi. Je suis l'un de ces dieux du Douat! Je suis quelqu'un à la parole efficace, à la tribunal qui a proclamé juste Osiris contre ses puissance magique intacte, maître d'offrandes ennemis, le jour du jugement (.. .) »3. nourricières lors de la réception des dons ... »8. 104 Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 eme Semestre)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines L'usage de la parole qui permet l'utilisation de la ce que nous buvons »1? puissance magique et ouvre la voie à la possession et la consommation des offrandes, renvoie au rituel Avec l'appui des dieux qui l'ont admis dans leurs de l'ouverture de la bouche et notamment au rite du « repas funéraire »9. C'est à cet instant que, par rangs, le défunt circule dans le ciel lumineux de Rê la magie des rites dont seuls les anciens Egyptiens et vogue sur les eaux du ciel inférieur rempli de ont le secret, le défunt fourbit les armes qui lui toutes sortes de provisions. Tant et si bien que l'on permettront de vaincre la faim et la soif. L'au-delà peut être amené à dire que l'au-delà égyptien est le étant le pays des dieux, maîtres et possesseurs légitimes de l'Egypte, il est incongru que celui qui pays de la démesure; la disette ne peut y prendre le y séjourne meure de faim et de soif, et soit condamné dessus. Voici ce qui est écrit à propos d'Horus dans à manger et à boire ce qui représente le Livre des Morts: l'abomination 1o • Le refus de manger les excréments et de boire les urines est une façon explicite de « (...) Horus gouverne l'Egyptë, ét reconnaître en l'au-delà le lieu du bonheur éternel, exclusivement. C'est une victoire qui ouvre aussi les dieux sont à son service. Il nourrit le passage de la misère au bonheur, du dénuement à des multitudes, il fait vivre des l'abondance, de l'enfance à la maturité, de l'humain multitudes avec son œil, l'unique de au divin. son maître et le maître de l'univers »2. Refuser de manger les excréments, c'est accepter de grandir, d'abandonner pro gressivement Or, à la lumière des textes funéraire égyptiens, nous l'humanité au profit de la divinité. Par la victoire savons que l'œil d'Horus, œil sacré, est le symbole sur la faim et la soif, le défunt s'élève au-dessus de même de l'offrande alimentaire. Ce qui revient à lui-même et acquiert une dimension supérieure. dire que celui qui en dispose triomphe à jamais de Dans l'au-delà, les dieux ne disent-ils pas: la faim. Il acquiert des pouvoirs à taille d'océans qui lui confèrent la maîtrise de l'univers. Par « Le serviteur est venu; qu'il vive de ce dont ailleurs, l'abondance caractérisant la victoire sur la nous vivons! Mange ce que nous mangeons, boive faim et la soifs'exprime aussi à travers la quantité d'eau mise à la disposition du défunt divinisé afin qu'il s'en serve sans limite et sans crainte: 1 Ibidem, sp. 644, p.84. , Ibidem, sp.339, p.92. l BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.I, p.38. Textes parallèles: « C'est moi l'Osiris N,je suis celui qui sort chap. 15, p.49, chap.50: « ... La marche d'Apophis a été enrayée... ». Tout le chap. 15, pp.47-50. Ce chapitre est un chant de victoire de Rê sur ses avec le flot, celui à qui a été attribuée l'inondation principaux ennemis. 4 « La fleur-ouneb est, comme le lotus, sortie des eaux primordiales; c'est afin qu'il puisse en disposer en tant que Nil »3. une fleur d'or, symbole de ce qui est impérissable ». BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.28, note nOl, p.73. ! MOMBO M.-A., « L'au-delà des anciens Egyptiens d'après une analyse des écrits funéraires (2563-1085 av. J.-C.»), Thèse unique, Université de L'Egypte étant entourée de deux déserts, l'eau yest Cocody (Abidjan), 200 l, p.313. 6 « Ô enfant des excréments, ne me propose pas tes excréments que voici! » une denrée précieuse. Disposer de l'inondation en - De quoi vivras-tu? - Je suis le taureau de la ville de Hennet qui est aux confins du ciel. Je permanence, c'est refouler de l'au-delà la disette suis le maitre des cinq portions auprès d'Osiris (car) on a préparé cinq portions au ciel et sur terre (...) » In BARGUET P. , Les Textes des due à la sécheresse au pays des pharaons. Le chapitre Sarcophages, op. cit., sp.191, p.389. 7 Ce que le défunt recherche et désire voir, c'est l'avènement du bien carac- térisé par la richesse et l'abondance de toutes choses. • BARGUET P., Les Textes des Sarcophages, op. cil., sp.237, p.56. 1 BARGUET P. Les Textes des Sarcophages, op. cil., sp.195. p.391. Textes 9 GOYON j,C., Rituelsfunérairesde l'ancienne Egypte, scènes LXIV-LXXI, parallèles: BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.106, p.l41. pp. 165-1 77. FAULKNER R.O., op. cil., ut. 205, §§120-123, pp.37-38. '0 L'abomination du défunt dans l'au-delà, ce sont les excréments et les , BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cil., chap.78, p.117. urines. In BARGUET P., Le Livre des Morts, op. cit., chap.124, p.156. 1 Idem, chap.6l, p.94. Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2 tme Semestre) 105
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