Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion
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Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion Henri-Corto Stoeklé Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, Université Paris Descartes Guillaume Vogt Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, Université Paris Descartes, Institut IMAGINE, INSERM U1163 Marie-France Mamzer-Bruneel Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, Université Paris Descartes, Hôpital Necker-Enfants malades, Assistance publique-Hôpitaux de Paris Christian Hervé Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, Université Paris Descartes
118 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision Le 14 avril 2003, après treize ans de recherches intensives, la mobilisation de plusieurs milliers de chercheurs et un budget global estimé à 3 milliards de dol- lars, le projet génome humain atteint son objectif principal : établir le séquen- çage complet du génome humain. Aujourd’hui, l’opération ne prend que quelques heures, ne mobilise qu’un technicien et ne coûte que quelques milliers de dol- lars, et il est plus que probable que les prix continueront encore à chuter dans les années à venir. Par définition, le séquençage de l’ADN équivaut à déterminer la séquence en nucléotides d’un fragment d’ADN donné jusqu’au génome entier d’un individu appelé aussi « Whole Genome Sequencing » (WGS), à la différence du génotypage appelé aussi « Genome Wide Association » (GWA) ou étude d’as- sociation pangénomique qui recherche chez plusieurs individus des variants géné- tiques polymorphes en commun d’un SNP (Single Nucleotide Polymorphism) ou plusieurs nucléotides (CNV, Copie Number Variation, Microsatellites) potentiel- lement associés à des « gènes délétères », c’est-à-dire des gènes dont certains de leurs allèles associés à ces marqueurs peuvent être à l’origine de pathologies graves chez l’homme. Ces deux approches ayant un même objectif, celui d’améliorer nos connaissances sur les causes génétiques de certaines maladies, mais offrant des résultats qualitativement et quantitativement significativement différents pour un coût qui ne fait que se rapprocher financièrement, favorisent les études de WGS dans les laboratoires. Depuis 2006, les États-Unis ont vu se développer sur leur territoire des sociétés privées comme « 23andMe » pratiquant majoritairement des études de GWA et non de WGS afin de proposer directement aux consommateurs une offre de génomique dite « personnalisée », financièrement très abordable et facile d’accès grâce à Internet, susceptible de fournir des facteurs de risques géné- tiques dans le cas de maladies comme le cancer. Mais, en raison de l’absence de cadre formel préexistant, cette offre s’est avérée très problématique pour le consommateur car ces informations, relatives à son état de santé, étaient direc- tement accessibles via Internet, sans accompagnement par un professionnel de santé et au final globalement peu informatives sur son état de santé présent ou futur en raison de l’approche du GWA qui peu à peu a montré ses limites dans un cadre d’application à une médecine prédictive généraliste. Ainsi, le 22 novembre 2013, 23andMe s’est vu interdire par la Food and Drug Adminis- tration (FDA) la commercialisation de leur kit permettant l’analyse de données génétiques liées à la santé. Cette décision de la FDA laisse ouverte la question du moyen et du but de l’utilisation de ces techniques dans le domaine de la santé, notamment dans le champ du cancer : quels avantages concrets ont tiré les utilisateurs de ce service de dépistage génétique rétrospectif « à la carte » ? Pour quelles raisons ces pratiques ont-elles été et continuent à être interdites en France ? Enfin, si les techniques de GWA ont montré leurs limites dans le domaine de la santé via ces sociétés privées, est-ce qu’une utilisation médicale en routine des techniques de WGS, bien plus informatives, est envisageable en France ? Et si oui, de quelle façon ?
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion 119 I. DU GWA AU « DATA BANKING » La société 23andMe, dont le nom fait référence aux 23 paires de chromosomes chez l’homme, est une entreprise américaine basée à Mountain View en Califor- nie aux États-Unis. Elle est spécialisée dans le secteur des biotechnologies et a été fondée en 2006 par Linda Avey et Anne Wojcicki, dont les liens d’intérêts avec le géant informatique Google sont manifestes puisqu’elle fut l’épouse de l’un de ses fondateurs. De 2007 à 2012, Google fut l’un des principaux investisseurs des quatre séries d’investissement pour le développement de son activité (Figure 1) qui ne serait autre que la constitution d’une biobanque financée en partie par ses consom- mateurs. L’entreprise fonctionne sur un modèle commercial « BtoC » (Business to Consumer, entreprise visant une clientèle de particuliers) et non « BtoB » (Business to Business, entreprise visant une clientèle d’entreprises) et propose au consomma- teur une analyse génétique des risques de développer une maladie et/ou de l’ascen- dance via un kit disponible uniquement sur Internet mais dont l’utilisation et la présentation des résultats se font sans l’accompagnement par un professionnel de santé (source : site internet de 23andMe) (Figure 2). Le prix du kit et de l’ana- lyse génétique a diminué d’un facteur 10 depuis la mise sur le marché de leur pro- duit, passant de 1 000 dollars en 2007 à 100 dollars en 2012 (Figure 3). Cette diminution a été bien entendue accélérée par la baisse des coûts de la technique. Pour cela, 23andMe utilise une puce à ADN Illumina « Human Omni Express- 24 ». Cette puce de génotypage permet de détecter des SNP (Single Nucleotide Poly- morphism). Certains de ces SNP ont été associés à des facteurs de risque ou à des groupes ethniques identifiés dans la littérature scientifique, fondement du principe du GWA. Le problème est que toutes ces études ne sont pas comparables entre elles en termes de reproductibilité car elles reposent sur de multiples restrictions qui n’ont pas toujours été explorées extensivement : groupe ethnique, pénétrance, phénotype plus ou moins homogène, biais de recrutement, gène ou non identifié (Figure 4) (Ducournau et al., 2011), que 23andMe semble tenter de prendre en considération lors du rendu des résultats, alors que cette compréhension ne peut être envisagée que pour des professionnels. Ainsi, la comparaison entre des prévi- sions fondées sur l’histoire médicale et celles fournies par l’étude des SNP montre que ces derniers n’apportent guère d’information supplémentaire, ce qui pourrait remettre en cause l’utilité clinique des profils de SNP (Mihaescu, van Hoek et al., 2009). Les aléas des études d’association génome entier permettent de comprendre ces limites : les gènes (parfois plus d’une centaine) ayant une association démon- trée avec la maladie ne rendent généralement compte, à eux tous, que d’une faible partie de l’héritabilité de l’affection (Jordan, 2009).
120 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision Niveau des fonds d'investissements 60 50 50 (en millions de dollars) 40 31 30 20 12,6 9 10 0 Série A Série B Série C Série D Séries Figure 1.a Fonds Séries Mois/année(s) Investisseurs (en millions $) Google, Genentech, Mohr Davidow Série A mai 2007 9 Ventures, New Enterprise Associates Série B juin 2009 12,5 Google, Sergey Brin Johnson & Johnson Development Série C (1) nov. 2010 22 Corporation, New Enterprise Associates, Google Ventures Johnson & Johnson Development Série C (2) janv. 2011 9 Corporation Google Ventures, Yuri Milner, MPM Série D déc. 2012 50 Capital, New Enterprise Associates, Sergey Brin, Anne Wojcicki Figure 1.b Figure 1 : a) graphique représentant l’évolution croissante des fonds d’investissement au cours du temps ; b) tableau présentant les différentes séries d’investissements, leurs dates, leurs montants ainsi que le nom des principaux investisseurs
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion 121 1re étape Æ Commande du kit uniquement en ligne. La livraison à l’international est possible. 2e étape Æ Une fois le kit arrivé au domicile du client, ce dernier doit enregistrer le code- barres spécifique fourni afin que l’entreprise puisse traiter les informations par la suite. 3e étape Æ Le kit permet d’effectuer un prélèvement de salive dont l’exercice exact est expliqué dans la notice. Une fois le prélèvement fait, le client doit envoyer l’échantillon à 23andme grâce à un emballage préaffranchi fourni avec le kit. Le client a 12 mois à compter de la date d’achat pour utiliser son kit. Expédié en 1-2 jours ouvrables. Les résultats sont délivrés 3-4 semaines après réception de votre échantillon. Figure 2 : Principe d’utilisation du kit en trois étapes explicitées sur le site internet de la société 1 200 999 1 000 Prix en dollars 800 600 399 39 9 399 400 299 199 200 99 99 0 nov.… nov.… nov.… nov.… nov.… nov.… févr… mai… août… févr… mai… août… févr… mai… août… févr… mai… août… févr… mai… août… Figure 3 : Graphique représentant l’évolution du prix du kit au cours des mois et années. Novembre 2010 : 399 dollars ou 199 dollars + 5 dollars par mois (au moins un an). Mars 2011 : 399 dollars ou 99 dollars + 9 dollars par mois (au moins un an)
122 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision Figure 4 : Adapté à partir de Ducournau et al., 2011. Exemple de maladie multifactorielle pour un scénario de 100 000 individus avec une prévalence de 1/1000. Le risque relatif des porteurs de l’allèle G est de 2.19, ce qui veut dire que les individus porteurs de l’allèle G ont deux fois plus de chance de développer la maladie, malgré une valeur prédictive seulement de 0,15 % (0,15 % des individus porteurs de l’allèle G sont malades) et une différence de risque de 0,08 % entre les individus malades porteurs de l’allèle G et les individus malades porteurs de l’allèle C Devant l’engouement des consommateurs avec près d’un million de consom- mateurs américains (Jordan, 2013), dont 650 000 personnes génotypées en sept ans par la seule société 23andMe (Figure 5) et les conséquences délétères secon- daires liées à des prises de décision parfois irréversibles au vu de leurs résultats par les personnes concernées mal informées (« mutilations préventives » injustifiées), la FDA, en fin 2013, a décidé d’interdire ces pratiques. Selon cette agence, la com- mercialisation par 23andMe de tests génétiques individuels non autorisés contreve- nait à la loi fédérale en vendant des tests, dont la fiabilité n’était pas démontrée, comme des tests prédictifs de facteurs de risques médicaux, sans les avoir soumis aux règles de commercialisation répondant aux critères qualité des dispositifs médi- caux (Annas et al., 2014). Le 22 novembre 2013, la FDA a donc sommé 23andMe d’arrêter la commercialisation de leur kit dans l’indication de la détermination de données génétiques liées à la santé. Cinq jours seulement après l’envoi du cour- rier de la FDA, une Californienne, Lisa Casey, a intenté un recours collectif pour 5 millions de dollars, invoquant une publicité mensongère. En effet, comme l’a souligné le journaliste scientifique Charles Seife, ces tests génétiques « font par- tie d’une vaste opération de collecte d’informations réalisée à l’insu du public ». Lorsque les clients de 23andMe se connectent à leur compte, ils sont invités à rem- plir un questionnaire sur leur mode de vie, leurs antécédents familiaux et leur santé, ajoutant ainsi une valeur épidémiologique à leurs données génétiques, qui sont ensuite utilisées par la division recherche de la société 23andMe, sans oublier tous les autres petits questionnaires qui jalonnent le site internet durant sa navigation.
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion 123 En fournissant ces informations, les clients de 23andMe contribuent à la créa- tion par la société d’une « biobanque » de grande valeur. En d’autres termes, les clients sont devenus des produits. En effet, la baisse du prix du kit à 99 dollars en décembre 2012 coïncide avec un investissement massif de plus de 50 millions de dollars (Figures 1 et 3) illustrant bien la volonté de la société de baisser le prix afin d’augmenter considérablement son nombre d’utilisateurs (source : www.23andme. com) pour accroître la taille de sa biobanque, laquelle pourrait susciter un inté- rêt considérable pour les professionnels de santé du public mais aussi du privé, en particulier les assureurs dont l’utilisation ne favoriserait probablement pas l’équité dans l’accès aux soins. 700 000 600 000 Nombre d'utlilisateurs 500 000 400 000 300 000 200 000 100 000 0 févr.-… août-… janv.-… févr.-… sept.… sept.… mars… mars… déc.-07 mai-08 nov.-10 déc.-12 mai-13 juin-10 avr.-06 oct.-08 avr.-11 oct.-13 juil.-07 juil.-12 Figure 5 : Graphique représentant l’évolution du nombre d’utilisateurs au cours des mois et des années. L’augmentation quasiment exponentielle du nombre d’utilisateurs coïncide avec la baisse du prix du kit à 99 dollars en novembre 2012 (Figure 3) II. ÉLÉMENTS DE RÉGULATION DES TESTS GÉNÉTIQUES EN FRANCE Il est indéniable que certains facteurs prédisposants dont on connaît clairement les mutations causales sont des facteurs de risque réels importants (Sobol, Narod et al., 1989, Yandell, Campbell et al., 1989) que certains usagers aimeraient connaître ou qui seraient utiles pour une éventuelle prise en charge thérapeutique. La majorité des informations pertinentes fournies par des sociétés comme 23andMe concer- nent le domaine de la cancérologie, en particulier le cancer du sein (Ducournau et al., 2011). Et pour cause, rien qu’en France, près de 355 000 personnes font l’objet d’un diagnostic de cancer chaque année, soit environ 200 000 hommes et
124 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision 155 000 femmes (Plan cancer 2014-2019). Cependant, à ce jour, 10 % des cancers sont déjà connus pour se développer dans un contexte de prédisposition hérédi- taire (Sobol, 1993 ; Guimbaud, 2005 ; Stoppa-Lyonnet et Lenoir, 2005 ; Turnbull et Hodgson, 2005), ce qui veut dire que près de 35 500 cas de cancer sont impu- tables à un facteur génétique majeur et se transmettent sur un mode d’hérédité mendélienne monogénique ou monofactorielle. En effet, des mutations très fiables prédisposant aux cancers les plus fréquents, tels le cancer du sein et le cancer du côlon (Eisinger et al., 1998), ont été identifiées. De telles découvertes ont permis le développement de tests de prédisposition génétique au cancer dans de multiples pays comme en France, mais la loi de bioéthique restreint les indications de l’« exa- men des caractéristiques génétiques » d’une personne aux seules fins médicales ou de recherche scientifique, bien qu’elle ne précise pas clairement la nature des tests auxquels elle se réfère. Dans le cadre médical, ces tests « génétiques » permettent soit d’établir le diagnostic d’une maladie génétique (et le cas échéant de permettre une prise en charge de plus en plus ciblée) sans pour autant définir les caractéris- tiques génétiques de la personne concernée, soit de rechercher les variations d’un ou plusieurs gènes susceptibles d’entraîner le développement d’une maladie chez une personne ou les membres de sa famille (Figure 6). Ce qui n’est pas le cas de ces tests en accès libre où des individus sains et ne présentant pas d’antécédents familiaux peuvent se faire génotyper et déterminer leur risque d’apparition de dif- férents cancers. Article 16-10, Code civil, alinéa 1. L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Article 16-13, Code civil. Nul ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques. Article 16-10, Code civil, alinéa 2. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment. Article L1131-1, Code de la santé publique, alinéa 2. Lorsqu’il est impossible de recueillir le consentement de cette personne ou, le cas échéant, de consulter la personne de confiance mentionnée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches, l’examen ou l’identification peut être entrepris à des fins médicales, dans l’intérêt de la personne. Figure 6 : Principale législation encadrant la pratique des tests génétiques en France Ainsi, la question de nouvel encadrement spécifique aux tests génétiques en accès libre sur Internet a été évoquée par différentes instances : l’Office parlemen- taire des choix scientifiques et technologiques (« L’évaluation de l’application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique », 20 nov. 2008), l’Agence de la biomé- decine (« Le bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 », 2008) et la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques (Rapport d’information
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion 125 n° 2235 déposé le 20 janv. 2010). Elles proposent d’une part que soit inscrite dans la loi l’interdiction pour les particuliers de se prévaloir des résultats de ces tests en France, et d’autre part que l’Agence de la biomédecine soit chargée d’une veille sur les sites proposant ces tests afin d’en assurer la qualité et la validité (Ducour- nau et al., 2011). CONCLUSION ET PERSPECTIVES À la lumière de l’analyse des dérives dans l’utilisation de ces techniques aux États- Unis, notamment au travers de l’expérience de 23andMe, il devient nécessaire d’élaborer des règles de bonnes pratiques avant l’usage en routine de ces nouvelles technologies du séquençage à haut débit du génome humain.Dans le champ du cancer, en France, les tests génétiques sont également autorisés, après le consen- tement éclairé et écrit du patient, dans le cadre de recherches cliniques qui per- mettraient la mise en œuvre de nouvelles thérapies spécifiques à chaque tumeur, mais aussi la caractérisation de nouveaux facteurs de risque génétiques de cancer, afin d’élaborer de nouveaux tests de diagnostic génétique plus performants. En d’autres termes, ces tests favoriseraient l’essor d’une médecine plus personnalisée et mieux prédictive au cancer et une recherche biomédicale construisant des bio- banques avec les patients, mais avec un professionnel de santé les accompagnants et l’encadrement éthique d’un comité de la protection de la personne (CPP). Le problème est que demain, de grands champs pathologiques comme le cancer seront divisés en sous-champs avec des thérapies personnalisées posant l’inévitable ques- tion du coût, celle de la prise en charge du remboursement par la Sécurité sociale et les assurances, et donc celle de l’équité dans l’accès aux soins. La baisse dras- tique du prix et la facilité d’analyse du séquençage à haut débit dans la recherche clinique (Figure 7) permettront d’étendre ce diagnostic, aujourd’hui limité à une fraction de gènes, à la totalité du génome, révélant inévitablement une augmen- tation des incidentalomes (Kohane et al., 2006), c’est-à-dire de la découverte for- tuite d’autres maladies non associées directement à ce que l’on recherchait, curable ou incurable. Ainsi, un patient qui viendrait consulter pour un problème gastrique se verrait peut-être averti qu’il va développer un cancer du sein… Il devient donc urgent d’établir une régulation de l’usage de ces tests génétiques afin de détermi- ner dans quelles circonstances et dans quel but ces tests pourront (devront) être utilisés, et comment interpréter et restituer aux patients la quantité et la com- plexité des données génétiques générées, tout en assurant la meilleure protection possible pour les patients sans pour autant ralentir l’avancée des recherches médi- cales en France, qui bien que nos lois soient très contraignantes nous permettent d’essayer de poser les bonnes questions au bon moment, avant un procès ou une souffrance humaine.
126 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision Dans ce contexte, il devient urgent de s’intéresser aux conséquences futures de l’utilisation de ces technologies pour le développement d’une médecine personna- lisée appliquée au cancer en France. Une première contribution à de telles recom- mandations viserait à documenter les éléments éthiques à prendre en compte pour garantir la meilleure protection possible des personnes humaines s’y prêtant. Une recherche qui s’articulerait autour de deux axes : 1) les conditions de l’utilisation des tests, et 2) l’interprétation des données génétiques, et ce, en gardant en pers- pective la protection des patients. Pour cela, il faudrait réaliser dans un premier temps une recherche qualitative exploratoire par plusieurs séries d’entretiens semi- directifs auprès de plusieurs personnalités impliquées à chacun des niveaux de res- ponsabilité (médecins, scientifiques, juristes, philosophes, économistes, assureurs, politiques et représentants d’associations de patients atteints de cancer), afin de dégager les éléments pertinents pour l’élaboration d’un questionnaire destiné à une consultation citoyenne nationale pour la protection des patients (Figure 8). Une approche éthique de la médecine personnalisée appliquée au cancer qui permet- trait d’ouvrir un nouveau champ de réflexion sur des règles de bonnes pratiques dans la recherche clinique, dans le but final de l’équité d’accès aux soins du patient. 100 000 000 10 000 000 Prix en dollars 1 000 000 100 000 10 000 1 000 100 2001 2001 2007 2008 2008 2008 2008 2 009 2011 2014 Années Figure 7 : Graphique représentant l’évolution du prix séquençage par génome humain en dollars depuis 2001 jusqu’à aujourd’hui. Sources NHGRI
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée : éléments de discussion 127 Mise en place d’entretiens semis directifs (médecins, scientifiques, juristes, économistes et politiques, assureurs et représentants d’associations de patients atteints de cancer) Questions : Technologiques Médicales Juridiques Économiques – Séquençage/Génotypage – Médecin et test – Législation française – Analyse du marché – Séquenceur/Biopuce – Patient et test – Législation européenne – Modèle de la cliniqe – Biobanque Publique/Privée – Famille du patient et test – Législation internationale – Modèle de la start-up Axe 1. Les conditions de l’utilisation des tests Axe 2. L’interprétation des données génétiques Élaboration du questionnaire Protection des patients Figure 8 : Tableau de bord de l’approche éthique souhaitée RÉFÉRENCES https://www.23andme.com/ https://www.genome.gov/ Loi n° 2011-814 du 7 juill. 2011 relative à la bioéthique. Plan cancer 2014-2019. Ducournau P., Gourraud P. A., Rial-Sebbag E., et al., « Tests génétiques en accès libre sur Internet : stratégies commerciales et enjeux éthiques et socié- taux », Med Sci (Paris) 2011, 27, p. 95-102. Eisinger F., Sobol H., Serin D., Whorton J., « Hereditary breast cancer, circa 1750 », Lancet 1998a, 351, p. 1366. INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale, « Tests génétiques : Questions scientifiques, médicales et sociétales », 2008. Guimbaud R., « Indications and role of genetic counselling for cancer predis- position », Gastroenterol Clin Biol 2005, 29(6-7), p. 711-714. Jordan B., « The decline of genome-wide association studies », Med Sci (Paris) 2009, 25(5), p. 537-539. Jordan B., « A surprising commercial success », Med Sci (Paris) 2013, 29(12), p. 1167-1170.
128 Les nouveaux paradigmes de la médecine personnalisée ou médecine de précision Kohane I. S., Masys D. R., Altman R. B., « The incidentalome : a threat to genomic medicine », JAMA 2006, 296(2), p. 212-5. Marusyk A., et al., « Intra-tumour heterogeneity : a looking glass for can- cer ? », Nat Rev Cancer 2012, 12(5), p. 323-334. Mihaescu R., et al., « Evaluation of risk prediction updates from commercial genome-wide scans », Genet Med 2009, 11(8), p. 588-594. Sobol H., « Heredity and cancers », Rev Prat 1993, 43(4), p. 480-486. Sobol H., et al., « Hereditary medullary thyroid carcinoma : genetic annaly- sis of three related syndromes. Groupe d’étude des tumeurs à calcitonine », Henry Ford Hosp Med 1989, J 37(3-4), p. 109-111. Stoppa-Lyonnet D., Lenoir G., « Cancer genetic predisposition : current events and perspectives 2005 », Med Sci (Paris) 2005, 21(11), p. 962-968. Turnbull C., Hodgson S., « Genetic predisposition to cancer », Clin Med 2005, 5(5), p. 491-498. Yandell D. W., et al., « Oncogenic point mutations in the human retinoblas- toma gene : their application to genetic counseling », N Engl J Med 1989, 321(25), p. 1689-1695.
Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de l’édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). 31-35 rue Froidevaux, 75685 Paris cedex 14 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, [tout comme le fait de la stocker ou de la transformer sur quelque support que ce soit,] par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © ÉDITIONS DALLOZ – 2014 ISBN : 978-2-247-13980-4
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