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LOM : mettre fin à la concurrence déloyale exercée par les plateformes d’intermédiation spécialisées dans le transport de marchandises
Contexte Le secteur des transporteurs légers menacé par le phénomène d’ubérisation de ses métiers Au cours des dernières années, la logistique du dernier kilomètre a été profondément bouleversée par l’augmentation exponentielle du e-commerce. Les livraisons à domicile se sont massivement multipliées, entraînant la mutation d’un marché sur lequel les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Profitant d’un contexte économique porteur et d’un encadrement juridique flou, de nouveaux acteurs se sont lancés sur le marché afin de proposer des offres de livraison dans les centres urbains très denses. Le modèle initial proposé reposait sur une approche collaborative au travers d’un service de mise en relation entre un particulier ayant besoin de faire transporter un colis, et une personne en mesure d’assurer ce transport. Mais ce modèle est aujourd’hui très largement dévoyé : les donneurs d’ordres, des entreprises de la grande distribution notamment, utilisent désormais les plateformes numériques d’intermédiation pour assurer le service de livraison de leurs produits. A date, les plateformes assurent dans les faits la mise en relation entre un donneur d’ordres (le commettant), un client (destinataire) et un livreur. Pour effectuer les livraisons, elles mobilisent principalement des livreurs ayant le statut d’autoentrepreneurs ; elles se rémunèrent en prélevant une commission auprès du commerçant mais aussi parfois en facturant en partie le consommateur. Elles versent ensuite une partie des bénéfices aux livreurs. A noter également que si les livraisons étaient à l’origine effectuées par des coursiers à vélo, il est de plus en plus fréquent qu’elles se fassent au moyen de scooters, voire de voitures, et ce sans que les livreurs ne possèdent les licences nécessaires1 pour exercer cette activité avec un véhicule motorisé. A date, une grande majorité des professionnels du secteur opèrent sous le statut de « commissionnaire de transport ». Pour rappel, l’article L. 1411-1 du code des transports dispose que les commissionnaires de transport « organisent et font exécuter, sous leur responsabilité et en leur propre nom, un transport de marchandises selon les modes de leur choix pour le compte d'un commettant ». Le commissionnaire de transport doit ainsi répondre à plusieurs obligations, notamment : • Une obligation de soin, en choisissant le meilleur mode de transport et en s’assurant de l'existence et de la régularité des documents qui lui sont remis et qui sont nécessaires au transport ; • Une obligation de résultat, puisqu’il est responsable de plein droit des éventuels dommages causés à leur commettant, soit parce qu’il a livré les marchandises avec retard, soit parce que celles-ci ont subi des pertes ou avaries alors qu’il en avait la garde ; • Une obligation d’assurance, en ce qu’il est tenu de vérifier si les transporteurs auxquels il fait appel sont assurés en ce qui concerne leur responsabilité contractuelle. 1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000198352 2
Pour répondre à ces obligations, les commissionnaires mettent donc en place des procédures qui engendrent inévitablement des coûts considérables, et n’ont d’autre choix que de les répercuter, au moins pour partie, sur les coûts de la livraison. A l’inverse, les plateformes, puisqu’elles opèrent sans le statut de commissionnaire de transport, s’affranchissent de ces obligations et peuvent ainsi proposer des livraisons à prix cassés, déstabilisant encore davantage un marché pourtant déjà fragile. En effet, si l’arrivée de la plateforme Uber et des VTC a permis de combler un vide créé par le numerus clausus et la pénurie de taxis, il n’y a jamais eu pénurie de coursiers ou de transporteurs dans le secteur du transport léger. Le marché étant déjà saturé, chaque nouvel entrant entraine mécaniquement une perte de débouchées pour les acteurs installés, et ce dans le cadre d’une distorsion de concurrence. Le secteur des transporteurs légers est aujourd’hui fracturé entre différents types d’opérateurs : les entreprises historiques, soumises à la réglementation des transports de marchandises, qui emploient des salariés dans le respect de la législation sociale et qui s’acquittent de l’ensemble des charges afférentes, souffrent de concurrence déloyale exercée par des plateformes qui assurent un service de livraison dans un cadre réglementaire détourné, et sur lesquelles pèsent en conséquence des contraintes ou charges bien plus avantageuses que pour les acteurs historiques. La jurisprudence soulève les abus et les failles du modèle des plateformes Dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée par un ancien livreur de la plateforme Take Eat Easy, les juges ont statué sur le fait qu’il existait une relation salariale entre l’entreprise et l’autoentrepreneur. Dans son Arrêt n°1737 du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a en effet estimé que, puisque « l’application était dotée d’un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier », il existait un lien de subordination entre la plateforme et le livreur, impliquant la reconnaissance de ce dernier comme salarié. Cette jurisprudence invite à se questionner plus largement sur la plus-value apportée par les plateformes numériques d’intermédiation. Si elles offrent des services à prix réduits pour leurs clients, cela n’est en réalité possible que parce qu’elles exploitent une zone grise de la législation qui leur permet de bénéficier d’une situation financièrement avantageuse : le recours aux autoentrepreneurs sans en payer les contreparties, à savoir leur indépendance supposée. En effet, si certaines caractéristiques de leur activité correspondent à un travail indépendant (liberté de choix des jours et heures de travail), de nombreuses autres renvoient davantage à celles d’un emploi salarié (non négociation de la rémunération, directives sur la façon dont doit s’accomplir la prestation, dispositif de sanction, etc.) S’il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le modèle de l’auto entreprenariat, il semble absolument nécessaire d’en canaliser les dérives. Dans le cas contraire, ne court-on pas le risque de voir d’autres entreprises recourir au salariat déguisé ? Quel impact ces dérives pourront avoir, à terme, sur le financement de notre modèle social ? 3
Projet de loi d’orientation des mobilités : un texte structurant pour l’avenir du secteur Le 26 novembre 2018, Élisabeth Borne a présenté en Conseil des Ministres la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). L’un des cinq volets du texte sera consacré aux innovations en matière de mobilité. Dans ce cadre, l’article 17 couvre deux sujets : • la définition du co-transportage de colis ; • la régulation des plateformes numériques de fret. La définition du co-transportage de colis : limiter les dérives La première partie de l’article 17 corrige la définition du covoiturage (précisée à l’article L3132-1 du Code des Transports) en supprimant la mention selon laquelle la mise en relation (entre conducteurs et passagers) « n'entre pas dans le champ des professions définies à l'article L. 1411-1 ». Cela laisse supposer que l’activité de mise en relation puisse être considérée comme faisant partie des champs des professions de commissionnaires et d’auxiliaires de transport, ce dont nous nous réjouissons. Pour autant, en l’état, cela ne permet pas de donner une définition précise du « co-transportage » de colis, dont le terme n’apparait d’ailleurs pas dans le texte. Il semblerait donc opportun de compléter l’article L3132-1 du Code des Transports afin de donner une définition précise du co-transportage qui, contrairement au covoiturage, n’est pas règlementé et est ainsi dépourvu de sécurité juridique. Le SNTL, TLF et le GATMARIF proposent d’inscrire dans la loi une définition précise du co-transportage de colis. La définition devra notamment reprendre les caractéristiques du covoiturage, à savoir l’utilisation d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur pour transporter un ou plusieurs colis, effectuée à titre non onéreux (excepté le partage des frais) dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. En complément, afin d’empêcher les dérives potentielles (mais souvent avérées) du modèle, il est essentiel de compléter cette définition en précisant dans la LOM qu’une mesure réglementaire devra instituer un dispositif de contrôle de la pratique. Il pourrait notamment être envisagé d’obliger les plateformes (et donc de les rendre légalement responsables) de mettre en place un certain nombre de contrôles tels que : - fixation d’un plafond pour le nombre de colis transportés et/ou d’un seuil maximum de chiffre d’affaire par compte d’utilisateur, - pour éviter la création de « faux comptes » édités en vue de dépasser ces seuils, obligation pour les utilisateurs de communiquer par voie électronique une copie de la carte grise de leur véhicule, celle-ci étant associée à un seul compte, et donc un seul utilisateur, 4
- afin d’empêcher la « sous-location » ou la vente de comptes, comme c’est parfois le cas auprès de personnes mineures ou en situation irrégulière2, rendre obligatoire le système de reconnaissance faciale pour accéder à la plateforme (l’application reconnait le visage du titulaire du compte qui a transmis sa photo au moment de son inscription). Enfin, l’article 17 (alinéa 4) prévoit également qu’un décret en Conseil d’État précisera notamment la notion de partage des frais, à savoir le prix payé par le passager ou, par extension, par le détenteur d’un colis, et ce « afin d’obliger les plateformes à contrôler leurs offres et empêcher le développement de transport occasionnel illégal ». Cette précision sur le partage des frais devra également être appliquée au co-transportage. Les plateformes numériques de fret : des commissionnaires de transport qui ne disent pas leur nom La seconde partie de l’article 17 autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures afin d’encadrer l’activité des plateformes d’intermédiation entre clients détenteurs de fret et transporteurs de marchandises. Il s’agit notamment de prévoir « l’obligation pour l’opérateur de la plate-forme de vérifier le respect, par les entreprises de transport mises en relation, des conditions légales relatives à l’exercice de leur activité, ainsi que le dispositif de contrôle et de sanction qui leur est applicable. » L’étude d’impact rappelle à juste titre que « Les relations contractuelles établies entre les plateformes, les transporteurs et les clients se caractérisent par une dé-corrélation pour les plateformes entre responsabilité et organisation de la prestation de transport. Les plateformes fixent le prix des prestations, définissent les relations contractuelles entre transporteurs et chargeurs, substituent leur modèle d’organisation à ceux des transporteurs et s’excluent de toute responsabilité. » Le texte fait donc état de la nécessité d’encadrer l’activité des plateformes d’intermédiation, qui exploitent en l’état un manque d’encadrement juridique. Si nous saluons cette volonté, elle soulève des interrogations quant à la nature de l’encadrement qui sera mis en place. En effet, l’encadrement voulu par le texte de la LOM fait écho à la réglementation qui est appliquée aux commissionnaires de transports. Et pour cause, il ne fait aucun doute que les plateformes ont en réalité, du fait de leurs activités, tous les attributs de ce statut : • Les plateformes organisent librement les conditions de transport des marchandises en ce qu’elles : - fixent le prix du transport, - obligent très souvent les livreurs à utiliser un certain type de véhicules, - exclues certains types de marchandises, - prévoient généralement les conditions d’enlèvement des marchandises et de remise au destinataire, ainsi que les conditions d’annulation et les conséquences des avaries. 2 https://www.lexpress.fr/actualite/societe/deliveroo-uber-eats-stuart-les-sans-papiers-nouveaux-sous-traitants-des- coursiers_2040113.html 5
• Les plateformes opèrent en leur nom propre, notamment en utilisant des actes juridiques nécessaires au transport : - recrutement des livreurs qui acceptent des conditions générales d’utilisation ou signent des contrats, - édition de contrats électroniques entre le donneur d’ordres et le livreur, - gestion des transactions financières entre donneur d’ordres et livreur. • Les plateformes organisent le transport sous leur propre responsabilité : si les contrats qui lient sous toute vraisemblance les plateformes aux donneurs d’ordre ne sont pas publics, il semble impensable que si la plateforme se trouvait, pour quelque raison que ce soit, dans l’incapacité de fournir la prestation de transport à laquelle elle s’est engagée vis-à-vis des donneurs d’ordres, sa responsabilité ne serait pas engagée sur le terrain contractuel. Autrement dit, puisque les activités exercées par plateformes d’intermédiation sont en tout point similaires à celles des commissionnaires de transports, il serait pertinent que l’encadrement de leurs activités soit identique à celui appliqué aux commissionnaires de transports. Au lieu de conférer un statut particulier aux plateformes d’intermédiation entre clients détenteurs de fret et transporteurs de marchandises, le SNTL, TLF et le GATMARIF proposent de leur appliquer le statut de commissionnaire de transports. Cela permettra d’aller dans le sens de la volonté du Gouvernement de mieux encadrer leurs activités, d’instaurer un dispositif de contrôle et de sanction déjà opérant et, enfin, de ne pas déstabiliser davantage un marché du fait d’une distorsion de concurrence. Contact : Antoine Cardon Délégué général SNTL antoine.cardon@sntl.fr 06.77.65.10.91 6
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