MANGER, BOIRE, SE PARFUMER POUR L'ÉTERNITÉ - Centre Jean Bérard
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Collection du Centre Jean Bérard, 53
MANGER, BOIRE, SE PARFUMER
POUR L’ÉTERNITÉ
Rituels alimentaires et odorants en Italie et en Gaule
du ixe siècle avant au ier siècle après J.-C.
sous la direction de
Dominique Frère, Barbara Del Mastro,
Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
Naples
2021
Manger, boire, se parfumer pour l’éternité : rituels alimentaires et odorants en
Italie et en Gaule du ixe siècle avant au ier siècle après J.-C. / sous la direction
de Dominique Frère, Barbara Del Mastro, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux.
– Naples : Centre Jean Bérard, 2021. – 447 p. : ill. ; 28 cm
(Collection du Centre Jean Bérard, ISSN 1590-3869 ; 53)
ISBN 978-2-38050-025-7
1. Parfums – Rites et cérémonies 2. Alimentation – Aspect religieux. 3. Repas
rituels – Antiquité
I. Frère, Dominique. II. Del Mastro, Barbara. III. Munzi, Priscilla.
IV. Pouzadoux, Claude.
CIP – Centre Jean Bérard
Cette recherche a bénéficié de financements de l’Agence nationale de la recherche,
Projet ANR-12-BSH3-0011- « MAGI » programme 2013-2017.
Édition
Magali Cullin-Mingaud (UMR 8546 CNRS-PSL – USR 3133 CNRS-EFR)
Relecture et index
Florence Monier
Traitement des illustrations et graphisme de couverture
Giuseppina Stelo (USR 3133 CNRS-EFR)
Photographies de couverture
Tarquinia, tombe des Boucliers. Velia Seitithi et Larth Velcha (photo inversée d’après Steingräber
1984, pl. 146). Couvercle de l’ossuaire de Montescudaio (d’après Pugliese Carratelli 1986, p. 376,
fig. 218).
Collection du Centre Jean Bérard, ISSN 1590-3869
© Centre Jean Bérard - ISBN 978-2-38050-025-7
centrejeanberard.cnrs.fr
berard@unina.it
Diffusion De Boccard Libro Co. Italia Edipuglia Scienze e lettere
www.deboccard.com www.libroco.it www.edipuglia.it www.scienzeelettere.comContributeurs
Laura A mbrosini Alessandra Coen
Istituto di Scienze del Patrimonio Culturale – Consiglio Dipartimento di studi umanistici, Università degli studi
Nazionale delle Ricerche, Roma. di Urbino.
laura.ambrosini@cnr.it ales.coen@gmail.com
Ginette Auxiette Rémi Corbineau
Inrap. UMR 8215 Trajectoires, Paris. Université du Mans.
Sébastien Barberan Rita Cosentino
Inrap. UMR 7299 Centre Camille Jullian, Soprintendenza Archeologia del Lazio
Aix-en-Provence. e dell’Etruria meridionale, Roma.
rita.cosentino@beniculturali.it
Valérie Bel
Inrap. UMR 5140, Archéologie des sociétés Barbara Del M astro
méditerranéennes, Lattes. Università degli Studi della Campania
valerie.bel@inrap.fr «Luigi Vanvitelli». USR 3133 Centre Jean Bérard,
CNRS-EFR, Naples.
Lydie Bodiou delmastro.barbara@libero.it
Université de Poitiers, laboratoire Herma.
lydie.bodiou@univ-poitiers.fr Élisabeth Dodinet
UMR 9016 TEMOS.
Massimo Botto Université de Bretagne Sud, Lorient.
Istituto di Scienze del Patrimonio Culturale (ISPC-CNR). elisabeth.dodinet@orange.fr
massimo.botto@libero.it
Bastien Dubuis
Dominique Briquel Inrap Grand Est. UMR 6298 ARTEHIS, Dijon.
EPHE. UMR 8546 AOROC, CNRS-PSL, Paris. bastien.dubuis@inrap.fr
dominique.briquel@ens.fr
Henri Duday
Gaël Brkojewitsch UMR 5199 PACEA, CNRS-Université Bordeaux 1.
Pôle archéologie préventive de Metz Métropole. henri.duday@u-bordeaux.fr
UMR 7299 Centre Camille Jullian, Aix-en-Provence.
gael.brkojewitsch@gmail.com Vianney Forest
Inrap.
Jean-Pierre Brun
Collège de France, Paris. Dominique Frère
jpbcav@orange.fr Université de Bretagne Sud, Lorient.
UMR 9016 TEMOS.
Nathalie Chardenon dominique.frere@univ-ubs.fr
Inrap. UMR 5140 Archéologie des sociétés
méditerranéennes, Lattes.Manger, boire, se parfumer pour l’éternité
Gilles Fronteau Italo M. Muntoni
Université de Reims Champagne-Ardenne, GEGENAA. Soprintendenza Archeologia, Belle Arti e Paesaggio per
le Province di Barletta-Andria-Trani e Foggia, Foggia.
Nicolas Garnier italomaria.muntoni@beniculturali.it
Laboratoire Nicolas Garnier, Vic-le-Comte.
UMR 8546 AOROC, CNRS-PSL, Paris. Priscilla Munzi
labo.nicolasgarnier@free.fr USR 3133 Centre Jean Bérard, CNRS-EFR, Naples.
Priscilla.Munzi@cnrs.fr
Fernando Gilotta
Dipartimento di Lettere e Beni Culturali, Università Mauro Perra
degli Studi della Campania «Luigi Vanvitelli». Musei Civici Archeologici di Su Mulinu
Fernando.Gilotta@unicampania.it (Villanovafranca) e Villa Abbas (Sardara).
perramarro@gmail.com
Laurent Hugot
Université de La Rochelle. Claude Pouzadoux
laurent.hugot@gmail.com USR 3133 Centre Jean Bérard, CNRS-EFR, Naples.
claude.pouzadoux@cnrs.fr
Sandra Jaeggi-R ichoz
Universités de Fribourg et Lumière Lyon 2. Antoine R atsimba
UMR 5189 HiSoMA, Maison de l’Orient Inrap.
et de la Méditerranée, Lyon.
sandriaera@gmail.com Bertrand Roseau
CD 08. EA 1132, HISCANT-MA, Nancy.
Vincent Jolivet
UMR 8546 AOROC, CNRS-PSL, Paris.
Marion Saurel
vincent_jolivet@libero.it
Inrap. UMR 8546 AOROC, CNRS-PSL, Paris.
marion.saurel@inrap.fr
David Josset
Inrap.
Pierre Séjalon
david.josset@inrap.fr
Inrap. UMR 5140 Archéologie des sociétés
méditerranéennes, Lattes.
Cécile Jung
Inrap. UMR 5140 Archéologie des sociétés
Francesco Sirano
méditerranéennes, Lattes.
Parco Archeologico di Ercolano.
Fanette Laubenheimer francescosirano@gmx.i
UMR 1041 ArScan, Maison de l’archéologie
et de l’ethnologie Paris-Ouest, Nanterre. Rosaria Sirleto
fanette.laubenheimer@gmail.com Ricercatrice indipendente.
rosaria.sirleto@libero.it
Emanuele M adrigali
Missione archeologica Pani Loriga. Luigi Taborelli
e.madrigali@gmail.com Laboratori Storici, DICAS – Politecnico di Torino.
luigi.taborelli46@gmail.com
Florent M azière
Inrap. UMR 5140 Archéologie des sociétés Luigina Tomay
méditerranéennes, Lattes. Museo Archeologico Nazionale di Pontecagnano
«Gli Etruschi di frontiera».
Valeria Meirano luigina.tomay@beniculturali.it
Dipartimento di Studi Storici, Università di Torino.
valeria.meirano@unito.it Françoise Toulemonde
CRAVO et UMR 7209 AASPE, CNRS-MNHN, Paris.
Marina Micozzi
Dipartimento di Scienze Umanistiche, della Comunica- Alessandro Usai
zione e del Turismo, Università degli Studi della Tuscia, Soprintendenza Archeologia, Belle Arti e Paesaggio,
Viterbo. Cagliari.
marinamicozzi@unitus.it alessandro.usai@beniculturali.it
Émilie Millet Pascal Verdin
Inrap. Inrap. UMR 7264 CEPAM, CNRS-UNSA, Nice.
6Introduction
Manger, boire, offrir pour l’éternité
en Gaule et Italie préromaines
Dominique Frère, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
Les produits biologiques liés à l’alimentation, nant nous apporte un grand nombre d’informations
aux libations, aux fumigations et aux soins du corps grâce à une approche typologique, stylistique,
ont de tout temps joué un rôle considérable dans techno-céramique de ses caractéristiques (forme,
les échanges culturels et économiques. D’origine taille, matière, décor) et une étude de son contexte
naturelle, ils sont porteurs d’une forte identité de découverte. La problématique du contenant et
symbolique et parfois sacrée. Issus d’une tech- de son contenu organique à forte identité culturelle
nique plus ou moins complexe de transformation ne se limite pas au vin mais concerne les autres
et de conservation, ils affichent le savoir-faire d’un boissons fermentées, les produits alimentaires, les
groupe. Représentatifs de pratiques alimentaires, oléorésines et les bitumes, les huiles parfumées,
religieuses, médicinales et cosmétiques particu- matières grasses médicinales, baumes pharmaceu-
lières, ils apparaissent pour ceux qui les adoptent tiques, crèmes cosmétiques et autres produits liés
comme des marqueurs distinctifs de valeurs sociales à l’entretien du corps. Hier comme aujourd’hui,
et culturelles. L’exemple le plus connu est évidem- nous accordons une place particulièrement impor-
ment celui du vin, dont les dimensions techniques, tante aux produits fabriqués ou transformés que
culturelles, sociales et économiques ont fait l’objet nous ingérons, inhalons ou que nous mettons en
de très nombreuses études scientifiques 1. Pour l’an- contact avec notre peau. Différents critères tels que
tiquité grecque et romaine, les sources nombreuses la composition du produit, la nature symbolique
(littéraires, épigraphiques, iconographiques et (voire sacrée) de certains de ses composants, son
archéologiques) permettent une approche pluridis- origine, sa texture, sa couleur, son odeur, son goût
ciplinaire de ce breuvage. L’archéologie fournit des et son emballage interviennent pour lui conférer une
données sur les techniques de production, les moda- valeur culturelle et économique spécifique. Nombre
lités de consommation et les formes d’échanges du de ces données nous échappent aujourd’hui alors
vin, du vinaigre et des conserves faites à partir de que nous sommes au cœur d’une histoire technique,
vin. Il est possible d’écrire une histoire du vin et sociale et économique des transferts culturels liés
de ses dérivés à partir des contenants découverts aux échanges de produits biologiques. Ces échanges,
en très grand nombre dans les sites d’habitat, les qui prennent des formes multiples à des échelles
sanctuaires, les tombes et les épaves. En l’absence géographiques très diversifiées, représentent une
du liquide qui a visuellement disparu, son conte- vaste mosaïque dont on peut discerner la richesse
grâce à la symbiose de différentes approches
conceptuelles et méthodologiques : histoire, his-
1. Il est impossible de donner ne serait-ce qu’une bibliographie toire de l’art, iconographie, philologie, épigraphie,
de synthèse concernant le vin en Gaule et en Méditerranée anthropologie, histoire de la botanique, archéozoo-
occidentale. Voir les articles de la première partie du présent logie, archéobotanique…
ouvrage sur le thème du banquet et des boissons fermentées,
ainsi que la publication récente du dernier numéro de la revue de
Cette démarche transdisciplinaire s’est révélée
l’Inrap consacré aux boissons fermentées : Alcools, Archéopages, très efficace pour l’étude des civilisations antiques
47, 2020. qui nous ont laissé un important patrimoine écrit etDominique Frère, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
iconographique. Elle laisse en partie dans l’ombre fournies par les analyses sont précieuses sur les rites
les marges du monde gréco-romain, ceux que les de commensalité : il s’avère que, lors de la période
Grecs qualifiaient de « barbares » et de « semi-bar- du HaD1 (600-530), alors que les importations
bares ». Parmi eux, les Celtes, Italiques, Étrusques méditerranéennes sont inexistantes, le vin méditer-
et Phénico-puniques ont joué un rôle historique de ranéen est largement consommé par l’intermédiaire
première importance en Europe occidentale et en d’une large variété de céramiques locales. Pour les
Méditerranée nord-occidentale, et ont pleinement périodes suivantes du HaD2/D3, la consommation
participé aux activités de production et d’échanges du vin méditerranéen ne se fait désormais que
à différentes échelles de produits biologiques. dans une vaisselle de luxe, à savoir les vases grecs
Les influences mutuelles et échanges culturels importés et la belle vaisselle tournée locale. Il
en Méditerranée nord-occidentale et en Europe semble donc que, à partir de 530, les élites celtiques,
continentale ont été récemment mis en valeur par qui entretiennent des contacts plus étroits avec le
différents auteurs dont Stéphane Verger, qui, dans monde méditerranéen, se réservent la consomma-
des articles de synthèse, aborde la problématique tion de vin et s’inspirent des pratiques grecques du
des transferts d’objets d’une région à l’autre et de symposion : « Perhaps wine consumption became
leur signification culturelle et sociale. Nombre de more conspicuous and possibly more restricted to
ces objets sont des contenants en céramique et en imported and local wheel-made feasting dishes, as
métal. Évidemment se posent les questions des well as to a narrower part of the society (similar to
produits biologiques qu’ils pouvaient contenir et du a “dia-critical feast”) 6. » Pour le Mont Lassois, les
rôle qu’ont pu jouer ces contenus dans le déroule- analyses de contenu des céramiques attiques et
ment des rituels funéraires. Le cas du chaudron de des céramiques locales apportent des informations
Hochdorf est à ce point de vue exemplaire, à savoir très différentes. Ni les vases à boire massaliotes et
un grand contenant métallique grec ayant contenu attiques ni les bols en céramique fine locale du pla-
non pas du vin d’importation mais de l’hydromel, teau n’ont servi à consommer du vin. Le vin est par
boisson fermentée à forte identité celtique 2. Mais contre présent sur les pentes orientales du plateau,
un cas, aussi marquant soit-il, ne permet pas de dans les céramiques locales communes du secteur
proposer des généralités ou de tirer des conclusions. artisanal septentrional « Les Renards » et dans les
Les analyses récentes du chaudron de Lavau, faites céramiques locales fines du secteur « Le Breuil »
dans le cadre du programme MAGI, ont révélé du proche de la nécropole princière. S’il y a consom-
vin rouge poissé, miellé, aromatisé, et même sans mation d’alcool de la part des élites résidant sur le
doute mélangé avec de l’eau, comme semblent plateau, il ne semble absolument pas que ce soit
l’indiquer les analyses de MNP (Micro-Fossile non sur le modèle grec. Bien au contraire, puisque les
Polliniques) 3. La diversité des pratiques concernant vases à boire attiques et massaliotes sont détournés
le banquet funéraire des élites en contact avec le de leur fonction de vases vinaires, mais aussi une
monde méditerranéen était donc de mise dans le partie des amphores et cratères attiques. « The pos-
monde hallstattien. Pourquoi a-t-on consommé sibility that wine was being consumed by craftspeople
de l’hydromel lors des funérailles du prince de at Les Renards and Champ Fossé is of particular
Hochdorf et du vin pour celles du prince de Lavau ? relevance. If we hypothesise that the consumption
Les pratiques sont-elles différentes d’une région of wine in the Celtic society at Vix-Mont Lassois was
à l’autre ou ont-elles évolué en deux générations ? accessible to all, and not restricted to Attic imports in
Nous n’en savons rien, et la seule manière d’appor- the elite context of the plateau, it is the act and place
ter des réponses est de multiplier les analyses de of consumption, not wine as a substance, that might
contenus, de recourir au potentiel de plus en plus have influenced the formation and identification of
performant des « Forensic sciences ». Deux articles social groups, and their status 7. » Ainsi, la disponi-
viennent de paraître sur les analyses chimiques bilité des principaux éléments du symposion grec, à
des contenus biologiques des céramiques des sites savoir les contenants (vases à boire et vases à mélan-
d’habitat hallstattiens du Mont Lassois 4 et de la ger le vin) et le contenu (le vin méditerranéen),
Heuneburg 5. Pour la Heuneburg, les informations n’implique pas de la part des élites du Mont Lassois
une obédience aux pratiques grecques et étrusques
du banquet. Le rôle de marqueur politique et social
2. Verger 2006 ; 2013.
3. Barbier-Pain et al. 2019.
4. Rageot et al. 2019a. 6. Rageot et al. 2019b, p. 19.
5. Rageot et al. 2019b. 7. Rageot et al. 2019a, p. 15.
8Introduction
ne semble pas dévolu au vin mais à la bière : « The (comme le vin, le lait, le miel), de dépôts alimentaires
production and consumption of a specific beer (possi- d’origine végétale et animale (des graines, des fruits
bly from barley but not from millet) and birch-derived ou des produits transformés comme des gâteaux ou
beverages seem to be related to individuals (probably des pains), d’offrandes de vases fermés emplis d’huile
having high status positions) living on the plateau parfumée, de résines locales ou exotiques, de sauces
and/or the individuals who had access to feasting de poissons, de boissons fermentées. Alors que les
events taking place there 8. » Comme le commente si ossements d’animaux témoignent des offrandes ani-
bien Marie-Claire Frédéric, les aliments fermentés, males, les offrandes de produits solides et fluides de
et surtout les boissons, sont « ferment de culture » denrées d’origine végétale non transformées (comme
et vecteurs identitaires parmi les plus forts au sein des graines, des végétaux, des fruits), de préparations
d’une société 9. Au Mont Lassois, la bière d’orge alimentaires telles les galettes, bouillies et pains, ne
(pour les élites), la bière de millet (pour les autres), laissent souvent que des indices ténus sous la forme
ainsi qu’un breuvage alcoolique tiré de la sève de de macro- et microrestes (pollens et phytolithes)
bouleau semblent rester au cœur des pratiques étudiés par les archéobotanistes. Mais une grande
alimentaires et rituelles alors même que le vin partie de l’information nous échappe, en particulier
méditerranéen ne manquait pas. Autres données les matériaux et produits liquides et fluides d’origine
fondamentales tirées des deux articles, l’attesta- végétale et animale qui ne laissent pas de témoignages
tion d’importation d’huile d’olive au Mont Lassois, archéologiques tangibles (produits laitiers, produits
l’importance des produits de la ruche (élevages au de la ruche, graisses animales, boissons fermentées,
Mont Lassois ?), celle de la poix et de résines de huiles, parfums, résines et goudrons). Nous sommes
conifères, et enfin l’hypothèse, solidement étayée, dans le domaine d’une « archéologie de l’invisible »
d’une production de produits laitiers (fromages) à la qui implique, pour être exploité, les méthodes des
Heuneburg. Ces données permettent de renouveler « Forensic Sciences » et plus particulièrement
les problématiques de production/consommation/ celles de l’archéologie biomoléculaire. Le recours
échanges de produits biologiques et celles d’inte- aux analyses chimiques pour identifier les biomar-
ractions culturelles entre monde méditerranéen et queurs de contenus de récipients archéologiques
monde celte en les élargissant à d’autres produits et caractériser ainsi un produit biologique simple
que le vin. L’idéal serait évidemment de procéder à ou complexe, devient de plus en plus courant en
des campagnes d’analyses concernant les nécropoles archéologie 11. Ainsi, nombre de programmes d’ana-
de ces sites hallstattiens et nous ne pouvons même lyses biochimiques (GC-MS) ont été lancés depuis les
pas imaginer ce que pourront donner des analyses années 1990 avec pour finalité de cerner la réalité des
du contenu du cratère de Vix 10… contenus des céramiques 12. Différents programmes
De fait, le potentiel scientifique offert par les ont porté plus particulièrement sur les produits de
« Organic Residue Analyses » (ORA) est particuliè- la ruche 13, sur les graisses animales et les produits
rement déterminant en ce qui concerne le domaine laitiers 14, sur les résines et goudrons végétaux 15,
de l’archéologie funéraire sachant que les ensembles
clos comme les tombes sont ceux qui, potentielle-
ment, conservent le mieux les matières organiques.
Durant les différentes étapes du rituel se déroulant
dans la nécropole, à savoir le banquet funéraire, le
dépôt dans la tombe du corps ou de l’urne cinéraire, 11. Drieu, Regert 2015 ; Regert, Guerra 2015.
les actes de fermeture de la tombe et enfin les pra- 12. Voir les exemples récents et déjà commentés du Mont Lassois
tiques de commémoration du défunt, les produits et de la Heuneburg : Rageot et al. 2019a ; 2019b. Voir de même,
biologiques occupent une grande place sous la forme en ce qui concerne l’espace géographique et culturel intéressant
de fumigations, de libations de substances fluides cet ouvrage, Notarstefano 2012.
13. Les articles de référence sont : Evershed 2008 ; Steele 2013.
Voir une bibliographie sélective dans Regert, Guerra 2015,
p. 175-176, à laquelle nous pouvons ajouter Garnier 2015b ; 2016 ;
8. Ibid. Roffet-Salque, Regert, Evershed 2015 ; Rageot et al. 2015.
9. Frédéric 2014. 14. Voir une bibliographie sélective dans Regert, Guerra 2015,
10. Analyses qui semblaient impossibles suite à la restauration p. 176-177, à laquelle nous pouvons ajouter Smyth, Evershed
du mobilier de la tombe. Toutefois, à l’occasion de la réouverture 2016 ; Debono Spiteri et al. 2016 ; Charlton et al. 2019 ; Cubas
de la fouille de 1953, un fragment de tôle appartenant au cratère et al. 2020.
a été découvert. Soumis aux analyses chimiques, celui-ci pourra 15. Voir une bibliographie sélective dans Regert, Guerra 2015,
révéler ce qu’a contenu le grand vase en métal grec, pièce maî- p. 152-153, à laquelle nous pouvons ajouter Rageot et al. 2015 ;
tresse de la célèbre tombe féminine celtique. Rageot, Théry-Parisot, Beyries 2018.
9Dominique Frère, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
sur les boissons fermentées 16, sur les produits parce qu’elle permet de répondre aux attentes de la
médicinaux 17 et sur les parfums 18. Malgré tout le communauté scientifique en contribuant à combler
potentiel qu’elles offrent aux archéologues, trois les vides des sources écrites. Plus précisément, ce
obstacles principaux s’opposent à l’intégration « en sont les deux problématiques des identités funé-
routine » à la démarche archéologique des analyses raires et des transferts interculturels, observables
moléculaires de contenus. D’une part, leur coût par le prisme des matériaux organiques et des pro-
élevé, d’autre part, le calendrier très serré imposé à duits biologiques, qui ont fait l’objet durant cinq
l’archéologie préventive, et enfin la difficulté d’inter- ans (2013 à 2017) d’une vaste campagne d’études
prétation, pour des archéologues non initiés, de et d’analyses de plus de vingt contextes funéraires
données inédites mais complexes. en France de l’âge du fer et en Italie péninsulaire
Le programme MAGI (Manger, boire, offrir pour et Sardaigne de la fin de l’âge du bronze jusqu’à la
l’éternité en Gaule et Italie préromaines), financé fin des guerres samnites, à l’exception de quelques
par l’Agence nationale de la recherche, a été conçu contextes du début de l’époque impériale (fig. 1).
pour surmonter ces obstacles et ouvrir aux acteurs Au cœur de ces deux problématiques, la question
de l’archéologie funéraire préventive et program- du vin s’est révélée très importante et a dicté en
mée un « champ des possibles » leur permettant de grande partie le choix des sites d’étude en France,
récolter des données habituellement inaccessibles. avec une priorité donnée à l’archéologie préventive.
Toutes les périodes, du Paléolithique à l’archéologie En collaboration avec l’Inrap (Institut national de
contemporaine, ainsi que toutes les zones géogra- recherches archéologiques préventives) 20, c’est dans
phiques et toutes les cultures archéologiques et le Languedoc (Lattes, Cournonterral, Vergèze) 21, le
historiques sont concernées par la recherche des Massif Central (Flaujac-Poujols) 22, l’Aube (Lavau) 23,
matériaux organiques et des produits biologiques. les Ardennes (Warcq) et en Bretagne (Plélo, Quim-
Le programme MAGI s’est construit autour des rites per, Inguiniel, Guipry) 24 qu’ont été sélectionnés
funéraires des cultures celtes, italiques, étrusques et des sites en cours de fouille ou qui venaient d’être
phénico-puniques en Gaule et Italie préromaines. fouillés (fig. 2).
Pourquoi cette thématique en particulier ? Première- En Gaule méditerranéenne (Lattes, Cournonter-
ment car elle correspond aux champs de compétence ral, Vergèze) et sur les bordures sud-occidentales
et aux axes de recherche des laboratoires porteurs du Massif Central (Flaujac-Poujols), l’étude de sites
(TEMOS, AOROC, CJB, ASM et LNG 19), ensuite funéraires du viie au iv e siècle a permis, d’une part,
de poser le problème du vin avant l’importation des
premières amphores grecques et étrusques, d’autre
16. L’article de référence en français présentant une très bonne part, de répondre à la question de l’intégration du
synthèse méthodologique sur l’apport de l’analyse chimique vin dans les rituels funéraires (et de cerner l’évolu-
à l’identification du vin est Garnier 2015a. Le pionnier de la
recherche sur les biomarqueurs des boissons fermentées est tion de ces rites du viie au iiie siècle av. J.-C.), et enfin
Patrick McGovern (voir en particulier, pour la zone géogra- de contribuer à résoudre le problème de la fonction
phique qui intéresse cet ouvrage, McGovern 2007 ; McGovern et du statut des céramiques déposées dans la tombe
et al. 2013). Toutefois, les méthodes employées par ce chercheur et dans son environnement immédiat (fig. 3).
ont été fortement critiquées, avec l’accusation de protocoles non
adéquats et de surinterprétation des résultats. La polémique Hors de la Celtique méditerranéenne et de ses
scientifique a donné lieu à des articles très intéressants sur la marges, deux contextes funéraires datant de la tran-
fiabilité des méthodes et des marqueurs de raisin et de fermen- sition entre le premier et le second âge du fer ont
tation : Stern et al. 2008 ; McGovern, Hall 2015. Le protocole fait l’objet d’analyses de contenus. Dans l’Aube, la
élaboré et publié par Nicolas Garnier concernant les biomar-
queurs de raisin et de fermentation sert désormais de référence découverte, en 2015, de la tombe princière de Lavau
à plusieurs laboratoires : Valamoti, Garnier 2016.
17. Lentini, Scala 2004 ; Lentini 2007 ; Lentini, Nelli 2007 ;
Santrot, Corson 2012 ; Giachi et al. 2012a ; Frère, Garnier, Cerhio ; AOROC (Archéologie et philologie d’Orient et d’Occi-
Dodinet 2015. dent, UMR 8546) ; CJB (Centre Jean Bérard, USR 3133) ; ASM
18. Biers, Searles, Gerhardt 1988 ; Biers, Gerhardt, Braniff 1994 ; (Archéologie des sociétés méditerranéennes, UMR 5140) ; LNG
Andreadaki-Vlazaki 1999 ; Garnier 2008 ; Garnier, Frère 2008 ; (Laboratoire Nicolas Garnier).
Walter, Van Elslande 2009a ; 2009b ; Iozzo 2012 ; Castel 20. https://www.inrap.fr/magi-10427.
et al. 2012 ; Giachi et al. 2012b ; Frère, Hugot 2012 ; Garnier 2012 ;
Frère, Garnier 2012 ; Garnier, Dodinet 2013 ; Maffre et al. 2013 ; 21. Pour Lattes, Cournonterral et Vergèze, voir Séjalon, Bel,
Brun, Fernandez 2015 ; Brettell et al. 2015 ; Coulié et al. 2017 ; Garnier 2020, ainsi que p. 351-374 du présent volume.
Frère, Garnier, Hugot 2018. 22. Pour Flaujac-Poujols, voir Frère, Garnier 2021.
19. Quatre laboratoires d’histoire et d’archéologie ont porté 23. Pour la tombe princière de Lavau, voir Frère et al. 2020 ;
le programme, ainsi qu’un laboratoire d’analyses chimiques : Dubuis et al. 2020 et p. 375-391 du présent volume.
TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés, UMR 9016), anciennement 24. Pour les sites bretons, voir Cherel, Frère 2018 ; 2020.
10Introduction
Fig. 1 - Carte des lieux de prélèvement (DAO G. Stelo).
a eu un grand retentissement et, de fait, la richesse apparaître la réalité d’un banquet funéraire celtique
du contexte ainsi que la proximité culturelle et très différent de celui attesté à Hochdorf : « La pre-
géographique avec la célèbre tombe de Vix ne pou- mière étape consiste à verser le vin dans le chaudron
vaient que marquer les esprits. Des prélèvements ont et à procéder au mélange en y ajoutant différents
été effectués à l’intérieur du grand chaudron ainsi aromates, parmi lesquels se trouve vraisembla-
que des autres conteneurs de la partie nord-ouest de blement un pan de miel en rayon, qui va sucrer le
la tombe (œnochoé attique, bouteille cannelée cel- mélange, mais aussi d’autres aromates révélés par
tique, ciste à cordons, bassins). Les résultats 25 font l’analyse pollinique. Puisé directement au chaudron,
le vin miellé peut être servi à l’aide d’une des trois
cruches découvertes. À cette étape, l’évocation de
25. Voir supra et p. 375-391 du présent volume. l’assemblée nombreuse (que symbolisent le chau-
11Dominique Frère, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
Fig. 2 - Les principales thématiques de recherche concernant la Gaule (DAO G. Stelo).
dron et sa grande capacité volumique) disparaît et le à graisse, pots à onguent, vases à libation…) 27. Du
service semble alors réservé à la seule personne du vin rouge fut décelé dans les trois vases, attestant
prince… De petite taille, la passoire semble plutôt d’une utilisation précoce, dès le v e siècle, de ce type
adaptée à l’ouverture réduite d’un petit récipient et de breuvage jusqu’alors considéré n’avoir été connu
devait pouvoir être posée directement sur celui-ci au en Bretagne qu’avec les importations d’amphores
moment où le vin était versé. L’usage de cet acces- italiques d’époque tardo-républicaine. Élément
soire prend tout son sens pour filtrer les aromates important des cérémonies funéraires, le vin (ou
végétaux ajoutés à la boisson. Le dernier élément, la son dérivé le vinaigre) pouvait-il de même être uti-
cuillère perforée, intervient peut-être pour nettoyer lisé dans la vie quotidienne des Armoricains ? C’est
cet instrument ou récolter les éléments surnageant pour répondre à cette question que la décision fut
dans le gobelet 26. » Au-delà de la restitution des prise d’élargir la thématique de recherche à d’autres
gestes rituels, de l’identification de la fonction de ensembles clos que les tombes. Une cave ainsi qu’un
chaque instrument du rituel, de la reconstitution des souterrain, directement reliés à des habitats des vie
différentes étapes de la cérémonie mettant en scène et ve siècles, furent sélectionnés en raison de la pré-
le vin, les résultats des analyses organiques de Lavau sence, encore in situ, de céramiques. Ces dernières
permettent de poser des questions nouvelles telles ont révélé de petites quantités de vin ou de vinaigre
que la fonction et les origines de la poix qui recou- tiré du raisin mais aussi d’autres baies sauvages, et
vrait les parois internes du chaudron. En Bretagne, surtout, l’une d’elles a pu être mise en relation avec
au sein de la petite nécropole de Guipry sensible- la production et la conservation en cave de fromage
ment de même époque que la tombe de Lavau, il où le vinaigre était utilisé pour accélérer la coagu-
fut décidé d’analyser l’intérieur d’une urne cinéraire lation du lait 28. Ainsi les résultats de cette campagne
carénée de taille inhabituelle ainsi que de deux vases d’analyses permettent d’ouvrir pour la Bretagne de
d’accompagnement. Ces derniers appartiennent à l’âge du fer le débat sur le vin, ses origines et son uti-
la catégorie des microvases qui, particulièrement lisation (dont l’intégration dans les rituels f unéraires)
présents en offrandes funéraires, posent des pro-
blèmes concernant leur usage et leur statut (lampes
27. Une thèse récente portant sur les céramiques de l’âge du fer
armoricain, en cours de publication au Presses universitaires de
Rennes, présente l’ensemble des résultats des analyses faites en
Bretagne : Cherel 2020.
26. Dubuis et al. 2020, p. 41. 28. Cherel, Frère 2018.
12Introduction
Fig. 3 - Approche fonctionnelle du vase : études croisées (DAO G. Stelo).
avec l’hypothèse, étayée non seulement par les ana- souvent complexe, demandent de développer en
lyses chimiques mais aussi par la carpologie et la parallèle une étude fonctionnelle systématique des
palynologie, de productions locales de vins locaux céramiques. Tout indique d’ailleurs qu’après un
tirées de baies sauvages de vigne mais aussi d’autres démarrage déjà ancien si l’on considère le travail
arbres fruitiers 29. précurseur de Michel Bats portant sur le lien entre
Enfin, dernier contexte gaulois, celui, exception- vaisselle et pratiques alimentaires dans les régions
nel à bien des égards, de la tombe à char de Warcq, méditerranéennes, ce type d’approche connaît un
dans les Ardennes, datant du ii e siècle av. J.-C. développement rapide 31 ». En effet, nous assis-
Les cinq vases composant le dépôt céramique ont tons depuis quelques années à un développement
fait l’objet d’analyses moléculaires complétées des approches croisant étude techno-céramique/
par la recherche de phytolithes, les macrorestes analyses de contenus mais aussi archéologie
végétaux et les pollens n’étant pas conservés. expérimentale concernant désormais d’autres pro-
L’approche analytique a été complétée par une blématiques que les boissons fermentées, avec par
étude techno-céramique avec tracéologie qui peut exemple celle des matériaux aromatiques et médi-
faire office de modèle méthodologique (fig. 3). cinaux 32 et celle des produits laitiers 33.
Marion Saurel a développé, dans la publication Si la question des boissons fermentées dans le
de sa thèse portant sur la céramique gauloise du cadre des rituels funéraires était prédominante pour
pays rème 30, l’étude fonctionnelle de céramiques la Gaule de l’âge du fer, la problématique concer-
des corpus domestiques et de corpus rituels avec nant l’Italie centrale et méridionale ainsi que la
une approche techno-céramique (traces d’usage, Sardaigne était plus large sachant que nous avons à
porosité des parois, capacité volumétrique…). C’est faire à des zones culturelles intégrées très tôt dans
dans le cadre de l’ANR MAGI qu’elle a pu croiser les réseaux méditerranéens et plus spécifiquement
cette approche avec les analyses moléculaires de les « trafics tyrrhéniens ». Concernant les peuples
contenus et tirer des conclusions déterminantes en étrusques, italiques et phénico-puniques, nous dis-
particulier en ce qui concerne les boissons fermen- posons de sources plus nombreuses que pour les
tées : « les analyses d’imprégnations biologiques populations celtiques, dont les sources littéraires
révélant de nombreuses traces de fermentation
biologiques apportent une documentation nou-
velle sur le sujet. Leurs résultats, d’interprétation
31. Saurel 2020, p. 24. L’auteure fait référence à Bats 1988.
32. Programme AlThéRé de l’Inrap : https://althere.hypotheses.
org.
29. Cherel, Frère 2020. 33. Programme Lait’Ages de la Maison des Sciences de l’Homme
30. Saurel 2017. de Bretagne : https://laitages.hypotheses.org.
13Dominique Frère, Priscilla Munzi, Claude Pouzadoux
grecques et latines qui, bien qu’indirectes et souvent lieu à un débat contradictoire entre spécialistes afin
subjectives, nous fournissent la toile historique sur d’aboutir à une synthèse où les hypothèses sont
laquelle nous pouvons apposer les autres sources objectivement présentées avec l’ensemble du dossier
archéologiques, iconographiques et épigraphiques critique comprenant leur potentiel interprétatif mais
nous permettant d’avoir une vision plus détaillée aussi leurs limites. Cette approche permet non pas
des rituels funéraires. Réjane Roure et Lionel Per- de définir la totalité des faits rituels (ce qui est impos-
net définissent ainsi le rite : « Les pratiques rituelles sible), mais d’appréhender une série de gestes et faits
sont définies par les anthropologues comme des techniques ainsi que la dimension symbolique liée
ensembles d’actes, de paroles, de manipulations aux senteurs et aux saveurs, entre produits de tradi-
(substances, objets), de représentations symboliques tion locale et ceux d’origine étrangère voire exotique,
et de productions sonores (musique, chants, bruits) entre respect de pratiques traditionnelles et apport
qui s’enchaînent selon un ordonnancement très d’innovations. C’est une archéologie des rituels qui
précis, avec la participation de plusieurs personnes, est en œuvre mais aussi une archéologie des objets
voire de toute la société 34. » Différentes étapes du et des contextes ainsi qu’une archéologie sensorielle.
rite ainsi que la manipulation des objets peuvent En Italie centrale, grâce à la collaboration de Rita
être en partie reconstituées grâce aux sources écrites, Cosentino, Marina Micozzi, Alessandra Coen, Fer-
iconographiques et archéologiques mais nombre de nando Gilotta, Laura Ambrosini, ce sont des tombes
gestes échappent à l’investigation, dont la prépara- archaïques (fin du viie-première moitié du vie siècle)
tion et la manipulation de substances organiques de Véies 36, de Caeré 37 et de Rome 38 qui ont été sélec-
ne laissant pas de témoignages archéologiques tan- tionnées, ainsi que la tombe hellénistique cérétaine
gibles. Le recours aux « Forensic sciences » permet, des Cippi Iscritti 39. En Italie méridionale, en colla-
comme il a été dit, d’accéder à l’invisible, c’est-à-dire boration avec le Musée archéologique de Paestum,
de retrouver les substances biologiques utilisées à la Surintendance archéologique des Pouilles, le
différentes étapes de l’accomplissement du rite. Les Musée archéologique national de Montesarchio et
gestes rituels que l’on se proposait de restituer sont la la Surintendance de Naples, nous avons effectué
préparation alimentaire, la consommation collective des campagnes de prélèvements sur des mobiliers
d’aliments solides et de boissons, les offrandes ali- non seulement connus de longue date, comme celui
mentaires, les libations liquides (vin, huile, parfum, de l’herôon de Paestum, mais surtout inédits ou
lait) et enfin la diffusion d’odeurs par onction ou ver- récemment mis au jour par les fouilles de tombes de
sement d’huiles parfumées et/ou par combustion de Campanie (à Capoue 40, à Cumes 41, à Montesarchio
résines. Ces gestes impliquent l’utilisation de conte- et à Sant’Agata de’ Goti 42) et de la région des Pouilles
nants ou de supports matériels que l’on retrouve (à Pietramontecorvino 43, à Arpi et à Palagiano).
dans deux types principaux d’espaces funéraires Pour la première fois, il a été possible, grâce à la
à savoir la tombe (mobilier d’accompagnement et disponibilité de Marina Cipriani, d’Italo Muntoni, de
urnes cinéraires) et l’enclos funéraire (stèles, tubes Francesco Sirano et de Luigina Tomay, de confronter
à libations, céramiques ayant servi au culte funé- à travers cette vision transversale, de la Campanie à
raire…). Toutefois, il ne faut pas tout attendre de la Daunie en passant par le Samnium, l’utilisation de
l’observation des substances organiques, l’apport de denrées alimentaires et de boissons dans les rituels
données nouvelles tirées des biomarqueurs s’ajou- funéraires. Parmi les résultats significatifs, nous
tant à la détermination des ossements animaux, retenons le cas emblématique du vin dont les usages
carporestes et microrestes (pollens, phytolithes) variés sont illustrés à trois moments clefs de l’his-
« n’autorise pas à parler directement du sacrifice et toire de l’Italie antique : un recours précoce chez les
de rituels. L’étude de vestiges doit en effet respecter
une méthode précise qui tienne compte d’une série
de paramètres essentiels ; paramètres qui doivent
36. Tombe princière d’Oliveto Grande, découverte en 2008.
être intégrés dans une argumentation méthodique
L’étude est toujours en cours.
intégrant la stratigraphie et la taphonomie 35 ». Les 37. Voir p. 305-340 du présent ouvrage.
résultats des analyses moléculaires doivent être 38. Voir p. 341-347 du présent ouvrage.
étudiés en regard des sources historiques, archéo- 39. Voir p. 309-311, 327-328 du présent ouvrage, ainsi que Frère,
logiques et archéo-environnementales pour donner Garnier 2017.
40. Voir p. 223-248 du présent ouvrage.
41. Voir p. 165-189 et 249-269 du présent ouvrage.
34. Roure, Pernet 2011. 42. Voir p. 199-221 du présent ouvrage.
35. Hubert, Van Andringa 2014. 43. Voir p. 191-198 du présent ouvrage.
14Introduction
Opiques en Campanie à la fin de l’âge du bronze, une d’Arrubiu (Orroli) 45 ainsi que les deux sites phénico-
pratique partagée par les populations osco-samnites puniques de Pani-Loriga 46 et de Tharros 47 qui ont fait
aux ve et ive siècles et l’attestation à Cumes des liba- l’objet de campagnes d’analyses.
tions de vin jusqu’au début de l’Empire romain. En
Sardaigne, en collaboration avec Massimo Botto,
Carla del Vais, Mauro Perra et Alessandro Usai, ce
sont les deux sites nuragiques de Sa Osa (Cabras) 44 et
45. Voir p. 23-33 du présent ouvrage, ainsi que Perra et al. 2015.
46. Voir p. 273-292 du présent ouvrage.
44. Voir p. 293-301 du présent ouvrage. 47. Publication en cours.
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