À Marseille, un savonnier engagé

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Par Luc Perin

À Marseille, un savonnier engagé
Guillaume Fiévet est le directeur général du groupe de produits d’entretien
Prodef. Depuis qu’il a pris les rênes de cette PME familiale en 2013, il s’est
notamment investi dans le développement de la Savonnerie du Midi, à Marseille.

De « l’autoroute du soleil », on peut apercevoir un savon de Marseille géant. C’est
l’étendard de la Savonnerie du Midi, dans les quartiers nord de Marseille, aux
Aygalades. Dans la boutique de l’usine, nous retrouvons Guillaume Fiévet, un
quadragénaire en tenue décontractée qui nous accueille avec son sourire
bienveillant. « La Savonnerie du Midi dispose d’importants atouts : son
implantation à Marseille, son histoire et son savoir-faire », explique-t-il. Créée en
1894, elle fait partie de la Compagnie du Midi, qui fabrique des
produits d’hygiène et d’entretien pour le grand public. Le fabricant de produits
d’entretien Prodef l’a rachetée en 2013. C’est à cette occasion que Guillaume
Fiévet entre dans le groupe, dont il prend la direction. Il succède ainsi à son père,
Jean Fiévet, à son grand-père, Raymond Fiévet, et à son arrière-grand-oncle,
Raoul Nordling, le fondateur de Prodef en 1924. Ce dernier, qui fut également
consul de Suède, est connu pour son action décisive au moment de la libération
de Paris, en août 1944. C’est lui qui a convaincu le général von Choltitz de ne pas
détruire la capitale, contrairement aux ordres d’Hitler.
Procédé traditionnel
« Nous nous sommes associés avec trois autres savonneries pour promouvoir le
vrai savon de Marseille, poursuit Guillaume Fiévet. Il se distingue par son origine
géographique – Marseille et sa région –, par son procédé traditionnel de cuisson
au chaudron, et par sa composition à partir d’huiles végétales, sans parfums ni
colorants. » Pour renouer avec cette tradition, l’entrepreneur s’est donné les
moyens : deux années d’études techniques, en 2014 et 2015, suivies de trois
années de travaux pour rénover l’usine et ses chaudrons. Soit un investissement
industriel de 1,8 million d’euros qui porte déjà ses fruits : le chiffre d’affaires de
la savonnerie est passé de 4 millions d’euros en 2013 à 10 millions aujourd’hui, et
ses effectifs de 17 à 40 salariés. Sous une marque rajeunie, La Corvette, elle
propose une large gamme de produits de soin du corps et de soin de la maison. Le
nom fait référence aux petits trois-mâts utilisés pour effectuer des missions de
découverte depuis le port de Marseille. Au XIXe siècle, les corvettes servaient à
approvisionner les savonneries marseillaises en matières premières.

C’est Guillaume Fiévet lui-même qui nous fait visiter la savonnerie. Nous
commençons par le musée du savon de Marseille inauguré en décembre 2018.
Dans cet espace de 285 m2, construit autour de la salle des chaudrons, sont
exposés près de 250 objets de toutes sortes : photographies, cuves, savons
anciens, publicités, tampons, planches à laver, battoirs… Nous poursuivons la
visite de l’usine en traversant les salles où les granulés de savon sont transformés
en produit fini. Le jeune patron, accessible, prend le temps de saluer chacun de
ses collaborateurs. « Lors des journées du patrimoine, je constate que les salariés
sont fiers d’expliquer au public ce qu’ils font, se réjouit Guillaume Fiévet. Notre
objectif est qu’ils soient heureux au travail et qu’ils reviennent en bonne santé à
la maison. » Et eux, que pensent-ils de leur directeur ? Dans un récent
« diagnostic à 360° », sorte d’état des lieu exhaustif d’une entreprise, ils le
décrivent comme « un patron courageux et engagé qui décide », « un patron qui
montre l’exemple, qui va au charbon ».

Le choix du protestantisme
Son parcours a préparé Guillaume Fiévet au métier d’entrepreneur. Après des
études à l’Essec Business School de 1996 à 2000, il effectue son service
militaire, d’août 2000 à août 2001, comme officier chef de quart à bord de
La Boudeuse, un patrouilleur qui le conduira jusqu’à la Réunion. « Cette
expérience m’a marqué en matière de management », fait remarquer Guillaume
Fiévet. En septembre 2001, retour sur terre où il est embauché par le cimentier
Lafarge. Après des débuts à Paris, il est muté à Bordeaux puis à Aix-en-Provence,
en 2010. « Ces années m’ont permis de voir ce qui se passait ailleurs, commente-
t-il. J’ai travaillé cinq ans en usine et acquis des bases en contrôle de gestion et en
finances. » Vient ensuite la grande question posée par son père, sur l’avenir de
l’entreprise familiale : « On continue ? »

Guillaume Fiévet a répondu à l’appel. Ayant grandi en région parisienne au sein
d’un foyer mixte catholique-protestant, il a choisi le protestantisme de son père,
au moment de son mariage. « Cela m’a donné une liberté de conscience, confie-t-
il. Je me reconnais beaucoup mieux dans l’organisation et la manière de vivre la
foi du protestantisme. » Sa foi chrétienne influence-t-elle ses choix
d’entrepreneur ? « Elle joue forcément un rôle dans ma manière de diriger,
répond-il. Mais pour moi la religion n’a pas à entrer dans l’entreprise. » Ses
valeurs se traduisent notamment par le renforcement de la démarche de
développement durable du groupe et de ses trois sites de production, à Dijon,
Carros (Alpes-Maritimes) et Marseille. Dans la vie professionnelle, il accorde
aussi beaucoup d’importance au respect de l’humain et à l’écoute. Engagé, il l’est
aussi dans la vie associative, notamment comme membre du conseil
d’administration de Dialogue RCF, la radio chrétienne œcuménique de Provence.
« Cela me permet d’avoir un certain recul, de sortir un peu de l’entreprise, de
faire de belles rencontres. »

À consulter

Le site des Savonneries du Midi.
Par Sophie Nouaille

Préservation de la nature : une
urgence internationale pour le
Congrès mondial de l’UICN
“La nature est en danger”, c’est le leitmotiv que répèteront les participants au
Congrès mondial de l’UICN qui s’ouvre à Marseille ce vendredi. Plus grand
rassemblement international pour la défense de la biodiversité, la nature est au
cœur de la réflexion comme principale source de résilience pour pallier les
désastres humains.

Un déclin, souvent qualifié de “sixième extinction de masse”, qui met en péril les
conditions même de l’existence humaine sur Terre. Comme le montre également
la multiplication de catastrophes liées aux effets du changement climatique, lui
aussi causé par l’activité des Hommes, tempêtes, inondations, sécheresses,
incendies…

la nature au sommet des priorités
internationales
Le président français Emmanuel Macron participera à l’inauguration du congrès,
qui durera jusqu’au 11 septembre, en format “hybride” – en présence et en ligne –
Covid-19 oblige. Plus de 5.000 participants sont inscrits, dont 3.600 à Marseille,
contre 15.000 espérés. “Notre objectif commun est d’inscrire la nature au sommet
des priorités internationales – car nos destins sont intrinsèquement liés, planète,
climat, nature et communautés humaines,” écrit M. Macron dans une
présentation de l’événement.

Deux fois reporté à cause de la pandémie, le congrès s’inscrit en effet dans un
important cycle de négociations devant conduire à la COP15 biodiversité qui se
tiendra en Chine en avril 2022. Lors de cette conférence, la communauté
internationale doit adopter un texte visant à “vivre en harmonie avec la nature” à
l’horizon 2050, avec des objectifs intermédiaires pour 2030.

Une stratégie mondiale pour préserver la
biodiversité
Le temps presse, car en dépit de l’urgence, les Etats n’ont pas tenu leurs
engagements pour inverser la tendance en matière de biodiversité sur la décennie
2010-2020. Et sans être un espace de négociations à proprement parler, le
congrès de l’UICN jouera un rôle important dans ce processus, en réunissant une
large palette d’acteurs – gouvernements, ONG, société civile, entreprises – et en
définissant des priorités.

Dès samedi, la mise à jour de la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN
permettra d’ailleurs de prendre la mesure de la poursuite de la destruction de
notre environnement. L’UICN doit également voter une série de motions lors du
congrès. Notamment une déclaration finale qui devrait porter sur “la place de la
nature dans les plans de relance économique post-Covid”, “une nouvelle stratégie
mondiale de la biodiversité ambitieuse” s’accompagnant d’un “plan d’action
mondial pour les espèces”, et “la contribution de la nature à la lutte contre le
changement climatique”, indique Sébastien Moncorps, directeur de l’UICN
France, à l’AFP.

Le public invité à s’exprimer
La question de la santé dans le rapport de l’Homme à la nature sera également un
point essentiel, alors que l’hypothèse d’une transmission du virus Covid-19 de la
faune sauvage à l’Homme est centrale pour expliquer l’origine de la pandémie.
Nouveauté de cette édition, les organisations des peuples autochtones, dont le
rôle est de plus en plus reconnu pour protéger la nature, pourront voter. Mais la
participation des pays en voie de développement sera réduite, faute notamment
de vaccins. Autre nouveauté, le congrès, qui se tient pour la première fois en
France depuis la création de l’UICN en 1948, comprendra une partie dédiée au
grand public.

Car si les politiques publiques peinent à évoluer, “la sensibilisation du public est
bien plus grande” que lors du dernier congrès en 2016, tout comme celle du
monde économique, se réjouit Gavin Edwards de WWF International.

Sophie Nouaille avec AFP

Par Christian Apothéloz

Mucem : déambulation sur la
Méditerranée
Au Mucem, on se balade en famille, on boit un verre, on écoute un concert, ou on
visite tout de même une exposition !

Le Mucem n’est pas un musée. Son directeur Jean-François Chougnet lui préfère
l’acronyme Mucem plutôt que sa déclinaison « musée des Civilisations de
l’Europe et de la Méditerranée », trop académique. Rudy Ricciotti, l’architecte du
nouveau bâtiment et de ses résilles de béton, voulait une promenade
« démuséifiante ». Le pari, huit ans après son ouverture en 2013, est une réussite
populaire et touristique. Le musée affiche près de 1,5 million de visiteurs – plus
d’entrée gratuites que d’entrées payantes, un tiers de Marseillais, un quart
d’étrangers.

Délocalisation du musée national des Arts et Traditions populaires et du musée de
l’Homme de Paris décidée en 2000 par Catherine Tasca, le Mucem ne veut pas
devenir un lieu de conservation de plus, même si son million d’œuvres et d’objets,
photographies, affiches et estampes, cartes postales, archives sonores et films, en
fait un conservatoire précieux des cultures méditerranéennes. L’objectif du
Mucem est de faire vivre ce patrimoine en dialogue avec le XXIe siècle. Dans la
galerie de la Méditerranée, espace d’expositions permanentes, le « grand Mezzé »
offre un parcours à travers le régime alimentaire méditerranéen, reconnu
patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une invitation à relire l’histoire de
notre alimentation avec, par exemple, les accommodements du blé en
Méditerranée, qui vont du couscous à la pizza en passant par le pain libanais.

Un dialogue entre les collections et des
artistes contemporains
Le directeur du Mucem souhaite aussi mettre en dialogue ces collections avec des
artistes contemporains. L’artiste américain Jeff Koons présente 19 œuvres de la
collection Pinault dans un univers narratif, souvent ludique, au contact avec des
objets traditionnels issus des collections. La mise en scène, surprenante et
conviviale, crée des ambiances étonnantes qui font de chaque halte un rébus à
décrypter.
Mais le Mucem se visite sans y entrer, comme on peut pousser la porte d’un
cloître sans participer à un office. Le fort Saint-Jean qui le prolonge par deux
passerelles abrite un « jardin des migrations », espace évoquant la nature
sauvage des îles du Frioul savamment conçu avec des fleurs, des essences et des
plantes aromatiques venues des différentes rives de la Méditerranée. Dans ce
jardin sec, sans arrosage, écologique, dont les seize tableaux illustrent le
brassage des cultures et des migrants, les enfants se donnent des émotions sur le
chemin de ronde, les curieux scrutent les espèces, les téléphones portables
immortalisent les couleurs changeantes de ce jardin caché aux portes de la
Méditerranée. À vivre.

Mucem, 7 promenade Robert Laffont, Marseille.

Par Laure Salamon

Lecture : De Mani à Marseille,
itinéraire d’un Afghan réfugié
Dans Exil ordinaire d’un jeune Afghan, Safi Mohammad raconte le parcours qui
l’a mené de Mani, son village en Afghanistan, à Marseille. Un récit publié grâce à
sa rencontre avec le sociologue Giovanni Privitera.
Safi Mohammad caressait ce rêve secret d’écrire son histoire car, selon lui, les
gens ne se rendent pas compte du chemin d’un migrant pour venir jusqu’à France
et du parcours migratoire pour obtenir le statut de réfugié. Avec Exil ordinaire
d’un jeune Afghan, publié fin mai aux éditions Henri Dougier, le rêve de Safi est
devenu réalité. Pour en arriver là, sa rencontre avec Giovanni Privitera a été
décisive.

En mars 2016, à une fête organisée dans le quartier de la Belle de Mai, à
Marseille il est assis à côté de ce sociologue d’origine italienne. Ce dernier,
enseignant à l’université d’Aix-Marseille, organise des ateliers trois fois par
semaine entre ses étudiants et des exilés dans les locaux de l’Association d’aide
aux jeunes travailleurs (AAJT). Il invite Safi à se joindre à eux pour des ateliers de
conversations. « J’ai découvert le Times’ Up, ce jeu où il faut faire deviner le plus
de mots possible à ses coéquipiers ! Et au contact de ces jeunes gens de mon âge,
je me suis définitivement senti autre chose qu’un simple “migrant” ou qu’un
exilé », témoigne Safi dans son livre.

En toute confiance
De jeux de théâtre en atelier d’écriture, l’Afghan se sent bien, en confiance et
confie un jour à Giovanni son rêve d’écrire son histoire. « Comme je travaillais
avec les Ateliers Henri Dougier, j’en ai parlé à l’éditeur, explique Giovanni
Privitera. Il était intéressé par le récit de Safi. Nous avons commencé à prendre
rendez-vous. Il est venu chez moi, moi chez lui. Nos rencontres étaient aussi
l’occasion de prendre un repas avec d’autres étudiants, puis nous prenions un
temps tous les deux pour avancer sur le livre. »

Au fur et à mesure des rendez-vous, la confiance s’installe. Safi se livre. Il est né
en 1991 à Mani, un village au nord de Kaboul, la capitale afghane. Il fait partie de
l’ethnie pachtoune, majoritaire. Son enfance est marquée par la domination des
talibans contre laquelle son père a lutté, engagé dans le parti du commandant
Massoud, assassiné le 9 septembre 2001. Le pays, en proie à la guerre, s’enlise
dans l’insécurité. De nombreux Afghans fuient leur pays.

Safi, lui, s’engage en 2012 dans les forces de l’ordre. À ce titre, il participe à des
opérations militaires avec l’armée états-unienne. Sa famille est alors menacée. À
l’été 2014, son père est assassiné. Le jeune Afghan est alors tiraillé entre la
nécessité de fuir le danger et protéger sa famille, la soif de liberté et la peur d’un
monde inconnu. Après discussion avec sa mère, il décide de partir. Le choix du
passeur est essentiel. Il va négocier avec Qhaer. « Je suis cher mais avec moi, tu
n’en baveras pas une seconde, il n’y aura pas de mer à franchir », argue le
passeur pour le convaincre de faire affaire avec lui. Safi réunit la moitié des 8 800
dollars et prend la route.

Découverte des mœurs occidentales
Son trajet le mène jusqu’à Kaboul, puis en Iran, à Téhéran, à Ourmia. On
découvre une autre géographie, en lisant ses aventures, parfois tristes, parfois
drôles, car l’humour permet aussi de tenir. Toujours en groupe, accompagné par
des passeurs, il arrive au Kurdistan turc puis gagne Istanbul où il découvre pour
la première fois les mœurs occidentales. Son récit de la gêne éprouvée dans le
bus face à une jeune fille en jupe, les cheveux détachés, l’atteste. Il réussit à
entrer en Europe par la frontière bulgare après un second essai. Le témoignage,
dans le livre, est fort et sensible. « J’avais sa confiance, car nous commencions à
bien nous connaître, explique Giovanni Privitera. Et mes quelques notions de
pachto m’ont aidé à comprendre les mots qui lui manquaient en français pour
décrire ce qu’il ressentait pendant son périple. »

Une fois en Serbie – qu’il confond avec la Sibérie ! – il est arrêté par la police qui
le libère rapidement. Il croise une jolie guichetière blonde qui lui offre son
premier café. Il part pour Vienne, la police encore puis le camp de réfugiés où
vivent cinq mille personnes. Au téléphone, il rassure sa mère : il est en Europe. Il
convainc deux Afghans de le suivre jusqu’en France. Car il n’a nullement rêvé de
l’Autriche. Il veut aller en France ou en Angleterre. Délesté de 110 euros, il prend
le train jusqu’à Milan puis Vintimille. Après plusieurs tentatives, il arrive enfin à
Marseille. En haut des marches de la gare Saint-Charles, il est content d’être là,
c’est le 24 juin 2015.

Les obstacles du parcours migratoire
Là commence un autre périple, celui du parcours migratoire pour être accepté en
France. Les obstacles s’enchaînent pour d’abord déposer sa demande d’asile, car
il a déjà laissé ses empreintes en Autriche et est sous le coup du règlement
Dublin. Puis, son audition à l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (OFPRA) en charge d’évaluer si le migrant doit recevoir la protection de
la France. Sa demande est rejetée après un entretien compliqué avec un
interprète qui s’emmêle dans les dates. Safi est considéré comme un ancien
militaire et ne peut, à ce titre, bénéficier de la protection des civils. Après un
recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile, il obtient en octobre 2018
son statut de réfugié.

Comment a-t-il tenu pendant ses trois années où il n’avait pas de papiers ? Il a
heureusement croisé des gens bienveillants à qui son récit rend aussi hommage.
Par exemple Chenargul, son contact afghan, qui l’héberge à Marseille et Mélissa
du Centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Marseille qui l’encourage dans ses
démarches et l’envoie dans un groupe de parole pour réfugiés. Ses amis aussi,
venus du monde entier, l’aident à tenir au quotidien. « L’origine a peu à voir avec
la qualité humaine », confie-t-il dans son livre.

Marqué par les épreuves de ce parcours de plusieurs mois, Safi témoigne avoir
souffert du froid, de la peur et de la faim. « Encore aujourd’hui, bien que ce
moment de ma vie soit lointain et révolu, cette faim est encore là, tapie dans un
coin de ma tête et de mon estomac. » Y a-t-il un lien avec le fait qu’il travaille
depuis son arrivée à Marseille dans la restauration ? Grâce à son travail à Kaboul
fastfood, il a pu rembourser sa dette de 4 400 dollars. Comme il le disait à
Christophe Hondelatte sur Europe1 le 30 septembre, il aimerait retourner en
Afghanistan voir sa maman et ses frères. Mais aujourd’hui, il est installé à
Marseille, il a des amis. Il aimerait avoir la nationalité française. Son prochain
rêve est de fonder une famille et d’ouvrir un restaurant afghan à Marseille. On lui
souhaite d’y arriver.

Laure Salamon

Info en +
Exil ordinaire d’un jeune Afghan, Giovanni Privitera et Safi Mohammad, Ateliers
Henry Dougier, 187 p., 16 €.
Par Laure Salamon

Covid-19:   à Marseille,  les
associations protestantes en
action
Pendant la crise du Covid-19, la plateforme Solidarité protestante a distribué près
de 13 000 euros à quatre associations protestantes qui interviennent à Marseille,
notamment dans le très touché 3e arrondissement.

Dès le début du confinement, Pierre-Olivier Dolino, pasteur et directeur de la
Fraternité de la Belle de Mai, membre de la Mission populaire évangélique de
France, savait que les plus pauvres seraient les premiers à souffrir de la crise.
Avec son équipe, il a mis en place un réseau de solidarité et d’entraide grâce à un
numéro vert, aux réseaux sociaux et aux courriels.

“Mais très vite, les demandes les plus urgentes ont concerné l’alimentation. Ceux
qui sont sur le territoire dans une situation illégale craignaient les contrôles et
n’osaient plus sortir de chez eux. D’autres avaient peur du virus ou n’avaient plus
de travail.” Avec l’aide de fondations comme Solidarité protestante, la Fraternité
a conçu un système artisanal en réseau pour les achats de première nécessité.

Dans le 3e arrondissement de Marseille, considéré comme le plus pauvre de
France, l’économie informelle est essentielle. Solidarité de voisinage, mendicité,
récupération sont souvent des recours pour les habitants en contrats précaires,
en intérim, faisant des missions à la journée ou vivant du chômage partiel.

Misère sociale
Pour Pierre-Olivier Dolino, cette crise a mis en lumière la misère sociale, le travail
et le logement précaires, mais aussi la situation dramatique des sans-papiers qui
ne sont ni expulsables ni régularisables.

À quelques rues de là, l’Église évangélique baptiste Paix Aujourd’hui organise,
dans son quartier et tout au long de l’année, des distributions alimentaires deux
fois par mois. Son œuvre sociale, l’Association de services et d’entraide Paix
Aujourd’hui (ASEPA), membre de la Fédération de l’Entraide protestante, comme
la Fraternité de la Belle de Mai, est à la manœuvre. “Ce n’est pas le rôle de
l’Église de faire une œuvre sociale, explique le pasteur Thomas Poëtte, mais c’est
celui des chrétiens. Pendant le confinement, il n’était pas possible d’arrêter notre
aide alors que des familles en avaient besoin.”

Une subvention spéciale
L’association a fait une demande de subvention spéciale auprès de Solidarité
protestante. “Nous élaborons des colis alimentaires avec le soutien
complémentaire de la banque alimentaire, nous distribuons des couches et du lait
infantile spécialement pour les familles qui ne touchent pas la CAF, précise
Martine Karlsson, responsable de l’ASEPA. Aujourd’hui, nous continuons à aider
une quarantaine de familles et avons prévu de poursuivre tant qu’il reste de
l’argent. Ce qui devrait nous permettre de les aider jusqu’à la fin du mois, voire
mi-juillet.”

Cette bénévole très engagée témoigne de la reconnaissance infinie des familles,
“parfois émues jusqu’aux larmes”. “Le père d’une fille de 15 ans n’ose pas lui dire
qu’il vient à l’église, il lui dit qu’il va au supermarché”, confie-telle avant de
repartir en réunion.
Aider au nom de Jésus
Le Secours Protestant est également intervenu dans le 3e arrondissement de la
cité phocéenne. Créée en 2014, l’association a pour objectif d’aider au nom de
Jésus-Christ, sans se soucier des églises d’appartenance des bénévoles cooptés.
“On a commencé avec 1 500 euros, précise Laurent Saez, président et fondateur.
Comme notre identité est très affirmée, nous ne recevons pas d’aides publiques,
mais uniquement des dons privés d’Églises, d’associations chrétiennes, de
donateurs personnels et du coup de main de Solidarité protestante. Nous avons
bouclé le budget de la mission prévue jusqu’à la mi-juin. La banque alimentaire
protestante Anatoth dans le Vaucluse nous a aussi beaucoup aidés.”

Au sud de cet arrondissement, Familles en action propose d’ordinaire du soutien
scolaire et des loisirs à des foyers du quartier. Face à l’urgence, la préfecture a
sollicité cette association pour qu’elle distribue les paniers de fruits et légumes
donnés par la métropole à environ 225 familles. Les paniers sont complétés par la
banque alimentaire. “On est chrétiens, on nous demande d’aider, alors on aide,
résume Julie Fassone, présidente de Familles en action. On tend la main à notre
prochain.”

Découvrez les autres projets soutenus par Solidarité protestante :

En Syrie

En Afrique

En France

À Nîmes
Par Jean Vitaux

Série “Épidémies” (4/8): la peste
de Marseille en l’an 1720
Médecin gastro-entérologue, Jean Vitaux est également l’un des meilleurs
historiens des épidémies. Il présente, dans Réforme, les plus redoutables d’entre
elles à travers les siècles.

Alors que la peste avait disparu d’Europe depuis plus de cinquante ans, une
nouvelle épidémie, importée du Moyen-Orient par voie maritime, ravagea la
Provence de 1720 à 1722. Elle fut liée à une rupture de la quarantaine imposée
pour les navires qui venaient des Échelles du Levant. L’introduction de la peste à
Marseille est bien documentée. C’est le fait d’un navire, le Grand Saint-Antoine,
commandé par le capitaine Chabaud, qui, parti de Saïda (Liban), fit escale à
Tripoli, à Chypre, puis à Livourne, et accosta à Marseille le 25 mai 1720, dans l’île
de Pomègues pour y subir la quarantaine.

Le capitaine Chabaud se rendit à la capitainerie du port et y montra ses patentes
qui affirmaient qu’il n’y avait aucun cas suspect de fièvre pestilentielle à bord,
alors que six passagers étaient morts durant le voyage. On transféra les
précieuses marchandises (des ballots de soie destinés à la foire de Beaucaire) et
les passagers aux infirmeries d’Arenc.
Telle est la version officielle du capitaine Chabaud. La réalité était tout autre. Il y
avait eu plusieurs morts durant la traversée et les patentes de Livourne étaient
mensongères. De plus, il semble que ce navire avait débarqué des marchandises
de contrebande à La Ciotat!

La peste au port
La peste avait débarqué à Marseille. Dès le 27 mai, un matelot mourut, et le
chirurgien du port (incompétent ou acheté) ne fit pas le diagnostic de la maladie,
malgré quatre morts supplémentaires. Celui-ci fut posé par le chirurgien major
des galères… le 8 juillet, devant la présence de bubons. Le navire et ses
marchandises furent transférés à l’île Jarre et incendiés, et le capitaine Chabaud
fut incarcéré au château d’If.

Mais la peste s’était répandue dans la ville. Les premiers morts furent une lingère
et un tailleur, rue de l’Escale, fin juin. La mortalité s’accrut à partir du 21 juillet.
Le 2 août, alors que la peste faisait 50 morts par jour, le parlement d’Aix décréta
“un arrêt fulminant qui défendait toute communication entre les habitants de la
province et ceux de Marseille sous peine de la vie”.

La fuite ou le confinement
Deux possibilités s’offrirent aux habitants : la fuite dans leur maison des champs,
choisie par les nobles, et le confinement, choisi par des communautés religieuses
(comme les bénédictines de Saint-Victor) et l’administration des galères. La
disette, les vols et les pillages s’ajoutèrent à l’épidémie. On chargea des galériens
de ramasser les cadavres que l’on enterra dans les bastions des fortifications ;
bien peu de ces corbeaux survécurent.

Sous l’impulsion de l’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce, et du chevalier Roze,
les secours s’organisèrent. Belsunce invoqua la Colère de Dieu (comme le pape
Grégoire au VIe siècle) et l’on administra l’eucharistie au moyen de pincettes
longues de plus d’un mètre. Les médecins, locaux, parisiens (comme Chirac
envoyé par le Régent) et montpelliérains, croyant ou non à la contagion, restèrent
impuissants. On brûla les vêtements et les meubles des pestiférés, et on fit des
fumigations pour désinfecter la ville.
La peste dura un an à Marseille, jusqu’en mai 1721, faisant au plus fort de
l’épidémie jusqu’à 1 000 victimes par jour. Au total, 90 000 personnes furent
contaminées et 39134 personnes moururent. Il y eut une reviviscence modérée en
1722, qui retarda la levée du blocus. Mais la peste s’était répandue rapidement en
Provence, atteignant Apt, Cucuron, Pertuis, Toulon entre août et octobre 1720,
puis Carpentras dans le Comtat Venaissin et Mende dans le Gévaudan. Elle
disparut en août 1721.

Le mur de la Peste
Une des mesures les plus étonnantes fut la construction du mur de la Peste, érigé
entre Saint-Hubert et Saint-Ferréol, et gardé militairement. Initialement, il devait
protéger le Comtat de l’épidémie venue de Provence. Quand celle-ci atteignit
Carpentras, les gardes changèrent de côté. Comme on pouvait s’y attendre son
efficacité fut nulle. La peste frappa selon les relevés du temps 247 869 personnes
en Provence et à Marseille, faisant 87 666 morts.

Le blocus terrestre fut levé en décembre 1721, et le blocus maritime en 1723. Le
coût économique fut énorme, estimé à 3 millions de livres, et le manque à gagner
en recettes fiscales à 4,5 millions, qui furent étalés sur quinze ans. La foire de
Beaucaire rouvrit seulement en 1723 et la peste profita aux négoces de Lyon et de
Montpellier.

Manœuvres frauduleuses
Deux commentaires peuvent être tirés de cette épidémie de peste de 1720.
D’abord, elle trouve son origine dans la rupture de la quarantaine, due aux
manœuvres frauduleuses du capitaine du Grand-Saint-Antoine et de son
armateur, Jean-Baptiste Estelle, échevin de Marseille. Ce dernier voulait disposer
au plus vite des soieries de grand prix de la cargaison pour les vendre à la foire
de Beaucaire. Il ne fut toutefois pas inquiété, et fut même anobli car il était resté
à Marseille pendant l’épidémie et avait fait preuve de courage!

Ensuite, le mur de la Peste n’a joué aucun rôle. La cause de l’arrêt de l’épidémie à
Avignon est désormais connue. Depuis le XVIIe siècle en France, le rat noir
(Rattus rattus) avait été progressivement éliminé par le surmulot (Rattus
norvegicus), qui est partiellement immunisé contre la peste et dont la puce
transmet mal le bacille Yersinia pestis. En effet, il faut 100 piqûres de la puce du
surmulot pour injecter le même inoculum de bacilles qu’une seule piqûre de puce
du rat noir. Or il existait des rats noirs en Provence (il en persiste toujours un
peu), mais plus au nord d’Avignon, ce qui explique l’arrêt de la progression de
l’épidémie.

        Prochain épisode: la grippe espagnole, plus mortelle que la Première
        Guerre mondiale
        Épisode 1: la peste noire, quand la mort devint omniprésente
        Épisode 2: la variole tombeau des Améridiens
        Épisode 3: le choléra et ses sept pandémies

La quarantaine, un premier confinement !
La quarantaine fut inventée à Raguse en 1377, pour se prémunir contre le risque
de peste apportée par les navires. La peste noire avait été répandue dans de
nombreux ports de la Méditerranée par les vaisseaux génois qui fuyaient le
comptoir de Caffa, sur la mer d’Azov. Ce règlement s’était étendu à tous les ports
qui accueillaient des vaisseaux venant du Levant ou des côtes africaines, où la
peste restait endémique.

La peste était parvenue à Marseille par voie de mer lors des deux premières
pandémies de cette maladie. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert précise le
but de la quarantaine: “C’est le nom en usage pour signifier le temps que les
vaisseaux venant du Levant et les passagers qui sont dessus ou leurs équipages
doivent rester à la vue des ports avant d’avoir communication libre avec les
habitants du pays. On prend cette précaution pour éviter que ces équipages ou
passagers ne rapportent d’Orient une de ces maladies contagieuses et
pestilentielles qui y sont fort fréquentes.”

Cette période de confinement devait durer quarante jours. Un arrêt du parlement
de Provence avait doté Marseille de ce dispositif en 1626. La ville avait créé un
bureau de santé et avait fait construire des infirmeries à Saint-Marcel d’Arenc. La
rupture de la quarantaine est à l’origine de la peste de 1720. Il est amusant de
constater que Bonaparte, revenant d’Égypte, où sévissait la peste (cf. les
pestiférés de Jaffa), débarqua à Toulon sans respecter la quarantaine. Celle-ci a
inspiré le confinement actuel.

Par Nathalie Leenhardt

À Marseille, les 100 ans de la
Fondation Jane Pannier
La Fondation protestante Jane Pannier à Marseille prend soin des femmes les plus
vulnérables et les aide à s’insérer de manière durable dans la société.

Elle est née la même année qu’une autre fondation protestante, La Cause, en
1920, avec une vocation semblable: le service des plus fragiles. Alors que La
Cause fut créée par le pasteur Freddy Durrleman, la Fondation Jane Pannier est
l’œuvre d’une femme, qui fut la première présidente de La Cimade et qui donna
son nom à l’association. Elle aura bientôt un rond-point à son nom dans le 12e
arrondissement de Marseille. Dès son origine, le protestantisme marseillais
soutient le projet de l’association: “accueillir, prendre soin des femmes les plus
vulnérables et les accompagner dans la recherche de solutions durables en vue
d’une réelle insertion dans la société.”

Aujourd’hui, l’association s’appuie sur trois structures complémentaires: les
CHRS Claire Joie et Jane Pannier qui hébergent des femmes victimes de violence,
à la rue, et le plus souvent sans ressources (111 places); le CADA Jane Pannier qui
reçoit les familles demandeurs d’asile (105 places en meublés dans le centre-
ville); le logement dans une pension de famille et une résidence d’accueil (47
studios meublés).

Jane Pannier a accueilli, aidé, hébergé 1200 familles en 2019. L’association est
très engagée dans les réseaux de réflexion et d’action, comme les fédérations du
secteur social et médicosocial, la Fédération de l’Entraide protestante et le Pôle
local de la Fédération protestante de France. À l’occasion de son centenaire, elle
organise plusieurs manifestations : deux déjeuners débats, l’un sur l’accueil des
femmes en souffrances psychiques, l’autre sur les 80 ans de La Cimade, mais
aussi une projection du film Les invisibles, suivi d’échanges. À noter également,
un temps de reconnaissance et de concert avec le pasteur Olivier Raoul-Duval et
la chorale du pôle de la FPF.

Centenaire Jane Pannier, sous le marrainage de Macha Makeïeff du 3 mars au 13
mars, programme complet sur janepannier.fr

Par Christian ApothélozChristian Apothéloz
Marseille : Jean-Luc Ricca est dans
les clous
Jean-Luc Ricca est l’élu municipal en charge du stationnement et de la circulation,
à Marseille.

Il était discret Jean-Luc Ricca, conseiller municipal de Marseille. Connu dans son
arrondissement, oui. Mais en quelques jours, fin 2017, il voit passer micros,
caméras, stylos, articles de presse et réactions sur les réseaux sociaux. À quel
sujet ? Pour la mise en circulation de trois voitures ZOE. Vite surnommées
« sulfateuses à PV », elles contrôlent 450 000 véhicules par mois. En 2018, il fait
dresser deux fois plus de contraventions pour stationnement abusif, soit 629 000
sur l’année ! Auparavant, trois Marseillais sur cinq payaient leur stationnement.
Aujourd’hui, ils sont 85 % à verser leur dû.

« J’ai un esprit protestant »
Calmement, certain d’agir pour le bien commun, il monte au front. Inoxydable, il
explique tranquillement qu’il faut remettre de la rigueur, respecter l’espace
public et les règles. « J’ai un esprit protestant, dit-il, un peu rebelle. Je n’ai pas
peur d’être minoritaire ou de m’opposer. Je ne travaille pas pour être réélu, mais
pour remplir une mission que le maire m’a confiée dans l’intérêt général. »

Jean-Luc Ricca est, en effet, né dans une famille de Vaudois des Alpes françaises,
installée à Marseille. Le petit Jean-Luc suit l’école biblique et trouve dans le
scoutisme sa voie.

Il sera chef Éclaireur unioniste avec comme totem : « Castor dynamique et
généreux ». La nature, le service, le sport, l’équipe lui vont bien. L’école un peu

moins. À 18 ans, le 1er août 1974, il signe pour le bataillon de marins-pompiers1
de Marseille. Il est reçu premier sur 240, et ce sera sa « grande école ».

Syndicaliste engagé
Une bonne carte de visite pour entrer au service sécurité du centre à l’énergie
atomique de Cadarache, une ville fortifiée : 5 000 salariés, 1 700 hectares
clôturés, 1 500 bâtiments avec des procédures à hauts risques.

Jean-Luc Ricca va apprendre, se former : « Ce que je n’avais pas fait au lycée, je
l’ai appris grâce aux stages. » Il devient cadre, chef de brigade dans la centrale
nucléaire : « Nous assurions toute la sécurité du site avec une équipe de
80 personnes. »

Il y découvre la vraie vie, le monde de l’entreprise, l’engagement – d’abord
syndical – et choisit l’option modérée : « J’ai soif de justice sociale, mes parents en
ont bavé. On était trois dans la même chambre, mais je crois à la responsabilité,
au dialogue. » Il ne rejoint pas la CGT (majoritaire au centre de recherche sur
l’énergie nucléaire) et opte pour la CFTC, où il va renforcer la section
« chrétienne ». Il devient également délégué du personnel et délégué syndical.

La politique le tente. Dans sa jeunesse, il a été séduit par Michel Rocard, mais
dans les années 1990, il devient gaulliste. En 1995, il rejoint le RPR de Jacques
Chirac, celui de la « fracture sociale », au moment où celui-ci est au creux de la
vague. « C’était une droite avec une dimension humaine qui me correspondait »,
explique-t-il.

Il prend sa carte à la section professionnelle, puis va militer dans son quartier, à
Marseille. Son sens de l’organisation, sa détermination, son dévouement sont
appréciés des élus. « J’ai trouvé la possibilité de poursuivre ce qui m’animait déjà

quand j’étais délégué de classe en 6e, développe-t-il. J’aime œuvrer dans l’intérêt
général et faire avancer les dossiers. »

Adjoint d’arrondissement
Il apprend les codes. En 2001, il souhaite participer aux municipales. Il se
retrouve, pour les quartiers nord, en toute fin de liste de Jean-Claude Gaudin,
sans aucune chance de succès. En 2008, il prend du galon et devient éligible : il
est adjoint d’arrondissement, responsable de la propreté et du tri sélectif dans les
6e et 8e arrondissements. « C’est un long apprentissage, reconnaît-il, avec une
vision très parcellaire. »

En 2014, il est élu 13e sur la liste des Républicains du secteur. « J’étais dans les
Alpes, se souvient-il. Le cabinet du maire m’appelle, je me gare et c’est Jean-
Claude Gaudin : “Je vais te confier une délégation très difficile”. » Il sera délégué
à « la circulation, à l’espace piéton, à l’autopartage », et président de la
commission du nom des rues.

Il a une certitude : « Je ne veux pas être un pantin qui coupe les rubans. J’étais en
cessation d’activité anticipée à 57 ans, donc j’étais disponible. » Jean-Luc Ricca,
comme il l’a fait chez les scouts, chez les marins-pompiers, au centre à l’énergie
atomique, apprend et bosse. « Je ne savais pas ce qu’était la gestion d’un
horodateur, concède-t-il ! Pas plus que les logiciels, les marchés, les sociétés
d’entretien, l’organisation des collectes. »

Développer l’autopartage
Il fait des choix, dont celui de renforcer les contrôles : « Les Marseillais doivent
modifier leurs comportements. Nous fixons des règles simples, qui doivent être
respectées, par la pédagogie, mais aussi par la verbalisation. Les gens se sont
étonnés d’un contrôle devenu efficace. »

Ces dossiers, humains et techniques, font son quotidien. Fin 2014, son service
constate que 6 000 à 7 000 deux roues motorisées sont stationnés de façon
anarchique sur l’espace public. Or, il décompte seulement 895 places. Il en
programme 1 000 de plus par an, plutôt que de verbaliser. Fin 2018, le parc de
stationnement compte 3 295 emplacements.

Il ne s’arrête pas là. Il ouvre la ville à l’autopartage, en créant une vignette
avantageuse, en réservant des stations pour les véhicules électriques Totem Mobi
et Citiz, en libre-service. Il vient de donner l’accès aux trottoirs et aux voiries à
2 500 trottinettes, pour convertir les Phocéens aux transports doux.

« La tarification des parkings est trop chère, constate-t-il. Ce qui explique le
stationnement anarchique. Il faut que les résidents puissent se garer à des prix
abordables. Marseille est une ville populaire, pauvre, où 50 % des ménages ne
paient pas l’impôt. J’ai donc baissé les tarifs pour les résidents de 200 € à 140 €
par an. »
Militant local
Enfin, il est en charge des noms de rue et veille, avec une commission pluraliste, à
rendre hommage aux personnalités les plus généreuses de la cité.
            e
Dans le 14 arrondissement, géré par le Rassemblement National, il énonce,
malicieux, les personnalités choisies : « Odette Taragonnet, militante associative
(1939-2009), Françoise Ega, surnommée Mam’Ega, poète et
militante (1920–1976), Jacques Marty, prêtre-ouvrier (1929–2015). On a nommé
des rues Nelson Mandela ou Louise Michel dans une municipalité de droite ! »

Militant local, Jean-Luc Ricca défend fermement ses convictions politiques. Pour
les primaires de la droite et du centre, il avait soutenu « avec beaucoup de
conviction Juppé, pour une France pluriculturelle », et créé le plus gros comité de
soutien des Bouches-du-Rhône. Mais il n’a pas suivi le mouvement après 2017 :
« Le soir du premier tour, j’attendais un désistement sans faille face au FN. Ce ne
fut pas le cas. J’ai quitté les Républicains. Je refuse la ligne identitaire qui flirte
avec le RN, c’est inadmissible, comme républicain, comme homme de droite et
comme protestant. »
Jean-Luc Ricca a rejoint la droite constructive et a participé au congrès fondateur
d’Agir.
En 2020 pour le prochain scrutin municipal, il est « toujours prêt ». Mais il précise
: « J’ai envie de continuer dans la prochaine mandature, si on fait appel à moi. À
condition que celui qui conduira la liste soit républicain, modéré, humaniste,
bosseur et compétent ! »

Note :
1. Unité de marine, créée en 1939, à la suite de l’incendie des Nouvelles Galeries,
à Marseille.
Par Christian Apothéloz

Thomas Poëtte, un jeune pasteur
baptiste à Marseille
À 28 ans, Thomas Poëtte, qui vit à Marseille, participe aux Rendez-vous de la
Pensée Protestante.

C’est avec appréhension que Thomas se rend ce samedi au siège de l’Armée du
Salut à Paris pour participer aux premiers Rendez-Vous de la Pensée Protestante.
Avec l’un des professeurs de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-
sur-Seine, Jacques Nussbaumer, il forme l’un des huit binômes. Ils vont plancher

sur le thème « Le XXIe siècle sera théologique ! ». Jeune pasteur de 28 ans à
Marseille, étudiant en master de recherche, il appréhende la disputatio avec les
grands de la théologie protestante. Mais Thomas a accepté la proposition inédite
de cette rencontre.

Il cherche son chemin
Né dans une famille évangélique à Annecy, il fait, à 18 ans, le choix de l’Église
baptiste. Thomas la voit comme une Église « moins enfermante que certaines
paroisses évangéliques, moins anti-intellectualiste ». Et de préciser : « C’est plus
un engagement qu’une conversion. » Auprès des jeunes, dans la paroisse, dans
l’accompagnement des personnes, en participant aux congrès de la Fédération
baptiste, il cherche son chemin.

L’autorité de l’Écriture, l’importance de la vie communautaire, le baptême des
croyants et l’accent mis sur la justice sociale l’enracinent dans le courant
baptiste. Dans le groupe de jeunes de la paroisse, il a rencontré Lauren. Elle est
infirmière et deviendra sa compagne. Professionnellement, il n’a pas opté pour un
métier déterminé. Thomas a suivi une formation en communication, s’est entraîné
aux sites Web. Mais lorsqu’il faut nourrir sa jeune famille, il travaille comme
brancardier à l’hôpital.

L’expérience de la frugalité
Une étude biblique de l’Apocalypse conduite par la pasteure Joëlle Sutter-
Razanajohary lui fait toucher du doigt ce besoin « de plus » qu’il ressent. Pour
accompagner les personnes, pour creuser la Bible, pour enseigner, il souhaite
entamer des études de théologie. En perspective : un poste pastoral. Il fait le tour
des formations protestantes. Et choisit la faculté de Vaux-sur-Seine. Ce n’est pas
la voie de la facilité. Il a déjà un enfant et la faculté est loin d’Annecy. Mais il a
soif, une soif inextinguible d’apprendre. Il a un appétit insatiable pour le texte
biblique, pour la théologie, pour le questionnement.

Loin de sa famille
Le jeune homme décroche une bourse de la Fondation Eugène Bersier qui couvre
ses frais. Pour suivre les cours, trois jours par semaine, il dort dans sa voiture.
Avec sa petite famille, il rejoint la communauté de Goshen, à la Ferme de la
Chaux, entre Dijon et Beaune. Lauren a fait le lien avec cet écohameau chrétien,
participatif et festif. Il y vit un engagement social et environnemental avec ces «
tribus de familles et d’amis, vivant ensemble l’Évangile ».

Mariage à Goshen
Son mariage sera célébré dans une grange de Goshen. La Chaux fait partie du
réseau qui annonce en été l’Évangile dans les festivals. On offre du thé et du
réconfort à ceux qui se sont oubliés dans la musique ou les stupéfiants. L’étudiant
confronte sa foi et ses convictions avec les résidents de ce collectif de familles
protestantes ou catholiques. Il aime la discussion qui ne se clôt pas, le débat qui
ouvre, la pluralité.

Il participe activement à TchAaP, « une grande tribu » qui milite « pour un monde
libre, fraternel, équitable, non-violent, qui respecte la vie et la terre ». Ce
mouvement communautaire invente des formes frugales de vie, un «
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