N 121 LOGEMENT ET SANTÉ : DES DROITS INDISSOCIABLES
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N°121 LOGEMENT ET SANTÉ : DES DROITS INDISSOCIABLES > DPR 2017–2019 / Droit à la Santé / Pollutions intérieures / Précarité / Logement encadré novateur / Autonomie / Hygiénisme / Mal-logement + Bail et permis d’urbanisme / Chiffres-clé du Logement wallon / … NOVEMBRE 2017
� POLITIQUE DU LOGEMENT REGARDS SUR LE PASSÉ 02 Renforcer l’accès et la qualité du PRÉCARITÉ, LOGEMENT 36 Hygiène et habitation au XIX e siècle logement ET SANTÉ PAR JEAN-MICHEL DEGRAEVE PAR VALÉRIE DE BUE 19 Les conséquences sanitaires de la INTERNATIONAL 04 Entre droit au logement et droit à la (non) consommation d’énergie dans le 38 Le Logement est une question de Santé santé : des influences multiples et logement publique croisées PAR VALÉRIE XHONNEUX EXTRAIT DU RAPPORT 2016 SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN PAR NICOLAS BERNARD 23 De l’Habitat à la Santé… au quotidien FRANCE — FONDATION ABBÉ PIERRE TEXTE CO-ÉCRIT PAR MARIE-CLAUDE CHAINAYE, GAËLLE QUAND LE LOGEMENT PROJETS PETERS ET ANNE LECLERCQ ET TÉMOIGNAGES RECUEILLIS REND MALADE… PAR RÉSEAU WALLON DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 42 Cardijn : une réhabilitation exemplaire 10 Matériaux de construction et Santé pour un site historique 27 Un logement pour les sans-abris, PAR FRANÇOISE JADOUL PAR JEAN DEMEULENAERE la santé aussi 12 Des laboratoires au chevet du logement PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN FONTAINE JURISPRUDENCE PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN FONTAINE 46 Bail : Civ. Hainaut / 28 janvier 2015 14 Réglementations régionales et 49 Colocation : Conseil d’État / Arrêt UNE VIE DE QUALITÉ pollutions intérieures n° 237.973 du 20 avril 2007 PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN FONTAINE 30 Être autonome dans son logement, une PAR NICOLAS BERNARD évidence ? 16 Les blattes : ces insectes qui perturbent ÉTUDES ET RAPPORTS UNE CONTRIBUTION DE L’AGENCE WALLONNE POUR UNE VIE la relation locative DE QUALITÉ (AVIQ) 58 Quel bilan 2016 pour les organismes PAR PAUL-EMILE HÉRIN wallons du Logement ? 32 Une forme de logement alternative : PAR NATHALIE OMBELETS, ALAIN ROSENOER, les services de Logement Encadré VINCENT SCIARRA ET SÉBASTIEN PRADELLA Novateur (LEN) UNE CONTRIBUTION DE L’AGENCE WALLONNE POUR UNE VIE 63 Les chiffres clés du logement public en DE QUALITÉ (AVIQ) Wallonie PAR MARIE-NOËLLE ANFRIE 34 Alodgî : Initiative d’habitat solidaire pour personnes présentant des fragilités PUBLICATIONS psychiques 66 Comment faire mieux avec moins PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN FONTAINE 68 Petits travaux & permis d’urbanisme 68 Quasi zéro énergie pour un avenir 100 % zen. 68 Soft City PAR LUC THOLOMÉ ÉDITRICE RESPONSABLE GESTION DES ENVOIS ET DES ABONNEMENTS PHOTO DE COUVERTURE Annick Fourmeaux Liliane Vangeel (liliane.vangeel@spw.wallonie.be) Marcel Schmitz RÉDACTEUR EN CHEF Sébastien Fontaine LES ÉCHOS DU LOGEMENT La reproduction intégrale ou partielle des textes et PEUVENT ÊTRE OBTENUS GRATUITEMENT illustrations n’est autorisée qu’après accords écrits COMITÉ DE RÉDACTION SUR DEMANDE ÉCRITE AUPRÈS DE préalables de la Rédaction et de l’auteur, moyennant Nicolas Bernard, Philippe Defeyt, Jean-Michel Sébastien Fontaine citation de la source et du nom de l’auteur. Degraeve, Michel Grégoire, Paul-Emile Hérin, Luc Service Public de Wallonie (SPW) – DGO4 Laurent, Alain Malherbe, Alexandra Nafpliotis, Rue des Brigades d’Irlande, 1 DESIGN GRAPHIQUE ET MISE EN PAGE Sébastien Pradella, Daniel Pollain, Geneviève 5100 Jambes nnstudio.be Rulens, Yves Schreel, Luc Tholomé, Pol Zimmer. sebastien.fontaine@spw.wallonie.be RUBRIQUE REGARDS SUR LE PASSÉ SITE GÉNÉRAL DE LA DGO4 Jean-Michel Degraeve (degraeve.jm@gmail.com) http://spw.wallonie.be/dgo4 NN STUDIO s.n.c. RUBRIQUES JURISPRUDENCE ET PUBLICATIONS ACCÈS DIRECT AUX ÉCHOS DU LOGEMENT IMPRESSION Luc Tholomé (luc.tholome@spw.wallonie.be) http://echosdulogement.wallonie.be Snel LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°121 TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS Le logement et la santé de celui qui l’occupe entretiennent des liens pourquoi nous avons récolté les points de vue d’organismes travaillant étroits. L’affirmation n’est pas neuve et quelques chiffres permettent avec des personnes vivant des situations de grande précarité. Valérie de l’étayer : selon l’enquête sur la Qualité de l’Habitat menée en 2006- Xhonneux (Rassemblement wallon pour l’Accès durable à l’Energie) 2007, 6,6 % des Wallons considèrent que leur logement peut consti- nous explique en quoi la précarité énergétique menace la santé des tuer la source de problèmes de santé, les affections respiratoires habitants et pourquoi il est essentiel d’investir dans la rénovation des étant le plus souvent évoquées 1. L’enquête de 2012-2013 2 nous logements les plus dégradés. Marie-Claude Chainaye, Gaëlle Peters apprend que dans 9,5 % des logements wallons, au moins une pièce et Anne Leclercq (Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté) rendent présente une trace de moisissure supérieure à 1 m² 3. On pourrait compte de témoignages, souvent bouleversants, de personnes dont également citer l’exigüité ou l’inadaptation structurelle d’une partie la santé est directement affectée par l’état de leur lieu de vie. Enfin, du parc dont les effets sur la santé mentale ont été établis de longue Arnaud Jacquinet et Fanny Caprasse (Relais social du pays de Liège) date 4, la dangerosité des installations électriques ou de gaz,… Pour- nous expliquent ce qui est mis en place, dans le cadre du programme tant, c’est bien entendu l’absence de logement qui est la plus désas- Housing First, pour améliorer l’état de santé des personnes quittant la treuse sur le plan sanitaire. Un seul chiffre suffit à nous faire prendre rue. La nécessité de mieux croiser les politiques de Logement, d’Ener- conscience de l’horreur de la condition de sans-abri : leur moyenne gie, de Santé, d’Action sociale,… est au cœur du discours de tous ces d’âge au décès serait de 49 ans 5. La corrélation entre les probléma- intervenants, ce qui fait écho au texte de la Fondation Abbé Pierre sur tiques de Logement et de Santé apparait comme une évidence. « Le le mal-logement et la santé en France (International). mal-logement rend malade autant que la maladie rend mal-logé » nous Nous poursuivons l’exploration des croisements Logement/ dit la Fondation Abbé Pierre 6. Partant de ce constat, Les Échos du Santé avec deux contributions de l’Agence wallonne pour une Vie de Logement posent la question de savoir comment Logement et Santé Qualité (AViQ). La première est consacrée aux politiques publiques s’accordent (ou pas) sur le plan des droits et besoins des citoyens et destinées à adapter les logements aux problèmes de mobilité de leurs des politiques publiques. occupants. La seconde vise les services de Logement Encadré Nova- Mais tout d’abord, Valérie De Bue, Ministre du Logement de- teur (LEN), autant de dispositifs qui viennent en soutien au logement puis juillet 2017, ouvre la rubrique Politique du Logement et trace les autonome de personnes présentant des déficiences intellectuelles. grandes lignes de son action dans l’année et demi à venir. Ensuite, Quant à Benoît Van Tichelen, Psychologue et responsable du Service Nicolas Bernard, Professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, de santé mentale « Entre Mots », il nous parle de « Alodgî », un habitat nous fait entrer dans la thématique de ce numéro par la porte juri- innovant pour les personnes souffrant de troubles mentaux situé à dique. Il livre une contribution fouillée sur les interrelations multiples Ottignies. entre le droit au logement et le droit la santé. S’ensuivent une série Jean-Michel Degraeve (Regards sur le passé) consacre son d’articles s’intéressant aux effets des composants de l’habitation article à la stratégie hygiéniste qui a fondé la première intervention sur la santé de ses occupants. Françoise Jadoul (Espace Environ- publique dans le domaine du Logement au 19e Siècle. La rubrique Pro- nement) aborde le sujet sous l’angle de l’impact des matériaux de jets met à l’honneur une rénovation exemplaire : l’implantation de 25 construction sur la qualité de l’air intérieur. Marc Roger, responsable logements sur le site Cardijn à Mouscron, un bâtiment datant de 1870. du Laboratoire des Pollutions intérieures du Hainaut, nous parle de Nous devons cette contribution à Jean Demeulenaere, Directeur tech- son travail au quotidien : analyser les liens entre des symptômes et le nique de la Société de Logements de Mouscron, à l’initiative du projet. logement de la personne qui en est affecté. Luc Jandrain (directeur La Jurisprudence, compilée et analysée par Luc Tholomé et Nicolas de la Qualité du Logement au SPW) et Tom Vandromme (Chercheur à Bernard, s’intéresse aux liens entre la mise en location d’un bien et sa l’Université d’Anvers) dialoguent sur la prise en compte des pollutions conformité aux règles en matière d’urbanisme. Celles et ceux qui sont intérieures dans les réglementations régionales. Paul-Emile Hérin friands de statistiques se plongeront avec intérêt dans les pages de la (Info-Conseil Logement au SPW) traite d’un sujet qui est loin d’être rubrique Etudes et rapports : on y trouve une recension des rapports anecdotique : la présence de cafards dans un logement et l’impact d’activités des organismes publics du Logement ainsi qu’un article de sur la relation locative. Marie-Noëlle Anfrie (CEHD) sur les chiffres-clé du logement public. On ne peut pas parler de l’état sanitaire des logements sans Pour terminer, nous rappelons à nos lecteurs que, le 14 sep- le relier à la condition socio-économique de leurs occupants. C’est tembre 2017, le Gouvernement wallon a adopté en troisième lecture le projet de décret réformant le droit du bail d’habitation. Ce projet, 1 Enquête sur la qualité de l’habitat en région wallonne 2006-2007, Collection Etudes et concernant une matière qui touche beaucoup d’entre nous au quo- Documents (Ministère de la Région wallonne, 2007). tidien, méritera d’être présenté avec soin. C’est pourquoi ce sera 2 Enquête coordonnée par le CEHD. Voir notamment Le logement en Wallonie : des clés pour comprendre (S. Cassilde, S. Pradella, M. Kryvobokov et M.N. Anfrie) (Editions de l’Univer- le point de départ de notre prochain numéro (Février 2018) qui se sité Ouverte de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2017) et plus particulièrement le chapitre consacrera à la question du bail sous différents angles. Nul doute que « Les ordres de grandeur de la salubrité ». cette livraison à venir suscitera l’intérêt de nos lecteurs habituels et 3 Soit le seuil au-delà duquel il est considéré que le logement présente un manquement peut-être d’autres. Qu’on se le dise ! selon l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 août 2007 déterminant les critères minimaux de salubrité, les critères de surpeuplement et portant les définitions visées à l’article 1er, 19° à 22°bis, du Code wallon du Logement. 4 Voir The psycholgy of Housing (F. Stuart Chapin) (Oxford university press, 1951). MICHEL GRÉGOIRE, INSPECTEUR GÉNÉRAL FF DU 5 Chiffre de l’association française Le Collectif des Morts de la Rue. DÉPARTEMENT DU LOGEMENT (SPW-DGO 4) 6 21e Rapport sur l’état du Mal-Logement (2016) dont un extrait est repris dans la rubrique International. ET SÉBASTIEN FONTAINE, RÉDACTEUR EN CHEF LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°121 AVANT-PROPOS 01
02 Renforcer l’accès et la qualité du logement PAR VALÉRIE DE BUE Ministre wallonne des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives L’occasion m’est donnée de présenter les grandes lignes de la politique du Logement « Renforcer l’accès et la qualité du logement » telle qu’arrêtée par la Déclaration de politique régionale « La Wallonie plus forte » du 27 juillet dernier. C’est sur la base de nombreux constats observés dans le secteur que les priorités en la matière ont pu être fixées à moyen terme. Le droit à un logement décent est garanti par notre Constitution. Il est Le logement d’utilité publique est confronté à de nombreux le premier et le principal rempart contre le risque de paupérisation. défis : près de 40.000 familles sont dans l’attente, 5.000 logements restent inoccupés faute de moyens suffisants auprès des sociétés Or, la Wallonie est la Région de l’OCDE qui impose le plus l’ac- de logement social pour les rénover et le secteur est structurellement quisition d’un logement. L’ensemble des frais restent à charge de déficitaire. Un peu moins de la moitié du parc total des logements l’acheteur alors que d’autres ont fait le choix d’une répartition de ces sociaux n’a pas pu bénéficier des programmes régionaux visant à frais entre le vendeur et l’acheteur. Dès lors, on comprend aisément la sécurisation ou à la rénovation du parc (Programme exceptionnel l’importance d’agir à ce niveau pour faciliter l’accès au logement. La d’investissement ou programme d’investissement vert). réforme fiscale adoptée en première lecture ce 7 septembre, com- porte ainsi, notamment, un abattement de 20.000 € sur la base impo- En clair, deux priorités guident le Gouvernement en matière sable des droits d’enregistrement pour le premier bien qui deviendra de logement d’utilité publique : restaurer l’équité entre les locataires la résidence principale de l’acquéreur. et rétablir le rôle d’ascenseur social du logement. D’un point de vue fiscal, le maintien à domicile est également Dans ce cadre, le Gouvernement étudie une révision du calcul aidé. Un prêt à taux zéro viendra compléter les aides matérielles à des loyers qui permettrait de placer le secteur dans une spirale posi- l’aménagement de domicile qui restent réservées aux personnes en tive tant en termes d’amélioration de la qualité du parc que financiers, situation de handicap l’ayant déclaré avant l’âge de 65 ans. au bénéfice des locataires. Le mécanisme envisagé vise à considérer l’ensemble des coûts d’utilisation du logement à savoir le loyer plus De plus, un important axe est dédié à la qualité de l’habitat. les charges. L’idée est d’améliorer la qualité du logement social, d’en Son amélioration aura un impact indéniable sur la santé de leurs habi- réduire les charges et de répartir l’économie entre le locataire social tants, thème de ce numéro des Échos du Logement. Pour y arriver, le et la société de logement de service public. Une concertation sera renforcement de la performance énergétique des bâtiments se fixe menée entre l’ensemble des acteurs : représentants des locataires, un objectif précis à long terme. A cet égard, le Gouvernement souhaite sociétés de logement de service public, société wallonne du logement. impulser une approche tournée vers l’usager en simplifiant drastique- Des contacts sont également pris avec des acteurs privés en vue de ment les différentes aides en matière de rénovation des logements : mettre en place des partenariats tant en matière de construction fusion des différents « packs » offerts par la Wallonie (accespack, réno- que de rénovation. pack, ecopack) en un seul produit rassemblant l’ensemble des aides à l’amélioration des logements (crédits à taux zéro ou bonifiés et primes). Une réforme de l’attribution des logements est également à l’examen, guidée par les deux priorités détaillées plus haut. Plus spécifiquement, en matière de logement d’utilité publique, plutôt que d’imposer un forfait linéaire de 10 % sur l’ensemble des En résumé, beaucoup de travail nous attend mais égale- communes, le Gouvernement souhaite mettre en place un schéma ment de beaux défis que je souhaite relever avec passion et opiniâ- de développement régional du logement. Il permettra d’identifier au treté. � mieux l’implantation de nouveaux logements publics en fonction de la disponibilité des services publics, des bassins d’emploi, des transports publics, etc. Le but est de faciliter au maximum les liens entre le loge- ment d’utilité publique, l’insertion et l’emploi tout en l’inscrivant dans des zones propices au développement de liens sociaux, culturels, etc. LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°121 VALÉRIE DE BUE, MINISTRE DU LOGEMENT
La « S » Grand Atelier situé à Vielsalm est un centre d’art qui propose au quotidien des ateliers de création pour des artistes handicapés mentalement. Loin de toute considération thérapeutique, ce laboratoire artistique organise également des résidences associant ses artistes à ceux du champ de l’art contemporain. La « S » Grand Atelier explore ainsi de nouvelles pratiques artistiques issues de cette mixité et questionne un autre rapport à la création pour des artistes traditionnellement en marge du « monde de l’art ». Marcel Schmitz, dont les œuvres sont représentées en couverture et en pages 3 et 9, participe à l’atelier depuis 2006. Son travail, que ce soit en deux ou en trois dimensions, repose essentiellement sur une recomposition personnelle d’environnements architecturaux tels que des immeubles, des villes, des gares… La démarche de Marcel Schmitz, tout comme celle de Dominique Théate (page 29), combinée au projet artistique de La « S » Grand Atelier entre en résonnance avec la thématique du présent numéro. LA « S » GRAND ATELIER MARCEL SCHMITZ 03
04 LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°121 POLITIQUE DU LOGEMENT Entre droit au I. Droit international logement et 1. Déclaration universelle des droits de l’homme 5 droit à la santé : A. Une parenté de texte 3 D’abord, on note une parenté de texte des influences évidente puisque l’article 25.1 de la Déclara- tion, qui s’ouvre sur « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille… », multiples et se poursuit par : «…notamment pour l’alimen- tation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » 6. croisées Ce niveau de vie suffisant, qui condi- tionne intimement le droit à la santé (mais qui, en retour, en dépend également 7) doit donc être atteint dans une série de domaines jugés cruciaux, dont le logement. L’un ne va pas PAR NICOLAS BERNARD sans l’autre, autrement dit. Professeur à l’Université Saint-Louis — Bruxelles B. Le lien (indéfectible) avec la famille 4 Tant le droit à la santé que le droit au logement est inscrit étroitement, au sein de Introduction santé publique en général » 3. En sens inverse, la Déclaration universelle, dans le cadre de la un bon état de santé permet d’entretenir adé- cellule familiale. Il s’agit non seulement d’un quatement son lieu de vie. rapport de linéarité (le droit au logement ou 1 On connaît les interrelations, étroites, à la santé pour l’individu et sa famille) mais 2 Par contraste, les interconnexions existant entre le domaine du logement et celui également, et plus fondamentalement, de entre droit au logement et droit à la santé sont de la santé (physique 1 ou mentale 2), l’état causalité (le droit au logement ou à la santé incontestablement moins travaillées. L’enjeu du premier exerçant une influence décisive pour l’individu, et donc pour sa famille aussi). est d’importance, car qui ne connaît pas ce sur la seconde : habitation humide provo- C’est parce que le père ou la mère dispose tissu normatif est incapable, fatalement, de quant de l’asthme, tuyaux en plomb engen- d’un logement sain, par exemple, qu’il ou le mobiliser. drant un risque de saturnisme, chauffe-eau elle peut alors en faire profiter ses enfants. La présente contribution commence- défectueux exposant à une intoxication au Pareillement (mais en sens inverse), si les ra par se focaliser sur le droit international, à monoxyde de carbone, sentiment d’oppres- parents sont en mauvaise santé, ils éprou- la fois très riche en la matière et (paradoxale- sion induit par l’extrême exiguïté du bien, veront davantage de difficultés à faire jouir ment) peu connu. Ainsi passera-t-on au crible troubles neuropsychiatriques apparaissant leur progéniture de bonnes conditions de vie les différents instruments internationaux en (ou s’exacerbant) à l’occasion d’un séjour à et d’hygiène. matière de droits de l’homme qui promulguent la rue,… «L’habitation insalubre est celle dont à la fois droit au logement et droit à la santé, C. La protection du domicile l’occupation risque de provoquer des mala- en prenant ce dernier comme point de départ dies contagieuses ou d’en favoriser la pro- 5 Élargissons le spectre. Au sein de l’ar- de l’analyse. L’examen, au final, donnera à voir pagation », observe par exemple le Conseil ticle 8.1, la Convention européenne des droits une relation de soutènement réciproque qui d’État, «celle qui, étant un foyer d’infection de l’homme protège la vie privée et familiale unit ces deux prérogatives fondamentales, un ou ne répondant plus à ce qui est considéré ainsi que le domicile, ce qui offre une autre in- véritable lien d’indivisibilité : non seulement comme étant aujourd’hui le strict minimum en terconnexion entre droit au logement et droit l’un appuie l’autre mais — de manière plus matière d’hygiène, menace non seulement la à la santé. C’est que, pas plus que nombre essentielle encore — lorsque l’on touche à santé d’éventuels occupants mais aussi la de prérogatives garanties par l’outil conven- l’un, on affecte automatiquement l’autre. tionnel, le droit à la vie privée et au respect du Dans un second temps, on se domicile n’est absolu ; il peut en effet devoir penchera le droit interne. Précisément, la souffrir des ingérences de la part des autori- 1 Cf. entre autres F. JADOUL, « Pollution intérieure et pré- Constitution belge 4 a décidé de consacrer de carité », L’Observatoire, n°65/2010, p. 85 et s., de même que tés publiques, pour peu que la mesure soit à la concert — et au sein d’un même article — ces les numéros de printemps 2011 et d’hiver 2006 de la revue de fois prévue par la loi et « nécessaire à la sécu- la FEANTSA Sans-abri en Europe consacrés respectivement deux attributs juridiques, reliés par une philo- rité nationale, à la sûreté publique, au bien-être à « La santé des personnes sans domicile : franchir les bar- sophie commune. Une série de conséquences rières » et à « La santé et l’exclusion liée au logement : une économique du pays, à la défense de l’ordre juridiques en découle sur le plan judiciaire. approche globale ». 2 Voy. notamment P.-É. HÉRIN, « Le syndrome de Diogène. 5 Proclamée le 10 décembre 1948 par l’assemblée géné- Une pathologie à la croisée du logement, de l’isolement et de rale des Nations unies. la santé mentale », Échos log., 2006, n°3, p. 31 et s., ainsi que 3 Cf. notamment C.E. (XIII), 21 février 2002, Dejardin, N. BERNARD, « Le logement et la santé mentale au prisme de n°103.845, 2002. 6 Souligné par nous. la loi », Échos log., 2010, n°2, p. 14 et s. 4 Art. 23, al. 3, 2° et 3°. 7 Le va-et-vient allant dans les deux sens.
et à la prévention des infractions pénales, à la sur le mode du « logement suffisant » là où avec des considérations de santé publique. protection de la santé ou de la morale, ou à la le second est vu comme le « meilleur état de C’est l’éradication des maladies en général protection des droits et libertés d’autrui » (art. santé physique et mentale [que la personne] qui est ici visée, ce qui appelle une interven- 8.2) 8. Ici, pour le coup, droit à la santé et droit soit capable d’atteindre ». Le droit au loge- tion énergique de l’Etat. Car si on ne traite au logement (vu sous l’angle du droit au res- ment ne connaît donc pas la logique relati- pas, hic et nunc, une maladie, elle risque de se pect du domicile) ne nouent plus un rapport viste qui imprègne le droit à la santé 12 ; celui-ci répandre et de finir par contaminer autrui et, de soutien mutuel, mais de limitation plutôt, dépend de chaque individu, alors que celui-là plus largement, la société dans son ensemble. l’un circonscrivant le champ d’application doit reposer sur un socle universel, identique 10 Cette double nature, on la retrouve de l’autre. On peut concevoir en effet que les pour tous, sans exception. également dans le droit au logement, en autorités n’aient d’autre choix, pour s’assurer 8 Cette opposition, loin d’être purement même temps attribut particulier et service par exemple que l’habitat ne constitue pas un lexicale, rappelle les débats qui ont entouré public à rendre à la collectivité. Et, parfois, ces foyer de maladies infectieuses, que d’entrer l’insertion dans la Constitution belge en 1994 deux volets entrent en opposition, lorsque les chez les gens. de l’article 23 consacrant le droit à un loge- avantages accordés à une personne donnée ment « décent ». En fait, l’adjectif « adéquat » vont jusqu’à mettre en péril le droit au loge- 2. Pacte international était initialement prévu aux côtés du droit au ment du plus grand nombre. La matière de relatif aux droits logement constitutionnellement reconnu, mais on lui a préféré in fine le vocable « dé- l’habitat social révèle de manière éloquente cette tension. Ainsi, le droit du locataire de économiques, sociaux et cent », au motif que « le terme adéquat indique se maintenir dans les lieux (en dépit, par culturels 9 une relation entre le logement et le niveau de vie atteint par l’intéressé [tandis que] l’adjectif exemple, d’un dépassement des plafonds des revenus d’admission 14 ou encore d’un décent vise la qualité du logement par rapport surdimensionnement du bien consécutif au A. Une parenté de texte à une norme sociale plus générale » 13. On ne départ des enfants) risque de se faire au dé- 6 D’abord, à côté du droit à la santé voulait donc pas lier la détermination du stan- triment de tous ceux — et ils sont particuliè- (« Les Etats parties au présent Pacte recon- dard de vie minimal à la propre appréciation rement nombreux 15 — qui patientent depuis naissent le droit qu’a toute personne de jouir de l’intéressé. L’idée même de ce qui est des années dans la file d’attente pour qu’une du meilleur état de santé physique et mentale admissible ou non dépend intimement des place se libère enfin. Et ces demandeurs, par qu’elle soit capable d’atteindre » 10), ce Pacte ressources matérielles de l’individu. Parce définition, satisfont intégralement aux cri- ne manque pas de proclamer le droit au lo- que l’exiguïté de ses moyens financiers ne tères d’octroi, eux. gement aussi (« Les Etats parties au présent lui en laisse tout simplement pas le choix, Jugé ainsi que le maintien dans le Pacte reconnaissent le droit de toute personne le ménage précarisé a tendance en effet à logement social du fils du locataire décédé à un niveau de vie suffisant pour elle-même accepter comme logement un bien forte- — arrivé là peu de temps avant le décès de et sa famille, y compris une nourriture, un vê- ment dégradé (dans lequel d’autres n’ima- son père, à l’insu du bailleur — n’est pas tement et un logement suffisants, ainsi qu’à gineraient même pas habiter), jusqu’à se compatible avec le droit au logement des une amélioration constante de ses conditions persuader à la longue qu’il s’agit peut-être là demandeurs inscrits sur la liste d’attente (« il d’existence ») 11. de la norme en vigueur. faut tenir compte du fait que de nombreuses Ensuite, la présente formulation n’est Certes, la santé a quelque chose de familles, également sur liste d’attente depuis pas sans évoquer la Déclaration universelle. beaucoup plus subjectif que le logement, in- très longtemps, restent dans l’attente de pou- Le fait n’a rien de fortuit, naturellement, trinsèquement ; elle repose étroitement sur voir occuper un tel logement, dans le respect puisqu’on a affaire à une reprise — à peine la constitution physique et mentale des indi- des critères d’attributions réglementaires » 16). paraphrasée — de l’article 25.1 précité, ce qui vidus, dont on sait qu’ils ne sont pas pareille- Jugé également, dans un registre approchant, conforte la Déclaration dans son indéniable ment dotés en force et vigueur. Il n’empêche, que « le centre public d’action sociale doit pou- statut de force d’inspiration. ce parti pris relativiste adopté par le Pacte voir mettre fin à cette aide [la fourniture d’une Enfin, l’expression « amélioration mérite, à la lueur du vocable privilégié pour habitation à titre d’aide sociale] si la condition constante de ses conditions d’existence » uti- le droit au logement, d’être ainsi interrogé. de ressources n’existe plus, de façon à pouvoir lisée à propos du droit au logement offre une mettre ce logement à la disposition d’autres C. La double nature — individuelle et illustration parlante du principe de progressi- personnes » 17. collective — du droit à la santé et du droit vité esquissé pour le droit à la santé (à travers au logement D. Cette inaliénable exigence de le « meilleur état de santé physique et mentale progressivité [que la personne] soit capable d’atteindre »). 9 Il faut évoquer ici le caractère profon- On peut interpréter cette locution dans le dément biface du droit à la santé, prérogative 11 Le Pacte, on l’a vu, est tout entier sens où la protection sociale n’est jamais de type à la fois individuel et collectif. La santé traversé par cet impératif de progressivité achevée ; sans discontinuer, il faut chercher est à apprécier dans le chef non seulement et d’amélioration constante des conditions par exemple à améliorer la qualité des soins de l’individu concerné, mais également de d’existence. Précisément, la matière de la médicaux prodigués à la population. la communauté tout entière. Il ne s’agit pas santé se prête bien à cette exigence, la méde- uniquement d’un droit de nature individuelle cine étant par excellence une discipline tour- b) une différence de formulation (voire égoïste) ; on a là aussi une prérogative née vers le progrès continuel. Les techniques 7 Aux droits au logement et à la santé, d’essence collective, intimement associée à ne cessent de se perfectionner, ce dont pro- le Pacte réserve des structures de définition une logique volontariste, elle-même en lien fite directement la population. différentes puisque le premier est décliné 12 L’état de santé est à évaluer à l’aune des aptitudes (physiques et psychiques) de chacun. Ce n’est pas une valeur 14 L’impératif de mixité sociale est communément évoqué 8 Souligné par nous. absolue vers laquelle il convient de tendre, mais un niveau pour justifier cette situation-là. de bien-être fluctuant, qui varie d’une personne à l’autre. 9 Adopté le 16 décembre 1966 par l’assemblée générale 15 40.000 ménages en Région wallonne par exemple. des Nations-Unies. 13 Révision du titre II de la Constitution, en vue d’y insérer un article 24bis relatif aux droits économiques, sociaux et 16 Civ. Bruxelles (LXXV), 19 novembre 2010, inéd., R.G. 10 Art. 12.1. Cf. aussi l’art. 10.3 culturels, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1991-1992, n°100-2/9, n°2009/3687/A. 11 Art. 11.1, souligné par nous. p. 11. 17 Trib. trav. Nivelles (II), 23 avril 2002, Chr. D.S., 2008, p. 107. DROIT AU LOGEMENT ET DROIT À LA SANTÉ NICOLAS BERNARD 05
06 12 Le domaine du logement, appréhen- fisamment été établi sur le plan scientifique B. L’importance, au nom du droit à la santé dé ici par les normes de salubrité, suit-il cette à l’époque). Ainsi monoxyde de carbone 19, et du droit au logement combinés, de pente naturelle ? Assurément. Les règles de amiante, moisissures, plomb (dans les pein- l’aménagement de l’habitation existante salubrité n’ont nullement pour vocation de tures murales) et autre radon sont-ils désor- 17 Non content de fondre au sein d’un rester figées dans le temps (comme bloquées mais officiellement prohibés 20. même texte (avec un décalage dans le temps) à l’époque de leur adoption), pour la raison droit au logement et droit à la santé, la Charte simple que la société elle-même change. Deux raisons au moins appuient cet argu- 3. Charte sociale les fait cohabiter à l’intérieur d’une même mentaire. européenne révisée 21 disposition. Ainsi, l’article 23 permet aux personnes âgées de mener une existence 13 D’abord, les progrès de la science indépendante dans leur environnement habi- A. Une parenté de texte créent eux-mêmes de nouveaux standards tuel aussi longtemps que possible, moyen- d’habitat, dont il ne serait pas acceptable 15 La première interconnexion à épin- nant entre autres « les soins de santé et les qu’ils ne profitent point aux habitants de gler, concernant la Charte sociale euro- services que nécessiterait leur état », l’octroi demain. Ne trouverait-on d’ailleurs pas scan- péenne, entre droit à la santé et droit au d’aides « en vue de l’aménagement du loge- daleux, aujourd’hui, d’habiter un logement qui logement tient au fait que cet outil promeut ment » ou, carrément, la « mise à disposition se contenterait de respecter les normes en le droit au logement également 22. Toutefois, la de logements appropriés à leurs besoins et à vigueur au XIXe siècle, sans plus ? Dans la proclamation du droit au logement est venue leur état de santé ». mesure où les techniques se perfectionnent, plus tard, au moment de la révision de l’ins- 18 Pour la première fois, le droit à la le seuil de tolérance s’abaisse en effet ; dit trument 23 (alors que le droit à la santé était santé est ainsi mobilisé en lien direct avec le autrement, à proportion que s’étend l’idée présent dès l’origine 24). droit au logement. Avec quelle articulation ? de confort, enfle la réprobation sociale de 16 Mieux, une certaine similitude termi- Quand l’état de santé décline (avec l’âge par l’insalubrité. nologique relie ces deux prérogatives : santé exemple), il risque de compromettre l’exercice On peut s’interroger d’ailleurs sur la (« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à du droit au logement, abordé sous ses trois perpétuation jusqu’à nos jours de l’expres- la protection de la santé, les Parties s’engagent dimensions : capacité de choisir son lieu de sion même de « salubrité ». Étymologique- à prendre, soit directement, soit en coopération vie, accès en son sein à l’autonomie et sécu- ment parlant, le vocable renvoie à la santé avec les organisations publiques et privées, des rité juridique sur le long terme. Schématique- (publique), à ce qui est sain. Si le lien entre mesures appropriées tendant notamment : ment, la personne (senior ou non) affectée par ces deux réalités est patent, il ne s’indique à éliminer, dans la mesure du possible, les un problème de santé éprouvera des difficul- plus à notre sens d’écraser la thématique causes d’une santé déficiente ; à prévoir des tés croissantes à vivre dans son logement, ce générale de la qualité des habitations sous services de consultation et d’éducation pour qui la contraindra à un déménagement (plus la seule dimension de la santé. On n’est plus, ce qui concerne l’amélioration de la santé et ou moins forcé) vers une maison de repos, dieu merci, à l’époque par exemple du relève- le développement du sens de la responsabi- provoquant par là une sorte de déracinement. ment des villes dans l’immédiat après-guerre, lité individuelle en matière de santé ; à préve- On fait face, en d’autres termes, à quand il importait par une reconstruction nir, dans la mesure du possible, les maladies une alternative dont aucune des branches rapide d’éradiquer sans tarder les foyers épidémiques, endémiques et autres, ainsi que ne s’avère satisfaisante. Soit on décide, pour d’infection qui prenaient naissance dans les les accidents » 25) et logement (« En vue d’as- éviter cette « transplantation », de maintenir ruines. Il ne suffit plus aujourd’hui, pour émar- surer l’exercice effectif du droit au logement, mordicus la personne âgée chez elle, et son ger aux standards d’une vie digne et accep- les Parties s’engagent à prendre des mesures droit à la santé pourrait bien être altéré ; soit table, d’habiter un logement qui n’attente destinées : à favoriser l’accès au logement d’un on la déplace — fût-ce contre son gré — et point à la santé ou à l’intégrité physique de niveau suffisant ; à prévenir et à réduire l’état de c’est son droit au logement (dans sa triple ses occupants. Ce n’est là qu’un minimum sans-abri en vue de son élimination progres- dimension de choix, d’autonomie et de péren- minimorum ; d’autres éléments, de l’ordre du sive ; à rendre le coût du logement accessible nité) qui est alors foulé aux pieds. confort notamment, doivent également être aux personnes qui ne disposent pas de res- Or, il est possible à notre estime de assurés. sources suffisantes » 26). Notamment, l’insis- tenir ce double cap en même temps et de 14 Ensuite, les autorités doivent res- tance mise dans les deux cas sur « l’exercice satisfaire simultanément et l’une et l’autre ter perméables à de nouvelles prises de effectif » du droit en question est indicatif de ces deux prérogatives voisines. C’est, du conscience sociales ou politiques. Il n’y a d’une claire volonté des Etats membres du reste, au nom — combiné — du droit au loge- pas que les techniques qui progressent ; les Conseil de l’Europe de s’extraire du simple ment et du droit à la santé que les Etats par- mentalités aussi évoluent. Ainsi, précédée registre de l’incantation et de privilégier au- ties sont ainsi chargés par la Charte sociale par le décret du Parlement wallon du 20 juillet tant que faire se peut l’obligation de résultat. européenne révisée (dans son article 23) de 2005 qui avait posé le principe général dans le fournir aux aînés des aides destinées à amé- Code 18, l’adoption de l’arrêté du 30 août 2007 nager le logement existant, en vue d’un main- 19 Voy. également le décret du Parlement wallon du 3 juillet a fourni l’occasion de promulguer une série visant à évacuer le risque lié à la présence concentrée de tien durable dans leur lieu de vie. Il s’agit en de critères afférents à la santé et la pollution monoxyde de carbone, M.B., 15 juillet 2008. effet de « permettre aux personnes âgées de intérieure, inexistants dans l’arrêté de 1999 20 Art. 16, §1er, de l’arrêté du 30 août 2007. choisir librement leur mode de vie et de mener (le lien — entre mal-logement et problèmes 21 Adoptée le 3 mai 1996 par le Conseil de l’Europe. une existence indépendante dans leur envi- de santé — n’avait sans doute pas été suf- 22 Cf. notamment N. BERNARD, « La charte sociale révisée ronnement habituel aussi longtemps qu’elles le et le droit au logement. À propos de la condamnation de la souhaitent et que cela est possible » ; par là, le France par le comité européen des droits sociaux », Revue 18 « Le Gouvernement complète la liste mentionnée à l’ali- trimestrielle des droits de l’homme, 2009, p. 1061 et s. but ultime est de leur permettre « de demeu- néa 2 [les critères minimaux de salubrité] en y ajoutant un rer le plus longtemps possible des membres critère relatif aux caractéristiques intrinsèques du logement 23 Le 3 mai 1996. qui nuisent à la santé des occupants, et établit la liste des 24 Voy. la « Charte sociale européenne » (sans indication à part entière de la société », et de « participer organismes habilités à effectuer les mesures permettant de d’un quelconque processus de révision) signée le 18 octobre activement à la vie publique, sociale et cultu- reconnaître cette nuisance » (art. 3, al. 3, du Code wallon du 1961. relle ». logement et de l’habitat durable, inséré par l’art. 8 du décret du Parlement wallon du 20 juillet 2005 modifiant le Code wal- 25 Art. 11. Pour autant, ce maintien dans la lon du Logement, M.B., 25 août 2005). 26 Art. 31. place n’est pas toujours réalisable, ni même LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°121 POLITIQUE DU LOGEMENT
souhaitable. Raison pour laquelle les pays logement, au travail, à l’éducation, à la dignité établies par le droit de l’Union et les législations membres doivent également s’engager, sui- humaine, à la vie, à la non-discrimination et et pratiques nationales » 33). vant le même article 23, à mettre à la dispo- à l’égalité, le droit de ne pas être soumis à la B. La matrice de la dignité humaine sition des seniors des logements adaptés à torture, le droit au respect de la vie privée, le leur état de santé. droit d’accès à l’information et les droits à la 22 On relèvera ensuite que les droits au liberté d’association, de réunion et de mou- logement et à la santé sont, dans la Charte, C. L’indivisibilité des droits vement. Ces droits et libertés, notamment, précédés par l’article premier, qui proclame, 19 De façon éloquente, la Charte sociale sont des composantes intrinsèques du droit lui, le droit à la dignité humaine (« La dignité européenne révisée donne à voir l’indivisibi- à la santé » 29. humaine est inviolable. Elle doit être respectée lité de principe qui relie ces deux droits de et protégée »). Autrement dit, les différents 20 Cette interdépendance, s’agissant l’homme de la deuxième génération que sont droits de l’homme énumérés par la Charte de la Charte sociale européenne révisée, se droit à la santé et droit au logement. Pas de trouvent, tous, leur source dans cette dispo- révèle d’autant plus importante que les Etats droit au logement sans, en amont, de droit sition programmatique. Ce n’est que parce peuvent sélectionner les articles de cet ins- à la santé, et inversement. Le sans-abri par qu’il a droit à la dignité humaine que, par voie trument par lesquels ils entendent être tenus ; exemple, ou le locataire d’un bien dégradé, de conséquence, l’individu se voit conférer le choix se fait à la carte, en quelque sorte. Il est entravé dans son droit à la santé égale- le droit à une aide au logement, le droit à la faut cependant opposer que les rédacteurs ment. Concrètement, le fait de vivre à la rue santé, etc. Cet article premier recèle donc une de la Charte ont pensé l’outil comme un en- (ou dans un habitat pathogène) attise la pro- valeur herméneutique qui le hisse au rang de semble intégré, dont les différentes parties babilité d’une maladie et augmente significa- principe général d’interprétation des droits sont intimement corrélées. «La Charte a été tivement le risque sanitaire, empêchant par fondamentaux garantis par la Charte 34. conçue comme un tout et ses dispositions là l’intéressé d’atteindre « le meilleur état de Mieux : on a là une sorte de « noyau se complètent en se chevauchant partielle- santé » qu’il serait, par sa constitution, ca- dur » des droits économiques, sociaux et ment », indique en ce sens le Comité euro- pable de viser. culturels qui accède à une certaine oppo- péen des droits sociaux, qui poursuit : «Il est On savait déjà que les droits de sabilité juridique ; un minimum de ces préro- impossible de délimiter le champ d’applica- l’homme de type économique, social et gatives doit bien être assuré si l’on entend tion matériel de chaque article ou paragraphe culturel forment l’indispensable socle maté- garantir que les conditions de vie respectent d’une manière étanche. Il incombe dès lors au riel sur lequel s’appuient les droits civils et le prescrit de la dignité humaine (ou, c’est Comité de veiller tout à la fois à ne pas imposer politiques 27. Quel droit à la vie privée, par selon, éviter qu’elles tombent sous le seuil aux États des obligations relevant d’articles exemple, pour le clochard à la rue qui est requis). Ce, sans préjudice naturellement du qu’ils n’ont pas entendu accepter et à ne pas soumis, dans l’impudeur la plus totale, au principe de progressivité qui doit gouverner amputer d’éléments essentiels de leur portée regard (stigmatisant et réprobateur qui plus toute politique nationale en matière de droits les dispositions d’articles acceptés portant est) d’autrui ? Et quel droit au maintien de de l’homme 35. des obligations susceptibles de résulter éga- l’intégrité du noyau familial quand le séjour lement d’autres articles non acceptés » 30. 23 Relevons encore, dans ce même prolongé dans un taudis entraîne le place- registre, que la position de surplomb confé- ment des enfants ? Du reste, l’article 11 de la Charte sociale européenne révisée (relatif au 4. Charte des droits rée au droit à la dignité humaine (installée au fronton de la Charte) a pour effet subséquent droit à la santé) est souvent présenté comme le prolongement des articles 2 (droit à la vie) fondamentaux de l’Union de l’affranchir de toute espèce d’obligations et 3 (interdiction des traitements inhumains européenne 31 correspondantes auxquelles seraient tenues les personnes qui entendent se réclamer d’un et dégradants) de la Convention européenne droit catégoriel énoncé par la Charte. Dit des droits de l’homme. Mais on constate ici A. Une parenté de texte autrement, le droit de mener une existence que cette indivisibilité s’applique également 21 La première filiation à établir en cette conforme à la dignité humaine se voit revêtu à l’intérieur même de la famille des droits de matière concerne, à nouveau, le texte même d’un caractère inconditionnel. Que l’intéressé l’homme de la deuxième génération. Défini- de la Charte puisque celle-ci consacre à la soit en faute ou non, qu’il se soit volontaire- tivement, la violation d’un droit (au logement fois le droit à la santé (« Toute personne a le ment mis dans cette situation d’infortune ou par exemple) emporte automatiquement mé- droit d’accéder à la prévention en matière de non, rien n’y fait : chaque individu possède connaissance d’un autre (droit à la santé). Au santé et de bénéficier de soins médicaux dans un droit inaliénable à la restauration de sa demeurant, le Conseil économique et social les conditions établies par les législations et dignité ; les devoirs viendront après. Com- des Nations-Unies, a déclaré, dans son ob- pratiques nationales. Un niveau élevé de pro- ment, en tout état de cause, prétendre as- servation générale n°14 (« Le droit au meilleur tection de la santé humaine est assuré dans signer une quelconque responsabilité à un état de santé susceptible d’être atteint » 28), la définition et la mise en oeuvre de toutes les individu dont l’état d’extrême dépendance que « le droit à la santé est étroitement lié à politiques et actions de l’Union » 32) et le droit matérielle l’empêche d’accéder à un degré d’autres droits de l’homme et dépend de leur au logement (« Afin de lutter contre l’exclu- minimal d’autonomie ? réalisation : […] les droits à l’alimentation, au sion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une 27 C’est le fameux principe de l’interdépendance des aide au logement destinées à assurer une droits de l’homme, consacré explicitement par la Cour existence digne à tous ceux qui ne disposent européenne des droits de l’homme dans son arrêt Airey c. pas de ressources suffisantes, selon les règles L’Irlande : « nulle cloison étanche ne sépare les droits civils et politiques des droits économiques et sociaux » (Cour eur. 33 Art. 34.3. D.H., arrêt Airey c. L’Irlande du 9 octobre 1979, §26). Du reste, 34 Cf. sur le sujet N. BERNARD, « Les ressources — juris- « la jouissance complète des droits civils et politiques est 29 Paragraphe 3, souligné par nous. prudentielles notamment — qu’offre l’article 34.3 de la Charte impossible sans celle des droits économiques, sociaux et des droits fondamentaux de l’Union européenne (droit à culturels », déclarait le 16 décembre 1977, déjà, l’assemblée 30 C.E.D.S., Centre de défense du handicap mental (CDHM) une aide au logement) », Revue trimestrielle des droits de générale des Nations unies (résolution A/32/130 XXXII). c. Bulgarie, 26 juin 2007 (rec.), récl. 41/2007, §9. l’homme, 2014, p. 81 28 Observation relative à l’art. 12 du Pacte international 31 Adoptée le 7 décembre 2000, la Charte a été (légère- 35 Voy., pour le Pacte international relatif aux droits so- relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et adop- ment) modifiée puis reproclamée le 12 décembre 2007. ciaux, économiques et culturels par exemple, les art. 2.1, 11.1, tée le 11 août 2000, E/C.12/2000/4. 32 Art. 35. Cf. aussi les art. 31.1 et 32, al. 2. 13.2 (b et c), 14, 16.1, 18, 21 et 22. DROIT AU LOGEMENT ET DROIT À LA SANTÉ NICOLAS BERNARD 07
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