ÉNERGÉTIQUE La TRANSITION - Fondation Heinrich Böll
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JANVIER 2017 | N° 364 BIS WWW.ALTERNATIVES-ECONOMIQUES.FR La TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ALLEMANDE en 5 IDÉES REÇUES http://fr.boell.org
Editorial www.alternatives-economiques.fr Fondateur : Denis Clerc Démonter Directrice des publications, présidente-directrice générale : Camille Dorival RÉDACTION : 28 rue du Sentier 75002 Paris, tél. 01 44 88 28 90 Courriel : redaction@alternatives-economiques.fr Pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 44 88 les mythes suivi des quatre chiffres entre parenthèses. Rédacteur en chef : Guillaume Duval (28 92) Coordinateur de la rédaction : Laurent Jeanneau (95 38) Editorialistes : Christian Chavagneux (27 38), Philippe Frémeaux Rédacteur en chef international : Yann Mens (95 94), Rédacteurs en chef adjoints : Claire Alet (23 86), Catherine André (98 75), C Marc Chevallier (27 39), Sandrine Foulon (95 91), Antoine de Ravignan (95 92) Secrétaire général de la rédaction : Daniel Salles (28 98) Macroéconomie : Christian Chavagneux (27 38), Sandra Moatti (95 36) Entreprise : Marc Chevallier (27 39), Romain Renier (98 78) es dernières décennies, la France et l’Allemagne se sont rap- Société : Claire Alet (23 86), David Belliard (95 39), Vincent Grimault (58 82), Xavier Molénat (98 76), Céline Mouzon (98 74), Naïri Nahapétian (23 85) prochées dans beaucoup de domaines. Nos deux pays sont Travail, social : Sandrine Foulon (95 91), Laurent Jeanneau (95 38), Camille Dorival (28 90) devenus les partenaires les plus proches et les plus importants International : Antoine de Ravignan (95 92), Catherine André (98 75) en Europe. Pourtant, de chaque côté du Rhin, des mythes et Agir : Céline Mouzon (98 74) Agenda : Romain Rénier (98 78) des perceptions surprenantes persistent vis-à-vis du voisin. Et particulière- Histoire : Gérard Vindt ment dans ce qui touche à la politique énergétique. Il est en effet frappant Livres : Christian Chavagneux (27 38) Ecrans : Igor Martinache de voir à quel point les perceptions réciproques sont éloignées de la réalité Secrétariat de rédaction, iconographie : Martine Dortée (27 37), Nathalie Zemour-Khorsi (28 96), Chalotte Chartan (95 37), sur ce point. Cette méconnaissance va Alexiane Lerouge, Jaber Tarhouni même, côté français, jusqu’à mettre les Relations extérieures, association des lecteurs : mines de charbon à ciel ouvert de l’est Véronique Orlandi (95 90), Marie-Fernande Moussaou (28 90) Chef de projet numérique : Laura Bernert (95 35) de l’Allemagne, héritage de l’époque En France, l’exemple Maquettes Web : Christophe Durand (95 93) Graphiste Web : Laurence Dorman (95 93) communiste, sur le compte de la tran- allemand est trop Infographies numériques : Matthieu Pierre-Louis (95 93) Directeur du développement : David Belliard (95 39) sition énergétique ! souvent utilisé Directeur de la diversification : Jérémy Dousson (27 35) Chargée de diversification : Marianne Thibaut (58 81) C’est tout l’objet de cette publica- comme un repoussoir Directrice commerciale : Hélène Reithler (27 33) tion que de donner à voir la transition Chargée de promotion diffusion : Aïssata Seck (28 97) énergétique allemande. Cette dernière Assistante marketing : Julie Moreira (28 94) serait, à en croire les représentations PUBLICITÉ : L’autre régie 28, rue du Sentier 75002 Paris, www.lautre-regie.fr françaises, mal pensée et coûteuse. Mais alors com- Directeur de régie : Jérémy Martinet (27 34) ment expliquer que la population allemande, dans sa Directrice adjointe de régie : Anne Boulain (58 85) Directeurs de clientèle : Arnaud Julieno (58 84), Anne Pichonnet (28 93) très large majorité, soutienne ce projet depuis des an- RELATIONS CLIENTS, FABRICATION nées ? Et comment se fait-il que l’économie allemande, 12, rue du Cap-Vert, CS 40010, 21801 Quetigny Cedex Tél. 03 80 48 10 25 - Fax 03 80 48 10 34 qui affiche en 2016 sa plus forte croissance depuis Relations clients : Stéphanie Claudel (chef de service), Colette Aubertin, Lucia Bonvin, Marilyn Fleutot, Philippe Glommeau, Isabelle Ménétrier, 2011, puisse se développer avec les coûts soi-disant Claude Pettinaroli, Yolande Puchaux, Laure Trillo, Sonia Varichon « exorbitants » de cette politique ? Courriel : abonnements@alternatives-economiques.fr D.R. Chef de projet technique : Delphine Dorey Directeur administratif et financier : François Colas Au-delà même de la nécessité de démonter les par JENS ALTHOFF, Comptabilité : Zineb Hemairia, Odile Villard mythes français sur la transition énergétique alle- directeur du bureau Maquette, infographie : Marie-July Berthelier, Odile Chesnot Conception graphique : Marie-July Berthelier mande, cet exercice nous semble nécessaire pour éclai- de Paris de la Heinrich- Couverture : photo : Antonio Pisacreta/Ropi-Réa rer aussi les débats sur l’énergie dans l’Hexagone. Même Böll-Stiftung Imprimerie : Léonce Deprez (62620 Ruitz) Inspection des ventes (dépositaires et diffuseurs) : en écartant la question des risques du nucléaire et en ignorant la question Destination média, tél. : 01 56 82 12 06 Diffusion : En kiosque : Presstalis des coûts du traitement des déchets et du démantèlement des centrales, il En librairie : Interforum, 3 allée de la Seine, 94854 Ivry-sur-Seine cedex, tél. : 01 49 59 58 80 reste une question fondamentale qui concerne tous les Français : comment Mensuel édité par Scop-SA Alternatives Economiques souhaitent-ils que leur argent soit utilisé ? Pour prolonger le fonctionnement RC 84 B 221 Dijon, Siret 330 394 479 00043 Le capital est partagé principalement entre les salariés de la Scop-SA, du parc nucléaire ou pour développer une structure énergétique durable ? l’Association des lecteurs d’Alternatives Economiques et la Société civile des lecteurs d’Alternatives Economiques. La somme dont nous parlons ici (55 milliards au bas mot) ne pourra pas CPPAP : 0319 I 84446 ISSN : 0247-3739 être investie deux fois. Il faudra faire un choix. Et EDF étant majoritairement Dépôt légal : à parution la propriété de l’Etat, ce choix revient aux citoyens. En France, l’exemple Imprimé en France/Printed in France sur papier composé de fibres certifiées PEFC allemand est trop souvent utilisé comme un repoussoir. La nécessité est © Alternatives Economiques. Toute reproduction, même partielle, des textes, infogra- grande d’analyser la politique allemande sur ce sujet qui est à l’origine phies et documents parus dans le présent numéro est soumise à l’autorisation préalable de l’éditeur, quel que soit le support de la reproduction. Toute copie destinée à un usage d’une dynamique d’ampleur internationale, où les investissements dans les collectif doit avoir l’accord du Centre français du droit de copie (CFC) : 20 rue des énergies renouvelables dépassent désormais largement ceux engagés dans Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. : 01 44 07 47 70, fax : 01 46 34 67 19. La Heinrich Böll Stiftung détient la possibilité d’utiliser les contenus présents dans ce l’énergie nucléaire. Une meilleure compréhension entre nos deux pays sur une numéro (hors photos) pour des usages à vocation exclusivement non commerciale. question clé comme la politique de l’énergie est aussi une contribution à une Relations abonnés : 03 80 48 10 25 meilleure coopération – cruciale – entre deux acteurs majeurs de l’Europe. (8h-12h30 et 13h30-18h) - Fax : 03 80 48 10 34 12 rue du Cap-Vert, CS40010, 21801 Quetigny Cedex abonnements@alternatives-economiques.fr 3
La transition énergétique allemande en 5 idées reçues Idée reçue n° 1 L’Allemagne (nous) pollue avec ses centrales à charbon Les renouvelables ont déjà remplacé le nucléaire, mis à l’arrêt 21,8 TWh. En bref, le charbon outre-Rhin. C’est le coût trop faible des émissions de CO2 qui s’est largement substitué au gaz. booste le charbon au détriment du gaz. Un charbon trop compétitif C’est une très mauvaise nou- L velle pour le climat, car cette ors d’un pic de pollution qui charbon (houille et lignite). Pour source d’énergie émet beau- a notamment affecté Paris, autant, le charbon n’a pas remplacé coup plus de CO2. Observé aussi au Didier Julienne, expert en le nucléaire. Royaume-Uni, en Espagne ou en énergie, écrivait le 15 mars 2014 Depuis 1990, cette source d’énergie France, ce sursaut du charbon est lié dans le quotidien Les Echos que recule dans la production électrique, à ses coûts extrêmement faibles. Son « les centrales à charbon sont de plus à la fois en grandeur absolue et en prix a en effet baissé de quelque 40 % en plus nombreuses outre-Rhin (…). part relative (voir graphique). Depuis de 2011 à 2013 en Europe, alors que ce- La pollution n’a pas de frontière et, 2014, sa part baisse à nouveau, tandis lui du gaz y a doublé de 2005 à 2012. avec un vent d’est, c’est effectivement que celle des énergies renouvelables Le charbon est ainsi devenu très com- l’Allemagne qui nous enfume. » Peu a dépassé 30 % en 2015, suivant en pétitif sur le marché de gros allemand importe que le point de vue ait été cela une augmentation continue de- de l’électricité, où les prix ont baissé démenti par l’organisme indépen- puis plus de trente ans. Regardons de 32 % de 2010 à 2013. Cette baisse a dant Airparif, l’idée selon laquelle les chiffres. L’arrêt de huit réacteurs été accentuée par l’essor des renou- les centrales à charbon remplacent nucléaires, entre 2010 et 2013, re- velables, qui a gonflé l’énorme surca- en Allemagne les centrales nu- présente une baisse de capacité de pacité du pays : en 2014, la puissance cléaires – et polluent notre air – est 43,3 TWh [2], tandis que la produc- nationale installée était de 194,2 GW régulièrement distillée en France [1]. tion d’électricité renouvelable a crû pour une demande qui oscillait entre Qu’en est-il exactement ? de 47,6 TWh. Les renouvelables ont 40 et 80 GW, et qui continue de recu- De fait, les émissions de CO2 alle- donc plus que largement compensé ler. L’Allemagne exporte donc de plus mandes dues à la production élec- la baisse de la production nucléaire. en plus vers ses voisins (35,5 TWh en trique ont augmenté en 2012 et 2013 En revanche, dans le même temps, la 2014), notamment (en balance an- par rapport à 2011. En 2015, 42,4 % production des centrales à charbon nuelle) vers la France. de l’électricité allemande restait a augmenté de 19,7 TWh, alors que L’envolée du charbon a aussi été produite à partir des centrales à celle des centrales à gaz reculait de rendue possible par les cours extrê- 4 n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques
DOSSIER LE CHARBON ET LE NUCLÉAIRE EN BAISSE DANS LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ EN ALLEMAGNE Part des différentes sources d’énergie dans la production d’électricité en 1991 et 2015, en % 29,4 24,9 8,8 Lignite Gaz 27,7 Lignite naturel Houille 18,2 0,8 Houille 3,0 1991 6,7 2015 Pétrole Autres Gaz 4,0 14,1 naturel Nucléaire Autres Source : Vincent Boulanger 2,7 3,2 30,0 Pétrole Energies renouvelables Energies renouvelables dont Hydraulique 2,9 27,3 dont Hydraulique 3,0 Eolien terrestre 12,0 Biomasse 0,1 Nucléaire Biomasse 6,8 Eolien offshore 1,3 Déchets ménagers 0,2 Déchets ménagers 0,9 Photovoltaïque 5,9 matschutzbeitrag) : les centrales tional de long terme vise notamment électriques devaient y être soumises une baisse minimale de 61 % des à partir de 2017, mais les « quatre émissions dans le secteur de l’énergie grands » producteurs nationaux à l’échéance 2030, mais il devra être (E.ON, RWE, Vattenfall et EnBW), transcrit dans la loi. L’Allemagne ne ainsi que les syndicats IG BCE et ver.di souhaitant pas attendre que l’Europe ont obtenu que la mesure soit enter- se réveille, elle prévoit une réforme mement bas des émissions de car- rée, au nom de leurs intérêts écono- fiscale écologique nationale pour bone sur le marché européen. Ces miques et de la préservation de l’em- contrer les émissions de CO2 : le dé- derniers n’ont plus dépassé les 8 eu- ploi. Ce recul montre, une fois de plus, bat parlementaire à venir s’annonce ros depuis 2011, bien loin des 30 eu- à quel point les sociaux-démocrates très rude. ros à partir desquels le gaz devient sont traditionnellement liés en Alle- [1] Voir par exemple la chronique du 21 septembre 2016, signée par Johann Chapoutot, historien, dans Libération, compétitif. Et les décisions prises par magne aux lobbies du charbon. parlant de mines à ciel ouvert et de catastrophe écolo- l’Union européenne pour restreindre Le gouvernement est toutefois re- gique pour qualifier la sortie du nucléaire en Allemagne (www.liberation.fr/debats/2016/09/21/energie-la-tran- les quotas d’émissions n’auront au- parti à l’offensive en novembre 2016 sition-catastrophique_1505351). cun effet avant… 2019 ! avec la publication du Klimat [2] Térawattheure : 1012 wattheures, unité de mesure de la production ou de la consommation d’énergie dans le schutzplan (lire page 13). Ce plan na- temps. Le lobby charbonnier à l’œuvre Résultat : malgré l’engouement du pays pour les énergies renouvelables Idée reçue n° 2 (l’Allemagne a dépassé en 2012 ses en- gagements pris au titre du protocole Sortir du nucléaire, de Kyoto), le charbon est depuis le XIXe siècle l’énergie centrale autour de laquelle s’est développée la puissante c’est impossible industrie allemande. D’autant que si le pays importe les neuf dixièmes de sa houille, il est en revanche très bien doté en lignite. L’extraction à ciel ou- vert de ce charbon de mauvaise qua- lité occasionne de lourds dommages C’est en 2011, après la catastrophe de Fukushima, environnementaux – allant jusqu’au que l’Allemagne décide de sortir définitivement du nucléaire. déplacement de villages entiers – et sa combustion est très polluante. Mais Une décision prise après un très long débat public. dans les conditions actuelles de mar- L ché, c’est aussi le moyen le moins coû- teux de produire de l’électricité (voir ’Allemagne a décidé, peu après d’observateurs français, nos voisins graphique). Et le lobby du charbon la catastrophe de Fukushima d’outre-Rhin ont pris le temps de défend âprement ses intérêts ! en 2011, de fermer son dernier discuter. Au moins depuis 1969, date Dans ce contexte, l’Etat fédéral sait réacteur au plus tard en 2022. Cette à laquelle est né le mouvement anti- qu’il doit très rapidement prendre sortie programmée n’est qu’un aspect nucléaire en Allemagne. des décisions. En mars 2015, le vice- du projet global de l’Energiewende, Plus ancré qu’en France, il y a chancelier et ministre de l’Econo- que soutient en grande majorité l’opi- remporté un certain nombre de mie et de l’Energie, Sigmar Gabriel, nion allemande [1] et qui est le fruit combats [2] et l’écologie politique a a décidé d’introduire une contribu- d’un long débat. Car contrairement réussi à imposer l’énergie comme tion « protection du climat » (Kli- à la perception qu’en ont beaucoup une question politique à part entière. n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques 5
ÉLECTRICITÉ : DAVANTAGE DE RENOUVELABLES L’Allemagne compte ainsi de QUE DE NUCLÉAIRE regroupent jusqu’à plus de nombreux instituts, asso- Production brute d’électricité à partir du nucléaire 100 000 personnes. Dans et des énergies renouvelables de 1970 à 2025, en TWh ciations et fondations dont ce contexte d’une forte mo- l’expertise indépendante est Energies renouvelables bilisation et de débats viru- Nucléaire largement relayée. Ainsi dès 250 Prolongation lents, c’est la catastrophe du nucléaire 1980, l’Öko-Institut publiait 2 loi de sortie e de Fukushima, au Japon, un rapport devenu célèbre qui 200 Début des du nucléaire qui change finalement la expliquait que le pays pouvait mouvements donne. 150 anti-nucléaires se passer, dès 2030, de toute Trois jours après le tsu- 1 loi de sortie ere importation d’énergie – y com- du nucléaire nami et juste avant les Source : Vincent Boulanger 100 pris d’uranium – et couvrir ses Tchernobyl Fukushima élections dans le Land besoins en faisant appel pour 50 de Bade-Wurtemberg, la moitié aux renouvelables. 0 chancelière Angela Merkel 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 décide d’arrêter pour trois Le traumatisme Lecture : lors de l’accident de Fukushima, l’éolien, le biogaz et le photovol- mois sept des réacteurs les de Tchernobyl taïque dépassaient déjà la capacité de production d’électricité nucléaire, ce plus anciens et de tester la Ces études ont d’ailleurs qui, avec les surcapacités, a permis une décision rapide de sortie de l’atome. sécurité des dix-sept autres. suscité l’intérêt des autorités La soudaineté apparente de allemandes, qui ont commandé en tard. Ce point conditionnait l’entrée cette décision ne trahit pourtant au- 1983 un scénario de sortie rapide du des Verts au gouvernement fédéral. cune précipitation : en 2011, la pro- nucléaire. De plus, avec la création Pour procéder au remplacement duction d’électricité renouvelable des Verts, les mouvements sociaux progressif des capacités, des tarifs est déjà montée en puissance et le antinucléaires sont représentés poli- d’achat favorables au développement réseau peut parfaitement supporter tiquement à partir de 1983 au sein du des filières renouvelables ont ensuite l’arrêt des réacteurs grâce à la sur- Parlement allemand, ce qui a profon- été adoptés. En plus des six réacteurs capacité acquise (voir graphique). dément changé le système des partis. nucléaires de l’ex-RDA mis à l’arrêt Dès lors, le débat ne porte plus sur Mais l’événement le plus significatif, dès 1990, deux centrales ont fermé en la sortie du nucléaire, mais sur son fut surtout le choc de l’explosion de 2003 et 2005. rythme. En seulement trois mois, le Tchernobyl, le 26 avril 1986. Alors La montée de la question du chan- Bundestag adopte huit lois, votées que la désinformation organisée gement climatique au milieu des an- à une écrasante majorité (plus de par l’Institut de radioprotection et nées 2000 a un temps favorisé les 85 %), pour adapter le secteur éner- de sûreté nationale (IRSN) a empê- partisans du nucléaire, qui l’ont alors gétique aux nouvelles perspectives de ché tout débat sérieux en France, défendu comme un moyen de limiter l’Energiewende. l’Allemagne a, elle, vécu un véritable les émissions de CO2. Cet argument Il reste neuf réacteurs à fermer d’ici traumatisme. a germé dans le débat public, même à 2022 et l’Etat souhaite maintenant Bien que le pouvoir fédéral ait si de nombreux faire porter aux d’abord assuré qu’il n’existait au- e x p e r t s , t e l s producteurs le cun danger, des valeurs maximales ceux de l’insti- coût des futurs d’exposition à la radioactivité ont été tut Wuppertal, La sortie du nucléaire démantèlements définies dans l’urgence par les collec- s o u l i g n a i e n t a été décidée après et du stockage tivités et les Länder. Des valeurs dif- que les centrales un débat public de des déchets. Il férentes d’une collectivité à l’autre, à houille et sur- est estimé au en l’absence de norme nationale. tout à gaz sont près de quarante ans moins entre 50 Cette confusion générale a renforcé beaucoup plus et 70 milliards la méfiance à l’endroit de l’atome : adaptées à la d’euros par l’Ins- en mai 1986, 66 % des Allemands se transition grâce à leur plus grande titut allemand de recherches éco- déclaraient favorables à une sortie flexibilité. Et en septembre 2010, la nomiques, alors que les énergéti- du nucléaire, tandis que le SPD, alors coalition CDU-FDP décide de pro- ciens n’ont jusqu’ici provisionné que deuxième parti du pays, se pronon- longer la vie des centrales de huit à 38 milliards d’euros. Le débat alle- çait en ce sens. Tant et si bien que la douze ans, malgré l’opposition d’une mand sur le nucléaire est donc loin centrale atomique alors en construc- grande partie de l’opinion. d’être clos. Mais l’expérience de notre tion (et mise en service en 1989) sera voisin montre que pour sortir du nu- la dernière. Le choc Fukushima cléaire, il faut bien sûr s’en donner les Après les années Helmut Kohl, Ce retour en arrière donne lieu à moyens, mais surtout le décider. Et partisan du nucléaire, l’arrivée au une forte mobilisation : des manifes- de façon démocratique. Une leçon à pouvoir de la coalition SPD-Verts tations, auxquelles ne participent pas méditer. dirigée par Gerhard Schröder s’est seulement les Verts et les ONG anti- [1] 89 % des Allemands jugent l’Energiewende « impor- traduite en 1998 par la décision de nucléaires mais aussi la plus grande tante », selon le sondage BDEW réalisé en mars 2013. [2] 24 projets de centrales n’ont jamais vu le jour, en sortir du nucléaire en 2021 au plus partie des syndicats et des églises, raison de vives oppositions. 6 n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques
DOSSIER Idée reçue n° 3 Le 100 % d’énergies renouvelables est une utopie Pour le moment, l’Allemagne vise « seulement » une part durée à tous les acteurs du de 60 % de renouvelables en 2050. Pour y parvenir, l’essentiel secteur de l’énergie. La loi qui exige que les se jouera hors du secteur de l’électricité. renouvelables couvrent dès 2025 de 40 % à 45 % de la consommation électrique B devrait ainsi être respectée ien que plusieurs études pros- avance. Le potentiel éolien et pho- sans réel problème. Les plus grands pectives étudient la question, tovoltaïque dépasse de très loin la efforts à produire concernent les l’Allemagne ne prétend pas demande, et ces deux énergies ont transports, 28,5 % de la consomma- encore de se passer totalement des vocation à couvrir à terme l’essentiel tion (voir page 9) et la production combustibles fossiles. Le pays s’orga- de la production renouvelable, l’hy- de chaleur, qui représente 51 % de la nise néanmoins pour réduire de 80 % draulique étant presque totalement consommation d’énergie. à 95 % ses émissions de gaz à effet de exploité. Leurs prix deviennent com- serre en 2050 par rapport à 1990. Ce pétitifs, car les filières sont mûres et Chauffer de façon soutenable qui signifierait que 60 % au moins bénéficient d’importantes économies Bien que l’Allemagne produise trois des sources d’énergie soient alors d’échelle. Plusieurs études disponibles fois plus de chaleur que la France à renouvelables et que la consomma- indiquent qu’un système électrique partir de ses déchets et qu’elle soit tion d’énergie diminue de moitié. Ce 100 % renouvelable ne serait pas plus le premier utilisateur européen de serait déjà un pas de géant : en 2015, coûteux que le système actuel [1] : la bois-énergie, la part des renouve- les énergies renouvelables ont couvert principale difficulté consiste finale- lables plafonne à 10 % environ de- 12,6 % de la consommation. ment à lutter contre les lobbies fossiles puis 2011 dans ce secteur. Il faut Le secteur de l’électricité (20,5 % et à gérer la transition en apportant donc y réorienter une part de la bio- de la consommation) est le plus en des signaux financiers lisibles dans la masse (bois et biogaz). En outre, les ÉCONOMIES D’ÉNERGIE Massifier la rénovation des logements Si les bâtiments construits depuis 2010 consomment en Pour cela, l’Allemagne peut s’appuyer sur le dispositif robuste moyenne annuelle 50 kWh/m2, les deux tiers du parc immobilier mis en place par la KfW (l’équivalent de la Caisse des dépôts en allemand datent d’avant la première réglementation technique France). Il délivre prêts bonifiés et subventions pour des réno- de 1979. Pour atteindre les objectifs nationaux, il faudra porter le vations à haute performance (80 kWh/m² au maximum après rythme de rénovation des logements à un million par an, contre travaux). Augmenter ce dispositif semble d’autant plus pos- 235 000 en 2016. sible que l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a calculé que chaque euro public investi L’objectif du Land du Bade-Wurtemberg, territoire le plus engendre un retour de deux à quatre euros dans les comptes avancé dans la rénovation du bâtiment : allier isolation, solaire thermique et cogénération chaleur-électricité, publics, grâce à l’activité additionnelle suscitée. L’Etat fédéral et pour faire baisser la consommation des immeubles. les Länder pourraient donc s’entendre rapidement afin de faire Enveloppe Panneau solaire passer dès que possible les aides publiques à la rénovation de thermique isolante 2,5 à 5 milliards d’euros par an. Réseau électrique Chaudière n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques 7
DOSSIER r éseaux de chaleur ne répondent qu’à Idée reçue n° 4 13,5 % des besoins allemands, contre La transition 63 % au Danemark. Or, ces réseaux permettent de récupérer la chaleur d’origine industrielle, d’optimiser les énergétique rendements et de développer la co- génération chaleur-électricité*. Ils sont donc essentiels pour améliorer l’efficacité énergétique. Il est aussi crucial de faire baisser la demande en rénovant les logements (voir encadré) et de faire la part belle freine l’économie au solaire thermique, aux pompes à chaleur et aux chaudières mo- La transition énergétique ne nuit pas à l’économie dernes : en 2015, 92,7 % des équipe- allemande. Le pays a même renforcé sa position ments de chauffage central utilisaient toujours le gaz ou le fioul et étaient internationale et créé des dizaines de milliers d’emplois très souvent hors d’âge. Un décret de mai 2014 oblige à remplacer les supplémentaires. chaudières de plus de 30 ans, ce qui favorise à cette occasion l’installation L de capteurs solaires thermiques, que les installateurs associent de plus en ’Allemagne semble en passe de culiers (lire encadré). L’Allemagne n’a plus aux nouveaux équipements [2]. démontrer que l’activité peut en effet en rien sacrifié son modèle Les subventions annuelles pour les croître avec moins d’énergie fondé sur l’industrie et sur ses mil- équipements d’énergies renouve- (voir graphique). Après avoir long- liers de PME. Les industries intensives lables sont passées à 300 millions temps subventionné massivement la en énergie ont été préservées par d’euros, mais l’association fédérale houille et le nucléaire, le pays a décidé des exonérations, qui sont d’ailleurs des énergies renouvelables estime de favoriser des investissements dans souvent trop fortes en raison des qu’il faudrait un milliard d’euros par les renouvelables, qui présentent au pressions patronales, et la baisse des an pour atteindre l’objectif national moins deux avantages : ils sont ren- prix sur le marché de gros de l’élec- de 14 % de la production de chaleur tables et créent des emplois. tricité a même profité aux industriels fournis par les renouvelables en 2020. Certes, les Allemands payent leur électro-intensifs, qui s’y fournissent Le principal défi concerne donc électricité plus cher que les Français, directement. Au final, l’énergie n’est le financement, notamment public. mais cela touche seulement les parti- pas assez chère en Allemagne pour Tous secteurs confondus, l’Insti- tut pour la recherche en économie (DIW) juge qu’il faudra investir de FACTURE 31 à 38 milliards d’euros sur la pé- riode 2015-2020 pour atteindre les Electricité : qui paie quoi ? objectifs de l’Energiewende [3]. Mais le gouvernement d’Angela Merkel, avec Les tarifs allemands de l’électricité A terme, le choix français en faveur son ministre des Finances Wolfgang pour les particuliers sont deux fois d’une électricité peu chère (le finance- Schäuble, reste obsédé par son équi- plus élevés qu’en France : 0,29 €/ ment public des centrales nucléaires libre budgétaire immédiat. Il restreint kWh, contre 0,15 €/kWh dans l’Hexa- n’étant pas répercuté sur les factures) donc tout investissement massif – et gone. Mais si ce différentiel a permis de pourrait toutefois se retourner contre pourtant crucial – dans la transition. financer l’essentiel de l’investissement ses habitants : l’électricité d’origine [1] Voir « 100 % Erneuerbare Energien für Strom und dans l’électricité renouvelable, la part éolienne, en particulier, devient moins Wärme in DeutschLand », Fraunhofer ISE, novembre 2012, accessible sur https://lc.cx/J5u6 Pour la France, voir des revenus qu’y consacrent les foyers chère que celle provenant du nucléaire, « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 », allemands est comparable à celle de leurs et les prix de gros baissent en Europe. Ademe, avril 2015, accessible sur www.ademe.fr [2] Les ventes de capteurs solaires thermiques ont aug- voisins français. Le chauffage électrique Très concernée par le problème, EDF menté de 32 % de juillet 2014 à juillet 2015. est très rare outre-Rhin et les dépenses réclame depuis des années une forte [3] Voir « Energiewende erfordert hohe Investitionen », DIW, 2013, accessible sur www.diw.de/sixcms/detail. en électricité spécifique (éclairage, élec- hausse des tarifs, à laquelle l’Etat fran- php?id=diw_01.c.423491.de troménager, etc.) y étaient inférieures de çais s’oppose, alors que les concurrents 27 % à celles des Français en 2015. Résul- d’EDF, qui bénéficient des économies [*] tat : la facture moyenne d’un Allemand ne dépasse celle d’un Français que de d’échelle de l’électricité issue du renou- velable, proposent désormais des prix >> Cogénération : récupération de la chaleur produite lors de la conversion d’un combustible en 120 euros environ par an. attractifs. électricité afin d’alimenter des réseaux de chaleur. 8 n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques
pouvoir accélérer l’Energiewende : exemple qu’une part minoritaire LA CROISSANCE ALLEMANDE les hydrocarbures y restent notam- des travaux liés à une installation SE POURSUIT AVEC MOINS D’ÉNERGIE ment trop peu taxés, ce à quoi l’Etat photovoltaïque. Et l’activité profite Productivité énergétique, PIB et consommation envisage de remédier (voir article essentiellement aux entreprises des d’énergie primaire en Allemagne, base 100 en 1990 suivant). territoires, puisque cette activité n’est 160 Productivité énergétique rajustée pas délocalisable. PIB Un coup de fouet pour l’emploi Enfin, l’Etat fédéral entend ferme- 140 Consommation d'énergie primaire La spécialisation suscitée par les ment réduire la dépendance aux im- Source : Federal Statistic Office (Destatis) politiques industrielles de transition portations d’énergie, qui totalisent 120 participe pleinement de la vocation chaque année quelque 90 milliards exportatrice allemande. Le pays sait d’euros. Un montant qui aurait selon 100 désormais produire des turbines le ministère de l’Economie avoisiné éoliennes dernier cri, des panneaux 98 milliards d’euros en 2013 sans solaires thermiques, des matériaux l’Energiewende. Cette stratégie permet 0 1990 1995 2000 2005 2010 2015 d’isolation… En 2013, il fabriquait ainsi de se préparer à la hausse inévitable Lecture : de 1990 à 2015, le PIB allemand a crû de plus la moitié des machines-outils desti- des prix des énergies fossiles à moyen de 40 % alors que la consommation d’énergie baissait nées à la production de panneaux terme. Elle aura aussi des répercus- de plus de 15 % : un découplage qui s’annonce durable. photovoltaïques dans le monde. sions géopolitiques, y compris vis-à- Et ce dynamisme est créateur d’em- vis de la Russie, grande pourvoyeuse [1] Par comparaison, la filière nucléaire ne dépasse pas 125 000 emplois en France, selon une étude commandée plois. De 2004 à 2013, le nombre de gaz et de charbon. par Areva. d’emplois dans les filières des re- nouvelables est passé de 160 500 à 371 400. Il devrait atteindre le seuil des 500 000 en 2020, sans même prendre en compte le secteur de l’ef- ficacité énergétique [1]. Des chiffres qui Idée reçue n° 5 dépassent de loin les emplois détruits dans les mines ou les centrales ther- On ne pourra miques : en net, plus de 105 000 nou- veaux postes devraient être créés sur la période 2015-2020, selon DIW- jamais se déplacer Eco. Sans surprise donc, les Län- der sont les premiers supporters de cette stratégie : d’où qu’ils viennent, sans pétrole les matériaux ne représentent par Se passer des hydrocarbures dans les transports est En outre, les coûts du prolongement une énorme gageure. Mais c’est aussi pour l’industrie de la vie des centrales nucléaires restent allemande l’occasion de se tourner vers les technologies trop peu pris en compte par l’Etat fran- çais. Global Chance et Wise Paris, deux les plus novatrices. associations expertes sur les questions D énergétiques, ont calculé que le prix de l’électricité nucléaire française pourrait at- ans un pays où les grosses De fortes capacités teindre 133 euros/MWh si les centrales nu- cylindrées sont adulées et ferroviaires et fluviales cléaires françaises sont rénovées de fond où les constructeurs auto- Pourtant, l’Allemagne dispose en comble, ce qui est indispensable pour mobiles pèsent lourd dans les choix d’une offre de transports qui ne se la sécurité. Le rapport annuel 2016 de la publics, faire pour les transports ce réduit pas à la voiture individuelle. Cour des comptes estime pour sa part qu’il qui est en train de réussir pour l’élec- Son réseau ferré est très dense et pourrait s’établir à 125 euros/MWh, si la loi tricité est le plus grand défi de la tran- le fret ferroviaire, dont la part aug- française de transition énergétique est sition énergétique. C’est pourtant mente, représentait déjà 23,1 % du réellement appliquée. Par comparaison, indispensable : le secteur représente transport de marchandises en 2012. l’éolien terrestre produit dès aujourd’hui 17 % des émissions de gaz à effet de Le transport fluvial a quant à lui dé- à un coût de 40 à 80 euros/MWh. serre et 28,5 % de la consommation placé cette même année 12,3 % du énergétique allemande. fret, contre 4,2 % en France. Si les n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques 9
transports en commun sont efficaces les objectifs déjà adoptés (un million moyen d’alimenter les véhicules en dans les villes allemandes, où la partde véhicules en 2020 et 6 millions en 2050, puisque selon le scénario éla- du vélo augmente régulièrement, la 2030, pour une flotte nationale de boré par l’Öko-Institut [1], seuls 20 % situation d’ensemble est toutefois 54 millions aujourd’hui) supposerait d’entre eux rouleraient alors directe- globalement moins favorable pour de nouvelles aides publiques. ment à l’électricité. Ces technologies les déplacements des personnes, as- Mais tout cela ne suffirait pas relégueraient le pétrole au passé : les surés à près de 85 % par la voiture. pour parvenir à la baisse fixée par industriels travaillent en effet sur la Tout d’abord, les carburants d’ori- le gouvernement pour la consom- mise au point de procédés efficaces gine agricole ne pourront pas être mation d’énergie par les transports : pour mettre en œuvre massivement substitués massivement à l’essence – 40 % en 2050 par rapport à 2005. les technologies power to gas et/ou et au gazole : leur part plafonne à Contrairement à la production de power to liquid. chaleur, la révolution Dans le premier cas, la réaction à opérer dans le do- chimique de méthanation produit maine des transports du méthane à partir d’hydrogène La révolution dans les transports suppose donc à la fois et de CO2. L’hydrogène est produit suppose d’inventer de d’inventer de nouvelles par électrolyse de l’eau, et le CO2 est nouvelles solutions techniques solutions techniques récupéré à l’issue de la combustion et de faire évoluer les d’hydrocarbures fossiles ou biosour- et de faire évoluer les usages usages. Sur ce dernier cés, ce qui permet en outre d’éviter point, le débat public de relâcher des gaz à effet de serre. se développe. Les so- Des réactions comparables per- 5 % de la consommation énergétique lutions numériques favorisent déjà mettent de produire des carburants depuis 2008, et elle n’augmentera l’autopartage, et ce mouvement liquides. guère. Leur potentiel est limité : la devrait s’amplifier. Pour autant, la En bref, la grande majorité du parc production des agrocarburants de demande de mobilité ne devrait automobile devrait un jour rouler première génération pose de lourds pas reculer d’ici à 2050 et l’essen- avec des carburants produits… grâce problèmes écologiques et entre en tiel du défi consiste à apporter des à l’électricité. Ce qui suppose d’en concurrence avec les cultures ali- sources énergétiques renouvelables produire davantage : l’Öko-Institut mentaires. Le gaz est en revanche aux véhicules. estime qu’il faudrait y consacrer porteur d’espoir : une part de sa l’équivalent de 50 % de la produc- production peut provenir du bio- Vers les carburants tion actuelle. Or, l’Allemagne produit gaz, dont les conditions écologiques de synthèse déjà trop d’électricité. Et la produc- de production ont été récemment Plusieurs études prospectives ont tion d’électricité renouvelable peut améliorées. En outre, il émet moins déjà évalué les parts que pourraient encore augmenter très longtemps. de CO2 que les autres carburants et représenter en 2050 les véhicules [1] Voir le rapport « Germany in 2050. A Greenhouse Gas-Neutral Country », Öko-Institut pour l’Agence UBA, peut déjà alimenter les poids lourds. électriques et hybrides parallèlement en avril 2014. En parallèle, les voitures élec- à une réduction de la longueur triques et hybrides peuvent pro- des déplacements et à une poser des solutions pertinentes en forte hausse du fret ferroviaire. Ces textes, synthétisés et enrichis par ville, mais leur généralisation sup- Comme le propose le scénario Laurent Hutinet pour ce numéro, sont pose encore d’importants efforts : négaWatt en France, les carbu- extraits du livre de Vincent Boulanger, Transition énergétique. Comment fait les constructeurs allemands sont en rants de synthèse pourraient l’Allemagne, Les petits matins, 2015. retard sur ces marchés et atteindre fort bien devenir le principal Part du transport ferroviaire de marchandises en Allemagne + 23,1 % Lecture : la part du fret ferroviaire, déjà plus forte et en France en 2012, en % – 15,2 % qu’en France, augmente en Allemagne. Le pays a Allemagne conservé ses infrastructures ferrées, contrairement France au nôtre, et prévoit une hausse du recours au rail. 10 n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques
Les habitants de Schönau ont racheté le réseau DOSSIER électrique municipal pour avoir une électricité propre. du courant « sans nu- cléaire ni charbon ». L’entreprise ne gère pas seulement le réseau électrique de Schönau, mais aussi ceux de huit communes envi- ronnantes, avec une extension progressive de son activité, notam- ment dans le domaine du gaz, via la gestion de deux réseaux. En 2013, avec l’appui d’EWS Schönau, une EWS Schönau nouvelle société éco- logique de distribution d’énergie, la Stuttgart Les communes Energie est créée dans la capitale du Bade- Wurtemberg. Cette nouvelle société, dans en première ligne laquelle EWS Shönau est actionnaire à hau- teur de 40 % du capi- tal, fournit de l’électri- INITIATIVE A Schönau, petite ville allemande, les citoyens ont pris cité propre à la ville de Stuttgart. Ce saut vers en main la production de l’électricité. Une révolution énergétique une électricité issue autant que démocratique. du renouvelable ne se fait pas au détriment E des consommateurs, bien au contraire : une n 1986, la catastrophe de du courant propre à Schönau. Mais famille qui opte pour le fournisseur Tchernobyl ébranle l’Eu- dès 1999, la libéralisation du marché écologique, et non pour celui qui rope, et notamment l’Alle- allemand de l’électricité a amené les utilise l’énergie nucléaire, bénéficie magne. A la suite de cette citoyens de la ville à étendre leur offre d’un gain moyen d’environ 80 eu- catastrophe, des centaines d’initia- à toute l’Allemagne. ros par an. Une révolution énergé- tives citoyennes naissent dans tout tique et démocratique bénéfique le pays pour porter des revendica- Schönau fait école pour l’environnement et pour les tions telles que des tarifs favorisant Aujourd’hui, EWS Schönau ali- consommateurs. les économies d’énergie ou une ré- mente près de 140 000 clients avec David Belliard munération viable des productions citoyennes et délocalisées de courant électrique. Durant de nombreuses années, ces demandes se heurtent au refus des autorités. FRANCE Les habitants de Schönau, une pe- La Sève monte en puissance tite ville de 2 500 habitants du Land Bade-Wurtemberg (dans le sud de Les initiatives citoyennes commune de 500 habitants taïques ont été installées. l’Allemagne), en pleine Forêt-Noire, d a n s l e d o m a i n e d e des Hautes-Alpes, une so- Avec un chiffre d’affaires se mobilisent pour racheter le réseau l’énergie se multiplient ciété d’économie mixte de de plus de 120 000 euros, électrique municipal. Après des an- aussi en France, depuis production d’énergies re- la société a été rentable nées de lutte, cette mobilisation va l’année 2000 et l’obliga- nouvelables (appelée Sève) dès la troisième année, et le payer : les Etablissements électriques tion faite à EDF d’acheter a été créée en 2011. 31 foyers surplus a été réinjecté pour de Schönau (EWS Schönau) sont de- le courant produit à partir de la commune en étaient augmenter la production. venus le premier fournisseur d’élec- des énergies renouvelables. alors actionnaires. Depuis, >En > savoir plus : https://energie-par tricité dont les propriétaires sont les Ainsi, à Puy-Saint-André, neuf centrales photovol- tagee.org/projets/seve citoyens. Le but initial était de fournir n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques 11
Une révolution citoyenne et démocratique MODÈLE La transition énergétique allemande se double d’une véritable révolution démocratique, via l’appropriation ci conduit finalement à favoriser les grands groupes au détriment des citoyenne des outils de production d’énergie renouvelable. projets citoyens. Résultat : après avoir atteint un chiffre record en L 2013 (130 nouvelles coopératives), la dynamique s’est essoufflée avec a révolution énergétique Au total, les citoyens allemands seulement 54 coopératives d’énergie en Allemagne s’accom- ont investi près de 20 milliards d’eu- créées en 2014 et 40 en 2015. pagne d’un impor tant ros de fonds propres, déclenchant Une large appropriation citoyenne phénomène d’appropria- 100 milliards d’euros de projets de la transition énergétique consti- tion citoyenne et locale : près de la depuis 2000. Cet essor du modèle tue pourtant un enjeu majeur. En moitié des capacités renouvelables coopératif s’explique par la confiance effet, qu’il s’agisse de projets d’éner- électriques sont aujourd’hui pos- que lui accorde la population (25 % gie renouvelable ou de rénovation sédées par des citoyens et des agri- des Allemands sont membres d’une thermique des bâtiments, la généra- culteurs, le plus souvent regroupés coopérative). Il bénéficie également lisation des énergies renouvelables sous forme de coopératives. La part du cadre réglementaire favorable, implique de remplacer des coûts de des grands énergéticiens reste, elle, fondé – jusqu’à la réforme de 2014 – fonctionnement courants (achat de mineure (7 %). Ce phénomène est sur la stabilité des dispositifs de sou- combustibles par exemple) par des d’autant plus notable qu’il concerne tien aux énergies renouvelables et sur investissements rentables sur le long toutes les filières (éolien, solaire, l’accès à des prêts préférentiels. Ce terme. Autrement dit, en l’absence biomasse) et qu’il ne se limite pas modèle est doublement vertueux : il d’un vrai débat sur la justice sociale, à des petits projets. La plus grande la transition énergétique coopérative citoyenne regroupe pourrait conduire à renforcer 38 000 membres et fournit de l’élec- les inégalités en favorisant tricité à 34 000 clients. « L’énergie citoyenne » des « gagnants » de la tran- est un levier pour favoriser sition, détenteurs de capital, l’acceptation de la porteurs des investissements rentables et destinataires des transition énergétique aides publiques, au détriment de « perdants », réduits à sup- porter les coûts et à subir une est facilement accessible (l’investis- vulnérabilité énergétique croissante. sement minimal est généralement de Face à ce défi de l’équité, les pro- 100 euros) et il permet à chacun de jets citoyens ne peuvent jamais participer à la gouvernance (principe constituer qu’un pan d’une approche de « un membre, une voix »). plus globale, notamment en raison des difficultés à faire participer les Un enjeu majeur ménages les plus modestes. Malgré Cette dynamique de « l’énergie ci- tout, le cas allemand montre qu’il toyenne » (Bürgerenergie) constitue un s’agit d’un levier puissant sur le plan levier pour favoriser l’acceptation de de l’appropriation locale, à condition la transition énergétique. Pourtant, d’œuvrer à sa généralisation. les pouvoirs publics ne semblent Andreas Rüdinger* pas toujours en mesurer l’impor- * Chercheur associé à l’Institut du développement durable tance. En témoigne l’évolution des et des relations internationales (Iddri). dispositifs de soutien aux énergies en savoir plus renouvelables en Europe, qui rem- >>« Projets citoyens pour la production d’énergie place des tarifs d’achat garantis par renouvelable. Une comparaison France- Allemagne », par Andreas Rüdinger et Noémie Poize, une approche plus concurrentielle. Working Paper n° 1, 14 janvier 2014, accessible iStock sur https://lc.cx/zpe Fondée sur les appels d’offres, celle- 12 n ° 364 bis janvier 2017 / Alternatives Economiques
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