NOTES POUR UNE HISTOIRE DE LA TRADUCTION PHARMACEUTIQUE
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NOTES POUR UNE HISTOIRE DE LA TRADUCTION PHARMACEUTIQUE HENRY VAN HOOF Commission FIT pour l'Histoire de la traduction II n'existe aucune certitude sur les origines de revenait au Pen-ts'ao (Traité de matière médicale) la pharmacie. Certes, on peut imaginer que les de l'empereur Chen Nong, qui l'aurait composé hommes ont, depuis les temps les plus anciens, au XXXVI e s. avant notre ère. Mais Chen Nong cherché des remèdes à leurs souffrances, souvent est un empereur mythique et l'ouvrage, qui con- aidés en cela par l'observation des animaux. Vir- tient trois cent soixante-cinq drogues minérales, gile ne rappelle-t-il pas que ce sont les cerfs et les végétales ou animales, aurait en réalité été rédigé chèvres sauvages qui leur ont appris l'emploi de sous les Han (ca. Ier s. av. J.-C.) par un auteur in- l'origan et des vulnéraires? Ces remèdes empiri- connu se cachant sous un pseudonyme légendaire ques passèrent très vite aux mains de guérisseurs, et exploitant des sources antérieures ne remon- dont l'emprise était d'autant plus grande qu'ils tant pas au delà du IV1' s. av. J.-C. Par la suite, prétendaient tirer leurs recettes d'une source sur- chaque grande époque se dota de son compen- naturelle. De ce fait, l'art de guérir fut bientôt as- dium de métière médicale: Chang Ching-ching (IIe socié aux divinités, a l'incantation magique, à la s.), Tangpen-ts'ao (VII e s.), Pen-ts'ao che-ji (VIII e s.), prière. Ce caractère théurgique se trouve confir- Kai-pao pen-ts'ao (Xe s.), Chao-Hing pen-ts'ao (Xlle mé dans certains livres de l'Ancien Testament, s.), etc. notamment dans le Uvitique (14, 52-57), que La plus vieille pharmacopée serait l'une des l'exégèse place entre le Xe et le VI e s. avant notre nombreuses tablettes cunéiformes découvertes à ère mais dont la substance remonterait a l'époque Nippour (Mésopotamie) au début siècle; gravée à de Moïse (XIIIe s. av. J.-C). On peut y lire: "Le la fin du III e millénaire avant notre ère, elle men- sacrificateur prendra... deux oiseaux, du bois de tionne une demi-douzaine de remèdes, la plupart cèdre, du cramoisi et de l'hysope. Il égorgera l'un tirés du règne végétal mais certains contenant des des oiseaux sur un vase de terre, sur de l'eau vive. substances animales ou minérales. D'autres ta- Il prendra le bois de cèdre, l'hysope, le cramoisi et blettes nous apprennent que, chez les peuples de l'oiseau vivant; il les trempera dans le sang de la Mésopotamie ancienne, l'exercice de la théra- l'oiseau égorgé et dans l'eau vive, et il en fera sept peutique était surtout de nature sacerdotale. fois l'aspersion sur la maison... Telle est la loi En Egypte aussi, lorsqu'on étudie la période pour toute plaie de lèpre et pour la teigne... pour entre 1600 et 1200 av. J.-C, on constate que la les tumeurs, les dartres et les taches". Et le Uvre science pharmaceutique étais étroitement liée à des Rois (II, 20, 7), daté du VI e s. av. J.-C, relate l'histoire du sacerdoce. Le culte d'Isis, particuliè- que: "En ce temps-là, Ezéchias fut malade à la rement, était célèbre pour les traitements que la mort... Le prophète Isaïe dit: Prenez une masse déesse révélait la nuit aux malades transportés de figues. On la prit et on l'appliqua sur l'ulcère. dans ses temples. La préparation des remèdes Et Ezéchias guérit". s'effectuait à l'intérieur même des temples par des spécialistes préposés à cette tâche, les prêtres 1. LES TEMPS PRÉGALÉNIQUES pastophores. Dans le papyrus découvert en 1873 pour l'égyptologue allemand Georg Ebers, do- Les versets bibliques ne sont pas les allusions cument classique de la pharmacologie égyptienne les plus anciennes à l'art de guérir, bien qu'il soit du début de la XVIII e dynastie (1580-1320 av. J.- difficile de décider à quel document attribuer la C), se trouvent réunis plus de sept cents substan- palme de l'ancienneté. On a cru longtemps qu'elle ces médicinales —plantes, minéraux, sécrétions Qomplutensis 27 îeronymus HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
animales— et plus de huit cents recettes pour des aurait été traduite en pehlvi sous les Sassanides affections allant de la morsure de crocodile jus- (226-651) et en arabe au VIII e s., par le même qu'aux douleurs dans les ongles des orteils. Le auteur d'une version du Uvre des poisons de Câna- papyrus Hearst, découvert en 1899 et datant du kya (ou Sânâq), médecin et ministre du roi indien règne de Thoutmosis III (1504-1450 av. J.-C), Candragupta (315-291 av. J -G). Que l'art phar- ainsi que le papyrus de Londres datant du règne maceutique indien ait franchi les frontières de de Toutankhamon (1352-1320 av. J.-C), sont l'Inde on n'en peut douter. Une première preuve deux autres recueils de remèdes et de recettes qui en est fournie par le Uvre des racines, le plus ancien trahissent la connaissance de formes pharmaceu- des textes médicaux tibétains, traduit du sanskrit tiques déjà nombreuses et compliquées. au VIII e s., découvert par le sinologue allemand Parmi ces documents, mis au jour et traduits Ferdinand Lessing. Et, d'autre part, des remèdes seulement aux XIX e et XXe siècles, y en a-t-il indiens figurent dans les traités chinois de matière auxquels d'autres civilisations anciennes auraient médicale dès le début de notre ère. eu accès? Y en a-t-il qui auraient pu faire l'objet Dans le Zend Avesta (VIe s. av. J.-C), livre sa- de traductions en sumérien, en sanskrit? Si rien cré des anciens Perses, comme dans l'Atharva- ne permet de l'affirmer, on sait pourtant que les Véda, la matière médicale avoisine la philosophie thérapeutes de Mésopotamie avaient des contacts et l'enseignement religieux. Venant après les in- avec d'autres cultures. Vers 1300, par exemple le vocations et la théomédecine, elle décrit des pro- Babylonien Raba-sha- Mardouk donnait des con- duits tirés des trois règnes. Une traduction offi- sultations à la cour du roi hittite au milieu de mé- cielle du zend en pehlvi en fut faite sous les Sassa- decins égyptiens. A l'inverse, l'Egypte, qui dès la nides déjà; des versions sanskrites ont suivi aux IV- dynastie (2575-2465 av. J.-C.) et jusqu'à la VIe XII e et XIIIe siècles. (2325-2155 av. J.-C.) entretint des rapports suivis Ce rapide survol des civilisations anciennes a avec la Babylonie, aurait-elle pu connaître et tra- permis de constater que les remèdes dont dispo- duire des pharmacopées de la langue akkadienne? saient les premiers thérapeutes trouvaient leur Rien n'est moins sûr, même si Hérodote, qui substance dans les règnes végétal, animal et miné- pour tant chantait l'Egypte comme la patrie de ral, mais qu'il est malaisé d'en déduire ce qui, dans l'art de guérir, assurait dans le même temps que cette thérapeutique, est original ou emprunté à une les Assyriens, les Chaldéens et les Indiens furent culture antérieure ou voisine soit par le transmis- les premiers à composer des remèdes. sion orale soit par la traduction. En Inde, l'art pharmaceutique était aux mains des brahmanes, caste sacerdotale dépositaire de la 2. DU CORPUS HIPPOCRATIQUE tradition védique. C'est VAtharva-véda (ca. 1500 av. A LA PHARMACIE GALENIQUE J.-C), la quatrième et dernière des Védas, qui traite de la matière médicale. Elle contient des A ses débuts, la thérapeutique grecque se res- chapitres sur les toniques (Hasayanà), les aphrodi- sentit des influences mésopotamiennes et égyp- siaques (Vajikarana tantrà) et la toxicologie {Agada tiennes et la littérature homérique nous en décrit tantrà). Moins anciens, les ouvrages les plus célè- quelques traits: pratiques magiques, breuvages bres de la médecine brahmanique sont attribués à enchantés, poudres merveilleuses. C'est vers le Ve des auteurs de notre ère: Caraka (II- s.) et Susruta s. avant notre ère qu'eue se sépare de l'emprise (IV- s.). La Sambitâ (Collection) de Caraka com- théurgique: Hippocrate crée une médecine libérée prend une première partie (Sutrasthanà) consacrée de l'empirisme, fondée sur l'observation clinique. à la pharmacologie et répertorie plus de cinq Médecin ambulant, il était amené aussi à dispen- cents remèdes; selon Ibn an-Nadim (X- s.), mé- ser des remèdes qu'il préparait parfois lui-même. decin de Bagdad, elle aurait été traduite d'abord Le Corpus bippocraticum compilé après sa mort — en persan et, plus tard, en arabe par un certain car il n'a pas laissé d'écrits de sa main— contient Abd Allah ibn Ali. La Samhitâ de Susruta, qui des prescriptions médicamenteuses qui font appel mentionne plus de sept cent-cinquante remèdes, aux matières des trois règnes et se présentent 28 îeronymus £omp(utensis HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
sous des formes pharmaceutiques déjà très élabo- la supériorité de sa langue. Mais, dans quelle me- rées. Les remèdes à usage interne sont soit liqui- sure le De re medica (Ier s.), dans lequel Celse ré- des (potions, décoctions, infusions) soit solides sume la médecine alexandrine, est-il une compi- (pilules, collyres, pastilles, suppositoires — héri- lation, une adaptation ou une traduction libre? tage direct de la pharmacie égyptienne); les remè- Dans le Ve et une partie du VI e livre, qui concer- des à usage externe comprennent des fumiga- nent la pharmacie, Celse fait la distinction entre tions, des gargarismes, des onguents, des cata- les pratiquants de la pharmaceutique (pharma- plasmes, des lavements. ceutes), les marchands qui vendent des médica- Après la conquête de l'Egypte par les Grecs, la ments tout préparés (pharmacopoles), les pileurs ville d'Alexandrie fondée par Alexandre le Grand de drogues (pharmaceutribes), les marchands de devint rapidement le nouveau centre du savoir plantes communes (herbarii) et les droguistes (se- sous Ptolémée I« Soter (360-280 av. J.-C). L'art plasiarii). Pline le Naturaliste (23-79), dans son médico-pharmaceutique y connu un nouvel essor Histoire naturelle, réserve quinze des trente-sept li- et donna naissance, d'abord à l'école dogmatique vres aux remèdes tirés des plantes. L'ouvrage le —représentée par Hérophile, créateur de la ma- plus important, car entièrement consacré à la ma- tière médicale— puis à l'école empirique —illus- tière médicale, est le Péri hules iatrikhès, rédigé sous trée par Sérapion, inventeur de la théorie poly- Néron par le médecin et botaniste grec Diosco- pharmaque— et Heraclite de Tárente, promoteur ride (Ier s.). Ses cinq livres décrivent plus de six de l'usage de l'opium, qui entra dès lors dans la cents matériaux végétaux (plantes, fleurs, feuilles, confection de tous les remèdes polipharmaques. écorces, racines, sucs), mais aussi quelques miné- Nicandre (IIe s. av. J.-C.) développa les théories raux et produits chimiques (acétate de plomb, de ses prédécesseurs et les consigna dans deux antimoine, sels de cuivre). Connu de l'Italie by- poèmes didactiques: la Theriaca, qui décrit les mé- zantine, le texte grec fut traduit en latin vers le dicaments à usage interne pour combattre les VIe s. en Italie du Sud ou en Afrique du Nord; empoisonnements par morsure animale, et une version arabe vit le jour à Bugead au IXe s. et l'Alexipharmaca qui décrit les toxiques des trois rè- se répandit dans l'Espagne mauresque dès le Xe s. gnes, les symptômes d'empoisonnement et les Le point culminant de la médecine romaine fut moyens pour les neutraliser. Les écoles atteint avec Galiene médecin grec également, qui d'Alexandrie ont encore enrichi l'arsenal pharma- pratiqua les diverses disciplines de l'art de guérir, ceutique de remèdes spéciaux, comme le soufre y compris la pharmacie, préparant lui-même ses dans le traitement de la teigne. C'est alors aussi remèdes dans sa boutique de la Voie Sacrée. Au- que, pour la première fois, la médecine se serait, teur de plus de cinq cents ouvrages, dont plu- selon Celse, divisée en trois branches la diététique sieurs traitant de remèdes et precriptions de mé- (maladies et régimes), la chirurgie (intervention dicaments simples et composés, il est surtout le du fer et du feu) et la pharmaceutique (médecine fondateur de la branche la plus spécifiquement médicamenteuse). Cette classification passa telle pharmaceutique de l'art, celle qui s'occupe des quelle à l'empire romain. formes d'administration —la pharmacie dite ga- lénique. Sans doute parce que tous les hommes A l'origine, la médecine romaine fut elle aussi de l'art savaient le grec, partie intégrante du ba- théurgique, mais, comme Alexandrie, Rome ac- gage intellectuel de l'homme cultivé, Rome n'a cueillit par la suite une immigration de médecins laissé que peu de traductions médicales et aucune grecs inaugurée par Aesclépiade de Bythinie, qui dans le domaine pharmaceutique. Après Galien remit en honneur les principes hippocratiques et (131-210), l'Empire romain entra en décadence. simplifia la thérapeutique en privilégiant les re- Le peuple versa dans la magie et le mysticisme, ce mèdes externes pour réduire les abus de la poly- qui favorisa l'implantation de religions nouvelles pharmacie. A leur suite s'installèrent des méde- et, finalement, l'avènement du christianisme lors- cins égyptiens et juifs. Les conditions paraissaient que la liberté religieuse fut promulguée en 313 par ainsi remplies pour voir éclore une activité de tra- l'empereur Constantin, qui fonda sur le site de duction, qui a fait défaut à la Grèce trop imbue de 29 ftieronymus HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
l'antique Hyzancc la capitale d'un Empire romain tour assureront la liaison entre l'Antiquité et le d'Orient. Moyen âge occidental. 3. LE MONDE BYZANTIN 4. LA PASSERELLE ARABE ET L'INTERMÈDE NESTORIEN Après que la foi guerrière des Arabes eût porté Dans le monde byzantin, dominé par l'idéal l'islamisme en Asie jusqu'à l'Indus et en Europe chrétien, l'art de guérir redevint théurgique. La jusqu'aux rives de la Méditerranée et à l'Atlantique, médecine galénique fut réprouvée et la littérature le pouvoir arabe se concentra dans les califats médico-pharmaceutique byzantine n'a légué que oriental de Bagdad (762) et occidental de Cordoue des compilations auxquelles s'attachent les noms (756). Jamais, dans l'histoire, la traduction n'a joué- d'un Oribasc de Pergame (IVe s.), auteur d'un un rôle aussi important que celui qui lui fut dévolu Buporista ou les Remèdes faciles à pré- parer, d'un Paul au début de l'expansion islamique, et les médecins d'Egine (VIIe s.), auteur d'un ouvrage sur les Re- nestoriens y tinrent encore une place prépondé- mèdes simples, d'un Alexandre de Tralles (VIe s.), rante. etc. Dans le califat oriental Sous l'empereur Théodosc II se produisit un événement dont les conséquences pour l'histoire |urgis Bakhtishu, médecin-chef de l'hôpital de de la traduction médicale, et pharmaceutique en Gondashepur, appelé à Bagdad par le calife al- particulier, revêtent une importance capitale. Mansur (754-775), fut chargé par celui-ci de tra- Nestorius (380-451), patriarche de Constantino- duire de nombreux ouvrages grecs; il aurait ainsi ple, fut condamné pour hérésie par le concile mis en syriaque les Remèdes correspondant aux mala- d'Ephèse et exilé en 431. Avec ses adeptes, il dies de Galien. Une école de traduction fut instal- s'installa d'abord à Edesse (l'actuelle Urfa, en lée à Bagdad par le calife al-Mamun (786-833) Turquie), puis à Nisibe (actuellement Nizip, en sous l'appellation de Bay/ alhikma (Maison de la Turquie), où ils créèrent des écoles de médecine. Sagesse) et confiée à la direction de Yuhanna ibn Chassés par les persécutions religieuses, ils se ré- Masawaih (776-855), mieux connu sous le nom fugièrent en Perse, dans le Khorassam, pour se latinisé de Jean Mésué ou Mésué l'Ancien et issu, fixer dans la ville de Gondashepur, qui attachera lui aussi, d'une famille de médecins de Gon- son nom à leur établissement d'enseignement le dashepur. Mésué non seulement organisa la tra- plus fameux. Connaissant les écrits d'I Iippocrate, duction en arabe d'ouvrages médicaux grecs, sy- de Galien, de Dioscoride, ils en recherchèrent des riaques et persans, mais encore traduisit-il lui- manuscrits pour les traduire en syriaque, en per- même les versions syriaques de Galien réalisées san, en hébreu. Parmi les traducteurs on relève, par Sergius de Rhésine. Il a de plus écrit des oeu- pour le domaine pharmaceutique, le prêtre- vres personnelles, parmi lesquelles un Traité sur les médecin chrétien Sergius de Rhésine (VIIe s.), qui substances simples aromatiques et une Pharmacopée géné- a mis en syriaque les livres LXVII et LXVIII des rale, dont il n'existe qu'une traduction latine inti- Médicaments simples de Galien. tulée De consolatione medidnarum simplidum (XI e s.). Lorsque les Arabes envahirent la Perse (651), Le plus grand élève de Mésué fut sans con- ils découvrirent les manuscrits nestoriens, mais la teste Hunayn ibn Ishaq (dit Johannitius, 808- barrière des langues s'opposa à ce premier con- 873), chrétien nestorien, médecin et philosophe. tact avec la médecine grecque. Aussi, dès la se- Fils d'apothicaire, il apprit le grec au cours de cond moitié du VII e siècle, les califes abassides nombreux voyages, alors qu'il savait déjà parfai- décidèrent-ils de les faire traduire en arabe. On tement le syriaque et l'arabe. Revenu à Bagdad, il pourrait dès lors considérer que l'hérésie nesto- se lança dans une prodigieuse activité de traduc- rienne est à l'origine de la médecine et de la tion avec l'aide, notamment, de son fils Ishaq et pharmacie arabes, et les traductions arabes à leur de son neveu Hubaysh al-Asam. De cette colla- boration naquit une centaine d'oeuvres. Bien qu'il 30 îeronymus £omplutensis HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
traduisît lui-même du grec ou du syriaque en rapeutique indien. Mankah traduisit ainsi la Sus- e arabe, Hunayn préférait le plus souvent laisser ruta-Samhitâ, le grand classique du IV siècle, dont l'arabisation à ses assistants. Son inclination per- la pharmacognosie énumère plus de sept cent- sonnelle allait à la traduction en syriaque, langue cinquante remèdes, et le Livre des poisons de Sânâq dans laquelle on lui doit, du point de vue phar- (en sanskrit Cânakya); il aurait donné de ce der- e maceutique, des versions du Corpus hippocraticum,nier une version persane, dont al-Gauhari (IX s.) des traités Les remèdes simples, Les médicaments jadíes assura la version arabe à la demande d'al-Mamun. e à obtenir, Les remèdes correspondant aux maladies de Un autre classique indien, la Caraka-Samhitâ du II Galien, de divers écrits de Paul d'Egine et siècle, aurait également été traduite d'abord en d'Oribase, que son fils Ishaq et surtout Hubaysh persan, puis en arabe par un certain Abd Allah mirent ensuite en arabe, du Péri bulès iatrikhès ibn Ali. (Matière médicale) de Dioscoride, dont la version Le califat oriental a produit trois grands noms arabe de son collaborateur Istafan ibn Basil de- de l'art médico-pharmaceutique: Rhazcs (ar- vint pour longtemps un livre de référence pour le Rhazi, 865-925), Haly Abbas (al-Magusi, ?-994) et monde islamique. A l'actif de son neveu, on peut Avicenne (ibn Sina, 980-1037), tous persans. A ajouter encore la traduction du Péri khraseos khai côté de son oeuvre maîtresse, le Kitab al-l laivi, en- dynameos to apleon pharmakhon de Galien, dont une cyclopédie médicale et pharmacologique qui version avait été donnée déjà au début du IX1- s. donne des prescriptions préconisant les drogues par al-Bitriq. dont il a vérifié l'efficacité, Rhazcs à laissé aussi Parmi les autres traducteurs arabes qui se sont un formulaire de médicaments composés (.'¡qra- penchés sur des textes pharmaceutiques, on peut bcidin al-kabii). Le Kitab al-Malaki (Livre royal de citer Yahya ibn Ibrahim, membre de l'équipe l'art de la médecine) de Haly Abbas, qui sera le d'Hunayn, qui mit en arabe la version syriaque premier ouvrage médical arabe traduit en latin, établie par Hunayn de La force des laxatifs de Ga- comprend un chapitre sur le traitement par les lien et celle des Remèdes correspondant aux maladies drogues simples et un autre sur les remèdes com- du même auteur faite par Bakhtishu; il y a aussi posés. Dans son Canon, Avicenne consacre de an-Natili, qui se livra en 985 à une révision de la nombreux chapitres à la description des simples, traduction de la Materia medica de Dioscoride par aux poisons, aux remèdes composés et à la prépa- Hunayn. ration des médicaments, inspirés en grande partie On traduisait aussi de l'arabe en persan, de la traduction du Péri syntheseon pharmakon de comme al-Kasani le fit en 1228 pour lui science des Gaben, qui a conditionné toute la littérature drogues médicinales d'al-Biruni (973-1048) en don-pharmaceutique arabe. nant les noms de plantes en grec, syriaque, indien, C'est d'ailleurs par leurs pharmacologues que hébraïque, etc., ainsi que de l'arabe en syriaque, l'on peut le mieux juger le rôle des Arabes dans le comme le médecin chrétien Abul Faradj (dit Bar domaine pharmaceutique. Leurs livres portent le Hebraeus, 1226-1286) —qui fut aussi l'interprète nom d'auraba din, rendu au Moyen âge par antidota- de Dioscoride— le fit pour le Uvre des drogues sim- rium ou dispensatorium. Ishaq al-Kindi (?-870), au- ples du Cordouan al-Ghafiqi (XIIe s.) en donnant teur d'un antidotaire de huit cents remèdes ara- les synonymes ces plantes en arabe, berbère et bes, persans, indiens et égyptiens, a écrit aussi un espagnol. Ces glossaires multilingues mettent en Kitab fil Marifat (Connaissance des propriétés des lumière les innombrables difficultés rencontrées médicaments composés) traduit en latin sous le par les traducteurs. titre De medicinarum compositorum gradibus investigan- e Les Arabes, qui empruntèrent beaucoup aux dis libellus; Gabir ibn Haiyan (IX-X s.) est l'auteur autres, ne s'intéressaient pas qu'aux seuls auteurs d'un Kitab as-Sumum (Livre des poisons) ; un ou- e grecs. Dès le VIII e siècle, le calife Harun al- vrage similaire de la première moitié du X siècle Rachid (766-809) invitait à sa Cour le médecin aurait été dicté en arabe à Ali az-Zayyat par ibn indien Mankah (en sanskrit Manikya) avec mis- Wahsiya, traduit d'un original nabatéen de Yar- sion de mettre en arabe des ouvrages de l'art thé- buqa; le médecin et philosophe Abd al-Latif 31 îeronymus £omplutensis HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
(1162-1231), de Bagdad, a composé un Kitab fi Kitab al-Talhir d'ibn Djanah (?-ca. 1040), médecin Usul (Traité de pharmacologie) avec un petit ré- judéo-arabe de Saragosse, qui donne les noms de pertoire de trente-et-une drogues; Aidamir al- drogues en six langues (arabe, persan, syriaque, Gildaki a signé un Kitab Durrat, compendium de grec, berbère, espagnol), le Kitab al-Mustaini cinq cent-soixante-dix noms de drogues végéta- (Traité de pharmnacologie) d'ibn Biklaris (XI- les, animales et minérales, avec les synonymes en XIIU s.), médecin juif d'Almeria, où les noms des persan, syriaque et byzantin; le médecin et bota- drogues simples figurent en six ou sept langues niste ibn al-Baitar (1197-1248), né à Malaga, mais (arabe, persan, syriaque, grec, latin, espagnol et, qui exerça en Egypte et en Syrie, s'est signalé parparfois, en dialecte de Saragosse), le Kitab al-Djami un commentaire sur la Materia medica de Diosco- (Recueil des drogues simples) d'al-Idrisi (P-1166) ride et, surtout, par un monumental Kitab al- qui cite les plantes avec leurs équivalents en six à Djami, ouvrage le plus connu de la pharmacogno- douze langues (dont le grec, l'hébreu, le turc, le sie arabe, où sont décrites quelque dix-huit cents kurde, l'indien, le castillan, etc.). drogues végétales, cent-trente drogues animales et L'empire musulman, de par son extension ter- cent-quarante-cinq drogues minérales; son élève ritoriale considérable, a introduit dans la théra- as-Suwaidi (1204-1292), médecin à Damas et au peutique des médicaments nouveaux provenant Caire, est connu pour son Kitab at-Tadkira, recueilde divers pays d'Asie et d'Europe. Ses savants ont de quatre cents remèdes et recettes, et pour son enrichi la science pharmaceutique par leur apport Kitab as-Simat, compendium des noms de plantes personnel sous la forme de préparations nouvel- médicinales le plus complet de son époque, avec les, d'opérations telles que la distillation et la per- équivalents en grec, syriaque, persan, berbère, colation et, surtout, par l'application de la chimie castillan et, pour l'arabe, la distinction entre à la matière médicale. En cela, l'apport du califat l'usage de Syrie, d'Egypte et d'Espagne. occidental ne le cède en rien à celui du califat oriental et, de même, la traduction n'est pas Dans le califat occidental moins présente à Cordoue qu'à Bagdad. En 951, par exemple, le médecin hispano-arabe Hasday Dans le califat de Cordoue également, l'art ibn Schaprut (915-970), ministre du calife de médico-pharmaceutique a été dominé par trois Cordoue Abd ar-Rahman III et fondateur de grands: Abulcasis (Abu 1-Qasim, 912-961) Aver- l'académie des sciences de la ville, s'attaquait à roès (Ibn Rushd, 1126-1198) et Maimonide (ibn une nouvelle version arabe de la Materia medica de Maimun, 1135-1204). Le Kitab at-Tasrif (Exposi- Dioscoride sur base d'un Codex grec offert par tion des matières) d'Abulcasis consacre une l'empereur de Byzance. Il fut aidé dans sa tâche grande partie aux extraits de plantes, aux remèdes par le moine médecin byzantin Nikolaos, dépêché simples et à la préparation des remèdes. Le Kitab par Constantin VII, et par un autre médecin cor- al-Kulliyat (Oeuvres complètes) d'Averroès, que le douan, al-Haitam. Au milieu du Xe siècle, ibn Moyen âge occidental latinisera en Colliget, com- Djuldjul, médecin de Cordoue, entreprenait à son prend des chapitres sur la pharmacologie et la tour d'améliorer la traduction du traité de thérapeutique. Son disciple, le médecin judéo- Dioscoride, publiant même une Explication des espagnol et rabbin Maimonide, a traduit en hé- noms de remèdes simples figurant dans l'oeuvre de Diosco- breu le Canon d'Avicenne et composé de nom- ride (983); quelque deux cents ans plus tard, breux traités, parmi lesquels un Kitab as-Sunum Dioscoride bénéficia d'une nouvelle version réali- (Livre des poisons) et un Kitab Sahr asma al-uqqar sée par Mihran al-Masihi (XIIe s.) sur le syriaque (Explication des noms de drogues) de quatre- de Hunayn ibn Ishaq, après l'échec d'une tenta- cent-cinq rubriques avec équivalents arabes, tive précédente d'un certain Salim al-Malati man- grecs, syriaques, persans, berbères et andalous. daté par Nadjm ad-Din Alpi (1154-1176), sei- Cette précaution reflète bien les immenses pro- gneur de Diyarbakir (Kurdistan). blèmes de communication auxquels est confronté Tous les classiques de la pharmacognosie le monde arabe. D'autres illustrations en sont le arabe, mais aussi toutes les traductions arabes du 32 ^ieronymus | HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
patrimoine pharmaceutique grec, l'Occident installait en 540, dans sa propriété de Vivarium, chrétien allait les découvrir lorsque la victoire sur une sorte d'académie monastique qu'il dota d'une les Maures aurait ouvert l'accès aux riches bi- riche bibliothèque. Dans son De institutione divina- bliothèques qu'ils s'étaient constituées. n/m, il incita les moines à traduire les meilleurs ouvrages de la littérature médico-pharmaceutique 5. L'ÉVEIL grecque. Ainsi naquit une première école de tra- DE L'OCCIDENT CHRÉTIEN duction en Occident. Ce n'est toutefois qu'au XI e siècle, avec l'arrivée en Italie de Constantin L'Europe occidentale, après avoir joui de la l'Africain (1015-1087), que la traduction prit son pax romana pendant près de quatre siècles qui véritable essor. Arrivé à Sáleme en 1065, après l'ont éveillée à la civilisation, retomba dans la bar- avoir acquis un solide fonds scientifique au cours barie avec la disparition de l'Empire romain de voyages en Orient, ce Carthaginois se conver- d'Orient (476). Livrée au chaos des invasions, elle tit au christianisme en 1070 et entra au Mont le fut aussi à celui de l'esprit. L'effort de Charle- Cassin, où il passa le reste de sa vie à traduire. Ses magne (742-814), fondateur d'une culture traductions latines des oeuvres d'Hippocrate et de d'inspiration latine d'essence chrétienne, ne brilla Galicn à partir des versions arabes restaurèrent que brièvement. Le flambeau fut repris par les l'étude de la science médicale grecque en Europe. monastères, qui concentrèrent la puissance cultu- Auteur lui-même d'un Glosario de hierbasy fármacos, relle jusqu'à l'apparition des premières universités il mit aussi en latin le Kitab al-ltimad (De la fiabilité au XIII1 siècle. Même les tenants de l'art de guérir des drogues simples) d'Ibn al-Djazzar (P-1004) étaient des moines et si la tradition pharmaceuti- sous le titre Über de gradibus et, en collaboration que ne s'est pas éteinte pendant cette période, avec son élève Johannes Afflacius ou Saracenus, c'est parce qu'elle trouva asile dans les couvents, le Kitab al-Malaki de Haly Abbas sous le titre Über où le religieux préposé à la pharmacie s'appela Pantegni (Tout l'art). couramment apoleamus dès la fin du X1' siècle. Avant de se retirer du monde, Constantin Pendant plusieurs siècles, pratiquement du VI1' au avait enseigné à l'Ecole de Salerne, créée au IX1 XII1, l'art de guérir fut ainsi entre les mains du siècle, où les diverses disciplines médico- clergé et les quelques écrits pharmacologiqucs de pharmaceutiques étaient exposées en grec, en la- l'époque sont dus à des ecclésiastiques: au béné- tin, en arabe et en italien. Elle attirait des savant dictin allemand Raban Maur (Rabanus,776-856) de toute l'Europe chrétienne et de l'Espagne juive les trois volumes de la Physica consacrés aux ma- et musulmane. La pharmacie y était déjà indépen- ladies et aux médicaments, à l'évêque de Rennes dante de la médecine vers 1076 et sa renommée Marbode (1035-1113) le lapidaire De gemmis qui repose en partie sur un traité de vulgarisation ré- décrit les vertus médicales de soixante pierres no- digé en dialecte napolitain auquel on a donné le bles, à la mystique allemande Hildegard von Bin- n o m de Regimen sanitatis Salernitatum (XI e s.). Jean gen (1098-1179) le IJber simplicis medidnae et le IJ- de Milan, médecin salernitain, le mit en vers latins ber ivmpo.fi/cie medidnae, etc. pour Robert, duc de Normandie, sous le titre De Au monastère de Monte Cassino, fondé par conservando valetudine (ca. 1100). Ce recueil de re- saint Benoît en 529, les moines médecins pou- cettes se développa au fif des temps pour devenir vaient puiser dans les collections d'écrits hippo- YAntidotarium Nicolai, lequel ne doit pas être con- cratiqucs et galéniques conservés grâce au zèle fondu avec le Dynameron (XIIIe s.), l'antidotaire de des copistes byzantins et des traducteurs syriens Nicolas Myrepsos, qui comprenait plus de deux et arabes. En ce qui concerne la pharmacie, ils se mille cinq cents remèdes grecs, romains, arabes, contentèrent au début de traduire en latin des juifs et chrétiens. formulaires de prescriptions. Dans le même Les médecins juifs qui participèrent à la fon- temps, l'homme d'Etat et écrivain romain Aure- dation de Salerne furent aussi parmi les premiers lius Cassiodorus (480-575) se retirait de la vie pu- maîtres des universités qui se créèrent à Bologne, blique, entratt dans l'ordre des bénédictins et Montpellier, Salamanque et ailleurs, dont £omplutensis 33 ieronymus HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
l'enseignement put bénéficier de la masse de peutiques des plantes {Summa naturalium), fournit connaissances libérée par les travaux du Colegio une nouvelle version latine du Canon d'Avicenne. de Traductores de Tolède. Dernier foyer de la En 1271, Moïse Farad) ibn Salim (latinisé Fara- culture arabe en Europe, Tolède avait été recon- gut), médecin juif au service de Charles d'Anjou, quise en 1085 par Alphonse IV de Castille et les roi de Naples, traduisit le Kitab al-Hawi de Rhazès, richesses de ses bibliothèques attirèrent les éru- qui sous le titre de Liber Continens connu une ex- dits des quatre coins de l'Europe. En 1135, traordinaire diffusion; une édition de 1486 y joi- l'archevêque Raymond y fonda un collège de tra- gnit un glossaire arabe-latin des noms de drogues. ducteurs où, pendant plus d'un siècle et demi, des En 1290, Abraham Tortuosiensis et Simon Ja- Italiens, des Français, des Anglais, des Juifs, des nuensis intitulèrent IJber de simplidbus medidnis leur Flamands s'illustrèrent aux côtés des Espagnols traduction de l'arabe d'un ouvrage de Sérapion dans un gigantesque projet de traductions. Le (ibn Sararbiyun, IXe s.). Le XIII e siècle vit aussi domaine médico-pharmaceutique eut la bonne paraître des versions en catalan (IJbre de les média- fortune de trouver un interprète de qualité en la nes particulars) et en hébreu du Kitab al-Adwiya personne de Gérard de Crémone (1114-1187) d'Ibn Wafid. Au tournant du siècle, Biaise Er- qui, arrivé à Tolède en 1167, apprit l'arabe et con- mengaud (dit Biaise de Montpellier), médecin de sacra les vingt dernières années de sa vie à la tra- Philippe le Bel, signa des traductions latines du duction en langue latine. Dans son immense pro- Kitab as-Sumum (Livre des poisons) de Maimonide duction (quelque soixante-quinze titres), la phar- et du Alaqala fi t-Tiryaq (Traité de la thériaque) macie est représentée par le Canon d'Avicenne, d'Averroès. A l'autre bout de l'Europe, le méde- avec son deuxième livre sur les drogues simples cin turc Ishaq ibn Murad (XIVe s.), auteur d'un et le cinquième sur les médicaments composés, livre sur les drogues simples (1390), mit dans sa XAqrabadin al-kabir, formulaire de médicaments langue le Kitab Taqwim (Almanach de santé) d'Isa composés de Rhazès, le Kitab alAdwiya du méde- ibn Djazla, médecin chrétien de Bagdad converti cin et vizir de Tolède Ibn Wafid al-Lahmi (999- à l'Islam. 1068) qu'il intitula De medicamentis simplidbus, le Kitab La fin du Moyen âge vit poindre les premières at-Tasrif du médecin cordouan Abu 1-Qasim az- traductions en langue vulgaire. Outre la catalane Zahrawi (P-1009) dont les livres 27 et 28 traitent déjà citée, en Allemagne, Hildegard von Bingen des drogues simples et de leur préparation. avait dicté en latin ses deux livres sur les remèdes L'expérience collective de Tolède ne doit pas simples et composés à deux moines chargés de éclipser l'effort de nombreux traducteurs qui les mettre en allemand (ca. 1155); en France, le e oeuvraient isolément. Stéphane d'Antioche (dit clerc augustin Jean Sauvage (XIV s.) traduisit le e Etienne le Philosophe, XII s.), originaire de Pise, Thesaurus pauperum, recueil de recettes thérapeuti- latinisa le Kitab al-Malaki de Haly Abbas sous le ques attribué à Pietro di Giuliano (dit Petrus His- titre Liber Regius (ou Regalis disposition, 1127) en le panus), médecin de Grégoire X, qui devint en complétant d'un glossaire grec-latin-arabe Medi- français Le Tresor des povres. Par ailleurs, des traduc- camentorum omnium breviarium. Abraham et Simon tions en arabe, comme celle de YAntidotarium Nico- e de Gênes traduisirent le vingt-huitième livre du lai dès avant la moitié du XIV siècle, montrent que Kitab at-Tasrif à'Abulczsis, qui traite de la prépara- l'art médico-pharmaceutique arabe, après avoir tion des drogues simples, en le baptisant Liber ser- nourri l'Occident médiéval pendant plus de trois vitoris. Le médecin et astronome Gérard de Sab- cents ans, venait à son tour s'abreuver aux sources bionetta (XIIIe s.) s'est rendu célèbre par ses tra- du savoir occidental. Ses jours, cependant, étaient ductions en italien de Galien. Stéphane de Sara- comptés et il devait bientôt succomber aux forces gosse retraduisit le Kitab al- Itimah d'Ibn al- humanistes qui, à partir de 1400, allaient marquer Djazzar en le baptisant Adminiculum ou Liber fidu- profondément tous les courants de pensée en Eu- dae de simpliàbus medidnis (1233). Le dominicain rope. allemand Albertus Magnus (1193-1280), auteur lui-même d'une encyclopédie sur les vertus théra- 34 ^ieronymus | HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
6. LE RENOUVEAU DES ESPRITS Malgré les attaques dont ils étaient la cible des Paracelse et autres Vésale, les auteurs grecs, latins Parti d'Italie, le mouvement humaniste gagna et arabes confinèrent à attirer les traducteurs, très vite toute l'Europe. La prise de Constantino- parmi lesquels beaucoup usaient encore du latin ple par les Turcs, en 1453, ne fit que l'accélérer et resté la langue de prédilection des lettrés et des l'amplifier avec l'arrivée d'une foule de savants savants de la Renaissance. En France, le médecin chassés des derniers bastions de l'hellénisme. La Jean de Gorris traduisit 1 'Alexipharmaca de Nican- médecine humaniste devint universelle grâce aux dre. Aux Pays-Bas, Johannes Guinterus (Jan liens scientifiques et culturels tissés entre les na- Winter) signa une version du De re medica de Paul tions par les universités, grâce aux grandes dé- d'Egine, qui fut révisée par le médecin et bota- couvertes révélatrices de remèdes (gaïac, mecheo- niste malinois Rembert Dodoens (dit Dodonée, can, etc.) venus du Nouveau Monde, grâce à 1517-1585) et publiée sous le titre Paulus Aeginata l'invention de l'imprimerie qui favorisa la diffu- a Joanne Guintero latine conversus a Remberto Dodonaeo sion des écrits médico-pharmaceutiques. Domi- adgraecum textum accurate collatus et recensitus (1567). née par quelques grands noms —l'Italien Fra- Une traduction latine des oeuvres de Paul d'Egine castoro, le Flamand Vésale, le Français Paré et, fut par ailleurs insérée par Henri Estienne dans sa pour la pharmacie, le Suisse Paracelse— elle remit collection Artis medicae principes (1567). Un autre en question les acquis de la science et s'employa à traité de matière médicale très en faveur auprès se dégager de l'emprise des Arabes. Paracelse des traducteurs fut celui de Dioscoride. Ermolao (1493-1541), qui était médecin et alchimiste, op- Bárbaro, patriarche de Venise et humaniste de posa sa théorie chimique —l'homme est un renom et donna la première traduction latine lui, composé chimique et doit donc être soigné par bien que faite entre 1481 et 1489, ne vit le jour des composés chimiques— à la doctrine galéni- qu'en 1516. La même année, Jean Ruelle (1471- que. Il expérimenta les vertus de toutes les plan- 1537), professeur à la Faculté de médecine de Pa- tes pour découvrir la cause de leurs effets phar- ris, publiait sa version Pedacii Dioscoridis Ana^arbei macodynamiques; il introduisit dans la thérapeu- de medicinali materia libri quinqué. D e u x ans plus tard tique des remèdes tirés du règne minéral et géné- paraissait une nouvelle traduction du médecin ralisa l'emploi de l'antimoine, dont les propriétés florentin Marcello Adriani (1464-1521) intitulée avaient été observées pour la première fois au Pedacii Dioscoridae de Medica materia LJbri Sex XVe siècle par le bénédictin allemand Basile Va- (1518), à laquelle succédèrent celle du médecin de lentin, médecin et chimiste, et exposées dans son Padoue Pietro-Andrea Mattioli (1501-1577) en livre Triumphwagen der Antimonii, traduit en latin 1554, celle de l'Allemand Johannes Haynpol (dit sous le titre Currus triumphalis antimonii. A partir du Janus Cornarius) intitulée Pedacii Dioscoridae Ana- XVIe siècle, la pharmacologie fut influencée par le %arbensis de materia medica libri V (1557) et, en 1598, mouvement chimique et l'effort porta sur la mise celle de Jean-Antoine Sarrasin (1547-1598), mé- au point de traitements médicamenteux plus decin à Montpellier, Pedacii Dioscoridis Ana^arbei scientifiques. C'est alors que la thérapeutique de Opera quae extant omnia. Le médecin et orientaliste la syphilis abandonna les cures purgatives classi- italien Andrea Alpago (P-1520), qui travailla ques pour les remplacer par le bois de gaïac, pré- longtemps au consulat de Venise à Damas, non conisé par le chevalier allemand Ulrich von Hüt- seulement révisa la version du Canon d'Avicenne ten (1488-1523) dans son opuscule célèbre De réalisée par Gérard de Crémone mais, en outre, guaiaá medicina et morbo gallico (1519), puis par les signa la traduction De limonibus d'un traité d'Ibn cures mercurielles. En France, c'est le botaniste et al-Baitar. maître apothicaire Nicolas Houel (1520-1584), auteur d'un Traité de la thériaque et du mithridate Des traductions latines se faisaient même à (1573), qui dirigea la phar dans la voie scientifique partir de langues vulgaires. Le médecin et bota- en créant à Paris, en 1576, un véritable enseigne- niste français Charles de l'Escluse (dit Clusius, ment de l'art d'apothicairerie. 1526-1609), remarquable polyglotte qui maniait avec aisance le latin, le grec, le flamand, l'anglais, 35 ^Kieronymus HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
l'allemand, l'italien, l'espagnol et le portugais, mit le titre ljes propriétés des simples, contenues en six livres à son actif de nombreuses traductions de ces trois de Diosconde, rapportées aux accidents qui peuvent adve- dernières langues. Ainsi, de l'italien, YAntidotarium, nir à chaque partie du corps (1569). Le médecin et sive de exacta componendorum miscendorumque medica- poète |acqucs Grévin (1538-1570) mit en vers mentorum ratione libri tres (1561) est traduit d'une français Ijes Oeuvres de Nicandre (1567). Antoine pharmacopée florentine, le Ricettario. Du portu- Du Pinct (ca. 151Ü-1566) publia Y Histoire naturelle gais, la version qu'il donna des Coloquios dos simplesde Pline traduite en français (1564). Sous la plume de de Garcia de Orta sous le titre Atvmatum et simpli- 1 Aicas Trembla}-, le De virtutibus (vel viribus) herba- dum aliquot medicamentorum apud Indios nascentium mm, faussement attribué au poète Aemilius Macer Historia (1567) fut le point de départ de multiples (70-16 av. J.-C) et publié à Naples en 1477, de- traductions en italien et en français entre 1576 et vint Ijes 1-leurs du livre des vertus des herbes (1588). 1619. De l'espagnol, il traduisit Y Historia medidnal Une traduction anonyme de Mésué l'Ancien, réa- de las cosas que se traen de nuestras Indias occidentales, lisée non à partir de l'arabe mais sur le Commenta- que sirven en mediana de Nicolas Monardès, qui de- rium J. I agautii de purgantibus medicamentis simplidbus vint De simplidbus medicamentis ex Ocdcentali Indialibri ¡I de Jean Tagaut (P-1546), doyen de la Fa- delatis, quorum in mediana usus est (1574), et le Trac- culté de médecine de Paris, parut sous le titre Ca- tado de las drogasy medianas de Christoforo Acosta, nons universels de Jean Mesne des simples médicaments qui devint Aromatum et medicamentorum in Orientali purgeants. India nascertium Über (1582). Comme pour témoi- Parallèlement se multipliaient les traductions gner du caractère universel ce l'art médico- d'ouvrages néolatins. Après une première version pharmaceutique de la Renaissance, il se trouva anonyme intitulée Ije Régime très utile et très profitable même un clerc mexicain, Juan Badiano, pour pour conserver et garder la santé du corps humain (ca. mettre en latin la matière médicale d'un codex in- 1495), le Regimen sanitatis de Salerne fut retraduit dien sous le titre Ubellus de medidnalibus Indorum en vers par l'avocat Geoffroy Le Tellier, qui en fit herbis (1552). le Retardement de la mort par bon régime ou conservation L'imprimerie, si elle favorisa la diffusion des de santé, jadis envoyé par l'école de Salerne au roi connaissances, engendra par ailleurs une nouvelle dAngleterre (1561). L'ouvrage Hortus sanitatis du classe de lecteurs qui n'entendaient plus le latin. Il médecin et naturaliste allemand Joannes de Cuba e s'ensuivit une demande accrue de traductions en (XV s.) parut à Paris dans une traduction ano- langue vulgaire. En France, les livres pharmaco- nyme, he Jardin de Santé (1501). Parmi les ouvra- logiques de Galien trouvèrent ainsi des interprè- ges néo-latins français, les Formulae remediorum qui- tes en Jean Canappe, médecin de François Ier, bus vulgo medid utuntur (1560) de Pierre des Gorris pour Deux livres des simples (V et IX) (1542), en (P-1560), médecin à Bourges, devinrent Les Formes Jean Bauhin (1511-1582), médecin protestant ré- et remèdes desquels les médedns usent en toutes maladies fugié à Bâle, pour Des simples, livre V (1544), en (1570) sous la plume de Jean Rivière; en 1574, la Martin Grégoire pour Les trois premiers livres sur laPharmacopoea du médecin humaniste Jacques composition des médicaments en général (1545), en Jean Dubois (dit Sylvius), professeur au Collège royal, Brèche (1514-1553), jurisconsulte, pour un Epi- fut mise en français par André Caillé (ca. 1515- tomé ou Abrégé des trois premiers livres De la Composi-1580), médecin-apothicaire à Lyon, qui mit aussi tion des médicaments (1545), en Hervé Fayard, mé- à son actif Ije Jardin mediana/, enrichi de plusieurs et decin, pour Galen sur lafaculté des simples médicamentsdivers remèdes et secrets (1577) traduit de YAlexikepus, (1548). L'humaniste protestant Michel Cop tra- seu auxiliaris hortus (1575) du médecin Antoine duisit sur le latin la Pharmada simplida (1532) de Mizaud; la Pharmacopoea (1577) de Laurent Jou- Paul d'Egine et le bénédictin François Mathée fit bert, médecin du roi Henri II et chancelier de de même pour Les six livres de Pedadon Dioscoridel'université de Montpellier, fut traduite par Jean- dAna^arbe de la matière médicale (1559), mis pour la Paul Zangmaistre sous le titre La Pharmacopée de première fois en français; dix ans plus tard, une M. L Joubert, ensemble les annotations de J. P. nouvelle version d'un anonyme parut à Paris sous Zangmaisterus (1581). 36 îeronymus | HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
Parmi les oeuvres néo-latines étrangères, une Guéroult (1507-1564) en 1548 (Histoire des plantes, place de choix revint à l'Italie où, au XVIe siècle, mise en commentaire par LJonard Fuchs, médecin), de Padoue représentait le centre de la science médi- Hervé Payard la même année (partielle, jointe à sa co-pharmaceutique. Les célèbres Commentarii in li- traduction de Galien), d'Eloi de Maignan en 1549 bros sex P. Dioscoridis de materia medica du médecin (Commentaires très excellents de l'histoire des plantes siennois Pietro Andrea Mattioli connurent plu- composés premièrement en latin par h. Fousch, traduits en sieurs interprètes, le premier n'étant autre que Du langue française par un homme savant en 1a matière), de Pinet, avec ses Commentaires de P. A. Matthiolus mé-Jean Belon en 1549 encore (Histoire des plantes de decin Senois sur les six livres de Pedadus Dioscorides M. L Fuchs, avec les noms grecs, latins etfrançais),de Ana^arbéen de la matière médicale (1561); il fut suivi Geoffroy Linocier (P-1620) en 1584. Deux ver- des Commentaires de M. Pierre André Matthiole méde- sions du Dispensatorium, sive pharmacorum confuiendo- rum ratio du botaniste Valerius Eberwein (dit cin senois sur les six livres de Ped. Dioscoride Ana^arbéen Cordus) parurent à quelques années d'intervalle, de la matière médicinale... mis en français sur la dernière édition latine par le médecin et botaniste Jean des l'une appelée Le Guidon des apoticaires, c'est-à-dire la Moulins (1530-1622) et d'une version partielle par vraie forme et manière de composer les médicaments Geoffroy Linocier dans son Histoire des plantes (se-(1572) par Pierre Coudemberg, médecin- lon Fuchs, Matthiolus, Gesneret al.) (1584). Le méde- apothicaire à Anvers et créateur du jardin botani- cin Pierre Tolet, condisciple de Rabelais, traduisit que de cette ville en 1548,1 l'autre par André l'ouvrage De radice purgante quam Mechioacan vocant Caillé, déjà cité, également intitulée Le Guidon des (1569) de son confrère italien Marcello Donati apoticaires en 1578. De Suisse vinrent des oeuvres de Theophrastus von Hohenheim (dit Paracelse) sous le titre Traité de l'admirable vertu et accomplisse- et de Conrad von Gesner (dit Evonymus Philia- ment des facultés pour la santé et la conservation du corps humain de la racine nouvelle de l'Inde Mechiaacan pro- tros). De ce dernier, le Thesaurus de remediis secretis prement nommée Rhaindice (1572). Lazare Boet mit (1552) fut traduit, pour la premiere partie, par en français le De Venenis eorumque remediis liberl'érudit Barthélémy Aneau (P-1561) sous le titre (Traité des venins, 1593) de Pierre d'Abano, mé- 'Trésor de Evonyme Philiatre de remèdes secrets (1555), decin et alchimiste de Padoue, et Isaac Constans pour la seconde par le docteur-régent de la Fa- (1564-1630), professeur de médecine à culté de médecine de Paris Sean Iiébault (1534- l'Académie protestante de Montauban, fit de 1596), sous le titre Quatre livres des Secrets et de la même pour l'Antidote des maladies pestilentiellesphilosophie chimique (1573); une traduction par- (1595) de l'humaniste Marsilio Ficino. Le chirur- tielle parut encore dans YHistoire des plantes (1584) gien Joseph Du Chesne (dit Quercetanus, 1545- de Linocier. Paracelse trouva des interprètes en 1609) traduisit d'un anonyme néo-latin le Traité de Jean Boiron, marchand lyonnais, pour son Traité la cure générale et particulière des arebusades. Avec du vitriol (1580) et en Lazare Boet pour son Traité des vertus et propriétés merveilleuses des vers, serpens, arai- l'antidotaire spagirique pour préparer et composer les médi- caments (1576). gnes, crapaux et cancres (1593). Les traducteurs s'intéressèrent aussi à plu- Dans le même temps, d'autres traducteurs se sieurs auteurs néo-latins allemands. C'est Jean penchaient sur des originaux écrits en langue vul- Chéradame (P-1543), médecin à Paris, qui se gaire. Du néerlandais, Charles de l'Escluse tradui- chargea de l'opuscule sur le gaïac d'Ulrich von sit le Cruydeboeck (1554) du médecin et botaniste Hütten, dont il fit L'Expérience et approbation... tou- flamand Rembert Dodoens sous le titre Histoire chant la médecine du bois dit guaiacum (1520) un andes plantes, en laquelle est contenue la description entière seulement après la publication de l'original. Les des herbes... qui viennent en usage en médecine (1557); du ouvrages du médecin et botaniste Leonhart portugais, il donna l'Histoire des drogues, espiceries et Fuchs, professeur à l'université de Tübingen, certains médicaments simples qui naissent es Indes et en tentèrent plusieurs traducteurs: son Historia stir- pium (1542), qui décrit une centaine de plantes 1 Celui de Paris ne fut créé qu'en 1576 par Nicolas médicinales, passa par les mains de Guillaume Houel. £omplutensis 37 ieronymus HIERONYMUS. Núm. 8. Henry VAN HOOF. Notes pour une histoire de la traduction pharmaceutique
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