Nouveautés Québec français - Érudit
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Document generated on 10/25/2022 4:26 p.m. Québec français Nouveautés Number 66, May 1987 URI: https://id.erudit.org/iderudit/45328ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this article (1987). Nouveautés. Québec français, (66), 9–15. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1987 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
changent, le récit couvre les années 1918- Le sujet de Baby-Boomers ne suffirait I4>*y*frh4> 1946, la manière de raconter, elle, demeure la même. certes pas à faire du volume un best-seller. Toutefois, la façon dont l'auteur campe ses La construction du récit est toujours aussi personnages et, surtout, l'humour qui ne se l'écran brisé conventionnelle. L'intrigue se résume tou- dément pas d'un bout à l'autre de l'histoire en Louise FRECHETTE jours à une série de menus drames familiaux font à coup sûr un roman plus que promet- Éditions de la Pleine Lune, longuement baignés de larmes. Dans cet uni- teur, un roman à lire. Montréal, 1986, 147 p. vers manichéen tributaire d'un réalisme plus Hélène MARCOTTE individuel que social, le monde apparait privé Postée à sa fenêtre, Raphaëla regarde de son épaisseur et de sa complexité. Il s'agit le berceau-cercueil Alexandre courir tous les matins. Ils ne se ici de plaire, de distraire. Lucie ROBERGE connaissent pas, ils échangent des regards. Sur le plan de l'écriture comme sur celui de Pierre Tisseyre, Montréal, 1986, 253 p. Un matin, elle lui fait signe de la main, il l'action, le roman d'Ariette Cousture ne pro- approche, ils se parlent. Le lendemain, voque aucun étonnement. Techniquement, On est un peu dérouté lorsqu'on aborde le Alexandre, pris d'une force incontrôlable, du travail honnête qui me plonge cependant roman de Lucie Roberge, le Berceau-cercueil, court vers cette fenêtre derrière laquelle il dans des abîmes de réflexion: comment prix Esso 1986, non pas à cause de la mise en aperçoit toujours Raphaëla. Au moment où il concilier la satisfaction de voir un produit situation, qui est fort bien réussie, mais en raison arrive juste devant elle, Raphaëla fracasse la québécois prendre un part du marché du de l'emploi d'un style, dirait-on, inhabituel, qui vitre de ses poings qui restent ensanglantés. best-seller et l'inquiétude de voir les lecteurs répond à des critères romantiques considérés Alexandre fuit effrayé. Il rencontre Florence bouder les oeuvres plus exigeantes sur le plan comme dépassés. Cependant, ses longues pé- pour la première fois dans un café. Elle essaie esthétique? Et Dieu sait que depuis l'automne riodes fleuries, surchargées de sons, de cou- d'écrire. Il lui confie son malheur, son amant les parutions québécoises de haute tenue leurs, de parfums et d'émotion, après nous avoir l'a quitté: il lui avoue plus tard le trouble qu'a sont nombreuses et diversifiées! agacés, nous séduisent par leur vaste mouve- provoqué sa rencontre avec Raphaëla. ment et nous entraînent, comme elles entraînent Voilà les trois personnages que Louise Fre- Marie-Andrée BEAUDET Rose-Aimée, dans un inlassable bercement ma- chette présente dans l'Écran brisé. D'entrée ternel. Car c'est bien de la démesure d'un amour de jeu, le lecteur se heurte à leur force, leur baby-boomers maternel que nous suivons les excès: Éléonore, complexité lui est exposée d'un seul coup, Réjean VIGNEAULT la mère possessive, aime d'un amour immodéré sans nuances. Les événements essentiels Quinze, Montréal, 1986, 283 p. sa fille Rose-Aimée, qui tente de s'arracher à n'occupent que deux pages du roman. Dans elle en se jetant dans les bras d'un engagé, l'Écran brisé, nous sommes devant un récit Comédien, auteur d'une quinzaine de piè- Etienne. éclaté. Lieu de manoeuvre du temps et de ces de théâtre dont Old Orchard?... Connais L'histoire de cet arrachement, de cette fuite l'espace, de focalisations et d'anachronies, le pas!, co-auteur de la série pour enfants Gro- loin du giron surprotecteur trouve ses motiva- récit devient une ligne fine, brouillée. Ce nigo et compagnie dans laquelle il jouait le tions secrètes dans la longue et pénible confes- deuxième roman de Louise Frechette n'est rôle titre, Réjean Vigneault se tourne mainte- sion-déposition soutirée à Éléonore par sa vieille pasune« mise en action», maisune« mise en nant vers le roman avec Baby-Boomers nourrice amérindienne, Anna. Nous parcourons écriture». Sa valeur réside dans sa capacité (encore un titre en anglais aux éditions ainsi la vie d'une femme forte, exigeante, de véhiculer par l'écriture des états d'âme par- fifteen!!). égoïste, qui n'hésite pas à se débarrasser de ticuliers aux trois personnages: la colère, Dans ce livre, l'auteur parle évidemment de son frère Charles, le préféré, qui se noie sous l'amour, la folie. Ils se baladent de l'un à l'au- la génération de la deuxième moitié du XXe ses yeux: de sa soeur Agnès, la mystique, qu'elle tre bordant toujours un abîme, celui de leurs siècle, celle des Beatles, des mini-jupes, «des pousse au monastère, pour enfin forcer son père vies: « Tout est silence. Tout est immobile. La hippies, des com m unes, du Peace and Love et à coucher avec elle et lui faire un enfant que, douleur est là. Sans mouvement et sans mot». du pot » (p. 109)... mais quinze ans après que en réalité, elle a conçu de son beau-frère. Rose- Seulement Raphaëla franchira le seuil du ces modes soient passés. Il s'attache ainsi à Aimée, cette présumée enfant de l'inceste, elle sien. On comprend fort bien sa colère, son cinq anciens du collège Saint-Basile, tous la récupère enfin pour son plus grand malheur. amour et sa folie. Pourtant ces états se justi- membres-fondateurs de l'ex-journal du col- Ce roman, qui raconte une tragique histoire fient moins bien chez Alexandre et chez Flo- lège, l'Albatros: Jean, acteur sortant de la d'Œdipe qui s'achève dans la mort, permet à rence dont on connaît à peine les vécus. dépression, marié et père de jumelles, Alain, l'auteur de se libérer de ses fantasmes et de Malgré un certain moralisme et quelques homme d'affaires divorcé et père d'un jeune passages de forte tendance psychanalytique, ses obsessions tout en livrant ses idées sur garçon, Sébastien, ancien joueur de hockey l'homme, le mariage, le sexe, la société. l'Écran brisé est un roman aussi fort que devenu entraîneur, Thérèse, surnommée puissant. Si l'écriture manque souvent de simplicité, en « Pat », divorcée et propriétaire d'un centre de particulier dans les dialogues, elle n'en contient conditionnement physique pour femmes, pas moins des bonheurs d'expression qui com- Cecilia PONTE ainsi que Ceci le, journaliste. Nous assistons à pensent pour certaines naïvetés de débutante. leurs déboires amoureux, professionnels, Lorsque Lucie Roberge aura su vaincre l'artifice financiers, partageons leurs espoirs et leurs de la parole, elle écrira des romans à la mesure joies jusqu'aux retrouvailles des finissants du de son talent. collège Saint-Basile d'il y a quinze ans. la les filles de caleb tome II. suite n'étant qu'une vaste conclusion plutôt Gilles DORION le cri de l'oie blanche décevante. Ariette COUSTURE Québec/Amérique, Montréal, 1987, 790 p. A voir comment le second tome des Filles LUCIE ROBERGE BABY- Btkan de Caleb a réussi, en quelques semaines seu- & Le berceau-cercueil lement, à se hisser en tête des parmarès, on réalise à quel point cette saga québécoise rencontre les attentes des lecteurs -en dépit de ses 790 pages- et à quel point aussi ce genre littéraire, voisin de l'univers des télésé- ries, est fortement implanté au Québec.
r 1»04M/W le désert blanc dJUi pour donner un ensemble quelque peu incohé- rent. À moins d'avoir autant de culture (littéraire, artistique, historique et géographique) que l'au- teur, le livre déroute car il ne prend pas le temps point à s'évader de la ville de Topos et se voit condamné à y demeurer. Quant au dernier récit, son protagoniste, envoûté par Rome, en dresse la topographie avec précision. Après une dizaine Jean ÉTHIER-BLAIS d'approfondir ses réflexions. Il est à noter cepen- d'années, toujours obsédé par sa Rome, il dé- Leméac, Montréal, 1986, 109 p. dant que certains passages n'en demeurent pas couvre sa vérité au fond d'un immense puits qui voyage d'hiver moins intéressants lorsqu'on parvient à s'y re- l'engloutit. Ainsi, dans les trois nouvelles, le désir Leméac, Montréal, 1986, 176 p. (14,95 $) trouver. d'espace des personnages les conduit à leur perte. De ces deux livres, le premier est celui qui Jean GUAY retient le plus l'attention; le Désert blanc, qui Hélène MARCOTTE regroupe cinq nouvelles d'inégale valeur, mar- saint-cooperblack que une autre étape de la quête d'absolu entre- Roger MAGINI prise par l'auteur dans le Manteau de Ruben Les Herbes rouges, Montréal, 1986, 136 p. le fils d'ariane Dariô et les Pays étrangers. Les différents per- (14,95 $) Micheline LA FRANCE sonnages, confrontés à une réalité décevante, Éditions la Pleine lune, Montréal, essaient, à travers leurs expériences et leurs 1987, 148 p. échecs, de combler le vide de leur existence Né en France en 1945, Roger Magini s'installe pour passer enfin à une autre chose et se retrou- au Québec où il travaille dans l'imprimerie et La nouvelle est un genre exigeant. «Faire ver, ailleurs ou en eux-mêmes. Dans l'ensemble, l'édition. En 1973, il publie un premier roman court, comme l'écrivait André Belleau, c'est vrai- cette recherche ne va pas assez loin, l'auteur Entre corneilles et Indiens. Trois oeuvres lui suc- ment faire autre chose». Créer en quelques li- ne parvient pas toujours à faire partager au lec- cèdent, dont un livre de poésie, l'Abcd'elles. gnes une atmosphère; en quelques pages don- teur toute la dimension des émotions et du trou- Avec Saint-Cooperblack, recueil qui regroupe ner à voir et à sentir le noeud d'un destin ou ble intérieur qui animent ses personnages. Le trois nouvelles, l'auteur exploite un thème uni- l'exceptionnel d'un moment cela demande du recueil débute cependant sur une bonne note que: l'appropriation de l'espace par trois hom- métier et une grande maîtrise des ressources avec le récit de la première partie de chasse mes étranges. Ces personnages, tous asociaux de l'écriture. Avec ce recueil de onze nouvelles d'un jeune garçon avec son père et des premiè- et solitaires, se meuvent dans des univers irréels qui explore avec bonheur les possibilités du gen- res désillusions qui font qu'à la fin il n'est déjà et insolites. re, Micheline La France relève le défi. plus un enfant et pas encore un homme. Dans La première nouvelle, qui donne le titre au Les personnages mis en scène n'ont en rien «le palmier», un homme perd son emploi et se recueil, introduit un personnage révolté contre l'étoffe des héros. Que ce soit Clément, le livreur retrouve face à lui-même avec le goût de tout la parole: «J'ai grandi dans un désir de silence» d'épicerie, ou Sylvestre, l'institutrice, ce sont recommencer à neuf et «Un début de réponse» (p. 24). Après avoir travaillé dans un salon funé- tous des êtres simples, engagés par les hasards nous entraîne en Tunisie où une Québécoise raire, puis dans une usine de confitures de de la vie dans une existence, en apparence, en vacances s'attend à ce que ce qui doit venir bleuets, il s'ancre comme garde-feu à Saint- banale. Des êtres solitaires, semblables à ceux vienne! Les deux plus longues nouvelles du re- Cooperblack, région dont il prend le nom. Dès que nous croisons tous les jours dans la rue ou cueil, «Delloise» et «le Désert blanc», servent son arrivée, il essaie d'apprivoiser les épinettes au travail. Pourtant, derrière ces fronts tranquil- de prétexte à un étalage de culture et de connais- qui peuplent l'endroit; il tente môme le mimé- les, des ombres s'agitent, des étrangetés se sances qui relègue au second plan l'essentiel tisme (p. 37), mais en vain. Afin de tuer le temps, mettent soudain à sourdre de l'ordre supposé du récit. Cet abus vise peut-être à se moquer il rédige alors quelques fragments de sa biogra- des choses. Comme dans le texte intitulé «l'Im- de la bourgeoisie et des milieux mondains. Le phie. L'alternance entre le narrateur omniscient, posture» où, dans un restaurant, un matin, un ton monocorde et l'écriture encombrée alourdis- qui parle du présent, et le narrateur «je», qui habitué du lieu remarque que la serveuse qui sent le rythme et ne permettent pas d'accéder procède toujours par analepses, rend parfois le est là depuis des années n'a plus les yeux de directement à la vie intérieure des personnages: récit quelque peu confus. Toutefois, elle écarte la même couleur. Est-ce bien elle? L'homme, «Le sourire de Mme Maisonneuve tenait de celui le risque de monotonie et, associée aux rares tout à son doute, en oublie ses lunettes. Le len- de l'Ange de Reims, par l'énigme, de celui de dialogues, maintient l'intérêt du lecteur. L'arrivée demain, lorsque le patron veut les lui rendre, il la Joconde, par la volupté ironique, de celui de d'une jeune aveugle, Shiny, trouble pour un ins- prétend qu'il n'en a jamais porté. Est-ce bien lui? la Justice de Strasbourg, par la mélancolie» (p. tant la solitude et la sérénité de Cooper B.. Ce- Si certaines nouvelles comme celle-ci ou plus 66) n'est qu'un exemple des prouesses méta- pendant, incapables de se comprendre vrai- encore celle qui donne son titre au recueil relè- phoriques de l'auteur. ment, prisonniers d'un silence devenu insuppor- vent du fantastique et si d'autres demeurent Voyage d'hiver, publié dans la collection «Vies table pour Shiny, ils se séparent. Cooperblack dans les limites du réalisme, toutes, par les trou- et Mémoires», relate les voyages de Jean Éthier- demeure seul, muet, presque déjà mort. vailles qu'elles manifestent sur le plan de la Blais en Europe; l'auteur «décrit ce qu'il a vu et Dans la deuxième nouvelle, «Un voyageur ar- construction ou de l'expression, réussissent à transforme ce vécu en miroir». Réflexions et des- chitecte», le héros, après avoir construit le cou- soutenir l'intérêt. Incontestablement, Micheline criptions, culture et petits potins s'entremêlent vent des mendiants pour le Maître, ne réussit La France sait raconter des histoires. Déjà, son premier roman Bleue, publié en 1985, avait dé- montré que l'auteur possédait sa langue et un ton personnel. Le Fils d'Ariane le confirme. Un Jean Éthier-Blais très bon recueil! Micheline I -t France Le désert blanc Marie-Andrée BEAUDET • » 1 r Fils d'Ariane si tu me reviens... ou la violence d'une mère Elizabeth CAMDEN Éditions la Pleine Lune, Montréal, 1986,255 p. (14,95$)
Elizabeth n'a jamais connu la tendresse Voilà deux recueils bien présentés, de bonne servateur omniscient en dispose allègrement d'une mère. Malgré ses pleurs, ses provoca- qualité, qui témoignent de la vigueur, de la vitalité avec une ironie joyeuse, parfois douce-amère, tions, ses prières, elle n'a récolté qu'indiffé- de la nouvelle, ces derniers temps, un genre non dépourvue de cynisme ou d'une certaine rence ou raclées. A seize ans, elle rencontre que l'on croyait agonisant. Pensons, entre au- dose de sadisme. Alan et s'épanouit enfin au contact de l'amour tres, à Des nouvelles du Québec, publié chez Vous suggérer la lecture de l'une plutôt que jusqu'à ce qu'une grossesse inattendue Valmont éditeur et qui regroupe dix nouvelles de l'autre? Je ne le pourrais pas tant la qualité vienne briser leur union. La solitude renaît déjà parues dans XYZ, avec présentations bilin- des quatorze nouvelles est constante. Pierre Tis- alors plus forte que jamais en dépit de l'en- gues (?), notes bio-bibliographiques, commen- seyre a trouvé un nouvelliste de grand talent. fant, peut-être à cause de lui. Et c'est la des- taires d'auteurs et glossaire. Pensons encore à Vite, que viennent d'autres recueils de Laurier cente aux enfers qui dure neuf ans. Neuf ans Plages (Québec/Amérique), recueil regroupant, Côté! Un divertissement qui fait réfléchir, c'est d'amour, de violence, de culpabilité pendant sur le thème de l'intitulé, quatre nouvelles de si rare! lesquelles Elizabeth ne survit qu'à l'aide de Gaétan Brulotte, Monique LaRue, Madeleine calmants, de drogues, de boissons. Neuf ans Monette et Sylvie Weil. Et on ne peut mentionner Gilles DORION avant de laisser son fils Keith à une famille tous les recueils individuels (plus d'une quinzai- d'accueil, avant de lui donner sa liberté sans ne) publiés depuis quelques mois. trop d'amertume en se disant: «S'il me revient, il sera à moi » (p. 236). Aurélien BOIVIN Cette autobiographie, traduite de l'anglais, nous fait découvrir le calvaire d'une mère abusive. Malgré l'horreur des actes posés, le r\JUsX lecteur ne peut s'empêcher de sympathiser je crée, donc Je suis... avec elle. à propos de Maude Laurier CÔTÉ Lise HAROU Hélène MARCOTTE Pierre Tisseyre, Montréal, 1986, 141 p. VLB éditeur, Montréal, 1986, 83 p. Rarement ai-je éprouvé un plaisir aussi com- Pour Lise Harou, la force du souvenir participe plet en lisant un recueil de nouvelles! Pourtant tout autant du réel que l'annotation du désir et le titre, énigmatique, Je crée donc je suis..., pa- des passions immédiates. Après Chroniques aimer raphasant Descartes, aurait pu laisser croire à souterraines (1981) et Devant l'étang (1984), 10 nouvelles par 10 auteurs québécois un essai, si, sur la page couverture, n'était inscrit Lise Harou fait paraître À propos de Maude, un (sous la direction d'André CARPENTIER) le mot «nouvelles». En un sens, je n'avais pas récit dans lequel Élisa évoque avec fébrilité et Quinze, Montréal, 1986, 187 p. tort car le premier texte, éponyme, présenté sous émotion sa passion pour Maude, une femme forme de lettre, constitue un essai sur la joie et dont la beauté et la sérénité ont laissé des traces crever l'écran la difficulté d'écrire. Les quatorze autres, toute- indélébiles dans sa mémoire: «À jamais je res- le cinéma à travers 10 nouvelles fois, justifient l'inscription liminaire, jusqu'à un terai en manque de sa splendeur». Il est des (sous la direction de Marcel JEAN) certain point, cependant, puisque plusieurs d'en- êtres dont le passage, même bref, est tout à fait Quinze, Montréal, 1986, 208 p. tre eux forment ce qu'il est convenu d'appeler déterminant pour la suite du monde. des «contes fantastiques», comme Jolis Deuils Divisé en quatre parties, le récit d'Élisa retrace Après la science-fiction, le fantastique, l'hu- de Roch Carrier ou certains des Contes pour les «moments fragiles» vécus entre les deux mour..., voici deux autres collectifs consacrés buveurs attardés de Michel Tremblay, avec en- femmes, l'attente, l'union, la séparation, aux- l'un à l'amour, l'autre au cinéma, deux recueils core plus d'adresse et de talent. Ce n'est pas quels succèdent des tentatives de rapproche- qui veulent, à partir de sujets imposés, écrit Car- peu dire. ment par liaison épistolaire. Dans la section fina- pentier, maître-d'oeuvre du premier, «inciter des Puisant son imaginaire au quotidien parfois le le, Élisa établit un bilan à partir de sa vie présente auteurs d'ici à écrire des nouvelles et finalement plus courant ou le plus «innocent», Laurier Côté avec un homme, Edouard, et des enfants; désor- engager une défense et illustration de cette pra- transforme celui-ci, par la vertu d'une écriture mais marquée par cette tendresse et cet amour tique souvent mésestimée.» L'un et l'autre re- singulièrement dynamique et efficace, en qua- désespéré avec cette femme sublime: Maude. cueils, avec les contraintes et obligations que torze «situations» étonnantes qui abasourdis- L'écriture pleine d'émotion et de sensibilité de les deux sujets imposés comportent, sont de sent le lecteur et le font s'écrier: Encore! D'un Lise Harou tente de cerner de plus près les fonc- qualité inégale, comme il arrive souvent dans fait normal, d'un anecdote ordinaire, il nous fait tions du désir à travers des souvenirs vivaces, des entreprises de ce genre. D'aucuns sont fran- passer, au moyen d'une gradation à la fois natu- des rêves et des délires et une attention délicate chement à l'aise dans ce genre d'écriture «sous rellement et savamment orchestrée, à une situa- pour ces instants privilégiés où un geste, une pression», d'autres ratent carrément leur cible tion anormale, à une fin insolite que ne laissait pose, un vêtement, une lumière particulière, un ou livrent des devoirs d'écoliers. André Major pas prévoir la mise en scène initiale. Jetant un décor singulier sont figés et immortalisés dans fait certes partie de la première catégorie. Sa regard en apparence neutre, imperturbable, in- des fragments mémorables. Le ton très intimiste nouvelle «la Grande Nuit blanche», qu'il veut différent sur ses personnages (même dans les renforce l'intensité du récit qui tient beaucoup l'épilogue à ses Histoires de déserteurs, se dé- deux nouvelles écrits au «je»), le narrateur/ob- plus du monologue intérieur que d'une narration roule dans une nature sauvage, austère, inappri- successive d'événements. À propos de Maude voisée où l'homme, qui a pourtant goûté quel- est un livre qui touche et qui dérange. Pour moi, ques heures de plaisir au contact d'une femme, il fait partie de mes lectures privilégiées. connaît une mort affreuse. Échec aussi de l'amour dans le récit cahotique (sous forme de journal fragmenté) de Monique Proulx et dans le très beau texte d'André Berthiaume, «Éliane AIMER Roger CHAMBERLAND et Fred», l'un des mieux réussis du recueil, avec celui de Marie José Thériault, «Mains-Maisons», ces deux derniers valant à eux seuls la lecture d'Aimer. Mais l'amour, dans tous les textes, est difficile, impossible. Les êtres ont peine à se rencontrer, à s'accepter, à accepter l'autre. C14**4> Quant à Crever l'écran, il contient dix nouvel- a double sens les écrites par des spécialistes ou des mordus Hugues CORRIVEAU et du cinéma. Il faut lire le texte, — le meilleur du Normand DE BELLEFEUILLE recueil, à mon avis, — de Jean-Pierre Lefebvre les Herbes rouges, Montréal, 1986, 240 p. sur le thème du double cinématographique, celui de Jean-Marie Poupart sur les amours d'adoles- Dans ce qui s'annonce comme un échange cents, amateurs de cinéma, celui de Nathalie de lettres dont on a délesté tout l'aspect formel Petrowski qui se déroule dans une salle de ci- et protocolaire entre deux écrivains de la «Nou- néma porno et qui réserve une finale étonnante, velle Écriture», on trouve plutôt une alternance bien préparée, ce qui est le propre de la nouvelle. de 42 chapitres brefs dans lesquels sont abor- Numéro66, mai 1987 Québec français 11
dées les notions théoriques développées depuis saga théâtrale avec son répertoire où se retrou- publiées de façon éparse, qui constituent ce li- le début des années soixante-dix au Québec. vent des à-côtés aussi bien loufoques que fran- vre-essai, une unité créée par la cohérence Le corps, la critique, le désir, la forme, le jeu, le chement tragiques. Sorte de reportage agré- même de la pensée kundérienne. À une époque langage, la lecture, la mon, le plaisir, le sens, le menté de plusieurs illustrations, ce livre possède où le roman (le roman littéraire et non celui de texte, autant de thèmes qui, compris dans un l'avantage de faire revivre avec honnêteté ces consommation de masse) est battu en brèche, index de 84 sujets, apparaissant en fin de volu- moments de pionnier. dans un monde où le rôle de l'homme est réduit me, sont étudiés et analysés sous l'angle des à sa stricte fonction sociale et où tout le domaine pratiques modernes d'écriture. Ce dialogue vif, Yvon BELLEMARE de «l'être» est plongé dans l'oubli, le travail du sous-tendant une certaine complicité qui, heu- romancier est précisément d'explorer, tel un spé- reusement, ne cède jamais à la complaisance, léologue, le secteur de l'existence. Le roman marque les limites de la théorie sans céder à doit, aujourd'hui plus que jamais, saisir et analy- des conceptualisations inopérantes. Au fur et à masses et postmodernité ser les possibilités de l'existence: possibilité de mesure que Corriveau et de Bellefeuille font acte sous la direction de Jacques ZYLBERBERG l'homme et de son monde caché («saisir l'es- de théorie, ils se laissent entraîner dans un mou- les Presses de l'Université Laval sence de sa problématique existentielle»), pos- vement spéculaire où les œuvres en train de Méridiens Klincksieck, Québec, 1986, 147 p. sibilité de l'être-dans-le-monde (in-der-Welt- s'écrire, — Scène pour Hugues Corriveau et sein), suivant la formule d'Heidegger. Lascaux pour Normand de Bellefeuille, depuis Écrit dans la foulée de deux colloques interna- Même s'il s'en défend dans son premier entre- publiées aux Herbes rouges —, tombent sous tionaux de sociologie tenus à Paris et Québec, tien avec Christian Salmon (deuxième partie du la coupe de l'analyse. Une certaine rigueur dans le recueil d'articles Masses et Postmodernité se livre), le regard que pose Kundera sur le roman le propos, la franchise des écrivains et le souci propose «d'élucider les notions floues de masse est éminemment philosophique. Cet essai est d'approfondir chacun des sujets abordés peu- d'état, qui organisent les rapports sociaux dans non seulement un événement, comme tout ce vent par moments rendre ces textes difficiles la société contemporaine». De fait, les 14 colla- que publie Kundera, mais c'est aussi et surtout mais commandent à coup sûr une relecture dont borateurs réexaminent, avec la méthodologie un document essentiel pour qui veut comprendre on retire le plus grand bénéfice. Les arguments qui leur est propre et dans un champ bien précis, ce qu'est la morale (l'ontologie) interne du ro- et contre-arguments développés de part et d'au- les rapports existant entre la société de masse man. tre nous engagent à revoir un certain nombre et les pouvoirs politiques. Les concepts mêmes d'idées reçues à propos de ces pratiques moder- sur lesquels reposent les approches sociologi- Guy CHAMPAGNE nes. L'épreuve à laquelle se sont livrés Corri- ques et politiques sont redéfinis en fonction des veau et de Bellefeuille, exigeante certes par la nouveaux enjeux de la «condition postmoderne» la reproduction humaine industrialisée haute tenue reflexive où ils se tiennent, est signi- qui se sont profondément modifiés et sont deve- ficative de la nécessité de faire un bilan sur plus nus plus complexes depuis quelques décennies. Jacques DUFRESNE de 15 ans d'écriture. Un livre intelligent, essen- Ainsi en est-il de la masse, du politique, de l'éta- IQRC, Québec, 1986,125 p. (Coll. Diagnostic) tiel, complémentaire à la lecture de leurs oeuvres tique, du capitalisme, autant de termes dont i! respectives. faut à tout prix remodeler les définitions pour L'inquiétude éthique que suscitent les s'assurer qu'ils sont relativement bien ajustés à développements prodigieux des bio-technolo- la réalité complexe à laquelle ils renvoient. La gies fait couler beaucoup d'encre. Les aver- Roger CHAMBERLAND tissements se multiplient dont le moindre, masse est le concept clé autour duquel prennent forme tous les articles; on étudie sa constitution sans doute, n'est pas l'éclatant refus du pro- et son mode de fonctionnement dans des domai- fesseur Testart de poursuivre son travail de nes aussi divers mais représentatifs de notre « chercheur en procréation assistée » (l'Oeuf le père émile legault et ses compagnons de transparent, Flammarion, 1986). saint laurent actualité que le politique, la religion, l'individua- lité, la double conscience individuelle et collecti- La dépersonnalisation de l'humain dès la Hélène JASMIN-BELISLE ve, la consommation et les modes de vie, la conception, les dérives eugéniques », la Leméac, Montréal, 1986,205 p. (Collection «Do- procréation technocratique et rentabilisée philosophie sociale et les médias. La rigueur et cuments») sont-elles pour demain? la densité des articles sont également remarqua- bles pour ce type de publication où l'on ne par- Le petit ouvrage, clair et agréablement lisi- C'est à la demande expresse du père Émile vient pas toujours à faire l'unanimité sur le noyau ble, de Jacques Dufresne fait le point de la Legault lui-même que l'auteure a entrepris de de départ. Au contraire, ici, chaque spécialiste situation avec précision et dans la sérénité. décrire la petite histoire des Compagnons de remarque la rupture épistémologique de la Partant de l'exemple décisif des seize vaches saint Laurent. Dès le début, grâce à des inter- «masse», comme thème ou slogan pour «se Holstein identiques obtenues à partir du views exclusives avec le créateur de cette jeune référer en permanence à l'égalisation des situa- même embryon dans une université du Wis- troupe des années 1940, on perçoit l'enthou- tions et des comportements individuels», et dé- consin, il rejette simplement et méthodique- siasme et l'espoir de celui qui anima, à une épo- cider de l'envisager dans la dynamique des rap- ment les faits, les principes et les risques. Le que où le théâtre au Québec n'était qu'un mot, ports sociaux et politiques. Une série d'essais nazisme aurait-il été précurseur? L'euthana- un groupe talentueux, assurance d'un avenir riches et diversifiés sur la société postmoderne sie sera-t-elle banalisée? « Un pouvoir autre- prometteur. de masse à lire pour l'intelligence et la pertinence fois réservé aux plus sombres tyrans: le droit La facture chronologique retenue relève les des propos. de vie ou de mort sur ses semblables, vient grandes étapes de cette formation théâtrale, de d'être démocratisé » (p. 12). sa corporation officielle le 29 mai 1940 au post- Une nouvelle forme de normalisation, une mortem des Compagnons. Tel un journal de Roger CHAMBERLAND aberrante rationalisation selon le modèle bord, l'auteure ne ménage pas les anecdotes industriel, risque de susciter la réalité imagi- qui marquent indéniablement toute vie de grou- née par Huxley dans le Meilleur des mondes. pe, et surtout celle-ci où l'instinct de l'animateur l'art du roman Comme pour le péril nucléaire, c'est la guide davantage les jeunes comédiens que ses Milan KUNDERA conscience de l'homme qui peut éviter le cau- propres connaissances de formateur d'acteurs. Paris, Gallimard, 1986, 200 p. chemar. Nous sommes donc acculés à la phi- Les nombreux déménagements de la troupe losophie, non pas vachement spéculative, jusqu'à «la grande embardée» de la maison de Le roman, depuis le Don Quichotte de Cervan- mais pratique, responsable et salvatrice des Vaudreuil ne gomment pas heureusement les tes jusqu'à l'Insoutenable Légèreté de l'être de valeurs humanisantes. Une réflexion appro- talents exceptionnels des comédiens qui affron- Kundera, représente la conscience existentielle fondie peut seule rajeunir et renforcer un tent les feux de la rampe, toutes choses qui de l'homme. Là réside l'essentielle utilité du ro- droit qui serait adapté aux défis que multiplie favorisent malgré tout un esprit d'équipe où éclôt man. Il me semble que cette formule pourrait la « techno-science » stimulée, mais aussi dans la sincérité généreuse plus d'une amitié. très bien résumer le projet de Milan Kundera déviée, par le profit. Les témoignages de la dernière partie confir- dans son récent essai, l'Art du roman. Il faut admirer la réussite de la synthèse ment en effet l'apport remarquable du père Le- Il ne s'agit aucunement d'un traité théorique claire et stimulante d'une somme considéra- gault dans le débroussaillement du théâtre d'ici. sur le roman, mais bien plus du regard que porte ble d'informations d'ordre pluridisciplinaire Cet ouvrage n'est guère une analyse des un des plus importants praticiens du roman sur avec une réflexion essentielle sur le devenir Compagnons de saint Laurent. L'oeil condes- son oeuvre et sur celle de certains de ses devan- de l'homme. Un livre utile d'un humanisme cendant de l'auteure reprend plutôt les multiples ciers (Cervantes, Proust, Kafka, Broch...). Il se direct et pratique. péripéties qui assaisonnent cette espèce de dégage de ces sept études, pour la plupart déjà Marcel VOISIN 12 Québec français Mai 1987 numéro 66
jpOUAt journal d'un autre Bernard GILBERT NBJ, Montréal, 1986, 31 p. tfcâfat Pourquoi est-ce qu'il est si difficile de garder une distance rassurante face à ce petit recueil? En décrivant le regard posé sur des gestes quo- la poésie québécoise/anthologie tidiens, on pourrait d'abord conclure à des affini- les larmes volées Laurent MAILHOT / Pierre NEPVEU tés électives. Ainsi apparaissent l'angoisse d'un Jacqueline BARRETTE l'Hexagone, Typo 7, Montréal, 1986, 642 p. individu, devant une réalité qui s'effrite, et le con- Leméac, Montréal, 1986, 119 p. trepoint à cette incohérence, le désir, ce désir (Collection théâtre) Nous avons déjà traité de cette anthologie de sortir, d'entrer en contact avec le réel, le désir importante, la plus satisfaisante et complète d'écrire. Au premier niveau, celui de la bouche, une pour le moment (Québec français, n° 43). La Une autre raison pour laquelle cette écriture pièce où deux jeunes femmes dans la trentaine voilà parue en poche, un poche quand même est immédiatement touchante est déjà indiquée ont «mal au fudge», dévorent des «croque-re- cher s'il doit servir dans l'enseignement, léger par le titre: comme dans tout journal intime, il y mords» et des «Laura Zencore», rêvent de rement modifiée: on a fait sauter certains a un individu qui s'adresse d'abord et avant tout «fruits défendus: des «jelly beans» jusqu'au auteurs plus anciens et effectué quelques à lui-même. La position du lecteur devient celle «pop corn», avec un goût de «manger... les murs ajouts Quelques textes aussi ont été chan- du «je» récepteur de son propre discours. Impli- avec de la sauce» en «rotant des nuages de gés. La bibliographie, un peu anarchique, a qué dans ce pacte du soliloque, il se voit con- calories». Le pied: se planter «le nez dans le été remise à jour. Outre le fait que les tomes III fronté à une image plutôt sinistre de soi-même chaudron, et le phantasme le plus excitant: se et IV du DOLQ ne sont pas cités, on ne s'en et découvre la lucidité de ce regard posé sur la vautrer dans «le gâteau aux carottes». Le dra- inspire jamais pour enrichir la critique. Com- réalité. me, c'est qu'il faut parfois descendre de «la ment ignorer par exemple les remarquables sainte table» et monter «sur la balance... sur Une des grandes qualités du style incisif, sec études de Marcel Bélanger sur Jean Aubert l'échafaud». de ce livre est la richesse sémantique qui donne Loranger. d'autant plus que cinq études seu- envie de consulter un dictionnaire pour mieux lement sont citées sur ce poète Et le reste à saisir tout ce qui se déplace dans cette parole. Dans la première partie, Francine, qui a l'avenant. Il n'en demeure pas moins que ce La voix fragile du «je» est constamment mena- mangé «du céleri à en avoir le teint vert tendre», livre mérite de figurer dans toutes les bonnes cée par l'immobilité, le silence des espaces «la chroniqueuse qui fait crunch», joue à cache- bibliothèques publiques et privées. Dans la blancs qui séparent les textes courts dont est cache avec elle-même et avec son psychana- même collection Typo, de même facture mais compose le recueil. Malgré le ton profondément lyste, se dissimule derrière ses boutades et ca- aux Herbes rouges, il faut souligner l'éclai- désenchanté/désespéré, ces poèmes arrivent à lembours, puis, progressivement, les larmes et rante étude d'André-G. Bourassa dont le «changer les allures de [l]a mort» et à valoriser la colère se mêlant aux mots, elle débusque les sous-titre est déjà significatif: Surréalisme et les «fissures dans l'attente». causes possibles de son immense fringale, de littérature québécoise I Histoire d'une révolu- Dans la mesure où Bernard Gilbert a réussi ses «bouffes suicidaires» et de ses rechutes tion culturelle. à transformer le journal intime avec son rapport dans les bras de «Sugar Prince». Mais elle re- André GAULIN infécond entre deux sujets identiques, en Jour- fuse de poursuivre cette mise à nu devant un nal d'un autre, il y a un résultat positif, puisque oeil scrutateur, clinique et «inhumain», devant quelque chose a changé à l'intérieur du «je» et un homme surtout, «un spécimen de la race des ces étirements du regard du lecteur qui a su s'immiscer dans le mouve- maîtres du monde, ceux qui décident que d'être Luc LECOMPTE ment du texte. grosse c'est laid». l'Hexagone, Montréal, 1986, 68 p. La deuxième partie amène l'échange avec Martin HERDEN Claudette, la grande et grosse amie depuis vingt Voici un regard méticuleux, s'égarant et fixe à la fois, comme celui du photographe qui nous ans. Chacune à tour de rôle fouille dans son approche, tel un zoom vers d'autres champs. passé, dans ses relations familiales et amoureu- Qu'il s'agisse des champs de la vie ou de la ses; elles repèrent les balises de leur chemine- mort, du désir ou de l'affirmation, le «focus» se ment personnel, questionnent leur amitié jusqu'à fait lucidement, en pleine conscience du corps, la déchirante croisée des chemins finale. Clau- avec ce libre rassemblement, ardu et investi, dette reconnaît dans la bouffe, ce «vice» trop qu'exige la poésie. visible, un «extincteur de peur», reprend le cycle Car il y a bien rassemblement dans cette poé- des diètes, consent à continuer de «jouer au sie de Luc Lecompte; par son élan qui part de yoyo jusqu'à la fin de [s]es jours. Amen». Fran- l'oeil vers le large, nous sommes appelés autant Les larmes cine opte, malgré les risques, pour les exigences de la lucidité face à elle-même et dans ses rap- qu'émerveillés, insinués dans les plis précis et les grands espaces de cet univers, avec tout volées ports aux autres. son silence et tout son étonnement. Une pièce sur l'obésité oui, mais ce pourrait Ces étirements du regard saisissent parfois être tout autant sur l'anorexie, la drogue ou l'al- des photos d'une grave beauté, si fragile («l'oi- Jacqueline cool. Il s'agit surtout d'une réflexion amusante, seau vacille les lumières, son mouvement zébré Barrette émue, complice, douloureuse sur ses propres de soir et d'inquiétude. La nuit installée en iris tricheries, ses dissimulations, ses compensa- sur ses paupières. Ses yeux étonnés d'oiseaux tions artificielles, le pourquoi de ses démesures, brefs...»), d'autres de grande lumière («Le jour les diverses tentations et formes d'auto-mutila- s'est levé de grand sapin[...] Soleil sur les ven- tion. Un discours sur les masques («ma couverte tres de rétines. Des matins tachés d'arbres. À de graisse») qu'on est si habile à fabriquer pour l'encre sur l'endroit des yeux; sur le pointu né- compenser des manques affectifs, pour se pro- cessaire des yeux larges, intensément»). téger du regard de l'autre, pour se mentir à soi- On peut sentir à certains moments une «sur- même, parce que la lucidité est difficile malgré charge» de lecture et s'inquiéter devant un les ivresses qu'elle procure une fois qu'on s'y rythme très constant, une forme si régulière astreint. qu'elle peut paraître moins évocatrice. Cepen- dant, cette poésie s'impose, prometteuse Gilles GIRARD («Quelque part, ton visage touché. Une part de nous-mêmes en passerelle sur les mots»). Une poésie des «yeux fertiles», pour reprendre ce beau titre d'Éluard. Marc SKARZYNSKI Numéro 66, mai 1987 Québec français 13
attention. Le chapitre sur l'écriture étonne, à oeuvrer dans l'enseignement du français lan- ^X^^Ce nous retient aussi, car il éclaire de manière parfois surprenante, par leur propre pensée, l'oeuvre d'auteurs connus. Certains chapitres l'écriture(s) y contiennent uniquement des gue seconde. Intérêt supplémentaire: à l'inté- rieur des deux premières parties de l'ouvrage, les auteurs ont fait suivre chacun de leur texte de notes et références bibliographiques qui citations sur le thème choisi, tandis que le s'avèrent une source de renseignements des champ d'autres chapitres (philosophie, so- plus riches pour quiconque souhaiterait appro- le Petit Retz des citations modernes ciété, sociologie) n'est pas clairement déli- fondir l'un ou l'autre des thèmes abordés. parC. LAVIGNE mité. Un mot, en dernier lieu, au sujet de la présen- Retz, Paris, 1986, 143 p. La lecture de ce volume nous laisse profon- tation matérielle de Didactique en questions: la dément insatisfaits. Ce n'est pas un recueil de mise en page est soignée et aérée, les textes Quand j'étais étudiante, il m'arrivait de citations, mais plutôt des notes de lecture, ce se lisent agréablement grâce, entre autres, aux consulter un dictionnaire de citations sur un que confirme l'auteure dans une post-face sous-titres, tableaux et croquis qui les parsè- sujet donné pour réfléchir à partir des pen- inattendue qui parle de partialité, de parti-pris ment. Par ailleurs, pour un lecteur qui ne serait sées des grands auteurs et parfois en choisir et de fruits de lectures d'une passionnée. Elle intéressé qu'à un point spécifique, l'ouvrage, de une, que j'intégrais à un travail à remettre. Je souhaite que le lecteur ait la curiosité d'aller par sa facture, facilite une consultation rapide. m'attendais à retrouver un peu le même genre lire l'oeuvre intégrale. C'est la grâce que je lui Donc, avis aux enseignants, aux étudiants et de livre en recevant celui-ci. Petit, 142 pages, souhaite aussi, s'il a le courage de le consul- à tous ceux qui s'intéressent aux langues secon- il regroupe mille citations divisées en quinze ter, ce livre, malgré sa présentation fausse et des: Didactique en questions est fait pour vous. thèmes présentés par ordre alphabétique au prétentieuse début du livre. Chaque chapitre ordonne les Denys LE VALLÉE citations par ordre alphabétique de noms Francine LABELLE d'auteurs. La sélection de ces citations a ceci de particulier qu'elle élimine tous les extraits de textes littéraires, tous ceux datant d'avant 1900 et ne retient que les textes français. Les thèmes les plus développés sont ceux de l'écriture, de l'esthétique, du langage et de la philosophie. Les auteurs les plus cités sont R. didactique en questions le Petit Retz de la pédagogie moderne Barthes, A. Breton, M. Foucault, A. Malraux. Collection Pratiques langagières, Monique ROSSINI E. Morin, F. Richaudeau et P. Valéry. textes réunis par Françoise LIGIER et Retz, Paris, 1986, 142 p. Les citations sont tirées d'oeuvres peu Louise SAVOIE, préface de Raymond LE- connues d'auteurs connus (Louis Aragon. Je BLANC, Sans préface ni présentation, le livre débute n 'ai jamais appris à écrire ou Les incipit), d'en- La lignée, Beloeil, 1986, 260 p. immédiatement par des termes disposés dans trevues accordées à des journalistes (Sime- l'ordre alphabétique. La plupart des termes rete- non) ou de livres récemment parus (Michel Théoriciens, praticiens, linguistes et didacti- nus relèvent de la pédagogie en général ou de Serres, Les cinq sens). En avançant dans ma ciens, voici réunis à l'intérieur d'un même ou- la linguistique, de la lecture, de l'informatique et lecture, j'ai rapidement constaté que certains vrage 22 spécialistes en français langue secon- de la statistique. Les définitions vont de l'explica- noms d'auteurs revenaient souvent dans plu- de. Leur contribution: «apporter non pas une tion générale avec applications dans les domai- sieurs chapitres, qui parfois regroupaient réponse unique, mais une foule de réponses nes de la pédagogie et de la psychologie à l'ab- sept ou huit citations d'un même auteur (P. parcellaires, satisfaisantes» à différents aspects sence totale de définition. Boulez, dans le chapitre sur l'esthétique): ou de la didactique du français langue seconde. Aux définitions formulées s'ajoutent parfois peu de gens ont réfléchi à certains sujets ou il À l'intérieur de treize textes, regroupés en trois une évaluation de l'efficacité du domaine n'y a pas eu de véritable recherche sur les grandes parties (mise au point - questionne- concerné (exemple: audio-visuel) et une biblio- auteurs choisis. De plus certaines citations, ments - prospectives), le lecteur retrouvera des graphie en général incomplète et citée sans tenir dont celles sur l'intelligence, sont simplistes, sujets très en vogue dans le milieu à l'heure compte des normes de présentation habituelles. d'autres, parailleurs, sont incompréhensibles actuelle: l'approche communicative, la prise en Les définitions touchant la lecture sont compo- hors contexte. compte de l'apprenant, les relations entre langue sées de citations accompagnées des seules ini- et culture, la grammaire, le vocabulaire, l'évalua- tiales F.R. sans explication additionnelle. Alors que le chapitre sur l'imaginaire nous tion, la correction à l'oral, le rôle de l'enseignant, etc. Somme toute, une panoplie de points de Même si cette présentation, par son manque laisse sur notre appétit par sa brièveté, les vue susceptibles d'informer, d'alimenter, de met- de rigueur, de clarté, de précision et d'uniformité, chapitres sur la lecture et la psychologie, à tre à jour, voire d'initier tout intervenant appelé m'a fait douter du sérieux des Éditions Retz, j'ai cause de leur actualité, retiennent notre lu ce livre de la première à la dernière page pour évaluer ce que je pourrais apprendre et le plaisir que je pourrais tirer à le consulter. En informati- que, les définitions ont éclairé la profane que je 5JJ PE1 • LE PETIT suis; en linguistique, elles m'ont rafraîchi la mé- moire; sous certains noms (ex.: Piaget, Claparè- de), on présente un résumé de leur pensée; sous le nom de Decroly, j'ai appris que ce spécialiste était inventeur des centres d'intérêt et le diffu- seur de la méthode globale de lecture. des citations de la pédagogie L'ouvrage, je l'ai dit, est très mal présenté, mais il nous informe sur des termes touchant modernes moderne w Vu C LAVIGNE notre réalité quotidienne d'enseignant. Après de multiples recherches, j'ai enfin trouvé que les Éditions Retz venaient de l'ancien Centre d'étu- des et de promotion de la lecture et que le direc- teur en était François Richaudeau, plus haut mentionné (F.R.). Que les seules définitions O sous forme de citations mettent en valeur le nom du directeur des éditions ne fait que confirmer mes doutes quant au professionnalisme de cette maison. Francine LABELLE 14 Québec français Mai 1987 numéro 66
le petit code raux et particuliers de la sémantique et plus Pour devenir Docte Rat, il s'agit de répon- code syntaxique et orthographique spécifiquement du lexique français. S'autori- dre à des questions appartenant à quatre Suzanne MARTIN et Jean-Pierre ISSENHUTH sant de la psycho-systématique et de la séries (petite colle, érudition, mini-test et bon Les Éditions HRW, Montréal, 1986, 226 p. psycho-sémiologie, l'auteure en arrive à mot) et de terminer les trois parcours déjà démontrer d'une façon particulière brillante, mentionnés. La case de la table de jeu où Voilà un outil qui ne pouvait tomber plus à autant pour l'initié que pour le pur profane, la s'arrête le pion dechaque joueurdétermine la propos entre les mains des professeurs de fran- mécanique essentielle qui présidée l'élabora- série de questions à laquelle il doit répondre. çais. Les auteurs du Petit Code nous proposent tion de tout surgissement du sens dans les La variété des cases fait que chaque joueur là un complément indispensable au programme mots ainsi qu'à la multiplication de ce sens à doit éprouver ses connaissances dans les de français du secondaire; on y trouve même le travers les synonymes, homonymes et autres divers domaines couverts par les quatre découpage des acquisitions de connaissances représentants de la fonction de nommer. séries, soit la langue française, la littérature et orthographiques et syntaxiques pour chacune Le résultat en est un manuel somme toute québécoise et française, le cinéma, l'histoire, des classes. assez complet de toutes les questions que la géographie, la musique, le sport, la politi- Il existe peu ou prou d'ouvrages de référence l'on peut voir surgir à l'occasion de l'applica- que, les sciences naturelles et même les aussi pertinents que celui-ci concernant la gram- tion pédagogique de l'enseignement du lexi- mathématiques. maire au secondaire et il suffit de l'éprouver sous que. Car ce n'est point là la moindre qualité de Les questions sont de difficultés diverses, divers aspects pour se rendre vite compte que cette étude que d'être une mine de mille heu- et donc de pointages variés, allant des cartes sa conception révèle une intelligence aiguë de reuses trouvailles, tant dans ses graphiques jaunes, les plus faciles, aux cartes bleues, les la problématique de l'enseignement du français. que dans ses formulations, en ce qui concer- plus difficiles, passant par les cartes rouges, Dans l'avant-propos, on prétend que le Petit ne la pédagogie appliquée de la lexicologie, de difficulté moyenne et les cartes orange, Code est un instrument complet; il l'est. Qu'il est et quel que soit par ailleurs le niveau de l'en- qui portent sur les questions de la langue. A simple; en effet, remarquablement simple et seignement (pour tout dire, en vérité: de ces cartes de jeu proprement dites on a joint clair. Qu'il est facile à consulter; tout à fait. Qu'il l'élémentaire à l'université). des cartes blanches- Quefais-je»? «compre- est utile; il y a gros à parier que chaque profes- À recommander, en conséquence, aux pro- nant des consignes diverses telles celles seur qui l'aura en main en fera définitivement fesseurs de français de tous niveaux. L'au- d'ajouter ou d'enlever des points, de sauter un son vade-mecum. teure. qui avait déjà fait ses preuves avec de tour. Leur formulation, à l'égal de tout le jeu, S'il est vrai que les enseignants n'ont pas fini nombreux travaux savants de lexicologie ne manque pas d'humour (cf. le professeur d'épuiser les ressources du Petit Code, ce n'est hautement spécialisée, vient de nous donner d'économie K Mart (sic), spécialiste en éco- pas à eux que les auteurs s'adressent dans leur avec ce manuel non seulement un livre nomie marxiste). avant-propos mais bien aux élèves qui, pour tou- attendu mais sans aucun doute le plus beau et Le Docte Rat se joue individuellement ou tes ces raisons et bien d'autres encore, en tire- le plus utile de sa carrière. par équipes. Il permet de confronter, avec le ront grand profit lors de leurs productions. Jean-Marcel PAQUETTE sourire, ses connaissances générales à celles desesamis.de rafraîchir sa culture, celle qui Jacques OSTIGUY reste quand on a tout oublié... Monique LEBRUN le docte rat nous enseignons la littérature Les productions Ludica Inc., Association française des enseignants de Montréal, 1986. \1\/
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