Nouveautés Québec français - Érudit

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Nouveautés Québec français - Érudit
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Québec français

Nouveautés

Numéro 59, octobre 1985
URI : https://id.erudit.org/iderudit/48222ac

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Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

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Citer ce compte rendu
(1985). Compte rendu de [Nouveautés]. Québec français, (59), 8–17.

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                                                                     Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                     https://www.erudit.org/fr/
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tion de la Constellation du cygne. Il ne s'agit    elle laisse libre cours à son ambition et accède
                                                   pas d'un roman manqué, au contraire, l'amour       au poste de Supérieure. Mais, «se sentant
                                                   fou d'une Juive française pour un soldat           prisonnière [...] de la routine et d'elle-même»,
une enfance à l'eau bénite                         allemand en plein Paris occupé ne manque           la religieuse s'éprend d'un jeune veuf, Pierre
Denise BOMBARDIER                                  pas d'intérêt, tout comme le style qui nous        Gauthier, lors de vacances estivales. Devenue
Éditions du Seuil, Paris, 1985, 223 p.             saisit dès les premières lignes. Mais voilà le     enceinte à la suite de cette relation, Julie
                                                   hic: on ne se sent pas emporté par cette           quitte le voile pour vivre avec son amant.
Comment parler du premier roman de Denise          histoire; rapidement, on anticipe le dénoue-          Comme le démontre ce court résumé, l'au-
Bombardier? Comment porter sur cette œuvre         ment même si la fin proprement dite surprend       teur essaie vainement d'intégrer trois histoires
un regard dénué de tout préjugé? Ce texte          quelque peu. Le charme de l'écriture cède à        successives très inégales: le drame familial,
a soulevé jusqu'ici tant de passions et de         une impression de déjà vu.                         religieux et sentimental de l'héroïne. Ainsi la
polémiques qu'à vrai dire on le lit plus par          La trame romanesque se résume à une             structure du récit apparaît fort décousue. De
curiosité que par intérêt véritable.               histoire d'amour entre une Française qui ne        plus, le lecteur devine à coup sûr l'issue des
   De toute évidence écrit pour un public          dit pas un mot d'allemand et un Allemand           péripéties car Julie réussit à surmonter toutes
étranger à nos «manières», ce roman (dit)          qui, lui, ne connaît rien du français. Leurseul    les difficultés par sa «persévérance [...] à
autobiographique raconte, non sans un cer-         moyen de communication: le corps. C'est à          toute épreuve» et «ses capacités incroyables».
tain humour, les tribulations d'une jeune fille    ce niveau que le langage de l'érotisme prend       Dans le Tournesol, les ficelles éprouvées
née dans les années quarante, élevée par un        tout son sens, que l'orgasme est la lettre de      (l'amour victorieux, les personnages archéty-
père qui voue une admiration sans bornes           base de ce vocabulaire amoureux. Célia Ro-         pes, les tirades moralisatrices, l'idéalisation
aux Anglais et par une mère résignée, buveuse      serberg devient enceinte et se réfugie chez la     de la nature, la nostalgie du passé) ont un
à ses heures et joueuse de poker, flanquée         mère de son amant Karl-Heinz Hausen. Elle          impact bien mince, étant donné leur évidence
d'une famille. À l'école, les religieuses et les   décide de le rejoindre et se rend à son lieu       flagrante et leur utilisation excessive.
curés se chargent de l'éducation morale et         d'affectation où elle constate la véritable per-                                  [Pierre NADEAU]
spirituelle des jeunes filles, traînant avec eux   sonnalité de son amant lorsque celui-ci fait
leurs montagnes d'idées reçues et d'histoires      exécuter sous ses yeux son meilleur ami.
à dormir debout : que le rouge à lèvres est fait   Ayant jusque-là camouflé sa véritable identité
à partir de graisse de «nègres» n'est qu'un        juive, elle se dénonce et crie ses origines à      le rendez-vous de Strasbourg
exemple parmi tant d'autres tout aussi lou-        qui veut l'entendre. Hausen n'a pas d'autre        Catherine PAYSAN
foques. Mais, comme il fallait s'y attendre, de    choix, il la condamne et l'envoie, croix jaune     Denoël, Paris, 1984, 215 p. (14,95$)
cette horde inculte l'héroïne se distinguera.      à la poitrine, à la chambre à gaz. Mais cette
« Désireuse jusqu'à l'obsession d'apprendre»,      linéarité du déroulement n'est pas aussi conti-    J'avais retenu d'un autre livre de Catherine
elle relèvera le défi et «échappera à la loi du    nue puisque, à tout moment, l'héroïne revit        Paysan, Pour le plaisir, la sensualité et la
sexe et de son milieu» (page 4 de couverture).     des scènes du passé avec des membres de la         lenteur des mots, des images, du rythme de
Bravo!                                             résistance qui s'organisent à Paris, et qu'une     narration et de lecture. Catherine Paysan
   Dire que je n'ai éprouvé aucun plaisir à lire   magicienne lui donne sporadiquement les            prend plaisir à évoquer le passé, à se rappeler
Une enfance à l'eau bénite serait exagéré.         grandes lignes de son futur. Bref, toute cette     les détails de l'atmosphère, du décor et des
Denise Bombardier manie bien l'art de l'anec-      histoire nous convainc de la victoire de la        gestes de la vie quotidienne.
dote et fait montre d'un esprit gouailleur qui     passion de la mort sur celle de l'amour mais          Le Rendez-vous de Strasbourg, son plus
me plaît assez. J'ai tout de même trouvé ce        nous fait malheureusement regretter le « bon       récent roman, raconte l'histoire de deux per-
roman québécois ( ? ) terriblement redondant,      temps» de la Vie en prose.                         sonnages, Sarah, la Bretonne, et Ali, l'étudiant
«une autre page des belles histoires» de                                                              maghrébin, qui se sont aimés d'une vive
                                                                          [Roger CHAMBERLAND]
notre pays en devenir, une courbette envers                                                           passion de jeunesse pendant deux ans, à
la France, une façon détournée de dire : « Ex-                                                        Paris, dans les années cinquante.
cusez-nous, nous revenons de loin. » Je trouve                                                           Trente ans plus tard, Sarah donne rendez-
ce procédé franchement humiliant.                                                                     vous à Ali à Strasbourg pendant les quelques
                           [Caroline BARRETT]      le tournesol                                       jours précédant Noël. Sous la neige, ils se
                                                   Louise TREMBLAY-D'ESSIAMBRE                        promènent et se rappellent tour à tour leur
                                                   Éditions Guy Saint-Jean, Laval, 1984, 356 p.       enfance, leur passé commun et leur vie fami-
                                                                                                      liale, après leur rupture.
                                                   L'action du premier roman de Louise Trem-             A travers ces souvenirs, dans un foisonne-
la constellation du cygne                          blay-D'Essiambre est centrée autour d'un per-      ment de mots, de phrases élaborées, parfois
Yolande VILLEMAIRE                                 sonnage, Julie Martin, dont le destin est suivi    uniquement composées de relatives, la ro-
Les Éditions de la Pleine lune, Montréal, 1985,    durant plus de vingt-cinq ans. Dans son            mancière confronte le mode de vie, l'histoire,
179 p.                                             enfance, elle s'oppose à son père, responsable     le travail manuel et la place des femmes dans
                                                   à ses yeux de la mort accidentelle de sa           deux civilisations en apparence opposées.
L'impression que la Vie en prose (1980) mar-       mère. Après avoir été violée par un inconnu,       De ces deux mondes, des valeurs communes
quait un sommet dans l'œuvre de Yolande            l'adolescente décide d'entrer au couvent afin      émergent communication, travail, dignité,
Villemaire se trouve confirmée par la publica-     de se retrancher du monde des hommes. Là,          respect des personnes. Toutefois, le contraste

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  yj

   o
8 Québec français Octobre 1985
Nouveautés Québec français - Érudit
se poursuit dans le monde moderne, entre            expérimente avec curiosité ce qui peut ques-        la maîtresse d'école
deux chambres d'hôtel, ancienne et moderne,         tionner son existence (en terme de rapports         Guy DESSUREAULT
et par l'attitude superficielle des touristes qui   sociaux autant qu'affectifs) ; Albanel, grande      Quinze, Montréal, 1985, 174 p. (12,95$)
fréquentent ces hôtels et tous les pays du          amie de Sha, lui sert à l'occasion de bouée de
monde, dont ceux du Maghreb. Par la bouche          sauvetage. Gravitant à titres divers autour         Faisant la connaissance de Mme Lemieux,
de Sarah, Catherine Paysan critique avec            d'eux, il y a Almacolor, Trente, J.K. Eaton et      « la maîtresse de cinquième la plus redoutée
cynisme le mode de vie occidental contempo-         quelques autres, dont la nature des implica-        et la plus adulée de l'école Saint-Eustache»
rain, impersonnel et froid.                         tions cautionne les agissements des person-         (p. 30), Paul Vivier s'attache immédiatement
   Sur tout ce livre, plane l'image des anges et    nages principaux, au premier abord plutôt           à cette corpulente femme qui recèle sous des
de la mort qui rappellent que la vie actuelle       singuliers.                                         airs de marâtre une grande tendresse envers
n'est pas la plus belle. Il faut lire les quatre       Pourquoi parler tant de personnages? On          les enfants. Leur relation évoluant rapidement,
pages-choc de la fin pour saisir jusqu'à quel       n'est pas au théâtre. Ou peut-être que si, en fin   le jeune Paul en vient dès les premiers mois
point les souvenirs réinventent le passé.           de compte. Car ce qui particularisait déjà          de l'année scolaire à faire partie des intimes
   Si, pour vous, la lecture est plaisir des        l'écriture de Pauline Harvey dans le Deuxième       de l'institutrice, jusqu'à être invité quotidien-
mots, amplitude des phrases ou si vous êtes         Monopoly des précieux est encore en place           nement chez elle. Prise d'affection pour « son
fasciné par la recherche des origines, par la       ici, soit ce glissement constant de l'histoire et   petit oiseau aux cheveux de plumes» (p. 57),
vie des choses, vous aimerez le Rendez-vous         des protagonistes hors du réalisme anecdo-          l'enseignante l'intègre peu à peu à sa vie
de Strasbourg.                                      tique vers un riche théâtre imaginaire. L'in-       privée et lui taille une place enviable au sein
                            [Francine LABELLE]      vention de situations limites, où les person-       de sa famille. Entichée du garçonnet plus
                                                    nages sont soumis à des tensions physiques          qu'il ne l'est permis, elle en arrive à ne plus
                                                    et affectives très fortes, la construction sou-     pouvoir se passer de lui, si bien qu'elle décide
encore une partie pour berri                                                                            même d'enseigner la sixième l'année suivante
Pauline HARVEY                                      cieuse de décors traduisant la singularité des
                                                    atmosphères, donnent le ton au roman. Cette         afin de continuer à veiller sur lui. Au seuil de
Les Éditions de la Pleine Lune, Montréal,                                                               l'adolescence, Paul découvre progressivement
1985,166 p.                                         transgression du réalisme plat qu'opère l'écri-
                                                    ture de Pauline Harvey n'est pas qu'un effet        le sens caché de la vie en même temps que
                                                    d'écriture. Il y a du drame, là. Le quatuor que     les obligations découlant d'une affection sin-
En 1981 et 1982, Pauline Harvey publie coup                                                             cère mais singulièrement envahissante.
sur coup aux Éditions de La Pleine Lune             forment les personnages centraux, ces jeunes
                                                    qui vivent autant de passions fébriles que de          Avec la Maîtresse d'école, Guy Dessureault
deux romans: le Deuxième Monopoly des                                                                   nous livre un récit sympathique à la saveur
précieux et la Ville aux gueux. Son écriture        décrochages, sont fondamentalement curieux
                                                    d'une chose: trouver place dans le réel. Les        des années cinquante. Par le biais de l'inexpé-
surprend agréablement, autant par l'humour                                                              rience d'un jeune héros qui s'éveille douce-
qui l'habite que par l'intelligence du propos       questions traversent le récit, exactes et em-
                                                    barrassantes, questions de ville tourmentées,       ment aux mystères de l'existence, l'auteur
et de la mise en scène. Preuve évidente que,                                                            parvient avec aisance à nous faire redécouvrir
manifestement, elle sait écrire des histoires,      questions de nuit et de révolte. Tous voyagent,
                                                    vers Paris, l'Estrie ou Barney (avatar du grand     une période grise de notre histoire, sans
l'auteure se voit remettre en 1982 le Prix des                                                          pour autant tomber dans un excès de pessi-
Jeunes Écrivains du Journal de Montréal.            nowhere urbain contemporain), cherchant la
                                                    fuite autant qu'un abri possible. Le roman          misme ou de moralisation. Un premier roman
Encore une partie pour Berri confirme ce                                                                qui repose, de toute évidence, sur le plaisir
qu'annonçaient les romans précédents; il            nous emmène à leur suite ; nous fait partager
                                                    l'évidence de l'angoisse et le désir de s'en        de raconter!
poursuit admirablement cette jeune entreprise                                                                                      [Jeanne TURCOTTE]
romanesque.                                         sortir.
   Avant tout, ce roman, c'est des person-             Encore une partie pour Berri pourrait sem-
nages. Construit en séquences, comme une            bler un roman très noir et étouffant. Ce n'est
suite de sketches, le récit explore le réseau       pas le cas, Pauline Harvey préfère les voies
des différentes relations qu'entretiennent          de l'humour et de l'ironie au seul recours          l'assembleur
quatre amis/es — et quelques autres — de            tragique. L'imaginaire qui habite ce roman,         AUDE (Claudette CHARBONNEAU-TISSOT)
l'adolescence «à un certain âge (...) l'âge de      malgré la gravité de ses implications, nous         Le Cercle du livre de France, Montréal, 1985,
(se) marier» (p. 160). Alors que les deux           introduit à une dimension fondamentale de           157 p.
premiers romans évoquaient des lieux et des         l'écriture de l'auteure: le jeu. Déjà le titre
époques imaginaires, celui-ci a lieu aujour-        réfère au canasta, jeu de cartes que Sha            C'est sous le nom de «Aude» que Claudette
d'hui, à Montréal, ce qui a pour effet de           apprendra de Berri au début du roman. Au-           Charbonneau-Tissot a choisi de faire paraître
focaliser encore plus l'attention sur la singu-     delà des divertissements, la façon même avec        son roman l'Assembleur. Texte bref, aux
larité des personnages. D'abord, Sha et Berri.      laquelle les personnages abordent leur vie,         phrases courtes et syncopées qui donnent à
Ils font connaissance chez Eaton, au rayon          comme en marge des remords et des culpabi-          l'ensemble un déroulement rapide, l'Assem-
des jouets, dès la deuxième page du livre.          lités, témoigne de l'importance que Pauline         bleur est un roman, que l'on qualifierait bien
L'ambiguïté de leur relation, à la fois évidente    Harvey accorde à la fonction ludique. Jouer         plus de récit, dont la trame est très mince.
et incertaine, ajoutée à l'urgence des désirs       sa vie ? Pourquoi pas. Voilà une belle occasion     Jean-François, 17 ans, a décidé de se venger
qui les attirent réciproquement, occupe le          d'intelligence romanesque.                          de son père qui a déserté la maison i l y a dix
premier plan du récit. Bloc, pour sa part,                                        [Bernard GILBERT]     ans. Chacun des six chapitres présente en

                                                                                                                                              4Û
                                                                                 Guy DessuecUt
                          Pauline Harvey
                          ENCORE                                    La
                         UNE PARTIE
                         POUR BERRI
                                                                 maîtresse
                                                                  d'école

                                                                                                                                                yj

                                                                         Gn*ut
                                                                                                                                                o
                                                                                                            Octobre 1985 Québec français 9
Nouveautés Québec français - Érudit
alternance la version de ceux et celles qui          passées ainsi, à la merci des éléments, en            monsieur itzago plouffe
ont eu à vivre cette séparation : Jean-François,     vient à développer une perception différente          François HÉBERT
Alexandre (le père), Érika (la mère). L'un et        de la réalité dans laquelle surgissent une            Éditions du Beffroi, Québec, 1985, 96 p.
l'autre racontent les événements marquants           foule de personnages étranges dont on ne
qui ont abouti ou provoqué cette situation de        sait jamais s'ils sont réels ou inventés, tant la     L'éditeur présente ce livre comme « un récit
tension existant entres les trois et cette ven-      réalité et le rêve se côtoient dans ce roman          misanthropique écrit à la première personne
geance que l'assembleur (Jean-François) a            dense, qui n'est pas sans rappeler, par certains      où l'auteur, sans vergogne, nous provoque
placée dans la mémoire de sa machine avec            thèmes et par certaines situations, Louise            pour nous entraîner dans un monde inspirée
la complicité de sa mère. Ce qui détonne             Genest de Bertrand Vac et Un dieu chasseur            la fois par Lautréamont et Réjean Ducharme».
dans la lecture de ces trois versions livrées        de Jean-Yves Soucy. Avec ce roman, Alain              Dans sa dédicace, François Hébert, lui, parle
en deux tranches, c'est le même ton qui est          Gagnon, qui s'intéresse à l'ésotérisme et à           de «poème» et de «diablerie». De quoi re-
adopté, le même type d'écriture, comme si            l'occultisme, transcende le réel. C'est un som-       tourne-t-il?
l'un et l'autre des intervenants indépendam-         met dans son œuvre qu'il construit depuis                L'histoire débute dans la tergiversation et
ment de leur âge, de leur formation, de leur         1970, avec entêtement, presque à l'ombre de           l'injure: «Je vais vous la raconter (cette his-
sexe et de leurs perceptions rendaient leur          l'institution littéraire.                             toire) parce que je vous hais, lecteurs, pou-
vécu avec le même langage. C'est dommage                                           [Aurélien BOIVIN]       belles, creuses entités, fausses entités, dévo-
car on décroche même si, d'emblée, on avait                                                                rées de néant, rognures de pizza» (p. 9). Le
été séduit dès les premiers instants par cette                                                             propos se poursuit sur le même mode pendant
écriture de précision, ce rythme rapide et                                                                 près de cent pages. «Soyons (nous aussi à
saccadé. Également, i l y a une finesse et une
très grande subtilité dans l'esquisse psycho-
logique de chacun des personnages même si
les trois protagonistes ont choisi le «je»
                                                     ticXtt                                                l'image de Kierguelen de Trémarec, créateur
                                                                                                           et biographe de cet anti-personnage qu'est
                                                                                                           Itzago Plouffe) bon, méchant, sadique, maso-
                                                                                                           chiste» et disons que, si le projet d'ébranler,
comme mode d'énonciation. Cela n'empêche             voyage en irlande avec un parapluie                   par l'ironie, les conventions romanesques
pas de fournir dans chacune des versions             Louis GAUTHIER                                        n'est pas dépourvu d'intelligence, il ne s'en
des éléments qui nous permettent de con-             VLB éditeur, Montréal, 1985, 75 p.                    trouve néanmoins pas, dans le traitement qui
naître Érika, Alexandre et Jean-François.                                                                  lui est donné, d'une gratuité et d'une vacuité
                       [Roger CHAMBERLAND]           Partir pour aller voir ailleurs si j'y suis: c'est    à faire désespérer de l'intelligence même, à
                                                     ce que propose le narrateur d'un Voyage en            tout le moins des formes tortueuses qu'elle
                                                     Irlande avec un parapluie, le (trop?) court           emprunte ici.
                                                     récit d'un écrivain à la quête du «Grand                 Certains lecteurs s'acharneront à lire jus-
                                                     Quoi-Que-Ce-Soit» (p. 40) et de la route de           qu'au bout ce court texte parce qu'ils auront
le gardien des glaces                                l'Inde, afin de tenter d'écrire «un roman spiri-      déjà lu la prose de monsieur Hébert, Le
Alain GAGNON                                         tualiste» (p. 24), débarqué en Irlande, histoire      Rendez-vous ou Holyoke peut-être, et qu'ils
Pierre Tisseyre, Montréal, 1984, 169 p.              de s'accorder une trêve. Pourtant, c'est au           en avaient aimé, comme moi, la qualité d'écri-
                                                     cours de cette escale que le Montréalais              ture et la finesse de la remise en cause du
Lauréat du prix littéraire de la BCP du Sague-       entreprend son voyage intérieur; « personne           pacte romanesque. Mais ce sera en vain ; de
nay-Lac-Saint-Jean, 1984, ex-aequo avec Da-          ne sait où je suis, ce que je fais, personne ne       ce récit, à l'image de cet Itzago que le narra-
nielle Dubé et ses Olives noires. Alain Gagnon       sait qui je suis et c'est comme si je n'étais         teur qualifie lui-même de raté, n'émerge
poursuit lentement mais sûrement, avec ce            plus rien» (p. 21).                                   qu'une pénible impression d'ennui et d'échec.
dixième ouvrage, sa quête d'absolu. Ce roman,            « La verte Irlande... poètes en mal de sym-       D'une mauvaise plaisanterie!
sans aucun doute le meilleur de l'auteur             boles, l'Irlande est grise, noire et brune, l'exis-                        [Marie-Andrée BEAUDET]
saguenéen, étonne par sa rigueur de compo-           tence n'est pas symbolique, elle est plate et
sition et par la richesse de son imaginaire.         froide, mouillée et décourageante» (p. 38).
L'intrigue se déroule en plein milieu du lac         Gauthier ne nous convie pas à la découverte
Saint-Jean, au cœur du long hiver précédant          de l'Irlande des touristes et des cartes pos-
la Première Guerre mondiale. Le gardien des          tales. Son Irlande est triste, terne et pluvieuse,    traces
glaces, ex-avocat de «la ville inhumaine»            pareille à sa vie: «Je suis dans l'espace             EN COLLABORATION
forcé de renoncer à l'exercice de sa profession      incertain des limbes où tout s'embrouille et je       Sagamie/Québec, Jonquière, 1984, 174 p.
pour «une affaire» d'argent, peut-être une           pleure l'Irlande à travers mes larmes» (p. 41).
fraude ou un détournement de fonds, a préféré        Un roman autobiographique, au je-me-moi               La littérature est-elle possible en région?
à la prison les solitudes glacées du Nord, à         qui n'a rien d'agaçant, où l'anecdote, le spleen      C'est à cette question qu'ont voulu répondre
l'abri des fourberies de l'industrie humaine,        et les impressions du voyageur — traces de            treize écrivains et écrivaines de la région du
pour entretenir le pont de glace reliant, l'hiver,   l'itinéraire parcouru — concourent à une              Saguenay-Lac-Saint-Jean dans Traces, un
Péribonka à Roberval. Il vit isolé dans sa           réflexion sursoi. Un beau livre d'automne qui         recueil de nouvelles, premier ouvrage publié
cabane avec ses chiens et ses chevaux. C'est         permet au lecteur de goûter la douceur, voire         par les Éditions Sagamie/Québec. Pourquoi
justement en raison de cet isolement que le          le plaisir de la mélancolie.                          Traces? Parce que, comme on l'écrit dans
gardien des glaces, après plusieurs années                                             [Pierre HARDY]      l'Avant-propos, « chaque écrivain-e quia par-

'8                          AlAIN GAGNON

                                                                                                                  FRANÇOtS HhHI.Rl

                        Le gardien                                                                                    MONSIEUR
                                                                                                                   ITZAGO PLOUFFE

                         des
  V4J

  o                              ®

10 Quebec français Octobre 1985
Nouveautés Québec français - Érudit
ticipé à cette aventure l'a fait selon son idée,     où tout le monde se connaît. Dans son imagi-           voler». Les voisins, concernés, comme par
ses intérêts, ses préoccupations et sa manière.       naire, l'hiver et la nuit sont faites pour le         tout ce qui se passe au village, se divisent en
Chacun-e y a laissé sa trace, son empreinte           repos.                                                deux camps et discutent passionnément de
et scruté la réalité selon un angle très per-            Dans Sudeste (1962), son opera prima, il a         la question au Bar Japones. La difficile tra-
sonnel». S'ils n'avaient pas à se soumettre à        créé un personnage, El Boga, très près du              duction de la prose de Conti, à la limite du
une ligne directrice, ni à se conformer à une        vieux pêcheur de Hemingway, avec une mo-               langage poétique, est très aussi réussie. Peut-
orientationcommune, les auteurs de ces nou-          rale qui, tout comme dans le cas de l'Améri-           être, juste pour faire passer son message,
velles exploitent les mêmes thèmes : la mort,        cain, vient de son expérience. Comme chez              aurais-je aimé voir dans le texte français le
par exemple est omniprésente, repoussée ou           Conti : voyageur, marin (naufragé), chercheur          poème japonais servant d'introduction à l'é-
souhaitée, l'incompréhension entre les êtres,        inquiet de nouvelles voies. Dans les nouvelles         dition espagnole du livre: «Prunier à ma
la difficulté de vivre dans la ville anonyme,        de ce livre, il est question d'arbres, plantes,        porte/s'il m'arrivait de ne pas revenir/le prin-
«la ville inhumaine» qui bouffe êtres et             petits villages, et des routes qui les unissent.       temps toujours/revient. Toi, fleuris.»
choses, comme dans un tourbillon, la mono-           Tout est regardé avec l'attention méticuleuse                                    [Francisco JARQUE]
tonie, l'absurdité du monde... Les auteurs           qu'on investit pour identifier les personnages
s'interrogent et leur vision du monde est            d'une vieille photo de famille. Recherche et
souvent pessimiste. Le héros de Gil Bluteau
(«Trente-deux grenier-secondes») s'amuse
à jouer à la loto-suicide, le premier de l'an.
Les époux se séparent dans « le Procès» de
                                                     amour sont les deux composantes du style
                                                     de Conti. Son paysage est très proche des
                                                     collines de Pavese, de la Provence de Giono,
                                                     de YAmarcord de Fellini.
                                                                                                            i^CUMi          >dtu
Danielle Dubé, non sans essayer de s'auto-                                                                  voix off
                                                        Le monde est évoqué à travers le micro-             Dix poètes anglophones du Québec
détruire en présence de leurs avocats qui            cosme constituant d'une enfance très loca-
jouent le jeu. Suicide de Marie, dans la nou-                                                               Présentés par Antonio d'Alfonso
                                                     lisée à Chacabuco, à douze lieues de Bragado,          le Castor Astral/Guernica,
velle du même titre — sans doute la meilleure        en suivant un chemin de terre, au milieu
du recueil — d'Esther Dufour. Et Madelyne,                                                                  Pantin (France)/Montréal, 1985, 180 p.
                                                     duquel il y a un peuplier où s'arrêtait l'oncle
l'héroïne du «Voyage au bout de la nuit              Agustin, quand il était vieux. On découvre un
ordinaire» d'Elisabeth Vonarburg, est com-                                                                  Publiée en édition bilingue, l'anthologie Voix
                                                     monde panthéiste en grandissant avec le                off est une heureuse initiative des éditeurs
plètement désabusée, incapable qu'elle est           peuplier qui nous raconte ce qu'il voit et ce
de s'adapter au monde qui l'entoure. Même                                                                   Guernica (Montréal) et le Castor Astral
                                                     qu'il sent avec ses découvertes du monde               (France). Elle présente dix poètes québécois
«la Légende de Mémots» d'Yvon Paré, une              (« la Ballade du peuplier carolin»). C'est aussi
belle réussite de ce recueil, est tragique.                                                                 de langue anglaise, la plupart étant des immi-
                                                     l'arbre qui se sent comme un chemin vers le            grants de l'après-guerre, dont l'écriture est
D'autres textes sont nettement plus faibles et       haut, et qui s'accomplit quand le paysan
déparent l'ensemble. Dommage aussi que le                                                                   significative des divers courants qui animent
                                                     s'appuie sur son oncle pour s'endormir et, à           cette poésie anglophone. Pour chacun d'eux
correcteur n'ait pas plus de métier!                 son tour, rêver qu'il est un arbre. «Ma mère
                              [Aurélien BOIVIN]                                                             — deux femmes forment l'échantillonnage
                                                     marchait dans la lumière» est une évocation            féminin —, six ou sept pages, sauf Louis
                                                     de l'enfance, mais à travers la mère, ici identi-      Dudek qui en a onze, dont on peut lire
                                                     fiée à une azalée, qu'elle a fait pousser et qui       l'original anglais sur la page de gauche et sa
                                                     survit comme une mémoire de sa présence                traduction française sur celle de droite. Aux
                                                     sur la terre. L'enfant grandit, l'oncle vieillit, le   textes s'ajoute une courte notice bio-biblio-
la ballade du peuplier carolin. Nouvelles            chemin de Bragado a toujours douze lieues              graphique qui permet de mieux situer l'auteur
Haroldo CONTI                                        de terre pressée et, au milieu, il y a toujours        dans son contexte. Certains poèmes sont de
Traduites de l'espagnol par Annie Morran             le peuplier carolin. Pour la nature, un jour est       véritables révélations, ceux de Michael Harris,
VLB éditeur, Montréal, 1984, 169 p. (12,95$)         un monde, une éternité, les humains passent            Ken Norris, Jane Dick ou Antonio d'Alfonso ;
                                                     et la nature demeure.                                  d'autres ne dépassent guère le stade d'une
Haroldo Conti est un grand narrateur argentin           Tous les personnages du livre se con-               première lecture. L'ensemble reflète toutefois
qui faisait partie du nombre tristement célèbre      naissent et passent d'une histoire à l'autre.          une activité poétique dont on sous-estime
des «disparus». Justement à cause de sa              La temporalité d'un jour pour l'arbre équivaut         parfois l'importance et envers laquelle l'intérêt
renommée, sa mort fut confirmée par le gé-           à l'éternité, tout comme une journée pour le           du lecteur n'est pas toujours soutenu. Dans
néral Videla lui-même, pressé de questions           village.                                               une large étude récemment parue, Exil, Ré-
à son sujet, par les journalistes étrangers.            «Les douze lieues à Bragado» sont une               volte et Dissidence, Richard Giguère établis-
La lecture du livre dont il est question             évocation du village, selon une image de son           sait les points de convergence et de diver-
inévitablement devient une réflexion doulou-         oncle Agustin, héros de son enfance, coureur           gence entre poètes québécois et canadiens-
reuse, par l'antithèse écrasante qu'elle pose        increvable de la course annuelle, jusqu'au             anglais (1925-1955) ; cette anthologie reprend
au lecteur entre ce qu'on sait, sa mort, et          jour où celui qui fut enfant revient au village        donc là où Giguère s'est arrêté et donne à lire
les circonstances dans lesquelles elle s'est         pour ne plus voir son oncle que comme un               dix poètes contemporains qu'il y a tout avan-
produite : nuit, salles fermées, torture... et de    «vieil oiseau». «Ad astra» nous fait assister          tage à fréquenter. N'aurait-il pas été intéres-
l'autre côté l'écriture saine, le plein air, le      au conflit moral de Chacabuco, conséquence             sant d'inclure Léonard Cohen?
discours positif, la nature et les petits villages   des expériences de Argimon, qui «essaie de                                   [Roger CHAMBERLAND]

                                                                            Haroldo Conti
                                                                       peuplier carolin                                                           < &
                                                                              nouvelles
                                                                        ?ra
Nouveautés Québec français - Érudit
tfttëhc                                              duo pour voix obstinées
                                                     Pièce en 6 scènes de
                                                     Maryse PELLETIER
                                                     VLB éditeur, Montréal, 1985, 114p.
                                                                                                       des scènes parfois trop brutalement section-
                                                                                                       nées. La dialectique de fond mise en place
                                                                                                       sur le sens de la vie mérite d'être soulignée.
                                                                                                                               [Rémi TOURANGEAU]
alice & gertrude,
natalie & renée et ce cher ernest
Jovette MARCHESSAULT                                 Surgie avec la violence d'une rivière qui brise
Les Éditions de la Pleine lune,                      son barrage, cette pièce, créée en janvier
Montréal, 1984, 136 p. (9,95$)                       1985 au Théâtre d'Aujourd'hui, se présente
                                                     comme une interrogation d'une certaine soif       les neiges suivi de le bonhomme sept-heures
Le livre de Jovette Marchessault reprend le          de vivre. Deux voix intérieures, tout aussi       Michel GARNEAU,
texte de la pièce du même nom, créée par les         acharnées et têtues, clament le pourquoi et       VLB éditeur, Montréal, 1984, 121 p.
productions Vermeilles, à l'Atelier continu          le constat de plusieurs forces vitales inhé-
(Montréal), en octobre 1984.                         rentes à l'être. De là le titre quelque peu       Qui cherche des œuvres théâtrales hautement
                                                     musical Duo pour voix obstinées qui laisse        stylisées n'aura pas de peine à trouver les
   L'auteure a eu l'idée originale de réunir dans                                                      Neiges suivi de le Bonhomme Sept-Heures
                                                     supposer un dialogue de plus en plus sourd
le Salon littéraire de Natalie Barney, un salon                                                        de Michel Garneau. D'une contexture tout à
                                                     entre ces forces.
ouvertement lesbien, l'amie de celle-ci, Renée                                                         fait libre, ces pièces d'inégale longueur se
Vivien, puis Alice Toklas, accompagnée de                                                              présentent comme des fables hyperboliques
Gertrude Stein, enfin Ernest Hemingway, qui             En fait, l'œuvre de Maryse Pelletier est
                                                     construite comme une pièce musicale à six         écrites dans un langage tantôt imagé et tan-
arrive à l'improviste.                                                                                 tôt réaliste. La première constitue une in-
                                                     mouvements correspondant à six scènes sans
   Nous sommes en automne 1939 et la                 cesse ralenties. L'action établie entre trois     terrogation à la fois humoristique et tendre
guerre se prépare. Est-ce le pressentiment           personnages, Philippe, Catherine et Valentino,    sur l'hiver. Créée le 1 e r novembre 1978 par
de «prendre [prochainement] le train pour            passe successivement de l'allégro à l'andante,    les étudiants de l'École nationale de Théâtre,
l'enfer» (p. 112) qui fait parler Natalie et         au staccato, à l'adagio, au brillante con fuoco   au Studio du Monument National, la pièce
Renée de leur passion — un amour que                 et au grave. Ces indications de mouvements        est constituée d'une série de tableaux qui
Renée souhaiterait exclusif — et aussi de            musicaux accompagnent tour à tour les sen-        cherchent à « neiger» les mots et les phrases
leurs œuvres? On sait que Natalie a inspiré à        timents d'ignorance, de peur, de domination,      pour se rendre jusqu'au bord du silence et
Renée Vivien quelques-uns de ses plus beaux          de possession, d'orgueil et de tendresse qui      dire la solitude et le froid. Une image dyna-
poèmes. Devant ces femmes de lettres, Ernest         président à chaque scène. D'un rythme rapide      mique, traduite par le passage de personnes
fait d'abord l'éloge de la modernité dans            et saccadé à un rythme lent et solennel,          ou d'animaux, précède chaque tableau sym-
l'œuvre de celle qui fut longtemps son guide,        progresse un conflit amoureux qui passe par       bolique. Quelque dix actants disposés en
Gertrude Stein, pour ensuite revenir à ses           les principales phases de l'amour éprouvé.        chœur envahissent d'abord la scène puis
vieilles habitudes de dépréciation de ceux et                                                          tentent de trouver leur équilibre par des évo-
celles qui l'ont aidé. S'ensuit une rupture que         L'action se déroule en l'espace de cinq ans    cations poétiques sur l'hiver et des jeux de
Gertrude qualifiera d'historique. Alice Toklas,      (un an après chaque scène) dans des décors        dialogue sur la vie hivernale des ancêtres du
qui demeurera avec elle près de quarante             intérieurs. Elle fait évoluer le journaliste      pays. Un ange en raquettes et puis la femme
ans, restera autrement plus fidèle à cette           Philippe et la danseuse Catherine qui se          et le bûcheron, l'une restée au foyer, l'autre
écrivaine.                                           rencontrent au cours d'un reportage à Qué-        au plus profond de la forêt, à Noël, constituent
                                                     bec. Divorcé, Philippe s'amourache de la          des scènes centrales qui portent à nous de-
   Si elle évoque le milieu intellectuel des                                                           mander s'il faut aimer ou détester l'hiver.
                                                     jeune fille au point de la demander en mariage.
années trente, avec ses multiples références
                                                     Mais celle-ci refuse, acceptant toutefois de         Le Bonhomme Sept-Heures qui suit les
aux artistes de l'époque, — Colette, Cocteau,
                                                     vivre avec lui dans une maison cossue. Leur       Neiges est une fable à la fois douce et folle
Céline ou Joyce, — la pièce de Marchessault
                                                     cohabitation, entrecoupée de départs fré-         sur la peur et les mécanismes qui la sous-
rassemble d'abord des thèmes féministes : la
                                                     quents de Philippe, jette les amoureux dans       tendent. L'œuvre entrecoupée de musique et
connivence entre mère et fille, la difficulté
                                                     un malaise existentiel. Les discussions qui       de danses s'inspire de ce Bonhomme qui fait
d'être artiste pour une femme ou la vie ingrate
                                                     tournent en querelles et en accusations mu-       peur aux enfants. Elle apparaît comme une
de celles qui sont sœurs ou épouses de
                                                     tuelles leur rendent la vie insupportable, si     litanie fracassante de nos multiples peurs
« génies». Il faut dire, de plus, que l'auteur a
                                                     bien qu'ils finissent par se séparer. Mais au-    touchant le sexe, la religion, l'alcoolisme...
choisi d'insérer dans son texte de nombreuses
                                                     delà de leur séparation, leurs expériences        Les répliques données tour à tour par des
citations tirées des livres, réels, de ses per-
                                                     leur auront donné une raison de vivre re-         personnages isolés ou des ensembles, dé-
sonnages. Ce choix nous fait prendre con-
                                                     trouvée dans la valeur familiale.                 noncent ces peurs avec désinvolture et dans
naissance d'écrits pour la plupart méconnus.
                                                                                                       un langage assez vert. Par là, l'auteur cherche
   La publication d'Alice & Gertrude... com-            Le schéma classique de l'action dramatique     à «défoncer la peur» et à nous en libérer. Le
prend en outre des notes biographiques fort          trouve une certaine originalité dans l'oppo-      décor aux «couleurs de ruelles peuplées de
utiles car elles nous permettent d'entrer de         sition des caractères principaux. En dépit        cordes à linges pleines de vies» nous situe
plain-pied dans le salon de Natalie Barney.          des dialogues un peu simplistes et cahoteux,      dans une fête joyeuse de la folie qui tend à
                   [Marie-José DES RIVIÈRES]         l'œuvre ménage un intérêt dans la progression     démythifier sur un ton de morbidité des

                                                                       Maryse Pelletier
                              Jovette MareheMMaldt
                                                                          Duo pour voix
                     Alice & Gertrude,                                        obstinées                             Les neiges
                      Natalie & Renée                                           théâtre                            Le Bonhomme
                     et ee cher Ernest                                                                             Sept-Heures

  vu
  o                                                            jff ,
                                                                                                                   vlb éditeur

12 Québec français Octobre 1985
Nouveautés Québec français - Érudit
tabous et des abus de toutes sortes. Le              trop préoccupé à survivre, à tailler une place       aux critiques littéraires de jadis (Camille Roy
rythme saccadé rendu par des répliques en-           à sa mesure avec l'acharnement, l'audace et          et Albert Pelletier sont exclus), aux écrits
chaînées et brèves contribue à accentuer le          le courage de ceux qui se moquent bien des           autobiographiques ou à l'écriture féminine
thème central de la peur.                            chemins tracés d'avance. Yves Thériault,             avant 1960 (vg. Robertine Barry, Henriette
                      [Rémi TOURANGEAU)              comme plusieurs de ses héros, est entré              Dessaulles). En revanche, la période contem-
                                                     dans la légende. Ces entretiens viennent             poraine demeure bien représentée. Elle pour-
                                                     nourrir ce mythe d'un destin exemplaire. Merci       rait justifier, à elle seule, la publication d'un
                                                     à André Carpentier de nous offrir une partie         tel recueil.
*44*«l                                               de l'œuvre autobiographique à jamais ina-
                                                     chevée de l'un de nos plus grands écrivains.
                                                                                                                                        [Kenneth LANDRY]

                                                                                 [Maurice ÉMOND]
yves thériault se raconte. Entretiens
André CARPENTIER                                                                                          la quête antimoderne
VLB éditeur, Montréal, 1985, 188 p.                                                                       Jean RENAUD
                                                     essais québécois 1837-1983                           Éditions du Beffroi, Québec, 1985, 181 p.
Les lundis 19 octobre et 2 novembre 1981,            Anthologie littéraire
dans la résidence de l'auteur, à Rawdon,             compilée par Laurent MAILHOT                         Jean Renaud en est à sa première publication.
André Carpentier, sous la direction d'André          avec la collaboration de Benoît MELANÇON             Un extrait de l'essai qu'il nous présente au-
Major, enregistrait les confidences d'Yves           Hurtubise HMH, Montréal, 1984, 658 p.                jourd'hui avait paru, l'an dernier, dans un
Thériault. Plus tard, du 9 juin au 1 e r septembre                                                        ouvrage collectif, De la philosophie comme
1982, Radio-Canada MF les diffusait sur ses          L'essai, « le grand absent-présent» de la litté-     passion de la liberté/Hommage à Alexis Kli-
ondes en une série de treize entretiens et son       rature québécoise, a enfin droit à son antho-        mov, édité par les mêmes Éditions du Beffroi.
Service des transcriptions et dérivés de la          logie. Vraisemblablement, cette publication          Déjà ces quelques pages d'aphorismes réunis
radio les réunissait en treize cahiers de neuf       s'inscrit dans un ensemble plus vaste de             sous le titre « Poisons» situaient le champ de
à dix pages chacun. Ces entretiens sont              recherches sur l'histoire littéraire du Québec,      préoccupations de ce jeune auteur né en
maintenant publiés en un livre de cent quatre-       menées par le professeur Mailhot depuis une          1957: «On se regarde, on se scrute, on se
vingt-huit pages avec une brève préface de           dizaine d'années. Ses autres anthologies             moralise, et l'on édifie, petit à petit, cet écran
Michel Thériault, fils de l'auteur, une intro-       comprennent le Québec en textes (1980),              éternellement opaque entre soi et Dieu»
duction et des notes bien documentées                Monologues québécois (1980) et la Poésie             (p. 25).
d'André Carpentier, seize pages de photos            québécoise (1981). Comme les ouvrages pré-              Divisé en trois grandes parties («Sauve-
de l'auteur et de ses proches et un court            cédents, ce recueil s'adresse d'abord aux            tages», « Devant l'hérésie» et « Conversions»),
extrait d'Ashini.                                    professeurs et aux étudiants. Il comporte une        l'ouvrage est celui d'un moraliste qui ne se
   Des huit heures et demie d'enregistrement,        brève introduction qui explique les paramètres       sent pas accordé à son siècle ni à cette
André Carpentier a retenu environ six heures,        théoriques de l'essai, des indications biblio-       modernité qu'il est de bon ton de cultiver. On
apportant de nombreux changements en vue             graphiques et une présentation chronologique         se serait attendu à une critique serrée des
de faciliter le passage de l'oral à l'écrit. Ce      des textes dits «représentatifs» du genre.           dogmatismes à la mode, à une invitation à la
que le texte perd en spontanéité, en richesse        Cependant, à la différence des anthologies           remise en question, en somme à une pratique
rythmique, en exclamations, en rires, il le          antérieures, celle-ci met en valeur l'ubiquiste      éclairée du doute. Au contraire, ce qui heurte
gagne en clarté et en correction écrite. Mais        et l'insaisissable essai «littéraire», un genre      la sensibilité du philosophe, c'est précisément
ce livre ne pourra jamais remplacer la voix          protéiforme qui ne fait pas encore le consen-        la dispersion, l'éclaté, l'ouvert et le multiple.
même d'Yves Thériault, le charme du conteur          sus des fervents de la taxinomie littéraire.            Devant ce qu'il considère comme les er-
qui savait si bien retenir et toucher par mille         Même si l'on s'entendait sur une seule            rances et les aberrations de la pensée con-
artifices devenus une seconde nature.                définition de l'essai, comment pourrait-on           temporaine, Jean Renaud en appelle à l'« uni-
   Malgré tout, le texte demeure passionnant.        trancher la question de la littérarité des textes,   té» et au «sens». Le drame de l'homme
Thériault se livre avec un plaisir évident,          étant donné leurs « liens directs et privilégiés     moderne, c'est que, «depuis qu'il n'est plus
commentant sa vie et ses œuvres, nous                avec l'idéologie», comme le souligne Laurent         catholique, [il] n'a plus de conception du
donnant des informations précieuses sur son          Mailhot. Des glanures chez cinquante-sept            monde» (p. 89). L'auteur préconise donc un
entourage familial et social. Sa vie, comme          essayistes, répartis sur près d'un siècle et         retour aux valeurs qui assuraient cohésion et
son œuvre, est un exemple d'acharnement,             demi — d'Etienne Parent à François Charron           stabilité au monde. Retour à la tradition. Aux
de goût de vivre, de liberté farouche. A une         — ne peuvent fournir qu'un aperçu des méta-          notions de «péché», de «salut et de sainteté».
époque où tant d'autres vantaient les vertus         morphoses de l'essai depuis 1837. L'accent           «Au catholicisme comme sens de l'ordre et
d'un conservatisme politique, social et reli-        est mis sur le caractère personnel des écrits.       de la hiérarchie» (p. 106).
gieux, il écrivait ses Contes pour un homme          Les compilateurs retiennent d'abord les textes          Aux «diables» modernes et hérétiques que
seul, affirmant déjà non seulement son unique        qui tranchent sur les proses de la pensée            sont Barthes et Céline, Jean Renaud préfère
talent de conteur mais également son esprit          officielle d'une époque, de sorte que des            les voix réconfortantes et autorisées de
d'indépendance. Thériault n'a jamais été             écrivains ultramontains comme Adolphe Rou-           Charles Maurras, de Maurice de Guérin, de
l'homme d'une chapelle, d'un parti ou d'une          thier ou Jules-Paul Tardivel ne figurent pas         Jacques Maritain. C'est son droit. Qu'ajouter ?
idéologie; il n'en avait ni le loisir ni le goût,    dans l'anthologie. On accorde peu de place                                 [Marie-Andrée BEAUDET]

                                                                                                                                                < f t
                                                                                                                    ll-AN RENAUD

                                                                                                                                                  VJJ

                                                                                                                                                   O
                                                                                                             Octobre 1985 Québec français 13
Nouveautés Québec français - Érudit
125 ans de théâtre au séminaire                     sont savoureux, de même que les anecdotes           vieillir, du mystère du monde et de sa fascina-
de trois-rivières                                   montrant l'ambiance des coulisses. Par ail-         tion pour l'enfance. D'autres, comme celui de
Sous la direction de Rémi TOURANGEAU                leurs, ce travail donne une idée assez précise      Michel Leclerc, l'auteur d'Écrire ou la Dispari-
Avec la collaboration de Julien DUHAIME             du genre d'œuvres privilégiées: drames reli-        tion, sont plus préoccupés par les techniques
Éditions Cédoleq, Trois-Rivières, 1985,180 p.       gieux, comédies de bonnes mœurs... Agréable         d'écriture. Tous les entretiens ont leur intérêt
                                                    à lire et riche en trouvailles, il nous fait        et les préférences sont ici affaire d'affinités et
Publié à l'occasion du 125e anniversaire de         prendre conscience d'une activité artistique        de sensibilités...
fondation du Collège-Séminaire Saint-Joseph,        qui servit longtemps de tribune à l'idéologie          Gérald Gaudet n'en est pas à sa première
cet ouvrage s'avère une contribution essen-         cléricale et à ses valeurs inhérentes. Ce théâtre   publication. On lui doit un vibrant essai sur
tielle à l'histoire du théâtre régional. Le con-    ne fait pas exception; il se retrouve dans          les Écrits des Forges : Une poésie en devenirs.
tenu est extrêmement riche en faits histo-          d'autres collèges. Force nous est de recon-         Déjà se devinaient cette qualité de présence
riques, chronologies, anecdotes, photogra-          naître qu'il a permis à de nombreux partici-        à l'autre et ce regard passionné sur la réalité
phies et témoignages. Ces éléments, reliés          pants d'actualiser leur talent et de rendre à       de la fiction qu'il révèle avec une grande
entre eux avec homogénéité, retracent la            cet art l'honneur qui lui est dû. Le livre aussi.   maîtrise dans ce recueil de « voix d'écrivains».
petite histoire d'un théâtre négligé par les                                       [Denis GOULET]       Nul doute que son ouvrage deviendra un
chercheurs et souvent considéré comme un                                                                outil précieux pour qui s'intéresse à la littéra-
théâtre mineur. La réalité est autre. Des arti-                                                         ture car il permet tout aussi bien de parfaire
sans méconnus ayant œuvré avec de modestes                                                              sa connaissance d'un auteur que de découvrir
moyens ont su donner des représentations                                                                le tracé d'un nouvel imaginaire. De l'entretien
d'une qualité exceptionnelle.                                                                           à l'œuvre ou de l'œuvre à l'entretien, quel
   La forme de l'ouvrage est pour le moins                                                              que soit le sens de l'itinéraire que l'on adopte,
                                                    voix d'écrivains/entretiens                         la qualité du voyage est assurée...
originale. On a utilisé le cadre traditionnel       Gérald GAUDET
d'une pièce mi-comique, mi-tragique. Distri-                                                                                   [Marie-Andrée BEAUDET]
                                                    Éditions Québec/Amérique,
buée chronologiquement, chacune des par-            Montréal, 1985, 293 p.
ties correspond à une période relativement
distincte. Après le lever du rideau de              Pourquoi aime-t-on les livres? Pourquoi la
M. Duhaime, le lecteur suivra avec intérêt et       rencontre de certains textes s'incrit-elle dans
amusement parfois cinq étapes, depuis l'« âge       le tissu de nos vies comme, littéralement, des
héroïque» des débuts, en 1860, jusqu'à nos          événements qui souvent nous bouleversent            victor hugo
jours. La naissance d'un théâtre « didactique»,     et parfois nous révèlent à nous-mêmes?              Alain DECAUX
au milieu du XIXe siècle, a pour souci d'as-           Fervent lecteur, professeur de littérature et    Librairie académique Perrin,
socier l'art dramatique à «la formation intel-      critique littéraire, Gérald Gaudet a cherché        Paris, 1984, 1036 p.
lectuelle et l'éducation chrétienne». L'objectif    des réponses à ces questions en rencontrant
est réalisé non sans quelques péripéties. « Le      des écrivains qu'il aime et en cherchant, avec      À l'occasion du centenaire de la mort de
Temps des essais» (1885-1910) marque une            eux, à pénétrer cette magie des effets des          Victor Hugo, la communauté culturelle fran-
augmentation de la production avec quelque          jeux de langage, à mieux la cerner et par-          çaise a mis sur pied un programme commé-
124 représentations. La période (1910-1935),        dessus tout à la prolonger, par la parole,          moratif impressionnant pour rendre hommage
pourtant pénible économiquement, constitue          dans le lieu même de son élaboration. Dans          à celui qui s'impose comme le plus illustre
une époque relativement prospère. Mais c'est        l'avant-propos, Gérald Gaudet s'explique sur        écrivain français du XIXe siècle. C'est dans
entre 1935 et 1960 que l'activité théâtrale         son projet: «Il m'a semblé que cette façon          cet esprit que l'édition française consacre
devient la plus fébrile, marquant un «renou-        qu'on a justement dans l'entretien de parcourir     depuis un peu plus d'un an de nombreuses
veau théâtral». La qualité des spectacles           à deux l'intimité même de l'écriture pouvait        rééditions des divers ouvrages de Hugo, ainsi
augmente. C'est l'apogée du théâtre puisque,        donner le goût, tendre vers un livre, faire voir    que quelques essais fort intéressants sur
selon les auteurs, à partir de 1960 s'installe      et sentir de l'imaginaire qui bouge, se dis-        l'homme et son œuvre. Parmi ces travaux
une «dangereuse léthargie» causée par l'é-          tingue et se rapproche» (p. 11).                    consacrés à Hugo, il convient de souligner
mergence des médias et le renouveau de                                                                  l'exceptionnelle biographie réalisée par l'his-
                                                        L'auteur s'est entretenu avec vingt-cinq
l'éducation.                                                                                            torien et communicateur Alain Decaux.
                                                    écrivains, dont quatre d'origine étrangère
   Le livre décrit fort bien certains aspects       (Marie Cardinal, Flora Groult, Virgil Tanase           Avec la verve intarissable qui le caractérise,
formels et structuraux de nature à enrichir         et Georges-Olivier Châteaureynaud). Même            Decaux trace un vivant portrait de cet « homme
notre connaissance fragmentaire des activités       s'il est impossible de tous les nommer, signa-      océan» qu'est Victor Hugo. S'appuyant sur
para-scolaires dans les institutions d'ensei-       lons la présence d'André Major, Louis Caron,        des documents originaux et souvent inédits
gnement. En outre, il fait ressortir la collusion   Madeleine Ouellette-Michalska, Marie-Claire         (tel le manuscrit non censuré de l'essai d'Adèle
évidente entre l'idéologie du clergé et le          Biais, Lucien Francœur, Nicole Brossard...          Hugo, femme du poète : Victor Hugo raconté
contenu des pièces à travers une présentation       Certains entretiens sont très émouvants. Je         par un témoin de sa vie), le biographe recons-
critique des adaptations et de la censure           pense à celui d'Alphonse Piché qui, à partir        titue avec un rare succès tout le cheminement
liées aux œuvres. Certains passages concer-         des thèmes de son plus récent recueil, Dernier      de l'auteur des Misérables, depuis son enfance
nant le problème inusité du travestissement         Profil, parle avec gravité de l'angoisse du         jusqu'à l'apothéose finale de ses funérailles

•   »                                                           VOIX D'ECRIVAINS
                                                                             entretiens

                                                                              QUÊ»C AMf t!Wi»

    V4J

    O
14 Québec français Octobre 1985
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