Nouveautés Québec français - Érudit
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Document généré le 24 oct. 2022 09:28 Québec français Nouveautés Numéro 59, octobre 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/48222ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (1985). Compte rendu de [Nouveautés]. Québec français, (59), 8–17. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
tion de la Constellation du cygne. Il ne s'agit elle laisse libre cours à son ambition et accède pas d'un roman manqué, au contraire, l'amour au poste de Supérieure. Mais, «se sentant fou d'une Juive française pour un soldat prisonnière [...] de la routine et d'elle-même», une enfance à l'eau bénite allemand en plein Paris occupé ne manque la religieuse s'éprend d'un jeune veuf, Pierre Denise BOMBARDIER pas d'intérêt, tout comme le style qui nous Gauthier, lors de vacances estivales. Devenue Éditions du Seuil, Paris, 1985, 223 p. saisit dès les premières lignes. Mais voilà le enceinte à la suite de cette relation, Julie hic: on ne se sent pas emporté par cette quitte le voile pour vivre avec son amant. Comment parler du premier roman de Denise histoire; rapidement, on anticipe le dénoue- Comme le démontre ce court résumé, l'au- Bombardier? Comment porter sur cette œuvre ment même si la fin proprement dite surprend teur essaie vainement d'intégrer trois histoires un regard dénué de tout préjugé? Ce texte quelque peu. Le charme de l'écriture cède à successives très inégales: le drame familial, a soulevé jusqu'ici tant de passions et de une impression de déjà vu. religieux et sentimental de l'héroïne. Ainsi la polémiques qu'à vrai dire on le lit plus par La trame romanesque se résume à une structure du récit apparaît fort décousue. De curiosité que par intérêt véritable. histoire d'amour entre une Française qui ne plus, le lecteur devine à coup sûr l'issue des De toute évidence écrit pour un public dit pas un mot d'allemand et un Allemand péripéties car Julie réussit à surmonter toutes étranger à nos «manières», ce roman (dit) qui, lui, ne connaît rien du français. Leurseul les difficultés par sa «persévérance [...] à autobiographique raconte, non sans un cer- moyen de communication: le corps. C'est à toute épreuve» et «ses capacités incroyables». tain humour, les tribulations d'une jeune fille ce niveau que le langage de l'érotisme prend Dans le Tournesol, les ficelles éprouvées née dans les années quarante, élevée par un tout son sens, que l'orgasme est la lettre de (l'amour victorieux, les personnages archéty- père qui voue une admiration sans bornes base de ce vocabulaire amoureux. Célia Ro- pes, les tirades moralisatrices, l'idéalisation aux Anglais et par une mère résignée, buveuse serberg devient enceinte et se réfugie chez la de la nature, la nostalgie du passé) ont un à ses heures et joueuse de poker, flanquée mère de son amant Karl-Heinz Hausen. Elle impact bien mince, étant donné leur évidence d'une famille. À l'école, les religieuses et les décide de le rejoindre et se rend à son lieu flagrante et leur utilisation excessive. curés se chargent de l'éducation morale et d'affectation où elle constate la véritable per- [Pierre NADEAU] spirituelle des jeunes filles, traînant avec eux sonnalité de son amant lorsque celui-ci fait leurs montagnes d'idées reçues et d'histoires exécuter sous ses yeux son meilleur ami. à dormir debout : que le rouge à lèvres est fait Ayant jusque-là camouflé sa véritable identité à partir de graisse de «nègres» n'est qu'un juive, elle se dénonce et crie ses origines à le rendez-vous de Strasbourg exemple parmi tant d'autres tout aussi lou- qui veut l'entendre. Hausen n'a pas d'autre Catherine PAYSAN foques. Mais, comme il fallait s'y attendre, de choix, il la condamne et l'envoie, croix jaune Denoël, Paris, 1984, 215 p. (14,95$) cette horde inculte l'héroïne se distinguera. à la poitrine, à la chambre à gaz. Mais cette « Désireuse jusqu'à l'obsession d'apprendre», linéarité du déroulement n'est pas aussi conti- J'avais retenu d'un autre livre de Catherine elle relèvera le défi et «échappera à la loi du nue puisque, à tout moment, l'héroïne revit Paysan, Pour le plaisir, la sensualité et la sexe et de son milieu» (page 4 de couverture). des scènes du passé avec des membres de la lenteur des mots, des images, du rythme de Bravo! résistance qui s'organisent à Paris, et qu'une narration et de lecture. Catherine Paysan Dire que je n'ai éprouvé aucun plaisir à lire magicienne lui donne sporadiquement les prend plaisir à évoquer le passé, à se rappeler Une enfance à l'eau bénite serait exagéré. grandes lignes de son futur. Bref, toute cette les détails de l'atmosphère, du décor et des Denise Bombardier manie bien l'art de l'anec- histoire nous convainc de la victoire de la gestes de la vie quotidienne. dote et fait montre d'un esprit gouailleur qui passion de la mort sur celle de l'amour mais Le Rendez-vous de Strasbourg, son plus me plaît assez. J'ai tout de même trouvé ce nous fait malheureusement regretter le « bon récent roman, raconte l'histoire de deux per- roman québécois ( ? ) terriblement redondant, temps» de la Vie en prose. sonnages, Sarah, la Bretonne, et Ali, l'étudiant «une autre page des belles histoires» de maghrébin, qui se sont aimés d'une vive [Roger CHAMBERLAND] notre pays en devenir, une courbette envers passion de jeunesse pendant deux ans, à la France, une façon détournée de dire : « Ex- Paris, dans les années cinquante. cusez-nous, nous revenons de loin. » Je trouve Trente ans plus tard, Sarah donne rendez- ce procédé franchement humiliant. vous à Ali à Strasbourg pendant les quelques [Caroline BARRETT] le tournesol jours précédant Noël. Sous la neige, ils se Louise TREMBLAY-D'ESSIAMBRE promènent et se rappellent tour à tour leur Éditions Guy Saint-Jean, Laval, 1984, 356 p. enfance, leur passé commun et leur vie fami- liale, après leur rupture. L'action du premier roman de Louise Trem- A travers ces souvenirs, dans un foisonne- la constellation du cygne blay-D'Essiambre est centrée autour d'un per- ment de mots, de phrases élaborées, parfois Yolande VILLEMAIRE sonnage, Julie Martin, dont le destin est suivi uniquement composées de relatives, la ro- Les Éditions de la Pleine lune, Montréal, 1985, durant plus de vingt-cinq ans. Dans son mancière confronte le mode de vie, l'histoire, 179 p. enfance, elle s'oppose à son père, responsable le travail manuel et la place des femmes dans à ses yeux de la mort accidentelle de sa deux civilisations en apparence opposées. L'impression que la Vie en prose (1980) mar- mère. Après avoir été violée par un inconnu, De ces deux mondes, des valeurs communes quait un sommet dans l'œuvre de Yolande l'adolescente décide d'entrer au couvent afin émergent communication, travail, dignité, Villemaire se trouve confirmée par la publica- de se retrancher du monde des hommes. Là, respect des personnes. Toutefois, le contraste & yj o 8 Québec français Octobre 1985
se poursuit dans le monde moderne, entre expérimente avec curiosité ce qui peut ques- la maîtresse d'école deux chambres d'hôtel, ancienne et moderne, tionner son existence (en terme de rapports Guy DESSUREAULT et par l'attitude superficielle des touristes qui sociaux autant qu'affectifs) ; Albanel, grande Quinze, Montréal, 1985, 174 p. (12,95$) fréquentent ces hôtels et tous les pays du amie de Sha, lui sert à l'occasion de bouée de monde, dont ceux du Maghreb. Par la bouche sauvetage. Gravitant à titres divers autour Faisant la connaissance de Mme Lemieux, de Sarah, Catherine Paysan critique avec d'eux, il y a Almacolor, Trente, J.K. Eaton et « la maîtresse de cinquième la plus redoutée cynisme le mode de vie occidental contempo- quelques autres, dont la nature des implica- et la plus adulée de l'école Saint-Eustache» rain, impersonnel et froid. tions cautionne les agissements des person- (p. 30), Paul Vivier s'attache immédiatement Sur tout ce livre, plane l'image des anges et nages principaux, au premier abord plutôt à cette corpulente femme qui recèle sous des de la mort qui rappellent que la vie actuelle singuliers. airs de marâtre une grande tendresse envers n'est pas la plus belle. Il faut lire les quatre Pourquoi parler tant de personnages? On les enfants. Leur relation évoluant rapidement, pages-choc de la fin pour saisir jusqu'à quel n'est pas au théâtre. Ou peut-être que si, en fin le jeune Paul en vient dès les premiers mois point les souvenirs réinventent le passé. de compte. Car ce qui particularisait déjà de l'année scolaire à faire partie des intimes Si, pour vous, la lecture est plaisir des l'écriture de Pauline Harvey dans le Deuxième de l'institutrice, jusqu'à être invité quotidien- mots, amplitude des phrases ou si vous êtes Monopoly des précieux est encore en place nement chez elle. Prise d'affection pour « son fasciné par la recherche des origines, par la ici, soit ce glissement constant de l'histoire et petit oiseau aux cheveux de plumes» (p. 57), vie des choses, vous aimerez le Rendez-vous des protagonistes hors du réalisme anecdo- l'enseignante l'intègre peu à peu à sa vie de Strasbourg. tique vers un riche théâtre imaginaire. L'in- privée et lui taille une place enviable au sein [Francine LABELLE] vention de situations limites, où les person- de sa famille. Entichée du garçonnet plus nages sont soumis à des tensions physiques qu'il ne l'est permis, elle en arrive à ne plus et affectives très fortes, la construction sou- pouvoir se passer de lui, si bien qu'elle décide encore une partie pour berri même d'enseigner la sixième l'année suivante Pauline HARVEY cieuse de décors traduisant la singularité des atmosphères, donnent le ton au roman. Cette afin de continuer à veiller sur lui. Au seuil de Les Éditions de la Pleine Lune, Montréal, l'adolescence, Paul découvre progressivement 1985,166 p. transgression du réalisme plat qu'opère l'écri- ture de Pauline Harvey n'est pas qu'un effet le sens caché de la vie en même temps que d'écriture. Il y a du drame, là. Le quatuor que les obligations découlant d'une affection sin- En 1981 et 1982, Pauline Harvey publie coup cère mais singulièrement envahissante. sur coup aux Éditions de La Pleine Lune forment les personnages centraux, ces jeunes qui vivent autant de passions fébriles que de Avec la Maîtresse d'école, Guy Dessureault deux romans: le Deuxième Monopoly des nous livre un récit sympathique à la saveur précieux et la Ville aux gueux. Son écriture décrochages, sont fondamentalement curieux d'une chose: trouver place dans le réel. Les des années cinquante. Par le biais de l'inexpé- surprend agréablement, autant par l'humour rience d'un jeune héros qui s'éveille douce- qui l'habite que par l'intelligence du propos questions traversent le récit, exactes et em- barrassantes, questions de ville tourmentées, ment aux mystères de l'existence, l'auteur et de la mise en scène. Preuve évidente que, parvient avec aisance à nous faire redécouvrir manifestement, elle sait écrire des histoires, questions de nuit et de révolte. Tous voyagent, vers Paris, l'Estrie ou Barney (avatar du grand une période grise de notre histoire, sans l'auteure se voit remettre en 1982 le Prix des pour autant tomber dans un excès de pessi- Jeunes Écrivains du Journal de Montréal. nowhere urbain contemporain), cherchant la fuite autant qu'un abri possible. Le roman misme ou de moralisation. Un premier roman Encore une partie pour Berri confirme ce qui repose, de toute évidence, sur le plaisir qu'annonçaient les romans précédents; il nous emmène à leur suite ; nous fait partager l'évidence de l'angoisse et le désir de s'en de raconter! poursuit admirablement cette jeune entreprise [Jeanne TURCOTTE] romanesque. sortir. Avant tout, ce roman, c'est des person- Encore une partie pour Berri pourrait sem- nages. Construit en séquences, comme une bler un roman très noir et étouffant. Ce n'est suite de sketches, le récit explore le réseau pas le cas, Pauline Harvey préfère les voies des différentes relations qu'entretiennent de l'humour et de l'ironie au seul recours l'assembleur quatre amis/es — et quelques autres — de tragique. L'imaginaire qui habite ce roman, AUDE (Claudette CHARBONNEAU-TISSOT) l'adolescence «à un certain âge (...) l'âge de malgré la gravité de ses implications, nous Le Cercle du livre de France, Montréal, 1985, (se) marier» (p. 160). Alors que les deux introduit à une dimension fondamentale de 157 p. premiers romans évoquaient des lieux et des l'écriture de l'auteure: le jeu. Déjà le titre époques imaginaires, celui-ci a lieu aujour- réfère au canasta, jeu de cartes que Sha C'est sous le nom de «Aude» que Claudette d'hui, à Montréal, ce qui a pour effet de apprendra de Berri au début du roman. Au- Charbonneau-Tissot a choisi de faire paraître focaliser encore plus l'attention sur la singu- delà des divertissements, la façon même avec son roman l'Assembleur. Texte bref, aux larité des personnages. D'abord, Sha et Berri. laquelle les personnages abordent leur vie, phrases courtes et syncopées qui donnent à Ils font connaissance chez Eaton, au rayon comme en marge des remords et des culpabi- l'ensemble un déroulement rapide, l'Assem- des jouets, dès la deuxième page du livre. lités, témoigne de l'importance que Pauline bleur est un roman, que l'on qualifierait bien L'ambiguïté de leur relation, à la fois évidente Harvey accorde à la fonction ludique. Jouer plus de récit, dont la trame est très mince. et incertaine, ajoutée à l'urgence des désirs sa vie ? Pourquoi pas. Voilà une belle occasion Jean-François, 17 ans, a décidé de se venger qui les attirent réciproquement, occupe le d'intelligence romanesque. de son père qui a déserté la maison i l y a dix premier plan du récit. Bloc, pour sa part, [Bernard GILBERT] ans. Chacun des six chapitres présente en 4Û Guy DessuecUt Pauline Harvey ENCORE La UNE PARTIE POUR BERRI maîtresse d'école yj Gn*ut o Octobre 1985 Québec français 9
alternance la version de ceux et celles qui passées ainsi, à la merci des éléments, en monsieur itzago plouffe ont eu à vivre cette séparation : Jean-François, vient à développer une perception différente François HÉBERT Alexandre (le père), Érika (la mère). L'un et de la réalité dans laquelle surgissent une Éditions du Beffroi, Québec, 1985, 96 p. l'autre racontent les événements marquants foule de personnages étranges dont on ne qui ont abouti ou provoqué cette situation de sait jamais s'ils sont réels ou inventés, tant la L'éditeur présente ce livre comme « un récit tension existant entres les trois et cette ven- réalité et le rêve se côtoient dans ce roman misanthropique écrit à la première personne geance que l'assembleur (Jean-François) a dense, qui n'est pas sans rappeler, par certains où l'auteur, sans vergogne, nous provoque placée dans la mémoire de sa machine avec thèmes et par certaines situations, Louise pour nous entraîner dans un monde inspirée la complicité de sa mère. Ce qui détonne Genest de Bertrand Vac et Un dieu chasseur la fois par Lautréamont et Réjean Ducharme». dans la lecture de ces trois versions livrées de Jean-Yves Soucy. Avec ce roman, Alain Dans sa dédicace, François Hébert, lui, parle en deux tranches, c'est le même ton qui est Gagnon, qui s'intéresse à l'ésotérisme et à de «poème» et de «diablerie». De quoi re- adopté, le même type d'écriture, comme si l'occultisme, transcende le réel. C'est un som- tourne-t-il? l'un et l'autre des intervenants indépendam- met dans son œuvre qu'il construit depuis L'histoire débute dans la tergiversation et ment de leur âge, de leur formation, de leur 1970, avec entêtement, presque à l'ombre de l'injure: «Je vais vous la raconter (cette his- sexe et de leurs perceptions rendaient leur l'institution littéraire. toire) parce que je vous hais, lecteurs, pou- vécu avec le même langage. C'est dommage [Aurélien BOIVIN] belles, creuses entités, fausses entités, dévo- car on décroche même si, d'emblée, on avait rées de néant, rognures de pizza» (p. 9). Le été séduit dès les premiers instants par cette propos se poursuit sur le même mode pendant écriture de précision, ce rythme rapide et près de cent pages. «Soyons (nous aussi à saccadé. Également, i l y a une finesse et une très grande subtilité dans l'esquisse psycho- logique de chacun des personnages même si les trois protagonistes ont choisi le «je» ticXtt l'image de Kierguelen de Trémarec, créateur et biographe de cet anti-personnage qu'est Itzago Plouffe) bon, méchant, sadique, maso- chiste» et disons que, si le projet d'ébranler, comme mode d'énonciation. Cela n'empêche voyage en irlande avec un parapluie par l'ironie, les conventions romanesques pas de fournir dans chacune des versions Louis GAUTHIER n'est pas dépourvu d'intelligence, il ne s'en des éléments qui nous permettent de con- VLB éditeur, Montréal, 1985, 75 p. trouve néanmoins pas, dans le traitement qui naître Érika, Alexandre et Jean-François. lui est donné, d'une gratuité et d'une vacuité [Roger CHAMBERLAND] Partir pour aller voir ailleurs si j'y suis: c'est à faire désespérer de l'intelligence même, à ce que propose le narrateur d'un Voyage en tout le moins des formes tortueuses qu'elle Irlande avec un parapluie, le (trop?) court emprunte ici. récit d'un écrivain à la quête du «Grand Certains lecteurs s'acharneront à lire jus- Quoi-Que-Ce-Soit» (p. 40) et de la route de qu'au bout ce court texte parce qu'ils auront le gardien des glaces l'Inde, afin de tenter d'écrire «un roman spiri- déjà lu la prose de monsieur Hébert, Le Alain GAGNON tualiste» (p. 24), débarqué en Irlande, histoire Rendez-vous ou Holyoke peut-être, et qu'ils Pierre Tisseyre, Montréal, 1984, 169 p. de s'accorder une trêve. Pourtant, c'est au en avaient aimé, comme moi, la qualité d'écri- cours de cette escale que le Montréalais ture et la finesse de la remise en cause du Lauréat du prix littéraire de la BCP du Sague- entreprend son voyage intérieur; « personne pacte romanesque. Mais ce sera en vain ; de nay-Lac-Saint-Jean, 1984, ex-aequo avec Da- ne sait où je suis, ce que je fais, personne ne ce récit, à l'image de cet Itzago que le narra- nielle Dubé et ses Olives noires. Alain Gagnon sait qui je suis et c'est comme si je n'étais teur qualifie lui-même de raté, n'émerge poursuit lentement mais sûrement, avec ce plus rien» (p. 21). qu'une pénible impression d'ennui et d'échec. dixième ouvrage, sa quête d'absolu. Ce roman, « La verte Irlande... poètes en mal de sym- D'une mauvaise plaisanterie! sans aucun doute le meilleur de l'auteur boles, l'Irlande est grise, noire et brune, l'exis- [Marie-Andrée BEAUDET] saguenéen, étonne par sa rigueur de compo- tence n'est pas symbolique, elle est plate et sition et par la richesse de son imaginaire. froide, mouillée et décourageante» (p. 38). L'intrigue se déroule en plein milieu du lac Gauthier ne nous convie pas à la découverte Saint-Jean, au cœur du long hiver précédant de l'Irlande des touristes et des cartes pos- la Première Guerre mondiale. Le gardien des tales. Son Irlande est triste, terne et pluvieuse, traces glaces, ex-avocat de «la ville inhumaine» pareille à sa vie: «Je suis dans l'espace EN COLLABORATION forcé de renoncer à l'exercice de sa profession incertain des limbes où tout s'embrouille et je Sagamie/Québec, Jonquière, 1984, 174 p. pour «une affaire» d'argent, peut-être une pleure l'Irlande à travers mes larmes» (p. 41). fraude ou un détournement de fonds, a préféré Un roman autobiographique, au je-me-moi La littérature est-elle possible en région? à la prison les solitudes glacées du Nord, à qui n'a rien d'agaçant, où l'anecdote, le spleen C'est à cette question qu'ont voulu répondre l'abri des fourberies de l'industrie humaine, et les impressions du voyageur — traces de treize écrivains et écrivaines de la région du pour entretenir le pont de glace reliant, l'hiver, l'itinéraire parcouru — concourent à une Saguenay-Lac-Saint-Jean dans Traces, un Péribonka à Roberval. Il vit isolé dans sa réflexion sursoi. Un beau livre d'automne qui recueil de nouvelles, premier ouvrage publié cabane avec ses chiens et ses chevaux. C'est permet au lecteur de goûter la douceur, voire par les Éditions Sagamie/Québec. Pourquoi justement en raison de cet isolement que le le plaisir de la mélancolie. Traces? Parce que, comme on l'écrit dans gardien des glaces, après plusieurs années [Pierre HARDY] l'Avant-propos, « chaque écrivain-e quia par- '8 AlAIN GAGNON FRANÇOtS HhHI.Rl Le gardien MONSIEUR ITZAGO PLOUFFE des V4J o ® 10 Quebec français Octobre 1985
ticipé à cette aventure l'a fait selon son idée, où tout le monde se connaît. Dans son imagi- voler». Les voisins, concernés, comme par ses intérêts, ses préoccupations et sa manière. naire, l'hiver et la nuit sont faites pour le tout ce qui se passe au village, se divisent en Chacun-e y a laissé sa trace, son empreinte repos. deux camps et discutent passionnément de et scruté la réalité selon un angle très per- Dans Sudeste (1962), son opera prima, il a la question au Bar Japones. La difficile tra- sonnel». S'ils n'avaient pas à se soumettre à créé un personnage, El Boga, très près du duction de la prose de Conti, à la limite du une ligne directrice, ni à se conformer à une vieux pêcheur de Hemingway, avec une mo- langage poétique, est très aussi réussie. Peut- orientationcommune, les auteurs de ces nou- rale qui, tout comme dans le cas de l'Améri- être, juste pour faire passer son message, velles exploitent les mêmes thèmes : la mort, cain, vient de son expérience. Comme chez aurais-je aimé voir dans le texte français le par exemple est omniprésente, repoussée ou Conti : voyageur, marin (naufragé), chercheur poème japonais servant d'introduction à l'é- souhaitée, l'incompréhension entre les êtres, inquiet de nouvelles voies. Dans les nouvelles dition espagnole du livre: «Prunier à ma la difficulté de vivre dans la ville anonyme, de ce livre, il est question d'arbres, plantes, porte/s'il m'arrivait de ne pas revenir/le prin- «la ville inhumaine» qui bouffe êtres et petits villages, et des routes qui les unissent. temps toujours/revient. Toi, fleuris.» choses, comme dans un tourbillon, la mono- Tout est regardé avec l'attention méticuleuse [Francisco JARQUE] tonie, l'absurdité du monde... Les auteurs qu'on investit pour identifier les personnages s'interrogent et leur vision du monde est d'une vieille photo de famille. Recherche et souvent pessimiste. Le héros de Gil Bluteau («Trente-deux grenier-secondes») s'amuse à jouer à la loto-suicide, le premier de l'an. Les époux se séparent dans « le Procès» de amour sont les deux composantes du style de Conti. Son paysage est très proche des collines de Pavese, de la Provence de Giono, de YAmarcord de Fellini. i^CUMi >dtu Danielle Dubé, non sans essayer de s'auto- voix off Le monde est évoqué à travers le micro- Dix poètes anglophones du Québec détruire en présence de leurs avocats qui cosme constituant d'une enfance très loca- jouent le jeu. Suicide de Marie, dans la nou- Présentés par Antonio d'Alfonso lisée à Chacabuco, à douze lieues de Bragado, le Castor Astral/Guernica, velle du même titre — sans doute la meilleure en suivant un chemin de terre, au milieu du recueil — d'Esther Dufour. Et Madelyne, Pantin (France)/Montréal, 1985, 180 p. duquel il y a un peuplier où s'arrêtait l'oncle l'héroïne du «Voyage au bout de la nuit Agustin, quand il était vieux. On découvre un ordinaire» d'Elisabeth Vonarburg, est com- Publiée en édition bilingue, l'anthologie Voix monde panthéiste en grandissant avec le off est une heureuse initiative des éditeurs plètement désabusée, incapable qu'elle est peuplier qui nous raconte ce qu'il voit et ce de s'adapter au monde qui l'entoure. Même Guernica (Montréal) et le Castor Astral qu'il sent avec ses découvertes du monde (France). Elle présente dix poètes québécois «la Légende de Mémots» d'Yvon Paré, une (« la Ballade du peuplier carolin»). C'est aussi belle réussite de ce recueil, est tragique. de langue anglaise, la plupart étant des immi- l'arbre qui se sent comme un chemin vers le grants de l'après-guerre, dont l'écriture est D'autres textes sont nettement plus faibles et haut, et qui s'accomplit quand le paysan déparent l'ensemble. Dommage aussi que le significative des divers courants qui animent s'appuie sur son oncle pour s'endormir et, à cette poésie anglophone. Pour chacun d'eux correcteur n'ait pas plus de métier! son tour, rêver qu'il est un arbre. «Ma mère [Aurélien BOIVIN] — deux femmes forment l'échantillonnage marchait dans la lumière» est une évocation féminin —, six ou sept pages, sauf Louis de l'enfance, mais à travers la mère, ici identi- Dudek qui en a onze, dont on peut lire fiée à une azalée, qu'elle a fait pousser et qui l'original anglais sur la page de gauche et sa survit comme une mémoire de sa présence traduction française sur celle de droite. Aux sur la terre. L'enfant grandit, l'oncle vieillit, le textes s'ajoute une courte notice bio-biblio- la ballade du peuplier carolin. Nouvelles chemin de Bragado a toujours douze lieues graphique qui permet de mieux situer l'auteur Haroldo CONTI de terre pressée et, au milieu, il y a toujours dans son contexte. Certains poèmes sont de Traduites de l'espagnol par Annie Morran le peuplier carolin. Pour la nature, un jour est véritables révélations, ceux de Michael Harris, VLB éditeur, Montréal, 1984, 169 p. (12,95$) un monde, une éternité, les humains passent Ken Norris, Jane Dick ou Antonio d'Alfonso ; et la nature demeure. d'autres ne dépassent guère le stade d'une Haroldo Conti est un grand narrateur argentin Tous les personnages du livre se con- première lecture. L'ensemble reflète toutefois qui faisait partie du nombre tristement célèbre naissent et passent d'une histoire à l'autre. une activité poétique dont on sous-estime des «disparus». Justement à cause de sa La temporalité d'un jour pour l'arbre équivaut parfois l'importance et envers laquelle l'intérêt renommée, sa mort fut confirmée par le gé- à l'éternité, tout comme une journée pour le du lecteur n'est pas toujours soutenu. Dans néral Videla lui-même, pressé de questions village. une large étude récemment parue, Exil, Ré- à son sujet, par les journalistes étrangers. «Les douze lieues à Bragado» sont une volte et Dissidence, Richard Giguère établis- La lecture du livre dont il est question évocation du village, selon une image de son sait les points de convergence et de diver- inévitablement devient une réflexion doulou- oncle Agustin, héros de son enfance, coureur gence entre poètes québécois et canadiens- reuse, par l'antithèse écrasante qu'elle pose increvable de la course annuelle, jusqu'au anglais (1925-1955) ; cette anthologie reprend au lecteur entre ce qu'on sait, sa mort, et jour où celui qui fut enfant revient au village donc là où Giguère s'est arrêté et donne à lire les circonstances dans lesquelles elle s'est pour ne plus voir son oncle que comme un dix poètes contemporains qu'il y a tout avan- produite : nuit, salles fermées, torture... et de «vieil oiseau». «Ad astra» nous fait assister tage à fréquenter. N'aurait-il pas été intéres- l'autre côté l'écriture saine, le plein air, le au conflit moral de Chacabuco, conséquence sant d'inclure Léonard Cohen? discours positif, la nature et les petits villages des expériences de Argimon, qui «essaie de [Roger CHAMBERLAND] Haroldo Conti peuplier carolin < & nouvelles ?ra
tfttëhc duo pour voix obstinées Pièce en 6 scènes de Maryse PELLETIER VLB éditeur, Montréal, 1985, 114p. des scènes parfois trop brutalement section- nées. La dialectique de fond mise en place sur le sens de la vie mérite d'être soulignée. [Rémi TOURANGEAU] alice & gertrude, natalie & renée et ce cher ernest Jovette MARCHESSAULT Surgie avec la violence d'une rivière qui brise Les Éditions de la Pleine lune, son barrage, cette pièce, créée en janvier Montréal, 1984, 136 p. (9,95$) 1985 au Théâtre d'Aujourd'hui, se présente comme une interrogation d'une certaine soif les neiges suivi de le bonhomme sept-heures Le livre de Jovette Marchessault reprend le de vivre. Deux voix intérieures, tout aussi Michel GARNEAU, texte de la pièce du même nom, créée par les acharnées et têtues, clament le pourquoi et VLB éditeur, Montréal, 1984, 121 p. productions Vermeilles, à l'Atelier continu le constat de plusieurs forces vitales inhé- (Montréal), en octobre 1984. rentes à l'être. De là le titre quelque peu Qui cherche des œuvres théâtrales hautement musical Duo pour voix obstinées qui laisse stylisées n'aura pas de peine à trouver les L'auteure a eu l'idée originale de réunir dans Neiges suivi de le Bonhomme Sept-Heures supposer un dialogue de plus en plus sourd le Salon littéraire de Natalie Barney, un salon de Michel Garneau. D'une contexture tout à entre ces forces. ouvertement lesbien, l'amie de celle-ci, Renée fait libre, ces pièces d'inégale longueur se Vivien, puis Alice Toklas, accompagnée de présentent comme des fables hyperboliques Gertrude Stein, enfin Ernest Hemingway, qui En fait, l'œuvre de Maryse Pelletier est construite comme une pièce musicale à six écrites dans un langage tantôt imagé et tan- arrive à l'improviste. tôt réaliste. La première constitue une in- mouvements correspondant à six scènes sans Nous sommes en automne 1939 et la cesse ralenties. L'action établie entre trois terrogation à la fois humoristique et tendre guerre se prépare. Est-ce le pressentiment personnages, Philippe, Catherine et Valentino, sur l'hiver. Créée le 1 e r novembre 1978 par de «prendre [prochainement] le train pour passe successivement de l'allégro à l'andante, les étudiants de l'École nationale de Théâtre, l'enfer» (p. 112) qui fait parler Natalie et au staccato, à l'adagio, au brillante con fuoco au Studio du Monument National, la pièce Renée de leur passion — un amour que et au grave. Ces indications de mouvements est constituée d'une série de tableaux qui Renée souhaiterait exclusif — et aussi de musicaux accompagnent tour à tour les sen- cherchent à « neiger» les mots et les phrases leurs œuvres? On sait que Natalie a inspiré à timents d'ignorance, de peur, de domination, pour se rendre jusqu'au bord du silence et Renée Vivien quelques-uns de ses plus beaux de possession, d'orgueil et de tendresse qui dire la solitude et le froid. Une image dyna- poèmes. Devant ces femmes de lettres, Ernest président à chaque scène. D'un rythme rapide mique, traduite par le passage de personnes fait d'abord l'éloge de la modernité dans et saccadé à un rythme lent et solennel, ou d'animaux, précède chaque tableau sym- l'œuvre de celle qui fut longtemps son guide, progresse un conflit amoureux qui passe par bolique. Quelque dix actants disposés en Gertrude Stein, pour ensuite revenir à ses les principales phases de l'amour éprouvé. chœur envahissent d'abord la scène puis vieilles habitudes de dépréciation de ceux et tentent de trouver leur équilibre par des évo- celles qui l'ont aidé. S'ensuit une rupture que L'action se déroule en l'espace de cinq ans cations poétiques sur l'hiver et des jeux de Gertrude qualifiera d'historique. Alice Toklas, (un an après chaque scène) dans des décors dialogue sur la vie hivernale des ancêtres du qui demeurera avec elle près de quarante intérieurs. Elle fait évoluer le journaliste pays. Un ange en raquettes et puis la femme ans, restera autrement plus fidèle à cette Philippe et la danseuse Catherine qui se et le bûcheron, l'une restée au foyer, l'autre écrivaine. rencontrent au cours d'un reportage à Qué- au plus profond de la forêt, à Noël, constituent bec. Divorcé, Philippe s'amourache de la des scènes centrales qui portent à nous de- Si elle évoque le milieu intellectuel des mander s'il faut aimer ou détester l'hiver. jeune fille au point de la demander en mariage. années trente, avec ses multiples références Mais celle-ci refuse, acceptant toutefois de Le Bonhomme Sept-Heures qui suit les aux artistes de l'époque, — Colette, Cocteau, vivre avec lui dans une maison cossue. Leur Neiges est une fable à la fois douce et folle Céline ou Joyce, — la pièce de Marchessault cohabitation, entrecoupée de départs fré- sur la peur et les mécanismes qui la sous- rassemble d'abord des thèmes féministes : la quents de Philippe, jette les amoureux dans tendent. L'œuvre entrecoupée de musique et connivence entre mère et fille, la difficulté un malaise existentiel. Les discussions qui de danses s'inspire de ce Bonhomme qui fait d'être artiste pour une femme ou la vie ingrate tournent en querelles et en accusations mu- peur aux enfants. Elle apparaît comme une de celles qui sont sœurs ou épouses de tuelles leur rendent la vie insupportable, si litanie fracassante de nos multiples peurs « génies». Il faut dire, de plus, que l'auteur a bien qu'ils finissent par se séparer. Mais au- touchant le sexe, la religion, l'alcoolisme... choisi d'insérer dans son texte de nombreuses delà de leur séparation, leurs expériences Les répliques données tour à tour par des citations tirées des livres, réels, de ses per- leur auront donné une raison de vivre re- personnages isolés ou des ensembles, dé- sonnages. Ce choix nous fait prendre con- trouvée dans la valeur familiale. noncent ces peurs avec désinvolture et dans naissance d'écrits pour la plupart méconnus. un langage assez vert. Par là, l'auteur cherche La publication d'Alice & Gertrude... com- Le schéma classique de l'action dramatique à «défoncer la peur» et à nous en libérer. Le prend en outre des notes biographiques fort trouve une certaine originalité dans l'oppo- décor aux «couleurs de ruelles peuplées de utiles car elles nous permettent d'entrer de sition des caractères principaux. En dépit cordes à linges pleines de vies» nous situe plain-pied dans le salon de Natalie Barney. des dialogues un peu simplistes et cahoteux, dans une fête joyeuse de la folie qui tend à [Marie-José DES RIVIÈRES] l'œuvre ménage un intérêt dans la progression démythifier sur un ton de morbidité des Maryse Pelletier Jovette MareheMMaldt Duo pour voix Alice & Gertrude, obstinées Les neiges Natalie & Renée théâtre Le Bonhomme et ee cher Ernest Sept-Heures vu o jff , vlb éditeur 12 Québec français Octobre 1985
tabous et des abus de toutes sortes. Le trop préoccupé à survivre, à tailler une place aux critiques littéraires de jadis (Camille Roy rythme saccadé rendu par des répliques en- à sa mesure avec l'acharnement, l'audace et et Albert Pelletier sont exclus), aux écrits chaînées et brèves contribue à accentuer le le courage de ceux qui se moquent bien des autobiographiques ou à l'écriture féminine thème central de la peur. chemins tracés d'avance. Yves Thériault, avant 1960 (vg. Robertine Barry, Henriette [Rémi TOURANGEAU) comme plusieurs de ses héros, est entré Dessaulles). En revanche, la période contem- dans la légende. Ces entretiens viennent poraine demeure bien représentée. Elle pour- nourrir ce mythe d'un destin exemplaire. Merci rait justifier, à elle seule, la publication d'un à André Carpentier de nous offrir une partie tel recueil. *44*«l de l'œuvre autobiographique à jamais ina- chevée de l'un de nos plus grands écrivains. [Kenneth LANDRY] [Maurice ÉMOND] yves thériault se raconte. Entretiens André CARPENTIER la quête antimoderne VLB éditeur, Montréal, 1985, 188 p. Jean RENAUD essais québécois 1837-1983 Éditions du Beffroi, Québec, 1985, 181 p. Les lundis 19 octobre et 2 novembre 1981, Anthologie littéraire dans la résidence de l'auteur, à Rawdon, compilée par Laurent MAILHOT Jean Renaud en est à sa première publication. André Carpentier, sous la direction d'André avec la collaboration de Benoît MELANÇON Un extrait de l'essai qu'il nous présente au- Major, enregistrait les confidences d'Yves Hurtubise HMH, Montréal, 1984, 658 p. jourd'hui avait paru, l'an dernier, dans un Thériault. Plus tard, du 9 juin au 1 e r septembre ouvrage collectif, De la philosophie comme 1982, Radio-Canada MF les diffusait sur ses L'essai, « le grand absent-présent» de la litté- passion de la liberté/Hommage à Alexis Kli- ondes en une série de treize entretiens et son rature québécoise, a enfin droit à son antho- mov, édité par les mêmes Éditions du Beffroi. Service des transcriptions et dérivés de la logie. Vraisemblablement, cette publication Déjà ces quelques pages d'aphorismes réunis radio les réunissait en treize cahiers de neuf s'inscrit dans un ensemble plus vaste de sous le titre « Poisons» situaient le champ de à dix pages chacun. Ces entretiens sont recherches sur l'histoire littéraire du Québec, préoccupations de ce jeune auteur né en maintenant publiés en un livre de cent quatre- menées par le professeur Mailhot depuis une 1957: «On se regarde, on se scrute, on se vingt-huit pages avec une brève préface de dizaine d'années. Ses autres anthologies moralise, et l'on édifie, petit à petit, cet écran Michel Thériault, fils de l'auteur, une intro- comprennent le Québec en textes (1980), éternellement opaque entre soi et Dieu» duction et des notes bien documentées Monologues québécois (1980) et la Poésie (p. 25). d'André Carpentier, seize pages de photos québécoise (1981). Comme les ouvrages pré- Divisé en trois grandes parties («Sauve- de l'auteur et de ses proches et un court cédents, ce recueil s'adresse d'abord aux tages», « Devant l'hérésie» et « Conversions»), extrait d'Ashini. professeurs et aux étudiants. Il comporte une l'ouvrage est celui d'un moraliste qui ne se Des huit heures et demie d'enregistrement, brève introduction qui explique les paramètres sent pas accordé à son siècle ni à cette André Carpentier a retenu environ six heures, théoriques de l'essai, des indications biblio- modernité qu'il est de bon ton de cultiver. On apportant de nombreux changements en vue graphiques et une présentation chronologique se serait attendu à une critique serrée des de faciliter le passage de l'oral à l'écrit. Ce des textes dits «représentatifs» du genre. dogmatismes à la mode, à une invitation à la que le texte perd en spontanéité, en richesse Cependant, à la différence des anthologies remise en question, en somme à une pratique rythmique, en exclamations, en rires, il le antérieures, celle-ci met en valeur l'ubiquiste éclairée du doute. Au contraire, ce qui heurte gagne en clarté et en correction écrite. Mais et l'insaisissable essai «littéraire», un genre la sensibilité du philosophe, c'est précisément ce livre ne pourra jamais remplacer la voix protéiforme qui ne fait pas encore le consen- la dispersion, l'éclaté, l'ouvert et le multiple. même d'Yves Thériault, le charme du conteur sus des fervents de la taxinomie littéraire. Devant ce qu'il considère comme les er- qui savait si bien retenir et toucher par mille Même si l'on s'entendait sur une seule rances et les aberrations de la pensée con- artifices devenus une seconde nature. définition de l'essai, comment pourrait-on temporaine, Jean Renaud en appelle à l'« uni- Malgré tout, le texte demeure passionnant. trancher la question de la littérarité des textes, té» et au «sens». Le drame de l'homme Thériault se livre avec un plaisir évident, étant donné leurs « liens directs et privilégiés moderne, c'est que, «depuis qu'il n'est plus commentant sa vie et ses œuvres, nous avec l'idéologie», comme le souligne Laurent catholique, [il] n'a plus de conception du donnant des informations précieuses sur son Mailhot. Des glanures chez cinquante-sept monde» (p. 89). L'auteur préconise donc un entourage familial et social. Sa vie, comme essayistes, répartis sur près d'un siècle et retour aux valeurs qui assuraient cohésion et son œuvre, est un exemple d'acharnement, demi — d'Etienne Parent à François Charron stabilité au monde. Retour à la tradition. Aux de goût de vivre, de liberté farouche. A une — ne peuvent fournir qu'un aperçu des méta- notions de «péché», de «salut et de sainteté». époque où tant d'autres vantaient les vertus morphoses de l'essai depuis 1837. L'accent «Au catholicisme comme sens de l'ordre et d'un conservatisme politique, social et reli- est mis sur le caractère personnel des écrits. de la hiérarchie» (p. 106). gieux, il écrivait ses Contes pour un homme Les compilateurs retiennent d'abord les textes Aux «diables» modernes et hérétiques que seul, affirmant déjà non seulement son unique qui tranchent sur les proses de la pensée sont Barthes et Céline, Jean Renaud préfère talent de conteur mais également son esprit officielle d'une époque, de sorte que des les voix réconfortantes et autorisées de d'indépendance. Thériault n'a jamais été écrivains ultramontains comme Adolphe Rou- Charles Maurras, de Maurice de Guérin, de l'homme d'une chapelle, d'un parti ou d'une thier ou Jules-Paul Tardivel ne figurent pas Jacques Maritain. C'est son droit. Qu'ajouter ? idéologie; il n'en avait ni le loisir ni le goût, dans l'anthologie. On accorde peu de place [Marie-Andrée BEAUDET] < f t ll-AN RENAUD VJJ O Octobre 1985 Québec français 13
125 ans de théâtre au séminaire sont savoureux, de même que les anecdotes vieillir, du mystère du monde et de sa fascina- de trois-rivières montrant l'ambiance des coulisses. Par ail- tion pour l'enfance. D'autres, comme celui de Sous la direction de Rémi TOURANGEAU leurs, ce travail donne une idée assez précise Michel Leclerc, l'auteur d'Écrire ou la Dispari- Avec la collaboration de Julien DUHAIME du genre d'œuvres privilégiées: drames reli- tion, sont plus préoccupés par les techniques Éditions Cédoleq, Trois-Rivières, 1985,180 p. gieux, comédies de bonnes mœurs... Agréable d'écriture. Tous les entretiens ont leur intérêt à lire et riche en trouvailles, il nous fait et les préférences sont ici affaire d'affinités et Publié à l'occasion du 125e anniversaire de prendre conscience d'une activité artistique de sensibilités... fondation du Collège-Séminaire Saint-Joseph, qui servit longtemps de tribune à l'idéologie Gérald Gaudet n'en est pas à sa première cet ouvrage s'avère une contribution essen- cléricale et à ses valeurs inhérentes. Ce théâtre publication. On lui doit un vibrant essai sur tielle à l'histoire du théâtre régional. Le con- ne fait pas exception; il se retrouve dans les Écrits des Forges : Une poésie en devenirs. tenu est extrêmement riche en faits histo- d'autres collèges. Force nous est de recon- Déjà se devinaient cette qualité de présence riques, chronologies, anecdotes, photogra- naître qu'il a permis à de nombreux partici- à l'autre et ce regard passionné sur la réalité phies et témoignages. Ces éléments, reliés pants d'actualiser leur talent et de rendre à de la fiction qu'il révèle avec une grande entre eux avec homogénéité, retracent la cet art l'honneur qui lui est dû. Le livre aussi. maîtrise dans ce recueil de « voix d'écrivains». petite histoire d'un théâtre négligé par les [Denis GOULET] Nul doute que son ouvrage deviendra un chercheurs et souvent considéré comme un outil précieux pour qui s'intéresse à la littéra- théâtre mineur. La réalité est autre. Des arti- ture car il permet tout aussi bien de parfaire sans méconnus ayant œuvré avec de modestes sa connaissance d'un auteur que de découvrir moyens ont su donner des représentations le tracé d'un nouvel imaginaire. De l'entretien d'une qualité exceptionnelle. à l'œuvre ou de l'œuvre à l'entretien, quel La forme de l'ouvrage est pour le moins que soit le sens de l'itinéraire que l'on adopte, voix d'écrivains/entretiens la qualité du voyage est assurée... originale. On a utilisé le cadre traditionnel Gérald GAUDET d'une pièce mi-comique, mi-tragique. Distri- [Marie-Andrée BEAUDET] Éditions Québec/Amérique, buée chronologiquement, chacune des par- Montréal, 1985, 293 p. ties correspond à une période relativement distincte. Après le lever du rideau de Pourquoi aime-t-on les livres? Pourquoi la M. Duhaime, le lecteur suivra avec intérêt et rencontre de certains textes s'incrit-elle dans amusement parfois cinq étapes, depuis l'« âge le tissu de nos vies comme, littéralement, des héroïque» des débuts, en 1860, jusqu'à nos événements qui souvent nous bouleversent victor hugo jours. La naissance d'un théâtre « didactique», et parfois nous révèlent à nous-mêmes? Alain DECAUX au milieu du XIXe siècle, a pour souci d'as- Fervent lecteur, professeur de littérature et Librairie académique Perrin, socier l'art dramatique à «la formation intel- critique littéraire, Gérald Gaudet a cherché Paris, 1984, 1036 p. lectuelle et l'éducation chrétienne». L'objectif des réponses à ces questions en rencontrant est réalisé non sans quelques péripéties. « Le des écrivains qu'il aime et en cherchant, avec À l'occasion du centenaire de la mort de Temps des essais» (1885-1910) marque une eux, à pénétrer cette magie des effets des Victor Hugo, la communauté culturelle fran- augmentation de la production avec quelque jeux de langage, à mieux la cerner et par- çaise a mis sur pied un programme commé- 124 représentations. La période (1910-1935), dessus tout à la prolonger, par la parole, moratif impressionnant pour rendre hommage pourtant pénible économiquement, constitue dans le lieu même de son élaboration. Dans à celui qui s'impose comme le plus illustre une époque relativement prospère. Mais c'est l'avant-propos, Gérald Gaudet s'explique sur écrivain français du XIXe siècle. C'est dans entre 1935 et 1960 que l'activité théâtrale son projet: «Il m'a semblé que cette façon cet esprit que l'édition française consacre devient la plus fébrile, marquant un «renou- qu'on a justement dans l'entretien de parcourir depuis un peu plus d'un an de nombreuses veau théâtral». La qualité des spectacles à deux l'intimité même de l'écriture pouvait rééditions des divers ouvrages de Hugo, ainsi augmente. C'est l'apogée du théâtre puisque, donner le goût, tendre vers un livre, faire voir que quelques essais fort intéressants sur selon les auteurs, à partir de 1960 s'installe et sentir de l'imaginaire qui bouge, se dis- l'homme et son œuvre. Parmi ces travaux une «dangereuse léthargie» causée par l'é- tingue et se rapproche» (p. 11). consacrés à Hugo, il convient de souligner mergence des médias et le renouveau de l'exceptionnelle biographie réalisée par l'his- L'auteur s'est entretenu avec vingt-cinq l'éducation. torien et communicateur Alain Decaux. écrivains, dont quatre d'origine étrangère Le livre décrit fort bien certains aspects (Marie Cardinal, Flora Groult, Virgil Tanase Avec la verve intarissable qui le caractérise, formels et structuraux de nature à enrichir et Georges-Olivier Châteaureynaud). Même Decaux trace un vivant portrait de cet « homme notre connaissance fragmentaire des activités s'il est impossible de tous les nommer, signa- océan» qu'est Victor Hugo. S'appuyant sur para-scolaires dans les institutions d'ensei- lons la présence d'André Major, Louis Caron, des documents originaux et souvent inédits gnement. En outre, il fait ressortir la collusion Madeleine Ouellette-Michalska, Marie-Claire (tel le manuscrit non censuré de l'essai d'Adèle évidente entre l'idéologie du clergé et le Biais, Lucien Francœur, Nicole Brossard... Hugo, femme du poète : Victor Hugo raconté contenu des pièces à travers une présentation Certains entretiens sont très émouvants. Je par un témoin de sa vie), le biographe recons- critique des adaptations et de la censure pense à celui d'Alphonse Piché qui, à partir titue avec un rare succès tout le cheminement liées aux œuvres. Certains passages concer- des thèmes de son plus récent recueil, Dernier de l'auteur des Misérables, depuis son enfance nant le problème inusité du travestissement Profil, parle avec gravité de l'angoisse du jusqu'à l'apothéose finale de ses funérailles • » VOIX D'ECRIVAINS entretiens QUÊ»C AMf t!Wi» V4J O 14 Québec français Octobre 1985
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