Orientation Diagnostique devant : Troubles aigus de la parole. Dysphonie (337)
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Faculté de Médecine de Marseille Orientation Diagnostique devant : Troubles aigus de la parole. Dysphonie (337) Professeur Antoine Giovanni Juin 2005 1. Troubles de la voix Les dysphonies ou enrouements comprennent toutes les altérations du son laryngé, intermittentes ou permanentes, portant sur une ou plusieurs des caractéristiques physiques de la voix : intensité, hauteur, timbre. Le diagnostic étiologique repose principalement sur l'examen des cordes vocales (laryngoscopie) et chez l'adulte l'étiologie la plus redoutée est le cancer du larynx. 2. La voix Trois mécanismes synergiques concourrent à l'émission de la voix : la soufflerie pulmonaire, le vibrateur laryngé, les résonateurs supra-laryngés. Le mécanisme respiratoire fournit l'énergie indispensable à la vibration des cordes vocales, tandis que les cavités supra-laryngées et pharyngobuccales jouent le rôle de résonateurs. Les cordes vocales transforment donc l'énergie pulmonaire en son "laryngé". Puis les résonateurs interviennent pour filtrer ce son et le transformer suivant le filtrage utilisé en son voisé du langage comme les voyelles ou certaines consonnes "voisées". Le contrôle de l'intensité et de la hauteur de la voix est central. Les afférences sont sensitives et plus particulièrement proprioceptives mais aussi auditives (boucle audio-phonatoire). Les efférences contrôlent la motricité des différents systèmes musculaires thoraco-abdominal, thoraco-laryngé et vélo-pharyngé. 2.1. La soufflerie pulmonaire La voix est une expiration sonorisée. Elle dépend donc de l'action des muscles thoraciques et abdominaux, de la qualité du parenchyme pulmonaire, de la liberté des voies aériennes inférieures (bronches et trachée). Le souffle phonatoire se distingue du souffle respiratoire simple par le fait que l'expiration y est active. Lors de la respiration, destinée à l'hématose, seule l'inspiration subordonnée à l'action du diaphragme, des scalènes et des intercostaux externes et moyens est active ; l'expiration est passive : en raison de leur élasticité, les structures thoraciques reviennent à leur position de repos dès que les forces inspiratoires cessent. Lors de la phonation, l'expiration active fait appel à 2 groupes musculaires : les intercostaux internes et les abdominaux (essentiellement muscles obliques et transverses de l'abdomen). Ces 2 groupes musculaires produisent des souffles différents, adaptés à l'intensité des sons à émettre. Ainsi le souffle thoracique supérieur, lié à l'action des intercostaux internes, permet "l'expression simple" (diffusion d'un message qui ne prétend pas s'imposer à l'interlocuteur). Le souffle abdominal, lié à l'action des muscles abdominaux, permet la "voix projetée" (la voix est un instrument d'action utilisé délibérément pour atteindre l'interlocuteur). La flexion du rachis améliore l'effort expiratoire. Elle est éventuellement exploitée dans l'émission de sons intenses. Le rôle des muscles inspiratoires et plus particulièrement celui du diaphragme est essentiel à la phonation. Non seulement ils permettent d'emmagasiner l'air, mais encore, en restant contractés, ils régulent la pression et la vitesse de propulsion du souffle expiratoire dont dépendent les qualités de la voix. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 1 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille 2.2. Le vibateur laryngé Le larynx est l'organe principal de la voix. Il oppose une résistance à l'air expiré et émet un son primaire dont les caractères sont fonction du système musculo-ligamentaire, de la muqueuse des cordes vocales et des articulations crico-aryténoïdiennes et crico-thyroïdienne. 2.2.1. Rappel anatomique Les cordes vocales, ou glotte, sont tendues sagittalement entre l'angle rentrant du cartilage thyroïde en avant et l'apophyse vocale de chacun des 2 cartilages aryténoïdes en arrière. Recouvertes d'une muqueuse à épithélium pavimenteux stratifié, elles contiennent outre le muscle vocal, le ligament vocal qui lui confère son élasticité et sa solidité. La mise en jeu des cordes vocales est assurée par les muscles intra-laryngés qui, en mobilisant les articulations crico-aryténoïdiennes et thyrocricoïdienne, tendent ou relâchent, écartent ou rapprochent les cordes vocales. Chaque hémi-larynx comporte : le muscle tenseur de la corde vocale ou crico-thyroïdien, un muscle dilatateur ou crico-aryténoïdien postérieur, des muscles constricteurs (crico-aryténoïdien latéral, muscle vocal ou thyro-aryténoïdien et inter-aryténoïdien). Le tonus de même que la mobilité des cordes vocales obéit au système nerveux laryngé : nerf laryngé supérieur pour le muscle crico-thyroïdien et nerf récurrent pour les muscles dilatateurs et constricteurs. Les muscles extralaryngés, sus ou sous-thyroïdiens, interviennent également, mais plus accessoirement, dans la phonation. En faisant varier la hauteur de l'espace crico-thyroïdien, ils modifient la tension des cordes vocales ; en ascensionnant le larynx, ils modifient le volume des cavités sus-glottiques de résonance. 2.2.2. Physiologie La phonation associe un mouvement oscillatoire de la corde vocale et un mouvement ondulatoire de la muqueuse. Les cordes vocales se comportent comme des oscillateurs dont l'oscillation est entretenue par la pression d'air sous-glottique. La fréquence des oscillations dépend de la masse et de l'élasticité des systèmes. Les variations d'impédance de la corde vocale, assujetties aux variations d'impédance de chacun de ses composants (muscle, ligament vocal et muqueuse), rendent compte de l'éventail de modulation des sons laryngés. L'impédance du muscle vocal, conditionnée par l'activité de la musculature intrinsèque et extrinsèque, varie avec son tonus, sa tension, l'épaisseur de la masse musculaire vibrante, la pression d'accolement. L'impédance de la muqueuse varie avec son épaisseur, sa souplesse. La muqueuse est effectivement animée d'un mouvement ondulatoire propre, déclenché par le souffle expiratoire, bien visible à la stroboscopie. 2.3. Les résonateurs supra-laryngés Les cavités supralaryngées (pharynx, cavité buccale et fosses nasales) ont une morphologie qui varie selon les mouvements du voile, du pharynx, de la langue, de la mandibule et des lèvres. Ces cavités interviennent non seulement comme résonateurs mais également comme articulateurs de la parole. Le rôle du vélopharynx est prépondérant. Cette unité anatomique et fonctionnelle, indispensable tant à la phonation qu'à la déglutition, assure la fermeture de l'isthme vélopharyngé. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 2 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille L'occlusion vélo-pharyngée procède d'un double mécanisme : le voile par recul et élévation, sous l'action des muscles releveurs et azygos, vient s'accoler sur la paroi postérieure du pharynx juste au-dessus du tubercule de l'atlas, le sphincter vélo-pharyngé, par contraction des constricteurs supérieurs du pharynx et des palato-pharyngiens, efface les couloirs pharyngés postérieurs et latéraux. Tous ces muscles, de même que les péristaphylins externes (tenseurs du voile) et les palato-glosses (piliers antérieurs) sont impliqués dans la phonation. Le sphincter vélo-pharyngé reste contracté durant toute la phonation de telle sorte que de très faibles mais très rapides oscillations suffisent pour ouvrir ou fermer le cavum. La rapidité de ces oscillations est indispensable au rythme de la parole (l'intervalle entre 2 phonèmes est de 1/100e de seconde). Les résonateurs et articulateurs supra-laryngés transforment en phonèmes les sons émis par le larynx. Les phonèmes sont les sons utilisés dans la parole. Leur liste est beaucoup plus importante que la liste des voyelles et des consonnes, elle comporte par exemple des sons tels que : ch, ou, an, oi, eu… La morphologie de ces cavités supra-laryngées, de même que l'état de vibration des cordes vocales, permet de caractériser les phonèmes : le degré d'occlusion vélo-pharyngée détermine leur caractère oral ou nasal, la position de la langue : leur type apicodental, palatal ou vélaire, la position des lèvres : leur caractère labial ou labiodental, l'existence ou non d'une vibration des cordes vocales permet de distinguer les phonèmes sonores, des phonèmes sourds. Parmi les consonnes orales nécessitant une occlusion vélopharyngée complète, on distingue les occlusives et les constrictives. Les occlusives sont produites par la libération brutale d'air bloqué dans la cavité buccale, les constrictives résultent d'un frottement de l'air dans les cavités pharyngo-buccales. En résumé, le larynx émet un son primaire dont l'énergie est déterminée par la soufflerie pulmonaire et la qualité par les cavités de résonance. 2.4. Sémiologie Les troubles de la voix se présentent sous deux aspects acoustiques différents faciles à reconnaître à l'oreille. On parle d'aphonie lorsqu'il y a disparition du son laryngé. Seule la voix chuchotée est possible. On parle de dysphonie lorsque la voix est altérée sur un de ses paramètres sans disparaître complètement. Il peut s'agir d'altération de l'intensité (trop faible ou trop forte), d'altération de la hauteur (trop aiguë, trop grave), d'altération du timbre (voix rauque, soufflée, bitonale, etc.). Le patient présente aussi souvent des sensations subjectives désagréables en rapport avec l'émission sonore. Il peut s'agir de picotements, de brûlures au niveau de la gorge, parfois au niveau du cou. Ces dysesthésies entraînent souvent un tic de raclement que le patient met sur le compte de "mucosités" qu'il cherche à rejeter. Il existe fréquemment une fatigabilité à l'effort vocal et des troubles respiratoires allant parfois jusqu'à une sensation de dyspnée modérée. Il convient de distinguer : • Les troubles de la phonation : troubles de la voix proprement dite, dysphonies ou enrouements • Les troubles de la résonance : rhinolalie ouverte ou fermée (hypernasalité ou hyponasalité) • Les troubles de l'articulation de la parole, plus fréquents chez l'enfant. Chez l'adulte il s'agit de dysarthries qui doivent faire rechercher une étiologie neurologique DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 3 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille • Le bégaiement qui est un trouble du rythme de la parole. On en rapproche la dysphonie spasmodique (voir plus loin) • Les troubles du langage : aphasies et dysphasie • Les troubles de l'audition avec diminution ou perte du contrôle auditif de l'expression vocale 3. Troubles vocaux aigus Il s'agit souvent d'un début brutal avec une aphonie qui en l'espace de quelques jours se transforme en dysphonie plus ou moins importante. 3.1. Etiologies Toutes les étiologies chroniques doivent être de principe évoquées et, même à l'occasion d'un début brutal, toutes les dysphonies traînantes doivent être l'objet d'un examen attentif des cordes vocales. 3.1.1. Les laryngites aiguës Elles sont l'étiologie la plus fréquente. La laryngite aiguë apparaît le plus souvent en période hivernale à l'occasion d'un "froid". Elle est parfois déclenchée par un épisode important de surmenage vocal et survient plus volontiers chez la femme en période pré-menstruelle. Les signes d'accompagnement sont le plus souvent discrets: catarrhe rhino-pharyngé, légère température, toux d'irritation. C'est l'examen laryngé, en laryngoscopie indirecte, qui permet d'affirmer le diagnostic d'inflammation et de préciser la nature de la laryngite : • La laryngite catarrhale, la plus simple, avec au départ une muqueuse laryngée rosée et quelques vaisseaux dilatés puis secondairement des sécrétions muqueuses abondantes. • La laryngite oedémateuse, plus sévère, avec oedème de la muqueuse laryngée expliquant l'aphonie souvent complète. • La laryngite croûteuse se caractérise par une muqueuse laryngée épaissie de façon diffuse, inflammatoire, recouverte d'un enduit pultacé avec parfois de véritables croûtes verdâtres, particulièrement au niveau de la commissure postérieure. • Le coup de fouet laryngé est une forme qui doit être individualisée. Il apparaît brutalement souvent au décours d'un effort vocal intense ou prolongé. A l'examen on retrouve un hématome sous-muqueux unilatéral. 3.1.2. La paralysie récurentielle brutale Son début est analogue sur le plan symptomatique à celui de la laryngite aiguë. Il s'agit souvent d'une aphonie, parfois accompagnée de quelques fausses routes alimentaires. La laryngoscopie retrouve l'immobilité d'une des deux cordes vocales. La recherche étiologique doit être exactement la même que dans les autres formes de début de la paralysie récurrentielle. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 4 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille 3.1.3. L'aphonie psychogène Elle survient le plus souvent mais pas exclusivement chez la femme et débute brutalement souvent le matin au réveil. Il n'y a pas de contexte douloureux ou infectieux. La particularité est que cette aphonie ne se transforme pas progressivement en dysphonie mais qu'elle persiste souvent pendant plusieurs semaines ou même mois sous la forme d'une aphonie totale. La notion d'un traumatisme psychologique et le comportement du patient orientent parfois le diagnostic. Dans ces cas, il est classique de retrouver une toux sonore contrastant avec l'aphonie et démontrant la normalité du vibrateur laryngé. A l'examen, les cordes vocales ne sont pas inflammatoires. En phonation, elles ne viennent pas au contact malgré une mobilité parfaitement conservée. Dans certains cas, il existe une hypertonie plus ou moins importante des bandes ventriculaires. 3.1.4. Les traumatismes laryngés Ils ne posent en général pas de problème étiologique car la notion du traumatisme est au premier plan. Il peut s'agir d'un traumatisme externe au niveau du larynx et il faut rechercher des signes de dyspnée ou de rupture de l'axe aérien avec notamment un emphysème sous-cutané cervical. Il peut aussi s'agir d'un traumatisme interne par intubation laryngo-trachéale. Quelques phénomènes douloureux peuvent accompagner la dysphonie. La laryngoscopie précise l'importance de l'atteinte laryngée : hématome d'une corde vocale, éraflure muqueuse, etc… 3.2. Traitement L'aphonie psychogène pose un problème thérapeutique particulier nécessitant souvent le recours à un spécialiste. En dehors de ce cas, le traitement médical des accidents vocaux aigus est bien codifié et permet d'obtenir surtout lorsqu'il est prescrit précocément une amélioration rapide des symptômes vocaux. Lorsqu'il existe un contexte infectieux ou inflammatoire, la prescription d'anti-inflammatoires est la règle (le plus souvent stéroides) associé à des mucofluidifiants. Les aérosols sont trés utiles comme thérapeutique complémentaire. Le repos vocal doit être conseillé pendant quelques jours accompagnés dans les professions les plus exposées (enseignants notamment) d'un arrêt de travail. En effet l'usage de la voix dans ce contexte inflammatoire entretient et aggrave la dysphonie. Beaucoup de dysphonies chroniques ont commencé comme un banal épisode aigu mais qui est passé à la chronicité parce qu'il a été mal pris en charge au début. 4. Les troubles vocaux chroniques Lorsqu'une dysphonie dure plus de quinze à vingt jours, un examen spécialisé est absolument nécessaire, notamment pour dépister un cancer débutant même s'il ne s'agit pas de la cause la plus fréquente. 4.1. Le contexte Le contexte d'apparition de la dysphonie doit être pris en compte. Par exemple, l'évolution à la chronicité d'une dysphonie aiguë est plutôt suspecte tandis qu'une dysphonie remontant à l'enfance est plutôt rassurante. L'abus du tabac depuis de nombreuses années, la consommation excessive d'alcool doivent être recherchées. On recherchera également la notion de travail ou de vie dans une atmosphère polluée, notamment par les émanations chimiques. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 5 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille Un contexte neurologique (atteinte motrice périphérique, atteinte des nerfs crâniens), rhumatismal (spondylarthrite ankylosante, polychondrite atrophiante, maladie de système), allergique ou traumatique (réanimation, anesthésie récente) doivent être recherchés. La notion de profession à risque vocal doit être connue. En premier lieu, il s'agit des enseignants surtout dans l'enseignement primaire ou les enseignants d'éducation physique et sportive ou encore de musique. Il faut citer aussi les représentants, les comédiens, les chanteurs mais plus généralement tous ceux qui ont à parler beaucoup ou dans un contexte acoustique difficile. On parle alors de surmenage ou de malmenage vocal. Le contexte psychologique doit toujours être apprécié (personnalité, traumatismes psychiques, habitudes vocales personnelles ou familiales) de même que le retentissement sur la personnalité du trouble de la voix. 4.2. Les moyens d'investigation L'examen laryngé au miroir laryngé (laryngoscopie indirecte) reste trés utilisé mais peut être remplacé surtout en cas de réflexe nauséeux prononcé par une fibroscopie souple (le fibroscope est introduit par le nez et permet d'avoir une vision d'ensemble du vestibule laryngé et du plan glottique). L'examen peut être complété par une épipharyngoscopie à l'aide d'un tube optique rigide (il s'agit d'un système optique de miroirs et de loupes qui permet d'obtenir une image agrandie des cordes vocales, propice à l'utilisation de la lumière stroboscopique ou à l'enregistrement d'images vidéo). La stroboscopie est une source de lumière particulière qui délivre des éclairs lumineux très brefs. Il est ainsi possible d'obtenir une image ralentie de la vibration des cordes vocales et d'apprécier la souplesse de l'ondulation muqueuse ainsi que la qualité de la fermeture glottique. La laryngoscopie directe en suspension sous anesthésie générale permet de réaliser un examen approfondi sous microscope (micro-laryngoscopie directe) ou à l'aide d'optiques grossissantes. Elle permet également la réalisation de biopsies. Les examens spécifiques de la voix font partie du bilan phoniatrique spécialisé et ne sont pas assez de pratique courante en ORL. Citons l'analyse perceptive de la voix à l'aide d'échelles perceptives, les mesures acoustiques (fréquence, intensité, caractéristiques spectrales), les mesures aérodynamiques (pression d'air utilisée en phonation, débit d'air), les mesures posturales et l'analyse du "geste vocal". L'imagerie radiologique (radiographies, scanner, IRM) n'a presque pas de place dans le domaine diagnostique mais est trés importante dans le domaine du bilan en particulier des cancers. L'électromyographie peut être utile dans le bilan de certaines immobilités laryngées. 4.3. Les étiologies Le principal objectif du spécialiste est de rechercher un cancer ou une lésion précancéreuse susceptible de se transformer. En cas d'examen impossible du fait d'un réflexe nauséeux trop important, une laryngoscopie directe sous anesthésie générale avec biopsies doit être programmée. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 6 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille 4.3.1. Les lésions bénignes des cordes vocales Elles sont fréquentes et les moyens d'investigation actuels permettent de les identifier de mieux en mieux. On distingue les lésions acquises et les lésions congénitales. 4.3.1.1. Les lésions bénignes acquises Les lésions bénignes acquises surviennent le plus souvent dans un contexte de surmenage vocal, souvent au décours d'un épisode infectieux rhino-pharyngé et la gêne sociale va devenir de plus en plus importante, rythmée cependant par l'activité professionnelle du malade : le nodule est la lésion le plus souvent rencontrée. Il correspond à un épaississement de la muqueuse de recouvrement de la corde vocale au point de forçage maximal de l'ondulation muqueuse, c'est-à-dire à l'union tiers antérieur / tiers moyen du bord libre. Il est en général bilatéral et symétrique, responsable d'un défaut d'accolement des cordes en phonation qui réalise la classique "glotte en sablier" avec fuite d'air. Les femmes sont presque exclusivement concernées ; le polype par contre intéresse plus particulièrement les hommes et sa survenue est souvent brutale après un effort vocal intense. Il est presque toujours unilatéral, soit muqueux, soit angiomuqueux, de volume variable en fonction de son ancienneté, en général situé dans le tiers antérieur de la corde vocale ; les ectasies capillaires sont plus rares. Elles réalisent un réseau capillaire dilaté dans la muqueuse de la face supérieure des cordes vocales, se pelotonnant parfois en de véritables micro-angiomes. A l'effort vocal, ces capillaires se congestionnent et entraînent une dysphonie souvent importante qui régresse au repos. Les femmes sont le plus souvent intéressées et ce sont parfois des professionnelles de la voix. Il faudra cependant toujours rechercher en présence de ces ectasies capillaires une lésion congénitale sous-jacente (kyste épidermique) dont elles peuvent être la simple conséquence ; les granulomes sont des formations inflammatoires qui ne donnent vraiment de troubles dysphoniques que lorsqu'ils sont volumineux et gênent l'occlusion cordale. Le plus souvent ils se manifestent par une simple sensation de gêne pharyngée et sont découverts par l'examen laryngé systématique. Néanmoins l'attention du médecin doit être attirée s'il s'agit d'un malade qui a subi dans les mois précédents une intubation laryngo-trachéale et qu'il a présenté au décours de celle- ci des douleurs dans la région laryngée et une dysphonie immédiate qui a ensuite régressé. Les granulomes sont unis ou bilatéraux, en général développés dans la partie postérieure de l'orifice glottique sur l'apophyse vocale du cartilage aryténoïde. Parfois, il n'y a pas de cause évidente, si ce n'est le surmenage vocal (camelots) ou un reflux gastro-oesophagien qu'il faudra toujours soigneusement rechercher. 4.3.1.2. Les lésions bénignes congénitales Leur découverte est plus récente et leur identification a beaucoup bénéficié du progrès technique qu'est la laryngoscopie en suspension avec examen des cordes vocales au microscope opératoire. La notion d'ancienneté de la dysphonie qui remonte souvent à l'enfance et le caractère parfois familial de celle-ci, doivent orienter vers ce diagnostic. Les kystes intra-cordaux développés dans le chorion sous-muqueux sont les plus fréquents. Il peut s'agir de kystes épidermiques bilatéraux dans 50 % des cas. Le diagnostic n'est fréquemment que suspecté, même au décours de l'examen DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 7 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille spécialisé, et c'est le plus souvent à l'intervention sous microscope que la preuve est apportée avec confirmation histopathologique . Le sulcus glottidis s'apparente aux kystes épidermiques. Il est presque toujours bilatéral et c'est lui qui est responsable de la classique "glotte ovalaire". C'est un sillon plus ou moins large et déprimé sur le bord de la corde vocale, responsable d'une importante fuite d'air en phonation entraînant une voix tout à fait caractéristique, soufflée, désonorisée et assez haute, qui permet le diagnostic "à l'oreille" pour le spécialiste qui en a l'habitude. Des micro-palmures muqueuses commissurales antérieures sont parfois découvertes aussi en laryngoscopie en suspension, associées aux nodules dans 20 % des cas. 4.3.2. Les laryngites chroniques Ce chapitre regroupe des lésions pour lesquelles le spectre de la dégénérescence cancéreuse doit être toujours présent à l'esprit du clinicien. Il s'agit au départ de phénomènes inflammatoires chroniques qui ont pour causes isolées ou intriquées, le malmenage vocal, le tabagisme, l'exposition à des vapeurs toxiques ou des foyers infectieux rhinosinusiens et pharyngés. Leur surveillance régulière est absolument indispensable et nécessite la plupart du temps un pelage- biopsie de la corde suspecte pour des examens anatomo-pathologiques sériés qui seuls permettront de déterminer le degré de gravité de la lésion pour pouvoir choisir une attitude thérapeutique en conséquence. Trois types principaux de lésions sont rencontrés : Laryngite chronique hypertrophique pseudo-myxomateuse ou œdème de Reinke, la voix est tout à fait caractéristique : c'est la voix du "buveur de bière", rocailleuse, grave, peu timbrée, de faible intensité chez l'homme qui est le plus fréquemment atteint ou bien la femme à qui l'on finira par dire "monsieur" au téléphone, alors qu'au début la connotation un peu sensuelle de celle-ci pouvait être plaisante. Les cordes vocales sont distendues par un œdème sous-muqueux développé sur leur face supérieure. Cet œdème presque toujours bilatéral peut être volumineux, flottant en drapeau dans la lumière glottique et parfois peut entraîner des accès dyspnéiques aigus lorsqu'il est aspiré vers la sous-glotte. La dégénérescence maligne de cet œdème de Reinke est rare, bien que l'influence du tabagisme soit déterminante dans le développement de cette lésion. Laryngite chronique hypertrophique diffuse, c'est la forme heureusement la plus banale et la plus fréquente. La dysphonie chez ce fumeur aux voies aériennes supérieures et inférieures encombrées, est d'abord épisodique, puis devient constante tout en restant variable. La dysphonie en général plus marquée au réveil, s'améliore ensuite pour réapparaître en fin de journée. La muqueuse des cordes vocales est épaissie et hypervascularisée, recouverte de sécrétions muqueuses responsables d'un hemmage permanent. Sans surveillance et surtout sans traitement approprié, cette forme de laryngite chronique évoluera fréquemment vers le 3e type de laryngite. Laryngite chronique dysplasique. C'est dans ce cadre de laryngite où il y a une transformation des structures histologiques de la muqueuse que le risque de dégénérescence maligne est le plus grand. Il s'agit toujours de sujets exposés, hommes le plus souvent, avec une voix très couverte, grave, de faible intensité, ne "portant" pas. Les aspects sont variés allant de la plaque de leucoplasie à la pachydermie blanche totale, au papillome corné de l'adulte. L'important dans tous les cas est de faire un pelage-biopsie large pour avoir un examen anatomo-pathologique sérié qui seul permettra de déterminer avec précision le degré de gravité. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 8 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille 4.3.3. Les cancers laryngés C'est la préoccupation constante devant toute dysphonie chronique chez l'adulte de 40 à 50 ans surtout s'il présente des causes prédisposantes. L'enrouement de plus en plus marqué est le signe d'appel majeur, il peut s'accompagner d'une otalgie réflexe assez évocatrice. Il ne faut pas attendre qu'une dyspnée s'installe, qu'il présente une expectoration hémoptoïque, une adénopathie cervicale ou une baisse importante de l'état général pour consulter le spécialiste. Malheureusement, c'est souvent le malade qui, par peur de la réalité ou par négligence, attend ce stade pour le faire. Les trois étages du larynx sont concernés, isolément au début ou en association par extension plus tardivement, sus-glottique, glottique ou sous-glottique. Le plus "intéressant" est l'étage glottique avec le néoplasme de la corde vocale car c'est celui qui donnera les signes vocaux d'appel les plus précoces et par conséquent permettra d'entreprendre un traitement dans les meilleures conditions avec de très grandes chances de guérison. Le diagnostic à l'examen en laryngoscopie indirecte est en général facile, montrant une lésion bourgeonnante et ulcérée entraînant une rigidité de la corde vocale plus ou moins importante selon son extension en profondeur et en longueur. Certaines tumeurs de l'hypopharynx peuvent aussi avoir un retentissement vocal par envahissement du mur laryngé, mais c'est en général à un stade avancé de la lésion et la dysphagie est prédominante. 4.3.4. Les troubles de la mobilité des cordes vocales La voix d'une personne présentant une paralysie récurrentielle est assez facile à reconnaître : elle est de faible intensité, voilée, parfois même franchement soufflée, peu modulée, souvent bitonale. Du fait de la déperdition d'air, les phrases prononcées sont courtes et le sujet accuse souvent une dyspnée modérée pendant la conversation. A cette dysphonie, se surajoutent des troubles de la déglutition, surtout pour les liquides. L'examen laryngé montre une corde vocale immobile qui ne s'écarte pas à l'inspiration. Les troubles vocaux sont d'autant plus important que la corde paralysée est fixée dans une position davantage éloignée de la ligne médiane. Cette corde est habituellement arquée, atrophique et hypotonique. Pendant la phonation, on observe un défaut d'accolement sur un plan horizontal qui dépend de la position de la corde vocale paralysée et un défaut d'affrontement sur un plan vertical qui dépend essentiellement du degré d'hypotonie de la corde. A la stroboscopie, la corde vocale paralysée présente le plus souvent une vibration passive "en drapeau" expliquant la bitonalité. Les étiologies : nous nous contenterons de rappeler que le plus gros contingent est fourni par une compression ou un traumatisme du nerf récurrent tout au long de son trajet (traumatisme cervical, chirurgie cervicale, thyroïdienne en particulier, chirurgie thoracique). Il existe aussi des paralysies dites "a frigore" dont certains évoquent l'étiologie virale et qui souvent récupèrent spontanément au bout d'un délai qui peut être de plusieurs mois. Signalons enfin qu'il existe des paralysies récurrentielles bilatérales dont la symptomatologie respiratoire est au premier plan avec une dyspnée inspiratoire de type bradypnée accompagnée de tirage (mise en jeu des muscles inspiratoires accessoires cervicaux avec dépression inspiratoire sus sternale et sus claviculaire). DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 9 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille Lorsqu'il existe un blocage de l'articulation crico-aryténoïdienne, après traumatisme laryngé, exogène ou endogène (en particulier après intubation anesthésique ou pour réanimation), la corde vocale est fixée, tout comme dans la paralysie récurrentielle, et ne s'écarte pas lors de l'inspiration. Par contre, elle n'est pas atrophique et la vibration stroboscopique n'est pas ou peu altérée. Les signes vocaux sont donc beaucoup moins importants que dans la paralysie récurrentielle et ce sont souvent les phénomènes douloureux qui attirent l'attention du patient. Le diagnostic différentiel se fait par la stroboscopie et éventuellement par l'électromyographie. 4.3.5. Les dysphonies à cordes vocales normales Toute dysphonie ne correspond pas nécessairement à une altération de la morphologie laryngée et un certain nombre d'entre elles ne comportent pas d'altération évidente. Nous nous contenterons de signaler les principales : Dysphonies dysfonctionnelles qui apparaissent à la suite d'un surmenage ou d'un malmenage vocal. A un stade précoce, on n'observe pas de lésion de type nodulaire mais un défaut de fermeture et parfois une hypotonie des cordes vocales expliquant la tonalité abaissée et le timbre voilé. Les sujets se plaignent d'une fatigabilité vocale à l'effort, d'une diminution de l'étendue tonale et d'une difficulté à élever l'intensité. Dysphonies psychogénes. Deux tableaux cliniques très particuliers méritent d'être signalés : les séquelles de trouble de la mue qui se caractérisent chez un sujet masculin par la conversation d'une voix aiguë, parfois même infantile de type voix de fausset alors que la morphologie laryngée est tout à fait normale. Ces troubles de la mue apparaissent à l'adolescence, persistent souvent à l'âge adulte et entraînent chez le sujet qui en est porteur des répercussions psychologiques importantes qui entravent beaucoup la communication. Les dysphonies spasmodiques qui comportent une altération vocale tout à fait typique avec apparition de spasmes vocaux pendant la parole. La voix est "coincée", de faible intensité, parfois chevrotante. Cette dysphonie apparaît à tout âge mais surtout à l'âge adulte. Son étiologie est discutée, neurogène pour certains, psychogénique pour d'autres. Son pronostic est toujours assez péjoratif quelle que soit la thérapeutique. 4.3.5.1. Troubles hormonaux de la voix En dehors des altérations classiques de la voix dans le myxoedème, rappelons que les androgènes et les anabolisants entraînent parfois chez la femme une "virilisation vocale" plus ou moins irréversible se caractérisant par un abaissement de la tonalité et une certaine "raucité" du timbre. 4.3.5.2. Voix du vieillard Chez certaines personnes âgées dont la voix devient au fil des années faible, éraillée, cassée avec, à l'examen laryngé, un aspect de glotte ovalaire. Cet aspect serait dû à la fois à l'hypotonie musculaire et à l'atrophie muqueuse. 5. Moyens thérapeutiques La lutte contre les facteurs favorisant l'apparition d'une dysphonie chronique de l'adulte et l'entretenant ensuite, est certainement l'attitude la plus positive que l'on puisse avoir. Faire prendre conscience au malade des risques qu'il court avec l'abus du tabac, l'aider à s'en passer, rechercher des conditions de travail à risques (bruit, toxiques) et intervenir à ce niveau, lui faire comprendre que ce moyen de communication qu'est la voix ne doit pas être surmené et qu'il doit DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 10 O.R.L.
Faculté de Médecine de Marseille au besoin se faire aider par l'orthophoniste comme le sportif va chez le kinésithérapeute, sont des moyens simples auxquels tout médecin doit penser devant ce type de patient. La recherche aussi de causes locales favorisantes est importante notamment le dépistage et le traitement des affections chroniques des voies aériennes supérieures, rhino-sinusiennes et pharyngées, qui jouent souvent un rôle dans l'apparition, l'entretien et l'aggravation des dysphonies chroniques de l'adulte. 5.1. Les moyens médicaux Ils sont en général suffisants dans les phénomènes dysphoniques aigus et sont souvent nécessaires à titre d'appoint, dans les cas chroniques. Les anti-inflammatoires peuvent être utilisés, principalement les stéroides. La voie veineuse n'est en général pas indispensable. Des antibiotiques sont nécessaires en cas d'infection surtout ceux diffusant bien au niveau des muqueuses des voies aériennes supérieures. Il est également possible de prescrire des fluidifiants et protecteurs des muqueuses respiratoires. Par voie locale, les mêmes types de médicaments peuvent être prescrits soit sous forme de pulvérisations ou spray, soit sous forme d'aérosols. 5.2. Les moyens chirurgicaux 5.2.1. Traitement des lésions bénignes C'est un nouveau concept de chirurgie fonctionnelle, la phonochirurgie, qui a vu le jour ces vingt dernières années à côté du traitement des lésions cancéreuses qui était la seule préoccupation des laryngologistes. Le laser CO2 a été l'objet d'un grand engouement lors de son apparition pour le traitement de ces lésions bénignes, mais s'il a encore quelques adeptes, la majorité des auteurs reconnaît à présent la supériorité de la microchirurgie instrumentale qui est bien plus précise et donc mieux adaptée à la taille souvent très petite des lésions à traiter. 5.2.2. Traitement des lésions malignes Dans ce domaine aussi, les techniques ont beaucoup évolué, leur but étant autant que possible de préserver une fonction vocale par la chirurgie partielle du larynx ou d'en recréer une autre par des laryngectomies reconstructives. La voie oesophagienne n'est réservée qu'aux cas où la laryngectomie totale ne peut être évitée. La radiothérapie a aussi des indications soit comme traitement isolé d'une lésion cordale non fixée par exemple, soit comme adjuvant d'un traitement chirurgical quand il s'agit d'une lésion étendue avec envahissement ganglionnaire cervical. Le laser CO2 enfin trouve ici de meilleures indications que dans les lésions bénignes, soit dans le traitement des dysphasies suspectes, soit dans la chirurgie de rattrapage des récidives. 5.3. La rééducation vocale Le but de la rééducation vocale est d'améliorer les troubles vocaux par une thérapeutique d'exercices. Cette rééducation est pratiquée par le médecin phoniatre ou l'orthophoniste ; sa durée s'échelonne sur plusieurs mois au rythme d'une à deux fois par semaine. Elle est basée sur des exercices corporels, respiratoires, vocaux, qui sont réalisés d'abord avec le rééducateur, puis par le patient seul, de façon à modifier les habitudes vocales. Elle intervient soit seule lorsqu'il n'y a pas de lésion laryngée ou, lorsqu'on pense que la lésion laryngée est secondaire au surmenage vocal et par conséquent réversible ; soit en complément des autres thérapeutiques en particulier après la microchirurgie laryngée. DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 11 O.R.L.
Vous pouvez aussi lire