Lancement de la TNT : un nouveau paysage médiatique ?

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Lancement de la TNT : un nouveau paysage médiatique ?
La TNT a été lancée à la fin du mois de mars avec la norme technique MPEG-2. Selon Jean-
Pierre Raffarin : « Il s'agit là d'un progrès social, d'un progrès technologique mais aussi d'un
progrès culturel. C'est le libre-choix, la capacité du pluralisme qui se trouve ainsi renforcée ».
L'offre payante sera lancée à la fin 2005 avec la norme MPEG-4 de façon que                   « La
diffusion hertzienne prenne également en compte une stratégie d'introduction de la télévision
en haute définition ».
En coulisse, une vraie guerre des normes de compression a fait rage. TF1 et M6 craignant
de voir de nouveaux venus manger une part du gâteau publicitaire, se sont acharnés à
enterrer la TNT. En novembre 2001, Patrick Le Lay attaquait : « La TNT est un projet
marxiste car les chaînes du numérique terrestre ne sont pas choisies par le public, mais par
les fonctionnaires du CSA. » En juin 2002, il qualifiait la TNT de « mauvais projet » et le
choix des chaînes par le CSA de « recul des libertés ». A l'arrivée du gouvernement Raffarin
il proposait -en vain- un décret d'abrogation de la TNT. Un an plus tard, il sort de son
chapeau la télé par ADSL qui, dit-il, remise la TNT « au magasin des accessoires ». Alors
que NRJ Group, qui lance une télé gratuite sur la TNT, défend becs et ongles le choix de la
norme MPEG2, Le Lay affirme, en avril 2004, que « Le Mpeg 2 sera obsolète dans six mois»
et «les téléspectateurs français ont droit à la haute définition ».
En 2005, changement de partition, Le Lay effectue une volte-face acrobatique. Face à la
décision gouvernementale devenue irréversible, il se déclare favorable à MPEG2 et va
jusqu'à critiquer l'idée de la télévision haute définition hertzienne. Ne pouvant pas se payer le
luxe de bouder, il prône le Mpeg 2 pour toutes les chaînes, gratuites comme payantes, et le
plus vite possible. En octobre 2004, le Conseil d'Etat - suite à une plainte de la Une - a
annulé, pour une question de procédure, les autorisations données par le CSA aux chaînes
de Canal + et Lagardère. Un nouvel appel d'offres, qui n'aboutira qu'au printemps. TF1, veut
que TPS Star, accède enfin, comme sa rivale Canal +, à la diffusion hertzienne. M6 veut
proposer Paris Première et Téva. TF1 et M6 veulent retrouver sur la TNT leur hégémonie
publicitaire et n'en laisser que des miettes aux nouveaux entrants (Lagardère, NRJ, AB et
Bolloré) et aux chaînes publiques.

Les relations entre diffusion hertzienne et pouvoir
Le rapport Boudet, sur lequel se fonde la décision du gouvernement cite la longue liste des
particularismes français dans le domaine de la télévision :
        « En 1966, la France adopte le SECAM, contre tous les autres pays membres du
        Comité Consultatif International des Radiocommunications (CCIR) réunis à Oslo puis
        à Vienne.
        En 1982, refait surface le rêve oublié de la haute définition (HD) à la française. Il
        s’appelle désormais D2-MAC (pour Duobinary Digital Multiplex Analog Components)
        Les premiers récepteurs intégrant cette nouvelle norme sont commercialisés en 1988,
        au prix d’environ 6000 €. Personne ne voit de différence avec l’image SECAM. Reste
        cependant le format 16/9e. En 1989, le D2-MAC devient HD-MAC. Quelques
        parlementaires, notamment les députés Michel Pelchat et Michel Péricard, et le
        sénateur Jean Cluzel, demandent qu’on arrête le massacre et suggèrent qu’on tourne
        plutôt le regard vers les progrès réalisés, aux Etats-Unis et au Japon, dans le
        domaine de la compression numérique. En 1993, ils sont enfin entendus : le HD-MAC
        est abandonné. »
Les interventions contre le D2Mac méritent un développement (on sait qui est Péricard, par
exemple). Les dates données par le rapport sont entachées d'erreurs, certains acteurs sont
omis (R. Forni), la position particulière d'A. Rousselet (Canal+) n’est pas signalée. L’aspect
politique des interventions contre le D2Mac n’est même pas évoqué dans le rapport.
La politique gaullienne inscrivait la TV dans le cadre des fonctions régaliennes de l’Etat. Je
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ne peux qu'esquisser ici les contours de cette politique, discutable mais cohérente. La
relation directe entre le président de la République et le peuple français (c'est à dire par-
dessus les partis politiques et le parlement), fondement de la conception gaullienne de l'Etat,
donnait un rôle important aux médias, en première ligne la télévision. Le service public était
clairement service de l'Etat. On se souvient de la ligne directe d'Alain Peyrefitte, ministre de
la communication, avec le présentateur du journal télévisé et de Pompidou disant aux
journalistes de la première chaîne qu'ils étaient la « voix de la France ». Le second aspect,
d'essence politico-militaire, concernait l'impératif, lié au développement de la force de frappe,
du maintien d'une l’industrie électronique française de pointe (le plan calcul, dont Bull est la
dernière survivance) mais aussi grand public.
Pourtant largement érodée sous Giscard d'Estaing, cette politique défensive a survécu à
l'arrivée de Mitterrand en 1981. Je rappelle simplement le dédouanement des
magnétoscopes à Poitiers destiné à ralentir l'importation de matériel japonais et qui nous
vaut le gag du caméscope pour lequel il faut payer un surprix par rapport aux autres
marchés pour que la fonction d’enregistrement d’un signal extérieur soit bloquée ainsi que le
paiement d'une taxe sur la clé qu'il faut acheter pour libérer ce blocage. Cette politique n'est
parvenue à sauver ni une industrie électronique de pointe ni une industrie électronique grand
public. Plus encore, la politique gaulliste de l'audiovisuelle s’est délitée pour des raisons
politiques, techniques (les nouveaux médias de diffusion : satellite, câble, Internet, ...) et
économiques (l'introduction de la publicité sur les chaînes publiques, les privatisations, …).

La diffusion hertzienne au service de la création
Un système d’aide à la production, à la diffusion et à la création très élaboré est né peu
après la guerre pour aider et protéger l’industrie cinématographique de la concurrence
étrangère, en particulier américaine. Avec l'introduction de la publicité (destinée en particulier
à financer l'introduction de la couleur), les chaînes se sont vues imposer d'investir une partie
de leurs recettes publicitaires dans la production cinématographique pour compenser la
désaffection des salles. La participation des chaînes de télévision à cette production est
devenue décisive alors même qu'elles sont de plus en plus soumise à la logique de
l'audimat. Les chaînes soutiennent des projets susceptibles de plaire à coup sûr au plus
grand nombre. Pour obtenir leur participation financière il est impératif de respecter
formatages et codes préétablis. La majorité des maisons de production n’investissent plus de
fonds propres mais agissent en interface active entre le réalisateur et les sources de
financements (avance sur recettes, Fonds Sud, chaînes TV, Eurimage, Soficas, régions). Un
réalisateur est confronté, via son producteur et un ou plusieurs coproducteurs qui à trois,
quatre, cinq décideurs financiers, voire plus, chacun ayant ses exigences, éventuellement
contradictoires, et son mot à dire.
Les ministres de la culture qui se sont succédés ont multiplié les astuces pour financer la
culture en raclant un peu partout des fonds de tiroirs. En 2003, les luttes des intermittents ont
porté sur la place publique ce que tout le monde savait : une part importante du temps de
travail bien réel est payé par les allocations chômage, donc par des cotisations de
l'ensemble des salariés. Sur les courts métrages, on ne paye plus personne et sans un tel
système, certains films ne verraient pas le jour et de nombreux professionnels seraient
contraints de changer de métier. On est arrivé à trouver cela normal, et même à défendre le
maintien du système au prétexte qu'il n'y pas d'autres moyens de survivre ?
Le rapport Boudet souligne l’importance particulière de la TNT en France :
      « L’absence de HD risque de confiner la télévision hertzienne terrestre à une
      technologie considérée comme obsolète par les téléspectateurs et plutôt adaptée à la
      diffusion de programmes moins ambitieux. Il est probable qu’une telle stratégie
      réduirait à terme significativement la part de la diffusion hertzienne terrestre au
      bénéfice de ses concurrents câble, satellite et ADSL.
      Or, la télévision hertzienne terrestre joue un rôle essentiel dans la politique de
      diversité culturelle française que notre pays cherche à faire accepter et partager par
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        nos partenaires internationaux. La télévision hertzienne terrestre est en effet le
        support où la capacité de régulation de l’Etat est la plus forte1. En particulier, elle
        est un élément fondamental dans la politique de soutien à la production audiovisuelle
        et cinématographique française. »
Il semble que la défense de la diversité culturelle justifie de ne plus s'interroger sur les
dispositifs mis en place. Le choix d'une norme, d'un canal pour diffuser des émissions de
télévision cesse d'être une question technique (les propriétés du média), économique (les
coûts), ou d'équité (la couverture du territoire) mais devient une décision déterminante sur
l'évolution du contenu des œuvres produites. Le choix entre deux normes dont la durée de
vie ne sera pas forcément très grande devient un enjeu central de la défense de la politique
de diversité culturelle soutenue par la France. C'est une conséquence du chaos créé par les
montages politico-financiers « astucieux »mis en place pour permettre un financement
indolore des politiques culturelles. Reproduisant des mécanismes de soutien classiques
dans le paysage français, il est question d’introduire une taxe sur la diffusion hertzienne de la
télévision HD :
        « Les sommes ainsi recueillies pourraient alors être affectées au compte de soutien
        aux industries cinématographiques et audiovisuelles placé auprès du Centre National
        de la Cinématographie (CNC) en vue de l’instauration de mécanismes financiers
        nouveaux contribuant à accélérer le développement de la haute définition dans les
        industries cinématographiques et audiovisuelles. Ce mécanisme permettrait de
        compenser en partie le surcoût des tournages en haute définition. »
Le rapport Boudet insiste lourdement sur un caractère décisif de la diffusion hertzienne pour
toute la production audiovisuelle.
        « En empêchant toute évolution de l’offre de la TNT, que ce soit par l’introduction de
        la HD, celle de nouvelles chaînes gratuites ou payantes ou celle encore de services
        interactifs, cette formule réduit l’attrait de la réception hertzienne par rapport au câble,
        au satellite ou aux réseaux ADSL Elle ferait du domaine hertzien celui de la diffusion
        de programmes au contenu moins ambitieux. Ceci conduirait inéluctablement à une
        décroissance de l’importance de la diffusion hertzienne au profit des modes
        concurrents de diffusion, câble, satellite et ADSL, alors qu’elle constitue le principal
        vecteur du soutien à la création audiovisuelle et cinématographique. Ce
        scénario est donc susceptible de fragiliser, à terme, la politique de diversité culturelle
        constamment suivie par notre pays. »
Cette position, qui consacre la réduction du cinéma et de la création à un statut d’assisté
trouve pourtant un fort soutient dans le milieu de la production cinématographique. Le 3
novembre 2004, dans un communiqué de Presse, le BLIC (Bureau de liaison de l'Industrie
cinématographique), le BLOC (Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma) et l’ARP
déclaraient :
        « La nature hertzienne de la TNT lui confère une dimension régalienne dans l'octroi
        de ses fréquences et donc une capacité régulatrice fondamentale pour les industries
        de contenu et en particulier pour le cinéma. La TNT ne doit donc pas être une
        télévision bas de gamme qui verrait les technologies de diffusion les plus attractives
        lui échapper au profit de modes de diffusion plus complexes à réguler. »
        «…»
        « Le BLIC, le BLOC et l'ARP demandent donc aux pouvoirs publics de tout mettre en
        œuvre afin que la TNT ne soit pas un facteur de déstabilisation du paysage
        audiovisuel ni un vecteur de fragilisation de ses acteurs et de rendre donc les
        conditions de son lancement les plus lisibles et les plus stables possibles. Ils
        souhaitent en particulier que les normes en matière de TNT s'adaptent aux usages
        (maturité technologique, capacité de compression, coût des équipements, …) et non
        l'inverse. »

   1
       Souligné par moi.
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La vacuité du rapport sur tout enjeu esthétique
Le rapport Boudet affirme sans réserve ni précaution que « Production et diffusion
constituent de fait deux univers techniques disjoints. Le niveau de résolution utilisé en
production est d’ailleurs beaucoup plus élevé que celui qui est diffusé vers les ménages. Les
débits de diffusion dominent néanmoins les débats sur l’introduction de la HD. »
La première affirmation est discutable. Les technologies actuelles autorisent une
convergence des moyens de la production et de ceux de la diffusion. Une séparation accrue
résulte d’une volonté politique et/ou commerciale. Le maintien volontariste du plus large parc
de récepteurs hertziens s’inscrit dans une telle volonté. Le rapport est explicite : le
destinataire n’est ni la collectivité ni un ensemble de singularités mais bien cette unité de
consommation, ce foyer fiscal qu’est le « ménage ». Pour la commission Boudet La TNT
appartient bien à l’univers de l’électroménager et non au service public, terme dont la seule
occurrence dans le rapport se trouve dans la description d’une solution non soutenue.
La seconde partie de la phrase est erronée, c’est le codage / compression qui est source de
problème et non la résolution de l’image. Tout signal vidéo, analogique ou numérique est
codé et compressé. C’est d’ailleurs la source de la multiplication des normes. On transforme
une image (bidimensionnelle) mouvante en un pur signal temporel. La qualité de l’image
diffusée est toujours le résultat d’un compromis entre les théories de la perception
techniquement disponibles et les composants que l’on est capable de produire
industriellement à des coûts socialement acceptables. C’est ainsi que l’on est parvenu à des
signaux TV composites codant des images entrelacées. La résolution utilisée en production
n’a pas à être beaucoup plus élevée que celle qui est diffusée. Une définition plus élevée au
tournage permet de recadrer, sans perte, l’image. C’est sa seule utilité. Il faudrait d'ailleurs
s'entendre sur ce que signifie « haute définition ». Pour la TV actuelle on a un peu plus de
400'000 pixels renouvelés tous les 25ème de seconde. Pour la « haute définition », les
normes prévoient respectivement 2 millions de pixels tous les 25ème de seconde ou 1
million de pixels tous les 50ème de seconde. Or, pour le support argentique, une image 35
mm est grossièrement assimilable à prêt de 30 millions de pixels.
Si l’on ne prend en considération que l’image, le travail de postproduction comporte trois
phases principales : le trucage, le montage et l’étalonnage. La compression d’une trame
(JPEG) affecte les capacités de découpe, donc de trucage des images. La compression
intertrame entraîne une perte des « times codes » si précieux dans le montage moderne. La
question de l’étalonnage est plus complexe, la qualité des couleurs réellement montrées au
téléspectateur dépend étroitement du réglage de son téléviseur. Les défauts de l’image
vidéos ne se limitent pas à la seule définition, il y a des problèmes de dynamique, de faible
densité des noirs, de difficultés de maîtriser les effets de profondeurs de champ. Cet
ensemble de phénomènes a conduit les protagonistes des projets de diffusion numérique
dans les salles de cinéma à travailler non sur la résolution avant tout mais bien plutôt sur la
dynamique des images. La solution aujourd'hui adoptée est le DLP (Digital Light Processor)
un composant de base des projecteurs, développés par Texas instrument, constitué de
milliers de micro-miroirs oscillants montés sur un axe. Ils vont selon leur position renvoyer la
lumière émise par une source de lumière soit vers un écran soit vers un piège à lumière.
Pour la couleur, soit on utilise trois matrices correspondant aux couleurs rouge, vert, bleu et
on superpose les trois flux lumineux à l'aide d'un prisme optique. Soit on utilise une seule
matrice et on interpose sur le chemin optique une roue à trois segments constitués des filtres
rouge, vert, bleu tournant à grande vitesse. La vitesse de diffusion est de 24 images par
seconde. Les taux de contrastes, limités par les contaminations entre chemins du flux
lumineux dépassent 1750 :1 (mesurés) et les luminosités permettent de projeter sur des
écrans atteignant 24 mètres de base dans le respect de la qualité cinématographique. La
technologie Sony SXRD (Silicon Crystal Reflective Display) se positionne comme la seule
alternative aux projecteurs DLP cinéma.
A ma connaissance, s'il est question d’aides européennes à l’équipement des salles, rien
n'est prévu pour la numérisation des films eux-mêmes. Dans le cas des films qui, comme
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The Matrix Revolutions sortent simultanément dans des dizaines de pays avec pour chacun
des centaines de copies, les coûts de codage sont largement compensés par l’économie sur
les supports. Ils sont par contre rédhibitoires pour les films n’ayant que deux ou trois copies
en circulation. Ces derniers ne seront probablement encodés que selon le mode le moins
cher (c’est à dire en utilisant des procédures standards largement automatisées). Ce mode
de sortie préfigure sans doute la manière dont seront diffusés les films, dès que les
techniques numériques le permettront (câbles, satellites, salles équipées en H.D.)
Le rapport affirme sans précaution qu’une compression d’un facteur quarante est possible
sans perte de qualité :
         « Pourtant, recevoir une émission de télévision en définition standard ne nécessite
         que 4 Mbits/s, soit près de quarante fois moins, et sans dégradation visible de qualité.
         [ … ] C’est la compression numérique qui est à l’origine de ces prouesses. Les
         normes de compression constituent donc les fondations de la télévision numérique :
         quoique invisibles, elles soutiennent tout l’édifice. ».
S’il est bien vrai que les normes de compression sont à la base de la télévision numérique,
les affirmations sur la compression des images sont à tout le moins sommaire. Affirmer
l’absence de dégradation visible de la qualité mériterait de parler plus avant de l’œil qui
regarde l’image et de la référence de qualité choisie. Il serait plus correct de dire que, le plus
souvent, l’image TV est suffisamment médiocre, même en haute définition, pour que la
compression n’aggrave pas les choses de façon significative. Les effets esthétiques de la
compression des images peuvent être appréhendés de trois points de vue très différents :
     -on fixe le niveau de qualité exigé, la compression obtenue dépend alors de la nature de
         l’image (durée d’un plan, complexité de l’image, etc.), cette façon de procéder impose
         un volume de travail important, mais aussi de disposer de réserves de bande
         passante,
     -la bande passante disponible impose le rapport de compression, la qualité dépend de la
         nature des images (durée d’un plan, complexité de l’image, etc.), il y a fort à parier
         que ce sera l’option dominante d’une diffusion hertzienne ne serait-ce qu’en raison
         des bandes passantes limitées,
     -enfin, pour rester maître de son œuvre, le réalisateur peut choisir d’adapter son image à
         la compression (plan long, transitions douces (fondus enchaînés, etc.), couleurs en
         grands « à plats », etc.), pas besoin d’être devin pour envisager ce qui va se passer,
         les contraintes d’une future diffusion à la télévision jouent déjà un rôle déterminant
         dans le montage financier de la plupart des films.
J’invite ceux qui ne sont pas convaincus par ce dernier argument d’écouter certains CD-
audios destinés aux adolescents qui reproduisent un son, une ambiance, ressemblant au
MP3. Un spécialiste de la sonorisation m’a même affirmé qu’on lui demandait de colorer
ainsi certains concerts.
Le codage / compression d’une œuvre de création est en fait sa migration vers un nouveau
support et devrait normalement se faire sous une direction artistique qualifiée (ce qui se
passe pour certains DVD par exemple). Conduites de cette façon, les opérations d’encodage
sont consommatrices de main d’œuvre et coûteuses. En toute rigueur, tout travail de ce type
devrait se faire à partir du matériel original, car toute compression signifie une perte
d’information et le transcodage ne peut qu’accentuer les pertes. De ce point de vue la
multiplication des normes entraînera un bâclage du travail et une baisse de la qualité. Le
choix, par les sept studios américains regroupés au sein de la DCI de la norme JPEG-2000
(donc le renoncement à toute compression intertrames) pour la diffusion numérique dans les
salles de cinéma est significatif des risques qu’une application bête et brutale des
compressions intertrames fait courir au montage « cut » des films. Il ne faut pas perdre de
vue que si les normes imposent des limites aux qualités des images diffusées, elles n’en
déterminent pas la qualité artistique. L’exploitation réelle des possibilités des normes dépend
de considérations économiques. De ce point de vue, l’écart entre possibilités offertes par le
MPEG-4 et ce qui sera réellement mis en œuvre promet d’être particulièrement grand.
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Je ne donnerai qu’un exemple. Sous l’impulsion de Don Foresta, une collection de vidéos
historiques (Viola, les Vasulka, etc.) a été mise à disposition des écoles d’art, par une
association nommée « Art en réseau » sous la forme de bandes Umatic. Ce standard étant
en voie d’extinction la question du transfert vers un format numérique a été posée par le
ministère de la culture dont le projet initial était de financer un poste de numérisation et de
demander à différents partenaires de faire le travail de façon bénévole. A défaut
d'accessibilité du matériel original, la numérisation des œuvres impliquait au moins un travail
de « remastérisation ». Un tel travail pouvait se faire en Bnum sur les équipements du
Fresnoy. Le choix du Bnum se justifiait en raison des compétences en étalonnage
disponibles sur ce support. Une vidéo expérimentale (ce qui signifie souvent une vidéo hors
normes) peut être trahie dans une opération de « remastérisation » purement technique (par
exemple remettre, à l’oscilloscope, aux normes dites « broadcast » une vidéo qui viole
délibérément les couleurs autorisées par le NTSC). Les enjeux de ce travail sont artistiques,
il faut une direction artistique et du personnel technique. La « remastérisation » d’une bande
de deux minutes peut être aussi longue que celle d’une bande d’une heure (cela dépend
surtout du nombre de points de montage) et donc représenter plusieurs jours de travail.
Faute de financement, l’opération a été abandonnée. Je crois savoir que l'opération
numérisation a été reprise, sur le mode bête et brutal. Si même le ministère de la culture…
que faut-il attendre d’opérateurs commerciaux.

La télé différemment !
A moyen terme, le groupe de normes MPEG-4, 7 et 21 ne touchera pas seulement la
diffusion mais bien l’ensemble des logiques de production des industries de programmes.
Ces normes mettent en jeu directement des questions comme le statut d’auteur, le « final
cut », etc. Il y a derrière ces normes le passage d’œuvres fermées et achevées à des bases
de fragments recomposables à la demande. Le silence du rapport sur les enjeux même de la
TNT et de la TV HD est assourdissant. Une seule chose est évidente : en termes de
contenus, de création, la TNT, dans son état de lancement n'ajoute rien. Les chaînes
payantes diffuseront massivement du sport et des films, leurs deux moteurs traditionnels,
toutes les chaînes diffuseront des feuilletons largement amortis, des émissions de plateau,
des clips plus ou moins publicitaire. On peut s’attendre à la multiplication d’émissions du type
« best of » (plus ou moins à la demande) comme on en voit déjà beaucoup à la télévision.
La question que l'on peut se poser est de savoir si le pouvoir régalien associé à la diffusion
hertzienne n'a pas été l'occasion, plutôt que de décliner une fois de plus les produits bien
connus, d'envisager des choses différentes concernant la diffusion citoyenne, le cinéma ou
la vidéo produit de façon artisanale ou les productions plus expérimentales. Depuis des
années les habitants de ce pays payent la redevance télé, leurs impôts ont financé l'énorme
dispositif technique des relais télévisuels, les satellites, le plan câble etc.... et aucune chaîne,
aucun espace hertzien, aucun lieu des ondes où ils puissent intervenir quand ils le désirent
ne leur a été ouverte Une offre alternative à la diffusion dite « type broadcast » existe mais
peine à trouver des canaux de diffusion. C'est à trois expériences, très diverses de cet ordre
que nous avons laissé la place pour une seconde partie de soirée.
Télé plaisance, née la fin des 90 d'une diffusion pirate sur le quartier Plaisance/Tolbiac à
PARIS, se définit comme une télévision d'accès public, c'est à dire une télévision dont la
programmation dépend de celles et ceux qui désirent y participer donc du téléspectateur.
C'est une télévision polymorphe, polyglotte, polychrome, polyphone, polysémique et
polyvalente parce que quotidiennement un groupe différent propose et programme son
témoignage, son débat, sa fiction, sa documentation, son concert ou son expérimentation.
Depuis le 1er Novembre 2004, Télé plaisance est diffusée dans le bouquet de télévision sur
ADSL Freebox. Comme l'indique la plaquette de Télé plaisance :
     « Les ondes hertziennes invisibles, transporteuses d'image et de son, ne sont pas la
     propriété obligée des seules grandes sociétés commerciales. C'est ce principe de
     partage qui domine l'action de Téléplaisance . Aussi, ne vous étonnez pas de notre
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      désintérêt envers la rentabilité de cet espace hertzien. Il existe et les ondes sont
      grandes.
      Les ondes... c'est comme l'air, ça appartient à tout le monde ! »
TELEPLAISANCE (http://www.teleplaisance.org) (Navarro)
Jean-Pierre l Spiero (cinéaste et vidéaste indépendant) a parlé des relations entre la
production audiovisuelle et la télévision et souligné l'indigence des chaînes de la nouvelle
TNT en terme de création.
Philippe Charles propose, dans le cadre d'edith@paname - un projet artistique collaboratif
sur la ville fondé sur la mise en commun de base de fragments vidéo/photo/son dans une
base indexée. L’Automate, un appareil de montage cybernétique conçu pour produire un
parcours partiellement aléatoire dans un univers de plans-séquences, travaille la possibilité
de nouvelles représentations de la ville directement issues de l'apparition de nouveaux
modes de production-diffusion des images. Le développement d'edith@paname privilégie
l'exploration et la "stimulation" de territoires en mutation (passée, en cours ou annoncée)
conçus comme autant de surfaces "sensibles" - un quartier parisien multiculturel enclavé (la
Goutte d'Or), une zone nodale (Les Halles), des zones périurbaines… L’Automate n'est-il
pas en définitive un monstre qui "échappe" à la sensibilité (et donc au contrôle) de son
créateur ? S'il correspond à cette nouvelle manière de "surfer" sur ce monde d'images,
préfigure-t-il pour autant une nouvelle manière de se faire son cinéma ? Le "film-programme"
de l'ère du cinématographe et de la télévision céderait alors la place au "programme-film" à
l'ère du réseau mondial… Cette version de l'automate travaille cet entre-deux et vise à
produire un "programme" documentaire de 26' sur les Halles. http://www.philippecharles.fr)
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