Pages de Bretagne Pajennoù Breizh Paij de Brtêgn - Livre et ...
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¶ Pages de Bretagne Pajennoù Breizh Paij de Brtêgn #36 Mars Miz Meurzh Mouâz d’marr 2014 Revue trimestrielle à la une : Hervé Bellec Kelaouenn drimiziek Gâzètt su touâz mouâz dossier : Littérature et paysage Hervé Bellec ©Jérôme Sevrette Libraire : Jean-François Delapré Photographe : Jérôme Sevrette Facile à lire : la bibliothèque pour tous les publics Le livre au Japon GéoCulture en Aquitaine Les Tablettes rennaises Les éditions Dialogues Herri ar Borgn, skrivagner
Édito / Pennad-stur / Biyèt d’la redijri Nous sommes environnés de récits. Ceux nouveaux paysages. Ils sont nombreux à construits, transmis, polis, sans cesse habiter et créer en Bretagne, et tout aussi transformés par des auteurs anonymes et nombreux à y être invités, et parfois leur qui forment l’imaginaire breton, mais aussi visite trouve un prolongement dans leurs ceux des écrivains d’ici ou d’ailleurs qui textes. Je ne voudrais pas oublier les écri- nous font voir autrement nos pays et nos vains en langue bretonne. Ils exploitent la paysages. La littérature donne dimension poétique de cette à voir des points de vue qui enri- langue qui pense la mer, la chissent notre relation avec les terre et les activités humaines lieux de notre quotidien. Sans autrement que le français. elle, ils s’effacent peu à peu Cette pensée fait partie du ou s’appauvrissent. Les écri- vains, poètes ou romanciers patrimoine immatériel de l’humanité ; nous ne pouvons 2 ©Daniel Mingant nous offrent une langue qui que les remercier de la main- apporte de nouvelles nuances tenir vivante. Aussi, je ne peux à la représentation de nos que vous inviter à découvrir paysages. Nous pourrions la richesse de cette littérature aligner une kyrielle de noms qui constitue la Bretagne où, d’écrivains prestigieux qui comme l’écrit Paol Keineg (un par le passé ont évoqué la Bretagne et ses auteur majeur de Bretagne et d’ailleurs), habitants, pour le meilleur et pour le pire, « bombarde et biniou kozh tiennent les mais il ne faudrait pas faire croire que la moineaux en respect* ». littérature s’est arrêtée au siècle dernier. * Extrait de Voyage d’été, publié par les éditions Les œuvres des écrivains contemporains Wigwam et réédité en 2012 par les éditions sont essentielles pour appréhender nos Les Hauts-Fonds dans un recueil intitulé Abalamour. Bez’ ez eus danevelloù e pep lec’h tro-dro ar skrivagnerien a vremañ evit kompren dimp. Ar re bet savet, kaset, peurlipet, hon dremmvroioù nevez. Kalz anezho zo o treuzfurmet dizehan gant aozerien dianav chom hag o krouiñ e Breizh. Ken niverus hag a stumm faltazi Breizh, hag ivez re ar all eo ar re a vez pedet eno, hag a-wechoù skrivagnerien ac’hann pe a lec’h all a ra e kaver roudoù eus o gweladenn en o dimp gwelet hor broioù hag hon drem- zestennoù. Ne fell ket din disoñjal ar skri- mvroioù en un doare disheñvel. Gant al vagnerien vrezhonek : ober a reont gant lennegezh e vez roet da welet savboen- barzhoniezh ar yezh-se a soñj er mor, en toù hag a binvidika hon darempred gant douar hag en oberoù an dud en ur mod lec’hioù hor buhez pemdez. Paneveti e disheñvel diouzh ar galleg. Emañ ar soñj-se steuziont tamm-ha-tamm, pe ez eont war e-barzh glad dizanvezel an denelezh, ha ret baouraat. Gant ar skrivagnerien, barzhed eo dimp trugarekaat anezho evit derc’hel pe romantourien, e vez roet dimp ur yezh anezhañ bev.Setu ne c’hallan nemet pediñ hag a zegas arlivioù nevez da daolenna- ac’hanoc’h d’ober anaoudegezh gant puil- dur hon dremmvroioù. Gallout a rafemp hded al lennegezh-se a ya d’ober Breizh. menegiñ un aridennad anvioù skriva- Eno, evel ma skriv Paol Keineg (un aozer gnerien brudet-kaer hag o doa graet anv pouezus-meurbet eus Breizh hag eus lec’h eus Breizh hag hec’h annezidi en amzer all) : « E vez dalc’het ar filiped a-bell gant ar dremenet, evit ar pep gwellañ pe ar pep vombard hag ar binioù-kozh* ». gwashañ, met arabat e vefe krediñ e oa * Arroud diwar Voyage d’été, embannet gant an chomet al lennegezh a-sav er c’hantved embannadurioù Wigwam hag adembannet e 2012 gant tremenet. Pouezus-kaer eo oberennoù an embannadurioù Les Hauts-Fonds en un dastumad anvet Abalamour.
Portrait d’un lecteur / Poltred ul lenner / Portrèt d’un lizou Auray Jean-Noël Guennan, marcheur-lecteur Marcher, lire, écrire, voilà le toit du monde, qui s’est fait passer pour voiture. J’avais l’impression qu’ils étaient des activités qui se marient un alpiniste afin d’atteindre l’Everest, et tous devenus fous, sur la route. » Jean- très bien. Amoureux de la surtout Hervé Bellec, qui reste l’un de ses Noël a parcouru et parcourt encore la marche et du paysage, Jean- auteurs préférés. « J’ai lu tous les bouquins Bretagne. Contrairement à ce qu’on en dit Noël Guennan est l’un de d’Hervé Bellec. Je trouve qu’il a le chic pour parfois, il trouve le paysage breton plutôt ces nombreux marcheurs- faire participer le lecteur à son aventure. préservé. « La Bretagne se défend bien, lecteurs qui parcourent à Quand je suis tombé sur Garce d’étoile, je pour ses paysages. J’en ai fait presque le pied la Bretagne en tous sens venais de faire le chemin de Compostelle. tour et je l’ai traversée dans tous les sens. et se risquent parfois au-delà. Je n’ai pas le même talent, mais lors de J’ai passé des journées entières où je me Né dans la presqu’île de Rhuys et mon voyage à Rome, des gens me suivaient sentais bien. » Jean-Noël suit les chemins aujourd’hui retraité, Jean-Noël Guennan sur mon blog [117 jours de marche, 36 000 de randonnée et les sentiers balisés, sans est resté fidèle à ce coin de Bretagne, bien visites]. Au début, j’écrivais cinq lignes par lesquels il reconnaît qu’il ne serait jamais qu’ayant pas mal bourlingué dans sa vie jour, à la fin, c’était dix pages ! » À 63 ans, devenu le marcheur qu’il est. La signalé- professionnelle : matériaux de construc- Jean-Noël a toujours envie de marcher, tique joue son rôle, même s’il se dit que, tion, restauration, édition de sets de table, bien que son dos ait souffert. Pour lui, la parfois, c’est bien de se perdre un peu. 3 communication et vente de biens. Et c’est en marchant qu’il répond à nos questions. L’été dernier, il est allé à pied jusqu’à Rome. marche est un exercice solitaire, même s’il part parfois une semaine avec un copain. « Être seul favorise la rencontre. « Chacun a sa vision du paysage, et chaque auteur son propre discours littéraire. Je crois que des dizaines d’écrivains pour- « Le soir, il fallait bien s’occuper. Alors, Et j’aime bien raconter ces rencontres, par raient s’asseoir au même endroit et écrire je lisais… et j’écrivais, aussi, parce que la suite. C’est un mélange de solitude et de chaque fois quelque chose de complète- j’avais envie de raconter ce que je vivais. partage. Le temps n’a pas d’importance. ment différent. » Quand j’étais petit, il n’y avait pas beau- On apprend à vivre à un rythme inhabituel, G. A. coup de livres à la maison, mais j’ai très celui de la nature. Toute marche est médi- vite accroché aux récits de voyages et de tative, à la fois rapport avec le paysage º http://vannes-rome.blogspot.fr voyageurs à pied. » Parmi ses références, et l’intérieur de soi. Je ne m’ennuie pas Stevenson et son âne, bien sûr, mais aussi avec moi-même. Après mon retour de º st-goustan-paris.blogspot.com Nadir Dendoune, auteur d’Un tocard sur Rome, ça m’a fait drôle de reprendre une
Portrait d’un auteur / Poltred ur skrivagner / Portrèt d’un’ecrivou Landerneau Fils de migrants bretons originaires du Pays pourlet, dans le Morbihan intérieur, Hervé Bellec, Hervé Bellec a été élevé à Paris, où la famille tenait une ferme au niveau de l’ac- tuel quartier de La Défense. « Maintenant, à la place de la ferme, il y a une agence le jeu du je d’intérim. » Enfant, il passe ses vacances en Bretagne, chez ses grands-parents. En échec scolaire, il est envoyé à Campostal, l’établissement privé de Rostrenen qui accueille pas mal d’élèves rebelles. C’est le coup de foudre pour la Bretagne, où il décide de rester. Les années 1970, la Voyage et paysage sont les moteurs de l’écriture d’Hervé première guitare, les premières chan- Bellec. Les deux mamelles de son oeuvre, serait-on tenté de sons. « Lire, pour ce milieu familial où dire, pour le faire sourire. Car, chez lui, humour et auto- l’on vouait un culte au travail, c’était du dérision ne sont jamais loin, et il n’est pas rare que l’ombre temps perdu. » Hervé ne veut pas entendre d’une femme ait laissé sa trace dans le décor. les récriminations : « T’as rien d’autre à faire ? » Hugues Aufray le mène à Dylan, Dylan à la contre-culture américaine, puis à Kerouac. « Avec Sur la route, c’est vraiment une porte qui s’ouvre. » Puis 4 c’est Brest, le service militaire, une soif de liberté encore plus grande et la galère des petits boulots. Hervé Bellec publie un premier texte dans un fanzine, s’inspi- rant de son travail à la chaîne chez Mamie Nova. Il crée Mathieu Donnart Street, un groupe de musique dont il écrit les chan- sons déjantées, bien avant que ce soit à la mode. « Beaucoup de second degré. On se moquait gentiment des mythes bretons et des militants “breizous”. » Les chansons s’intitulaient « Les artichauts hallucino- gènes de Saint-Pol-de-Léon » ou « Jacob Delafon blues »… Tenancier du Triskell, le célèbre estaminet de la place Guérin, à Brest, Hervé sent qu’il va lui falloir prendre l’air. C’est même une question de survie. Il ferme boutique et part à pied pour Saint-Jacques-de-Compostelle. « J’ai toujours pris des notes au cours de mes voyages. Et j’ai toujours eu envie d’écrire. Là, très vite, je ne me suis plus contenté de notes. Il y a eu un effort de rédaction et l’idée d’en faire un récit de voyage est venue, un genre dont je suis depuis longtemps un grand lecteur. » Nicolas Bouvier, Jacques Lacarrière, Sylvain Tesson font partie de ses auteurs favoris. Et Garce d’étoile sera son premier ouvrage publié. Plusieurs fois réédité, ce récit de voyage à la fois enchanté et désabusé a toujours les faveurs du public. Il consacre déjà ce ton empreint ©Jérôme Sevrette
d’autodérision qui fait tout le charme de l’écriture de Bellec. « Si la photo fige un peu les choses, pour moi en tout cas, je trouve que le texte ouvre, au contraire. » Devenu professeur d’histoire et géographie, il voit dans ce désir de traduire ses émotions par des mots une sorte de déformation professionnelle. 5 000 kilomètres « Mais je ne cherche pas à décrire. Je cherche de code-barres plutôt quel effet les paysages ont sur moi, sans me prendre trop au sérieux. Le Transsibérien, par exemple, on peut trouver ça très monotone : une semaine à regarder défiler les forêts de bouleaux, c’est comme 5 000 kilo- mètres de code-barres ! Traverser l’Atlantique c’est pareil, on peut dire que c’est que de la flotte. Tout dépend donc de ce qu’on écrit sur ce qu’on ressent. J’aime les grands espaces, mais aussi les petits espaces, et j’adore marcher en ville, à Paris, à New York. L’émotion peut jaillir très loin ou très près de chez soi. À Noël, j’étais dans la famille dans le Pays pourlet. Le ciel était magnifique, le bocage avait ses couleurs d’hiver. J’ai eu l’impres- sion d’un paysage très pur. Locuon, près de Ploërdut, est un lieu de grâce. Une énergie et une grande sérénité se dégagent de cet 5 endroit. L’avantage de la marche c’est que l’on est seul, et même si on marche à plusieurs, on a tendance à s’isoler. D’ailleurs, si quelqu’un vient me dire “regarde comme c’est beau”, j’ai envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Mais le soir, après la marche, je ressens le besoin d’échanger avec mes frères humains. C’est l’un des bonheurs de ces aventures : où que l’on soit dans le monde, se rendre compte que les gens que nous rencontrons sont nos frères et nos sœurs en humanité. » L’été dernier, Hervé tutoyait les sommets du Népal. Les notes qu’il a prises sont venues s’ajouter à celles de trente années de voyage. « Il me faut mettre du temps et de la distance, pour rédiger. » En projet, un best of de ces chro- niques, toujours sur ce ton qui lui sied si bien, « le jeu du je », qui sonne mieux qu’autofiction, terme qui fait penser à une sorte de ©Jérôme Sevrette maladie à la mode. G. A. Bibliographie : La Nuit blanche, NiL éditions, prix Édouard et Tristan Corbière, 2000 Garce d’étoile, 2002, réédition Coop Breizh, 2009 Le Beurre et l’Argent du beurre, Coop Breizh, 2002 Yann et le petit menhir qui voulait devenir phare, Coop Breizh, 2003 Félicité Grall, NiL éditions, 2004 L’École de la place, avec Frédéric Grolhier, Coop Breizh, 2004 Un bon Dieu pour les ivrognes, Coop Breizh, 2006 Demain, j’arrête d’écrire, Coop Breizh, 2007 Sur le chemin de Stevenson, Éditions Ouest-France, 2007 Les Sirènes du Transsibérien, Géorama éditions, 2008 Une heure de sommeil en moins, Coop Breizh, 2009 Brèves de Bretagne, Édicité, 2009 Si c’est ma femme, je suis pas là, Éditions Dialogues, 2011 Monts d’Arrée (avec les photographies de Jean-Yves Guillaume), Géorama éditions, 2013 Rester en rade, Éditions Dialogues, 2013
Portrait d’un libraire / Poltred ul levrier / Portrèt d’un marchand d’livr Lesneven Jean-François Delapré : le frisson Le discours misérabiliste sur la mort de la Né en 1963 à Saint-Germain-en-Laye, par le hasard de l’affectation librairie indépendante est parfois contre- d’un père militaire, Jean-François Delapré est originaire de Bourg- productif. Si c’est en train de mourir, ce n’est Blanc et a fait ses études à Brest. À 18 ans, ses parents refusant pas très attirant, alors on préfère aller voir de le voir emprunter le chemin tortueux des beaux-arts, il entre ailleurs, chez les « méchants marchands de au Trésor public. « Je cherchais avant tout à me barrer de chez livres » qui, au moins, sont en pleine forme ! moi. Évidemment, on ne peut pas avoir la vocation pour ce Jean-François Delapré est un libraire bien genre de métier. Au bout de dix ans, j’ai pété les plombs. Plus vivant, lui. Il nous dit tout son bonheur de faire ce métier. exactement, j’ai eu le malheur de me mêler d’une affaire de détournement d’argent public qui défrayait la chronique, en disant que les inspecteurs du fisc pouvaient parfois fermer les yeux sur 6 les agissements de certains élus. Ma lettre a été publiée dans Le Monde. J’ai été convoqué et on m’a fait comprendre que ma carrière s’arrêterait là. Déjà que j’emmerdais tout le monde avec mes retours de notes en alexandrins ! » En 1991, celui qui fut le plus jeune « Quand je parle d’un contrôleur du Trésor de France va livre que j’ai aimé à des changer de voie. Un contribuable de clients, j’ai des frissons. Plouvorn lui demande conseil à propos de Ça me transperce. En délais de paiement. Il a des amis libraires avoir fait son métier, c’est à Lesneven qui souhaitent vendre la le bonheur ! » librairie Saint-Christophe. « On n’avait pas un rond. J’ai dit à ma femme : je vais arrêter d’acheter des livres. Bonne nouvelle ! Mais à la place, on va acheter une librairie. Ce n’était pas une bonne période pour les affaires, en pleine guerre du Golfe. On avait toutes les chances de se planter. Et pourtant, vingt-deux ans après, on est toujours là ! » Issu d’une famille de lecteurs, Jean-François se souvient de sa première grande émotion littéraire, avec Le Capitaine Fracasse, dans la collection « Rouge et Or » de chez Nathan. « J’ai tout de suite été un lecteur compulsif. Quand je travaillais au Trésor, j’achetais les livres par trois ou quatre, même si je n’en lisais qu’un. J’avais cette envie d’appropriation que j’ai perdue depuis. Je suis curieux. Être libraire, c’est ça : être curieux. Je vais de découverte en découverte. Je lis de tout, mais j’ai toujours une préférence pour le roman qui te raconte un pays bien mieux qu’un article de fond ou un livre de géographie. Je suis peut-être insatisfait, parce que je n’ai pas fait beaucoup d’études, alors, avec les livres, j’ai l’impression de faire mes humanités. Je n’ai encore rien trouvé de mieux que le livre. Le toucher, le sentir, l’ouvrir et lire une page. Quand je parle d’un livre que j’ai aimé à des clients, j’ai des frissons. Ça me transperce. En avoir fait son métier, c’est le bonheur ! Par « La librairie va mal, exemple, quand je suis en train de vanter les mérites d’un ouvrage c’est le refrain à la mode. » à un client et que la dame qui écoute discrètement derrière nous revient à la caisse avec le bouquin que j’étais en train de
du libraire conseiller… » Le conseil, pour le libraire de Lesneven, ne représente pourtant qu’à peine 10 % de son temps de travail. En période de rentrée littéraire, il mène une vie monacale, lisant de neuf heures à une heure du matin. « Mais la plupart du temps, c’est un boulot de manipulation. Pour être 7 libraire, il faut surtout avoir des gros bras et un bon cutter ! » La librairie va mal, c’est le refrain à la mode. Mais Jean-François Delapré va bien. « Ce ne sont pas les libraires qui pleurent sur leur sort. Ce sont les journalistes qui parlent des “pauvres libraires”. Entre nous, on en rigole. Bien sûr, y a des librairies qui ferment, mais ce n’est pas toujours la faute d’Amazon ! Si le prix unique était remis en cause, alors oui, on serait en grand danger. On ne choisit pas le prix du produit, ni la marge que l’on peut faire dessus. On ne fait donc pas ce métier pour devenir riche. Mais j’en ai marre de ce discours miséra- biliste. Ici, dans une ville de 7 000 habi- tants, on a une librairie qui emploie cinq personnes. C’est pas mal ! » Jean-François aime dire que le livre permet de modifier la ligne d’horizon, d’ex- plorer de nouveaux paysages, intérieurs et extérieurs. Quelquefois, c’est même un paysage proche et bien connu, que le livre transforme. « C’est ce qui m’est arrivé avec Pays pagan, d’Yves Elléouët, de chez Palantines. Je ne peux plus regarder ce pays de la même façon. » Jolie plume, Jean- François Delapré est l’auteur de Catalène Rocca, suivi de L’Homme au manteau de pluie, paru aux éditions de La Table Ronde, et, avec Marc Letissier et Denez Abernot, de La Trace des géants (éditions Delioù), ainsi que de nouvelles souvent primées. Ne pouvant plus consacrer beau- coup de temps à l’écriture, il participe tout de même à la revue Pages des libraires. G. A. Pays pagan ©J. F. Delapré
Portrait d’un photographe/ Poltred ul luc’hskeudenner / Portrèt d’un fotograf Rennes Jérôme Sevrette, la photo on the rock Jérôme Sevrette photographie en musique ou allie texte, musique et photographie. Ses clichés, fortement retravaillés, nous conduisent dans un univers étrange, plutôt sombre, frottement inquiétant entre réalité et imaginaire. 8 Originaire du Mans, Jérôme Sevrette vit à Rennes depuis dix-huit ans. Parcours original : il est venu à la photo par la musique. « Mon grand frère faisait ses études à Rennes, où il y avait encore des magasins de disques. Il en rapportait des vinyles et j’étais très attiré par les visuels des pochettes. » Puis ce fut la découverte de la presse musicale et de photographes comme Richard Dumas. Jérôme travaille toujours en écoutant de la musique, omnipré- sente dans sa vie. Elle lui inspire des idées visuelles de séries de photos, et ses images prennent parfois le nom de titres de chan- sons. « Il s’agit pour moi de capturer de la matière que je travaille ensuite sur mon ordinateur. Cette matière est pour moi ce que serait de l’argile pour un sculpteur, une réalité que je capte sans utiliser de calque ni de filtre, mais en jouant sur le contraste, les couleurs, pour en faire autre chose. Le post-traitement représente 90 % de mon travail. » Entre la prise de vue sur le terrain et la mise en ligne, Jérôme passe par ce qu’il appelle un « mûrissement de l’image » qui peut durer plusieurs mois. Il commence par chercher le réglage le plus proche possible de ce qu’il a en tête. Une fois ce réglage trouvé, il l’applique sur plusieurs photos bien distinctes et représentatives de la série. Il laisse ensuite passer à nouveau un mois ou deux, avant de vérifier si le réglage lui convient ou s’il lui faudra y apporter des modifications. « Cela me permet d’avoir du recul, car après quatre ou cinq heures passées devant son écran, on finit par ne plus rien voir de ce que l’on fait. Il faut savoir s’ar- rêter et revenir plus tard sur ses images avec un œil neuf. » Une fois la bonne formule trouvée, il ne lui reste plus qu’à appliquer le script à toutes les photos. Jusque dans les années 1990, Jérôme Sevrette travaillait en argen- tique. Batteur de rock pendant dix ans, il est revenu à la photo en 2002. Il utilise à présent un appareil numérique et un Polaroïd. « Mes sources d’inspiration, en plus de la musique, ce sont des paysages dans lesquels quelque chose apparaît, comme déplacé. Basstation Nouvelle série ©Jérôme Sevrette
9 Autoportrait ©Jérôme Sevrette Avec une attirance pour les délaissés, les lieux étranges, les atmosphères hors du commun. Je cherche quelque chose d’in- congru, qui interpelle, un espace, l’inte- raction avec le fond, sombre ou lumineux, avec un élément qui ressort. Je me suis déjà fait taxer de photographe dépressif ou gothique. Torturé, je veux bien, puisque, dans l’histoire de l’art, toutes les formes de création ont été marquées par des esprits torturés. C’est même plutôt flatteur. Mais ce qui m’occupe l’esprit quand je travaille une image, c’est l’expérimentation sous toutes ses formes. L’irréalité est une meet the cougar ©Jérôme Sevrette constante dans mon travail : fuir la réalité par tous les moyens mis à ma disposition. » occupe une place de plus en plus impor- des Éditions de Juillet, avec un texte de En 2009, lors d’une interview, Jérôme tante dans la vie de Jérôme : « C’est devenu Jean-Luc Poitevin. Jérôme est également Sevrette affirmait : « L’avenir est sombre, quelque chose de vital, un véritable besoin passionné de cryptozoologie : l’étude tout le monde le sait. Mes seuls refuges d’images et de création qui occupe la d’animaux méconnus. « J’ai découvert la restent la photographie, la musique… et majeure partie de mon temps. » Bientôt cryptozoologie très jeune dans des livres ma voiture. Autour, c’est le néant. » Parmi paraîtra le second volume de Terres sur les monstres marins, la légende du ses inspirateurs, outre Richard Dumas, Neuves, une œuvre originale qui offre aux Kraken, du Léviathan, des serpents de mer. on trouve des photographes comme le écrivains et aux musiciens la possibilité Ces écrits m’ont marqué. Ce qui m’inté- Néerlandais Anton Corbijn, auteur notam- de s’exprimer à partir de ses images. Il est resse, c’est qu’on est là à la frontière de ment des pochettes et des clips du groupe également coauteur de Commodore, une la science et de l’imaginaire, voire de la Depeche Mode. « Pour les paysages, je expérience qui vise à recréer une capsule mythologie. Et c’est du pain bénit pour un n’ai pas de mentor, sauf inconsciemment, temporaire imaginaire dans le belvédère rêveur comme moi. Mais rassurez-vous, je peut-être. » du Rayon Vert, hôtel mythique de Cerbère, suis quelqu’un de très terre à terre et pour Si elle ne lui permet pas encore d’en faire dans les Pyrénées-Orientales. En projet : le moi, tout a une explication scientifique. » une activité exclusive, la photographie livre Rome, dans la série « Villes mobiles » G. A. º www.editionsdejuillet.com/collections/photographies/products/terres-neuves
Ailleurs c’est ici / Amañ hag ahont / Âyou s’ée issi Le livre au Japon 10 文学 Littérature originales. Quand le Japon s’ouvre enfin, au xixe siècle, la littéra- ture japonaise entre dans la modernité avec des caractéristiques bien spécifiques, que l’on résume par un certain sens du détache- ment. Souvent, le personnage central échoue dans ses efforts. La littérature japonaise peut être divisée en trois périodes prin- cipales : la période ancienne et la période médiévale (avec les périodes Nara et Heian, puis le développement de l’épopée et du théâtre nô), et la période moderne. La littérature japonaise ancienne (antérieure au xiie siècle), avec Makura no soshi (Notes de chevet), Genji monogatari (Le Dit du Genji), ou Man’yoshu (Recueil de dix mille feuilles) explore des thèmes comme la vie, l’amour et les passe-temps à la cour de l’empereur. La littérature japonaise médiévale (xiie-xixe siècle) est marquée par une forte influence du bouddhisme zen, mettant en scène des Coupé du continent par une mer difficile, le Japon n’entre en prêtres, des voyageurs ou des poètes ascétiques. Les nombreuses contact avec l’Empire chinois que dans les premiers siècles de guerres civiles entraînent le développement d’une classe de notre ère. Les dynasties qui avaient entrepris la construction d’un samouraïs, objets de contes et de légendes. embryon d’État commencèrent alors à s’imprégner de tout ce qui La littérature japonaise moderne (de la fin du xixe siècle à nos venait du continent, y compris l’écriture. Dans un premier temps, jours), marquée par l’ouverture du Japon au monde occidental, il s’agissait du chinois classique et de ses idéogrammes, une langue voit d’abord l’émergence du shisho setsu (roman à la première très différente du japonais, qui s’imposa dans les domaines juri- personne). Puis elle évolue en combinant les influences des dique, diplomatique, religieux, administratif, jouant le même rôle anciens écrits zen et les réalités du monde actuel, où le progrès, que le latin en Occident. C’est la langue des plus anciens textes perçu comme trop rapide, engendre un sentiment d’aliénation. conservés. La période plus récente est marquée par l’essor du manga, une Les premières œuvres de littérature japonaise sont très fortement forme vite adoptée par les jeunes du monde entier. influencées par la littérature chinoise, mais la politique d’isole- ment du Japon a permis le développement de formes littéraires º www.lalitteraturejaponaise.com
Librairies Bibliothèques Best-sellers 書店 Les bibliothèques japonaises ont une histoire assez comparable à celle des biblio- thèques européennes, pour leurs origines religieuses et leur relation à la noblesse de ベストセラー cour. Même si la fermeture du pays a par la suite retardé le développement d’échanges Le dernier roman de Haruki Murakami, internationaux dans ce domaine. En Le sans couleur Tazaki Tsukuru et ses 1923, le tremblement de terre de Tokyo années de pèlerinage, est le numéro un fit perdre à la bibliothèque universitaire des ventes de livres au Japon en 2013, avec Au Japon, pas moins de 7 000 librairies 500 000 ouvrages sur les 700 000 qu’elle 985 000 exemplaires vendus entre avril et ont fermé en moins de vingt ans. Pourtant, possédait. Cette même année fut fondée la novembre, pour un tirage de 1,05 million. on voit aujourd’hui émerger une nouvelle Maison franco-japonaise, qui se dota d’une Chaque nouvel ouvrage de Murakami génération de libraires de moins de 40 ans, bibliothèque. attire au Japon des milliers de lecteurs dès très présents sur les réseaux sociaux, Depuis 2009, la Bibliothèque de la Diète sa parution. Ce fut déjà le cas en 2009, avec poussés par la mode des third places (troi- nationale (NDL), qui dépend directement un engouement formidable pour les deux sièmes lieux), compléments du domicile et du Parlement, a lancé un programme de premiers tomes de sa trilogie 1Q84. Malgré du lieu de travail. Ils proposent des lieux numérisation des CD, DVD et livres en sa de nombreuses fermetures de librairies confortables, où l’on peut lire ou travail- possession. L’ensemble de ces documents et l’omniprésence d’Internet, les romans ler, tout en consommant des boissons ou mis bout à bout représente 730 kilomètres ont toujours les faveurs du public. 2013 même en se restaurant, sachant que les de rayonnage. L’arrivée de Google Books a également souri à l’écrivain Jun Ikeido Japonais ont déjà l’habitude de passer a décidé les autorités nationales à mettre et ses histoires dans le milieu bancaire. beaucoup de temps hors de chez eux. Ce en œuvre ce vaste chantier. Quelques Adapté en série TV sous le titre Hanzawa nouveau type d’espace n’est pas voué à ouvrages japonais s’étant retrouvés scan- Naoki, et très populaire, son univers a pris 11 la recherche de profit à tout prix. Leurs promoteurs, qui ont grandi dans un monde en grande partie virtuel, attachent beau- nés par l’opérateur, les éditeurs du pays avaient fait part de leur mécontentement. Les investissements publics sont consi- un relief particulier depuis la révélation de prêts bancaires à des membres de la mafia japonaise. Bien sûr, les mangas continuent coup d’importance aux rencontres réelles dérables (128,7 millions $ en quatre ans). à se vendre remarquablement bien, malgré qu’ils provoquent. Mais l’engouement pour Grâce à un système comparable au dépôt une baisse générale, avec notamment la ces troisièmes lieux est tel que, déjà, de légal en France, la bibliothèque dispose série phare One Piece, d’Eiichirō Oda, dont grandes enseignes s’y intéressent. Tsutaya, de l’intégralité des produits culturels chaque nouveau tome est tiré à plusieurs le géant de la location de livres et de DVD, commercialisés dans le pays. Cependant, millions d’exemplaires. a ouvert, il y a treize mois, un établisse- moins d’un quart des documents numéri- G.A. ment de ce type dans le quartier chic de sés sont librement accessibles au public Daikanyama (Shibuya, Tokyo). Il met à la sur le portail de la bibliothèque nationale, disposition des clients 140 000 ouvrages, respect du droit d’auteur oblige. L’Asie, démontrant ainsi qu’il est encore possible depuis la crise monétaire de la fin des d’investir dans le livre au Japon. années 1990, mise beaucoup sur les rela- Malgré toutes ces fermetures de librai- tions entre nouvelles technologies, culture ries, le livre reste présent un peu partout, et esprit d’entreprise. notamment dans les gares et les cyberca- 本箱 fés qui proposent pour un prix modique des boxes avec canapé, télévision, choix de DVD, console de jeux et bibliothèque en général bien fournie en mangas. Presse et boissons gratuites à volonté. Ces cyber- cafés sont ouverts 24 heures sur 24. C’est aussi une caractéristique : les librairies et les points de vente restent ouverts très tard. Sinon, à Tokyo, au nord du palais impérial, autour de la station Jimbocho, sont regrou- pés nombre de bouquinistes, petites et grandes librairies en tous genres, avec des libraires seuls capables de se repérer dans un incroyable fatras d’ouvrages traitant de toutes sortes de sujets. Et l’on trouve un peu partout des distribu- teurs de livres, notamment dans les gares et sur les grandes artères.
Le livre en région / Al levrioù er rannvroioù / Le livr den la contrée Aquitaine Écla (Écrit, cinéma, livre, audiovisuel), une agence du livre ouverte au numérique Écla Aquitaine est une agence En ce qui concerne plus précisément la En ce qui concerne les bibliothèques, culturelle émanant du conseil création et la vie littéraires, Écla met à Écla s’attache à anticiper les évolutions régional, partenaire des pro- la disposition des auteurs et traducteurs de la lecture publique, s’intéresse parti- fessionnels du livre et du des ressources documentaires et des culièrement au numérique, et favorise cinéma. Elle se veut le moteur annuaires professionnels. Elle renseigne et les coopérations autour des missions des du développement des savoirs conseille les éditeurs, médiateurs et orga- médiathèques. et des compétences en matière nisateurs de manifestations. Elle accueille L’attention au patrimoine passe par l’ani- artistique, culturelle, patri- des écrivains en résidence dans un quar- mation d’une commission et la maîtrise moniale et éducative. tier central de Bordeaux, à la Prévôté. Ces d’ouvrage de projets régionaux, telle que séjours s’adressent en priorité aux auteurs la valorisation des manuscrits médié- étrangers dont une partie de l’œuvre est traduite et publiée en français. Elle déve- loppe depuis peu les résidences au chalet vaux d’Aquitaine, dans le cadre de la Banque numérique du savoir. Avec le rectorat de Bordeaux, Écla conduit une 12 Mauriac, dans les Landes girondines, politique importante en matière de déve- ouvertes aux auteurs de l’écrit, du cinéma, loppement de la lecture et de l’éducation et aux écritures numériques. artistique au livre et au patrimoine, dont témoigne le programme « Monumérique- Écla accompagne les éditeurs et les Archimérique », qui propose la décou- libraires aquitains en leur proposant verte du patrimoine à l’appui d’outils conseil et audit, service juridique, forma- numériques. tions, participation aux salons régionaux, Enfin « GéoCulture : l’Aquitaine vue par les nationaux et internationaux. Elle mène en écrivains » constitue un volet important de parallèle une politique de soutien à l’édi- la mise en valeur de la littérature auprès tion et à la librairie indépendante dans le des publics, sur lequel Écla travaille en lien L’orme de Biscarosse ©Écla Aquitaine cadre du contrat de projets État-Région. avec les professionnels. L’Aquitaine en chiffres Dordogne Gironde Cinq départements : Lot-et- Garonne Population : 3,2 millions Landes d’habitants Pyrénées-Atlantiques
L’Aquitaine vue par les écrivains Le projet « GéoCulture : la France vue par les écrivains » a été très documentalistes sont également sollicités vite adopté par Écla, dans la foulée de l’expérience initiale en Limousin. pour faire remonter des propositions Il tend à s’étendre aujourd’hui, grâce à la participation de nombreux d’extraits choisis par des élèves. « L’idée partenaires. est de faire de GéoCulture un projet « C’est un projet très stimulant et positif », blanche, polar, jeunesse, BD…) restent au vraiment contributif et non pas quelque affirme Olivier du Payrat, directeur cœur des préoccupations. Aujourd’hui, le chose qui vienne d’en haut, d’où cette du département livre de la structure. site présente une cinquantaine d’extraits volonté d’élargir son impact par cercles « Même si on essuie les plâtres et qu’on en ligne. La gouvernance fonctionne concentriques. Ainsi, notre mission croise rencontre forcément quelques écueils, on grâce à un conseil scientifique disposant des enjeux territoriaux avec la littérature réapprend aussi au contact d’un projet de relais départementaux s’appuyant sur et le numérique, et peut amener vers le livre collaboratif. » Pour le département livre des experts locaux. « Nous concentrons et la lecture des publics qui n’y vont pas d’Écla, « GéoCulture : l’Aquitaine vue par notre intervention directe sur l’animation facilement. GéoCulture est une ouverture les écrivains » est un projet prioritaire, et la gouvernance du projet, et sous- pour se promener dans les textes comme parallèlement au contrat de projets État- traitons la partie rédactionnelle, ce qui dans les territoires. » Même s’il faut faire Région 2015-2020. « Les enjeux sont nous permet aussi de faire travailler un attention à ne pas tout baliser et éviter de différents pour les divers acteurs de la ou quelques auteurs associés, au service s’adonner, sur le dos des écrivains, à de la chaîne du livre, mais de notre côté nous des extraits repérés, géolocalisés. » promotion touristique. « C’est pour cela tenons beaucoup au volet “création” À Dax, du 25 au 27 avril prochain, auront aussi que nous encourageons à choisir les du projet, donc à la présence d’auteurs lieu les Rencontres à lire, qui permettront textes les plus divers, fussent-ils critiques. contemporains à côté d’une dimension de réunir le groupe départemental Par exemple, on peut trouver un texte de plus patrimoniale. » L’importance d’une GéoCulture Landes-Aquitaine sud. Au Perec sur Pau qui ne présente pas la ville ville comme Bordeaux pourrait la programme, des jeux-concours destinés sous son angle le plus séduisant. » faire apparaître comme hégémonique. au jeune public, à partir de questionnaires G.A. L’équilibre territorial et la diversité des portant sur GéoCulture et les extraits genres littéraires abordés (littérature de textes mis en ligne. Les professeurs º http://ecla.aquitaine.fr Le Voyage à Bordeaux finnois. Et puis elle se rappela la rencontre dans le train de nuit avec cette charmante et indomptable Suédoise qui pour dire uriner utilisait le mot allemand pissen. 13 Yuna fit une brève halte sous un arbre pour se remettre de la chaleur. Face à elle, sur la place, une femme était assise avec deux petits enfants sur un banc en bois. Tous trois léchaient leur Piscine : ce devait être quelque chose de liquide. Pas étonnant : c’était précisément l’endroit que Maurice avait classé parmi l’un des quatre éléments, l’eau. bâtonnet de glace à la vanille. La langue de la femme était d’une Le Voyage à Bordeaux, Yoko Tawada, traduction de Bernard longueur inhabituelle. Yuna songea à la langue de Viviane qui Banoun, Verdier, 2008 dansait entre ses dents blanches et brillantes. La langue japo- naise ne la sollicitait pas totalement, cet organe s’ennuyait, º http://lafrancevueparlesecrivains.fr/aquitaine alors il dansait, comme ça, sans raison, entre les mots. Le corps monstrueux d’un édifice blanc apparut au-delà du Yoko Tawada est une auteure japonaise résidant en blanc. Piscine Judaïque : Yuna lut l’inscription à voix haute. Allemagne. Elle a été reçue au printemps 2006 par Écla, dans le Piscine ? Elle ne connaissait pas ce mot, mais aussitôt lui vint cadre du partenariat Hesse-Aquitaine, à la résidence de la Prévôté à l’esprit le mot pishan, onomatopée japonaise pour dire barbo- à Bordeaux – dont a découlé son ouvrage Le Voyage à Bordeaux. ter. Lui revinrent alors des mots qu’elle avait attrapés au vol les années précédentes : pitie, boisson en bulgare, pisara, goutte en Plus de 500 auteurs et traducteurs littéraires 170 structures éditrices 8% du territoire national en superficie Commerce de livres : 230 lieux, dont 70 librairies 5 % de la Bibliothèques territoriales (normes État) : population 154 établissements, française dont 5 bibliothèques départementales de prêt Près de 70 festivals et manifestations littéraires
Dossier An teuliad réalisé par Gérard Alle La cadèrnn « Si j’ai du goût, ce n’est guère que pour la terre et les pierres. » Arthur Rimbaud Littérature et paysage 14 Si le paysage n’a pas toujours été un élément d’inspiration « GéoCulture : la France vue par les pour les artistes, il est devenu un bien commun célébré par écrivains » place la littérature et le tous. En fait, si l’on veut bien lire entre les lignes, la litté- paysage, urbain ou rural, au coeur rature nous enseigne qu’il y a des manières bien différentes de son projet. Nul doute que chacun de l’appréhender. Si bien qu’on en apprend souvent plus sur a son propre vécu, secret ou pas, de l’auteur et ses origines sociales que sur le lieu ou le terri- tel ou tel paysage, et qu’il pourra toire parcouru. Lecture des textes. Lecture du paysage. La ainsi confronter son émotion à celle beauté d’une mer déchaînée ne laissera indifférents ni le de quelqu’un d’autre. Cette initia- touriste, ni le marin, mais ce ne sera pas pour les mêmes rai- tive peut se révéler bénéfique pour sons. La perception du paysage évolue aussi avec le temps et le paysage, qui en a bien besoin, l’efficacité des discours performatifs. Sa transformation, que car il ne saurait être question de se l’on vantait hier comme un progrès, est parfois vécue de nos contenter de quelques panoramas jours comme un danger pour l’avenir de nos enfants. Il faut de cartes postales, oasis sublimes aussi reconnaître que certains endroits que d’aucuns trou- ou pittoresques, grains de beauté veraient fort laids ne manquent pas de piquant. Ne serait-ce sur des territoires saccagés. Poser que par ce qu’ils nous révèlent de l’être humain. des mots sur un paysage. S’abs- traire ou s’approprier un paysage. Réclamer la présence de l’activité humaine ou la rejeter. Faire corps avec le paysage, c’est aussi s’affran- chir du temps social pour adop- ter en marchant le rythme de la nature. Se trouver et se perdre : deux libertés fondamentales.
GéoCulture : la France vue par les écrivains Née en Limousin, l’idée de « GéoCulture : la France vue par les écrivains » gagne peu à peu du terrain. Soutenu par le CNL et la Sofia, le projet, coordonné par la Fill, est aujourd’hui porté par une douzaine de régions. Ce service numérique, lancé en mars 2013 au Salon du livre de Paris, propose des balades litté- raires en France à travers déjà près de 500 extraits d’oeuvres proposés par le grand public et les profes- sionnels du livre. associant les professeurs de français, d’histoire et de géographie. « La Picardie et le Nord–Pas-de-Calais viennent de nous rejoindre. Concrètement, ce site, également décliné sur des applications Nous espérons couvrir la totalité du territoire national et que pour téléphones mobiles Apple et Androïd, propose des balades les professionnels s’emparent de cet outil comme d’un outil de littéraires géolocalisées à travers des extraits de textes et permet promotion. À terme, pourquoi ne pas imaginer une version anglaise à ceux qui auraient envie de poursuivre la lecture de repérer les du site ? Personnellement, “Géoculture : La France vue par les librairies et les bibliothèques les plus proches. Françoise Bouyeure, écrivains” m’a déjà permis de découvrir des auteurs oubliés ou peu coordinatrice, présente cet outil interprofessionnel, interrégional et connus. C’est aussi un bon moyen de faire vivre les fonds. » contributif : « Bien sûr, il ne s’agit pas de sélectionner uniquement À signaler également, un partenariat avec les presses de l’Enssib des textes descriptifs, ou de ne s’intéresser à un auteur que parce (École nationale supérieure des sciences de l’information et qu’il est né à tel endroit. Les extraits proposés par les régions des bibliothèques), pour un ouvrage de commande de textes partenaires donnent à découvrir ou redécouvrir un lieu à travers contemporains sur les bibliothèques et, en projet, la mise en ligne les yeux d’un écrivain et cela peut toucher la poésie, les journaux d’extraits d’ouvrages en avant-première ou le jour de leur sortie en intimes, de voyage, le roman, la bande dessinée… tous les genres librairie. littéraires, dès lors que l’auteur propose sa description ou sa réinvention d’un lieu. Une charte, en ligne sur le site, définit les º http://lafrancevueparlesecrivains.fr critères qui président au choix des œuvres et des extraits. En ce qui concerne la littérature jeunesse, nous avons passé une convention avec le Centre national de la littérature pour la GéoCulture Bretagne 15 jeunesse de la BnF, qui repère des extraits dans le corpus jeunesse d’hier et d’aujourd’hui. » Un partenariat est également en cours de validation avec les librairies Page pour les nouveautés, dans le but de maintenir un équilibre entre littérature patrimoniale La Bretagne est entrée doucement dans le projet. Le comité et contemporaine. La démarche est ascendante et concerne scientifique a été mis en place par Livre et lecture en Bretagne, également le grand public : les lecteurs peuvent à leur tour devenir en s’appuyant sur des personnes qui avaient déjà travaillé sur le « géoculteurs » et proposer des textes à un comité scientifique rapport entre territoire et littérature. Dans un premier temps, des régional qui valide les propositions. Les extraits choisis sont auteures et leurs textes ont été identifiés, pour éviter de renfor- ensuite envoyés à la Fill qui s’occupe des démarches relatives aux cer les clichés en faisant appel à ces regards singuliers. Dans un droits d’auteur et de la mise en ligne. Les textes sont accompagnés second temps, « GéoCulture : la Bretagne vue par les écrivains » d’informations complémentaires concernant l’œuvre, son auteur, va se développer en explorant plusieurs pistes. Livre et lecture en éventuellement des liens sur le web, des photos, et même du son. Bretagne souhaiterait mettre en évidence la présence des auteurs « Certaines régions procèdent à l’enregistrement des textes, lus par sur le territoire. Par exemple, les auteurs de bande dessinée, qui leurs auteurs ou par des comédiens, que l’on peut ainsi écouter sur sont importants en Bretagne, les textes issus des résidences d’au- son MP3. » L’un des effets de GéoCulture est la mise en réseau des teurs, ou des initiatives comme celle de la bibliothèque de Lorient, libraires, des bibliothécaires, des éditeurs et des auteurs autour du qui entend solliciter des habitants des quartiers de la ville pour projet. Bientôt, les offices de tourisme seront également associés, repérer des textes. Des rencontres sont également envisagées comme d’ailleurs tous les partenaires qui pourront le souhaiter. autour du projet, afin que les différents acteurs de la chaîne du En région Paca, par exemple, une enseignante de collège travaille livre s’en emparent, y compris les lecteurs. avec une classe de sixième au choix d’extraits portant sur la région. Ce genre d’expérience peut déboucher sur une action transversale º http://lafrancevueparlesecrivains.fr/bretagne La Force de l’âge J’aimai Saint-Malo, ses étroites rues provinciales où la rumeur de la mer avait fait lever, jadis, des corsaires. Des vagues café au lait battaient le Grand Bé, c’était beau ; mais le tombeau de Chateaubriand nous sembla si ridiculement pompeux dans sa fausse simplicité que, pour marquer son mépris, Sartre pissa dessus. Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard, 1960 La Force de l’âge est le deuxième tome de l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir, précédé des Mémoires d’une jeune fille rangée (1958), suivi de La Force des choses (1963) et de Tout compte fait (1972). Il traite de la période de sa vie s’étendant de 1929 à la libération de Paris en août 1944. Une large place y est faite à la description de la France pendant la « drôle de guerre », sous l’Occupation, et aux actions de la Résistance.
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