Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage

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Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage
INRA Prod. Anim.,
                                Perspectives d’alternatives thérapeutiques
                                antimicrobiennes aux antibiotiques
2017, 30 (1), 77-88

                                en élevage
                         C. DUCROT 1, D. FRIC 2, A.-C. LALMANACH 3, V. MONNET 4, P. SANDERS 5, C. SCHOULER 3
                                                  1 Épidémiologie Animale, INRA, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France

                               2 Vétérinaire praticien homéopathe, Commission élevage ITAB, 23150, Sous-Parsat, France

                                                3 ISP, INRA, Université François Rabelais de Tours, 37380, Nouzilly, France

                          4 Micalis Institute, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France

                                        5 Anses, Laboratoire de Fougères, Bâtiment Bioagropolis, 35306, Fougères, France

                                                                                        Courriel : christian.ducrot@inra.fr

La diminution drastique de l’usage des antibiotiques en élevage passe par la prévention des
maladies et les mesures de biosécurité, l’usage raisonné des antibiotiques, mais également par
le développement de méthodes alternatives ou complémentaires à l’antibiothérapie.
Différentes approches sont étudiées dont certaines sont basées sur des découvertes biologiques
anciennes, insuffisamment explorées et qui sont remises au goût du jour.

   Les avancées médicales majeures dans       en France, le plan EcoAntibio 2017             de la santé du troupeau (Gromont 2016b).
le traitement des maladies infectieuses       (Ministère de l’agriculture 2012) comp-        Il existe aussi d’autres possibilités théra-
sont largement dues à la découverte et        rend un ensemble de 40 mesures com-            peutiques sur lesquelles des travaux de
au développement des antibiotiques            plémentaires destinées à promouvoir des        recherche et de développement sont en
depuis les travaux pionniers sur la péni-     actions préventives des maladies, mettre       cours. Le présent article présente plu-
cilline découverte en 1928. L’âge d’or        en œuvre un usage raisonné et économe          sieurs d’entre elles, leurs caractéristiques,
des antibiotiques (années 1940-1960)          des antibiotiques et développer des            leurs avantages et inconvénients, leurs
durant lequel la majorité des familles        approches thérapeutiques alternatives          contraintes techniques et réglementaires,
ont été identifiées a été suivi d’une uti-    (disposition numéro 19).                       leurs enjeux et perspectives. Elles sont
lisation très étendue et souvent inap-                                                       présentées en fonction de la plausibilité
propriée (Carlet et le Coz 2015), et a           En élevage, une réduction drastique         plus ou moins lointaine d’être mises en
engendré l’apparition de résistances          de l’usage des antibiotiques repose sur        œuvre en pratique.
bactériennes simples puis multiples qui       trois approches qui devraient être pour-
sont aujourd’hui une menace tangible          suivies de manière complémentaire :            1 / Phytothérapie
d’échec thérapeutique de la médecine          i) Mettre l’accent sur la prévention des
moderne (Zahar et Lesprit 2014). Cette        maladies infectieuses, ii) rationaliser et
menace est aggravée par le déclin de          optimiser l’usage des antibiotiques en         1.1 / Pharmacopée
l’identification et du développement          cas de maladie infectieuse, et iii) utiliser
de nouveaux antibiotiques en ce début         des traitements curatifs alternatifs aux         Il paraît paradoxal d’aborder ici la phy-
de XXIème siècle (Donadio et al 2010).        antibiotiques. Cet article aborde le troi-     tothérapie comme médicament en déve-
Aussi, « le risque de se trouver, à moyenne   sième point, en mettant l’accent sur des       loppement dans la mesure où l’homme a
échéance, dans une véritable impasse          approches thérapeutiques dont l’usage          toujours eu recours à l’utilisation des plan-
thérapeutique empêchant de traiter cer-       n’est pas réglementé de manière satis-         tes pour se soigner ou pour soigner les
taines infections microbiennes est donc       faisante actuellement ou qui pourraient        animaux et les remèdes à base de plantes
majeur, y compris dans les pays déve-         représenter un potentiel dans le futur.        ou de plantes transformées existent depuis
loppés, à moins que des actions de lutte      Un dossier récent (Le point vétérinaire        la plus haute antiquité. Néanmoins, il
ambitieuses et coordonnées soient mises       2016) aborde un ensemble d’approches           existe un vide juridique partiel et l’utili-
en place » (European Commission 2011).        thérapeutiques déjà existantes et utilisées    sation thérapeutique de la phytothérapie
Cette préoccupation a conduit les instan-     en pratique sur le terrain. Ainsi, les bases   ne va pas de soi dans le contexte actuel
ces internationales (WHO, FAO et OIE          et les circonstances d’utilisation sont        où l’autorisation de mise sur le marché
2010, OMS 2015) à adopter des plans           abordées notamment pour l’homéopathie          d’un médicament requiert d’assurer la
concertés pour optimiser l’usage des          (Ansoud 2016, Dordain 2016b, Filliat et        preuve de son innocuité, de son efficacité
antibiotiques et promouvoir la recherche      Souvestre 2016, Issautier 2016), la phyto-     et de l’absence de résidus dans les pro-
pour des solutions alternatives, tant chez    thérapie (Dordain 2016a, Filliat et            duits issus des animaux traités, éléments
l’Homme que chez l’animal. Les pouvoirs       Souvestre 2016, Mauvisseau 2016), l’acu-       dont on ne dispose pas précisément.
publics nationaux et européens (European      puncture (Lecat 2016), ces approches
Commission 2011) ont eux aussi engagé         étant comparées (Gromont 2016a) et mises         La phytothérapie désigne l’utilisation
des actions ambitieuses. En santé animale     en perspective dans une autre approche         des plantes à des fins thérapeutiques.

                                                                                             INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage
78 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER

Selon les cas, la plante entière ou certai-   bactérienne. Chez les bactéries, l’activité    duit notamment la reproductibilité de sa
nes parties de celle-ci sont utilisées,       peut être antibactérienne ou réduire la        composition quantitative et qualitative
incluant les parties souterraines, tiges,     virulence des bactéries en perturbant,         d’un lot de médicament à l’autre. C’est
feuilles, fleurs, sommités fleuries, bour-    par exemple, la communication bacté-           un premier défi pour des produits de
geons, fruits, graines, qui sont utilisées    rienne ou la formation de biofilm. Chez        phytothérapie dont la composition de la
sous forme fraiches ou séchées. Plusieurs     l’animal, les propriétés des plantes peu-      matière première (plante) peut varier en
types de transformation de ces plantes        vent être anti-inflammatoires, immuno-         fonction de nombreux facteurs (origine,
sont appliqués : infusion, décoction (dans    modulatrices ou physiologiques, réduisant      conditions de cultures…) et s’avérer
l’eau maintenue bouillante), macération       les signes cliniques de l’infection tout en    complexe compte tenu de la diversité
(dans l’eau froide), extraction hydro-        aidant aux processus de guérison.              des molécules présentes. Le second défi
alcoolique, pour obtenir différentes pré-                                                    est la démonstration de l’efficacité thé-
parations finales. L’aromathérapie, qui          À titre d’exemples dans le cadre de         rapeutique. Elle est basée sur la connais-
est l’utilisation médicale des extraits       maladies infectieuses, certaines plantes       sance des mécanismes d’action et sur la
aromatiques de plantes (essences et hui-      comme l’eucalyptus, le fenouil, la mus-        démonstration de l’efficacité en condi-
les essentielles) est une des modalités de    cade ont des effets antibiotiques. D’autres    tions de terrain.
la phytothérapie. Les propriétés théra-       contiennent des tannins qui ont un effet
peutiques des plantes sont associées à        préventif ou curatif pour les diarrhées,          Pour l’Homme, le choix a été fait au
la présence en leur sein de molécules         par exemple l’épicéa ou le chêne. De           niveau européen de se baser sur les phar-
appartenant à une grande diversité de         nombreuses revues bibliographiques             macopées traditionnelles nationales en
classes chimiques (par exemple alcaloï-       discutent des propriétés antibactérien-        mettant en place une démarche d’éva-
des, terpènes…).                              nes de substances (par exemple le car-         luation spécifique à la phytothérapie.
                                              vacrol ou le thymol) présentes dans les        Pour la médecine vétérinaire, la preuve
   Pour leur utilisation chez l’Homme, une    huiles essentielles. Ces effets observés       de l’efficacité de la phytothérapie est à
liste de drogues végétales a été révisée      in vitro ne sont pas forcément reproduits      apporter en fonction de l’indication thé-
en 2012 dans la pharmacopée française,        directement au niveau de l’intestin du         rapeutique revendiquée. La démonstra-
scindée en deux parties. La partie A cor-     fait des propriétés physico-chimiques          tion de l’efficacité préventive et/ou cura-
respond aux 364 drogues végétales à           de ces molécules. L’obtention de l’effet,      tive d’un traitement de phytothérapie,
base de plantes médicinales utilisées         au niveau distal de l’intestin, nécessite      alternatif à un traitement antibiotique,
traditionnellement ; les pharmaciens ont      une formulation galénique libérant les         nécessite donc des essais cliniques ; une
le monopole de la vente de ces plantes        molécules actives à ce niveau (de Lange        alternative proposée par l’Agence natio-
médicinales mais 148 d’entre elles peu-       2010). En aviculture, les huiles essen-        nale de sécurité sanitaire de l’alimenta-
vent être vendues hors circuit pharma-        tielles et les tannins peuvent être utilisa-   tion, de l’environnement et du travail
ceutique car utilisées dans des produits      bles pour contrôler l’entérite nécrotique      (Anses 2016) est d’apporter la preuve
cosmétiques ou alimentaires. La partie        (Diaz-Carrasco 2016). Chez le poisson,         d’un usage bien établi depuis plus de
B comprend 123 drogues végétales à            l’utilisation de la phytothérapie avec dif-    10 ans dans la communauté européenne.
base de plantes médicinales utilisées tra-    férents extraits et huiles essentielles de
ditionnellement en l’état ou sous forme       nombreuses plantes (par exemple, ail,            En médecine vétérinaire, le cadre
de préparations et dont les effets indési-    romarin, curcuma, origan, romarin) conte-      réglementaire prévoit aussi d’assurer la
rables potentiels sont supérieurs au béné-    nant des composés phénoliques, poly-           protection de la santé publique, notam-
fice thérapeutique attendu ; ces plantes      saccharides, protéoglycanes, flavonoïdes       ment pour limiter l’exposition des consom-
peuvent toutefois servir à la préparation     fait l’objet de multiples travaux pour         mateurs à des résidus nocifs (Règlement
de médicaments homéopathiques.                accroître la résistance des poissons aux       européen 470/2009). Dans ce cadre, plus
                                              infections bactériennes (Bulfon et al          d’une centaine de plantes (sous forme
  L’agence européenne du médicament           2015).                                         d’huiles essentielles, ou partie de plan-
a mis en place une démarche de recen-                                                        tes) ont été évaluées pour une utilisation
sement et d’évaluation des plantes à             Par ailleurs, dans un dossier consacré      sous forme de médicaments vétérinaires
vertus thérapeutiques dans le cadre de la     aux thérapeutiques alternatives (Le point      chez les animaux producteurs de denrées
directive 2004/24/CE. Le recours à des        vétérinaire 2016), plusieurs illustrations     alimentaires sans nécessité de fixer de
plantes dites médicinales existe dans         sont données. Un article traite de la phy-     limites maximales de résidus (Anses
toutes les cultures. L’étude de ces pharma-   tothérapie en élevage bovin, avec des          2016). La moitié environ de ces plantes
copées ancestrales (par exemple, chinoise,    applications aux troubles infectieux           est autorisée dans la composition de
ayurvédique (Inde), amazone) constitue        diarrhéiques et pulmonaires (Dordain           médicaments vétérinaires (tableau A du
un domaine de recherche pluridiscipli-        2016a). Un autre aborde son usage en           règlement 37/2010), uniquement en tant
naire très actif dans l’identification de     médecine collective, avec l’exemple de         que médicaments vétérinaires homéo-
nouveaux principes actifs. Dans les 40        l’action sur l’équilibre microbien et para-    pathiques ou topiques (usage externe
dernières années, moins de 40% des            sitaire du tube digestif chez les volailles    local). L’autre moitié peut être utilisée
petites molécules développées en tant         (Filliat et Souvestre 2016). L’usage des       chez toutes les espèces, avec cependant
que médicament étaient d’origine syn-         huiles essentielles contre les maladies        quelques restrictions d’usage (espèces
thétique, plus de la moitié étaient déri-     bactériennes est aussi abordé à partir du      animales, âge) ; la plupart de ces plantes
vées ou inspirées de la nature (Newman        « phytogramme® » (Mauvisseau 2016),            autorisées font partie du régime alimen-
et al 2012).                                  pour identifier lesquelles sont les plus       taire de l’Homme et des animaux.
                                              inhibitrices de la multiplication de la
1.2 / Traitement des maladies                 souche bactérienne concernée, avec des           Bien que la réglementation européenne
infectieuses                                  applications illustrées sur la pathologie      sur les productions biologiques encou-
                                              digestive, respiratoire et mammaire.           rage le recours à des produits de phyto-
  Les plantes contiennent un très grand                                                      thérapie, très peu de ces produits sont
nombre de molécules pouvant avoir des         1.3 / Contraintes réglementaires               mis sur le marché en tant que médica-
modes d’action pharmacologiques variés                                                       ments vétérinaires (Mayer et al 2014) et
voire synergiques vis-à-vis des bactéries       Les procédures d’évaluation préalable        le cadre réglementaire du médicament
ou de l’animal infecté, en prévention ou      à l’autorisation de mise sur le marché         vétérinaire semble un frein à leur dévelop-
en traitement des maladies d’étiologie        nécessitent de garantir la qualité du pro-     pement. En France, le décret n°2013-752

INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 79

permet un allègement des pièces du dos-          Enfin, il y a consensus sur la nécessité   rie ; ii) soit virulent, avec multiplication
sier de demande d’Autorisation de Mise        d’adapter les cadres réglementaires pour      du phage dans la bactérie, destruction
sur le Marché (AMM) des médicaments           clarifier le positionnement des produits      de la bactérie et libération de nouveaux
vétérinaires à base de plantes. L’avis de     à base de plantes en tant que produits        phages. Certains phages ne se répliquent
l’Anses de février 2016 (Anses 2016)          utilisables en production animale condui-     que suivant un cycle virulent et sont
recommande d’établir une liste priori-        sant à un moindre recours aux antibio-        nommés phages virulents, d’autres peu-
taire de substances végétales aujourd’hui     tiques.                                       vent se répliquer selon les deux cycles
nécessaires pour la phytothérapie des                                                       et sont nommés phages tempérés. La
animaux producteurs de denrées afin
d’encourager leur évaluation dans le
                                              2 / Phagothérapie                             caractéristique principale du cycle lyso-
                                                                                            génique est que le phage ne détruit pas
cadre réglementaire ; il propose aussi                                                      la bactérie et va ainsi pouvoir se main-
des voies d’allégements sur l’évaluation      2.1 / Phages                                  tenir à l’état dormant au sein de la popu-
de la qualité et la démonstration de l’ef-                                                  lation bactérienne.
ficacité.                                        La phagothérapie est une thérapie
                                              vieille d’un siècle qui revient en force      2.2 / Thérapie phagique
1.4 / Conditions d’utilisation                sur le devant de la scène ainsi que le
actuelles                                     reflète l’augmentation du nombre de              Seuls les phages se multipliant selon
                                              publications sur le sujet depuis les          un cycle lytique sont considérés en thé-
  Les plantes et produits dérivés ont des     années 2000. Elle fait appel à l’utilisa-     rapeutique car ils peuvent agir en détrui-
propriétés nutritionnelles et métaboliques    tion de phages virulents comme agents         sant les bactéries. Divers points sont à
qui peuvent conduire à une combinai-          antibactériens. Les phages, ou bactério-      prendre en considération pour maximiser
son d’effets physiologiques et pharmaco-      phages, sont des virus n’infectant que        les chances de succès de la thérapie pha-
logiques, sachant qu’il n’y a pas de          des bactéries, constitués d’une enveloppe     gique (Carlton 1999, Sulakvelidze et al
frontière claire entre un état d’équilibre    protéique (la capside) qui contient de        2001, Inal 2003, Loc-Carrillo et Abedon
et l’apparition d’un état pathologique.       l’ADN (dans la majorité des cas) ou de        2011, Prevel et Dufour 2016). Le plus
La difficulté avec les plantes médicina-      l’ARN. Ils présentent une grande variété      important est de s’assurer que les phages
les ou produits dérivés est leur position-    tant au niveau morphologique qu’au            utilisés sont strictement à cycle lytique
nement sur des statuts réglementaires         niveau génomique (figure 1). Ainsi, cer-      et que leur génome ne code pas de gènes
différents, entre les secteurs de l’alimen-   tains phages possèdent une queue pou-         indésirables comme des gènes de viru-
tation et de la supplémentation alimen-       vant être rigide ou contractile (figure 2),   lence. Bien que plusieurs études rappor-
taire et la revendication de propriétés ou    d’autres des appendices, des manchons,        tent que les phages pourraient coder des
indications thérapeutiques, domaine du        des spicules caudales. Ils représenteraient   gènes de résistance aux antibiotiques,
médicament vétérinaire.                       l’entité biologique la plus abondante de      une étude récente tend à démontrer le
                                              la biosphère. Ils interviennent dans le       contraire (Enault et al 2016). Les phages
   Compte tenu de la définition juridique     maintien de la diversité et la régulation     ont une étroite spécificité d’hôtes dans
actuelle du médicament vétérinaire (direc-    des populations bactériennes au sein des      la mesure où ils n’agissent que sur cer-
tive 2001/82/CE) dès lors que le produit      écosystèmes.                                  taines souches bactériennes. Avant trai-
à base de plantes est positionné sur des                                                    tement il est donc préférable d’isoler la
indications de prévention et de traitement      Le cycle de vie des phages peut être        bactérie responsable de l’infection pour
des maladies infectieuses avec une pré-       de deux types (figure 3) : i) soit lyso-      pouvoir cibler le traitement par les phages.
sentation destinée à une administration       génique, avec intégration de l’ADN du         Ensuite deux types d’approches théra-
à l’animal, il relève par fonction et par     phage dans le chromosome de la bacté-         peutiques peuvent être envisagées : i) soit
présentation du statut de médicament
vétérinaire et doit se conformer à cette      Figure 1. Classification des phages selon Ackermann (Ackermann 2003).
réglementation et suivre le processus
d’évaluation conduisant à une AMM.

  Dans le cadre de la cascade (article
L 5143-4 du Code de la Santé Publique)
qui détermine les conditions de pres-
cription en l’absence de médicament
vétérinaire approprié autorisé, le vétéri-
naire peut également prescrire une pré-
paration magistrale à base de drogues
végétales et produits dérivés, qui sera
fabriquée par le pharmacien à partir de
matières premières.

   Le produit à base de plantes peut aussi
être positionné dans certains cas comme
un additif à l’alimentation animale, et
ajouté aux aliments pour animaux ou à
l’eau pour remplir des fonctions définies
par le règlement européen (CE) 767/2009
comme ayant un effet positif sur la pro-
duction, le rendement ou le bien-être, en
influençant la flore gastro-intestinale ou
la digestibilité des aliments pour animaux.
La réglementation en matière d’alimen-
tation animale doit alors être respectée.

                                                                                            INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage
80 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER

une stratégie de traitement « prêt-à-            Figure 2. Coliphage ESCO3 observé par coloration négative à l’acétate d’uranyle
porter » avec l’administration de cocktails      en microscopie électronique.
de bactériophages ciblant les principales
souches bactériennes de l’espèce iden-
tifiée, cette approche nécessitant dans
l’idéal une veille microbiologique pour
adapter régulièrement la composition de
ces cocktails ; ii) soit une stratégie de
traitement « sur mesure » avec l’admi-
nistration d’un cocktail de bactériophages
ciblant spécifiquement la souche bacté-
rienne responsable (Pirnay et al 2011).
Il est primordial de s’assurer de l’extrême
pureté des suspensions phagiques utili-
sées afin d’éviter la présence de débris
bactériens, de bactéries, de phages lyso-
gènes ou de toxines.

2.3 / Enjeux et questions de
recherche
   Il est dans un premier temps essentiel
de développer des projets de recherche
sur l’évaluation du potentiel thérapeu-
tique de la phagothérapie en alternative
ou en complément à l’antibiothérapie.
Ces projets devraient conduire à étudier
la biologie des phages, leurs effets sur
l’organisme, leur impact potentiel sur
les écosystèmes animaux et environne-
mentaux, l’apparition de systèmes de
résistance aux phages et l’évaluation de
l’immunité adaptative des organismes
traités qui pourrait impacter l’efficacité
de traitements successifs. Ils devraient
viser à produire des suspensions pha-            Figure 3. Cycles de réplication des phages (http://www.microbiologie-medicale.fr/vi-
                                                 rologie/generalitesvirus.htm).
giques répondant aux normes GMP
(« Good Manufacturing Pratice ») afin
de les valider en essais cliniques vétéri-
naires sur la base d’une liste de critères
(Pirnay et al 2015).

2.4 / Perspectives d’utilisation
  Une question préalable majeure est de
savoir si on doit réserver ou non l’usage
de la phagothérapie à la médecine
humaine comme traitement de dernier
recours pour des patients en impasse
thérapeutique face à des bactéries résis-
tantes aux antibiotiques. En effet, si la
thérapie phagique est appliquée en
médecine vétérinaire, deux types d’in-
tervention peuvent être envisagés : au
niveau de l’individu ou à l’échelle du lot
ou du troupeau en métaphylaxie. Dans
ce dernier cas plus particulièrement, il
est indispensable d’évaluer préalablement
quelles pourraient être les conséquences         sur l’utilisation massive des phages en       les biofilms bactériens qui sont source
du relargage massif de phages dans l’en-         médecine vétérinaire est donc ouvert et       d’agents pathogènes et qui sont très pré-
vironnement, car les phages sont résis-          la modélisation des risques potentiels        sents dans les bâtiments d’élevage,
tants dans le milieu extérieur et pourraient     est essentielle. Toutefois, une application   notamment dans les conduites d’eau.
tolérer des conditions physico-chimiques         dérivée des phages serait l’utilisation
difficiles. De ce fait il est important d’éva-   d’enzymes phagiques, produites par les        2.5 / Contraintes réglementaires
luer leur impact sur la modulation éven-         phages, telles que les endolysines qui
tuelle des écosystèmes en participant à          dégradent le peptidoglycane et les dépo-         Aux États-Unis, la « Food and Drug
la sélection de souches résistantes aux          lymérases qui dégradent les polysaccha-       Administration » (FDA) a autorisé des
phages, souches qui pourraient alors             rides capsulaires (Pires et al 2016). De      produits à base de phages pour un usage
infecter l’Homme et engendrer de nou-            telles enzymes couplées aux antibioti-        de décontamination en industrie agro-
velles impasses thérapeutiques. Le débat         ques pourraient permettre de déstructurer     alimentaire, toutefois elle n’a pas pour le

INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 81

moment autorisé un usage en médecine.          Figure 4. Études pionnières des principaux peptides antimicrobiens (Courtoisie du
En France, les phages ne possèdent plus        Dr Mohamed Amiche, Directeur Adjoint du Groupe de Recherche (GdR3625 CNRS)
d’AMM en médecine humaine et vétéri-           MultiFonction des Peptides AntiMicrobiens (MuFoPAM)).
naire. L’application de la réglementation
relative aux médicaments n’est pas tota-
lement adaptée au développement indus-
triel de phages ce qui entraine un flou
juridique et législatif. Un positionne-
ment sur l’utilisation des phages en tant
qu’agent thérapeutique et bio-médica-
ment doit être établi. Ce travail serait en
cours d’élaboration par l’Agence Natio-
nale de Sécurité du Médicament (ANSM)
(JO Sénat du 22/05/2013). À l’heure
actuelle, la phagothérapie n’est appli-
quée que très rarement en médecine
humaine, dans des cas d’impasses théra-
peutiques (usage dit compassionnel
dans le cadre de l’article 37 de la décla-     3.2 / Activité biologique                      sens, l’étude de l’apport des HDP comme
ration d’Helsinki).                                                                           adjuvants lors d’une vaccination est à
                                                  L’activité biologique des HDP est           explorer. Par ailleurs, l’utilisation théra-
3 / Peptides antimicrobiens                    d’abord décrite comme antimicrobienne          peutique en synergie avec d’autres anti-
ou peptides de défense de                      compte tenu de leur capacité à déstabili-      microbiens pour augmenter l’efficacité
                                               ser les membranes des microbes jusqu’à         et diminuer le risque d’apparition de
l’hôte                                         les rompre. Certains peuvent pénétrer à        résistances bactériennes est également
                                               l’intérieur des microbes pour perturber        une voie prometteuse. Toutefois, leur
                                               la machinerie cellulaire (réplication des      effet, qui peut être délétère sur les cellu-
3.1 / Peptides de défense de l’hôte            acides nucléiques, transcription, traduc-      les de l’organisme et sur le microbiote,
                                               tion). Ces mécanismes de perturbation          reste également à mesurer pour évaluer
   Découverts dans les années 1970 à           sans haute affinité pour une cible micro-      le risque de toxicité et de déséquilibre
partir d’études sur la peau des amphibiens     bienne spécifique réduisent la possibilité     du microbiote. Stimuler la production
et sur les insectes (figure 4), les peptides   pour les bactéries de développer des résis-    des peptides antimicrobiens propres à
antimicrobiens sont des molécules de           tances à ces peptides. Cependant, l’activité   l’organisme hôte (grâce à des additifs
défense produites par l’organisme. Ils         antimicrobienne est souvent diminuée en        alimentaires, médicaments) est une autre
ont été renommés depuis une dizaine            conditions physiologiques dans la mesure       voie prometteuse qui commence à être
d’années comme peptides de défense de          où des inhibiteurs sont présents. Toutefois,   abordée ces dernières années en recher-
l’hôte (HDP) car leur activité biologique      à proximité de la source de production         che (Prado Montes de Oca 2013).
s’étend bien au-delà d’une fonction            des HDP, les concentrations atteintes
antimicrobienne stricte (Hancock et al         sont suffisamment importantes pour             3.4 / Contraintes à l’usage des
2016). Ils sont présents dans virtuelle-
ment toutes les formes de vie du royaume
                                               exercer une activité de barrière aux patho-    peptides antimicrobiens
                                               gènes au niveau des muqueuses. Par
bactérien, fongique, animal et végétal,        ailleurs, à des concentrations inférieures
et sont des composants essentiels très                                                           Le processus de développement de
                                               aux concentrations inhibitrices sur les        drogues pharmaceutiques depuis leur
anciens de l’immunité innée. L’« Anti-         bactéries, certains HDP peuvent aussi
microbial Peptide Database » (http://                                                         découverte jusqu’à leur mise sur le mar-
                                               prévenir la formation de biofilms, source      ché est long (plus de 10 ans) et coûteux,
aps.unmc.edu/AP/main.php) contient             de colonisation bactérienne persistante
aujourd’hui plus de 2 700 peptides                                                            avec de nombreuses contraintes et un
                                               et d’infections chroniques.                    taux de succès très bas pour les anti-
répertoriés dont plus de 2000 d’origine
animale. Chez les animaux, les HDP                                                            microbiens (Projan et Shlaes 2004). On
                                                  Depuis les années 2000, des études ont      recense aujourd’hui moins d’une ving-
sont produits essentiellement par les          démontré que des HDP des animaux et
cellules épithéliales et les phagocytes                                                       taine de peptides antimicrobiens en essai
                                               de l’Homme peuvent recruter des cellu-         clinique pour la médecine humaine, avec
situés à l’interface entre l’organisme et      les immunitaires et les stimuler, ceci à
son environnement (peau, tractus respi-                                                       des applications antimicrobiennes et
                                               des concentrations en HDP bien infé-           anti-inflammatoires dermatologiques et
ratoire, digestif, urinaire et reproduc-       rieures à celles requises pour une activité
teur).                                                                                        plus rarement systémique. En médecine
                                               antimicrobienne directe. Depuis, il a été      vétérinaire, les coûts de traitement doi-
                                               montré que les HDP ont non seulement           vent être considérablement inférieurs aux
   Les HDP sont de petite taille (12 à 50
acides aminés), cationiques et à domaines      des propriétés immuno-modulatrices             coûts pratiqués en médecine humaine
hydrophobes (Zasloff 2002), ce qui             mais aussi une action anti-inflammatoire,      pour une commercialisation possible, ce
explique leur propension à interagir avec      anti-endotoxine, anti-tumorale, pro-angio-     qui constitue un frein majeur à l’appari-
les membranes bactériennes. Leur clas-         genèse et sur la réparation des lésions.       tion de nouveaux traitements anti-infec-
sification en quatre classes est basée sur                                                    tieux en élevage.
leur structure secondaire avec deux prin-      3.3 / Enjeux et questions de
cipales chez les animaux : peptides en         recherche                                        La complexité structurale des molécules
hélice-a (cathélicidines) et peptides en                                                      naturelles les rend souvent difficiles à
feuillet-b (défensines), ces derniers étant      Les multiples fonctions des HDP issus        obtenir par voie recombinante qui est la
les plus abondants et les plus compacts.       des animaux, à la fois directes sur les        plus facilement transposable à l’échelle
Chaque classe peut contenir de nombreux        microbes eux-mêmes et indirectes en            industrielle. La synthèse chimique est
variants assurant à l’hôte un répertoire       promouvant l’immunité de l’hôte qui les        également compliquée et coûteuse pour
diversifié de peptides à large spectre anti-   héberge, constituent un avantage majeur        un développement pharmaceutique vété-
bactérien.                                     qui mérite d’être approfondi. Dans ce          rinaire ; de plus, le choix de synthétiser

                                                                                              INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
82 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER

par voie chimique des peptides raccour-       manière coordonnée au sein d’une même         rum sensing ». Cette approche vise à
cis à la longueur strictement active peut     espèce où d’espèces proches partageant        empêcher l’expression de gènes de viru-
diminuer la stabilité, la biodisponibilité    le même mode de communication.                lence sans forcément éliminer les bacté-
et entraîner des effets secondaires de                                                      ries ce qui permet de limiter l’apparition
toxicité in vivo. Enfin, l’industrie phar-       Dans les grandes lignes, le scenario est   de mécanismes de résistance comme ceux
maceutique n’est pas encline à utiliser       toujours à peu près le même : les bacté-      observés dans le cas de l’utilisation d’an-
des produits animaux (sous-produits           ries produisent et sécrètent des molécu-      tibiotiques.
des filières viande) qui pourraient cons-     les de signalement qui indiquent leur
tituer pourtant une source potentielle        présence et s’accumulent dans le milieu       4.2 / Enjeux et questions de
d’HDP à extraire et à purifier à moindre      extracellulaire. Lorsque la concentra-        recherche
coût.                                         tion de ces molécules atteint une valeur
                                              seuil, d’où le nom de « quorum sensing »         Le contrôle de la communication bac-
3.5 / Perspectives d’utilisation              (détection d’atteinte du quorum), les         térienne permet d’empêcher l’expression
                                              molécules sont perçues par l’ensemble         de gènes de virulence. C’est donc une
  Les HDP des animaux sont des molé-          de la population bactérienne soit au          des pistes identifiées pour développer
cules naturelles qui présentent donc          niveau d’un récepteur à la surface bac-       des alternatives aux antibiotiques. Une
l’avantage d’être bien tolérées par les       térienne, soit par un transporteur qui        grande partie des travaux publiés dans ce
organismes et plus facilement accepta-        « réinternalise » (réincorpore) la molé-      domaine se base le plus souvent sur la
bles d’un point de vue sociétal. Si nous      cule de signalement dans la bactérie.         connaissance des mécanismes de com-
n’avons pas actuellement de perspectives      Cette perception modifie l’expression         munication. Ils visent différentes étapes
d’usage en pratique de ces HDP à court        de gènes cibles de manière coordonnée         du mécanisme de « quorum sensing »
et moyen terme, leur large spectre anti-      entre toutes les bactéries présentes qui      (figure 6) :
bactérien allié à leur efficacité vis-à-vis   ont réagi au signal, donnant ainsi un
de souches multi-résistantes aux anti-        poids fort à la réponse et au changement      a) Production de la molécule de signalement
biotiques ainsi que leur effet promou-        de phénotype (forme ou action de la
vant l’immunité de l’hôte laissent toute-     bactérie) (figure 5). La nature des molé-        La première cible est l’étape de syn-
fois de bonnes raisons d’espérer à l’avenir   cules diffère selon qu’il s’agit de bacté-    thèse de la molécule de signalement. Un
de nouveaux traitements utilisant des         ries de type Gram+, comme par exem-           article récent rapporte par exemple la
HDP pour lutter contre les maladies           ple Staphylococcus aureus, qui utilisent      conception par analyse structurale et
infectieuses majeures et émergentes en        comme molécule de signalement des             mutagénèse dirigée d’un composé
élevage.                                      oligopeptides, ou Gram-, comme par            [(z)-5-octylidenethiazolidine-2, 4-dione]
                                              exemple Pseudomonas aeruginosa, qui           ayant une affinité pour le site actif de
4 / « Quorum quenching » et                   utilisent des acyl homoserine lactones.
                                              Au-delà de ces deux groupes de molé-
                                                                                            l’enzyme qui synthétise l’acyl homoserine
                                                                                            lactone de Pseudomonas aeruginosa et
« quorum sensing »                            cules de signalement bien caractérisées,      qui s’avère être un inhibiteur de cette
                                              de nouvelles molécules sont constam-          enzyme et donc de la communication
                                              ment décrites.                                cellulaire. Ce composé est proposé pour
4.1 / Conversations bactériennes                                                            servir de base aux développements d’inhi-
                                                 De nombreuses fonctions sont contrô-       biteurs d’autres acyl homoserine lactones
  Dans les années 1960, deux études           lées par des mécanismes de communica-         (Lidor et al 2015).
pionnières ont montré que les bactéries       tion de type « quorum sensing » : conju-
n’étaient pas indépendantes les unes des      gaison, transformation, sporulation,          b) Stabilité ou biodisponibilité de la
autres mais qu’elles étaient capables de      formation de biofilms et surtout virulen-     molécule de signalement dans le milieu
communiquer entre elles. Depuis, de           ce pour les bactéries pathogènes. Dès         extracellulaire
nombreuses études ont montré que cette        lors, il devient intéressant de chercher à
communication était la norme dans le          contrôler cette communication soit pour          Si la production de la molécule de
monde bactérien, introduisant la notion       induire certaines fonctions d’intérêt soit    signalement n’a pas été empêchée, des
de « conversations bactériennes »             au contraire pour éviter l’expression de      stratégies de piégeage ou de dégradation
(Monnet et al 2016). En coordonnant           gènes impliqués dans la virulence. Dans       dans le milieu extérieur peuvent être
l’expression de gènes au sein d’une           ce dernier cas, on parle de « quorum          envisagées. Des enzymes de type lacto-
population, cette communication donne         quenching » (blocage du mécanisme de          nases, capables de dégrader les acyl
du poids à un ensemble de bactéries qui       « quorum sensing ») ; il s’agit de chercher   homoserine lactones des bactéries
modifient ainsi leur comportement de          à interférer avec le mécanisme de « quo-      Gram- ont été identifiées et utilisées avec
Figure 5. Représentation schématique de la régulation d’expression de gènes par « quorum sensing ».

INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 83

succès pour lutter contre les bactéries        Figure 6. Représentation schématique des différents niveaux possibles de blocage
pathogènes des plantes (Grandclément           du mécanisme de régulation de l’expression des gènes par « quorum sensing ».
et al 2016). Un autre bel exemple de
piégeage de molécule de signalement
a été rapporté chez Staphylococcus
aureus où le peptide de signalement est
immobilisé par un anticorps dirigé contre
lui. Cette stratégie a donné des résultats
convaincants dans un modèle d’infection
cutanée chez la souris (Park et al 2007).

  c) Perception de la molécule de
signalement par un récepteur ou un
transporteur en surface de la bactérie

   La troisième étape qui peut être ciblée
est celle de l’interaction entre la molé-
cule de signalement et son récepteur ou
son transporteur à la surface de la bacté-
rie. Là encore un bel exemple est donné
chez Staphylococcus aureus où des ana-
logues du peptide de signalement ont           médicament) et de l’accès aux sites d’in-       Conclusion
été conçus pour inhiber le récepteur de        fection. Dans ce domaine, l’une des
surface (George et al 2008).                   pistes de progrès est peut-être l’utilisation
                                               de nanoparticules comme vecteurs de               À part les alternatives thérapeutiques
   D’autres types de travaux utilisent des     « quorum quencheurs », qui a été testée         aux antibiotiques déjà utilisées en pra-
souches modifiées contenant un gène            avec succès in vitro (Miller et al 2015).       tique, telles que l’homéopathie ou la
rapporteur (gène codant une enzyme dont        Se pose aussi la question de la non-            phytothérapie, d’autres approches sont
l’activité est facilement quantifiable) sous   élimination systématique de la bactérie         potentiellement prometteuses pour
la dépendance du promoteur du système          pathogène et donc aussi de la durée du          contrôler les populations bactériennes
de « quorum sensing » qui sont utilisées       traitement. Ces stratégies de « quorum          ou leur virulence, telles que la phago-
comme biosenseurs (bactéries modifiées         quenching » doivent donc sans doute             thérapie, l’usage de peptides antimicro-
utilisées comme outils de détection) pour      être envisagées en combinaison avec             biens ou le « quorum quenching ».
cribler de manière assez large différen-       d’autres thérapeutiques.                        Néanmoins différents travaux de recher-
tes banques de molécules ou différents                                                         che puis de développement industriel
échantillons contenant potentiellement            D’autres approches d’écologie micro-         sont encore nécessaires avant de voir
des inhibiteurs naturels. Ces approches        bienne sont aussi à considérer (Helman          apparaître des produits utilisables en
permettent d’identifier des molécules          et Chernin 2015). Chez les plantes, l’uti-      pratique. Par ailleurs, pour la phagothé-
inhibitrices sans toutefois comprendre à       lisation de bactéries dotées d’activités        rapie et la phytothérapie, des évolutions
quel niveau du mécanisme de « quorum           enzymatiques capables de dégrader les           réglementaires seraient nécessaires pour
                                                                                               faciliter leur commercialisation.
sensing » elles agissent. Dans ce domaine,     acyl homoserine lactones de bactéries
des extraits végétaux de différentes ori-      pathogènes des systèmes racinaires et              Par ailleurs, il paraît illusoire de vouloir
gines sont le plus souvent testés et ont       donc de diminuer leur virulence a été           remplacer simplement et directement
montré leur potentiel dans ce domaine          testée avec succès. Par exemple, Rhodo-         les antibiotiques par ces thérapeutiques
(Truchado et al 2015).                         coccus, agissant comme agent de bio-            alternatives (Gromond 2016b). Intégrer
                                               contrôle « quorum quencheur », a été            les thérapeutiques alternatives dans
4.3 / Perspectives d’utilisation et            utilisé pour diminuer la virulence de           l’approche de la santé du troupeau
réserves techniques                            Pectobacterium dans un système de cul-          requiert d’avoir engagé une démarche
                                               ture hydroponique de pomme de terre.            préventive globale en prenant en compte
   À notre connaissance, il n’y a pas          Il est donc possible de modifier les éco-       les besoins physiologiques des animaux,
encore d’application du « quorum quen-         systèmes microbiens racinaires en intro-        en maintenant les conditions d’une
ching » à l’hôpital ou sur le terrain en       duisant ou en stimulant des bactéries           bonne immunité innée, en respectant les
médecine humaine ou vétérinaire. Les           dotées d’activité « quorum quenching »          équilibres microbiens environnementaux
premières applications auront probable-        capables de dégrader ou de capter les           (Gromond 2016b), ce qui permet le
ment lieu dans le domaine des affec-           molécules de signalement produites par          maintien d’un bon équilibre de la santé
tions cutanées qui sont les plus accessi-      une bactérie pathogène. Ces stratégies          du troupeau recherché en Agriculture
bles à des molécules ou des extraits           de modifications d’écosystèmes micro-           Biologique (cf. encadré). Dans ces condi-
inhibiteurs. Pour les infections plus pro-     biens, plus complexes à mettre en œuvre         tions, la thérapeutique ne concerne plus
fondes, se pose la question complexe de        sont cependant intéressantes à explorer         que des cas sporadiques et peut être
la galénique (type de présentation du          à l’avenir.                                     envisagée avec des solutions alternatives.

                                                                                               INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
84 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER

 Encadré. Approche de la santé de l’élevage en Agriculture Biologique (Source Denis Fric).

 Dans cet article consacré aux alternatives thérapeutiques aux antibiotiques, un encart est consacré à l’approche de la santé
 en Agriculture Biologique car elle intègre de manière organisée à la fois la prévention des maladies par une approche systé-
 mique de la santé et l’utilisation préférentielle de médicaments alternatifs aux antibiotiques quand c’est possible. De fait
 certains de ces systèmes d’élevage sont en quelque sorte pionniers dans la réduction d’usage des antibiotiques et leur appro-
 che pertinente à analyser.

 Différents points de vue coexistent sur ce qu’est l’Agriculture Biologique. Dans cet encart, nous ne considérons pas simple-
 ment l’Agriculture Biologique comme le respect d’un cahier des charges, avec substitution des intrants chimiques par des
 intrants biologiques. Nous considérons qu’elle n’est pas une forme d’agriculture parmi d’autres, qu’elle se distingue du modèle
 intensif de production par une approche différente : « L’Agriculture Biologique est un mode de production, une manière de
 produire, de respecter et de valoriser l’environnement, de favoriser le bien-être animal, d’être acteur du développement rural,
 de créer emplois et richesses économiques » (Benoît Canis, préface de Ragot 2001). D’autres approches de l’agriculture
 partagent certains de ces enjeux, mais les moyens d’y parvenir sont différents ; l’Agriculture Biologique a recours à des
 pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels, notamment en matière de recyclage des
 matières organiques, de pratiques culturales, d’exclusion des pesticides, etc. (Institut Technique de l’Agriculture Biologique
 2016). En matière d’élevage, un des éléments de la démarche de l’Agriculture Biologique est la préservation de la santé
 collective des animaux. Les aspects sanitaires de l’élevage en Agriculture Biologique vont donc couvrir l’ensemble des
 particularités d’un système qui peuvent avoir une influence sur la préservation de la santé : sol, cultures, alimentation, conditions
 d’élevage, contraintes diverses telles qu’éloignement des parcelles ou remboursement d’emprunt, tout en intégrant la vision
 de l’éleveur sur son exploitation.

 Approche globale et équilibre du système d’élevage
 Ces fondements de l’Agriculture Biologique impliquent la nécessité pour celui qui s’intéresse aux aspects sanitaires en
 Agriculture Biologique d’avoir une approche globale de la ferme. Une des particularités de l’Agriculture Biologique est la
 diversité de ses systèmes : aucun n’est semblable à un autre et la maîtrise de la santé ne peut de ce fait relever de « recettes »
 applicables à tous les élevages biologiques. L’objectif est donc de comprendre les « contraintes objectives et les objectifs
 contraignants » d’une exploitation donnée en mettant en évidence ses facteurs de risque, ses points faibles et en prenant en
 compte l’ensemble des liens qui unissent étroitement éleveur, sol, plante et animal.

 Le système d’élevage doit trouver un équilibre, mais il est souvent en constante évolution car soumis aux aléas du climat, des
 filières de la commercialisation ou des pratiques de l’éleveur. Cet équilibre n’est donc pas statique mais dynamique
 (cf. figure 1). L’approche globale de la ferme, à l’occasion d’un « suivi sanitaire », a pour objectif de découvrir les signes et
 les sources du déséquilibre car, dans la grande majorité des cas, les problèmes sanitaires en Agriculture Biologique ont
 pour origine un déséquilibre : alimentation mal maîtrisée, bâtiment mal adapté ou techniques d’élevage inappropriées. Ceci
 est aussi vrai en agriculture conventionnelle ; néanmoins l’approche en Agriculture biologique met l’accent sur la correction
 d’ensemble de ces déséquilibres dans une approche systémique, afin d’éviter le recours aux médicaments.

 Figure. Schéma représentant la réaction de l’animal confronté à des déséquilibres du système d’élevage.

                                                            Réglage
                                                          alimentaire

                                       Seuil de                                Seuil de
                                      sensibilité                             tolérance
                                                                                                 Discours
                                                           Discours                             pathologique
                                                        pré-pathologique

                                                     Adaptation                   Résistance
                                      Carence                                                         Maladies
                         Equilibre
                                       Excès             Excès, carence perdurent
                                            L’animal agit                L’animal subit
                                     - Surconsomme                           - Symptômes lésionnels LENTS
                                     - Symptômes fonc ctionnels RAPIDES      - Désordre profond
                                       (façon de déféquer, d’uriner)           (cornes, pieds, stabilité ruminale)
                                     - 1 er symptômes p
                                                      pour homéopathie

 Observation du troupeau
 L’animal est le premier à extérioriser les déséquilibres du système (cf. fgure) ; il est l’élément le plus réactif par son « discours
 pathologique » (impact clinique du déséquilibre sur la santé quand le seuil de tolérance a été dépassé) et, avant cette phase,
 par les signes d’adaptation ou de tolérance qui précèdent l’atteinte clinique : son « discours pré-pathologique ». Ce discours
 pré-pathologique peut s’exprimer de diverses manières, notamment par des signes alimentaires (mouvements de poils, matière

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