Perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage
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INRA Prod. Anim., Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques 2017, 30 (1), 77-88 en élevage C. DUCROT 1, D. FRIC 2, A.-C. LALMANACH 3, V. MONNET 4, P. SANDERS 5, C. SCHOULER 3 1 Épidémiologie Animale, INRA, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France 2 Vétérinaire praticien homéopathe, Commission élevage ITAB, 23150, Sous-Parsat, France 3 ISP, INRA, Université François Rabelais de Tours, 37380, Nouzilly, France 4 Micalis Institute, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France 5 Anses, Laboratoire de Fougères, Bâtiment Bioagropolis, 35306, Fougères, France Courriel : christian.ducrot@inra.fr La diminution drastique de l’usage des antibiotiques en élevage passe par la prévention des maladies et les mesures de biosécurité, l’usage raisonné des antibiotiques, mais également par le développement de méthodes alternatives ou complémentaires à l’antibiothérapie. Différentes approches sont étudiées dont certaines sont basées sur des découvertes biologiques anciennes, insuffisamment explorées et qui sont remises au goût du jour. Les avancées médicales majeures dans en France, le plan EcoAntibio 2017 de la santé du troupeau (Gromont 2016b). le traitement des maladies infectieuses (Ministère de l’agriculture 2012) comp- Il existe aussi d’autres possibilités théra- sont largement dues à la découverte et rend un ensemble de 40 mesures com- peutiques sur lesquelles des travaux de au développement des antibiotiques plémentaires destinées à promouvoir des recherche et de développement sont en depuis les travaux pionniers sur la péni- actions préventives des maladies, mettre cours. Le présent article présente plu- cilline découverte en 1928. L’âge d’or en œuvre un usage raisonné et économe sieurs d’entre elles, leurs caractéristiques, des antibiotiques (années 1940-1960) des antibiotiques et développer des leurs avantages et inconvénients, leurs durant lequel la majorité des familles approches thérapeutiques alternatives contraintes techniques et réglementaires, ont été identifiées a été suivi d’une uti- (disposition numéro 19). leurs enjeux et perspectives. Elles sont lisation très étendue et souvent inap- présentées en fonction de la plausibilité propriée (Carlet et le Coz 2015), et a En élevage, une réduction drastique plus ou moins lointaine d’être mises en engendré l’apparition de résistances de l’usage des antibiotiques repose sur œuvre en pratique. bactériennes simples puis multiples qui trois approches qui devraient être pour- sont aujourd’hui une menace tangible suivies de manière complémentaire : 1 / Phytothérapie d’échec thérapeutique de la médecine i) Mettre l’accent sur la prévention des moderne (Zahar et Lesprit 2014). Cette maladies infectieuses, ii) rationaliser et menace est aggravée par le déclin de optimiser l’usage des antibiotiques en 1.1 / Pharmacopée l’identification et du développement cas de maladie infectieuse, et iii) utiliser de nouveaux antibiotiques en ce début des traitements curatifs alternatifs aux Il paraît paradoxal d’aborder ici la phy- de XXIème siècle (Donadio et al 2010). antibiotiques. Cet article aborde le troi- tothérapie comme médicament en déve- Aussi, « le risque de se trouver, à moyenne sième point, en mettant l’accent sur des loppement dans la mesure où l’homme a échéance, dans une véritable impasse approches thérapeutiques dont l’usage toujours eu recours à l’utilisation des plan- thérapeutique empêchant de traiter cer- n’est pas réglementé de manière satis- tes pour se soigner ou pour soigner les taines infections microbiennes est donc faisante actuellement ou qui pourraient animaux et les remèdes à base de plantes majeur, y compris dans les pays déve- représenter un potentiel dans le futur. ou de plantes transformées existent depuis loppés, à moins que des actions de lutte Un dossier récent (Le point vétérinaire la plus haute antiquité. Néanmoins, il ambitieuses et coordonnées soient mises 2016) aborde un ensemble d’approches existe un vide juridique partiel et l’utili- en place » (European Commission 2011). thérapeutiques déjà existantes et utilisées sation thérapeutique de la phytothérapie Cette préoccupation a conduit les instan- en pratique sur le terrain. Ainsi, les bases ne va pas de soi dans le contexte actuel ces internationales (WHO, FAO et OIE et les circonstances d’utilisation sont où l’autorisation de mise sur le marché 2010, OMS 2015) à adopter des plans abordées notamment pour l’homéopathie d’un médicament requiert d’assurer la concertés pour optimiser l’usage des (Ansoud 2016, Dordain 2016b, Filliat et preuve de son innocuité, de son efficacité antibiotiques et promouvoir la recherche Souvestre 2016, Issautier 2016), la phyto- et de l’absence de résidus dans les pro- pour des solutions alternatives, tant chez thérapie (Dordain 2016a, Filliat et duits issus des animaux traités, éléments l’Homme que chez l’animal. Les pouvoirs Souvestre 2016, Mauvisseau 2016), l’acu- dont on ne dispose pas précisément. publics nationaux et européens (European puncture (Lecat 2016), ces approches Commission 2011) ont eux aussi engagé étant comparées (Gromont 2016a) et mises La phytothérapie désigne l’utilisation des actions ambitieuses. En santé animale en perspective dans une autre approche des plantes à des fins thérapeutiques. INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
78 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER Selon les cas, la plante entière ou certai- bactérienne. Chez les bactéries, l’activité duit notamment la reproductibilité de sa nes parties de celle-ci sont utilisées, peut être antibactérienne ou réduire la composition quantitative et qualitative incluant les parties souterraines, tiges, virulence des bactéries en perturbant, d’un lot de médicament à l’autre. C’est feuilles, fleurs, sommités fleuries, bour- par exemple, la communication bacté- un premier défi pour des produits de geons, fruits, graines, qui sont utilisées rienne ou la formation de biofilm. Chez phytothérapie dont la composition de la sous forme fraiches ou séchées. Plusieurs l’animal, les propriétés des plantes peu- matière première (plante) peut varier en types de transformation de ces plantes vent être anti-inflammatoires, immuno- fonction de nombreux facteurs (origine, sont appliqués : infusion, décoction (dans modulatrices ou physiologiques, réduisant conditions de cultures…) et s’avérer l’eau maintenue bouillante), macération les signes cliniques de l’infection tout en complexe compte tenu de la diversité (dans l’eau froide), extraction hydro- aidant aux processus de guérison. des molécules présentes. Le second défi alcoolique, pour obtenir différentes pré- est la démonstration de l’efficacité thé- parations finales. L’aromathérapie, qui À titre d’exemples dans le cadre de rapeutique. Elle est basée sur la connais- est l’utilisation médicale des extraits maladies infectieuses, certaines plantes sance des mécanismes d’action et sur la aromatiques de plantes (essences et hui- comme l’eucalyptus, le fenouil, la mus- démonstration de l’efficacité en condi- les essentielles) est une des modalités de cade ont des effets antibiotiques. D’autres tions de terrain. la phytothérapie. Les propriétés théra- contiennent des tannins qui ont un effet peutiques des plantes sont associées à préventif ou curatif pour les diarrhées, Pour l’Homme, le choix a été fait au la présence en leur sein de molécules par exemple l’épicéa ou le chêne. De niveau européen de se baser sur les phar- appartenant à une grande diversité de nombreuses revues bibliographiques macopées traditionnelles nationales en classes chimiques (par exemple alcaloï- discutent des propriétés antibactérien- mettant en place une démarche d’éva- des, terpènes…). nes de substances (par exemple le car- luation spécifique à la phytothérapie. vacrol ou le thymol) présentes dans les Pour la médecine vétérinaire, la preuve Pour leur utilisation chez l’Homme, une huiles essentielles. Ces effets observés de l’efficacité de la phytothérapie est à liste de drogues végétales a été révisée in vitro ne sont pas forcément reproduits apporter en fonction de l’indication thé- en 2012 dans la pharmacopée française, directement au niveau de l’intestin du rapeutique revendiquée. La démonstra- scindée en deux parties. La partie A cor- fait des propriétés physico-chimiques tion de l’efficacité préventive et/ou cura- respond aux 364 drogues végétales à de ces molécules. L’obtention de l’effet, tive d’un traitement de phytothérapie, base de plantes médicinales utilisées au niveau distal de l’intestin, nécessite alternatif à un traitement antibiotique, traditionnellement ; les pharmaciens ont une formulation galénique libérant les nécessite donc des essais cliniques ; une le monopole de la vente de ces plantes molécules actives à ce niveau (de Lange alternative proposée par l’Agence natio- médicinales mais 148 d’entre elles peu- 2010). En aviculture, les huiles essen- nale de sécurité sanitaire de l’alimenta- vent être vendues hors circuit pharma- tielles et les tannins peuvent être utilisa- tion, de l’environnement et du travail ceutique car utilisées dans des produits bles pour contrôler l’entérite nécrotique (Anses 2016) est d’apporter la preuve cosmétiques ou alimentaires. La partie (Diaz-Carrasco 2016). Chez le poisson, d’un usage bien établi depuis plus de B comprend 123 drogues végétales à l’utilisation de la phytothérapie avec dif- 10 ans dans la communauté européenne. base de plantes médicinales utilisées tra- férents extraits et huiles essentielles de ditionnellement en l’état ou sous forme nombreuses plantes (par exemple, ail, En médecine vétérinaire, le cadre de préparations et dont les effets indési- romarin, curcuma, origan, romarin) conte- réglementaire prévoit aussi d’assurer la rables potentiels sont supérieurs au béné- nant des composés phénoliques, poly- protection de la santé publique, notam- fice thérapeutique attendu ; ces plantes saccharides, protéoglycanes, flavonoïdes ment pour limiter l’exposition des consom- peuvent toutefois servir à la préparation fait l’objet de multiples travaux pour mateurs à des résidus nocifs (Règlement de médicaments homéopathiques. accroître la résistance des poissons aux européen 470/2009). Dans ce cadre, plus infections bactériennes (Bulfon et al d’une centaine de plantes (sous forme L’agence européenne du médicament 2015). d’huiles essentielles, ou partie de plan- a mis en place une démarche de recen- tes) ont été évaluées pour une utilisation sement et d’évaluation des plantes à Par ailleurs, dans un dossier consacré sous forme de médicaments vétérinaires vertus thérapeutiques dans le cadre de la aux thérapeutiques alternatives (Le point chez les animaux producteurs de denrées directive 2004/24/CE. Le recours à des vétérinaire 2016), plusieurs illustrations alimentaires sans nécessité de fixer de plantes dites médicinales existe dans sont données. Un article traite de la phy- limites maximales de résidus (Anses toutes les cultures. L’étude de ces pharma- tothérapie en élevage bovin, avec des 2016). La moitié environ de ces plantes copées ancestrales (par exemple, chinoise, applications aux troubles infectieux est autorisée dans la composition de ayurvédique (Inde), amazone) constitue diarrhéiques et pulmonaires (Dordain médicaments vétérinaires (tableau A du un domaine de recherche pluridiscipli- 2016a). Un autre aborde son usage en règlement 37/2010), uniquement en tant naire très actif dans l’identification de médecine collective, avec l’exemple de que médicaments vétérinaires homéo- nouveaux principes actifs. Dans les 40 l’action sur l’équilibre microbien et para- pathiques ou topiques (usage externe dernières années, moins de 40% des sitaire du tube digestif chez les volailles local). L’autre moitié peut être utilisée petites molécules développées en tant (Filliat et Souvestre 2016). L’usage des chez toutes les espèces, avec cependant que médicament étaient d’origine syn- huiles essentielles contre les maladies quelques restrictions d’usage (espèces thétique, plus de la moitié étaient déri- bactériennes est aussi abordé à partir du animales, âge) ; la plupart de ces plantes vées ou inspirées de la nature (Newman « phytogramme® » (Mauvisseau 2016), autorisées font partie du régime alimen- et al 2012). pour identifier lesquelles sont les plus taire de l’Homme et des animaux. inhibitrices de la multiplication de la 1.2 / Traitement des maladies souche bactérienne concernée, avec des Bien que la réglementation européenne infectieuses applications illustrées sur la pathologie sur les productions biologiques encou- digestive, respiratoire et mammaire. rage le recours à des produits de phyto- Les plantes contiennent un très grand thérapie, très peu de ces produits sont nombre de molécules pouvant avoir des 1.3 / Contraintes réglementaires mis sur le marché en tant que médica- modes d’action pharmacologiques variés ments vétérinaires (Mayer et al 2014) et voire synergiques vis-à-vis des bactéries Les procédures d’évaluation préalable le cadre réglementaire du médicament ou de l’animal infecté, en prévention ou à l’autorisation de mise sur le marché vétérinaire semble un frein à leur dévelop- en traitement des maladies d’étiologie nécessitent de garantir la qualité du pro- pement. En France, le décret n°2013-752 INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 79 permet un allègement des pièces du dos- Enfin, il y a consensus sur la nécessité rie ; ii) soit virulent, avec multiplication sier de demande d’Autorisation de Mise d’adapter les cadres réglementaires pour du phage dans la bactérie, destruction sur le Marché (AMM) des médicaments clarifier le positionnement des produits de la bactérie et libération de nouveaux vétérinaires à base de plantes. L’avis de à base de plantes en tant que produits phages. Certains phages ne se répliquent l’Anses de février 2016 (Anses 2016) utilisables en production animale condui- que suivant un cycle virulent et sont recommande d’établir une liste priori- sant à un moindre recours aux antibio- nommés phages virulents, d’autres peu- taire de substances végétales aujourd’hui tiques. vent se répliquer selon les deux cycles nécessaires pour la phytothérapie des et sont nommés phages tempérés. La animaux producteurs de denrées afin d’encourager leur évaluation dans le 2 / Phagothérapie caractéristique principale du cycle lyso- génique est que le phage ne détruit pas cadre réglementaire ; il propose aussi la bactérie et va ainsi pouvoir se main- des voies d’allégements sur l’évaluation 2.1 / Phages tenir à l’état dormant au sein de la popu- de la qualité et la démonstration de l’ef- lation bactérienne. ficacité. La phagothérapie est une thérapie vieille d’un siècle qui revient en force 2.2 / Thérapie phagique 1.4 / Conditions d’utilisation sur le devant de la scène ainsi que le actuelles reflète l’augmentation du nombre de Seuls les phages se multipliant selon publications sur le sujet depuis les un cycle lytique sont considérés en thé- Les plantes et produits dérivés ont des années 2000. Elle fait appel à l’utilisa- rapeutique car ils peuvent agir en détrui- propriétés nutritionnelles et métaboliques tion de phages virulents comme agents sant les bactéries. Divers points sont à qui peuvent conduire à une combinai- antibactériens. Les phages, ou bactério- prendre en considération pour maximiser son d’effets physiologiques et pharmaco- phages, sont des virus n’infectant que les chances de succès de la thérapie pha- logiques, sachant qu’il n’y a pas de des bactéries, constitués d’une enveloppe gique (Carlton 1999, Sulakvelidze et al frontière claire entre un état d’équilibre protéique (la capside) qui contient de 2001, Inal 2003, Loc-Carrillo et Abedon et l’apparition d’un état pathologique. l’ADN (dans la majorité des cas) ou de 2011, Prevel et Dufour 2016). Le plus La difficulté avec les plantes médicina- l’ARN. Ils présentent une grande variété important est de s’assurer que les phages les ou produits dérivés est leur position- tant au niveau morphologique qu’au utilisés sont strictement à cycle lytique nement sur des statuts réglementaires niveau génomique (figure 1). Ainsi, cer- et que leur génome ne code pas de gènes différents, entre les secteurs de l’alimen- tains phages possèdent une queue pou- indésirables comme des gènes de viru- tation et de la supplémentation alimen- vant être rigide ou contractile (figure 2), lence. Bien que plusieurs études rappor- taire et la revendication de propriétés ou d’autres des appendices, des manchons, tent que les phages pourraient coder des indications thérapeutiques, domaine du des spicules caudales. Ils représenteraient gènes de résistance aux antibiotiques, médicament vétérinaire. l’entité biologique la plus abondante de une étude récente tend à démontrer le la biosphère. Ils interviennent dans le contraire (Enault et al 2016). Les phages Compte tenu de la définition juridique maintien de la diversité et la régulation ont une étroite spécificité d’hôtes dans actuelle du médicament vétérinaire (direc- des populations bactériennes au sein des la mesure où ils n’agissent que sur cer- tive 2001/82/CE) dès lors que le produit écosystèmes. taines souches bactériennes. Avant trai- à base de plantes est positionné sur des tement il est donc préférable d’isoler la indications de prévention et de traitement Le cycle de vie des phages peut être bactérie responsable de l’infection pour des maladies infectieuses avec une pré- de deux types (figure 3) : i) soit lyso- pouvoir cibler le traitement par les phages. sentation destinée à une administration génique, avec intégration de l’ADN du Ensuite deux types d’approches théra- à l’animal, il relève par fonction et par phage dans le chromosome de la bacté- peutiques peuvent être envisagées : i) soit présentation du statut de médicament vétérinaire et doit se conformer à cette Figure 1. Classification des phages selon Ackermann (Ackermann 2003). réglementation et suivre le processus d’évaluation conduisant à une AMM. Dans le cadre de la cascade (article L 5143-4 du Code de la Santé Publique) qui détermine les conditions de pres- cription en l’absence de médicament vétérinaire approprié autorisé, le vétéri- naire peut également prescrire une pré- paration magistrale à base de drogues végétales et produits dérivés, qui sera fabriquée par le pharmacien à partir de matières premières. Le produit à base de plantes peut aussi être positionné dans certains cas comme un additif à l’alimentation animale, et ajouté aux aliments pour animaux ou à l’eau pour remplir des fonctions définies par le règlement européen (CE) 767/2009 comme ayant un effet positif sur la pro- duction, le rendement ou le bien-être, en influençant la flore gastro-intestinale ou la digestibilité des aliments pour animaux. La réglementation en matière d’alimen- tation animale doit alors être respectée. INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
80 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER une stratégie de traitement « prêt-à- Figure 2. Coliphage ESCO3 observé par coloration négative à l’acétate d’uranyle porter » avec l’administration de cocktails en microscopie électronique. de bactériophages ciblant les principales souches bactériennes de l’espèce iden- tifiée, cette approche nécessitant dans l’idéal une veille microbiologique pour adapter régulièrement la composition de ces cocktails ; ii) soit une stratégie de traitement « sur mesure » avec l’admi- nistration d’un cocktail de bactériophages ciblant spécifiquement la souche bacté- rienne responsable (Pirnay et al 2011). Il est primordial de s’assurer de l’extrême pureté des suspensions phagiques utili- sées afin d’éviter la présence de débris bactériens, de bactéries, de phages lyso- gènes ou de toxines. 2.3 / Enjeux et questions de recherche Il est dans un premier temps essentiel de développer des projets de recherche sur l’évaluation du potentiel thérapeu- tique de la phagothérapie en alternative ou en complément à l’antibiothérapie. Ces projets devraient conduire à étudier la biologie des phages, leurs effets sur l’organisme, leur impact potentiel sur les écosystèmes animaux et environne- mentaux, l’apparition de systèmes de résistance aux phages et l’évaluation de l’immunité adaptative des organismes traités qui pourrait impacter l’efficacité de traitements successifs. Ils devraient viser à produire des suspensions pha- Figure 3. Cycles de réplication des phages (http://www.microbiologie-medicale.fr/vi- rologie/generalitesvirus.htm). giques répondant aux normes GMP (« Good Manufacturing Pratice ») afin de les valider en essais cliniques vétéri- naires sur la base d’une liste de critères (Pirnay et al 2015). 2.4 / Perspectives d’utilisation Une question préalable majeure est de savoir si on doit réserver ou non l’usage de la phagothérapie à la médecine humaine comme traitement de dernier recours pour des patients en impasse thérapeutique face à des bactéries résis- tantes aux antibiotiques. En effet, si la thérapie phagique est appliquée en médecine vétérinaire, deux types d’in- tervention peuvent être envisagés : au niveau de l’individu ou à l’échelle du lot ou du troupeau en métaphylaxie. Dans ce dernier cas plus particulièrement, il est indispensable d’évaluer préalablement quelles pourraient être les conséquences sur l’utilisation massive des phages en les biofilms bactériens qui sont source du relargage massif de phages dans l’en- médecine vétérinaire est donc ouvert et d’agents pathogènes et qui sont très pré- vironnement, car les phages sont résis- la modélisation des risques potentiels sents dans les bâtiments d’élevage, tants dans le milieu extérieur et pourraient est essentielle. Toutefois, une application notamment dans les conduites d’eau. tolérer des conditions physico-chimiques dérivée des phages serait l’utilisation difficiles. De ce fait il est important d’éva- d’enzymes phagiques, produites par les 2.5 / Contraintes réglementaires luer leur impact sur la modulation éven- phages, telles que les endolysines qui tuelle des écosystèmes en participant à dégradent le peptidoglycane et les dépo- Aux États-Unis, la « Food and Drug la sélection de souches résistantes aux lymérases qui dégradent les polysaccha- Administration » (FDA) a autorisé des phages, souches qui pourraient alors rides capsulaires (Pires et al 2016). De produits à base de phages pour un usage infecter l’Homme et engendrer de nou- telles enzymes couplées aux antibioti- de décontamination en industrie agro- velles impasses thérapeutiques. Le débat ques pourraient permettre de déstructurer alimentaire, toutefois elle n’a pas pour le INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 81 moment autorisé un usage en médecine. Figure 4. Études pionnières des principaux peptides antimicrobiens (Courtoisie du En France, les phages ne possèdent plus Dr Mohamed Amiche, Directeur Adjoint du Groupe de Recherche (GdR3625 CNRS) d’AMM en médecine humaine et vétéri- MultiFonction des Peptides AntiMicrobiens (MuFoPAM)). naire. L’application de la réglementation relative aux médicaments n’est pas tota- lement adaptée au développement indus- triel de phages ce qui entraine un flou juridique et législatif. Un positionne- ment sur l’utilisation des phages en tant qu’agent thérapeutique et bio-médica- ment doit être établi. Ce travail serait en cours d’élaboration par l’Agence Natio- nale de Sécurité du Médicament (ANSM) (JO Sénat du 22/05/2013). À l’heure actuelle, la phagothérapie n’est appli- quée que très rarement en médecine humaine, dans des cas d’impasses théra- peutiques (usage dit compassionnel dans le cadre de l’article 37 de la décla- 3.2 / Activité biologique sens, l’étude de l’apport des HDP comme ration d’Helsinki). adjuvants lors d’une vaccination est à L’activité biologique des HDP est explorer. Par ailleurs, l’utilisation théra- 3 / Peptides antimicrobiens d’abord décrite comme antimicrobienne peutique en synergie avec d’autres anti- ou peptides de défense de compte tenu de leur capacité à déstabili- microbiens pour augmenter l’efficacité ser les membranes des microbes jusqu’à et diminuer le risque d’apparition de l’hôte les rompre. Certains peuvent pénétrer à résistances bactériennes est également l’intérieur des microbes pour perturber une voie prometteuse. Toutefois, leur la machinerie cellulaire (réplication des effet, qui peut être délétère sur les cellu- 3.1 / Peptides de défense de l’hôte acides nucléiques, transcription, traduc- les de l’organisme et sur le microbiote, tion). Ces mécanismes de perturbation reste également à mesurer pour évaluer Découverts dans les années 1970 à sans haute affinité pour une cible micro- le risque de toxicité et de déséquilibre partir d’études sur la peau des amphibiens bienne spécifique réduisent la possibilité du microbiote. Stimuler la production et sur les insectes (figure 4), les peptides pour les bactéries de développer des résis- des peptides antimicrobiens propres à antimicrobiens sont des molécules de tances à ces peptides. Cependant, l’activité l’organisme hôte (grâce à des additifs défense produites par l’organisme. Ils antimicrobienne est souvent diminuée en alimentaires, médicaments) est une autre ont été renommés depuis une dizaine conditions physiologiques dans la mesure voie prometteuse qui commence à être d’années comme peptides de défense de où des inhibiteurs sont présents. Toutefois, abordée ces dernières années en recher- l’hôte (HDP) car leur activité biologique à proximité de la source de production che (Prado Montes de Oca 2013). s’étend bien au-delà d’une fonction des HDP, les concentrations atteintes antimicrobienne stricte (Hancock et al sont suffisamment importantes pour 3.4 / Contraintes à l’usage des 2016). Ils sont présents dans virtuelle- ment toutes les formes de vie du royaume exercer une activité de barrière aux patho- peptides antimicrobiens gènes au niveau des muqueuses. Par bactérien, fongique, animal et végétal, ailleurs, à des concentrations inférieures et sont des composants essentiels très Le processus de développement de aux concentrations inhibitrices sur les drogues pharmaceutiques depuis leur anciens de l’immunité innée. L’« Anti- bactéries, certains HDP peuvent aussi microbial Peptide Database » (http:// découverte jusqu’à leur mise sur le mar- prévenir la formation de biofilms, source ché est long (plus de 10 ans) et coûteux, aps.unmc.edu/AP/main.php) contient de colonisation bactérienne persistante aujourd’hui plus de 2 700 peptides avec de nombreuses contraintes et un et d’infections chroniques. taux de succès très bas pour les anti- répertoriés dont plus de 2000 d’origine animale. Chez les animaux, les HDP microbiens (Projan et Shlaes 2004). On Depuis les années 2000, des études ont recense aujourd’hui moins d’une ving- sont produits essentiellement par les démontré que des HDP des animaux et cellules épithéliales et les phagocytes taine de peptides antimicrobiens en essai de l’Homme peuvent recruter des cellu- clinique pour la médecine humaine, avec situés à l’interface entre l’organisme et les immunitaires et les stimuler, ceci à son environnement (peau, tractus respi- des applications antimicrobiennes et des concentrations en HDP bien infé- anti-inflammatoires dermatologiques et ratoire, digestif, urinaire et reproduc- rieures à celles requises pour une activité teur). plus rarement systémique. En médecine antimicrobienne directe. Depuis, il a été vétérinaire, les coûts de traitement doi- montré que les HDP ont non seulement vent être considérablement inférieurs aux Les HDP sont de petite taille (12 à 50 acides aminés), cationiques et à domaines des propriétés immuno-modulatrices coûts pratiqués en médecine humaine hydrophobes (Zasloff 2002), ce qui mais aussi une action anti-inflammatoire, pour une commercialisation possible, ce explique leur propension à interagir avec anti-endotoxine, anti-tumorale, pro-angio- qui constitue un frein majeur à l’appari- les membranes bactériennes. Leur clas- genèse et sur la réparation des lésions. tion de nouveaux traitements anti-infec- sification en quatre classes est basée sur tieux en élevage. leur structure secondaire avec deux prin- 3.3 / Enjeux et questions de cipales chez les animaux : peptides en recherche La complexité structurale des molécules hélice-a (cathélicidines) et peptides en naturelles les rend souvent difficiles à feuillet-b (défensines), ces derniers étant Les multiples fonctions des HDP issus obtenir par voie recombinante qui est la les plus abondants et les plus compacts. des animaux, à la fois directes sur les plus facilement transposable à l’échelle Chaque classe peut contenir de nombreux microbes eux-mêmes et indirectes en industrielle. La synthèse chimique est variants assurant à l’hôte un répertoire promouvant l’immunité de l’hôte qui les également compliquée et coûteuse pour diversifié de peptides à large spectre anti- héberge, constituent un avantage majeur un développement pharmaceutique vété- bactérien. qui mérite d’être approfondi. Dans ce rinaire ; de plus, le choix de synthétiser INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
82 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER par voie chimique des peptides raccour- manière coordonnée au sein d’une même rum sensing ». Cette approche vise à cis à la longueur strictement active peut espèce où d’espèces proches partageant empêcher l’expression de gènes de viru- diminuer la stabilité, la biodisponibilité le même mode de communication. lence sans forcément éliminer les bacté- et entraîner des effets secondaires de ries ce qui permet de limiter l’apparition toxicité in vivo. Enfin, l’industrie phar- Dans les grandes lignes, le scenario est de mécanismes de résistance comme ceux maceutique n’est pas encline à utiliser toujours à peu près le même : les bacté- observés dans le cas de l’utilisation d’an- des produits animaux (sous-produits ries produisent et sécrètent des molécu- tibiotiques. des filières viande) qui pourraient cons- les de signalement qui indiquent leur tituer pourtant une source potentielle présence et s’accumulent dans le milieu 4.2 / Enjeux et questions de d’HDP à extraire et à purifier à moindre extracellulaire. Lorsque la concentra- recherche coût. tion de ces molécules atteint une valeur seuil, d’où le nom de « quorum sensing » Le contrôle de la communication bac- 3.5 / Perspectives d’utilisation (détection d’atteinte du quorum), les térienne permet d’empêcher l’expression molécules sont perçues par l’ensemble de gènes de virulence. C’est donc une Les HDP des animaux sont des molé- de la population bactérienne soit au des pistes identifiées pour développer cules naturelles qui présentent donc niveau d’un récepteur à la surface bac- des alternatives aux antibiotiques. Une l’avantage d’être bien tolérées par les térienne, soit par un transporteur qui grande partie des travaux publiés dans ce organismes et plus facilement accepta- « réinternalise » (réincorpore) la molé- domaine se base le plus souvent sur la bles d’un point de vue sociétal. Si nous cule de signalement dans la bactérie. connaissance des mécanismes de com- n’avons pas actuellement de perspectives Cette perception modifie l’expression munication. Ils visent différentes étapes d’usage en pratique de ces HDP à court de gènes cibles de manière coordonnée du mécanisme de « quorum sensing » et moyen terme, leur large spectre anti- entre toutes les bactéries présentes qui (figure 6) : bactérien allié à leur efficacité vis-à-vis ont réagi au signal, donnant ainsi un de souches multi-résistantes aux anti- poids fort à la réponse et au changement a) Production de la molécule de signalement biotiques ainsi que leur effet promou- de phénotype (forme ou action de la vant l’immunité de l’hôte laissent toute- bactérie) (figure 5). La nature des molé- La première cible est l’étape de syn- fois de bonnes raisons d’espérer à l’avenir cules diffère selon qu’il s’agit de bacté- thèse de la molécule de signalement. Un de nouveaux traitements utilisant des ries de type Gram+, comme par exem- article récent rapporte par exemple la HDP pour lutter contre les maladies ple Staphylococcus aureus, qui utilisent conception par analyse structurale et infectieuses majeures et émergentes en comme molécule de signalement des mutagénèse dirigée d’un composé élevage. oligopeptides, ou Gram-, comme par [(z)-5-octylidenethiazolidine-2, 4-dione] exemple Pseudomonas aeruginosa, qui ayant une affinité pour le site actif de 4 / « Quorum quenching » et utilisent des acyl homoserine lactones. Au-delà de ces deux groupes de molé- l’enzyme qui synthétise l’acyl homoserine lactone de Pseudomonas aeruginosa et « quorum sensing » cules de signalement bien caractérisées, qui s’avère être un inhibiteur de cette de nouvelles molécules sont constam- enzyme et donc de la communication ment décrites. cellulaire. Ce composé est proposé pour 4.1 / Conversations bactériennes servir de base aux développements d’inhi- De nombreuses fonctions sont contrô- biteurs d’autres acyl homoserine lactones Dans les années 1960, deux études lées par des mécanismes de communica- (Lidor et al 2015). pionnières ont montré que les bactéries tion de type « quorum sensing » : conju- n’étaient pas indépendantes les unes des gaison, transformation, sporulation, b) Stabilité ou biodisponibilité de la autres mais qu’elles étaient capables de formation de biofilms et surtout virulen- molécule de signalement dans le milieu communiquer entre elles. Depuis, de ce pour les bactéries pathogènes. Dès extracellulaire nombreuses études ont montré que cette lors, il devient intéressant de chercher à communication était la norme dans le contrôler cette communication soit pour Si la production de la molécule de monde bactérien, introduisant la notion induire certaines fonctions d’intérêt soit signalement n’a pas été empêchée, des de « conversations bactériennes » au contraire pour éviter l’expression de stratégies de piégeage ou de dégradation (Monnet et al 2016). En coordonnant gènes impliqués dans la virulence. Dans dans le milieu extérieur peuvent être l’expression de gènes au sein d’une ce dernier cas, on parle de « quorum envisagées. Des enzymes de type lacto- population, cette communication donne quenching » (blocage du mécanisme de nases, capables de dégrader les acyl du poids à un ensemble de bactéries qui « quorum sensing ») ; il s’agit de chercher homoserine lactones des bactéries modifient ainsi leur comportement de à interférer avec le mécanisme de « quo- Gram- ont été identifiées et utilisées avec Figure 5. Représentation schématique de la régulation d’expression de gènes par « quorum sensing ». INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
Perspectives d’alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage / 83 succès pour lutter contre les bactéries Figure 6. Représentation schématique des différents niveaux possibles de blocage pathogènes des plantes (Grandclément du mécanisme de régulation de l’expression des gènes par « quorum sensing ». et al 2016). Un autre bel exemple de piégeage de molécule de signalement a été rapporté chez Staphylococcus aureus où le peptide de signalement est immobilisé par un anticorps dirigé contre lui. Cette stratégie a donné des résultats convaincants dans un modèle d’infection cutanée chez la souris (Park et al 2007). c) Perception de la molécule de signalement par un récepteur ou un transporteur en surface de la bactérie La troisième étape qui peut être ciblée est celle de l’interaction entre la molé- cule de signalement et son récepteur ou son transporteur à la surface de la bacté- rie. Là encore un bel exemple est donné chez Staphylococcus aureus où des ana- logues du peptide de signalement ont médicament) et de l’accès aux sites d’in- Conclusion été conçus pour inhiber le récepteur de fection. Dans ce domaine, l’une des surface (George et al 2008). pistes de progrès est peut-être l’utilisation de nanoparticules comme vecteurs de À part les alternatives thérapeutiques D’autres types de travaux utilisent des « quorum quencheurs », qui a été testée aux antibiotiques déjà utilisées en pra- souches modifiées contenant un gène avec succès in vitro (Miller et al 2015). tique, telles que l’homéopathie ou la rapporteur (gène codant une enzyme dont Se pose aussi la question de la non- phytothérapie, d’autres approches sont l’activité est facilement quantifiable) sous élimination systématique de la bactérie potentiellement prometteuses pour la dépendance du promoteur du système pathogène et donc aussi de la durée du contrôler les populations bactériennes de « quorum sensing » qui sont utilisées traitement. Ces stratégies de « quorum ou leur virulence, telles que la phago- comme biosenseurs (bactéries modifiées quenching » doivent donc sans doute thérapie, l’usage de peptides antimicro- utilisées comme outils de détection) pour être envisagées en combinaison avec biens ou le « quorum quenching ». cribler de manière assez large différen- d’autres thérapeutiques. Néanmoins différents travaux de recher- tes banques de molécules ou différents che puis de développement industriel échantillons contenant potentiellement D’autres approches d’écologie micro- sont encore nécessaires avant de voir des inhibiteurs naturels. Ces approches bienne sont aussi à considérer (Helman apparaître des produits utilisables en permettent d’identifier des molécules et Chernin 2015). Chez les plantes, l’uti- pratique. Par ailleurs, pour la phagothé- inhibitrices sans toutefois comprendre à lisation de bactéries dotées d’activités rapie et la phytothérapie, des évolutions quel niveau du mécanisme de « quorum enzymatiques capables de dégrader les réglementaires seraient nécessaires pour faciliter leur commercialisation. sensing » elles agissent. Dans ce domaine, acyl homoserine lactones de bactéries des extraits végétaux de différentes ori- pathogènes des systèmes racinaires et Par ailleurs, il paraît illusoire de vouloir gines sont le plus souvent testés et ont donc de diminuer leur virulence a été remplacer simplement et directement montré leur potentiel dans ce domaine testée avec succès. Par exemple, Rhodo- les antibiotiques par ces thérapeutiques (Truchado et al 2015). coccus, agissant comme agent de bio- alternatives (Gromond 2016b). Intégrer contrôle « quorum quencheur », a été les thérapeutiques alternatives dans 4.3 / Perspectives d’utilisation et utilisé pour diminuer la virulence de l’approche de la santé du troupeau réserves techniques Pectobacterium dans un système de cul- requiert d’avoir engagé une démarche ture hydroponique de pomme de terre. préventive globale en prenant en compte À notre connaissance, il n’y a pas Il est donc possible de modifier les éco- les besoins physiologiques des animaux, encore d’application du « quorum quen- systèmes microbiens racinaires en intro- en maintenant les conditions d’une ching » à l’hôpital ou sur le terrain en duisant ou en stimulant des bactéries bonne immunité innée, en respectant les médecine humaine ou vétérinaire. Les dotées d’activité « quorum quenching » équilibres microbiens environnementaux premières applications auront probable- capables de dégrader ou de capter les (Gromond 2016b), ce qui permet le ment lieu dans le domaine des affec- molécules de signalement produites par maintien d’un bon équilibre de la santé tions cutanées qui sont les plus accessi- une bactérie pathogène. Ces stratégies du troupeau recherché en Agriculture bles à des molécules ou des extraits de modifications d’écosystèmes micro- Biologique (cf. encadré). Dans ces condi- inhibiteurs. Pour les infections plus pro- biens, plus complexes à mettre en œuvre tions, la thérapeutique ne concerne plus fondes, se pose la question complexe de sont cependant intéressantes à explorer que des cas sporadiques et peut être la galénique (type de présentation du à l’avenir. envisagée avec des solutions alternatives. INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
84 / C. DUCROT, D. FRIC, A.-C. LALMANACH, V. MONNET, P. SANDERS, C. SCHOULER Encadré. Approche de la santé de l’élevage en Agriculture Biologique (Source Denis Fric). Dans cet article consacré aux alternatives thérapeutiques aux antibiotiques, un encart est consacré à l’approche de la santé en Agriculture Biologique car elle intègre de manière organisée à la fois la prévention des maladies par une approche systé- mique de la santé et l’utilisation préférentielle de médicaments alternatifs aux antibiotiques quand c’est possible. De fait certains de ces systèmes d’élevage sont en quelque sorte pionniers dans la réduction d’usage des antibiotiques et leur appro- che pertinente à analyser. Différents points de vue coexistent sur ce qu’est l’Agriculture Biologique. Dans cet encart, nous ne considérons pas simple- ment l’Agriculture Biologique comme le respect d’un cahier des charges, avec substitution des intrants chimiques par des intrants biologiques. Nous considérons qu’elle n’est pas une forme d’agriculture parmi d’autres, qu’elle se distingue du modèle intensif de production par une approche différente : « L’Agriculture Biologique est un mode de production, une manière de produire, de respecter et de valoriser l’environnement, de favoriser le bien-être animal, d’être acteur du développement rural, de créer emplois et richesses économiques » (Benoît Canis, préface de Ragot 2001). D’autres approches de l’agriculture partagent certains de ces enjeux, mais les moyens d’y parvenir sont différents ; l’Agriculture Biologique a recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels, notamment en matière de recyclage des matières organiques, de pratiques culturales, d’exclusion des pesticides, etc. (Institut Technique de l’Agriculture Biologique 2016). En matière d’élevage, un des éléments de la démarche de l’Agriculture Biologique est la préservation de la santé collective des animaux. Les aspects sanitaires de l’élevage en Agriculture Biologique vont donc couvrir l’ensemble des particularités d’un système qui peuvent avoir une influence sur la préservation de la santé : sol, cultures, alimentation, conditions d’élevage, contraintes diverses telles qu’éloignement des parcelles ou remboursement d’emprunt, tout en intégrant la vision de l’éleveur sur son exploitation. Approche globale et équilibre du système d’élevage Ces fondements de l’Agriculture Biologique impliquent la nécessité pour celui qui s’intéresse aux aspects sanitaires en Agriculture Biologique d’avoir une approche globale de la ferme. Une des particularités de l’Agriculture Biologique est la diversité de ses systèmes : aucun n’est semblable à un autre et la maîtrise de la santé ne peut de ce fait relever de « recettes » applicables à tous les élevages biologiques. L’objectif est donc de comprendre les « contraintes objectives et les objectifs contraignants » d’une exploitation donnée en mettant en évidence ses facteurs de risque, ses points faibles et en prenant en compte l’ensemble des liens qui unissent étroitement éleveur, sol, plante et animal. Le système d’élevage doit trouver un équilibre, mais il est souvent en constante évolution car soumis aux aléas du climat, des filières de la commercialisation ou des pratiques de l’éleveur. Cet équilibre n’est donc pas statique mais dynamique (cf. figure 1). L’approche globale de la ferme, à l’occasion d’un « suivi sanitaire », a pour objectif de découvrir les signes et les sources du déséquilibre car, dans la grande majorité des cas, les problèmes sanitaires en Agriculture Biologique ont pour origine un déséquilibre : alimentation mal maîtrisée, bâtiment mal adapté ou techniques d’élevage inappropriées. Ceci est aussi vrai en agriculture conventionnelle ; néanmoins l’approche en Agriculture biologique met l’accent sur la correction d’ensemble de ces déséquilibres dans une approche systémique, afin d’éviter le recours aux médicaments. Figure. Schéma représentant la réaction de l’animal confronté à des déséquilibres du système d’élevage. Réglage alimentaire Seuil de Seuil de sensibilité tolérance Discours Discours pathologique pré-pathologique Adaptation Résistance Carence Maladies Equilibre Excès Excès, carence perdurent L’animal agit L’animal subit - Surconsomme - Symptômes lésionnels LENTS - Symptômes fonc ctionnels RAPIDES - Désordre profond (façon de déféquer, d’uriner) (cornes, pieds, stabilité ruminale) - 1 er symptômes p pour homéopathie Observation du troupeau L’animal est le premier à extérioriser les déséquilibres du système (cf. fgure) ; il est l’élément le plus réactif par son « discours pathologique » (impact clinique du déséquilibre sur la santé quand le seuil de tolérance a été dépassé) et, avant cette phase, par les signes d’adaptation ou de tolérance qui précèdent l’atteinte clinique : son « discours pré-pathologique ». Ce discours pré-pathologique peut s’exprimer de diverses manières, notamment par des signes alimentaires (mouvements de poils, matière INRA Productions Animales, 2017, numéro 1
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