Philippe Dujardin - La transformation de la communauté urbaine de Lyon

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Philippe Dujardin - La transformation de la communauté urbaine de Lyon
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        La ville au coeur des mutations sociales et technologiques : quels
                      enjeux pour les politiques territoriales ?

      Philippe Dujardin - La transformation

         de la communauté urbaine de Lyon

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Philippe Dujardin - La transformation de la communauté urbaine de Lyon
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                                     Date de mise en ligne : vendredi 9 janvier 2015

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Philippe Dujardin - La transformation de la communauté urbaine de Lyon

Philippe Dujardin est universitaire, politologue, chercheur au CNRS et accompagne le Grand Lyon
depuis de longues années. Il est aujourd'hui le conseiller scientifique de la direction de la
prospective et de la stratégie du Grand Lyon. Son rôle consiste donc à veiller pour éviter d'arriver
à l'impasse de l'acceptabilité sociale. Il essaie de voir comment l'humain peut trouver sa place
dans les évolutions que les politiques publiques ont à traiter.

Philippe DUJARDIN, politologue, conseiller scientifique auprès de la direction prospective et stratégie
d'agglomération du Grand Lyon

En qualité de politologue je me suis donné pour tâche de travailler sur l'histoire politique de Lyon. Les circonstances
ont voulu que je puisse occuper, en 2004, la fonction de conseiller scientifique de la direction de la prospective de la
communauté urbaine de Lyon. Je vais donc rendre compte de transformations dont j'ai été le témoin, l'analyste, et
parfois l'acteur. Ces modifications concernent la relation entre le public et le privé, la relation entre experts et
profanes, et enfin la notion même de prospective.

 Modification de la relation public/privé

Lorsque j'arrive à la direction de la prospective en octobre 2004, le gouvernement Raffarin vient de lancer la
procédure de constitution des pôles de compétitivité. J'ai été très étonné par la nature de cette procédure et ce
vocabulaire neuf. Étonnement, aussi, devant la réussite de la Région Rhône-Alpes et du Grand Lyon, puisque 20 %
des pôles de compétitivité français se concentrent sur ce territoire. Avec les pôles de compétitivité, un formatage
différent de l'action publique est apparu sous la forme de ce que je nomme une « triangulation » : triangulation entre
une collectivité territoriale, une entreprise ou un consortium d'entreprises, et un laboratoire ou un groupement de
laboratoires. Cette triangulation remet en cause la dualité public/privé qui a été éminemment structurante en France.
On ne trouve pas de pensée libérale forte en France (on la trouve, par contre, en Angleterre chez Locke, Smith ou
Ricardo). En revanche, la France a été l'épicentre d'une pensée très élaborée du droit public et du service public.
Souvenons-nous de ces écoles du droit public des 19e et 20e siècles, qui se sont illustrées à Bordeaux ou Toulouse,
notamment. Souvenons-nous de cette instance très originale, qui conseille le gouvernement tout en étant son juge -
le Conseil d'État, et du rôle qu'a pu jouer celui-ci dans la promotion d'une idéologie du service public. Cette idéologie
du service public s'est avérée extrêmement puissante, au point qu'elle a diffusé en direction des services publics
industriels et commerciaux et fourni le support juridique des nationalisations « à la française ». Avec les pôles de
compétitivité, le dualisme structurant public-privé se détricote au profit d'un dispositif neuf répondant à la procédure
dite de « triangulation ».

Parmi les services publics « à la française », il faut placer, notons-le, la recherche elle-même. La recherche française
est très largement publique. Le CNRS en est l'acteur principal et il a pu se poser comme le garant de la recherche
dite fondamentale. Où trouver la recherche appliquée ou impliquée ? Pour une bonne part, ailleurs que dans la
sphère publique... Mais dès lors qu'un laboratoire se trouve en prise avec une collectivité territoriale et un entreprise,
l'enjeu de la distinction entre le fondamental et l'appliqué tombe ou se recompose. A cet égard, dans ces années

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2004-2005, nous avons changé d'ère et connu, dans notre pays, un mouvement que j'apparente à un véritable
mouvement de plaques tectoniques.
Le génie du lieu, c'est-à-dire les propriétés suffisamment stables que l'on peut rapporter à une entité urbaine ou à
une agglomération a, quant à lui, incontestablement servi cette procédure de « triangulation ». Lyon n'ayant eu une
université qu'en 1896 (sept siècles après Montpellier !), le génie du lieu ne s'est pas condensé dans l'activité
spéculative mais dans les savoir-faire techniques et scientifiques. L'école des Mines de Saint-Etienne, l'institut
polytechnique de Grenoble, ou l'INSA de Lyon, sont emblématiques de ce pouvoir d'élaboration et de capitalisation
de tels savoir-faire. L'esprit du lieu a pu entrer en résonance avec et servir la cause de la « triangulation ».

 Modification de la relation expert/profane

 Cette relation a été éminemment structurante dans les champs politique, aussi bien que scientifique ou artistique.
Dans la sphère politique, elle se rapporte au couple mandant/mandataire, configurant la relation du citoyen et son
représentant élu. L'irruption de ladite « société civile » dans les rapports entre le politique et les techniciens a, là
encore, conduit à une relation triangulée. Lorsque Raymond Barre, en 2001, a institué le premier conseil de
développement du Grand Lyon, 500 personnes se sont portées candidates pour intégrer cette instance.
L'engouement pour cette nouvelle instance avait été alimenté par l'opération Millénaire 3, qui avait permis d'identifier
les acteurs, les réseaux et les institutions « fabriquant » l'agglomération au jour le jour.

Mais on peut noter que la présence de la société civile se remarque également dans les domaines culturel ou
artistique, avec le défilé de la biennale de la danse, notamment. En septembre, tous les deux ans, 4 000 amateurs
se produisent devant près de 300 000 personnes. Il suffit d'être amateur pour participer à l'événement. Notez, en
sus, que les chorégraphes professionnels sont également placés en situation de quasi-amateurs : l'espace urbain
n'avait jamais été travaillé de manière à permettre ce type de parade ambulatoire. Sous ce registre, les
professionnels ont eu tout à apprendre.

Je rappellerai, enfin, que l'amateurisme est la condition même de notre espace public. Aucune condition de
naissance, de richesse ou de compétence n'est nécessaire pour être citoyen. La définition même de la citoyenneté
repose sur l'amateurisme puisque est citoyen celui qui goûte assez la chose publique pour lui prêter sa « voix ». La
notion d'amateur, qu'elle s'actualise dans un conseil de développement ou le défilé de la biennale de la danse,
touche donc au principe même de l'espace public que nous disons « démocratique ».

 Modification de la notion de prospective

Au Grand Lyon, la « mission » de la prospective créée par Raymond Barre est devenue « direction » de la
prospective, à l'initiative de son successeur. Mais ce n'est pas ce changement de statut qui importe ici. C'est la
notion même de prospective qui importe. En effet, dans ce domaine, les choses ont également changé de manière
significative. La prospective, liée au modèle de la planification à la française - la planification souple, consistait en
l'élaboration de scénarios de préfiguration d'un futur prévisible et donc aménageable. La prospective actuelle, du
moins à l'échelle où je la vois opérer, ne relève plus de cet exercice. Je dirais que la direction de la prospective du
Grand Lyon ausculte le présent très finement. Elle le « scanne », en essayant de prélever un maximum
d'informations et de relever les indices des changements en cours. Mais la « révolution culturelle » à laquelle j'ai
assisté, et dont j'ai pu être l'acteur, tient au fait d'avoir introduit dans le vocabulaire même d'une mission de la
prospective, la formule des débats « rétro-prospectifs ». C'est une « révolution culturelle », au sens où un service
prospectif acceptait de rentrer dans un rapport au temps, donné comme le temps long de la cité. Le rapport au
passé, ordinairement conçu comme un rapport de désaliénation (se libérer du passé), se renversait complètement.

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Le temps long s'est vu considérer comme le propulseur et non plus comme le boulet qu'il fallait tirer ou l'ornière dont
il fallait s'extraire. Cette prise en considération du temps long a, par ailleurs, eu pour effet de permettre de penser le
rapport spatial aux autres entités urbaines, françaises ou étrangères, non plus en termes de mimétisme et/ou de
différenciation, mais en termes de singularités spatio-temporelles. C'est à ces singularités que s'attache la propriété
propulsive du passé.

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