Pour 97 000 acres de terre - Vicki Onufriu Histoire Québec - Érudit
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Document generated on 07/10/2022 2:32 p.m. Histoire Québec Pour 97 000 acres de terre… Vicki Onufriu Volume 13, Number 2, 2007 URI: https://id.erudit.org/iderudit/11275ac See table of contents Publisher(s) Les Éditions Histoire Québec ISSN 1201-4710 (print) 1923-2101 (digital) Explore this journal Cite this article Onufriu, V. (2007). Pour 97 000 acres de terre…. Histoire Québec, 13(2), 15–23. Tous droits réservés © Les Éditions Histoire Québec, 2007 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Pour 97 000 acres de terres... p a r Vicki Onufriu, M.A. (Histoire), secrétaire de la Société d'histoire régionale de D e u x - M o n t a g n e s ( S H R D M ) Vicki Onufriu est historienne (maîtrise, UQAM) et a un intérêt marqué pour tout ce qui touche à la diffusion de l'histoire et à la conservation du patrimoine bâti au Québec. Elle fut notamment guide-interprète pendant six ans à l'église Saint-Eustache et fait partie du conseil d'administration de la Société d'histoire régionale de Deux- Montagnes (SHRDM) depuis 2001. Au cours de la dernière année, une triste page de l'histoire de la région des Basses-Laurentides a finalement été tour- née, et une grande injustice historique, corrigée. En effet, le Premier ministre du Canada, M. Stephen Harper, a consenti à rendre aux dernières personnes expropriées de Mirabel les terres qu'elles ont perdues voilà près de 40 ans, quand le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau a décidé de construire un deuxième aéroport pour desser- vir Montréal. Les personnes expropriées vont maintenant pouvoir passer à autre chose et clore ce chapitre pénible de leur vie. Mais avant cela, il serait peut-être bon de se remémorer quelques-uns des malheurs qu'ils ont vécus. Le 27 mars 1969 restera une Le progrès et la prospérité à les gens ne savaient toujours date fatidique pour la popula- Sainte-Scholastique pas quand ils seraient con- tion des Basses-Laurentides. traints de partir, ni le montant Plusieurs rumeurs avaient déjà Quelques jours après l'annonce d'argent qu'ils rece-vraient en commencé à circuler quant à de 1969, le Premier ministre compensation de la perte de l'établissement prochain d'un Trudeau s'est rendu à Sainte- leur propriété, ni à quel mo- nouvel aéroport desservant la Scholastique pour expliquer ment ils seraient payés. 1 région de Montréal, et celles-ci aux gens comment l'expropria- se sont confirmées : ce jour-là, tion allait s'opérer. Une foule Dès le départ, les plans élabo- le gouvernement fédéral a immense s'était réunie à rés par le gouvernement fédé- émis 3 126 avis d'expropria- l'église de Sainte-Scholastique ral ont fait une mauvaise tion à des citoyens de Sainte- pour l'occasion. M. Jean Mar- impression sur les personnes Scholastique et d'autres muni- chand, futur ministre de expropriées. D'abord, la super- cipalités avoisinantes, pour l'Expansion économique régio- ficie du territoire exproprié prendre possession de 97 000 nale, avait déjà affirmé lors de était immense : en fait, elle acres des meilleures terres ara- la première conférence de était si vaste qu'elle représen- bles du Québec, en vue de presse que, grâce à la venue du tait plus de dix fois celle des construire l'aéroport interna- nouvel aéroport, entre 75 000 et autres grands aéroports dans tional de Montréal. On a ainsi 100 000 nouveaux emplois le monde. Plusieurs municipa- exproprié un territoire équiva- seraient créés, ce qui engendre- lités ont été touchées par l'ex- lant à celui de l'île de Laval. rait une grande prospérité dans propriation, mais aucune com- Au total, une quinzaine de pa- toute la région. Devant les vic- me celles de Sainte-Scholas- roisses ont ainsi été touchées, et times d'expropriation, M. Tru- tique et Sainte-Monique, qui quelque 1 700 familles ont été deau a renchéri en leur indi- ont complètement été rayées expulsées de leurs terres ances- quant qu'une ère de progrès de la carte. En 1971, pour évi- trales. Le nouvel aéroport, s'annonçait à cause de cet ter de négocier une entente censé devenir le plus grand du immense projet de société. Les séparée avec toutes ces muni- monde, a été inauguré en octo- personnes expropriées ne se cipalités, le gouvernement du bre 1975; moins de 30 ans plus sont pas senties rassurées pour Québec les a toutes fusionnées tard, il a été officiellement fer- autant, puisque M. Trudeau pour n'en créer qu'une seule : mé au public (2004). n'a pas répondu à leurs ques- Mirabel. tions. Lorsqu'il a quitté la salle,
experts en matière d'aménage- ment aéroportuaire, dont un venait de Fort Worth, au Texas, où se trouvait le plus grand aéroport du monde... jusqu'à ce que Mirabel voit le jour. Ces experts ont pu certifier que le territoire exproprié était beau- coup trop grand pour les besoins de l'aéroport. 3 Il faut cependant remettre dans son contexte la décision du gouvernement fédéral de bâtir u n second aéroport à Montréal. En effet, la fin des années 1960 était l'âge d'or du transport aérien; en 1967, les statistiques montraient une croissance de 19 % par année pour l'utilisation de ce moyen de transport. De plus, l'Expo- sition universelle s'était tenue à Montréal la même année, et la Métropole se préparait à accueillir les Jeux olympiques de 1976. Le gouvernement canadien pensait alors qu'il serait nécessaire d'améliorer les infrastructures de transport pour avoir la capacité de rece- voir à cette occasion les visi- teurs du monde entier. Les gouvernants étaient optimistes et « visionnaires », et perce- vaient Montréal comme une future plaque tournante du transport aérien. On prévoyait Afin de défendre leurs intérêts, par le « dérangement ». Au di- que Mirabel accueillerait 40 plusieurs personnes expro- re de M. Jean-Paul Raymond, millions de personnes par priées se sont vite regroupées président du CIAC, Ottawa année en l'an 2000.4 pour créer ce qui est devenu, n'a jamais expliqué clairement en 1972, le Centre d'information aux personnes expropriées la M. Trudeau et les planifica- et d'animation communautaire raison pour laquelle l'aéroport teurs n'avaient toutefois pas (CIAC), avec à sa tête, M. Jean- devait être situé dans la région prévu la crise du pétrole, l'im- Paul Raymond et Mme Rita de Sainte-Scholastique, ni pact négatif du terrorisme Lafond. Le CIAC comptait pourquoi autant de territoire a dans l'aviation et les améliora- entre 1 200 et 1 400 membres, dû être réquisitionné pour la tions apportées dans la techno- ce qui représentait une grande construction de l'aéroport. 2 Le logie aérienne (des avions partie des personnes touchées CIAC a même fait venir des moins bruyants et capables de
UN III I NUMERO i parcourir de plus longues La décision la plus déconcer- tions où les fonctionnaires du distances - rendant les escales tante prise par les planifica- gouvernement fédéral au- moins nécessaires aux aéro- teurs a sans contredit été celle raient fait preuve de mépris à ports de Montréal). À ces fac- confirmant la concentration de leur égard et les auraient inti- teurs s'ajoutent plusieurs tous les vols internationaux à midées et harcelées, probable- autres - tous liés à la distance Mirabel, et le maintien des vols ment afin de les pousser à s'en séparant l'aéroport au centre- régionaux à Dorval. Ainsi, les aller. ville de Montréal - qui expli- gens qui effectuaient un vol quent pourquoi l'aéroport de international suivi d'un vol ré- L'attitude des membres de la Mirabel s'est révélé un échec. gional ou vice-versa, et qui classe politique a été révéla- En effet, les planificateurs faisaient escale à Montréal de- trice lorsqu'ils éludaient les étaient d'avis qu'il fallait éri- vaient changer d'aéroport. Cette questions des habitants qui ger le nouvel aéroport loin de situation a rendu la perspec- souhaitaient en apprendre da- la ville afin d'éviter les plaintes tive des escales à Montréal peu vantage sur la façon dont le des citoyens concernant le bruit attrayante, de sorte que beau- projet de l'aéroport se réalisait. des avions durant l'atterrissage, coup de compagnies aériennes L'état d'incertitude et d'insta- comme ce fut le cas à Dorval. en sont venues à faire escale à bilité que le gouvernement fé- Sauf qu'en s'éloignant de Toronto plutôt qu'à Montréal. déral a maintenu autour de la Montréal de la sorte, on rédui- Tous ces facteurs ont fait en question a rendu les citoyens sait d'autant l'accessibilité à sorte qu'au lieu de voir les pré- de Mirabel très méfiants.6 Le l'aéroport. Bien sûr, le gouver- visions optimistes de M. Tru- CIAC s'est avéré essentiel dans nement promettait à l'époque deau se réaliser, on n'a jamais la lutte entreprise par les per- de parachever les autoroutes pu dépasser les 2,5 millions de sonnes expropriées pour ravoir 13 et 50, en provenance de visiteurs atteints Montréal et d'Ottawa, respec- lors de la meilleu- tivement, et de rallonger la re année de fré- ligne de train qui s'arrêtait à quentation de Mi- Deux-Montagnes. On parla même d'un TGV Mirabel- rabel, en 1990.5 J Montréal, New York. Ces pro- Comment furent messes n'ont jamais été tenues, traitées les puisque seule une navette personnes d'autobus assurait la liaison expropriées entre l'aéroport de Mirabel et le centre-ville de Montréal, et Par ailleurs, les une autre entre Mirabel et Dor- erreurs reliées au val. Autrement, les gens de- choix d'emplace- vaient se rendre à Mirabel en ment de l'aéro- automobile ou alors en taxi - port et à l'am- une option pour le moins oné- pleur de l'expro- reuse. Bref, les solutions envi- priation ne furent sagées pour régler le problème pas les seules à de l'éloignement n'ont jamais être commises. De été vraiment appliquées, ce qui nombreux témoi- a nuit grandement aux chances gnages récoltés au de succès de l'aéroport de fil des ans auprès 14 A N N f e S DhXPHOPHIAIION FN Mirabel. des personnes ex- propriées font état de diverses situa- Affiche de l'artiste Vittorio, Hold-up à Mirabel (Photo : Mario Ouimet)
HISTOIRE III l l l l l 13 \IMRO i ÎUl leur terre : il a organisé un taires ne serait pas élevé lui nouvel aéroport avait entraîné grand nombre de manifesta- non plus. Mmt Drapeau-Mo- l'expropriation de quelques tions et d'activités pour souli- nette, qui s'est fait offrir un dizaines de cultivateurs seule- gner les anniversaires impor- maigre 1 000 $ pour un terrain ment, il n'y aurait pas eu trop tants. L'organisation a même de 200 pieds par 200 pieds, a de problèmes d'ordre finan- été l'un des premiers utili- dû payer 3 000 $ quand elle a cier. Les sommes versées en sateurs de la célèbre affiche voulu racheter un terrain dédommagement auraient pu conçue par Vittorio Fiorucci, similaire dans la région. 7 être justes et les quelques culti- « Hold-up à Mirabel », où l'on vateurs dérangés se seraient voit une représentation du ter- Si les habitants avaient le mal- sans doute installés ailleurs ritoire exproprié qui, placée heur de demander une période avec assez de facilité. Ils n'au- dans l'autre sens, évoque un de réflexion afin d'examiner raient pas fait d'argent avec militaire à main armée qui fait l'offre qui leur était faite, les l'expropriation mais ils au- un cambriolage. Le message de évaluateurs revenaient à la raient pu continuer à vivre l'artiste était clair : le gouverne- charge en présentant une offre décemment, sans subir de gra- ment fédéral est en train de voler à la baisse. Cela poussait les ves et de nombreux inconvé- les terres. gens à accepter la première nients comme ce fut notre cas. offre qui leur était faite. En expropriant plus de 1 000 Il s'agit certes là d'une opinion L'exemple de M. Ernest Cour- fermes, le fédéral a créé sa partagée par l'ensemble des celles est probant : il s'est fait propre inflation »,9 disait-il à victimes d'expropriation et par offrir un montant de 40 000 $ l'époque. les personnes qui ont pris fait pour ses terres à condition et cause pour elles. Ces gens d'accepter sur-le-champ. L'é- Deux poids, deux mesures étaient convaincus que cette valuateur l'aurait menacé de expropriation constituait ni baisser le montant de 10 000 $ L'un des aspects les plus trou- plus ni moins qu'un vol, car le s'il attendait avant de signer blants du processus d'expro- gouvernement fédéral et ses l'entente. 8 priation, et certainement l'un représentants auraient cherché de ceux qui a le plus irrité les à s'approprier les terres qu'ils Les manoeuvres de ces fonc- habitants, a été le fait que les convoitaient pour l'aéroport, tionnaires ont, en quelque évaluateurs et les fonction- sans pour autant offrir de com- sorte, forcé la main à des per- naires ont semblé appliquer la pensation équitable aux per- sonnes expropriées qui sou- politique de « deux poids, sonnes expropriées pour la vent se sont senties obligées deux mesures » dans le traite- perte qu'elles subissaient. d'accepter de se départir d'une ment réservé aux personnes L'une d'entre elles, Mme Fran- propriété qui leur avait été expropriées. Ces dernières ont çoise Drapeau-Monette, expli- transmise de génération en gé- rapporté à maintes reprises quait en 2005 que les évalua- nération pour un prix dé- des situations où les fonction- teurs du gouvernement fédé- risoire, un montant qui n'était naires ont évalué les propriétés ral auraient sous-évalué les même pas suffisant pour de la région de façon fort diffé- propriétés en affirmant qu'ils racheter une autre propriété rente. En effet, les critères d'éva- ne pouvaient offrir davantage. ailleurs. luation n'ont pas été dévoilés et En outre, ils se sont saisis de semblaient même changer de tant de terres qu'ils ont fini par En 1988, M. Raymond, du manière inexpliquée selon la louer celles dont ils n'avaient CIAC, a expliqué que le trop personne expropriée à qui s'a- pas besoin dans un premier grand nombre de personnes dressaient les évaluateurs. C'est temps. Les évaluateurs ont expropriées a provoqué une la raison pour laquelle leurs admis que le montant qu'ils rareté artificielle des terres dis- méthodes d'évaluation ont été offraient n'était pas élevé, mais ponibles dans le reste de la qualifiées d'arbitraires par les qu'en contrepartie le loyer région, ce qui a fait grimper les gens qui appuyaient la cause demandé aux nouveaux loca- prix. « Si la construction du des personnes expropriées.' 0
L'exemple de MM. Léo propriées ont témoigné de leur mission au gouvernement a- Rhéaume et Camille Rhéaume, expérience personnelle et sem- vant d'entreprendre des réno- dont a fait état M. Raymond, blable à celles que nous évo- vations ou de simples mesures est éloquent. Les deux frères quons dans cet article.12 À la d'entretien de la propriété étaient voisins et habitaient lumière de ces témoignages, parce qu'elles n'en étaient plus des maisons semblables, sur une chose en ressort claire- propriétaires. Parfois, ces répa- des terres de même qualité et ment : il est évident que lors- rations étaient suggérées par de mêmes dimensions. Alors qu'il y a une expropriation, les fonctionnaires qui se ser- que le premier frère s'est vu c'est l'acheteur qui fixe le prix vaient ensuite de ces « amé- offrir un montant de 63 000 $ de vente, et non la personne liorations », indépendamment pour sa propriété, l'autre a expropriée, ce qui augmente du contexte dans lequel elles reçu une offre de 133 000 $ considérablement la possibilité étaient effectuées, pour justi- pour la sienne. Il n'y avait de voir des personnes expro- fier une augmentation subs- aucune raison apparente qui priées victimes d'injustice. tantielle du loyer, comme ont pouvait justifier un tel écart pu le constater certaines entre les deux offres. De nom- Devenir locataire victimes d'expropriation. 13 breux cas semblables ont été observés, et ceux-ci viennent Lorsqu'une entente était con- C'est le cas de M. Maurice renforcer l'impression que les clue entre les fonctionnaires et Laframboise, un cultivateur de fonctionnaires ont porté des la personne expropriée, cette Saint-Hermas. Il a été l'un de jugements arbitraires, et fait dernière devait signer un bail ceux qui, habitués d'être pro- preuve de discrimination et de et devenait souvent le locataire priétaire, n'ont pas flairé l'un favoritisme à l'endroit de cer- de son ancienne propriété. des pièges inhérents au sys- tains locataires." Cette situation présentait de tème de location. Il s'est servi nombreux inconvénients puis- de l'argent qu'il a reçu en com- Devant la Commission parle- que les personnes expropriées, pensation de sa propriété pour mentaire de l'agriculture sur le qui devaient payer les mêmes investir dans « sa » ferme. territoire exproprié de Mirabel comptes qu'avant et veiller à Comme il pensait rester sur sa que le gouvernement du Qué- l'entretien des bâtiments, ne ferme pendant encore quel- bec a tenue en octobre 1982, pouvaient plus être assurées, ques années et continuer de plusieurs autres personnes ex- et devaient demander la per- l'exploiter, il a voulu moder- niser ses installations pour ainsi rentabiliser davan-tage sa terre. Mal lui en prit, car M. La- framboise n'a pas réalisé qu'en devenant locataire, les investis- sements effectués sur la pro- priété ne lui appartenaient pas. S'il décidait un jour de déména- ger, il ne pourrait quitter en emportant le matériel acheté à l'aide de son investissement. Ainsi, il a perdu tout l'argent qu'il a injecté dans ces travaux. De 1969 à 1981, M. Laframboise a, entre autres, construit une maison, une grange-étable, un silo à ensilages, une grange à foin et des silos à grain, creusé Maison ancestrale incendiée par les Fédéraux. (Photo : Gilles Boileau) des fossés et effectué le drainage
n mo IRK w nu: i NOMEII2 de sa terre. Dans son témoi- priées était d'être victimes fait, c'est de fournir la pelle gnage devant la Commission d'un incendie. Même mineur, mécanique pour creuser un parlementaire, il a soutenu tout sinistre nécessitant des trou, que je pourrais appeler avoir : « (...) investi comme tous réparations subséquentes était facilement une cave pour y les jeunes qui partent de rien et considéré comme étant une enterrer les animaux. Ce fut un qui se montent une entreprise. rénovation, entraînant de ce des moments les plus durs à Les fonctionnaires m'ont fait une hausse de loyer, ajusté traverser pour mon mari. Il toujours encouragé à conti- en conséquence. s'est enfermé dans le salon nuer. On me citait souvent en pour ne pas voir ce "spectacle" exemple pour montrer ce qu'il Le cas de M. Bruno Carrière en qui se déroulait juste à l'arrière se passait sur le territoire. Film est un exemple. En 1974, sa où se trouvait située son éta- publicitaire, émission de tv, grange a été la proie des flam- ble. Chaque jour, par la suite il etc. J'en suis venu à oublier mes, et tout son troupeau de se promenait dans ce champ en que le fond de terre ne m'ap- vaches a péri dans l'incendie. se disant que toute sa vie il se partenait plus [...] ».14 Il n'a été indemnisé que pour rappellerait l'endroit, ce qu'il la perte de ses vaches, car sa appelait le cimetière de ses biens M. Laframboise est loin d'être grange n'était pas assurée en enfouis dans la terre (...) ».18 le seul à avoir investi autant raison de son statut de loca- dans sa terre. M. Raymond du taire. Lorsqu'il a voulu recons- Par ailleurs, plusieurs person- CIAC rapporte qu'une enquête truire la grange, il a fait une nes expropriées devenues lo- de l'Union des producteurs demande en ce sens aux fonc- cataires par la force des choses agricoles (UPA) a révélé que 90 % tionnaires responsables, qui ont été victimes de profiteurs des agriculteurs expropriés- ont finalement accepté qu'il qui venaient chez elles pour locataires à Mirabel ont investi reconstruise sa grange à condi- tirer parti de la confusion en- entre 10 000 $ et 200 000 $ sur tion qu'il le fasse à ses frais. tourant la propriété des terres. la propriété qu'ils occupaient.15 Par contre, la grange serait Ces gens sans scrupules s'ima- Avec l'aide du CIAC, M. La- demeurée la propriété du gou- ginaient sans doute que les framboise a réussi à faire re- vernement, et M. Carrière au- biens des personnes expro- connaître son droit de pro- rait dû payer un supplément priées appartenaient mainte- priété sur ses investissements, de loyer. N'en ayant pas les nant à tout le monde. Ainsi, mais les fonctionnaires sont moyens, M. Carrière a donc quelle ne fut pas la surprise de néanmoins parvenus à aug- abandonné l'idée de recons- Mme Drapeau-Monette de voir menter son loyer à 2 000 $ par truire, se contentant d'en- toute une famille débarquer mois. Il a contesté ce montant caisser le montant des assu- chez elle en affirmant pouvoir en cour, y laissant temps, rances pour la perte de ses prendre possession des lieux. argent et énergie, et peut-être vaches. N'ayant pas de grange, D'autres gens peu scrupuleux même un peu de sa santé; il est il n'a donc pu se reconstituer volaient des fleurs dans les même fort possible que le un troupeau, de sorte qu'il a parterres et des fruits aux grand stress causé par les perdu son entreprise et tous arbres en prétextant que ceux- épreuves consécutives à son ses autres investissements. 17 ci n'appartenaient plus aux expropriation ait eu raison de habitants. 19 À vrai dire, ce que lui : en effet, il est décédé en M. Carrière est décédé quatre souhaitaient les personnes août 1983, soit moins d'un an ans après l'incendie, victime expropriées, c'était que le gou- après la tenue de la Commission d'ulcères à l'estomac; il avait vernement prenne des mesu- parlementaire. Il était alors dans 54 ans. C'est son épouse qui a res pour que le territoire soit la jeune quarantaine.16 pris la parole en commission davantage surveillé afin que ce parlementaire. Voici un extrait genre de méfait ne puisse se Les incendies ruineux, les de son témoignage : « (...) produire. Aucune d'entre elles vols Nous n'avons pas eu d'aide de n'a été prise. personne, sauf des dons de 5 à La pire chose que pouvaient 6 personnes de la paroisse. craindre les personnes expro- Tout ce que le gouvernement a i]
IIIMIIIIII III llll I plusieurs mani- en priorité aux personnes ex- festations et coups propriées de 1969, puis aux d'éclat, dont l'un occupants actuels. Si aucun consistait à se pré- d'entre eux ne voulait acheter senter en cour la propriété, celle-ci devenait h accompagné... de disponible dans une banque son bétail. Me De- de terres accessibles à tous. De nise Beaudoin, avo- plus, si une personne expro- cate des personnes priée consentait à laisser sa expropriées, a éga- terre de 1969 à l'occupant lement affirmé que actuel, elle bénéficiait d'une plusieurs des juges clause spéciale prévoyant un «1 nommés pour en- tendre ces causes rabais de 15 % sur l'acquisition d'une nouvelle terre. Tout le Madame Denise Beaudoin, députée de Mirabel et ancienne conseillère juridique des expropriés et Madame Françoise ressentaient un tel monde y a donc trouvé son 1 Drapeau-Monette, expropriée. (Photo : Mario Ouimet) malaise à l'idée de compte.23 Beaucoup d'agricul- juger leurs conci- teurs expropriés ont ainsi pu Contester la légalité de toyens qu'ils préféraient se racheter une terre à un prix l'expropriation récuser. 21 fort avantageux et retrouver la fierté d'être propriétaires; Au cours de ces quelque 16 ans d'autres ont préféré ne pas y 1985 : enfin une première de lutte, de nombreux procès revenir, les blessures étant entente! de diverses natures ont été encore trop vives. intentés contre le gouverne- ment fédéral. À l'origine, la L'avènement d'un nouveau plupart des actions en justice gouvernement conservateur Les 11 000 acres restants étaient entreprises pour con- en 1984 a contribué à assainir tester le montant offert par les le climat autour du dossier, le Des 97 000 acres expropriés au évaluateurs. Cependant, vers rendant propice à un arrange- départ, 80 000 acres ont été la fin des années 1970, les habi- ment équitable. Ainsi, la rendus aux habitants, 6 000 tants en sont venus à plutôt plupart des personnes expro- acres ont tout de même été contester la légalité de l'expro- priées ont pu récupérer des conservés pour l'aménage- priation elle-même. Ils ont d'a- terres inutilisées, non sans ment de l'aéroport, et un autre bord constaté que le gouverne- avoir âprement négocié leur 11 000 acres ont été réservés, ment avait exproprié des terres rachat. Le président du CIAC, au cas où l'aéroport devait être en trop, puis ils ont acquis la M. Jean-Paul Raymond, a agrandi. Nous savons au- conviction que l'aéroport ne conclu que le moment était jourd'hui que ce ne sera pas le serait jamais aussi grand que venu d'accepter de faire cer- cas... Le Comité des 11 000 ce qui avait initialement été tains compromis, au lieu de acres et son président, M. Mar- prévu. Les locataires ont donc continuer la bataille sans être cel Denis, ont poursuivi leur voulu récupérer leurs terres et certain de pouvoir obtenir lutte sans relâche pour les gens redevenir des propriétaires de davantage. Une entente satis- qui habitaient la zone couverte plein droit. Plusieurs d'entre faisant la majorité des per- par ces 11 000 acres et qui y eux ont protesté en cessant de sonnes expropriées a donc été louaient encore les terres... payer leur loyer, souhaitant conclue puis signée le 27 mars jusqu'en décembre 2006, mo- ainsi voir leur cause portée 1985; malgré tout, une mino- ment où le premier ministre devant un tribunal, où ils rité de celles-ci est demeurée Stephen Harper a annoncé la auraient l'occasion de débattre mécontente.22 Les habitants se rétrocession de ces dernières de l'identité du véritable pro- sont vu offrir un terrain de terres aux personnes expro- priétaire : le gouvernement ou valeur équivalente à celui priées. eux-mêmes.2" Les personnes ex- qu'ils possédaient jadis. Les propriées ont aussi organisé terres à vendre étaient offertes
iiiMiiiiii; m i;i!i;i 101,1 M is \i MHO Cela mettait un terme à une En conclusion, nous rappelons son composée par eux pour le longue et triste histoire ayant que les expropriés luttèrent temps des manifestations, ex- vu les victimes d'expropria- jusqu'au bout pour ravoir leur prime toute leur force de ca- tion lutter jusqu'au bout pour terre. Ils n'abandonnèrent ja- ractère devant l'épreuve de la ravoir leur terre. Durant toutes mais dans l'adversité; ils firent dépossession. Elle se joue sur ces années, ces gens n'ont preuve d'un courage exem- l'air de « La boîte à chansons », jamais abandonné dans l'ad- plaire durant toutes ces années, de Georges Dor. versité et ont fait preuve d'un et demeurèrent solidaires les courage exemplaire et d'une uns des autres, comme on le solidarité peu commune. voit rarement. Une petite chan- L'HISTOIRE D'UNE EXPROPRIATION Une expropriation, c'est une déportation, C'est comme un esclavage. On y perd sa maison, on y perd son canton, Bâti du fond des âges. On a détruit tous les labeurs de nos parents, On a brûlé les belles demeures de nos enfants. Ensemble on a vécu, peiné et combattu, Ces douze années d'épreuves. Ensemble on a connu, de si grands imprévus, Qu'on a tout mis en oeuvre. On s'est regroupé, on a marché sans s'arrêter, Sans se lasser, on a cherché la liberté. Aujourd'hui, nous fêtons, aujourd'hui nous chantons, la force et le courage. Que chacun a gardé, dans les difficultés, malgré tous les barrages. Nous nous aimons, nous partageons tant d'Amitié, Qu'à tout jamais, nous resterons tous assemblés. Ce soir nous regardons, vers d'autres horizons, Vers de nouveaux rivages. Embellir, rebâtir, relancer l'avenir, Couper toutes les amarres. Nous bâtirons, ce coin de terre, dans l'AMITIÉ Nous partagerons, comme des frères, dans l'UNITE 24.
Il IN I II I li h III I III I Notes Bibliographie « L'aéroport fournira de 75 000 à 100 000 emplois », La Fonds d'archives P 053 : CIAC - Expropriés de Mirabel, Presse, 28 mars 1969, p. 27; Jean-Paul Raymond et Gilles conservé par la Société d'histoire des Mille-Îles, consulté en Boileau, La mémoire de Mirabel : le président des expropriés, date du 13 août 2007. Jean-Paul Raymond, se raconte à Gilles Boileau, Montréal : Éditions du Méridien, 1988, p. 45-46; Témoignage de Journal des débats, Débats de l'Assemblée nationale, le 3 novem- Mmc Françoise Drapeau-Monette, issu du « Brunch du bre 2004, 37l législature, 1" session, Vol. 38 N° 98, en ligne : patrimoine : Les expropriés de Mirabel », DVD de la . La mémoire de Mirabel, ibid., p. 25. Ibid., p. 26. La Presse, 1969-1985, 2004, 2006. MYLES, Brian, « Le rêve évanoui », dans Le Devoir, 1er novembre 2004. MYLES, Brian, « Le rêve évanoui », dans Le Devoir, 1" novem- Ibid. bre 2004. « 13 années d'expropriation en trop à Mirabel : Mémoire du CI.A.C. présenté à la Commission parlementaire de Journal La Concorde, 2 novembre 2005. l'agriculture sur le territoire exproprié de Mirabel », issu du Fonds d'archives P 053 : CIAC - Expropriés de Mirabel, octobre 1982, Dossier # P 053 S2 SS5 DI, p. 16. Journal L'Éveil, 6 novembre 2004. Témoignage de M"* Françoise Drapeau-Monette, op. cit. La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 79. RAYMOND, Jean-Paul; et Gilles BOILEAU, La mémoire de Mirabel : La mémoire de Mirabel, ibid., p. 78; « 13 années d'expro- le président des expropriés, Jean-Paul Raymond, se raconte à Gilles priation en trop à Mirabel », op. cit., p. 9. Boileau, Montréal : Éditions du Méridien , 1988. La mémoire de Mirabel, ibid., p. 82-83. Ibid., p. 74-75, 82-83. BOILEAU, Gilles. « La mémoire de Mirabel », Histoire Québec, Parmi les mémoires individuels, nous avons consulté les juin 1996, vol 2, no 1. témoignages d'André et Louise Graton, Hélène Carrière, Georges Duquet, curé de Sainte-Scholastique, Françoise « Brunch du patrimoine : Les expropriés de Mirabel », DVD Drapeau-Monette, Maurice Laframboise, et la famille de de la Société d'histoire d'Oka, 14 octobre 2005. Ce DVD est la Réjean Éthier. Mémoires issus du Fonds d'archives P 053 : version filmée du Brunch du patrimoine édition 2005, une CIAC - Expropriés de Mirabel, Dossier # P 053 S2 SS5 activité conjointe entre la Société d'histoire d'Oka et la Société D12 : Mémoires individuels. - 1982. d'histoire régionale de Deux-Montagnes. Ce brunch-confé- « 13 années d'expropriation en trop à Mirabel », op. cit., rence portait sur les expropriés de Mirabel; les deux conféren- p. 18, 26; La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 34,99-102,106- cières invitées étaient M1' Denise Beaudoin, alors députée du 107. comté de Mirabel, et qui fut avocate des expropriés de 1979 à La ponctuation de la citation est telle qu'elle était écrite 1986; et Mme Françoise Drapeau-Monette, expropriée. dans le manuscrit original. Mémoire de Maurice Laframboise, op. cit.'5 La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 92. Ibid., p. 94,101-102, Témoignage de M c Denise Beaudoin, issu du « Brunch du patrimoine : Les expropriés de Mirabel », op. cit. Mémoire d'Hélène Carrière, op.cit.; La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 65-66, 97-98,107-108. Bibliographie Mémoire d'Hélène Carrière, ibid. Témoignage de M™* Françoise Drapeau-Monette, issu du « Brunch du patrimoine : Les expropriés de Mirabel », L'auteure voudrait remercier M. Mario Ouimet pour ses op. cit. magnifiques photographies et son soutien indéfectible à son La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 122. égard. Témoignage de Me Denise Beaudoin, op. cit. La mémoire de Mirabel, op. cit., p. 32-33. Elle souhaite également remercier Mmo Joan Duchesne et M. Louis-Philippe Lamy, de la Société d'histoire des Ibid., p. 158-159. Mille-Îles, pour avoir gracieusement permis l'accès par- « L'histoire d'une expropriation », chanson provenant du tiel au fonds d'archives sur les expropriés de Mirabel. document Expropriation en chansons, conservé dans le Fonds d'archives P 053 : CIAC - Expropriés de Mirabel, Dossier # P 053 S2 SSII DI : Activités sociales 1981-1986.
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