PREUVES ET NOUVELLES TECHNOLOGIES LUXEMBOURG
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PREUVES ET NOUVELLES TECHNOLOGIES LUXEMBOURG Max BRAUN Substitut du Procureur d'Etat, Luxembourg Marc THEWES, Avocat à la Cour, Thewes & Reuter, Luxembourg 1. Quels sont les types de document électronique prévus par la loi ? 1.1 Quelles sont les sources de réglementation afférentes ? La loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique (ci-après : la Loi sur le commerce électronique) a adapté la législation luxembourgeoise aux transactions passées par voie électronique. Différents articles du Code civil ont notamment été adaptés pour admettre la signature électronique comme moyen de souscription valable à un acte juridique (article 1322-1, alinéa 1er du Code civil)1. Cette signature est définie comme « ensemble de données, liées de façon indissociable à l’acte, qui en garantit l’intégrité » (article 1322-1, alinéa 2). Pour qu’elle soit pleinement assimilée à une signature manuscrite, il faut qu’elle ait été créée par un dispositif sécurisé qui repose sur un certificat qualifié (article 18 de la Loi sur le commerce électronique)2. Le Code de la consommation fixe des règles garantissant le caractère éclairé du consentement à des contrats conclus à distance (articles L. 222-1 et suivants). Le législateur est également intervenu pour admettre le support électronique comme moyen de preuve d’actes juridiques. Des relations juridiques, avec les obligations d’information qui les entourent, peuvent désormais être prouvées au moyen de documents dématérialisés. Nous signalons notamment l’article 3, point 1 du règlement grand-ducal du 13 juillet 2007 relatif aux exigences organisationnelles et aux règles de conduite dans le secteur financier3 qui autorise, sous certaines conditions, le recours au format électronique pour les informations devant être fournies sur un support durable aux clients (notamment les relevés des instruments financiers et fonds des clients). Les points 2 et 3 de cet article prévoient encore la possibilité pour les établissements de crédit ou d’investissement de fournir certaines informations sur leur site Internet, sans que ces informations ne soient adressées personnellement aux clients. 1 la Loi sur le commerce électronique a également adapté les textes du Code civil en matière de contrats synallagmatiques (article 1325 du Code civil), d’actes juridiques unilatéraux (article 1326) et de valeur juridique d’originaux et de copies d’actes juridiques (articles 1322-2, 1333 et 1334) 2 la loi définit les obligations, responsabilités et conditions devant être remplies par les prestataires qui délivrent et gèrent ces certificats (articles 19 à 33) 3 règlement grand-ducal du 13 juillet 2007 relatif aux exigences organisationnelles et aux règles de conduite dans le secteur financier et portant transposition de la directive 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d’exécution de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive 1
Nous tenons finalement à relever qu’un projet de loi sur l’archivage électronique vient d’être déposé4, qui vise notamment à garantir la reconnaissance de la valeur juridique des documents dématérialisés par la loi, en vue de fournir aux détenteurs de documents dématérialisés la sécurité juridique et la confiance nécessaires au développement de l’archivage électronique. 1.2 Quelle est la valeur probatoire des différents documents électroniques ? L’article 18, 1) de la Loi sur le commerce électronique dispose que « sans préjudice des articles 1323 et suivants du Code civil, une signature électronique créée par un dispositif sécurisé de création de signature que le signataire puisse garder sous son contrôle exclusif et qui repose sur un certificat qualifié, constitue une signature au sens de l’article 1322-1 du Code civil ». Un document revêtu d’une signature électronique remplissant les conditions de l’article 18, 1) précité a dès lors la même valeur probatoire qu’un acte sous seing privé signé de la main de son auteur. Il faut toutefois relever qu’en pratique bon nombre de conventions sont conclues par voie électronique sans que la signature électronique n’ait été créée par le dispositif sécurisé prévu par la loi. Dans ce cas, l’article 18 précise sous un point 2 qu’ « une signature électronique ne peut être rejetée par le juge au seul motif qu’elle se présente sous forme électronique, qu’elle ne repose pas sur un certificat qualifié, qu’elle ne repose pas sur un certificat qualifié délivré par un prestataire accrédité de certification, ou qu’elle n’est pas créée par un dispositif sécurisé de création de signature ». Cette disposition souligne le caractère probatoire de la signature électronique5. Un acte sous seing privé conclu électroniquement peut dès lors être valable, même s’il n’est pas revêtu d’une signature électronique au sens de l’article 1322-1 du Code civil et des dispositions de la Loi sur le commerce électronique. Si une telle signature fait défaut sur l’acte électronique, il appartient à la partie qui s’en prévaut d’en rapporter la preuve du contenu et de l’existence du consentement de l’autre partie. Cette preuve peut notamment résulter de l’exécution de l’accord (p.ex. paiement et livraison d’une marchandise commandée auprès d’un commerçant en ligne). La Cour a également pu déduire un accord entre parties à partir d’un échange d’E-Mail, traduisant l’émission d’une offre et l’acceptation de celle-ci par l’autre partie (étant précisé que l’envoi et la réception des E-Mail versés aux débats n’avaient pas été contestés par les parties)6. En matière de contrats à distance conclus entre un professionnel et un consommateur, le Code de la consommation prévoit que la preuve de l’existence et du contenu d’une information précontractuelle, ainsi que du consentement du consommateur incombe au professionnel (article L. 222-11). 4 projet de loi n° 6543 relatif à l’archivage électronique et modifiant la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier 5 A. PRUM, Y. POULLET, E. MONTERO, Le commerce électronique en droit luxembourgeois, Larcier 2005, p. 158, n° 152 6 CA 2 mars 2011, n° 35609 du rôle 2
1.3 Quels sont les types de souscription prévus ? La Loi sur le commerce électronique ne limite pas la souscription des actes juridiques électroniques à certains moyens de communication. En principe, tous les actes privés ou publics7 peuvent dès lors être signés électroniquement. Tel qu’énoncé ci-dessus, nombre de souscriptions ne se font toutefois pas au moyen d’une signature électronique certifiée au sens de la loi. La problématique se décale du côté de la preuve du consentement à un acte électronique. En matière d’acceptation de conditions générales, le titulaire d’un site Internet a notamment argumenté que ses conditions générales ont forcément été acceptées, alors que « tout client voulant bénéficier de ses services doit créer un compte sur la plateforme accessible à l’adresse [internet WWW] et qu’il doit nécessairement prendre connaissance et accepter les conditions générales applicables au service, cette acceptation se matérialisant par le fait de devoir cocher une case ». La Cour a suivi cette argumentation et a conclu que les conditions générales, disponibles sur le site internet en question, ont été librement acceptées par le client du site en y cochant la case prévue8. Pour ce qui est des contrats à distance, le Code de la consommation prévoit certaines informations et garanties au profit du consommateur : des informations sur le professionnel, les conditions auxquelles les marchandises ou les prestations sont fournies (article L. 222-3), le droit de rétractation (articles L. 222-5 et 222-6) et les délais dans lesquels le contrat doit être exécuté (article L. 222-7). La preuve du respect de ces obligations incombe au professionnel (article L. 222-11). 1.4 Comment est garantie l’authenticité du document électronique ? Les prestataires délivrant ou gérant des certificats qualifiés de signature électronique doivent remplir des conditions très strictes. Ils doivent notamment disposer de moyens financiers et de ressources matérielles, techniques et humaines adéquates pour garantir la sécurité, la fiabilité et la pérennité des services de certification offerts (article 25, 1) de la Loi sur le commerce électronique). La loi pose également des exigences sévères pour la délivrance de certificats à des futurs signataires (toute personne qui détient un dispositif de création de signature et qui agit soit pour son propre compte, soit pour celui d’une personne physique ou morale qu’elle représente). Les conditions qui entourent l’émission et la gestion des certificats qualifiés garantissent une identification fiable de la personne qui appose une signature électronique. Nous précisions par ailleurs qu’en vertu de l’article 3 de la Loi sur le commerce électronique, l’usage des techniques de cryptographie est libre. Ces techniques permettent d’assurer la confidentialité et l’intégrité des données électroniques transmises et stockées. 7 pour la communication de documents et données à la requête d’un agent d’une administration fiscale, voir l’article 16 de la Loi sur le commerce électronique 8 CA 19 décembre 2012, n° 36526 du rôle 3
En votant la Loi sur le commerce électronique, le législateur a élargi le champ d’application du Code pénal aux données électroniques. Ainsi, la « clé électronique »9 et « l’acte sous seing privé électronique » 10 sont désormais protégés par le droit pénal. Pour ce qui est de l’infraction de faux en écritures privées (article 196 du Code pénal), la jurisprudence retient que cette infraction ne protège pas de manière générale tout écrit électronique. L’écrit protégé « doit remplir certaines exigences quant à son caractère probatoire : il doit s’agir d’un "acte sous seing privé électronique" »11 tel que défini par l’article 1322-1 du Code civil. L’insertion de fausses informations dans un système informatique peut toutefois constituer l’infraction d’introduction, de suppression ou de modification frauduleuse des données stockées sur un système de traitement automatisé de données (article 509-3 du Code pénal)12. 1.5 Comment est transmis le document électronique ? La transmission des documents électroniques n’est pas réglementée par la Loi sur le commerce électronique. En pratique celle-ci se fait par les réseaux de l’information et plus particulièrement par internet. La question qui peut poser problème est la preuve de la transmission. A ce sujet, l’article 34 de la Loi sur le commerce électronique précise que « le message signé électroniquement sur base d’un certificat qualifié dont l’heure, la date, l’envoi et le cas échéant la réception, sont certifiés par le prestataire [certifiant les signatures électroniques] constitue un envoi recommandé ». Nous n’avons pas pu trouver de jurisprudence faisant application de cet article13. La Cour d’appel s’était interrogée sur la transmission d’un E-Mail ordinaire et sur la preuve de la réception de celui-ci par son destinataire. Alors que l’expert judiciaire a pu se prononcer – avec certitude – sur la réalité de l’envoi de l’E-Mail, il n’a pas pu conclure, à l’abri de tout doute, à la réception de ce message par son destinataire. Il a toutefois précisé que la probabilité que le message soit arrivé était bien plus grande que sa perte. La probabilité d’une telle perte serait d’environ un sur mille. La Cour en conclut qu’ « à supposer qu’en l’occurrence il y ait eu un haut degré de probabilité que le courrier électronique litigieux soit parvenu à l’adresse de [son destinataire], il n’en demeure pas moins qu’il existe un doute raisonnable que tel n’a pas été le cas. (…) A ce propos, la Cour fait sienne la jurisprudence de la Cour de Cassation française selon laquelle l’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de la preuve. Il n’est pas suffisant de retenir la vraisemblance d’un fait pour le tenir pour établi. Un jugement ne peut donc être fondé sur des preuves qui laissent 9 articles 487 et 488 du Code pénal 10 voir l’article 196 du Code pénal pour les faux en écritures privées ; y compris les faux dits intellectuels, voir notamment CA 21 janvier 2009, n° 44/09 X, LJUS 99865426, Pas. 34, p. 571 11 TA Lux. 8 janvier 2009, n° 26/2009, LJUS 99864734, confirmé par CA 13 octobre 2009, n° 442/09 V 12 TA Lux. 5 avril 2011, n° 1238/2011 ; CA 17 octobre 2006, n° 478/06 V ; pour une décision en sens contraire : CA 6 novembre 2012, n° 494/12 V 13 pour une analyse des recommandés électroniques, voir : A. PRUM, Y. POULLET, E. MONTERO, Le commerce électronique en droit luxembourgeois, précité, p. 230 et ss. 4
subsister une incertitude. (cf : Journal des tribunaux Luxembourg no 2 du 30 avril 2009 : Probabilité et certitude dans la preuve en justice par P. KINSCH et décisions y publiées) »14. 2. Quelles preuves scientifiques sont admises ? 2.1 Quelles normes règlent l’usage probatoire d’enquêtes scientifiques ? Les expertises scientifiques sont soumises au droit commun de la preuve en matière civile et pénale. Des règles spécifiques existent toutefois pour la prise et le traitement d’empreintes digitales et de traces génétiques en matière pénale. Les expertises génétiques – sans reposer sur un texte de loi spécifique – occupent également une place importante dans les actions civiles en recherche de paternité. Nous allons dès lors nous consacrer essentiellement aux spécificités des expertises dactyloscopiques et génétiques ainsi qu’aux conclusions qui peuvent en être tirées dans le cadre d’une procédure judiciaire. En matière civile, l’administration de la preuve se fait par les parties. Lorsqu’elles ne disposent pas d’éléments suffisants pour prouver les faits fondant leurs prétentions, elles peuvent demander l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire. La nature de l’expertise judiciaire à ordonner est laissée à l’appréciation des juridictions. La liberté de la preuve est également le principe en droit pénal, où les juges peuvent s’appuyer sur tous les éléments du dossier pourvu qu’ils soient soumis à un débat contradictoire15. « Le juge pénal peut même prendre en considération une preuve irrégulière dès lors que les dispositions violées ne sont pas prescrites à peine de nullité, que l’irrégularité n’entache pas la fiabilité de la preuve et que l’usage de la preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable »16. La Cour de cassation a précisé que ce droit n’est garanti que sous la condition fondamentale du respect de la légalité dans l’administration de la preuve, tout en nuançant qu’il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement en tenant compte des éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise17. L’administration des preuves scientifiques est dès lors en principe libre. Cette liberté souffre d’une exception de taille, qui est constituée par la prise et le traitement d’empreintes digitales (articles 33 (8), 39 (4), 45 (6), 47-2 et 51-2 du Code d’instruction criminelle, ainsi que l’article 18-1 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire) et par les « procédures d’identification par empreintes génétiques » (articles 39 (4), 45 (6), 47-1, 51 et plus particulièrement les articles 48-3 et suivants)18. Ces mesures peuvent uniquement être ordonnées par le procureur d’Etat ou le juge d’instruction en fonction du stade de la procédure pénale. L’administration de la preuve par ADN est encore soumise à des règles de fond et de forme, dont le respect est prescrit sous peine de nullité (article 48-9 du Code d’instruction criminelle). Les conditions et procédures dans lesquelles des profils ADN peuvent être établis sont fixées par le Code d’instruction 14 CA 21 décembre 2011, n° 31982 du rôle ; JTL n° 22 - 4/2012, p. 119 ; Pas. 35, p. 739 15 pour une illustration récente du principe de la liberté de la preuve en matière pénale, voir CA 4 février 2013, n° 66/13 VI 16 CA 11 octobre 2005, n° 434/05 V 17 Cass. 22 novembre 2007, n° 57/2007 18 terminologie reprise dans le Code d’instruction criminelle pour introduire ses articles 48-3 et suivants 5
criminelle (articles 48-3 à 48-9), alors que les procédés scientifiques qui doivent être respectés pour établir ces profils (articles 319 et 4) sont réglementés par la loi du 25 août 2006 relative aux procédures d’identification par empreintes génétiques en matière pénale (ci-après : la Loi du 25 août 2006). Nous tenons à préciser que les règles édictées par ces textes permettent un échange des profils recueillis avec d’autres pays européens conformément à la décision 2008/615/JAI du Conseil du 23 juin 2008 relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière20. 2.2 Comment déterminer la validité scientifique de la preuve ? La validité scientifique des preuves administrées dans le cadre d’un procès repose généralement sur la formation et les compétences de l’expert requis par la justice. Les textes réglementant les différentes spécialités fixent les formations et diplômes dont doivent disposer les experts. A titre d’exemple, l’article 4, point 4 de la Loi du 25 août 2006 retient qu’un expert en matière d’établissement de profils ADN doit être titulaire d’un diplôme de docteur en médecine, de docteur en sciences pharmaceutiques, de docteur en sciences, de docteur en biotechnologie ou de docteur en bio-ingénierie, d’une part, et disposer d’une expérience pratique d’au moins trois ans en matière d’analyse d’ADN, d’établissement et de comparaison de profils d’ADN, d’autre part. L’expert doit encore être affecté à un laboratoire disposant d’un service organisé sur une base permanente pour recevoir les traces de cellules. Pour pouvoir concourir à l’administration de la preuve en matière pénale21, l’expert doit prêter le serment de faire ses rapports et de donner ses avis en son honneur et conscience (articles 36, 44 et 87 du Code d’instruction criminelle et 3 de la loi du 7 juillet 1971 portant en matière répressive et administrative, institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes). 2.3 Quels contrôles sont mis en œuvre pour évaluer la validité de la méthode scientifique employée ? Le contrôle des conclusions reprises dans les rapports d’expertise est exercé par les parties et juridictions. Deux types de moyens peuvent être invoqués, ceux tendant vers l’annulation des rapports d’expertise (a) et ceux se limitant à critiquer les conclusions tirées par l’expert (b). a. Les moyens tendant vers l’annulation des rapports d’expertise Les rapports d’expertise établis et soumis dans des affaires civiles doivent répondre à certaines exigences destinées à garantir leur régularité et leur intégrité. La méconnaissance de ces exigences peut fonder leur nullité. A titre d’exemple on peut citer la méconnaissance du 19 l’application concrète des procédés prévus par cet article est précisée par un règlement grand-ducal du 1er avril 2011 portant exécution de l’article 3 de la loi modifiée du 25 août 2006 relative aux procédures d’identification par empreintes génétiques en matière pénale 20 JO L 210 du 6 août 2008 21 la prestation de serment n’est plus prévue en matière civile 6
principe du contradictoire, des expertises non accomplies personnellement par l’expert commis judiciairement, ou encore une absence d’objectivité et d’impartialité de l’expert22. Ces mêmes cas d’ouverture peuvent également fonder une demande en nullité d’un rapport d’expertise produit en matière pénale. Au regard de l’importance de cette question, nous insistons sur le fait que ces demandes sont généralement soumises aux délais de déchéance imposés par le Code d’instruction criminelle (voir notamment les articles 48-2 et 126 à 126- 2). Tel qu’exposé ci-dessus, les prélèvements d’empreintes digitales et génétiques doivent se faire sur ordre du procureur d’Etat ou du juge d’instruction. Le non-respect de cette exigence est expressément sanctionné de nullité en matière de prélèvement d’ADN et peut donner lieu à nullité pour les prises d’empreintes digitales en cas de grief pour la personne concernée. D’autres règles de forme édictées pour les prélèvements d’ADN sont encore prescrites sous peine de nullité, dont notamment l’exécution du prélèvement par frottis buccal par un officier de police judiciaire et la prise de sang par un médecin agissant en présence d’un officier de police judiciaire (article 48-4 du Code d’instruction criminelle), de même que l’établissement de procès-verbaux reprenant les informations prescrites par la loi (articles 48-5 et 48-8). b. Les moyens tendant à critiquer les conclusions tirées par l’expert Les parties peuvent également critiquer le fond des conclusions tirées par l’expert. Ces conclusions n’ont en effet qu’une valeur consultative, et les juges sont libres de ne pas suivre l’avis de l’expert. Ils peuvent notamment entendre l’expert s’ils ne trouvent pas dans le rapport les éclaircissements suffisants (article 479 du Nouveau Code de procédure civile), ordonner une nouvelle expertise judiciaire, ou puiser des renseignements complémentaires dans un rapport d’expertise non contradictoire versé aux débats par l’une des parties, à condition que ce rapport ait été communiqué à l’autre partie23. La jurisprudence a néanmoins précisé que « les tribunaux ne doivent s'écarter des conclusions de l'expert qu'avec la plus grande circonspection et uniquement dans le cas où il existe des éléments sérieux permettant de conclure qu'il n'a pas correctement analysé toutes les données qui lui ont été soumises »24. En matière pénale, l’inculpé peut choisir un expert qui a le droit d'assister à toutes les opérations d’expertise, d'adresser toutes réquisitions aux experts désignés par le juge d'instruction et de formuler ses observations (article 87, 3) du Code d’instruction criminelle). Le point 5 de cet article précise que « si l'expertise a été achevée sans que l'inculpé ait pu s'y faire représenter, celui-ci a le droit de choisir un expert qui examine le travail des experts commis et présente ses observations ». Le Code d’instruction criminelle organise partant – dès la phase de l’instruction – des procédures permettant une analyse contradictoire des conclusions tirées par l’expert judiciaire. Nous précisons encore que l’inculpé (de même que la partie civile) peuvent demander une expertise sur les faits qu’ils indiquent pendant l’instruction (article 88 1) du Code d’instruction criminelle). 22 voir notamment Th. HOSCHEIT, Les mesures d’instruction exécutées par un technicien, Pas. 32, p. 45 et plus particulièrement p. 53 et ss. 23 voir notamment : CA 18 décembre 1962, Pas. 19, p. 17 ; CA 13 juillet 2011, n° 35158 du rôle 24 CA 8 avril 1998, Pas. 31, p. 28 7
Une fois l’affaire renvoyée, le prévenu peut contester les conclusions du ou des experts devant les juridictions du fond. 2.4 Qui décide de l’emploi d’une preuve scientifique ? Dans le cadre de litiges civils, les parties sont libres de demander une expertise scientifique extra-judiciaire et de l’invoquer par la suite dans le cadre d’une procédure judiciaire. Traditionnellement, seules les expertises exécutées en présence de toutes les parties étaient admises (p.ex. les expertises instaurées par lettre collective). La jurisprudence évolue toutefois dans le sens d’admettre des expertises établies par une seule des parties, pour autant que les conclusions de l’expert soient soumises à un débat contradictoire25. Les parties peuvent également demander l’institution d’une expertise judiciaire en référé (article 350 du Nouveau Code de procédure civile) ou devant les juges du fond (articles 461 et suivants du Nouveau Code de procédure civile). Il est important de noter qu’en matière de filiation, le Code civil prévoit que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l'objet d'une renonciation, d'une transaction, ou d'un acquiescement » (article 342-4) et que « les tribunaux règlent les conflits de filiation pour lesquels la loi n'a pas fixé d'autre principe, en déterminant par tous les moyens de preuve la filiation la plus vraisemblable » (article 342-6, alinéa 1er). L’action en recherche de paternité appartient uniquement à l’enfant ou, pendant la minorité de celui-ci, à sa mère (article 340-2 du Code civil)26. Seules ces personnes (de même que le prétendu père assigné) peuvent dès lors demander l’instauration d’une expertise génétique en vue de déterminer la paternité de l’enfant. Bien que la loi ne prévoie pas expressément que le tribunal puisse ordonner d’office une telle mesure, nous pensons que cette faculté lui appartient conformément au droit commun de l’article 348 du Nouveau Code de procédure civile27. En matière pénale, le Code d’instruction criminelle autorise l’officier de police judiciaire, en cas de crime ou de délit flagrant, d’avoir recours à toutes personnes qualifiées, pour procéder à des constatations qui ne peuvent être différées (article 36). Tel qu’exposé ci-dessus, cette prérogative souffre toutefois d’une exception importante pour le recueil d’empreintes digitales et génétiques. Ces empreintes peuvent en effet uniquement être prises à la demande du procureur d’Etat ou du juge d’instruction, dans l’intérêt de la manifestation de la vérité (articles 33 (8), 39 (4), 44 (2) et (4), 47-1, 47-2, 51 (2) et 51-2 du Code d’instruction criminelle) ou si elles sont impérativement nécessaires à l'établissement de l'identité d’une personne interpellée (article 45). Il est intéressant de noter qu’en l’absence d’accord de la personne concernée, le prélèvement de cellules humaines peut être exercé sous la contrainte physique si cette personne paraît 25 Cass. 7 novembre 2002, Pas 32, p. 363 ; voir également Th. HOSCHEIT, Les mesures d’instruction exécutées par un technicien, précité, p. 66 et ss. 26 étant précisé que cette action est désormais imprescriptible : Cour constitutionnelle 29 juin 2012, n° 72/12, JTL n° 24 - 6/2012, p. 158, avec les observations de F. HILGER 27 « les faits dont dépend la solution du litige peuvent à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible » 8
présenter un lien direct avec la réalisation des faits en cause et si ces faits emportent une peine criminelle ou peine correctionnelle dont le maximum est égal ou supérieur à deux ans d’emprisonnement (article 48-5 du Code d’instruction criminelle). La contrainte physique est toutefois exclue pour la prise de sang. La loi prévoit finalement deux hypothèses dans lesquelles la prise d’empreintes digitales et l’établissement d’un profil ADN sont prévus d’office. Ainsi, « à l’exception des détenus exécutant une contrainte par corps, tout détenu admis dans un établissement pénitentiaire fait l’objet d’une prise d’empreintes digitales et de photographies par le service de police judiciaire » (article 18-1 de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire). Un prélèvement de cellules humaines aux fins d’établissement d’un profil d’ADN sera encore effectué sur chaque personne qui a été condamnée par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée à une peine d’emprisonnement ou à une peine plus lourde pour les infractions reprises par l’article 48-7 du Code d’instruction criminelle (essentiellement des infractions contre les personnes). 2.5 Quel est le rôle du juge ? En matière pénale, le procureur d’Etat et le juge d’instruction veillent à la bonne exécution des mesures d’expertise ordonnées. Tel qu’exposé ci-dessus, les empreintes digitales et génétiques sont prises et traitées à leur demande. En cas de contestations quant à la régularité de ces opérations, des voies de recours sont ouvertes aux personnes intéressées. Dans ce cas, des compositions collégiales (en chambre du conseil ou au fond) veillent au respect des procédures et garanties prévues par la loi. D’une façon générale, les juridictions civiles et pénales apprécient la valeur probatoire des expertises scientifiques, après que celle-ci ait été contradictoirement débattue à l’audience. 2.6 Comment et par qui est déterminée la valeur probatoire d’une preuve scientifique ? Dans les rapports d’expertise dactyloscopiques et génétiques soumis aux juridictions, les experts se prononcent sur le degré de concordance entre les échantillons analysés. Il appartient par la suite aux juges de tirer les conséquences juridiques des conclusions d’expert qui leur sont présentées. Il faut noter que les statistiques et probabilités scientifiques forgent finalement l’opinion des juges28. En droit pénal, les preuves scientifiques doivent permettre de former l’intime conviction des juges. A défaut de certitude découlant d’une preuve scientifique leur soumise, les juges corroborent leur opinion par d’autres éléments du dossier. 2.7 En particulier, quand admet-on le test génétique et comment détermine-t-on sa valeur probatoire ? 28 pour une analyse de cette question : P. KINSCH, Probabilité et certitude dans la preuve en justice, JTL n° 2 - 2/2009, p. 45 9
Les rapports d’expertise dactyloscopiques et génétiques indiquant uniquement des probabilités, il appartient aux juridictions de déterminer si celles-ci sont de nature à déterminer leur conviction. A titre d’exemple, une chambre correctionnelle a retenu, au regard d’un rapport de vraisemblance de 95,1 x 1015 obtenu sur une trace de sang et l’échantillon génétique d’un prévenu, que cette trace de sang était à attribuer à ce dernier29. Un prétendu père avait encore soutenu que sa paternité était incertaine en argumentant qu’en admettant 99,9% de chances qu’il puisse être le père de l’enfant, il faudrait retenir qu’au seul Grand-Duché, au moins 200 hommes pourraient être l’auteur de l’enfant. La Cour d’appel ne s’est pas laissée persuader par cet argument en retenant qu’une probabilité de 99,9 % frôlait la certitude30. Alors que les taux de probabilité obtenus à l’aide d’échantillons génétiques de bonne qualité donnent des résultats très convaincants, il en va autrement en cas de présence de profils mixtes ou de mauvaise qualité. Les résultats d’expertise ADN constituent alors plutôt des indices. Tel qu’exposé ci-dessus, un prélèvement de cellules humaines peut être exercé sous la contrainte physique si la personne concernée paraît présenter un lien direct avec la réalisation des faits en cause et si ces faits emportent une peine criminelle ou peine correctionnelle dont le maximum est égal ou supérieur à deux ans d’emprisonnement (article 48-5 du Code d’instruction criminelle). Cette possibilité n’existe pas dans les affaires civiles. Une personne peut dès lors refuser tout prélèvement de cellules humaines. Confrontées à de tels refus, les juridictions ont retenu que l’existence de relations sexuelles avec la mère de l’enfant pendant la période légale de conception peut être déduite de la présomption résultant du refus du prétendu père de se soumettre aux expertises scientifiques ordonnées par le juge, cette présomption étant appuyée par d’autres présomptions résultant de l’attitude du prétendu père et de ses explications données lors d’une comparution personnelle des parties31. 3. Quels sont les futurs développements de la preuve avec les nouvelles technologies ? Les nouvelles technologies offrent de nouveaux moyens pour connaître la vérité dans des affaires judiciaires. En prenant l’exemple des nouvelles technologies électroniques, il faut toutefois constater que les dispositifs d’enregistrement, de géolocalisation32 ou de retraçage – désormais abordables à des coûts négligeables – peuvent aboutir à une réelle surveillance des personnes. La 29 CA 9 novembre 2010, n° 438/10 V 30 CA 23 décembre 2004, n° 28453 du rôle ; pour d’autres exemples, voir P. KINSCH, Probabilité et certitude dans la preuve en justice, précité, p. 45 31 CA 23 février 2000, n° 23.653 du rôle ; CA 22 octobre 2003, n° 27748 du rôle, JUDOC n° 99846247 ; Cour CA 23 février 2000, Pas. 31, p. 311 32 pour un exemple récent d’un téléphone portable volé, retrouvé grâce à l’application de géolocalisation installé par le propriétaire légitime : TA Lux. 6 mars 2013, n° 827/2013 10
problématique se pose notamment dans les relations de travail où certains moyens mis en œuvre par les employeurs portent atteinte à la vie privée des salariés33. L’accessibilité de ces nouveaux moyens de preuve pose la question de la loyauté de leur mise en œuvre34. Les tribunaux ont ainsi rejeté des preuves et ignoré les constatations de fait qu’elles contenaient, au motif que ces preuves avaient été obtenues de façon déloyale. Il y a lieu de signaler que d’importants débats existent au sujet de l’utilisation d’images vidéo enregistrées sans les autorisations requises35. Se pose finalement la question du droit à l’oubli, qui devient d’actualité avec les possibilités de stockage quasiment illimitées proposées par les infrastructures informatiques actuelles. Dans les affaires de recherche et de contestation de paternité, un choix difficile entre la vérité scientifique désormais aisément accessible et la paix dans les familles et la possession d’état doit être opéré. 4. Cas pratique : F prétend être le fils naturel de P. P dénie être le père naturel de F, mais en même temps il refuse de se soumettre au test génétique. Qu’est-ce que fait le juge ? En droit luxembourgeois il n’est pas possible de forcer P à se soumettre à un test génétique. Le juge peut toutefois déduire de ce refus que P est bien le père de F. Le juge recherchera toutefois d’autres éléments de preuve, rendant cette paternité probable (p.ex. possession d’état, témoignages ou résultat d’une comparution personnelle des parties). 33 voir notamment l’étude d’A. Grosjean, La surveillance des salariés sur le lieu du travail et les nouvelles technologies de l’information au Grand-Duché du Luxembourg, JTL n° 21 - 3/2012, p. 69 34 voir notamment : TA Lux. 16 novembre 2010, n° 4047/10 35 voir notamment : CA 26 février 2008, n 106/08 V ; CA 11 octobre 2005, n° 434/05 V ; Cass. 22 novembre 2007, n° 57/2007 11
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