PRIX LYCÉEN 2019-2020 - DOSSIER DE MÉDIATION - FESTIVAL BD DE COLOMIERS
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
LE LANGAGE DE LA BD Bande dessinée Suite de dessins qui raconte une même histoire ou présente un même personnage (Déf. Robert) Récit en images publié en feuilleton de presse ou en albums. (Déf. Larousse) Vignette ou case Image généralement cernée d’un trait et faisant partie d’une planche. La vignette est l’unité minimale de la BD et la base de son langage. Bulle ou phylactère ou ballon Espace délimité par un trait qui renferme les paroles que prononcent les personnages. Espace réservé au texte à l’intérieur de la case. Planche Nom donné à une page BD. Ensemble de vignettes figurant sur la même page. Planche originale Feuille sur laquelle a travaillé le dessinateur. Dessin définitif d’une page de BD à un format presque toujours plus grand que la parution. Espace intercase ou gouttière Espace entre les cases. Récitant ou narrateur Espace encadré accueillant un commentaire sur l’action ou l’intervention du narrateur. Strip ou bande Bande horizontale composée d’une ou plusieurs vignettes. Le strip peut être autonome ou composé un étage de la planche. Ensemble de vignettes figurant sur une même ligne horizontale. Une planche classique est composée de trois ou quatre strips. Mise en page ou découpage Organisation des vignettes sur la surface de la planche. Onomatopée Mot dont le son imite celui de l’objet qu’il représente. Assemblage de lettres imitant un son, un bruit. Idéogramme Signe représentant une idée. L’idéogramme peut se présenter sous forme de dessins ou de lettres. Ex : un nuage transpercé par un éclair pour exprimer la colère, un coeur brisé pour exprimer le chagrin... Synopsis Premier récit qui définit brièvement les personnages, le lieu, l’époque et le fil conducteur de l’histoire. Crayonné Etat de la planche avant encrage. Le dessinateur exécute d’abord ses dessins au crayon, puis il les repasse à l’encre de Chine. Brouillon détaillé de la page, bien souvent sur la planche originale. 5
Lettrage Forme de lettres composant le texte placé dans les bulles ou le récitant. Mise au net manuelle du texte et des onomatopées. Lettreur Personnage qui réalise le lettrage, veille à ce que le texte ne couvre pas l’image et reste visible. Encrage ou mise à l’encre Reprise à l’encre de Chine du dessin crayonné. Encreur Personne qui cerne les traits du crayonné à l’encre de Chine. Scénariste Personne qui imagine l’histoire et fournit au dessinateur le découpage ainsi que les dialogues. Le dessinateur peut aussi être son propre scénariste. Coloriste Assistant spécialisé dans la couleur. Attention de plus en plus on voit apparaît un travail de coloriste réalisé par un studio graphique par infographie. Cadrage Choix d’un angle de vue et du plan définissant la grosseur du sujet dans la case (gros plan, plan moyen, vue en plongée, contre-plongée…). Série Ensemble de bandes dessinées qui ont pour héros le ou les même(s) personnage(s). Collection Ensemble de bandes dessinées ou de séries BD réunies sous un même titre de collection et qui présente la même maquette. One shot Histoire se déroulant en un seul album. Pas de suite : le one shot est l’opposé de la série. Roman graphique (de l'anglais graphic novel) Le format BD du roman graphique comprend un grand nombre de pages, souvent plus d'une centaine. Le terme est employé dans un sens large, englobant les œuvres non romanesques et les histoires courtes liées par la même thématique, ainsi que des récits de fiction à travers un certain nombre de genres. Fanzine Contraction de « fanatic » et « magazine ». Journal publié par des amateurs réalisé bénévolement sans véritable périodicité et à faible diffusion. BD franco-belge 48CC Dans le jargon de l'édition, 48CC désigne une bande dessinée de tradition franco-belge, de 48 pages, en format A4, cartonnée et en couleur. Fumetti Nom donné à la BD italienne. Comics Nom donné à la BD anglo-saxonne mais principalement de production américaine (notamment super-héros). 6
Manfra Contraction de « manga » et « français ». BD format 48CC fortement inspiré du graphisme manga mais aussi BD format manga réalisée par des dessinateurs français. Manga Nom donné à la BD japonaise. Mangaka Dessinateur japonais. Shonen Signifie « jeune garçon » et désigne un manga dont le public visé est plutôt masculin. Action, combat, sport sont les domaines les plus courants. Shojo Signifie « jeune fille » et désigne un manga généralement romantique dont le public visé est essentiellement féminin. Manhwa Nom donné à la BD coréenne. Manhua Nom donné à la BD chinoise. Ellipse Procédé grammatical qui consiste à omettre un ou plusieurs éléments en principe nécessaires à la compréhension du texte, pour produire un effet de raccourci. Elle oblige le récepteur à rétablir mentalement ce que l’auteur passe sous silence. La brachylogie est une variante brève de l'ellipse. Une « ellipse narrative » consiste à passer sous silence une période de temps, c'est-à-dire à ne pas en raconter les événements. Il s'agit donc d'une accélération du récit. Dans son incontournable ouvrage sur la bande dessinée « L'art invisible » Scott Mac Cloud attire notre attention sur ce mécanisme : « Les cases d'une bande dessinée fragmentent à la fois l'espace et le temps, proposant sur un rythme haché des instants qui ne sont pas enchaînés. Mais notre sens de l'ellipse nous permet de relier ces instants et de construire mentalement une réalité globale et continue. » Caricature Représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par l'exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique. (Déf. Larousse) Art séquentiel Eisner le défini ainsi : « Il allie mots et images dans le but de raconter une histoire ou de dramatiser une idée. Il est à la fois un moyen d’expression créatif, une discipline distincte, un art et une forme littéraire ». L’expression d’art séquentiel a été créée et définie par Will Eisner dans son livre « La bande dessinée, art séquentiel » (1985). 7
ÉLéMENTS D'ANALYSE 1- PRéSENTATION D’INTRODUCTION LE TITRE Le titre de la bande dessinée , que nous révèle-t-il ? Le titre de la série, tomaison de l’album par rapport à la série. Le nom du personnage principal apparaît-il ? LES AUTEURS Présenter les personnes qui participent à l’élaboration de la bande dessinée : Scénariste, dessinateur, coloriste, encreur, lettreur, adaptateur, auteur adapté… éDITEUR ET COLLECTION Dépôt légal, 1ère édition ou réédition FORME DE PUBLICATION 1 - One shot 2 - Série (gag d’une ou plusieurs planches, strip, histoire entière, histoire à suivre...) Couverture + page de garde 2- TEXTE DANS LA BANDE DESSINÉE LE RéCITANT Quelles sont ses caractéristiques ? Forme, couleur, typographie... Quel est le temps employé ? (passé, futur, présent...) LE DIALOGUE Le vocabulaire est-il différent suivant les personnages ? Que nous apprennent les dialogues des héros ou des personnages secondaires ? (caractère, niveau social, âge, métier…) Par quel(s) adjectif(s) caractériseriez-vous le langage utilisé dans cette bande dessinée ? (précieux, humoristique, dit historique, argotique, pseudo-intellectuel, branché…) LES ONOMATOPéES Quels types de sons représentent-ils ? Quel lien avec le scénario ? Quand apparaissent-ils ? LA TYPOGRAPHIE Le texte est-il écrit à la main ou dactylographié ? Est-il lisible ? Quelle est sa couleur, son épaisseur... ? 3– LE GRAPHISME LE DESSIN Quelle(s) technique(s) est (sont) utilisée(s) dans cette bande dessinée ? Encre de chine, gouache, crayons pastel, aquarelle, encre, collage, infographie... Le dessinateur joue-t-il sur les dessins : trait, point... ? LA COULEUR Quelle(s) couleur(s) est (sont) utilisée(s) dans cette bande dessinée ? Noir et blanc, noir et blanc + effet de gris, une couleur + noir et/ou blanc, deux ou trois couleurs dominantes, quadrichromie avec ou sans nuances ? La couleur a-t-elle une fonction symbolique dans la BD ? La représentation des personnages et des objets est-elle plutôt réaliste, fantastique, stylisée... ? 9
LES BULLES Comment sont-elles représentées ? Formes, couleurs, typographie,…leur signification ? Quel espace occupent-elles par rapport à l’illustration ? LES IDÉOGRAMMES Sont-ils nombreux ? Que signifient-ils ? 4- LE RYTHME DANS LA BANDE DESSINéE LE RYTHME GRAPHIQUE Quelles techniques cinématographiques le dessinateur utilise-t-il le plus souvent ? Plan panoramique, plan moyen, plan américain, plan rapproché, gros plan, très gros plan, vue en plongée, vue en contre-plongée, fondu enchaîné, champ-contre-champ. LE RYTHME DU TEMPS Comment se déroule la succession des vignettes dans une même planche ? Mise en page conventionnelle, mise en page décorative, mise en page rhétorique. 5- COHéRENCE DU RéCIT COMPRÉHENSION L’histoire est-elle facile à comprendre ? Quel genre de récit développe cette BD ? Policier, science-fiction, espionnage, fantastique, humour, satire intellectuelle, historique, héroïc fantasy, chroniques sociales, historique... Quelle est son originalité par rapport à des BD de même genre ? S’il s’agit d'une BD historique : L’auteur s’est-il documenté ? Y-a-t-il des anachronismes, des invraisemblances ? LES PERSONNAGES Les personnages sont-ils nombreux ? Le héros a-t-il un ou des faire-valoir(s) ? Les héros sont-ils stéréotypés ? Dans quel univers évoluent les personnages ? Réaliste, fictif, caricaturé, humoristique, exotique, historique, fantastique... REPèRES TEMPORELS Le récit est-il situé dans l’espace et le temps ? Où, quand, durée du récit. Les détails sont-ils abondants ? Si oui pourquoi ? SIGNIFICATION Si des animaux sont mis en scène, y a-t-il anthropomorphisme ? Quel rôle jouent-ils ? Y-a-t-il des manifestations de racisme, sexisme ou des intentions politiques ? Les héroïnes dans la BD : ont-elles un rôle important ? Quelle image de la femme renvoient-elles ? 10
La sélection 2019-2020
L'esprit du scorpion APPELEZ-MOI NATHAN Fernando Llor Catherine Castro (Payot) (Presque Lune) p.15 p.51 Concerto pour Noire : la vie main gauche méconnue de Yann Damezin Claudette Colvin (La Boîte à bulles) émilie Plateau (Dargaud) p.19 p.55 des milliards de ptsd miroirs Guillaume Singelin Robin Cousin (FLBLB) (Ankama) p.23 p.59 la langue du diable Révolution, Andrea Ferraris Vol. 1. Liberté (Rackham) Florent Grouazel et Younn p.27 Locard (Actes Sud) p.63 la traversée Sabrina Clément Paurd (2024) Nick Drnaso p.31 (Cambourakis) p.69 la trêve, chérie Thomas Gosselin Saison des roses (l'Employé du Moi) Chloé Wary (FLBLB) p.37 p.75 le dieu vagabond Showtime Antoine Cossé Fabrizio Dori (Sarbacane) (Les Requins Marteaux) p.41 p.79 Le livre de Jessie : Solitude d'un journal de guerre d'une autre genre famille coréenne Kabi Nagata Park Kun-Woong (Casterman) (Pika graphic) p.47 p.83 xibalba Simon Roussin (2024) p.87 13
THÉMATIQUES APPORT ABORDÉES INTERDISCIPLINAIRE Le genre SVT appelez-moi nathan L'estime de soi EMC La famille Le handicap, l'infirmité concerto pour main La musique Histoire gauche La guerre Musique L'écologie, la théorie de des milliards de l'effondrement SVT miroirs La foi EMC L'espace La propriété Histoire Géographie la langue du diable La pauvreté Philosophie L'exploration, la découverte L'armée, la guerre la traversée Le Moyen-Âge Histoire Géographie Le théâtre de l'absurde Le déclin de la biodiversité Français la trêve, chérie Le fantastique SVT La faune et la flore Mythologie grecque Le dieu Trouver sa voie Histoire vagabond Pop Art Arts Plastiques Le conflit Corée-Japon Le livre de Jessie : La seconde guerre mondiale Français journal de guerre Journal intime Histoire d'une famille coréenne L'enfance Guerre de l'ex-Yougoslavie Histoire L'esprit du scorpion Dictature politique Géographie Psychothérapie abusive noire : la vie Les droits civiques Histoire méconnue de Le racisme Français Claudette Colvin Adaptation littéraire EMC Le trouble de stress post-traumatique Histoire P.T.S.D. L'addication EMC La réinsertion dans la société La révolution française révolution. Vol 1, Noblesse Histoire Géographie Liberté Le peuple et la politique Philosophie Les réseaux sociaux Français sabrina Les théories du complot, les fake EMC news
THÉMATIQUES APPORT ABORDÉES INTERDISCIPLINAIRE L'égalité des sexes Français saison des roses Le football EMC L'argot La magie, l'art de la prestidigitation Arts plastiques showtime Le polar, le thriller Français Narrations simultanées La sexualité solitude d'un autre Le Japon et sa culture Français genre Les troubles alimentaires L'autobiographie L'aéropostal Histoire xibalba L'Amérique latine Géographie Les civilisations pré-hispaniques
appelez-moi nathan Scénario dessin éditeur date de catherine quentin payot graphic publication castro zuttion septembre 2018 17
L’HISTOIRE Nathan est né Lila, dans un corps de fille. Un corps qui ne lui a jamais convenu, il décide alors de corriger cette « erreur génétique » avec le soutien indéfectible de sa famille, ses amis, ses profs et, à seize ans, des injections de testostérone de 0,8 mg par mois. Quitte à devenir quelqu’un, autant que ce soit vous-même. Les AUTEURs Catherine Castro est journaliste, grand reporter et auteure. Titulaire d'un master d'histoire à l'Université Panthéon-Sorbonne, elle travaille pour le célèbre magazine Marie-Claire depuis 1998. Elle a également suivi une formation en réalisation documentaire aux Ateliers Varan en 2016. Quentin Zuttion (anciennement surnommé Mr. Q) est un scénariste et dessinateur de bande dessinée. Il a fait de la photo, de la vidéo, de la performance. Il est diplômé à l'École nationale supérieure d'art de Dijon. Après avoir obtenu son diplôme, il fait de l’illustration puis propose ses projets. Très présent sur les réseaux sociaux et connu notamment pour son blog illustré Les petits mensonges de Mr. Q, il trouve un premier éditeur. En 2016, Il publie aux éditions Des ailes sur un tracteur Sous le lit, sous le nom de Mr.Q. Chromatopsie (Éditions Lapin, 2018) est son deuxième livre autour des corps, des sentiments et des couleurs. AVIS / CRITIQUES Que se passe-t-il dans le corps de Lila ? Il change. Pourtant, jamais au grand jamais elle ne s’est sentie fille, elle est un garçon et veut qu’on l’appelle Nathan ! Son long combat pour changer de sexe et d’identité est merveilleusement raconté dans Appelez-moi Nathan, un album bouleversant de Catherine Castro et Quentin Zuttion. « C’est quoi cette blague ? » Un été sur la plage. Lila est dégoutée, ses seins ont poussé. Finies les baignades torse nu, place aux vêtements plus amples et aux binders qui compriment la poitrine. Parce que Lila le sait au plus profond d’elle, elle n’est pas une fille, c’est un garçon. Plus jeune, elle a joué toujours avec les garçons et ne s’est jamais intéressée aux poupées. L’adolescente vit avec ses parents – Papou un peu papa poule – et son frère Théo. Au collège, elle entre en 5e et se retrouve de nouveau avec Faustine, son amie avec qui elle partage plus que les devoirs : elles s’aiment. Quoi de plus normal entre un garçon et une fille. D’ailleurs, c’est elle qui la pousse à s’assumer en tant qu’homme. Devenir un garçon Les séances à la piscine : une galère. L’emprunt du tee-shirt de Théo : une engueulade. Les serviettes hygiéniques : un dégoût. Les cheveux longs : une coupe plus courte et ça change tout. Alors qu’elle se scarifie, sa mère est convoquée par l’infirmière du collège. Puis un soir, à la maison, un dialogue avec ses parents : « – Ma chérie… qu’est-ce qui se passe ? Tu veux devenir un garçon, c’est ça ? 18
– Mais ta gueule ! Tu ne comprends rien ! Je suis un garçon ! Un garçon !!! Vous m’avez fait des seins pourris et une voix de merde !!! J’suis pas un fille !!! Vous n’avez pas de fille. » C’est le début du long parcours du combattant pour changer d’identité et de sexe… Appelez-moi Nathan : un album coup de poing Journaliste au magazine Marie-Claire, Catherine Castro a imaginé Appelez-moi Nathan en s’inspirant de l’histoire de Lucas, le fils d’un couple qu’elle connait depuis de nombreuses années. Lucas est né fille et à fait la démarche de changer de sexe pour être en adéquation avec lui- même. La scénariste entame alors un dialogue avec le jeune adolescent et le rencontre plusieurs fois. Alors qu’il souhaitait rester anonyme, Lucas a fait un grand pas en acceptant, il y a peu, l’invitation de Yann Barthès dans l’émission Quotidien ou celle du Magazine de la santé pour raconter et montrer que cela existe. Parce que oui, il en faut du courage et de la force pour surmonter tout cela : les brimades, les violences verbales, les violences physiques, l’incompréhension des gens qui entourent, de la famille proche et des démarches administratives. Être transgenre en France n’est pas simple. On le constate néanmoins, pendant les interviews : il semble détendu et heureux ! Le coup de poing reçu lorsque le lecteur suit ce témoignage fictionnel, est avant tout parce qu’il est surtout surpris par la violence enfouie et parfois visible de l’adolescent.e. Beaucoup d’adolescents ne se sentent pas bien dans leur peau à cette période charnière, si l’on ajoute à cela un corps que l’on rejette et l’on peut comprendre toute la détresse à faire passer le message. La grande chance de Nathan, c’est qu’il est né dans une famille aisée, ouverte et très compréhensive. Même si ses deux parents et son petit frère se posent de nombreuses questions – comme l’adolescent aussi – ils vont l’accompagner au mieux dans ses démarches chez le psychologue, le médecin de famille et l’endocrinologue. Mais surtout, il a en face de lui des personnes informées et compétentes; ce n’est pas toujours le cas dans le milieu médical. Le lecteur apprécie aussi sa générosité envers ses camarades et ses amis, ainsi que son recul, indispensable pour relever ce challenge. Il prend le temps de discuter et d’expliquer. Il ne cache rien et c’est tout à son honneur. Appelez-moi Nathan n’est pas qu’un album sur le changement de genre, c’est également un récit sur l’adolescence et la relation aux autres. Cette histoire va faire du bien aux personnes qui se posent des questions sur la transidentité, l’homosexualité mais aussi à toutes les autres par son message universel autour de l’amour et du respect. Le récit questionne aussi sur « C’est quoi, un homme ? » dans notre société actuelle, après le Mariage pour tous mais aussi #metoo. Ces 140 pages sont magnifiquement mises en image par Quentin Zuttion. Jeune illustrateur pour la presse (madmoizelle.com) et l’édition, il a déjà publié Chromatopsie, un album aux éditions Lapin. Mr Q comme il peut se faire appeler lorsqu’il signe ses dessins, livre avec Appelez-moi Nathan, des planches tout en délicatesse. Ses superbes couleurs à l’aquarelle lui permettent de restituer les ambiances chaleureuses et parfois violentes de cet merveilleux album. Il y a aussi de la sensualité et de l’émotion dans ses très belles pages. Appelez-moi Nathan : un album qui fait du bien à tout le monde, un parcours de vie qui a valeur d’exemple. Bravo ! Damien Canteau pour Comixtrip.fr 19
L'ÉDITEUR Les Éditions Payot & Rivages est une maison d'édition française, issue du rapprochement en 1992 des activités d'édition de la société suisse Payot, créée en 1900, et de la société française Rivages, créée en 1984. Payot & Rivages a fait l'objet d'une prise de participation majoritaire par Actes Sud en janvier 2013. www.payot-rivages.fr/payot ZOOMS THéMATIQUES le genre l'estime de soi la famille POUR ALLER PLUS LOIN Chronique de Justin qui met en scène Justine La transidentité une adolescente qui veut https://bit.ly/2oIcUZH devenir Justin https://bit.ly/2oMbCfW Podcast France Culture sur la Interview de Lucas & transidentité Catherine Castro https://bit.ly/2oa7p25 https://bit.ly/2pwBvAR 18
Concerto pour main gauche Scénario éditeur collection date de & dessin la boîte contre-jour publication yann damezin à bulles mars 2019 21
L’HISTOIRE Inspiré par la biographie du pianiste autrichien Paul Wittgenstein, Concerto pour main gauche nous transporte dans un univers onirique et poétique, au cœur de la psyché de ce personnage tourmenté, mélancolique et complexe, que seule la musique semble apaiser. Blessé lors de la première guerre mondiale, Paul Wittgenstein fut amputé du bras droit mais poursuivit une carrière de concertiste malgré ce handicap. La fortune laissé par son père lui permit de commander des œuvres pour la main gauche aux plus grands compositeurs de l’époque. Ainsi, c’est à sa demande que Maurice Ravel composa le célèbre Concerto pour la main gauche. Un destin extraordinaire porté par l'élégance et la poésie du dessin de Yann Damezin. Un premier album magistral, entre David B. et Nancy Peña... L'AUTEUR Né en 1991, Yann Damezin a intégré l'école Émile Cohl directement après son bac dans le but de devenir illustrateur. La littérature, le livre et l'image sous toutes leurs formes le passionnent. Ce Lyonnais aime les univers étranges et oniriques, et son travail se nourrit d'influence très diverses : miniature persane, primitifs italiens, expressionnisme etc.. AVIS / CRITIQUES Sa mère avait réussi à l'apprivoiser. Elle lui ouvrait son cœur ainsi que son esprit et en échange, il les lui restituait sous forme d'une composition mélancolique intime, un discours harmonique unique et universel. Ah, le piano. Pour Paul, le rapport avec cet instrument restera toujours ambivalent et conflictuel, particulièrement après la perte de son bras. À la fois échappatoire et torture, l'essence même de l'objet imprégnera et inspirera toute sa vie. Pour ne mentionner que la surdité de Beethoven ou la cécité de Monet, lorsqu'un artiste a été meurtri dans sa chair ou dans ses sens, la force qu'il en tire est toujours à la base d'un souffle créateur incroyable et d'une existence remarquable. Yann Damezin livre ici un superbe ouvrage s'inspirant de la biographie du musicien autrichien Paul Wittgenstein. Il est difficile de séparer le fond de la forme, tant l'un influe sur l'autre en procurant dans leur union, force, sensibilité, poésie et intelligence. La totalité de la destinée de l'homme est relaté, dans ses moments les plus essentiels. De son enfance à sa mort, en passant par la guerre, son accident et ses amours, tout est abordé de manière concise et pertinente. Pour cela, le scénariste-dessinateur emplit 22
ses illustrations d'un symbolisme d'une expressivité et d'une justesse impressionnantes. Il utilise une sorte de bestiaire fantastique à la Bosch, un peu aztèque, un peu astrologique ; du reste, indéfinissable mais tellement beau. Les personnages, quant à eux, pourraient sortir d'un tableau de Miro ou, plus proche du genre, du crayon de David B. L'histoire est dramatique, violente et sombre. Pourtant, le courage et l'obstination de l'individu, malgré ses faiblesses, suscite le respect, à défaut d'admiration. L'onirisme des planches presque surréalistes confère à la sobriété et l'acuité de la prose un souffle qui touche et ensorcelle. Rarement l'alliance du texte et des dessins n'aura été aussi réussie. Première œuvre, Concerto pour main gauche : unique, original, poignant et puissant, juste indispensable. L. Moeneclaey pour BDGest.com L'ÉDITEUR La Boîte à Bulles est une maison d’édition qui publie une quinzaine d’ouvrages chaque année. Elle est fondée en 2003 par Vincent Henry, alors journaliste spécialisé BD et désormais éditeur et scénariste. Ses publications sont souvent les premiers albums d'auteurs débutants. Cependant elle n'exclut pas les auteurs plus expérimentés. Ses publications sont principalement destinées aux adultes. www.la-boite-a-bulles.com ZOOMS THéMATIQUES le handicap POUR l'infirmité la guerre ALLER PLUS LOIN la musique Article France Musique sur le concerto de Ravel https://bit.ly/2oE5tm9 Podcast France TV Info https://bit.ly/2oLiXwk 21
des milliards de miroirs Scénario éditeur collection date de & dessin éditions flblb fictions publication robin cousin mars 2019 25
L’HISTOIRE Le monde est au bord de l’effondrement, les derniers mammifères s’éteignent peu à peu et l’humanité elle-même se résigne à sa propre disparition, quand une découverte inattendue provoque un sursaut mondial. – Ils les ont trouvés ! Ils ont trouvé les Céphéens ! – Ce n’est pas possible ! – Tout le monde en parle, à la télé, dans les journaux ! Ça veut dire qu’ils vous ont entendu. Ils veulent que vous arrêtiez de douter ! – Voyons, Marie-Pierre, c’est sûrement un canular… – Ça vient de l’Agence spatiale européenne ! Depuis le temps qu’ils scrutent l’espace, ils auraient pu nous demander, on leur aurait dit où chercher… L'AUTEUR Robin Cousin est né en 1984. Enfant, il bidouillait des robots à partir d’allumettes et de voitures téléguidées, écrivait des scénarios qu’il déclinait en pièce radiophonique, en bandes dessinées ou en films avec ses cousins et de la pâte à modeler. Tout le monde lui disait qu’il fallait choisir une seule de ces choses pour en faire son métier. Après avoir essayé les arts appliqués et l’architecture d’intérieur, il finit par choisir la bande dessinée. La bande dessinée c’est très complet : il faut savoir faire un peu de dessin, un peu de couleurs, un peu d’écriture, un peu de mise en scène, un peu de jeu d’acteur. Après cinq années aux Beaux- Arts d’Angoulême, il a même écrit son mémoire de master là-dessus. Plus tard, il monte avec des amis les éditions Les Machines et coorganise le F.OFF d’Angoulême. En 2013, après une résidence à la maison des auteurs d’Angoulême, il publie Le Chercheur fantôme (qui reçoit le Prix de la fiction scientifique en 2015), déclaration d’amour à la recherche scientifique et au regard poétique qu’elle offre sur le monde. En 2017 sort Le Profil de Jean Melville « un thriller palpitant qui interroge sans manichéisme les enjeux de la technologie dans la sphère privée. » (Les Inrocks) et reçoit le Prix Révélation ADAGP / Quai des Bulles (et fait partie de la sélection officielle du FIBD d’Angoulême 2018). Un ordinateur peut-il imiter un être humain ? Quels pouvoirs sommes-nous prêts à déléguer aux machines ? Voilà les questions qui l’empêchent de dormir. 26
AVIS / CRITIQUES Cinq ans, c’est la durée de vie estimée de la planète Terre. A court de ressources et foudroyés par le réchauffement climatique, les êtres humains ne se nourrissent plus que d’insectes et tentent de préserver ce qu’il reste de vie animale. Alors qu’un mystérieux gourou nommé Antimaadmi communique par des sons avec des extraterrestres, l’astrophysicienne Cécilia Bressler vient de faire une découverte qui va peut-être changer à jamais le destin de la Terre : à 45 années-lumières, une planète présente des motifs lumineux semblables à ceux d’une image satellite qui montrerait une ville la nuit. Ailleurs existerait la possibilité d’une vie… Après un thriller scientifique (Le Chercheur fantôme) et les implications du Big Data (Le Profil de Jean Melville), le talentueux Robin Cousin revient avec une BD d’anticipation entre science et écologie, interrogeant la possibilité d’une vie extraterrestre sur Gamma Céphée, et ses déclinaisons crépusculaires : ressources limitées d’une Terre à l’agonie, faux-semblants de la science et manipulations politiciennes, illuminations ou hyper-lucidité d’une bande de fervents adeptes… Des milliards de miroirs respire l’ambition sur plus de 254 pages. Quels choix faire face à un effondrement programmé ? Prudence ou action ? La foi ou la science, chacun ira de ses aveuglements ou pensées visionnaires, entre pessimisme réaliste et optimisme idéaliste. Robin Cousin flirte intelligemment avec les caricatures et les dogmatismes pour ses personnages, leur préférant des archétypes pour mieux nuancer son propos : les « déclinologues » ont autant de poids que les impénitents enthousiastes et certains sont même prêts à changer d’avis. Sans manichéisme donc et avec un certain talent pour camper une foule de personnages incarnés – le politicien, le lanceur d’alerte, le scientifique dissident, les embrigadés avec une mention spéciale pour cet intrigant gourou capable de communiquer avec l’au-delà –, Robin Cousin crée un récit vertigineux dans ses questionnements, qui accroche et fait réfléchir, sans sacrifier l’idée d’espoir. On a plus de réserves sur la forme car l’album, peut-être par peur d’être incompris, est parfois bavard ou répétitif et l’approche narrative un peu scolaire. Côté dessin, peu de décors et de l’épure soulignée par des couleurs douces, dans un dispositif qui laisse toute sa place aux textes. Très intéressant par son fond avec une documentation très fine, peut-être davantage plan plan dans sa forme, Des milliards de miroirs rend toutefois palpitante cette quête d’un ailleurs fantasmé. Moins pour ce que l’on peut finalement trouver que la manière d’y arriver. Une pierre de plus dans l’œuvre stimulante de Robin Cousin. M.Ellis pour BoDoï.info 27
L'ÉDITEUR Fondées en 2002, les éditions FLBLB publient bandes dessinées, romans-photos, flip-books, textes illustrés, avec un goût prononcé pour le récit (mais pas que), la dérision et l’humour (mais pas que), l’histoire et le documentaire (mais pas que), en tout cas toujours en lien avec le monde si beau dans lequel on vit (mais pas que). On a failli s’appeler les éditions Mais pas que, finalement on a opté pour FLBLB (le bruit que ça fait quand on tire la langue, « Flebeleb ! ») vachement plus simple à prononcer à tous les âges, nourrisson, ado, dans la force de l’âge ou complètement décrépit-e. www.flblb.com ZOOMS THéMATIQUES l'écologie la théorie de la foi l'espace l'effondrement Théorie de l'effondrement https://bit.ly/2o8ZvtE https://bit.ly/2pxUDhV 28
la langue du diable Scénario éditeur date de & dessin rackham publication andrea novembre 2018 ferraris 29
L’HISTOIRE Le 2 juillet 1831, une éruption volcanique fait émerger une île dans le bras de mer qui sépare la Sicile de la Tunisie. Sa souveraineté est aussitôt disputée. Dès que la nouvelle se répand, l’Angleterre y dépêche un bateau et la France y mène une expédition scientifique. Tous veulent être les premiers à planter leur drapeau sur le point le plus élevé de cette nouvelle terre. Mais, ce jour-là, c’est Salvatore, humble pêcheur du tout proche port de Sciacca de sortie en mer, qui a assisté à la naissance de l’île. Quelques jours plus tard, attiré par le spectacle grandiose de l’éruption, il revient sur les lieux et pose son pied sur la terre brûlante. Il en ramasse machinalement un gros caillou avant de rentrer au port. La nouvelle de l’exploit de Salvatore s’ébruite et Ferdinand, roi des Deux-Siciles, voyant d’un très mauvais œil l’intrusion dans ses domaines de deux grandes puissances, fait convoquer Salvatore par un de ses fidèles : cette terre est sicilienne, un sicilien y a posé le pied en premier et ce caillou en est la preuve ! On propose donc à Salvatore d’en devenir le gouverneur. C’est une chance inespérée ; Salvatore n’y voit que la fin de ses peines. Il sera riche, puissant et pourra enfin épouser la belle et inaccessible Antonia… S’inspirant d’un fait historique – l’existence éphémère de l’île Ferdinandea –, Andrea Ferraris tisse un récit où s’entremêlent aventure et roman psychologique. De l’époustouflant coup de crayon de Ferraris émergent des personnages habités par l’ambition, la passion et la cupidité. Comme un volcan sorti de la Méditerranée, ils s’agitent, mais demeurent cependant prisonniers de l’ordre et des conventions sociales qui finiront par les engloutir, tout comme la mer engloutira bientôt l’île Ferdinandea. L'AUTEUR Andrea Ferraris est né à Gênes en 1966. Il a fréquenté l’école d’illustration et scénographie de Lele Luzzati et a ensuite travaillé comme scénographe théâtral. Sa passion pour la bande dessinée l’a poussé à s’installer à Bologne où, comme le dit lui-même, a « eu la chance de rencontrer des maîtres tels Vittorio Giardino, Andrea Pazienza et Marcello Jori ». En 2011 il a réalisé, avec Giacomo Revelli, une biographie en bande dessinée d’Ottavio Bottecchia le premier italien à remporter le Tour de France en 1924. Il vit et travaille à Turin. 30
AVIS / CRITIQUES En 1831, une éruption volcanique fait jaillir des flots, au large de la Sicile, une île. L’Angleterre y plante un drapeau, la France envoie des scientifiques la mesurer et l’étudier. Les grandes puissances maritimes revendiquent ce bout de caillou fumant au milieu de la Méditerranée. Mais c’est un pêcheur sicilien, pauvre bougre obsédé par la belle Antonia et une réussite sociale qu’il n’atteindra jamais, qui a posé le pied le premier sur le volcan et rapporté une pierre, preuve de son exploit. De quoi faire de l’île une propriété de la Sicile et de son découvreur un gouverneur ! Inspiré d’un fait historique réel, cette Langue du diable est un superbe roman graphique, âpre et bouleversant, poétique et brûlant, comme un film néo-réaliste italien. D’un crayon épais, noir de lave et de poussière, Andrea Ferraris sculpte les visages et les corps, ceux de Salvatore surtout, pêcheur qui s’est un instant vu roi, mais qui n’est qu’un misérable et condamné à le rester. L’auteur de La Cicatrice et Churubusco brosse avec soin la mer, l’éruption, le volcan, pour rendre les éléments aussi expressifs que ses personnages. Et il se fait souvent taiseux pour mieux laisser parler les images et entendre souffler le vent. Métaphore d’un rêve d’ailleurs ou d’une simple élévation sociale, archétype de l’absurdité de la propriété étatique, La Langue du diable est comme un conte moral dur et amer, qui prend souvent aux tripes. Audacieux et d’une grande maîtrise. Benjamin Roure pour BoDoï.info L'ÉDITEUR Fondée en 1989 par Alain David et Michel Lablanquie, Rackham compte parmi les plus anciens éditeurs « alternatifs » de bande dessinée encore en activité. Après des débuts marqués par une production nourrie d’affiches, sérigraphies et lithographies, Rackham se lance dans l’édition de bandes dessinées avec une collection qui présente les travaux de jeunes auteurs comme Jean-Pierre Duffour, Lewis Trondheim, Pascal Rabaté, Riff, Kokor… Les livres, de petit format et en noir et blanc, se détachent nettement de la production de l’époque, dominée par les albums cartonnés couleur de 48 pages ; l’accueil est mitigé et les ventes très faibles, tant et si bien que Rackham est obligé de suspendre ses activités juste après avoir publié Impasse et rouge de Séra et Sin City de Frank Miller (1994, en co-édition avec Vertige Graphic). L’activité de la maison d’édition reprend en 1999, avec l’arrivée de Latino Imparato – qui auparavant avait co-fondé les éditions Vertige Graphic – qui partage avec Alain David le rôle d’éditeur. Le nouveau départ de Rackham est marqué par la publication de 300 de Frank Miller. Tournée vers le domaine étranger, et en particulier la bande dessinée américaine, Rackham poursuit et achève l’édition en français de la série Sin City, tout en publiant des auteurs tels que Joe Sacco, Daniel Clowes, Peter Bagge, Mike Mignola, Will Eisner, Alberto Breccia, Tony Millionaire, Matt Kindt, Alex Robinson (prix révélation à Angoulême 2005 pour De mal en pis). 31
Parallèlement, Rackham publie des bandes dessinées d’auteurs français (Troubs, Tanitoc, Cren & Cerqueux, Morvandiau) et élargit son catalogue par la publication d’auteurs italiens et argentins. Après le départ d’Alain David en 2007, Latino Imparato poursuit seul le développement du catalogue de Rackham, en y intégrant aussi des auteurs venus d’autres horizons, en particulier l’Espagne et les pays nordiques. Rackham publie ainsi les auteurs les plus marquants de la nouvelle vague espagnole : Javier de Isusi, Álvaro Ortiz, David Rubín, Paco Roca, Fermín Solís, Alberto Vázquez… mais aussi les révélations de la bande dessinée nordique : Kati Kovács, Ville Ranta, Aapo Rapi, Liv Strömquist. En 2008, en collaboration avec Yvan Alagbé, Rackham crée la collection Le Signe Noir avec l’intention déclarée d’établir un lien entre passé et avenir de la bande dessinée, entre les ancêtres du récit en images et les expérimentations qui en annoncent le futur, avec une attention particulière pour ses formes les plus inattendues. Dans cette collection trouvent ainsi place les rouleaux patua du West Bengala et les dessins (inédits en français) d’Edward Lear ; au même titre que les strips de Ben Katchor, la recherche picturale de Kamel Khélif et d’Aude Samama et les récits d’Andrea Bruno, de Carlos Nine ou de la jeune prodige catalan Conxita Herrero. Aujourd’hui encore, toujours très attentif à l’évolution du 9e Art, Rackham poursuit sont travail de découvreur de nouveaux talents, en proposant des auteurs tels Andrea Ferraris, Pietro Scarnera (prix révélation à Angoulême 2016 pour Une étoile tranquille, portrait sentimental de Primo Levi) et la polonaise Daria Bogdanska (nominée à Angoulême 2018) tout en continuant à suivre l’œuvre de ses auteurs « historiques », notamment par l’édition ou la réédition des classiques d’Alberto Breccia. www.editions-rackham.com ZOOMS THéMATIQUES l'exploration, la propriété la pauvreté la découverte L'île Ferdinandea https://bit.ly/2nVuDge 32
la traversée Scénario éditeur date de & dessin éditions 2024 publication clément janvier 2019 paurd 33
L’HISTOIRE — La Guerre fait de la pâtée des héros et des justiciers. Le soldat Firmin et son Capitaine arpentent une ligne d’horizon sans fin. Tandis que le Capitaine, sentencieux et sûr de lui, soliloque sur l’Ennemi à pourfendre, Firmin ironise sur leur situation de soldats en errance : séparés de leur régiment, ils cherchent à retrouver le front. Mais le chemin n’est pas tracé, et la bataille semble se jouer toujours un peu plus loin… Faute de fracas et de combats, nos soldats traversent une nature silencieuse ; pourtant, si la Guerre semble se dérober, ses stigmates sont tout aussi assourdissants… Un vieillard qui sombre dans la folie, une mère près d’un bûcher, une auberge pillée : les notes se font dissonantes et viennent ébranler la foi et la raison de nos deux compères. Firmin, tantôt candide, tantôt piquant, et le Capitaine, que son amour de la Patrie aveugle souvent, déambulent d’une rencontre à l’autre, comme menés par un invisible joueur de flûte — et leur voyage devient initiation. L'AUTEUR Clément Paurd, dont la Traversée est la première bande dessinée, partage plus que son immense talent avec une proportion significative du catalogue 2024 : il est trentenaire, plutôt barbu, plutôt grand et il est diplômé de l'atelier d'illustration de la HEAR (qu'on appelait encore les Arts décoratifs de Strasbourg). Ses compagnons de l'époque s'appellent alors Léon Maret, Guillaume Chauchat, Matthias Arégui, Étienne Chaize… Il fait ainsi partie de la glorieuse aventure Belles Illustrations, classieux fanzine paru entre 2008 et 2011. Il est aussi, dans cette période, lauréat du concours Jeunes Talents d'Angoulême. Firmin et son Capitaine, héros de cette Traversée, font d'ailleurs leur première apparition dès le numéro 1 de Belles Illustrations ! Mis en sommeil et repris plusieurs fois, ce livre mûrit ainsi depuis près de dix ans ! Les images de Clément apparaissent ensuite dans Libération, XXI, ou aux éditions Gallimard Jeunesse. Il accompagne aussi, pendant quelques temps, Jean-Christophe Menu dans l'aventure éditoriale l'Apocalypse. Le regard tourné vers l’horizon, fort d’une bravoure et d’une curiosité sans borne, il a bourlingué en mobylette tout autour du monde, vécu à Paris, puis Montréal, puis Paris. Depuis cette année, il enseigne l’illustration au sein de la HEAD de Genève. AVIS / CRITIQUES Un soldat et son capitaine cheminent dans la lande. Ils cherchent à regagner le front. Mais ils ne croisent que des cailloux, des paysans contraints à l’exode, des croque-morts, une caverne interminable, des aubergistes revanchards. Un chien, un bouc. Et des cadavres. [...] La Traversée fait partie des livres qui comptent et qui resteront. Petit théâtre acide et absurde à la Beckett, inspiré des images du XIXe siècle – ces petits soldats de papier à découper pour créer un champ de bataille à hauteur d’enfant –, cet épais album met ainsi en scène des silhouettes dialoguant dans le vide laissé par la guerre. Une guerre invisible, lointaine et pourtant si palpable dans ses conséquences : terre brûlée, habitants devenus meurtriers ou fous, animaux désorientés. Au fur et à mesure de leur route sinueuse, la nature du duo officier-trouffion va se transformer. De hiérarchiques et humiliants, les rapports vont devenir quasi fraternels, car au final, les hommes sont tous de la chair à canon et leurs cendres ont toutes le même goût. 34
Économe en mots mais pas avare d’efforts de mise en scène, Clément Paurd trouve très vite le ton et le rythme justes. En apparence répétitifs, ses dessins sans case sont en réalité d’une grande subtilité. La ligne fine et souple joue sur les détails mouvants des postures, des détails de l’anatomie ou des costumes pour suggérer les émotions. Et l’on se laisse embarquer, s’insurgeant, frémissant, riant (rarement) avec ces deux compères de galère, au destin forcément funeste. Car tout est d’une grande précision, dans le trait comme dans la mise en page, alternant strips et double-pages, faisant naviguer les protagonistes dans tous les sens et tourner la tête du lecteur. Qui refermera le livre étourdi, impressionné et ému aux larmes. Benjamin Roure pour BoDoï.info L'ÉDITEUR Les éditions 2024 voient le jour en 2010 par un jour d’insouciance certain. Si l’on tente de résumer en quelques propositions intelligibles ce qui les anime encore, on obtient : créer un catalogue de livres illustrés et de bandes dessinées, accompagner des démarches d’auteurs cohérentes, et soigner la fabrication des livres. Leur cœur palpite d’abord pour de jeunes autrices et auteurs talentueux, comme Sophie Guerrive, Simon Roussin, Matthias Picard... mais ils aiment également, de temps à autres, remettre en lumière quelques chefs d’œuvres du patrimoine dessiné. Ils crééent également de façon régulière d’étourdissantes expositions prolongeant l’univers de leurs livres. 2019 marque pour eux le début d’une nouvelle aventure, avec la création de notre collection de livres jeunesse : 4048 ! Et en 2024 ? la Terre explosera sûrement d’ici là et leurs livres — lumineux météores — seront projetés aux quatre coins de la voie lactée... glorieux destin ! www.editions2024.com 35
COMMENTAIRES DE L'AUTEUR « Courage ! Mais obéissance » « Firmin et son capitaine semblent égarés sur une route. A ce stade du livre — le premier chapitre, qui figure l’aube —, on ne connaît ni leur mission, ni leur objectif. Ils commencent à parler et à donner des bribes d’informations sur qui ils sont : un soldat d’infanterie, simple fantassin (Firmin) et son supérieur qui, sur cette page, lui donne une leçon sur sa couardise. La langue de terre sur laquelle ils avancent semble se transformer au fil de leur marche, faire corps avec leurs fantasmes ou craintes, et accentue leurs émotions. Elle va prendre la forme de soldats menaçants… Pour la mise en scène, j’ai choisi de répéter les mêmes personnages plusieurs fois sur la même ligne ; c’est une astuce graphique qui permet de ne pas utiliser les cases, ou d’autres codes classiques de la bande dessinée. J’ai préféré utiliser la couleur (sombre, un dégradé de bleu et rouge sombre) plutôt que le noir et blanc pour rendre plus lisible les détails des silhouettes : la lanière du fusil, le chapeau… J’ai dessiné cette séquence de l’aube il y a dix ans — c’est un chapitre que je ne peux plus voir en peinture ! Je trouve, maintenant, le trait assez figé. La Traversée était au départ une histoire en six pages imaginée pour une revue d’étudiants, quand j’étais aux Arts Déco de Strasbourg. Un copain m’avait conseillé d’en faire un récit au long cours, et, pour mon projet de diplôme de fin d’études, j’en avais réalisé soixante-dix pages. Mes démarches auprès des éditeurs ne menant nulle part, j’avais mis l’idée de côté. Et puis j’ai fait du dessin de presse, de l’illustration et des travaux pour la jeunesse, j’ai aussi officié dans l’édition au côté de Jean-Christophe Menu, pour L’Apocalypse, et j’ai vécu à Montréal — où j’ai terminé le crayonné du livre. En 2015, les éditions 2024 se sont montrées intéressées. » Dommage collatéral « Ces deux soldats en quête de guerre vont en voir les conséquences : la famine, un exil rural, un charnier… et aussi une maison incendiée. Nous sommes ici au début du chapitre “zénith” qui, comme son nom l’indique, baigne dans une lumière zénithale. C’est la séquence de toutes les rencontres, elle est donc beaucoup plus bavarde. Après avoir traité mes héros comme des stéréotypes, je tente de leur insuffler une personnalité plus fine. Ici, les voilà face à un incendie : une femme veut entrer dans sa maison en flammes, tandis que son fils essaye de la retenir. Firmin s’interpose. On comprend qu’il y a eu des victimes, probablement les enfants de la femme — on verra ensuite qu’il s’agit d’animaux. Evidemment, La Traversée est un récit antimilitariste. Ses protagonistes prennent conscience que leur mission, la guerre, est absurde. Pour imaginer Firmin et son capitaine, je me suis inspiré d’une tradition d’images populaires de Wissembourg, en Alsace : des bataillons de soldats en papier que les enfants découpaient à la fin du XIXe siècle. Je me suis fixé comme contrainte un dessin plat, en deux dimensions - que je joue parfois à déformer un peu. J’ai aussi puisé dans mon goût pour le théâtre (que j’ai pratiqué en amateur quand j’étais adolescent et jeune adulte). 36
Vous pouvez aussi lire