RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D'UN ENLISEMENT ÉLECTORAL - LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2

 
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RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D'UN ENLISEMENT ÉLECTORAL - LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
Collectif

     RDC : ENJEUX
 ET PORTRAITS AUTOUR
D’UN ENLISEMENT
 D’UN ENLISEMENT
     ÉLECTORAL
 ÉLECTORAL

        LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
© Groupe de recherche
et d’information
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moyennant mention de la source et de l’auteur
Photo de couverture : Bureau de vote au lycée Molière de Kinshasa
lors des élections de 2006 (crédit : UN Photo/Kevin Jordan)

Prix : 8 euros

ISSN : 2466-6734
ISBN : 978-2-87291-081-6

Version PDF :
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Collectif

RDC : ENJEUX ET
PORTRAITS AUTOUR
D’UN ENLISEMENT
ÉLECTORAL

     LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION                               3

LES DIALOGUES DU GLISSEMENT                5

PORTRAITS                                 11
  1. Étienne Tshisekedi                   11
  2. Fred Bauma et la LUCHA               15
  3. Edem Kodjo                           19
  4. La Conférence épiscopale
		 nationale du Congo (CENCO)             22
  5. Samy Badibanga Ntita                 25
  6. Joseph Kabila                        29
  7. Moïse Katumbi                        33

ÉCLAIRAGES THÉMATIQUES                    37
  1. FARDC entre inaction
     et complicité : le cas des ADF       37
  2. Droits fondamentaux :
		 La RDC au-dessus des lois ?            41
  3. Économie congolaise :
		 entre une croissance en trompe-l’œil
		 et un social déconnecté                46
  4. La société civile et les défis
		 de la nouvelle transition congolaise   51
  5. La Justice rongée de l’intérieur     55
INTRODUCTION
 Le 20 décembre 2016, la République démocratique du Congo aurait dû connaître le
 nom de son nouveau Président. Il n’en a rien été. Violée ou mal interprétée – les avis
 divergent –, la Constitution congolaise n’a pu, comme elle l’aurait dû, jouer un rôle
 arbitral sans équivoque dans le processus électoral présidentiel.

 Et pourtant, le moment aurait pu être historique.

 Après de premières élections relativement libres et démocratiques en 2006, suivies
 d’un deuxième scrutin présidentiel en 2011 au résultat contesté, le départ du président
 Joseph Kabila au terme de ses deux mandats aurait pu être un signal démocratique
 fort, adressé non seulement à son successeur mais aussi aux nombreux autres chefs
 d’État africains concernés par une échéance constitutionnelle.

 Au contraire, l’acharnement de Joseph Kabila et de son entourage a brisé net l’élan
 de démocratisation et l’espoir d’un peuple de savourer pleinement les avancées
 démocratiques de son pays. Descendu une première fois dans la rue le 19 janvier 2015
 pour manifester contre la réforme de la loi électorale, il a réitéré avec conviction son
 désir de changement les 19 et 20 septembre, et à nouveau le 20 décembre 2016, à
 Kinshasa et d’autres villes du pays. Chacun de ces appels citoyens au respect de l’ordre
 constitutionnel a été brutalement réprimé, causant la mort de dizaines de manifestants.

 Ce non-respect de la Constitution est bien évidemment dénoncé par l’opposition, qui
 peine toutefois à s’organiser face aux multiples « pièges » tendus par Joseph Kabila.

 C’est ainsi que, pour désamorcer la colère populaire et faire baisser la pression de
 la « communauté internationale », le pouvoir a consenti à négocier avec l’opposition
 politique et la société civile. Ceci a donné lieu à deux processus de « dialogue » :
 le premier avec une frange minoritaire de l’opposition, menée par Vital Kamerhe, le
 second incluant toutes les principales forces politiques congolaises, dont Étienne
 Tshisekedi. Ce dernier « dialogue » a abouti le 31 décembre à un nouvel accord
 de répartition du pouvoir, l’opposition obtenant notamment les postes de Premier
 ministre et de président d’un comité de suivi dudit accord, cette dernière fonction
 étant attribuée à Tshisekedi lui-même, alors que le mode de désignation du chef du
 gouvernement continuait à bloquer la mise en œuvre de l’accord. En contrepartie, le
 président Kabila – qui s’est enfin engagé à ne plus se représenter – est confirmé à
 son poste jusqu’au prochain scrutin, reporté à décembre 2017, simultanément à des
 élections législatives.

 Mais cet accord, qui a bel et bien réussi à éviter que la RDC sombre dans le chaos
 sanglant redouté par de nombreux observateurs, est loin d’avoir réglé tous les
 problèmes et de garantir la tenue effective des élections d’ici la fin 2017.

                                                                                            3
En particulier, on imagine difficilement que l’État pourra les financer adéquatement,
                                                                                     alors que le coût du processus électoral n’est pas inscrit dans le budget courant, un
                                                                                     budget par ailleurs fortement réduit pour 2017 et équivalent à un quart de celui du
                                                                                     Grand-Duché de Luxembourg, un pays plus de 200 fois moins peuplé que le géant
                                                                                     d’Afrique centrale ! En outre, le décès subit de Tshisekedi est venu semer des doutes
                                                                                     sur la solidité de l’accord, en particulier sur la capacité de l’opposition à maintenir une
                                                                                     façade d’unité.

                                                                                     Pour faire le point sur ce dossier complexe, le GRIP publie le présent rapport, consacré
                                                                                     aux principaux acteurs en présence, à des thématiques à prendre en compte pour toute
                                                                                     analyse de la situation politique et à une synthèse du processus de dialogue entre les
                                                                                     partisans de Kabila et ses opposants. La plupart de ces textes ont déjà été édités, entre
                                                                                     novembre 2016 et janvier 2017, dans le format des « Éclairages » du GRIP, et sont
                                                                                     republiés, le cas échéant avec une actualisation tenant compte des derniers événements.

                                                                                     Nous espérons que ce document, fruit d’un travail collectif de plusieurs chercheurs du
                                                                                     GRIP et collaborateurs associés, pourra non seulement permettre au lecteur de mieux
                                                                                     déchiffrer l’actualité récente, mais aussi d’avoir une meilleure conscience du contexte
                                                                                     et des enjeux à l’œuvre dans un pays dont la démocratisation et une juste répartition de
                                                                                     ses immenses ressources représenteraient un grand espoir pour toute l’Afrique.
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                        4
LES DIALOGUES DU GLISSEMENT
                                                                                  par Georges Berghezan

     Le président Joseph Kabila est aux commandes du pays depuis janvier 2001. Il a
     été élu une première fois en 2006, bénéficiant de l’aura de son père, Laurent-Désiré
     Kabila, auquel il a succédé après son assassinat, puis du prestige de l’homme qui a
     réussi à rétablir la paix et réunifier la République démocratique du Congo. Cependant,
     à la veille du scrutin suivant de novembre 2011, sa popularité est en chute libre auprès
     d’une population qui ne bénéficie pas du relèvement économique du pays et voit se
     développer une corruption digne de l’époque de Mobutu. Aussi, pour garantir sa victoire
     face à une opposition divisée, il recourt à des amendements constitutionnels, ramenant
     l’élection à un seul tour, ainsi qu’à une vaste campagne de fraude1.

      La stratégie du glissement
     Cinq ans plus tard, alors qu’il n’a que 45 ans et que son entourage familial et lui-même ont
     amassé une immense fortune2, Joseph Kabila ne semble pas désireux de passer la main.
     Pourtant, la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat. Aussi, en 2013 et
     2014, des ballons d’essai sont lancés pour abroger cette disposition constitutionnelle.
     C’est un échec : l’opposition politique, l’Église catholique, la société civile, divers pays
     occidentaux et même des membres de l’entourage présidentiel s’opposent à cette idée.

     Nouvelle manœuvre en janvier 2015 : le Parlement vote un amendement constitutionnel
     prévoyant d’organiser, avant toute nouvelle élection, un recensement de la population,
     une procédure qui durerait environ trois ans. En réaction, des émeutes éclatent, surtout
     à Kinshasa et à Goma, et la répression fait au moins plusieurs dizaines de tués. Mais le
     Parlement enclenche une marche arrière et abandonne l’amendement contesté.

     Face à l’impossibilité de changer la Constitution, Kabila et sa Majorité présidentielle
     (MP), la coalition de partis qui lui est fidèle, changent de tactique. La seule solution qui
     reste est d’empêcher l’élection d’un successeur en retardant indéfiniment le prochain
     scrutin présidentiel. Tout simplement en ne dotant pas la Commission électorale
     nationale indépendante (CENI), chargée de l’organiser, des moyens nécessaires à sa
     tâche, c’est-à-dire au moins un milliard de dollars3, la CENI réclamant même 1,8 milliard4.

1.   Voir, par exemple, RDC : Élections tronquées en République démocratique du Congo, Ligue des électeurs / Fédération
     internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), 30 mars 2012 ou RDC : la crédibilité des résultats des élections de
     2011 mise en cause par l’UE, RFI, 30 mars 2012.
2.   Michael Kavanagh, Thomas Wilson et Franz Wild, With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In, Bloomberg,
     15 décembre 2016.
3.   Alors que le budget de l’État, de quelque 9 milliards USD en 2015, a été réduit à 4,5 milliards en 2017. Voir RDC : le projet
     de budget 2017 à nouveau sérieusement revu à la baisse, RTBF, 25 octobre 2016.
4.   Élections en RDC : la CENI présente un budget de 1,8 milliard USD, Radio Okapi, 6 décembre 2016.

                                                                                                                                     5
En outre, une firme franco-néerlandaise, Gemalto, a été contractée, non pas pour
                                                                                          actualiser le fichier électoral utilisé en 2011, mais pour en créer un nouveau5. Cela coûte
                                                                                          plus cher, mais a l’avantage de justifier un allongement des délais.

                                                                                          Enfin, pour bétonner ce « glissement » des délais légaux, la Cour constitutionnelle
                                                                                          invoque, dans un arrêt du 11 mai 2016, l’article 70 de la Constitution qui affirme que « Le
                                                                                          président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq
                                                                                          ans renouvelable une seule fois », mais aussi que, « à la fin de son mandat, le président de
                                                                                          la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ».
                                                                                          Autrement dit, pas d’élection, pas de successeur, et Kabila reste en place.

                                                                                          Restent deux petits problèmes à régler : la population, à travers tout le pays, et plus
                                                                                          seulement dans l’Ouest traditionnellement hostile à Kabila, est éreintée par ses seize
                                                                                          ans de règne, tandis que l’opposition politique est impatiente de voir un représentant
                                                                                          issu de ses rangs lui succéder. La stratégie du glissement doit donc être complétée par
                                                                                          un semblant d’ouverture politique et des compromis avec l’opposition, d’autant plus
                                                                                          que, à partir du 19 septembre 2016, date théorique de convocation du corps électoral,
                                                                                          Kinshasa a de nouveau été ensanglantée par des émeutes lourdement réprimées.

                                                                                           Le premier dialogue et l’accord du 18 octobre
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                          C’est ainsi que, en vue de parvenir à un consensus pour l’organisation d’élections
                                                                                          « crédibles et apaisées », s’est ouvert le 1er septembre, après plusieurs semaines de
                                                                                          tractations, un « dialogue » entre la MP et l’opposition, ou du moins certaines franges
                                                                                          de celle-ci. En effet, les principaux ténors de l’opposition, dont Étienne Tshisekedi,
                                                                                          président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et arrivé en
                                                                                          seconde position à la présidentielle de 2011, et Moïse Katumbi, dernier gouverneur
                                                                                          de l’ex-province du Katanga, homme d’affaires et propriétaire d’un des meilleurs clubs
                                                                                          de football d’Afrique, le TP Mazembe, ont refusé d’y participer. Notons que ces deux
                                                                                          hommes, longtemps rivaux, ont scellé une alliance, en juin 2016 lors du conclave
                                                                                          de Genval (Belgique), en formant, avec d’autres chefs de file de l’opposition, un
                                                                                          Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. En dehors
                                                                                          du Rassemblement, la plupart des représentants du Mouvement de libération du
                                                                                          Congo (MLC), le principal parti d’opposition au Parlement, se sont également abstenus
                                                                                          de participer à ces négociations. Parmi les raisons invoquées par ce « front du refus »,
                                                                                          on trouve notamment une hostilité marquée à l’encontre du médiateur délégué par
                                                                                          l’Union africaine (UA), l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, perçu comme un
                                                                                          proche de Kabila, les entraves mises à la liberté des médias ou le maintien en détention
                                                                                          de prisonniers politiques.

                                                                                          Dans l’opposition, le principal parti à s’être joint à ces négociations tenues à la Cité de
                                                                                          l’UA à Kinshasa a été l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, arrivé
                                                                                          en troisième place à l’élection présidentielle de 2011.

                                                                                     5.   Coupable implication européenne dans le glissement de Kabila : Une tricherie CENI – Gemalto, Le Potentiel, repris par
                                                                                          7sur7.cd, 12 septembre 2016.

                        6
Y ont également participé quelques transfuges de l’UDPS et du MLC, promptement
     désavoués par leurs partis respectifs, ainsi que certains représentants de la société
     civile. En outre, après avoir longtemps tergiversé, un parti moins important, l’Opposition
     républicaine de Kengo wa Dondo, ancien Premier ministre de Mobutu, a finalement
     accepté de participer aux négociations. Elles ont abouti, le 18 octobre, à la signature
     d’un accord prévoyant principalement la formation d’un gouvernement d’union nationale
     présidé par un représentant de l’opposition ; le report de l’élection présidentielle en avril
     2018, simultanément à des scrutins législatifs nationaux et provinciaux ; le maintien à
     son poste du président Kabila jusqu’à cette date ; la constitution d’un nouveau fichier
     électoral ; la réforme de la CENI ; et la mise en place d’un comité de suivi6.

     Il fallut attendre encore un mois pour que Kabila nomme le Premier ministre, en la
     personne de Samy Badibanga, un dissident de l’UDPS, alors qu’on s’attendait plutôt
     à ce que le poste échoie à Kamerhe. Un nouveau mois a été nécessaire au nouveau
     Premier ministre pour former son gouvernement, comportant la bagatelle de 67
     membres, 44 ministres – dont seulement 17 provenant des rangs de l’(ex-)opposition
     – et 23 vice-ministres7.

     Le 19 décembre, jour de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement,
     coïncidait avec le dernier jour théorique du mandat de Kabila. À l’appel de l’opposition, et
     malgré le blocage des médias sociaux et un quadrillage intense des forces de sécurité,
     une journée « ville morte » a paralysé Kinshasa, tandis que des violences éclataient
     le lendemain dans la capitale, mais aussi à Lubumbashi et dans les principales villes
     du Kongo central, le nouveau nom de la province du Bas-Congo. Mais le soulèvement
     généralisé que d’aucuns annonçaient n’a pas eu lieu. Plus que la répression et le
     déploiement sécuritaire massif, le facteur primordial qui semble l’avoir désamorcé est
     le début d’un dialogue qualifié, cette fois-ci, d’« inclusif ».

      Le second dialogue et l’accord du 31 décembre
     Ce nouveau dialogue, sous les auspices de la Conférence épiscopale nationale du
     Congo (CENCO), émanation de la très influente Église catholique de RDC, a débuté le
     8 décembre au Centre interdiocésain de Kinshasa, siège de cette même CENCO. La
     crainte d’une situation échappant à tout contrôle a certainement beaucoup joué, à la
     fois du côté du pouvoir que de l’opposition, pour accepter d’entamer ces pourparlers,
     qualifiés « de la dernière chance ». Y ont participé, outre des représentants de la société
     civile, l’essentiel des forces politiques congolaises, tant celles qui ont signé l’accord du
     18 octobre, c’est-à-dire la MP et la frange minoritaire de l’opposition, regroupée dans
     une nouvelle plateforme, l’Opposition politique signataire de l’accord (OPSA), que
     celles qui ne l’ont pas signé, principalement le MLC et ses alliés, coalisés dans un Front
     pour le respect de la constitution (FRC) créé entretemps, et le Rassemblement.

6.   Une copie non officielle de l’accord du 18 octobre est disponible sous :
     http://www.mediacongo.net/dpics/files/2016-10-19-03-32-44_Dialogue_Accord_politique.pdf.
7.   RDC : Samy Badibanga publie son gouvernement, Radio Okapi, 20 décembre 2016 et Gouvernement Badibanga : le PPRD
     en tête avec dix ministères, Radio Okapi, 22 décembre 2016.

                                                                                                                       7
Après avoir opté pour un travail en commissions et au bout de plusieurs prolongations,
                                                                                          les négociations se sont achevées, le 31 décembre, par la conclusion d’un « accord
                                                                                          politique global et inclusif », prévoyant explicitement que, en application de l’article 70
                                                                                          de la Constitution, « ayant accompli deux mandats », Kabila « ne peut donc en briguer
                                                                                          un troisième », mais est néanmoins autorisé à rester « en fonction jusqu’à l’installation
                                                                                          effective de son successeur élu ». La même règle s’appliquera pour les sénateurs et
                                                                                          députés nationaux et provinciaux. Quant au Premier ministre, il sera « présenté par
                                                                                          l’opposition politique non signataire de l’accord du 18 octobre 2016/Rassemblement »8.
                                                                                          Exit donc Badibanga et place à un Premier ministre vraisemblablement issu de l’UDPS.

                                                                                          Comme dans l’accord précédent, les élections présidentielles et législatives nationales
                                                                                          et provinciales se tiendront simultanément, mais « au plus tard en décembre 2017 »,
                                                                                          soit quatre mois plus tôt que ce qui avait été convenu en octobre. En outre, il est
                                                                                          précisé que des élections locales, encore jamais organisées depuis le renversement
                                                                                          de Mobutu, se tiendront en 2018.  Concernant le financement de ces scrutins, l’accord
                                                                                          se limite à des recommandations, exhortations et encouragements, et à une exigence
                                                                                          de transparence de la part de la CENI, qui devra être « redynamisée » dans le sens
                                                                                          que recommandera le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA), une structure de 28
                                                                                          membres qui sera dirigée par le président du Conseil des sages du Rassemblement,
                                                                                          c’est-à-dire Étienne Tshisekedi. Le CNSA sera donc responsable de la mise en œuvre
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                          de l’accord, mais ne sera pas doté de pouvoirs contraignants.

                                                                                          Parmi les autres points principaux de l’accord de la Saint-Sylvestre, notons la nomination,
                                                                                          « dans le respect de l’inclusivité », de nouveaux membres du Conseil supérieur de
                                                                                          l’audiovisuel et de la communication (CSAC), qui devra garantir un accès équitable
                                                                                          aux médias publics, et des mesures de « décrispation politique », soit essentiellement
                                                                                          l’examen, par une Commission de hauts magistrats, des dossiers de prisonniers
                                                                                          politiques. Les parties « ont pris acte avec satisfaction » que les poursuites engagées
                                                                                          contre quatre opposants ont déjà été traités. Parmi ceux-ci, Roger Lumbala, accusé de
                                                                                          connivence avec les rebelles du M-23, a pu revenir sans problème à Kinshasa après une
                                                                                          période d’exil en Belgique. Par contre, Moïse Moni Della, un proche de Moïse Katumbi,
                                                                                          a dû patienter jusqu’au 28 janvier pour quitter sa geôle à Makala, principale prison de la
                                                                                          capitale congolaise. Enfin, la CENCO était chargée de « poursuivre ses bons offices »
                                                                                          pour résoudre deux autres « cas emblématiques », dont celui de Moïse Katumbi,
                                                                                          également en exil en Belgique après sa condamnation dans une affaire controversée
                                                                                          de spoliation immobilière.

                                                                                           La troisième mi-temps
                                                                                          L’accord conclu, restait à le signer. Si la plupart des participants au dialogue
                                                                                          – en particulier ceux de la MP et du Rassemblement – l’ont fait le jour-même de sa
                                                                                          conclusion, les représentants du FRC ont attendu jusqu’au 14 janvier pour y apposer leur
                                                                                          signature, après un ordre émis par le président du MLC, Jean-Pierre Bemba, depuis sa

                                                                                     8.   Une copie non officielle de l’accord est disponible sous http://www.africanewsrdc.com/wp-content/uploads/2017/01/
                                                                                          DOC-20170102-WA0011.pdf.

                        8
cellule néerlandaise de La Haye. Les trois derniers signataires, qui ont attendu jusqu’au
     27 janvier pour s’exécuter, proviennent des rangs de l’OPSA et sont tous trois ministres
     du gouvernement de Samy Badibanga. Ce dernier, qui n’est pas partie prenante à
     l’accord, semble continuer à le récuser, dissimulant mal que sa principale motivation
     est de rester quelques semaines supplémentaires à la tête du gouvernement, visant
     vraisemblablement la session parlementaire ordinaire devant débuter le 15 mars 2017.
     Par contre, Vital Kamerhe, chef de file de l’OPSA, mais non sélectionné pour participer
     au gouvernement Badibanga, a bel et bien signé l’accord, et ce dès le 31 décembre.

     Ces réticences et cet échelonnement des signatures ont poussé les délégués de la
     MP à déclarer, dès le lendemain de la conclusion de l’accord, qu’ils ne l’avaient signé
     que « sous réserve », avançant qu’il n’était pas suffisamment « inclusif ». Par ailleurs,
     la volonté de conclure le dialogue avant la fin de l’année a empêché de régler plusieurs
     points cruciaux. Aussi, il a été annoncé que certaines questions devraient faire l’objet
     d’un « arrangement particulier », autrement dit d’un nouveau cycle de négociations, qui
     a débuté le 6 janvier.

     Près de trois semaines plus tard, une des principales questions en suspens demeurait
     le mode de désignation du nouveau Premier ministre. D’un côté, le Rassemblement
     – auquel échoit ce poste – demande que le président Kabila entérine purement et
     simplement la nomination de son candidat, probablement Félix Tshisekedi, le fils
     d’Étienne. En face, la MP demande qu’une liste de cinq noms soit soumise au Président
     pour qu’il y puise le nom qui lui semble le plus acceptable. Si un accord a finalement
     pu être trouvé sur la taille du gouvernement, qui devrait comporter 53 ministres et
     vice-ministres, ainsi que sur le nombre de portefeuilles attribués à chaque partie9, leur
     répartition continuait à alimenter le débat, les deux principaux acteurs réclamant chacun
     que leur soient attribués quelques « gros » ministères, dont l’Intérieur, la Justice et les
     Mines, tous trois aux mains de partisans de la MP dans le gouvernement Badibanga.

     Un autre point de blocage porte sur la composition du CNSA, ce comité de surveillance
     de la mise en œuvre de l’accord, en particulier sur le choix de ses trois vice-présidents.
     En outre, le décès inopiné d’Étienne Tshisekedi le 1er février à Bruxelles entraîne la
     disparition de son président, le seul poste qui ait été nommément attribué dans l’Accord
     de la Saint-Sylvestre. Logiquement, avant de trouver un remplaçant au Sphinx de
     Limete à la tête du CNSA, il faudra d’abord que le Rassemblement s’accorde sur le nom
     du président de son Comité des sages, puisque le titulaire de cette dernière fonction
     est automatiquement celui de l’autre. Le processus menant à cette nomination sera
     probablement le premier stress test important de la cohésion d’un Rassemblement
     orphelin de sa figure charismatique.

9.   D’après RDC: accord sur la répartition des postes au sein du gouvernement d’union, RFI, 27 janvier 2017; cette répartition
     est la suivante : MP : 21, Rassemblement : 16, OPSA : 11, Opposition républicaine : 3 et société civile : 2.

                                                                                                                                  9
Un mois après le début des négociations d’arrangement particulier, et alors que le
                                                                                     décès de Tshisekedi a entraîné leur suspension pour une durée indéterminée, quelques
                                                                                     avancées sont confirmées : la quasi-totalité des participants au dialogue de la CENCO
                                                                                     ont signé l’Accord de la Saint-Sylvestre, la MP a cessé de rechigner à propos de sa
                                                                                     supposée « non-inclusivité » et les quelques « mesures de décrispation » mises en
                                                                                     œuvre par le pouvoir semblent satisfaire le Rassemblement.

                                                                                     Toutefois, l’objectif étant d’organiser des élections apaisées avant la fin de l’année, des
                                                                                     questions cruciales demeurent sans réponse, car pratiquement passées sous silence
                                                                                     par l’Accord de la Saint-Sylvestre, principalement un calendrier précis du processus
                                                                                     électoral, alors que la révision du fichier électoral n’a que fort timidement débuté,
                                                                                     et dans quelques provinces seulement, et le problème apparemment insoluble du
                                                                                     financement. À moins d’un apport massif de fonds de la « communauté internationale »,
                                                                                     ce qu’elle fit lors du premier scrutin présidentiel de 2006, ou d’un rapatriement-surprise
                                                                                     des sommes pharamineuses détournées par les caciques du régime vers des paradis
                                                                                     fiscaux, on ne voit vraiment pas comment le rachitique budget 2017 de l’État congolais
                                                                                     permettra de dégager les centaines de millions de dollars nécessaires à l’organisation
                                                                                     des élections.

                                                                                     En attendant, le processus de négociations sans fin en vue, les retards accumulés
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                     en querelles de répartition de postes et le laps de temps qui sera nécessaire
                                                                                     au Rassemblement pour « digérer » la disparition de Tshisekedi ont, au moins
                                                                                     provisoirement, réussi à désamorcer la colère populaire et à faire baisser la pression
                                                                                     internationale sur Kabila, maintenant assuré de rester au pouvoir, en toute légitimité, au
                                                                                     moins une année supplémentaire.

      10
PORTRAITS
1. ÉTIENNE TSHISEKEDI                                                                        10

                                                                                                  par Clément Hut

     Étienne Tshisekedi, le « président » comme se plaisait à l’appeler son entourage, a créé
     la surprise en mettant, en juillet 2016, un terme à sa convalescence en Belgique, où il
     séjournait depuis 2014, pour rentrer à Kinshasa et diriger l’opposition dans sa passe
     d’armes avec la Majorité présidentielle (MP). Opposant des gouvernements Mobutu
     à partir des années 1980, puis de ceux de Laurent et Joseph Kabila, le fondateur de
     l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) cristallise et rassemble autour de
     lui une opposition réfractaire aux conclusions du premier « dialogue politique ». Jusqu’à
     son décès, à 84 ans, celui qui, tour à tour, a été un ordonnateur et un observateur de la
     vie politique congolaise, disposait toujours d’une considérable influence.

     Du gouvernement à l’opposition,
     un récit politique tourmenté
     Né en 1932 au Kasaï-Oriental, dans ce qui était alors le Congo belge, Étienne Tshisekedi
     wa Mulumba poursuit des études au Kasaï-Occidental puis à Kinshasa, et devient le
     premier docteur en droit du pays.

     C’est à la suite du départ précipité de l’administration coloniale belge et de l’éviction
     du Premier ministre Patrice Lumumba que l’étudiant se retrouve propulsé dans l’arène
     politique. Il prend le poste de Commissaire adjoint à la Justice dans le Collège des
     Commissaires généraux, un gouvernement temporaire mis en place par Mobutu, alors
     colonel. Jusqu’en 1965, sa formation juridique le conduit à occuper diverses positions
     dans la nouvelle administration, et lui permet d’entrer dans le cercle rapproché de
     Mobutu, promu entretemps au grade de général. Au sein des gouvernements successifs,
     Tshisekedi occupe les rôles de ministre de l’Intérieur (1965-1968), de la Justice (1968-
     1969) et de ministre d’État chargé du plan (1969). Ce passage dans l’administration
     mobutiste laissera des traces dans sa carrière politique. En plus de son rôle dans la
     pendaison des « Martyrs de la Pentecôte »11, il est déchu de ses droits politiques en
     1998 pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba.

10. Ce texte a initialement été publié, le 25 novembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages
    thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2154. Il a subi diverses modifications afin de tenir
    compte de l’actualité.
11. Le 2 juin 1966, quatre hauts fonctionnaires de la République du Congo, accusés d’avoir comploté contre le chef de l’État,
    sont pendus publiquement. Tshisekedi, alors ministre de l’Intérieur, déclarait à leur propos : « L’action pénale ne doit pas
    toujours être répressive, mais préventive : il faut prévenir tous ceux qui étaient dans le coup, et ceux qui attendaient leur
    tour, pour qu’ils puissent voir avec quelle sévérité on punit ce genre d’infraction (…) notamment de connivence avec les
    milieux de la haute finance étrangère que nous combattons pour les intérêts supérieurs de la nation. »

                                                                                                                                    11
Au cours de ces années, des dissonances se font progressivement sentir avec le
                                                                                          Maréchal-Président. L’imposition du monolithisme politique, avec la mise en place d’un
                                                                                          système de parti unique, concourt à séparer les deux hommes. En effet, Tshisekedi
                                                                                          avait contribué à la rédaction de la version initiale du manifeste de la N’Sele prévoyant
                                                                                          notamment un système bipartite. Le massacre des étudiants de Lovanium en 196912
                                                                                          contribue à consommer la rupture entre les deux caciques du régime, et Tshisekedi est
                                                                                          écarté du pouvoir exécutif.

                                                                                          S’ouvre alors, pour celui qui a été très proche de Mobutu pendant une vingtaine
                                                                                          d’années, une période d’alternance entre emprisonnement et exil intérieur, alors que son
                                                                                          engagement dans l’opposition se confirme. Cette mise au ban est progressive : Étienne
                                                                                          Tshisekedi est dans un premier temps écarté du pouvoir exécutif et nommé ambassadeur
                                                                                          du Zaïre au Maroc, pendant moins d’un an. Il officie par la suite en tant que député du
                                                                                          Kasaï-Oriental jusqu’à son arrestation en 1980. Le 1er novembre 1980, la Lettre ouverte
                                                                                          adressée au Maréchal-Président qu’il cosigne avec douze autres parlementaires,
                                                                                          souligne sa distanciation avec l’exécutif et constitue l’acte fondateur de l’UDPS. Dans
                                                                                          cette lettre, Tshisekedi et les parlementaires s’opposent à la toute-puissance du parti
                                                                                          présidentiel, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), et avancent une série de
                                                                                          propositions pour démocratiser le pays. En tant que président de l’UDPS, Tshisekedi
                                                                                          dénonce le système de parti unique et la mainmise de Mobutu sur le pays, à travers son
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                          parti auquel chaque Zaïrois doit adhérer. Cette fronde assumée lui vaudra d’être arrêté
                                                                                          six fois entre 1983 et 1988. C’est à la suite de quatorze mois d’assignation en résidence
                                                                                          surveillée, en 1991, qu’il entame une tournée politique qui le porte en Amérique du
                                                                                          Nord et en Europe de l’Ouest et l’érige en figure de proue internationale de l’opposition
                                                                                          au Maréchal-Président.

                                                                                          Trois fois Premier ministre en six ans
                                                                                          Le pouvoir exécutif, qui vacille déjà au début des années 1990, tente alors de tempérer
                                                                                          une contestation populaire qui enfle. Pour ce faire, Mobutu coopte unilatéralement
                                                                                          Tshisekedi qui devient alors Premier ministre, une première expérience de courte
                                                                                          durée entre septembre et novembre 1991. L’année suivante, la Conférence nationale
                                                                                          souveraine13 le réélit à ce poste le 15 août. Son passage est tout aussi bref, miné par
                                                                                          des différences irréconciliables avec les caciques du régime. Une fois restructurée,
                                                                                          l’opposition à Mobutu le nomme chef de l’Opposition démocratique interne en 1993,
                                                                                          alors que la vie politique se polarise entre les tenants du mobutisme et une opposition
                                                                                          large et diverse.

                                                                                     12. Le 4 juin 1969, les étudiants de l’Université de Lovanium (Kinshasa) descendent dans les rues pour demander une plus
                                                                                         grande autonomie universitaire ainsi que l’amélioration des conditions matérielles des étudiants. La répression sanglante
                                                                                         de cette manifestation pacifique fait 30 morts.
                                                                                     13. Sous la pression internationale, le régime a consenti à organiser cette conférence rassemblant, entre 1990 et 1992, des
                                                                                         délégués représentant toutes les couches de la population dans le but de démocratiser la société zaïroise.

      12
Alors qu’est sur le point de s’achever la première guerre du Congo14, Tshisekedi reprend,
     très brièvement en avril 1997 ses fonctions de Premier ministre à l’initiative du Parlement
     de transition. La main tendue par Tshisekedi à l’Alliance des forces démocratiques pour
     la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila plait peu au Président malade
     qui choisit de l’écarter une nouvelle fois. Cet énième passage éclair lui ôte définitivement
     l’envie d’occuper un poste dans un gouvernement qui ne lui serait pleinement acquis.

     À la suite d’une nouvelle période d’alternance entre exil interne et emprisonnement
     dans ce qui est maintenant la République démocratique du Congo (RDC), il refuse, en
     2003, de participer au gouvernement de Joseph Kabila qui occupe le pouvoir laissé
     vacant par l’assassinat de son père.

     Une avancée démocratique se profile avec le dialogue intercongolais organisé à Sun
     City en Afrique du Sud et la signature d’un accord global et exclusif qui prévoient des
     élections multipartites en 2006. Alors qu’il l’avait appelé de ses vœux pendant trois
     décennies, l’opposant historique fait cependant le choix d’emmener l’UDPS dans
     le boycott du scrutin. Moins d’un an après la victoire de Joseph Kabila, il doit quitter
     la RDC dans un avion médicalisé. Cet exil prend fin en 2010, alors que le mandat du
     Président touche à sa fin et que les préparatifs pour les élections de 2011 sont entamés.
     Cette fois-ci, l’UDPS se lance à corps perdu dans la bataille présidentielle. Candidat
     malheureux face au président sortant réélu, il dénonce avec véhémence les résultats de
     l’élection dès le lendemain du scrutin, s’arrogeant unilatéralement et dès cet instant le
     titre de « président », qualificatif qui ne l’a pas quitté depuis.

      L’éternel chantre de l’opposition ?
     En 2014, le chef de l’UDPS doit de nouveau quitter son pays pour raisons médicales.
     Cette période est marquée par sa quasi-disparition du paysage médiatique, seules de
     rares vidéos où il apparait affaibli témoignent de la persistance de son combat. Cette
     absence de la vie publique et cet éloignement du Congo ne semblent toutefois pas
     affecter sa popularité : c’est en effet une foule en liesse, massivement présente dès
     l’aéroport de N’Djili et sur tout le parcours, qui l’accueille lors de son retour à Kinshasa le
     27 juillet 2016, témoignant de la capacité du « sphinx de Limete » à mobiliser les masses.
     Entretemps, il a marqué de son empreinte le colloque de Genval (Belgique) qui a permis la
     formation d’un « Rassemblement des forces politiques et sociales de la RDC acquises au
     changement », regroupant la majorité des forces d’opposition, dont l’UDPS, et exigeant la
     tenue de l’élection présidentielle selon les termes prévus par la Constitution.

     Le « dialogue politique » convoqué par Kabila, afin de rassembler autour de la même
     table l’ensemble des forces politiques de la RDC, officiellement pour préparer des
     « élections apaisées », en réalité pour entériner leur report, est donc boudé par le
     Rassemblement.

14. La première guerre du Congo est un conflit intervenu d’octobre 1996 à mai 1997, au terme duquel Mobutu Sese Seko fut
    chassé du pouvoir par des troupes rebelles soutenues par le Rwanda et l’Ouganda et remplacé par Laurent-Désiré Kabila. La
    deuxième guerre du Congo (1998-2003) résulta de la rupture de l’alliance entre L-D Kabila et ces deux pays, qui envahirent le
    Congo et placèrent aux commandes de près de la moitié de son territoire des mouvements rebelles à leur solde.

                                                                                                                                    13
Tshisekedi se pose en pourfendeur de ce « dialogue », que seuls ont rejoint la
                                                                                     mouvance présidentielle et une portion minime de l’opposition. Les appels répétés du
                                                                                     gouvernement et du médiateur Edem Kodjo pour que l’UDPS et Tshisekedi s’y joignent
                                                                                     sont restés sans réponse.

                                                                                     Se positionnant en porte-à-faux de la stratégie de « glissement » adopté par Kabila,
                                                                                     il ordonne par voie de presse au président de respecter les délais constitutionnels,
                                                                                     affirmant que « le 20 décembre, la maison doit être libre ».

                                                                                     Cependant, à quelques semaines de cette date fatidique, à laquelle un nouveau
                                                                                     Président aurait dû entrer en fonction, il parvient à arracher à Kabila un second dialogue,
                                                                                     inclusif cette fois. Sous la médiation de la Conférence épiscopale congolaise (CENCO),
                                                                                     MP et opposition parviennent à trouver un accord dans la nuit de la Saint-Sylvestre.
                                                                                     Un nouveau calendrier électoral et une refonte du partage du pouvoir politique durant
                                                                                     la transition sont convenus. En particulier, en sa qualité de président du comité des
                                                                                     sages du Rassemblement, Tshisekedi est nommé président du Comité national de suivi
                                                                                     de l’Accord. Mais sa mise en œuvre pose problème, ce qui ouvre un nouveau volet de
                                                                                     négociations sur les « arrangements particuliers » jugés nécessaires. Alors que des
                                                                                     avancées décisives sont obtenues – en ce qui concerne notamment la clé de répartition
                                                                                     des postes au sein du nouveau gouvernement –, Tshisekedi doit quitter, pour la troisième
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                     fois en dix ans, le Congo et se faire hospitaliser en Belgique. Le « président » s’éteint à
                                                                                     Bruxelles le 1er février 2017, victime d’une embolie pulmonaire.

                                                                                     Alors que les différentes composantes politiques butent encore sur le mode de
                                                                                     désignation du nouveau Premier ministre, la mort du Sphinx soulève de nouvelles
                                                                                     incertitudes. L’UDPS, parti qui domine le Rassemblement, semble avoir évité l’écueil
                                                                                     que représente la succession de la présidence du parti, en se rassemblant derrière le
                                                                                     fils du défunt, Félix Antoine Tshisekedi. Lors de la cérémonie qui s’est tenue au Palais du
                                                                                     Heysel à Bruxelles, en mémoire de l’opposant, les différentes délégations du parti ont
                                                                                     en effet plébiscité le fils. Les négociations autour de la mise en œuvre de l’accord du 31
                                                                                     décembre ont, elles, été suspendues jusqu’à la fin des funérailles. La date de leur reprise
                                                                                     est cependant bien incertaine. À l’UDPS, qui réclame que ce soit un nouveau Premier
                                                                                     ministre issu de ses rangs qui accueille la dépouille de Tshisekedi, la MP répond qu’elle
                                                                                     refusera toute négociation jusqu’à la fin des funérailles. En l’état, il semble bien incertain
                                                                                     que les différentes parties se plient à l’appel de l’ancienne secrétaire de l’Union africaine,
                                                                                     Nkosazana Dlamini-Zuma, qui enjoignait les forces politiques congolaises à mettre en
                                                                                     œuvre l’accord dans les plus brefs délais, dans un dernier hommage à la constance de
                                                                                     l’engagement d’Étienne Tshisekedi en faveur de la démocratie.

      14
2. FRED BAUMA ET LA LUCHA                                                                                       15

                                                                                               par Clément Hut

     Libéré le 29 août 2016 après près de dix-huit mois d’incarcération, Fred Bauma, militant
     de la toute première heure de la Lutte pour le changement (LUCHA) est devenu l’un des
     visages d’une nouvelle génération congolaise, exigeante et porteuse de changement.
     Aucun portrait de Fred Bauma ne saurait omettre la place prioritaire qu’occupe
     désormais le mouvement dans sa vie ni faire l’impasse sur l’histoire particulière de
     Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.

     La LUCHA tout d’abord. Si Fred Bauma en est devenu l’une des personnalités visibles,
     c’est davantage dû à son parcours, marqué par un long emprisonnement, que par
     sa position dans un mouvement caractérisé par son horizontalité et son absence de
     hiérarchie. Goma ensuite, car l’engagement du jeune militant – et aussi la raison d’être
     de la LUCHA –, s’enracinent dans les conflictualités qui structurent la région.

     Retour sur l’un de ces jeunes qui entendent façonner le Congo d’aujourd’hui et de
     demain.

     Opposer la résilience à la violence politique :
     genèse de la LUCHA
     La LUCHA, jeune et audacieux collectif citoyen créé en 2012, souhaite opposer à la
     violence qui endeuille les Kivus une nouvelle manière pacifique de faire de la politique et
     de créer un destin commun. On peut la lire comme une contre-émanation de l’histoire
     sanglante de la région, une réaction contraire aux groupes qui entendent faire porter
     leur voix et imposer leur vision par les armes. Ancienne perle urbaine du lac Kivu, la
     ville de Goma a connu depuis les années 1990 une succession quasi ininterrompue de
     violences, produit des tensions régionales et locales.

     Dès 1994, elle bascule dans le chaos dès les premières heures du génocide rwandais,
     étant frontalière de Gisenyi et à seulement 75 kilomètres de l’Ouganda. Alors que le
     génocide prend fin, sous l’effet de l’offensive du Front patriotique rwandais, près de
     650 000 réfugiés y affluent et s’installent dans des camps de fortune aux abords de la
     ville. Deux ans plus tard, alors que le règne de Mobutu vacille, les rebelles de l’Alliance des
     forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) y pénètrent puis poursuivent
     leur offensive sur Kinshasa, dont ils s’emparent en mai 1997. L’accession au pouvoir de
     Laurent-Désiré Kabila marque la fin de la « première guerre du Congo ».

15. Ce texte a initialement été publié, le 5 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages
    thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2170.

                                                                                                                                 15
Mais la paix ne dure pas et une seconde guerre éclate après la rupture de l’alliance entre
                                                                                          Kabila et ses mentors rwandais et ougandais. Ceux-ci envahissent à nouveau la RDC et
                                                                                          Goma devient le centre nerveux de l’occupation rwandaise, avec notamment la mise en
                                                                                          place d’un « Rassemblement congolais pour la démocratie » pro-Kigali.

                                                                                          Les accords de Sun City, signés en 2003 en Afrique du Sud, mettent un terme au second
                                                                                          conflit et prévoient la création d’une nouvelle force armée nationale, intégrant des
                                                                                          éléments des différents groupes en conflit jusqu’alors. Cependant, particulièrement au
                                                                                          Kivu, des groupes armés, congolais et de pays voisins, vont proliférer et multiplier les
                                                                                          exactions contre les civils, surtout dans les campagnes. Un de ces groupes, le M-23,
                                                                                          composé de déserteurs de l’armée congolaise soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, va
                                                                                          même s’emparer de Goma pendant une dizaine de jours en novembre 2012.

                                                                                          Fred Bauma : visage d’un « mouvement sans leader »                                                     16

                                                                                          L’histoire de la région apparait comme essentielle pour comprendre la forme actuelle
                                                                                          de la LUCHA, et ses méthodes d’actions. Composé de jeunes, témoins de deux
                                                                                          décennies de violences et désemparés face à l’état déplorable du pays et à l’avenir qu’il
                                                                                          leur réserve, le collectif apparait comme une alternative crédible mais aussi comme
Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL

                                                                                          un défi à tous ceux qui continuent de vouloir forger le destin du pays par la force des
                                                                                          armes. L’organisation entend promouvoir un « Congo de liberté, un Congo de justice,
                                                                                          un Congo de paix, un Congo prospère, un Congo véritablement indépendant17 ».

                                                                                          Fred Bauma est à Goma en mai 2012 lorsqu’il s’agit de réfléchir, avec d’autres jeunes de
                                                                                          la ville, aux responsabilités de l’État mais aussi à celles des citoyens eux-mêmes face au
                                                                                          délitement du pays. En effet, selon lui, être citoyen vous donne des droits mais aussi des
                                                                                          devoirs auxquels vous ne pouvez manquer. C’est donc sans moyens financiers, mais
                                                                                          avec des idées et de la conviction, que lui et ses camarades décident de se mobiliser
                                                                                          une première fois, le 1er mai à l’occasion de la fête du travail. Tout un symbole pour un
                                                                                          pays qui n’en propose pas à sa jeunesse.

                                                                                          Le collectif est en marche. Dès cet instant, Fred Bauma ne cessera de s’y investir,
                                                                                          identifiant les uns après les autres les défis majeurs – amélioration de la situation socio-
                                                                                          économique par une plus grande redevabilité des autorités – du pays et les actions les
                                                                                          plus pertinentes et symboliques pour les présenter. Marches pacifiques, sit-in ; malgré
                                                                                          leur caractère non violent, ces actions ont été parfois l’occasion de confrontations avec
                                                                                          les autorités publiques et même d’arrestations.

                                                                                          Ouverte sur le continent, s’inspirant de ses figures tutélaires – à l’instar de Mandela –,
                                                                                          la LUCHA garde des liens ténus avec d’autres organisations qui façonnent une Afrique
                                                                                          nouvelle, comme le Balai citoyen au Burkina Faso ou Y’en a Marre au Sénégal.

                                                                                     16. Interview de Fred Bauma par Michel Luntumbue et Pierre Martinot, le 10 octobre 2016, paru dans l’ouvrage collectif « Une
                                                                                         jeunesse africaine en quête de changement ».
                                                                                     17. Manifeste de la LUCHA.

      16
C’est d’ailleurs dans le cadre d’un atelier avec ces mouvements à Kinshasa, à l’occasion
     du lancement d’un autre collectif, Filimbi – qui regroupe plusieurs associations
     congolaises – que Fred Bauma est arrêté le 15 mars 2015. Détenu près de trois mois
     par l’Agence nationale de renseignements dans une prison secrète, sans droit de
     visite ni avocat, il est par la suite transféré à Makala. C’est dans la plus grande prison
     du pays, à Kinshasa, qu’il passe quinze mois, accusé d’« avoir comploté contre la vie
     ou contre la personne du chef de l’État », selon le ministère public. Sous la pression
     conjointe des chancelleries nord-américaines et européennes, la Cour suprême décide
     sa libération conditionnelle, le 29 août 2016. Si la libération des prisonniers politiques
     est une condition de l’opposition pour rallier le « dialogue », Fred Bauma est néanmoins
     l’un des rares à bénéficier de cette amnistie. Les charges retenues contre lui ne sont
     cependant pas abandonnées et la date de son procès doit toujours être fixée. La fragilité
     de sa situation juridique ne l’empêche pourtant pas de reprendre très vite ses activités
     militantes. C’est ainsi que la LUCHA n’a en effet pas souhaité se joindre au « dialogue
     politique »18, estimant que les conditions préalables pour un dialogue constructif n’ont
     pas été remplies. L’organisation estime également ne pas avoir eu de garantie que
     celui-ci n’aboutisse pas à un partage du pouvoir et parvienne à organiser des élections
     dans les délais constitutionnels.

     Fred Bauma fait écho de la position de l’organisation, qui juge qu’au-delà des effets
     d’annonce, les mesures de décrispation politique n’ont pas porté leurs fruits. Il fustige
     ainsi le fait que « pendant qu’on libère des personnes, on en arrête d’autres »19. Pour
     le militant, la stratégie du gouvernement, alternant « crispation » et « décrispation »,
     contribue à un climat délétère, où le dialogue ne saurait être serein, alors que les voix
     dissidentes sont le plus souvent étouffées.

     Son organisation reproche aux autorités la répression qui s’est abattue sur les médias
     dont les lignes éditoriales n’ont pas été jugées suffisamment favorables aux autorités.
     En effet, depuis 2015, les fermetures de journaux, radios locales et stations de télévision
     se sont multipliées. En 2016, les radios étrangères ont aussi été visées. À plusieurs
     reprises, le pouvoir coupe le signal de Radio France internationale (RFI) et celui de
     Radio Okapi, qui dépend de l’ONU, puis perturbe les fréquences de RFI au Congo-
     Brazzaville, écoutée à Kinshasa. Dans le même élan, Lambert Mende, le ministre de
     la Communication du gouvernement Matata sortant signera un arrêté stipulant que la
     diffusion des médias internationaux en RDC est conditionnée à une prise de contrôle
     des Congolais sur leur entreprise.

     En novembre 2016, Fred Bauma dénonce la restriction de l’espace démocratique auprès
     de l’Union européenne et devant le Congrès américain et plaide pour un renforcement
     de la pression internationale sur le régime.

18. Georges Berghezan, Le glissement suffira-t-il à éviter la chute de Kabila ?, Éclairage du GRIP, 25 novembre 2016.
19. Trésor Kibangula, Fred Bauma : « La LUCHA attend de pied ferme un nouveau président en RDC à la fin de l’année », Jeune
    Afrique, 5 septembre 2016.

                                                                                                                              17
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