RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D'UN ENLISEMENT ÉLECTORAL - LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
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Collectif RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL ÉLECTORAL LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
© Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité Chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33 Courriel: admi@grip.org Site Internet: www.grip.org Twitter : @grip_org Facebook : GRIP.1979 Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est une association sans but lucratif. La reproduction est autorisée, moyennant mention de la source et de l’auteur Photo de couverture : Bureau de vote au lycée Molière de Kinshasa lors des élections de 2006 (crédit : UN Photo/Kevin Jordan) Prix : 8 euros ISSN : 2466-6734 ISBN : 978-2-87291-081-6 Version PDF : http://www.grip.org/fr/node/2272 Les rapports du GRIP sont également diffusés sur www.i6doc.com, l’édition universitaire en ligne. Le GRIP bénéficie du soutien du Service de l’Éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles www.educationpermanente.cfwb.be
Collectif RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL LES RAPPORTS DU GRIP 2017/2
TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 3 LES DIALOGUES DU GLISSEMENT 5 PORTRAITS 11 1. Étienne Tshisekedi 11 2. Fred Bauma et la LUCHA 15 3. Edem Kodjo 19 4. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) 22 5. Samy Badibanga Ntita 25 6. Joseph Kabila 29 7. Moïse Katumbi 33 ÉCLAIRAGES THÉMATIQUES 37 1. FARDC entre inaction et complicité : le cas des ADF 37 2. Droits fondamentaux : La RDC au-dessus des lois ? 41 3. Économie congolaise : entre une croissance en trompe-l’œil et un social déconnecté 46 4. La société civile et les défis de la nouvelle transition congolaise 51 5. La Justice rongée de l’intérieur 55
INTRODUCTION Le 20 décembre 2016, la République démocratique du Congo aurait dû connaître le nom de son nouveau Président. Il n’en a rien été. Violée ou mal interprétée – les avis divergent –, la Constitution congolaise n’a pu, comme elle l’aurait dû, jouer un rôle arbitral sans équivoque dans le processus électoral présidentiel. Et pourtant, le moment aurait pu être historique. Après de premières élections relativement libres et démocratiques en 2006, suivies d’un deuxième scrutin présidentiel en 2011 au résultat contesté, le départ du président Joseph Kabila au terme de ses deux mandats aurait pu être un signal démocratique fort, adressé non seulement à son successeur mais aussi aux nombreux autres chefs d’État africains concernés par une échéance constitutionnelle. Au contraire, l’acharnement de Joseph Kabila et de son entourage a brisé net l’élan de démocratisation et l’espoir d’un peuple de savourer pleinement les avancées démocratiques de son pays. Descendu une première fois dans la rue le 19 janvier 2015 pour manifester contre la réforme de la loi électorale, il a réitéré avec conviction son désir de changement les 19 et 20 septembre, et à nouveau le 20 décembre 2016, à Kinshasa et d’autres villes du pays. Chacun de ces appels citoyens au respect de l’ordre constitutionnel a été brutalement réprimé, causant la mort de dizaines de manifestants. Ce non-respect de la Constitution est bien évidemment dénoncé par l’opposition, qui peine toutefois à s’organiser face aux multiples « pièges » tendus par Joseph Kabila. C’est ainsi que, pour désamorcer la colère populaire et faire baisser la pression de la « communauté internationale », le pouvoir a consenti à négocier avec l’opposition politique et la société civile. Ceci a donné lieu à deux processus de « dialogue » : le premier avec une frange minoritaire de l’opposition, menée par Vital Kamerhe, le second incluant toutes les principales forces politiques congolaises, dont Étienne Tshisekedi. Ce dernier « dialogue » a abouti le 31 décembre à un nouvel accord de répartition du pouvoir, l’opposition obtenant notamment les postes de Premier ministre et de président d’un comité de suivi dudit accord, cette dernière fonction étant attribuée à Tshisekedi lui-même, alors que le mode de désignation du chef du gouvernement continuait à bloquer la mise en œuvre de l’accord. En contrepartie, le président Kabila – qui s’est enfin engagé à ne plus se représenter – est confirmé à son poste jusqu’au prochain scrutin, reporté à décembre 2017, simultanément à des élections législatives. Mais cet accord, qui a bel et bien réussi à éviter que la RDC sombre dans le chaos sanglant redouté par de nombreux observateurs, est loin d’avoir réglé tous les problèmes et de garantir la tenue effective des élections d’ici la fin 2017. 3
En particulier, on imagine difficilement que l’État pourra les financer adéquatement, alors que le coût du processus électoral n’est pas inscrit dans le budget courant, un budget par ailleurs fortement réduit pour 2017 et équivalent à un quart de celui du Grand-Duché de Luxembourg, un pays plus de 200 fois moins peuplé que le géant d’Afrique centrale ! En outre, le décès subit de Tshisekedi est venu semer des doutes sur la solidité de l’accord, en particulier sur la capacité de l’opposition à maintenir une façade d’unité. Pour faire le point sur ce dossier complexe, le GRIP publie le présent rapport, consacré aux principaux acteurs en présence, à des thématiques à prendre en compte pour toute analyse de la situation politique et à une synthèse du processus de dialogue entre les partisans de Kabila et ses opposants. La plupart de ces textes ont déjà été édités, entre novembre 2016 et janvier 2017, dans le format des « Éclairages » du GRIP, et sont republiés, le cas échéant avec une actualisation tenant compte des derniers événements. Nous espérons que ce document, fruit d’un travail collectif de plusieurs chercheurs du GRIP et collaborateurs associés, pourra non seulement permettre au lecteur de mieux déchiffrer l’actualité récente, mais aussi d’avoir une meilleure conscience du contexte et des enjeux à l’œuvre dans un pays dont la démocratisation et une juste répartition de ses immenses ressources représenteraient un grand espoir pour toute l’Afrique. Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL 4
LES DIALOGUES DU GLISSEMENT par Georges Berghezan Le président Joseph Kabila est aux commandes du pays depuis janvier 2001. Il a été élu une première fois en 2006, bénéficiant de l’aura de son père, Laurent-Désiré Kabila, auquel il a succédé après son assassinat, puis du prestige de l’homme qui a réussi à rétablir la paix et réunifier la République démocratique du Congo. Cependant, à la veille du scrutin suivant de novembre 2011, sa popularité est en chute libre auprès d’une population qui ne bénéficie pas du relèvement économique du pays et voit se développer une corruption digne de l’époque de Mobutu. Aussi, pour garantir sa victoire face à une opposition divisée, il recourt à des amendements constitutionnels, ramenant l’élection à un seul tour, ainsi qu’à une vaste campagne de fraude1. La stratégie du glissement Cinq ans plus tard, alors qu’il n’a que 45 ans et que son entourage familial et lui-même ont amassé une immense fortune2, Joseph Kabila ne semble pas désireux de passer la main. Pourtant, la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat. Aussi, en 2013 et 2014, des ballons d’essai sont lancés pour abroger cette disposition constitutionnelle. C’est un échec : l’opposition politique, l’Église catholique, la société civile, divers pays occidentaux et même des membres de l’entourage présidentiel s’opposent à cette idée. Nouvelle manœuvre en janvier 2015 : le Parlement vote un amendement constitutionnel prévoyant d’organiser, avant toute nouvelle élection, un recensement de la population, une procédure qui durerait environ trois ans. En réaction, des émeutes éclatent, surtout à Kinshasa et à Goma, et la répression fait au moins plusieurs dizaines de tués. Mais le Parlement enclenche une marche arrière et abandonne l’amendement contesté. Face à l’impossibilité de changer la Constitution, Kabila et sa Majorité présidentielle (MP), la coalition de partis qui lui est fidèle, changent de tactique. La seule solution qui reste est d’empêcher l’élection d’un successeur en retardant indéfiniment le prochain scrutin présidentiel. Tout simplement en ne dotant pas la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée de l’organiser, des moyens nécessaires à sa tâche, c’est-à-dire au moins un milliard de dollars3, la CENI réclamant même 1,8 milliard4. 1. Voir, par exemple, RDC : Élections tronquées en République démocratique du Congo, Ligue des électeurs / Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), 30 mars 2012 ou RDC : la crédibilité des résultats des élections de 2011 mise en cause par l’UE, RFI, 30 mars 2012. 2. Michael Kavanagh, Thomas Wilson et Franz Wild, With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In, Bloomberg, 15 décembre 2016. 3. Alors que le budget de l’État, de quelque 9 milliards USD en 2015, a été réduit à 4,5 milliards en 2017. Voir RDC : le projet de budget 2017 à nouveau sérieusement revu à la baisse, RTBF, 25 octobre 2016. 4. Élections en RDC : la CENI présente un budget de 1,8 milliard USD, Radio Okapi, 6 décembre 2016. 5
En outre, une firme franco-néerlandaise, Gemalto, a été contractée, non pas pour actualiser le fichier électoral utilisé en 2011, mais pour en créer un nouveau5. Cela coûte plus cher, mais a l’avantage de justifier un allongement des délais. Enfin, pour bétonner ce « glissement » des délais légaux, la Cour constitutionnelle invoque, dans un arrêt du 11 mai 2016, l’article 70 de la Constitution qui affirme que « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois », mais aussi que, « à la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ». Autrement dit, pas d’élection, pas de successeur, et Kabila reste en place. Restent deux petits problèmes à régler : la population, à travers tout le pays, et plus seulement dans l’Ouest traditionnellement hostile à Kabila, est éreintée par ses seize ans de règne, tandis que l’opposition politique est impatiente de voir un représentant issu de ses rangs lui succéder. La stratégie du glissement doit donc être complétée par un semblant d’ouverture politique et des compromis avec l’opposition, d’autant plus que, à partir du 19 septembre 2016, date théorique de convocation du corps électoral, Kinshasa a de nouveau été ensanglantée par des émeutes lourdement réprimées. Le premier dialogue et l’accord du 18 octobre Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL C’est ainsi que, en vue de parvenir à un consensus pour l’organisation d’élections « crédibles et apaisées », s’est ouvert le 1er septembre, après plusieurs semaines de tractations, un « dialogue » entre la MP et l’opposition, ou du moins certaines franges de celle-ci. En effet, les principaux ténors de l’opposition, dont Étienne Tshisekedi, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et arrivé en seconde position à la présidentielle de 2011, et Moïse Katumbi, dernier gouverneur de l’ex-province du Katanga, homme d’affaires et propriétaire d’un des meilleurs clubs de football d’Afrique, le TP Mazembe, ont refusé d’y participer. Notons que ces deux hommes, longtemps rivaux, ont scellé une alliance, en juin 2016 lors du conclave de Genval (Belgique), en formant, avec d’autres chefs de file de l’opposition, un Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. En dehors du Rassemblement, la plupart des représentants du Mouvement de libération du Congo (MLC), le principal parti d’opposition au Parlement, se sont également abstenus de participer à ces négociations. Parmi les raisons invoquées par ce « front du refus », on trouve notamment une hostilité marquée à l’encontre du médiateur délégué par l’Union africaine (UA), l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, perçu comme un proche de Kabila, les entraves mises à la liberté des médias ou le maintien en détention de prisonniers politiques. Dans l’opposition, le principal parti à s’être joint à ces négociations tenues à la Cité de l’UA à Kinshasa a été l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, arrivé en troisième place à l’élection présidentielle de 2011. 5. Coupable implication européenne dans le glissement de Kabila : Une tricherie CENI – Gemalto, Le Potentiel, repris par 7sur7.cd, 12 septembre 2016. 6
Y ont également participé quelques transfuges de l’UDPS et du MLC, promptement désavoués par leurs partis respectifs, ainsi que certains représentants de la société civile. En outre, après avoir longtemps tergiversé, un parti moins important, l’Opposition républicaine de Kengo wa Dondo, ancien Premier ministre de Mobutu, a finalement accepté de participer aux négociations. Elles ont abouti, le 18 octobre, à la signature d’un accord prévoyant principalement la formation d’un gouvernement d’union nationale présidé par un représentant de l’opposition ; le report de l’élection présidentielle en avril 2018, simultanément à des scrutins législatifs nationaux et provinciaux ; le maintien à son poste du président Kabila jusqu’à cette date ; la constitution d’un nouveau fichier électoral ; la réforme de la CENI ; et la mise en place d’un comité de suivi6. Il fallut attendre encore un mois pour que Kabila nomme le Premier ministre, en la personne de Samy Badibanga, un dissident de l’UDPS, alors qu’on s’attendait plutôt à ce que le poste échoie à Kamerhe. Un nouveau mois a été nécessaire au nouveau Premier ministre pour former son gouvernement, comportant la bagatelle de 67 membres, 44 ministres – dont seulement 17 provenant des rangs de l’(ex-)opposition – et 23 vice-ministres7. Le 19 décembre, jour de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, coïncidait avec le dernier jour théorique du mandat de Kabila. À l’appel de l’opposition, et malgré le blocage des médias sociaux et un quadrillage intense des forces de sécurité, une journée « ville morte » a paralysé Kinshasa, tandis que des violences éclataient le lendemain dans la capitale, mais aussi à Lubumbashi et dans les principales villes du Kongo central, le nouveau nom de la province du Bas-Congo. Mais le soulèvement généralisé que d’aucuns annonçaient n’a pas eu lieu. Plus que la répression et le déploiement sécuritaire massif, le facteur primordial qui semble l’avoir désamorcé est le début d’un dialogue qualifié, cette fois-ci, d’« inclusif ». Le second dialogue et l’accord du 31 décembre Ce nouveau dialogue, sous les auspices de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), émanation de la très influente Église catholique de RDC, a débuté le 8 décembre au Centre interdiocésain de Kinshasa, siège de cette même CENCO. La crainte d’une situation échappant à tout contrôle a certainement beaucoup joué, à la fois du côté du pouvoir que de l’opposition, pour accepter d’entamer ces pourparlers, qualifiés « de la dernière chance ». Y ont participé, outre des représentants de la société civile, l’essentiel des forces politiques congolaises, tant celles qui ont signé l’accord du 18 octobre, c’est-à-dire la MP et la frange minoritaire de l’opposition, regroupée dans une nouvelle plateforme, l’Opposition politique signataire de l’accord (OPSA), que celles qui ne l’ont pas signé, principalement le MLC et ses alliés, coalisés dans un Front pour le respect de la constitution (FRC) créé entretemps, et le Rassemblement. 6. Une copie non officielle de l’accord du 18 octobre est disponible sous : http://www.mediacongo.net/dpics/files/2016-10-19-03-32-44_Dialogue_Accord_politique.pdf. 7. RDC : Samy Badibanga publie son gouvernement, Radio Okapi, 20 décembre 2016 et Gouvernement Badibanga : le PPRD en tête avec dix ministères, Radio Okapi, 22 décembre 2016. 7
Après avoir opté pour un travail en commissions et au bout de plusieurs prolongations, les négociations se sont achevées, le 31 décembre, par la conclusion d’un « accord politique global et inclusif », prévoyant explicitement que, en application de l’article 70 de la Constitution, « ayant accompli deux mandats », Kabila « ne peut donc en briguer un troisième », mais est néanmoins autorisé à rester « en fonction jusqu’à l’installation effective de son successeur élu ». La même règle s’appliquera pour les sénateurs et députés nationaux et provinciaux. Quant au Premier ministre, il sera « présenté par l’opposition politique non signataire de l’accord du 18 octobre 2016/Rassemblement »8. Exit donc Badibanga et place à un Premier ministre vraisemblablement issu de l’UDPS. Comme dans l’accord précédent, les élections présidentielles et législatives nationales et provinciales se tiendront simultanément, mais « au plus tard en décembre 2017 », soit quatre mois plus tôt que ce qui avait été convenu en octobre. En outre, il est précisé que des élections locales, encore jamais organisées depuis le renversement de Mobutu, se tiendront en 2018. Concernant le financement de ces scrutins, l’accord se limite à des recommandations, exhortations et encouragements, et à une exigence de transparence de la part de la CENI, qui devra être « redynamisée » dans le sens que recommandera le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA), une structure de 28 membres qui sera dirigée par le président du Conseil des sages du Rassemblement, c’est-à-dire Étienne Tshisekedi. Le CNSA sera donc responsable de la mise en œuvre Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL de l’accord, mais ne sera pas doté de pouvoirs contraignants. Parmi les autres points principaux de l’accord de la Saint-Sylvestre, notons la nomination, « dans le respect de l’inclusivité », de nouveaux membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), qui devra garantir un accès équitable aux médias publics, et des mesures de « décrispation politique », soit essentiellement l’examen, par une Commission de hauts magistrats, des dossiers de prisonniers politiques. Les parties « ont pris acte avec satisfaction » que les poursuites engagées contre quatre opposants ont déjà été traités. Parmi ceux-ci, Roger Lumbala, accusé de connivence avec les rebelles du M-23, a pu revenir sans problème à Kinshasa après une période d’exil en Belgique. Par contre, Moïse Moni Della, un proche de Moïse Katumbi, a dû patienter jusqu’au 28 janvier pour quitter sa geôle à Makala, principale prison de la capitale congolaise. Enfin, la CENCO était chargée de « poursuivre ses bons offices » pour résoudre deux autres « cas emblématiques », dont celui de Moïse Katumbi, également en exil en Belgique après sa condamnation dans une affaire controversée de spoliation immobilière. La troisième mi-temps L’accord conclu, restait à le signer. Si la plupart des participants au dialogue – en particulier ceux de la MP et du Rassemblement – l’ont fait le jour-même de sa conclusion, les représentants du FRC ont attendu jusqu’au 14 janvier pour y apposer leur signature, après un ordre émis par le président du MLC, Jean-Pierre Bemba, depuis sa 8. Une copie non officielle de l’accord est disponible sous http://www.africanewsrdc.com/wp-content/uploads/2017/01/ DOC-20170102-WA0011.pdf. 8
cellule néerlandaise de La Haye. Les trois derniers signataires, qui ont attendu jusqu’au 27 janvier pour s’exécuter, proviennent des rangs de l’OPSA et sont tous trois ministres du gouvernement de Samy Badibanga. Ce dernier, qui n’est pas partie prenante à l’accord, semble continuer à le récuser, dissimulant mal que sa principale motivation est de rester quelques semaines supplémentaires à la tête du gouvernement, visant vraisemblablement la session parlementaire ordinaire devant débuter le 15 mars 2017. Par contre, Vital Kamerhe, chef de file de l’OPSA, mais non sélectionné pour participer au gouvernement Badibanga, a bel et bien signé l’accord, et ce dès le 31 décembre. Ces réticences et cet échelonnement des signatures ont poussé les délégués de la MP à déclarer, dès le lendemain de la conclusion de l’accord, qu’ils ne l’avaient signé que « sous réserve », avançant qu’il n’était pas suffisamment « inclusif ». Par ailleurs, la volonté de conclure le dialogue avant la fin de l’année a empêché de régler plusieurs points cruciaux. Aussi, il a été annoncé que certaines questions devraient faire l’objet d’un « arrangement particulier », autrement dit d’un nouveau cycle de négociations, qui a débuté le 6 janvier. Près de trois semaines plus tard, une des principales questions en suspens demeurait le mode de désignation du nouveau Premier ministre. D’un côté, le Rassemblement – auquel échoit ce poste – demande que le président Kabila entérine purement et simplement la nomination de son candidat, probablement Félix Tshisekedi, le fils d’Étienne. En face, la MP demande qu’une liste de cinq noms soit soumise au Président pour qu’il y puise le nom qui lui semble le plus acceptable. Si un accord a finalement pu être trouvé sur la taille du gouvernement, qui devrait comporter 53 ministres et vice-ministres, ainsi que sur le nombre de portefeuilles attribués à chaque partie9, leur répartition continuait à alimenter le débat, les deux principaux acteurs réclamant chacun que leur soient attribués quelques « gros » ministères, dont l’Intérieur, la Justice et les Mines, tous trois aux mains de partisans de la MP dans le gouvernement Badibanga. Un autre point de blocage porte sur la composition du CNSA, ce comité de surveillance de la mise en œuvre de l’accord, en particulier sur le choix de ses trois vice-présidents. En outre, le décès inopiné d’Étienne Tshisekedi le 1er février à Bruxelles entraîne la disparition de son président, le seul poste qui ait été nommément attribué dans l’Accord de la Saint-Sylvestre. Logiquement, avant de trouver un remplaçant au Sphinx de Limete à la tête du CNSA, il faudra d’abord que le Rassemblement s’accorde sur le nom du président de son Comité des sages, puisque le titulaire de cette dernière fonction est automatiquement celui de l’autre. Le processus menant à cette nomination sera probablement le premier stress test important de la cohésion d’un Rassemblement orphelin de sa figure charismatique. 9. D’après RDC: accord sur la répartition des postes au sein du gouvernement d’union, RFI, 27 janvier 2017; cette répartition est la suivante : MP : 21, Rassemblement : 16, OPSA : 11, Opposition républicaine : 3 et société civile : 2. 9
Un mois après le début des négociations d’arrangement particulier, et alors que le décès de Tshisekedi a entraîné leur suspension pour une durée indéterminée, quelques avancées sont confirmées : la quasi-totalité des participants au dialogue de la CENCO ont signé l’Accord de la Saint-Sylvestre, la MP a cessé de rechigner à propos de sa supposée « non-inclusivité » et les quelques « mesures de décrispation » mises en œuvre par le pouvoir semblent satisfaire le Rassemblement. Toutefois, l’objectif étant d’organiser des élections apaisées avant la fin de l’année, des questions cruciales demeurent sans réponse, car pratiquement passées sous silence par l’Accord de la Saint-Sylvestre, principalement un calendrier précis du processus électoral, alors que la révision du fichier électoral n’a que fort timidement débuté, et dans quelques provinces seulement, et le problème apparemment insoluble du financement. À moins d’un apport massif de fonds de la « communauté internationale », ce qu’elle fit lors du premier scrutin présidentiel de 2006, ou d’un rapatriement-surprise des sommes pharamineuses détournées par les caciques du régime vers des paradis fiscaux, on ne voit vraiment pas comment le rachitique budget 2017 de l’État congolais permettra de dégager les centaines de millions de dollars nécessaires à l’organisation des élections. En attendant, le processus de négociations sans fin en vue, les retards accumulés Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL en querelles de répartition de postes et le laps de temps qui sera nécessaire au Rassemblement pour « digérer » la disparition de Tshisekedi ont, au moins provisoirement, réussi à désamorcer la colère populaire et à faire baisser la pression internationale sur Kabila, maintenant assuré de rester au pouvoir, en toute légitimité, au moins une année supplémentaire. 10
PORTRAITS 1. ÉTIENNE TSHISEKEDI 10 par Clément Hut Étienne Tshisekedi, le « président » comme se plaisait à l’appeler son entourage, a créé la surprise en mettant, en juillet 2016, un terme à sa convalescence en Belgique, où il séjournait depuis 2014, pour rentrer à Kinshasa et diriger l’opposition dans sa passe d’armes avec la Majorité présidentielle (MP). Opposant des gouvernements Mobutu à partir des années 1980, puis de ceux de Laurent et Joseph Kabila, le fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) cristallise et rassemble autour de lui une opposition réfractaire aux conclusions du premier « dialogue politique ». Jusqu’à son décès, à 84 ans, celui qui, tour à tour, a été un ordonnateur et un observateur de la vie politique congolaise, disposait toujours d’une considérable influence. Du gouvernement à l’opposition, un récit politique tourmenté Né en 1932 au Kasaï-Oriental, dans ce qui était alors le Congo belge, Étienne Tshisekedi wa Mulumba poursuit des études au Kasaï-Occidental puis à Kinshasa, et devient le premier docteur en droit du pays. C’est à la suite du départ précipité de l’administration coloniale belge et de l’éviction du Premier ministre Patrice Lumumba que l’étudiant se retrouve propulsé dans l’arène politique. Il prend le poste de Commissaire adjoint à la Justice dans le Collège des Commissaires généraux, un gouvernement temporaire mis en place par Mobutu, alors colonel. Jusqu’en 1965, sa formation juridique le conduit à occuper diverses positions dans la nouvelle administration, et lui permet d’entrer dans le cercle rapproché de Mobutu, promu entretemps au grade de général. Au sein des gouvernements successifs, Tshisekedi occupe les rôles de ministre de l’Intérieur (1965-1968), de la Justice (1968- 1969) et de ministre d’État chargé du plan (1969). Ce passage dans l’administration mobutiste laissera des traces dans sa carrière politique. En plus de son rôle dans la pendaison des « Martyrs de la Pentecôte »11, il est déchu de ses droits politiques en 1998 pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba. 10. Ce texte a initialement été publié, le 25 novembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2154. Il a subi diverses modifications afin de tenir compte de l’actualité. 11. Le 2 juin 1966, quatre hauts fonctionnaires de la République du Congo, accusés d’avoir comploté contre le chef de l’État, sont pendus publiquement. Tshisekedi, alors ministre de l’Intérieur, déclarait à leur propos : « L’action pénale ne doit pas toujours être répressive, mais préventive : il faut prévenir tous ceux qui étaient dans le coup, et ceux qui attendaient leur tour, pour qu’ils puissent voir avec quelle sévérité on punit ce genre d’infraction (…) notamment de connivence avec les milieux de la haute finance étrangère que nous combattons pour les intérêts supérieurs de la nation. » 11
Au cours de ces années, des dissonances se font progressivement sentir avec le Maréchal-Président. L’imposition du monolithisme politique, avec la mise en place d’un système de parti unique, concourt à séparer les deux hommes. En effet, Tshisekedi avait contribué à la rédaction de la version initiale du manifeste de la N’Sele prévoyant notamment un système bipartite. Le massacre des étudiants de Lovanium en 196912 contribue à consommer la rupture entre les deux caciques du régime, et Tshisekedi est écarté du pouvoir exécutif. S’ouvre alors, pour celui qui a été très proche de Mobutu pendant une vingtaine d’années, une période d’alternance entre emprisonnement et exil intérieur, alors que son engagement dans l’opposition se confirme. Cette mise au ban est progressive : Étienne Tshisekedi est dans un premier temps écarté du pouvoir exécutif et nommé ambassadeur du Zaïre au Maroc, pendant moins d’un an. Il officie par la suite en tant que député du Kasaï-Oriental jusqu’à son arrestation en 1980. Le 1er novembre 1980, la Lettre ouverte adressée au Maréchal-Président qu’il cosigne avec douze autres parlementaires, souligne sa distanciation avec l’exécutif et constitue l’acte fondateur de l’UDPS. Dans cette lettre, Tshisekedi et les parlementaires s’opposent à la toute-puissance du parti présidentiel, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), et avancent une série de propositions pour démocratiser le pays. En tant que président de l’UDPS, Tshisekedi dénonce le système de parti unique et la mainmise de Mobutu sur le pays, à travers son Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL parti auquel chaque Zaïrois doit adhérer. Cette fronde assumée lui vaudra d’être arrêté six fois entre 1983 et 1988. C’est à la suite de quatorze mois d’assignation en résidence surveillée, en 1991, qu’il entame une tournée politique qui le porte en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest et l’érige en figure de proue internationale de l’opposition au Maréchal-Président. Trois fois Premier ministre en six ans Le pouvoir exécutif, qui vacille déjà au début des années 1990, tente alors de tempérer une contestation populaire qui enfle. Pour ce faire, Mobutu coopte unilatéralement Tshisekedi qui devient alors Premier ministre, une première expérience de courte durée entre septembre et novembre 1991. L’année suivante, la Conférence nationale souveraine13 le réélit à ce poste le 15 août. Son passage est tout aussi bref, miné par des différences irréconciliables avec les caciques du régime. Une fois restructurée, l’opposition à Mobutu le nomme chef de l’Opposition démocratique interne en 1993, alors que la vie politique se polarise entre les tenants du mobutisme et une opposition large et diverse. 12. Le 4 juin 1969, les étudiants de l’Université de Lovanium (Kinshasa) descendent dans les rues pour demander une plus grande autonomie universitaire ainsi que l’amélioration des conditions matérielles des étudiants. La répression sanglante de cette manifestation pacifique fait 30 morts. 13. Sous la pression internationale, le régime a consenti à organiser cette conférence rassemblant, entre 1990 et 1992, des délégués représentant toutes les couches de la population dans le but de démocratiser la société zaïroise. 12
Alors qu’est sur le point de s’achever la première guerre du Congo14, Tshisekedi reprend, très brièvement en avril 1997 ses fonctions de Premier ministre à l’initiative du Parlement de transition. La main tendue par Tshisekedi à l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila plait peu au Président malade qui choisit de l’écarter une nouvelle fois. Cet énième passage éclair lui ôte définitivement l’envie d’occuper un poste dans un gouvernement qui ne lui serait pleinement acquis. À la suite d’une nouvelle période d’alternance entre exil interne et emprisonnement dans ce qui est maintenant la République démocratique du Congo (RDC), il refuse, en 2003, de participer au gouvernement de Joseph Kabila qui occupe le pouvoir laissé vacant par l’assassinat de son père. Une avancée démocratique se profile avec le dialogue intercongolais organisé à Sun City en Afrique du Sud et la signature d’un accord global et exclusif qui prévoient des élections multipartites en 2006. Alors qu’il l’avait appelé de ses vœux pendant trois décennies, l’opposant historique fait cependant le choix d’emmener l’UDPS dans le boycott du scrutin. Moins d’un an après la victoire de Joseph Kabila, il doit quitter la RDC dans un avion médicalisé. Cet exil prend fin en 2010, alors que le mandat du Président touche à sa fin et que les préparatifs pour les élections de 2011 sont entamés. Cette fois-ci, l’UDPS se lance à corps perdu dans la bataille présidentielle. Candidat malheureux face au président sortant réélu, il dénonce avec véhémence les résultats de l’élection dès le lendemain du scrutin, s’arrogeant unilatéralement et dès cet instant le titre de « président », qualificatif qui ne l’a pas quitté depuis. L’éternel chantre de l’opposition ? En 2014, le chef de l’UDPS doit de nouveau quitter son pays pour raisons médicales. Cette période est marquée par sa quasi-disparition du paysage médiatique, seules de rares vidéos où il apparait affaibli témoignent de la persistance de son combat. Cette absence de la vie publique et cet éloignement du Congo ne semblent toutefois pas affecter sa popularité : c’est en effet une foule en liesse, massivement présente dès l’aéroport de N’Djili et sur tout le parcours, qui l’accueille lors de son retour à Kinshasa le 27 juillet 2016, témoignant de la capacité du « sphinx de Limete » à mobiliser les masses. Entretemps, il a marqué de son empreinte le colloque de Genval (Belgique) qui a permis la formation d’un « Rassemblement des forces politiques et sociales de la RDC acquises au changement », regroupant la majorité des forces d’opposition, dont l’UDPS, et exigeant la tenue de l’élection présidentielle selon les termes prévus par la Constitution. Le « dialogue politique » convoqué par Kabila, afin de rassembler autour de la même table l’ensemble des forces politiques de la RDC, officiellement pour préparer des « élections apaisées », en réalité pour entériner leur report, est donc boudé par le Rassemblement. 14. La première guerre du Congo est un conflit intervenu d’octobre 1996 à mai 1997, au terme duquel Mobutu Sese Seko fut chassé du pouvoir par des troupes rebelles soutenues par le Rwanda et l’Ouganda et remplacé par Laurent-Désiré Kabila. La deuxième guerre du Congo (1998-2003) résulta de la rupture de l’alliance entre L-D Kabila et ces deux pays, qui envahirent le Congo et placèrent aux commandes de près de la moitié de son territoire des mouvements rebelles à leur solde. 13
Tshisekedi se pose en pourfendeur de ce « dialogue », que seuls ont rejoint la mouvance présidentielle et une portion minime de l’opposition. Les appels répétés du gouvernement et du médiateur Edem Kodjo pour que l’UDPS et Tshisekedi s’y joignent sont restés sans réponse. Se positionnant en porte-à-faux de la stratégie de « glissement » adopté par Kabila, il ordonne par voie de presse au président de respecter les délais constitutionnels, affirmant que « le 20 décembre, la maison doit être libre ». Cependant, à quelques semaines de cette date fatidique, à laquelle un nouveau Président aurait dû entrer en fonction, il parvient à arracher à Kabila un second dialogue, inclusif cette fois. Sous la médiation de la Conférence épiscopale congolaise (CENCO), MP et opposition parviennent à trouver un accord dans la nuit de la Saint-Sylvestre. Un nouveau calendrier électoral et une refonte du partage du pouvoir politique durant la transition sont convenus. En particulier, en sa qualité de président du comité des sages du Rassemblement, Tshisekedi est nommé président du Comité national de suivi de l’Accord. Mais sa mise en œuvre pose problème, ce qui ouvre un nouveau volet de négociations sur les « arrangements particuliers » jugés nécessaires. Alors que des avancées décisives sont obtenues – en ce qui concerne notamment la clé de répartition des postes au sein du nouveau gouvernement –, Tshisekedi doit quitter, pour la troisième Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL fois en dix ans, le Congo et se faire hospitaliser en Belgique. Le « président » s’éteint à Bruxelles le 1er février 2017, victime d’une embolie pulmonaire. Alors que les différentes composantes politiques butent encore sur le mode de désignation du nouveau Premier ministre, la mort du Sphinx soulève de nouvelles incertitudes. L’UDPS, parti qui domine le Rassemblement, semble avoir évité l’écueil que représente la succession de la présidence du parti, en se rassemblant derrière le fils du défunt, Félix Antoine Tshisekedi. Lors de la cérémonie qui s’est tenue au Palais du Heysel à Bruxelles, en mémoire de l’opposant, les différentes délégations du parti ont en effet plébiscité le fils. Les négociations autour de la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre ont, elles, été suspendues jusqu’à la fin des funérailles. La date de leur reprise est cependant bien incertaine. À l’UDPS, qui réclame que ce soit un nouveau Premier ministre issu de ses rangs qui accueille la dépouille de Tshisekedi, la MP répond qu’elle refusera toute négociation jusqu’à la fin des funérailles. En l’état, il semble bien incertain que les différentes parties se plient à l’appel de l’ancienne secrétaire de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, qui enjoignait les forces politiques congolaises à mettre en œuvre l’accord dans les plus brefs délais, dans un dernier hommage à la constance de l’engagement d’Étienne Tshisekedi en faveur de la démocratie. 14
2. FRED BAUMA ET LA LUCHA 15 par Clément Hut Libéré le 29 août 2016 après près de dix-huit mois d’incarcération, Fred Bauma, militant de la toute première heure de la Lutte pour le changement (LUCHA) est devenu l’un des visages d’une nouvelle génération congolaise, exigeante et porteuse de changement. Aucun portrait de Fred Bauma ne saurait omettre la place prioritaire qu’occupe désormais le mouvement dans sa vie ni faire l’impasse sur l’histoire particulière de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu. La LUCHA tout d’abord. Si Fred Bauma en est devenu l’une des personnalités visibles, c’est davantage dû à son parcours, marqué par un long emprisonnement, que par sa position dans un mouvement caractérisé par son horizontalité et son absence de hiérarchie. Goma ensuite, car l’engagement du jeune militant – et aussi la raison d’être de la LUCHA –, s’enracinent dans les conflictualités qui structurent la région. Retour sur l’un de ces jeunes qui entendent façonner le Congo d’aujourd’hui et de demain. Opposer la résilience à la violence politique : genèse de la LUCHA La LUCHA, jeune et audacieux collectif citoyen créé en 2012, souhaite opposer à la violence qui endeuille les Kivus une nouvelle manière pacifique de faire de la politique et de créer un destin commun. On peut la lire comme une contre-émanation de l’histoire sanglante de la région, une réaction contraire aux groupes qui entendent faire porter leur voix et imposer leur vision par les armes. Ancienne perle urbaine du lac Kivu, la ville de Goma a connu depuis les années 1990 une succession quasi ininterrompue de violences, produit des tensions régionales et locales. Dès 1994, elle bascule dans le chaos dès les premières heures du génocide rwandais, étant frontalière de Gisenyi et à seulement 75 kilomètres de l’Ouganda. Alors que le génocide prend fin, sous l’effet de l’offensive du Front patriotique rwandais, près de 650 000 réfugiés y affluent et s’installent dans des camps de fortune aux abords de la ville. Deux ans plus tard, alors que le règne de Mobutu vacille, les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) y pénètrent puis poursuivent leur offensive sur Kinshasa, dont ils s’emparent en mai 1997. L’accession au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila marque la fin de la « première guerre du Congo ». 15. Ce texte a initialement été publié, le 5 décembre 2016, dans le cadre du « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques » du GRIP, sous l’adresse http://www.grip.org/fr/node/2170. 15
Mais la paix ne dure pas et une seconde guerre éclate après la rupture de l’alliance entre Kabila et ses mentors rwandais et ougandais. Ceux-ci envahissent à nouveau la RDC et Goma devient le centre nerveux de l’occupation rwandaise, avec notamment la mise en place d’un « Rassemblement congolais pour la démocratie » pro-Kigali. Les accords de Sun City, signés en 2003 en Afrique du Sud, mettent un terme au second conflit et prévoient la création d’une nouvelle force armée nationale, intégrant des éléments des différents groupes en conflit jusqu’alors. Cependant, particulièrement au Kivu, des groupes armés, congolais et de pays voisins, vont proliférer et multiplier les exactions contre les civils, surtout dans les campagnes. Un de ces groupes, le M-23, composé de déserteurs de l’armée congolaise soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, va même s’emparer de Goma pendant une dizaine de jours en novembre 2012. Fred Bauma : visage d’un « mouvement sans leader » 16 L’histoire de la région apparait comme essentielle pour comprendre la forme actuelle de la LUCHA, et ses méthodes d’actions. Composé de jeunes, témoins de deux décennies de violences et désemparés face à l’état déplorable du pays et à l’avenir qu’il leur réserve, le collectif apparait comme une alternative crédible mais aussi comme Rapport du GRIP 2017/2| RDC : ENJEUX ET PORTRAITS AUTOUR D’UN ENLISEMENT ÉLECTORAL un défi à tous ceux qui continuent de vouloir forger le destin du pays par la force des armes. L’organisation entend promouvoir un « Congo de liberté, un Congo de justice, un Congo de paix, un Congo prospère, un Congo véritablement indépendant17 ». Fred Bauma est à Goma en mai 2012 lorsqu’il s’agit de réfléchir, avec d’autres jeunes de la ville, aux responsabilités de l’État mais aussi à celles des citoyens eux-mêmes face au délitement du pays. En effet, selon lui, être citoyen vous donne des droits mais aussi des devoirs auxquels vous ne pouvez manquer. C’est donc sans moyens financiers, mais avec des idées et de la conviction, que lui et ses camarades décident de se mobiliser une première fois, le 1er mai à l’occasion de la fête du travail. Tout un symbole pour un pays qui n’en propose pas à sa jeunesse. Le collectif est en marche. Dès cet instant, Fred Bauma ne cessera de s’y investir, identifiant les uns après les autres les défis majeurs – amélioration de la situation socio- économique par une plus grande redevabilité des autorités – du pays et les actions les plus pertinentes et symboliques pour les présenter. Marches pacifiques, sit-in ; malgré leur caractère non violent, ces actions ont été parfois l’occasion de confrontations avec les autorités publiques et même d’arrestations. Ouverte sur le continent, s’inspirant de ses figures tutélaires – à l’instar de Mandela –, la LUCHA garde des liens ténus avec d’autres organisations qui façonnent une Afrique nouvelle, comme le Balai citoyen au Burkina Faso ou Y’en a Marre au Sénégal. 16. Interview de Fred Bauma par Michel Luntumbue et Pierre Martinot, le 10 octobre 2016, paru dans l’ouvrage collectif « Une jeunesse africaine en quête de changement ». 17. Manifeste de la LUCHA. 16
C’est d’ailleurs dans le cadre d’un atelier avec ces mouvements à Kinshasa, à l’occasion du lancement d’un autre collectif, Filimbi – qui regroupe plusieurs associations congolaises – que Fred Bauma est arrêté le 15 mars 2015. Détenu près de trois mois par l’Agence nationale de renseignements dans une prison secrète, sans droit de visite ni avocat, il est par la suite transféré à Makala. C’est dans la plus grande prison du pays, à Kinshasa, qu’il passe quinze mois, accusé d’« avoir comploté contre la vie ou contre la personne du chef de l’État », selon le ministère public. Sous la pression conjointe des chancelleries nord-américaines et européennes, la Cour suprême décide sa libération conditionnelle, le 29 août 2016. Si la libération des prisonniers politiques est une condition de l’opposition pour rallier le « dialogue », Fred Bauma est néanmoins l’un des rares à bénéficier de cette amnistie. Les charges retenues contre lui ne sont cependant pas abandonnées et la date de son procès doit toujours être fixée. La fragilité de sa situation juridique ne l’empêche pourtant pas de reprendre très vite ses activités militantes. C’est ainsi que la LUCHA n’a en effet pas souhaité se joindre au « dialogue politique »18, estimant que les conditions préalables pour un dialogue constructif n’ont pas été remplies. L’organisation estime également ne pas avoir eu de garantie que celui-ci n’aboutisse pas à un partage du pouvoir et parvienne à organiser des élections dans les délais constitutionnels. Fred Bauma fait écho de la position de l’organisation, qui juge qu’au-delà des effets d’annonce, les mesures de décrispation politique n’ont pas porté leurs fruits. Il fustige ainsi le fait que « pendant qu’on libère des personnes, on en arrête d’autres »19. Pour le militant, la stratégie du gouvernement, alternant « crispation » et « décrispation », contribue à un climat délétère, où le dialogue ne saurait être serein, alors que les voix dissidentes sont le plus souvent étouffées. Son organisation reproche aux autorités la répression qui s’est abattue sur les médias dont les lignes éditoriales n’ont pas été jugées suffisamment favorables aux autorités. En effet, depuis 2015, les fermetures de journaux, radios locales et stations de télévision se sont multipliées. En 2016, les radios étrangères ont aussi été visées. À plusieurs reprises, le pouvoir coupe le signal de Radio France internationale (RFI) et celui de Radio Okapi, qui dépend de l’ONU, puis perturbe les fréquences de RFI au Congo- Brazzaville, écoutée à Kinshasa. Dans le même élan, Lambert Mende, le ministre de la Communication du gouvernement Matata sortant signera un arrêté stipulant que la diffusion des médias internationaux en RDC est conditionnée à une prise de contrôle des Congolais sur leur entreprise. En novembre 2016, Fred Bauma dénonce la restriction de l’espace démocratique auprès de l’Union européenne et devant le Congrès américain et plaide pour un renforcement de la pression internationale sur le régime. 18. Georges Berghezan, Le glissement suffira-t-il à éviter la chute de Kabila ?, Éclairage du GRIP, 25 novembre 2016. 19. Trésor Kibangula, Fred Bauma : « La LUCHA attend de pied ferme un nouveau président en RDC à la fin de l’année », Jeune Afrique, 5 septembre 2016. 17
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