Proche-Orient : Israël, envisager tous les scénarios de riposte - Association ...

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Proche-Orient : Israël, envisager tous les scénarios de riposte - Association ...
Proche-Orient : Israël, envisager
tous les scénarios de riposte
Outre le suivi des menaces directes et indirectes de l’Iran, les forces armées
israéliennes (Tsahal) développent leurs capacités de ripostes aux attaques des
mouvements politico-militaires du Hezbollah (Liban) et du Hamas (Gaza).

Un responsable militaire israélien l’a expliqué lors d’une réunion organisée, le 14
janvier 2020 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.
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L’Iran, qui ne dispose pas encore d’armement nucléaire, s’implique militairement
dans le conflit au Yémen et prépare des attaques contre l’Arabie Saoudite. Il a
tenté, sans succès, d’attaquer Israël à six reprises en deux ans. Malgré la baisse
du niveau de menace directe, son activité en Syrie reste l’objectif prioritaire des
services de renseignement d’Israël. Ce dernier n’intervient pas dans la guerre
civile en Syrie, mais a déjà accueilli 5.000 blessés syriens. De son côté, pour
pallier son éloignement géographique de 1.000 km, l’Iran tente d’atteindre Israël
par des missiles et des roquettes tirés de Syrie ou par ceux fournis au Hezbollah,
qui accroît son influence au Liban. Le soutien militaire de la Russie au régime
syrien, pour des raisons stratégiques qui lui sont propres, est pris en
considération par Israël. Pour assurer la sécurité des militaires russes et
israéliens, des responsables de Tsahal préviennent leurs homologues russes peu
avant une attaque contre une cible iranienne. Depuis 40 ans, la situation sur le
plateau du Golan reste stable, à part deux récentes tentatives d’infiltration en
Israël qui ont été neutralisées.

Le Hezbollah, qui avait lancé 250 roquettes en une seule journée contre la
population civile israélienne en 2006, dispose d’un stock de 130.000 roquettes en
2020. Depuis 18 mois, il peut assembler des composants de missiles, acquis en
Irak et en Syrie, mais n’est pas encore en mesure d’en fabriquer localement. Ces
missiles pourront bientôt atteindre Tel Aviv et le port d’Eilat (Sud du pays). Le
Hezbollah, qui faisait planer une menace contre un million de personnes en 2006,
la porte à 90 % de la population israélienne en 2020. Toutefois, Tsahal peut
intercepter roquettes et missiles, grâce au « Dôme de fer », composé de radars de
trajectographie et de batteries de missiles d’interception de courte portée. En cas
d’alerte par des sirènes, les populations des villes se réfugient dans des abris en
béton. Par ailleurs, le Hezbollah tente depuis huit ans d’établir une infrastructure
opérationnelle au Liban. Il n‘autorise plus les patrouilles de la FINUL (Force
intérimaire des nations unies au Liban), à laquelle participe un contingent
français. Les formes futures d’un conflit font l’objet de réflexions au sein de
Tsahal, en raison des améliorations quantitative et qualitative de l’armement du
Hezbollah.

Le Hamas, organisation islamiste palestinienne, contrôle la bande de Gaza
depuis sa victoire aux élections législatives de 2006. Il utilise la plus grande
partie des subventions de l’Union européenne pour acheter des équipements
militaires et non pour développer des infrastructures civiles. Dans sa lutte contre
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Israël, il recourt d’abord au terrorisme par des attentats suicides qui ont déjà fait
143 victimes civiles. Tsahal a alors construit une barrière de sécurité à sa
frontière. Des roquettes ont été lancées, jusqu’à 700 en 48 heures, sur le
territoire israélien. Le « Dôme de fer » n‘intercepte que celles visant des zones
habitées. Enfin, une vingtaine de tunnels ont été découverts, grâce à une nouvelle
technologie israélo-américaine. En outre, un mur souterrain de 55 km et d’un
mètre d’épaisseur sera achevé d’ici à la fin de 2020, pour empêcher toute
infiltration en Israël.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : rivalités entre Arabie Saoudite, Iran et Turquie

Israël : réagir à toute menace directe pour continuer à exister

325 – Dossier : “Israël, continuum défense-sécurité depuis 50
ans”
Proche-Orient : Israël, envisager tous les scénarios de riposte - Association ...
Moyen-Orient : rivalités entre
Arabie Saoudite, Iran et Turquie
La dégradation de la situation régionale profite à l’Arabie saoudite, l’Iran et la
Turquie, qui cherchent à affirmer leur influence et peut-être leur légitimité.

Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et
stratégiques, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 28
novembre 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-
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de-France.

Le contexte stratégique. Sauf en Tunisie, les révoltes arabes de 2011 ont
conduit à des répressions intérieures et des tensions à l’extérieur, au Soudan, en
Syrie, au Liban, en Irak et en Iran. Les conflits externes ont débouché sur des
impasses militaires, faute de solutions politiques. Daech a perdu ses bastions
territoriaux, mais le terrorisme perdure. Le Moyen-Orient est devenu une région
« apolaire », car les pôles d’attractivité que constituaient l’Irak, l’Egypte et la
Syrie n’existent plus.

L’Arabie Saoudite. Peuplé de 33 millions d’habitants, le royaume d’Arabie
Saoudite veut s’affirmer dans la région. La contestation arabe de 2011 et ses
revendications politico-sociales de dignité et de liberté ont effrayé ses dirigeants.
L’abandon du président égyptien Hosni Moubarak par ses forces armées et les
Etats-Unis leur a fait prendre conscience d’un risque identique. Ils ont alors réagi,
avec succès, par une assistance sociale et un programme d’infrastructures
totalisant 36 Md$, soit 8,5 % du produit national brut. Depuis sa création en
1932, le royaume saoudien était dirigé par une gérontocratie, où la succession
s’effectuait de frère en frère. A son avènement en 2015, le roi Salman (79 ans) va
la changer en désignant, deux ans plus tard, son fils Mohamed ben Salman (MBS)
comme prince héritier, chargé de l’économie, de la police et des forces armées.
Son clan met fin au Conseil d’allégeance fonctionnant par consensus. MBS, qui
comprend une partie des aspirations populaires, décrète certaines réformes,
comme l’autorisation de conduire une voiture pour les femmes, la tenue de
concerts et l’ouverture de quelques cinémas. Pour réduire la dépendance à la
volatilité des prix du pétrole, il procède à la diversification de l’économie et à la
« saoudisation » des emplois. En outre, il enferme, dans un hôtel de luxe, 200
responsables de hauts niveaux pour qu’ils paient effectivement leurs impôts. A
l’extérieur, son action s’enlise dans une guerre contre le Yémen, déclenchée en
2015 et qui perdure en 2019, et une tentative, manquée, de déstabilisation du
Qatar en 2017, lequel en profite pour se moderniser. Pourtant, l’Arabie saoudite
parvient à conserver le soutien des Etats-Unis, grâce à ses achats d’armement. De
son côté, Washington veut s’appuyer sur un Etat stable avec une capacité
d’influence par la religion. Les réserves saoudiennes d’hydrocarbures conservent
leur importance, car l’exploitation massive des gaz de schiste commence à causer
de graves dégâts écologiques dans certaines régions des Etats-Unis. L’opposition
récurrente de l’Arabie Saoudite à l’Iran repose davantage sur une concurrence
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géopolitique que sur un antagonisme religieux (sunnisme saoudien contre chiisme
iranien), instrumentalisé par les deux Etats.

L’Iran. Peuplé de 80 millions d’habitants, l’Iran occupe une position centrale sur
le plan géographique, avec des frontières terrestres et maritimes avec 15 Etats, et
aussi en raison de ses réserves considérables en hydrocarbures et sa fierté
nationaliste résultant de sa très longue histoire. Au cours du XXème siècle, il a
connu une révolution constitutionnelle en 1906, la nationalisation de son industrie
pétrolière en 1951 et la chute de la monarchie en 1979. La République islamique
d’Iran combine les légitimités religieuse et républicaine (par des élections). Elle a
mis fin à son prosélytisme révolutionnaire lors de sa guerre contre l’Irak
(1980-1988), où toutes les énergies ont été mobilisées pour défendre le pays et
qui lui a coûté 500.000 morts. Depuis, l’Irak, qui déplore 180.000 morts dans
cette guerre, se méfie de son voisin. En revanche, l’Iran souhaite continuer à
exercer son influence séculaire au Moyen-Orient, grâce à son corps diplomatique
chevronné. L’accord de 2015 sur son dossier nucléaire, valable pendant 10 ans et
qui a impliqué tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU
(Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie et Chine), a été scrupuleusement
respecté, avec possibilité d’inspections de l’Agence internationale de l’énergie
atomique. Sa dénonciation unilatérale par Washington, le 8 mai 2018, a été suivie
un an après, jour pour jour, de la reprise de l’enrichissement de l’uranium par
Téhéran. La question des missiles balistiques iraniens, également dénoncée par
Washington, n’était pas incluse dans l’accord sur le nucléaire.

La Turquie. Peuplée de 80 millions d’habitants, la Turquie a connu d’importantes
transformations sociologiques, économiques et politiques au cours des 25
dernières années. Le niveau de vie y a été multiplié par 2,5 en 7-8 ans depuis
l’arrivée du président Recep Tayyip Erdogan. Son réseau d’entreprises de travaux
publics s’est développé en Afrique, où le nombre de contrats est passé de 12 en
2002 à 41 en 2018, et en Amérique latine. Mais la situation s’est dégradée en
juillet 2016 lors de la tentative de coup d’Etat, que les pays occidentaux n’ont pas
condamnée. La réaction a conduit à 70.000 arrestations et à la révocation de
110.000 fonctionnaires, ébranlant l’Etat de droit. Pourtant, l’opposition a conquis
la mairie d’Istanbul. A l’extérieur, le rétablissement de relations avec l’Occident,
amorcé en 1967, s’est arrêté en 1974 avec l’annexion de la partie Nord de l’île de
Chypre. En 2003, la Turquie a refusé l’utilisation de la base d’Incirlik par
l’aviation américaine pour attaquer l’Irak par le Nord, attitude partagée à
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l’époque par la France, l’Allemagne et la Russie, opposées à toute action
unilatérale. Surprise par la révolte arabe de 2011, elle a tenté, sans succès, une
médiation dans la guerre civile syrienne. Après la défaite militaire de Daech en
2019, elle a envahi une bande au Nord du territoire syrien pour contrer
l’organisation PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qualifiée de terroriste.
Quoique membre de l’OTAN, elle a acheté des missiles anti-aériens S400 à la
Russie, soutien militaire et diplomatique du régime syrien.

Loïc Salmon

Israël, souligne Didier Billion, pratique la fuite en avant grâce au soutien
inconditionnel des Etats-Unis, qui lui procure un sentiment d’impunité vis-à-vis de
la question palestinienne. Le nombre de colons dans les territoires qu’il occupe
est passé de 10.000 en 1973 à 600.000 en 2019. Israël n’accepte pas la solution
de deux Etats pour une raison démographique. L’appui américain s’est renforcé
avec l’administration Trump : déplacement de l’ambassade de Tel Aviv à
Jérusalem (2018) ; reconnaissance de la légalité de la colonisation par le
secrétaire d’Etat Mike Pompeo (2019). En outre, l’Etat hébreu s’est rapproché de
l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, adversaires, comme lui, de l’Iran.
Quoique micro-Etat, le Qatar s’est placé au centre des jeux d’influence par sa
richesse en gaz naturel et sa diplomatie sportive. Il compense sa faiblesse
militaire par la présence de bases américaine et turque sur son territoire.

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Turquie : partenaire de fait aux Proche et Moyen-Orient

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances
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Etats-Unis : influence religieuse
sur la politique étrangère
Quoique déterminées par des facteurs politiques, économiques et stratégiques,
les relations extérieures des Etats-Unis avec les pays du Moyen-Orient et d’Asie
sont aussi influencées par le lobby politico-religieux « évangélique ».

Mokhtar Ben Barka, professeur de civilisation américaine à l’Université de
Valenciennes, l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 17 octobre
2019 à Paris, par l’Association IHEDN région Paris Ile-de-France.

Identité évangélique. Toutes les religions sont présentes aux Etats-Unis, où y
sont nées des nouvelles comme « Les témoins de Jehova » et la « Scientologie ».
Le protestantisme américain se compose de deux courants : progressiste pour le
principal, ouvert sur la société ; conservateur pour l’évangélisme, dont se
réclament 80 millions de personnes, soit 25 % de la population. Introduit en
Amérique au XVIIIème siècle, l’évangélisme trouve ses racines en Europe dans les
puritanisme, piétisme et calvinisme, issus de la Réforme religieuse du XVIème
siècle en réaction aux effets jugés néfastes de la modernité sur l’orthodoxie
chrétienne. Il se concentre dans le Sud des Etats-Unis parmi les classes sociales,
surtout blanches, les plus modestes, et inclut baptistes, méthodistes, luthériens,
assemblées de Dieu et mormons. Sa théologie repose sur quatre points
doctrinaux : la Bible en tant que parole de Dieu, source unique d’autorité pour les
questions de foi et de vie ; la crucifixion du Christ, sacrifice expiatoire en
rémission des péchés de l’humanité ; l’expérience physique de la renaissance
spirituelle par la conversion ; le zèle missionnaire. Le besoin de repères et de
certitudes s’exprime dans une vision binaire du monde, à savoir le bien et le mal
ou le vrai et le faux. Le puritanisme d’origine considère l’Amérique comme une
nation exceptionnelle, élue de Dieu et qui doit imposer son modèle de vie. Enfin,
les prophéties de la Bible annoncent la fin des temps et la proximité du retour du
Christ, prélude à l’établissement du Royaume de Dieu. A part ces dogmes, chaque
obédience peut choisir son organisation matérielle. L’évangélisme n’ayant ni
magistère ni autorité centrale, aucune instance ne valide les études de théologie
du candidat pasteur, qui peut constituer une église à partir de 2.000 fidèles. Il
doit ensuite la gérer comme une entreprise, dans le monde concurrentiel de la
religion aux Etats-Unis. L’évangélisme condamne la modernité culturelle, mais
pas le progrès technique. Dès le XIXème siècle, ses adeptes organisent des
spectacles avec des grandes réunions accompagnées de musique et de chants,
pour mobiliser les foules. Le financement provient de dons des fidèles, de levées
de fonds par des fondations, d’incitations sur écrans de télévision pendant les
services religieux ou de la publicité proposant des bons de réduction chez
certains commerçants.

Ingérence politique. La théologie évangélique induit des visées politiques et
économiques. Ses adeptes constituent l’une des bases les plus fidèles du courant
ultra conservateur du Parti républicain, avec pour objectif de rechristianiser la
société américaine et d’évangéliser le reste du monde. Pourtant, ils n’en ont
jamais été les alliés naturels. Ainsi, au XIXème siècle, ils avaient soutenu
l’abolition de l’esclavage, la défense des droits des femmes et la lutte contre la
prostitution. Délaissant la politique dans les années 1920, ils y reviennent 50 ans
plus tard. Ils soutiennent le démocrate Jimmy Carter (1977-1981), dont la
politique jugée trop laxiste sur les droits de l’homme les déçoit. Ils apportent
alors une aide électorale et financière à Ronald Reagan (1981-1989) et s’allient au
Parti républicain. En 2000, 78 % d’entre eux votent pour George W.Bush
(2001-2009) et, en 2016, 81 % pour Donald Trump, qu’ils défendent
systématiquement. Les personnalités évangéliques tentent d’influencer le
Congrès, mais leur absence de compétences permet aux personnels politiques
professionnels de les reléguer au rôle de pourvoyeurs de voix. Toutefois, W.Bush,
« born again » (né à nouveau après sa conversion), n’a guère tenté de les
manipuler. Les Partis démocrate et républicain incluent toutes les tendances,
facilitant les compromis.

Prosélytisme à l’étranger. Depuis Richard Nixon (1969-1974), le président des
Etats-Unis s’entoure d’un conseiller spirituel, qui influence indirectement sa
politique étrangère. Les évangéliques, qui perçoivent le monde comme un champ
de bataille, ont infiltré le Conseil national de sécurité, le Pentagone et la CIA. Via
des « think tanks », ils préconisent activisme missionnaire, aides humanitaires et
actions d’organisations non gouvernementales. Au Moyen-Orient, leur influence
s’étend de l’Egypte, au Liban, à la Syrie, à la Jordanie et à l’Irak, même avant
l’invasion américano-britannique de 2003. Depuis 2004, des membres de rang
élevé du gouvernement américain soutiennent leurs campagnes d’évangélisation
en Irak, en Afghanistan et dans les pays où se trouvent des unités américaines.
Allié traditionnel des Etats-Unis, Israël bénéficie, depuis les années 1980, de
l’appui des dogmes évangéliques en référence à l’Ancien Testament : la création
même de cet Etat en 1947 prouve que Dieu a tenu sa promesse de donner une
terre au peuple juif ; leur soutien à Israël évitera aux Etats-Unis la malédiction
divine ; le retour des juifs sur leur terre annonce la fin des temps (voir plus haut)
avec Jérusalem comme centre du monde. Cela entraîne le rejet de la partition de
Jérusalem revendiquée comme capitale par Israël et la Palestine, dont l’existence
en tant qu’Etat se trouve elle aussi rejetée. Mais cela implique aussi l’obligation
de reconnaître le Christ comme le Messie, qu’excluent les juifs américains et la
plupart des Israéliens. Le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à
Jérusalem en 2017, émanation du militantisme pro-Israël au sein de la « droite
chrétienne » américaine, permet à Trump de tenir une promesse de campagne
faite à sa base électorale évangélique. L’extrême-droite israélienne et les
évangéliques coopèrent dans la lutte contre l’islam. Depuis Reagan, Etats-Unis et
Iran s’accusent mutuellement de visées démoniaques pour faire prévaloir leurs
intérêts nationaux. En Chine, le gouvernement américain et les organisations
évangéliques envoient des bibles et des missionnaires, qui auraient déjà converti
60 millions de personnes.

Loïc Salmon

La religion a donné naissance aux Etats-Unis, estime le philosophe politique
français Alexis de Tocqueville (1805-1859) dans son ouvrage « De la démocratie
en Amérique »…paru en 1835 ! Le pasteur évangélique Billy Graham (1918-2018)
a été l’un des premiers à utiliser les nouveaux médias, de la télévision à internet.
Il a entretenu des rapports privilégiés avec douze présidents américains, d’Harry
Truman (1945-1953) à Barack Obama (2009-2017), et s’est rendu deux fois en
Corée du Nord à l’invitation du président Kim Il-sung (1972-1994). Considéré
comme l’évangélique le plus influent, James Dobson (né en 1936) a mobilisé le
« vote chrétien » pour George W.Bush (2001-2009). Prédicatrice
« télévangélique », Paula White (née en 1966) a participé à la campagne
électorale de Donald Trump (en fonction depuis 2017), dont elle est la conseillère
pour les affaires religieuses.

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique
Syrie : le rapport de force après la
défaite de l’Etat islamique
Après la disparition territoriale de l’Etat islamique (EI) de Syrie en mars 2019, le
régime de Bachar el Assad continue de bénéficier de l’appui de la Russie, dont les
forces spéciales ont remplacé celles des Etats-Unis sur place. En outre, par son
soutien, l’Iran a suscité une alliance imprévue entre l’Arabie saoudite et Israël,
ses adversaires déclarés.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 juin 2019 à Caen,
par le Forum mondial pour la paix. Y sont intervenus : Nabil Fawaz, membre du
Parti démocratique du peuple syrien et ancien maire de Raqqah, où l’EI avait
établi sa « capitale ; Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient ;
David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Le
conflit contre l’EI en Syrie (2014-2019) s’est soldé par plus de 300.000 morts, 1,5
million d’invalides, 80.000 détenus, 7 millions de réfugiés au Liban et en Turquie
et 6 à 7 millions de Syriens déplacés.
Précarité politique. Le régime de Damas a gagné sa guerre grâce au soutien
iranien au sol puis russe dans les airs depuis 2015 et aussi des hésitations des
pays occidentaux, explique David Rigoulet-Roze. Il contrôle 40 % du territoire et
60 % de la population du pays et maintient une pression militaire sur les enclaves
sunnites. Le Nord se trouve sous protectorat turc, sous le prétexte d’une menace
terroriste kurde. Le Front démocratique syrien a été soutenu par les pays
occidentaux pour la reconquête de Raqqah, mais réalisée surtout par les Kurdes
avec des éléments arabes. L’Iran veut maintenir Hassad au pouvoir et la Russie
sauver son régime. Malgré sa stabilité garantie pour une clarification territoriale,
ce dernier doit assurer sa survie par la reconstruction du pays estimée à 400 Md$
sur plusieurs décennies.

Reconstruction difficile. Le « printemps arabe » n’a pas pris en Syrie, pays non-
démocratique sous le pouvoir d’une minorité (alaouïte), rappelle Mgr Gollnisch.
Aujourd’hui, les réfugiés auront du mal à rentrer dans des villes détruites, mais la
capacité de résilience de femmes chrétiennes et musulmanes permet de l’espérer.
La Russie a déployé beaucoup de moyens pour revenir sur la scène internationale
tout en manipulant la religion orthodoxe. L’Iran s’installe aux portes d’Israël,
mais pas plus que la Russie, ne pourra reconstruire la Syrie. La Turquie se trouve
dans une position délicate face aux Kurdes, désireux de transformer la partie du
pays reconquise en Kurdistan syrien avec une minorité arabophone. La Chine,
quoique désireuse, n’investira pas en Syrie sans contrepartie. Les pays
occidentaux apparaissent comme seuls capables de reconstruire la Syrie en
échange d’un processus démocratique. Mais ils manifestent une sorte de
résignation par pragmatisme, réalisme et vision limitée au calendrier électoral.

Instrumentalisation de la religion. Communiste dans les années 1980, le Parti
démocratique syrien souhaite transformer la Syrie en pays laïc, souligne Nabil
Fawaz. La présence de forces russes et iraniennes rend difficile toute prévision de
l’évolution du pays, sans compter les différents acteurs locaux. Auparavant,
chrétiens et sunnites entretenaient d’excellentes relations et le terrorisme
n’existait pas en Syrie. Hassad a réussi à transformer le conflit interne en guerre
religieuse, avec l’aide de combattants palestiniens et du Hezbollah (groupe
islamiste chiite proche de l’Iran). Le Parti Baas au pouvoir contrôle l’armée et
soutient la minorité alaouïte (8 % de la population). Aujourd’hui, les forces
occidentales surveillent les sous-marins russes de la base navale de Tartous.

Loïc Salmon
Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances

Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde

Stratégie : la dissuasion, nucléaire
pour longtemps
Les espaces aérien et extra-atmosphérique, la haute mer, le cyber, l’émergence
d’acteurs non-étatiques et les violences terroristes constituent de nouvelles
dissuasions. Celle par l’arme nucléaire, quoique contestée, perdure.

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 décembre 2018 à Paris,
par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y sont
notamment intervenus : le général d’armée François Lecointre, chef d’Etat-major
des armées ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

La dissuasion nucléaire française. Clé de voûte de la stratégie de la France
pour la protection de ses intérêts vitaux, la dissuasion nucléaire fonctionne en
permanence depuis 1964, rappelle le général Lecointre. Elle induit chez
l’adversaire la certitude que son action, au-delà d’une certaine limite, sera source
de dégâts inacceptables pour lui et que le courage de les lui infliger existe. Les
armes nucléaires peuvent être mises en œuvre à tout moment avec une palette
d’options entre missiles M51 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (500
patrouilles à ce jour) et le missile air-sol moyenne portée amélioré des Forces
aériennes stratégiques (plus de 20.000 jours de vol). La dissuasion française
exclut l’arme nucléaire tactique, la riposte graduée et l’abaissement du seuil,
pour ne pas laisser à l’adversaire le temps de calculer les risques inhérents à une
agression. Le président de la République, chef des armées, décide en dernier
ressort et le chef d’état-major des armées prépare les plans de frappe nucléaire.
La crédibilité de la dissuasion dépend de l’architecture entre forces nucléaires et
forces conventionnelles. La situation géopolitique actuelle produit des ruptures
non encore explorées et prend en compte les visions des compétiteurs et des
adversaires. La menace évolue avec le perfectionnement des armes nucléaires et
leurs capacités. Sa fluidité varie de l’affrontement de nature physique sur terre,
sur mer et dans les airs, à la confrontation dans l’espace et le cyber. La
conflictualité se durcit avec le retour des Etats puissances, la remise en cause des
traités et les tensions à l’Est de l’Europe, aux Proche et Moyen-Orient et dans la
zone Asie-Pacifique. La frontière se brouille entre intimidation, chantage
nucléaire et agressions de type hybride. La loi de programmation militaire
2019-2025 prévoit 5 Md€/an pour la modernisation des armes nucléaires,
notamment la navigation inertielle, la discrétion acoustique et le ravitaillement en
vol. Elle ne se fera pas au détriment des forces conventionnelles, pour éviter tout
contournement de la dissuasion ou le dilemme ente escalade et renoncement.

Contestations récurrentes. La remise en cause de l’arme nucléaire, pour des
raisons diverses, remonte aux bombardements de 1945 et à la constitution des
arsenaux américain et soviétique, indique l’ambassadeur Danon. Le premier
argument, d’ordre humanitaire et environnemental, rappelle les accidents
techniques et les appréciations politiques contradictoires. Le deuxième en
souligne l’inutilité, puisqu’elle a quand même conduit à la guerre par procuration
en Afrique et en Asie du Sud-Est. Il repose sur la représentation de la
détermination de l’adversaire à l’utiliser, à savoir que personne n’osera « appuyer
sur le bouton » et assumer la responsabilité d’un suicide collectif. Selon le
troisième, l’arme nucléaire ne profite qu’aux neuf pays détenteurs : Etats-Unis,
Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord.
Certains abusent de la situation pour agir sur des théâtres extérieurs en toute
impunité, comme la Russie en Crimée, la Chine en mer de Chine et l’OTAN en
Libye. Cette situation risquant de perdurer, les contestataires veulent forcer, par
traité, les pays nucléaires à désarmer. Or seul le contexte stratégique impose un
traité, souligne l’ambassadeur, d’autant plus que les accords de protection
mutuelle bénéficient à une trentaine de pays, soit 64 % de la population mondiale.
La dissuasion nucléaire, consistant à empêcher la guerre pour préserver la paix,
prend aussi une dimension morale. Celle-ci a d’abord reposé sur l’éthique de
« conviction » de Churchill, justifiant l’emploi de la bombe atomique en 1945 pour
éviter un nombre supérieur de morts dans une guerre conventionnelle.
Aujourd’hui, l’éthique de « responsabilité » préfère conserver le système de
sécurité collective existant pour éviter une guerre mondiale. Après trente ans de
mondialisation, le retour des rapports de puissance démontre que l’architecture
de défense et de sécurité établi après la seconde guerre mondiale ne fonctionne
plus. En outre, la pérennité des alliances est remise en question par
l’administration américaine depuis l’introduction du doute sur l’automaticité de
l’article V de l’OTAN. Cet article stipule : « Les parties conviennent qu’une
attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en
Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les
parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit,
chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou
collective, reconnu par l’article 51 de la charte des Nations unies, assistera la
partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et
d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris
l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de
l’Atlantique Nord. » Il s’ensuit un clivage entre les pays européens, certains (à
l’Est) souhaitant un rapprochement avec les Etats-Unis et les autres (à l’Ouest)
voulant une autonomie européenne. La prolifération représente un risque
considérable de déstabilisation mondiale car, si l’Iran décide de se doter
effectivement de l’arme nucléaire, d’autres pays seront tentés de l’imiter.
Nouveau champ d’affrontement, le cyber fait l’objet de réflexions comme autre
moyen de dissuasion. Sur le plan technologique, l’utilisation de l’intelligence
artificielle devrait permettre de contrer les cyberattaques. Elle existe déjà dans
l’armement nucléaire. Le contexte nucléaire évolue en permanence, sans
qu’apparaisse encore un autre système de sécurité collective, conclut
l’ambassadeur Danon.

Loïc Salmon

Lors du colloque du 6 décembre 2018, la Fondation suisse « the House of the
Rising Stars » a présenté un classement par pays en matière de sécurité globale.
Elle a analysé l’action des gouvernements dans le domaine de la protection de
l’intégrité du territoire et de la population, incluant la défense extérieure, la
sécurité intérieure, la liberté d’opinion et d’expression, la santé publique et le
développement durable. Voici les critères retenus : dépenses militaires (% du
produit intérieur brut) ; dépenses courantes de santé (idem) ; homicides
intentionnels pour 100.000 habitants ; espérance de vie à la naissance ; taux de
mortalité infantile pour 1.000 enfants de moins de cinq ans ; indice de liberté
d’opinion et d’expression ; indice de performance environnementale. Parmi les
127 pays étudiés, Israël arrive en tête des 10 premiers lauréats, devant les Etats-
Unis, la France, la Norvège, l’Australie, la Grande-Bretagne, la Suisse, la Suède,
l’Allemagne et le Japon.

Stratégie : contexte évolutif de la dissuasion nucléaire

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée

Espace : dissuasion nucléaire et souveraineté européenne

Cyber : dilution des frontières territoriales et souveraineté
Marines : outils de combat et
affirmation de puissance
La supériorité navale a retrouvé son application dans les opérations à terre :
Balkans, 1986 ; Irak, 1991 et 2003 ; Libye, 2001. Parallèlement, se manifeste une
appropriation des océans, où le nombre de sous-marins est passé de 350 en 2000
à 500 en 2018.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 22 octobre 2018 à Paris, par le
Groupement des industries de construction et activités navales et la Fondation
pour la recherche stratégique. Y sont intervenus : le vice-amiral d’escadre Denis
Béraud, major général de la Marine ; l’amiral Steve Allen, sous-chef d’état-major
et commandant l’aviation navale britannique ; le vice-amiral Rainer Brinkmann,
major général de la Marine allemande ; Alexandre Sheldon-Duplaix, chercheur à
l’Ecole de guerre.

Evolution du contexte naval. Depuis 2010, indique l’amiral Béraud, se
manifestent le développement de missiles anti-missiles, la construction accrue de
sous-marins en Asie et…le retour des puissances ! Un sous-marin français lanceur
d’engins (SNLE) effectue la 500ème patrouille de la dissuasion depuis 1972.
L’emploi de la force est à nouveau envisagé à partir de la mer. La logique de
captation pour l’accès aux ressources va de pair avec le contrôle de l’espace
maritime et l’ambiguïté des intentions. Quelque 3.000 navires surveillent les côtes
et archipels. Le détroit de Bab el-Mandeb, passage obligé vers l’océan Indien, est
menacé par les mines, drones de combat et missiles, en raison de la guerre au
Yémen. Le missile antinavire redevient d’actualité, notamment contre Israël et
l’Egypte. Au large de la Syrie, une frégate française renseigne sur les présences
aériennes russe, turque et iranienne. Les sous-marins algériens peuvent utiliser
des missiles de croisière russes. Le nivellement technologique profite aux acteurs
étatiques ou non. Le recueil d’informations par des drones navals permet
d’identifier ce qui aura été détecté au radar et de limiter le risque de surprise.
Chaque navire de guerre en sera doté dès 2030. La fusion des données obtenues
par les navires, hélicoptères et drones facilite l’intervention tactique en temps
réel. L’informatique permet le maintien en condition opérationnelle d’un bâtiment
à la mer et en optimise l’emploi. Parmi les informations « officielles » fournies
obligatoirement par un navire marchand, l’intelligence artificielle détecte les
anomalies, qui permettront de déterminer sa destination effective et donc ses
intentions véritables.

Capacités navales. En 2018, la Chine arrive à la 2ème place mondiale en
nombre de navires et en tonnage, derrière les Etats-Unis, indique Alexandre
Sheldon-Duplaix. Elle dispose de 60 sous-marins à propulsion diesel-électrique
(SMD), 7 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et 7 SNLE, dont les deux plus
récents lui donnent la capacité de frappe en second et d’atteindre les Etats-Unis,
la Russie et l’Inde. Ses 6 transports de chalands de débarquement (TCD) et 2
porte-avions (PA) à tremplin (4 autres à catapultes électromagnétiques
programmés) lui donnent une capacité de projection de puissance transrégionale.
La Russie la suit avec 22 SMD, 24 SNA, 12 SNLE, 1 PA à tremplin et des missiles
de croisière supersoniques. Le Japon (22 SMD et 3 TCD) met en service 4 porte-
hélicoptères (PH) et 50 frégates. La Grande-Bretagne (voir encadré) arrive à la
5ème place et la France à la 6ème. L’Inde (14 SMD, 1 SNA, 1 SNLE, 1 PA à
tremplin et 1 TCD) peut aussi déployer des missiles balistiques nucléaires à
courte portée, à partir de patrouilleurs de haute mer. La Corée du Nord peut
lancer un missile nucléaire balistique à courte portée (2.000 km), à partir d’un
SMD. La Corée du Sud (12 SMD) déploie 1 PH, de même que le Brésil (5 SMD
et 2 TCD) et la Turquie (13 SMD). Le Pakistan et Israël seront bientôt capables
de tirer un missile de croisière à tête nucléaire, à partir d’un SMD. Chine, Russie,
Corée du Nord et Iran disposent de Marines aux capacités défensives et de déni
d’accès. Chine, Japon, Corée du Sud, Italie et Espagne utilisent leurs Marines
pour protéger leurs approches maritimes commerciales. En outre, Chine, Russie,
Inde, Brésil et Turquie veulent établir une prééminence régionale ou au moins
faire face aux Marines plus puissantes, seules ou combinées, à leurs frontières.

Stratégies et technologies. Selon Alexandre Sheldon-Duplaix, la montée en
puissance navale de la Chine vise notamment à dissuader ou combattre toute
intervention militaire américaine pour soutenir Taïwan, au cas où Pékin déciderait
une réunification par la force. Ses capacités de lutte anti-aérienne, antinavire et
anti-sous-marine lui permettent d’agir jusqu’à 1.000 milles marins (1.852 km) de
sa première chaîne d’îles. Elle déploie aussi un réseau de surveillance par drones
sous-marins et poursuit des recherches sur la catapulte électromagnétique pour
PA et le « navire tout électrique ». La Russie se sent menacée à ses frontières par
l’OTAN et redoute une déstabilisation mondiale ou régionale, consécutive au
déploiement des systèmes américains antimissiles en Europe, en Asie-pacifique et
au Moyen-Orient, couplé à des systèmes d’armes de précision et au déploiement
d’armes dans l’espace. Elle remplace ses SNLE et construit des frégates et
corvettes lance-missiles. Son missile hypersonique Zircon, opérationnel vers
2022, pourrait neutraliser les nouveaux PA britanniques (encadré). Pour
contourner le bouclier antimissile américain déployé en Roumanie et en Pologne,
elle développe une torpille capable de rendre radioactive toute la côte d’un pays,
lui causant des dommages économiques inacceptables. Enfin, elle va déployer des
drones sous-marins en Baltique et dans l’océan Arctique. L’Inde étend sa zone
d’intérêt maritime à la mer Rouge, le Sud-Ouest de l’océan Indien, la
Méditerranée, la côte ouest-africaine et le Pacifique-Ouest incluant la mer de
Chine du Sud. Pour contrer la Chine, elle noue des partenariats stratégiques avec
les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, le Viêt Nam, la France et la Grande-Bretagne.
La Turquie entend manifester sa présence maritime dans le golfe Arabo-
Persique, en océan Indien, Afrique, Asie-Pacifique et Amérique latine. Elle
construit un PA et dispose de bases militaires en Somalie et au Qatar. Enfin,
l’Iran déploie des drones au-dessus des PA américains dans le golfe d’Oman et en
mer d’Arabie.
Loïc Salmon

L’amiral Allen a présenté le retour de la Grande-Bretagne dans la projection de
puissance aéronavale pour exercer une diplomatie coercitive vis-à-vis d’Etats
côtiers et décourager l’escalade d’un conflit, dans le cadre de l’OTAN. Le porte-
avions Queen-Elizabeth, mis en service en 2018, sera suivi du Prince-of-Wales en
2019, pour maintenir une présence permanente à la mer à partir de 2021. D’un
déplacement de 65.000 t à pleine charge, chacun est équipé d’un tremplin pour
avions américains multi-missions F-35B à décollage court et atterrissage vertical
(photo). Selon l’amiral Brinkmann, la Marine allemande participe à toute
opération maritime de l’OTAN, notamment sur le front Nord de l’Europe et
coopère avec toutes les Marines des pays riverains de la Baltique, sauf la Russie.
Elle participe aux opérations européennes « Atalante » de lutte contre la piraterie
dans le golfe d’Aden et l’océan Indien et « Sophia » (trafics de migrants) en
Méditerranée.

Marine nationale : le fait nucléaire, dissuasion politique et actions militaires

331 | Dossier : « La France, puissance maritime »

Marines : l’approche globale, indispensable à la sécurisation future du milieu
maritime
Blocus du Qatar : l’offensive
manquée
Quatre Etats arabes ont tenté, sans succès, de déstabiliser un cinquième, petit
mais très riche, par la diffusion de fausses informations dans les médias et les
réseaux sociaux, les cyberattaques, l’action de lobbyistes aux Etats-Unis et en
Europe, les pressions diplomatiques et les sanctions économiques.

Ce quartet, composé de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis (EAU), de
Bahreïn et de l’Egypte, a donc employé tous les moyens, sauf militaires, pour
réduire le Qatar, qui a riposté et est parvenu à obtenir l’aide de l’Iran, de la
Turquie et surtout… des Etats-Unis qui y stationnent 10.000 soldats sur leur base
d’Al Udeid. Cette crise a été suivie attentivement par Israël, qui reproche au
Qatar son soutien économique au mouvement islamiste palestinien Hamas, très
implanté dans la Bande de Gaza (entre Israël et l’Egypte). Israël entretient des
relations étroites avec la Russie (présente en Syrie), pour lutter contre le
terrorisme islamiste, et des liens officieux avec les EAU. Comme le quartet anti-
Qatar, il veut contrer l’influence régionale de l’Iran. Tout commence le 23 mai
2017 par le piratage de l’agence de presse du Qatar (QNA). Celle-ci diffuse des
extraits d’un prétendu discours de l’émir faisant l’éloge de la puissance de l’Iran
chiite, avec des critiques à peine voilées de l’administration américaine, et
présente le Hamas comme le « représentant légitime du peuple palestinien ».
Ensuite, les médias du quartet dénoncent « l’aventurisme et la traîtrise du perfide
Qatar ». Or ces extraits, entièrement faux, et le piratage de QNA ont été réalisés
par les EAU, comme le prouvera une enquête du FBI quelques semaines plus tard.
Malgré le démenti du gouvernement qatari, la crise atteint son paroxysme le 5
juin avec la rupture des relations diplomatiques du quartet avec le Qatar, qui se
voit aussi interdire le franchissement de leurs frontières terrestres et l’accès à
leurs espaces aériens, avec de graves conséquences économiques. L’Iran propose
alors son aide au Qatar pour contourner l’embargo. Washington appelle le quartet
à la retenue, car la plus grande partie des raids aériens de la coalition
internationale contre Daech, en Syrie et en Irak, s’effectue à partir de la base d’Al
Udeid. Conformément à l’accord bilatéral de défense, Ankara active sa base au
Qatar en y envoyant 1.000 soldats et des véhicules blindés. Le quartet n’ose
prendre le risque d’un affrontement militaire direct. Mais la confrontation se
poursuit. Au piratage de QNA, le Qatar répond par celui de la boîte mail du très
influent ambassadeur des EAU à Washington et divulgue ses manœuvres. Par
ailleurs, le Qatar pratique une diplomatie relativement indépendante, avec des
rapports directs avec les grandes puissances, et une stratégie d’influence dans le
monde musulman, grâce à son assise financière. Plus grand exportateur mondial
de gaz naturel, il l’exporte par ses 60 méthaniers directement à partir du port
Hamad, inauguré le 5 septembre 2017. Le blocus l’a incité à développer
l’économie locale et un commerce maritime vers Oman, la Turquie, le Pakistan,
Koweït et l’Inde. Sa réputation de soutien au terrorisme remonte à la guerre
d’Afghanistan (2001-2014), quand il avait autorisé les talibans à disposer d’une
représentation à Doha…à la demande de Washington ! Ensuite, des financiers,
privés, du terrorisme s’y sont installés jusqu’en 2015. Toutefois, le 11 juillet 2017,
le Qatar a signé, avec les Etats-Unis, un accord sur la lutte contre le financement
du terrorisme.

Loïc Salmon

« Blocus du Qatar : l’offensive manquée » par le général François Chauvancy.
Éditions Hermann, 330 pages. 18 €

Qatar, vérités interdites

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

L‘Égypte en révolutions
Défense : information falsifiée,
internet et réseaux sociaux
Résilience de la société et débat libre et ouvert, atouts des démocraties, leur
permettent de lutter contre la manipulation de l’information par des Etats
autoritaires ou des organisations non étatiques, qui exploitent leurs vulnérabilités
à des fins stratégiques.

Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe
et des Affaires étrangères et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole
militaire (IRSEM) ont rendu public, le 4 septembre 2018, leur rapport sur les
manipulations de l’information. Le même jour à Paris, ils l’ont présenté au cours
d’une conférence-débat, ouverte par Florence Parly, ministre des Armées. Parmi
les intervenants figurent : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM ;
Marine Guillaume, chargée de mission au CAPS ; Alexandre Escorcia, directeur-
adjoint du CAPS ; le diplomate Manuel Lafont Rapnouil, Conseil européen des
relations internationales ; Grégoire Lemarchand, Agence France Presse.
Menace et arme à contrer. La manipulation de l’information crée crispation et
haine de l’autre et sème trouble et zizanie, estime Florence Parly. La
désinformation remplace la critique raisonnée par la défiance a priori et profite
de la liberté d’expression des sociétés démocratiques. La répétition et la diffusion
rendent légitimes et « vraies » de fausses informations, qui mélangent habilement
le vrai et le faux. Elles peuvent viser les forces armées pour tenter de faire croire
à leur inefficacité et saper leur crédibilité en dénonçant des agissements
supposés. Toutefois, le rapport CAPS/IRSEM identifie, chez les adversaires des
démocraties, trois vulnérabilités, donc des opportunités pour leur permettre de
riposter. D’abord, les services de renseignement pénètrent le champ des
perceptions adverses, détectent les innombrables comptes twitter ou d’agents
virtuels, relais de fausses nouvelles et amplificateurs d’anecdotes. Les experts du
Centre interarmées des actions sur l’environnement et le Commandement de la
cyberdéfense participent aux détections et déconstructions des tentatives de
manipulation de l’information. Ensuite, la détermination à innover constitue une
autre opportunité. Bientôt, l’intelligence artificielle pourra signaler et contrer la
diffusion d’une information inventée. Elle dénichera les faux comptes et garantira
la sécurité numérique. Enfin, la riposte à la désinformation nécessite actions
interministérielles et partenariats avec les acteurs privés. La lutte contre le
terrorisme, via internet, a déjà amélioré les relations de l’Etat avec les GAFA
(Google, Apple, Facebook et Amazon). Les coopérations concernent tous les pays
membres de l’Union européenne et du G7, touchés par la manipulation de
l’information. Ce sujet s’inscrit dans l’établissement d’un dialogue avec la Russie
sur l’architecture de la sécurité européenne, conclut Florence Parly. Ensuite,
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Marine Guillaume ont présenté le rapport
CAPS/IRSEM.

Daech. Selon ce rapport, la campagne de l’Etat islamique (Daech) sur les médias
sociaux lui a permis d’attirer plus de 18.000 combattants étrangers de 90 pays
entre 2005 et 2015. Sa propagande propose une vision du monde manichéenne,
simple et « complotiste » (actions d’un groupe occulte) pour expliquer l’ensemble
de la vie en société. Elle cible les vulnérabilités sociales, économiques, politiques
et culturelles des sociétés visées. Possesseur de sites internet, forums de
conversations et revues en ligne, Daech recourt de façon intensive aux réseaux
sociaux, blogs, messageries instantanées et sites de partage vidéo. Actif sur les
forums spécialisés (« terror forums »), il prépare ses opérations terroristes sur le
« Darknet » (réseau permettant l’anonymat sur internet).
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