ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?1

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ÉTUDE

                                Quel statut pour les industries
                                énergo-intensives en Europe ?1
                                                              Michel Guénaire, Pierre-Adrien Lienhardt2

               Soumis à une dure concurrence internationale, les entreprises de l’Union euro-
               péenne fortes consommatrices d’électricité et de gaz bénéficient de mesures de
               soutien. Les dispositifs sont très variables, ainsi que le révèle une étude menée
               sur cinq pays : Allemagne, Espagne, France, Italie et Portugal. La Commission
               européenne vient d’adopter des lignes directrices concernant ces aides et leur
               compatibilité avec les règles de la concurrence. Ces nouvelles règles doivent en-
               trer en vigueur au 1er juillet 2014.

                  La crise de la mondialisation pose la ques-                l’Europe a ainsi vu naître des politiques d’aide
               tion de la compétitivité des industries dans les              à ces consommateurs dits « électro- » et « gazo-
               différentes régions du monde. En Europe par-                  intensifs » (ou, ensemble, « énergo-intensifs »).
               ticulièrement, les entreprises souffrent d’une                   La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne
               perte de compétitivité face à leurs concur-                   et le Portugal ont adopté des positions diffé-
               rentes étrangères.                                            rentes face à cet enjeu. L’analyse des systèmes
                  Les gouvernements européens se sont mo-                    en place, qu’ils soient aboutis ou plus ponc-
               bilisés pour créer des mécanismes de soutien                  tuels, permet d’évaluer dans quelle mesure les
               aux industries dont le coût de revient est forte-             industriels européens bénéficient aujourd’hui
               ment lié aux prix de l’électricité et du gaz. Ces             d’un traitement suffisamment égalitaire selon
               industries, dont le rôle en termes d’emploi et                leur lieu d’implantation.
               de valeur ajoutée est déterminant, sont expo-                    Ces initiatives doivent en outre s’inscrire
               sées à la concurrence d’entreprises qui bénéfi-               dans le cadre de libre concurrence établi par
               cient de la disparité du prix de l’énergie dans               l’Union européenne, et notamment les règles
               le monde. Au cours de la dernière décennie,                   relatives aux aides d’État. Cet aspect de la ques-
                                                                             tion était d’ailleurs particulièrement d’actualité
               1. Le 19 mars 2014, un colloque organisé par le cabinet
               d’avocats Gide sur le thème du statut des industries
                                                                             dans l’attente de l’édiction par la Commission
               énergo-intensives en Europe a été l’occasion de revenir       européenne des nouvelles lignes directrices
               sur les mécanismes de soutien aux entreprises fortement       relatives aux aides d’État pour la protection de
               consommatrices d’électricité et de gaz dans cinq pays         l’environnement et l’énergie pour la période
               européens. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie
               du ministère français de l’Écologie, du Développement
                                                                             2014-2020. Ces lignes directrices ont été adop-
               durable et de l’Énergie, Michel Guénaire, avocat du cabinet   tées le 9 avril dernier3.
               Gide (France), Burghard Hildebrandt et Tobias Leidinger,
               avocats du cabinet Gleiss Lutz (Allemagne), Carola
               Antonini, avocate du cabinet Chiomenti (Italie), Juan         3. Au moment où cet article est composé, la version dé-
               Carlos Hernanz et Duarte Abecasis, avocats du cabinet         finitive des lignes directrices n’a pas encore été publiée
               Cuatrecasas Gonçalves Pereira (Espagne et Portugal) sont      au journal officiel de l’Union européenne. Les développe-
               intervenus pour apporter leurs regards croisés sur cet        ments qui y sont relatifs sont donc fondés sur une version
               enjeu industriel, concurrentiel et juridique majeur.          provisoire mise en ligne par la Commission européenne
               2. Avec la participation d’Adrien Houssaïs.                   sur son site internet le 21 mai 2014.

               La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                                      221

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ÉTUDE      Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?

               1. Les mécanismes français de soutien                d’appel d’offres, un contrat de partenariat de
                  aux électro-intensifs depuis 2005                 long terme qui lui permet de bénéficier de
                                                                    tarifs plus compétitifs. En contrepartie, les en-
                   Les problématiques auxquelles sont confron-      treprises du consortium se sont engagées à
               tés les consommateurs énergo-intensifs consti-       prendre à leur charge une partie des risques
               tuent un véritable problème structurel qui           associés au développement et à l’exploitation
               affecte des secteurs industriels stratégiques. En    par EDF du parc nucléaire français.
               France, ce sont près de 1/5e de la valeur ajou-          Ce dispositif principal est complété de
               tée, un-quart des emplois et 70 % de l’énergie       mesures    plus ponctuelles. Les grands consom-
               consommée dans le secteur industriel qui sont        mateurs    d’électricité peuvent bénéficier d’un
               directement concernés. Le régime mis en place        plafonnement de la CSPE, taxe qui permet
               au profit des consommateurs électro- et gazo-        en France de financer le rachat de l’électricité
               intensifs répond aux difficultés spécifiquement      d’origine renouvelable, la péréquation tari-
               rencontrées par ces acteurs                          faire et les tarifs sociaux de l’électricitré. D’une
               sur les marchés de l’électri-                                             part, le montant annuel de
               cité et du gaz.                                                           la contribution par site de
                                                         Création d’un                   consommation est plafonné
                   Dès 2005, le législa-
               teur a pris l’initiative de fa-     consortium, Exeltium,                 à 550 000 €. D’autre part, les
               voriser le regroupement qui réunit les principaux sociétés industrielles con-
               de consommateurs électro-                                                 sommant plus de 7 GWh/
               intensifs pour leurs achats
                                                        consommateurs                    an voient leur contribution
               d’électricité. Cette forme               électro-intensifs                plafonnée à 0,5 % de leur
               de groupement de com-                                                     valeur ajoutée annuelle.
                                                        implantés sur le                 Ces seuils, qui ont pour ob-
               mande bénéficie, depuis
               la loi n° 2005-1719 du 30               territoire français               jet de réduire l’impact du
               décembre 2005 et le décret                                                développement des énergies
               n° 2006-506 du 3 mai 2006                                                 renouvelables sur la compé-
               relatifs aux sociétés d’approvisionnement à          titivité (notamment à l’international) des indus-
               long terme d’électricité, d’une incitation fiscale   tries implantées en France, ne sont cependant
               dont les modalités sont actuellement définies        pas sans effet pour les autres consommateurs
               par les articles 238 bis HZ bis et suivants, et      qui supportent alors le reliquat de la contribu-
               46 quindecies R et suivants du Code général          tion excédant le plafond.
               des impôts. Peuvent bénéficier de ces mesures,           Les industriels électro-intensifs peuvent
               les sites : 1) dont la consommation en heu-          également bénéficier des dispositions rela-
               res creuses représente au moins 55 % de la           tives au mécanisme d’interruptibilité, prévues
               consommation annuelle totale d’électricité du        à l’article L. 321-19 du Code de l’énergie
               site, 2) qui sont en mesure, sauf pour une du-       et par le récent arrêté du 27 mars 2014 pris
               rée maximale de 8 000 heures, de consommer           pour son application. La signature de contrats
               l’intégralité de l’énergie acquise sous forme        d’interruptibilité avec le gestionnaire de réseau
               d’une puissance constante via le groupement          de transport d’électricité, RTE, rendue possible
               de commande, et 3) dont la consommation              par la loi n° 2010-1448 du 7 décembre 2010,
               en électricité donne lieu au paiement de la          dite loi « Nome », permet la rémunération de
               contribution aux charges du service public de        consommateurs mettant à disposition de la
               l’électricité (CSPE).                                capacité interruptible en cas de surcharge du
                   Ces dispositions ont permis la création d’un     réseau. Pour être éligible au mécanisme, cette
               consortium, Exeltium, qui réunit les principaux      capacité doit être comprise entre 60 et 300 MW
               consommateurs électro-intensifs implantés sur        et être disponible « à toute heure et tous les
               le territoire français. Ce groupement fut créé       jours de l’année ». La compensation versée est
               en 2006 par une soixantaine d’entreprises et         d’un montant maximal de 82 €/MW par jour de
               a conclu avec EDF, au terme d’une procédure          disponibilité.

               222                                                La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014

Livre Revue_619.indb 222                                                                                                   22/05/14 22:17
Les électro-intensifs peuvent, enfin, valoriser   zones, dit spread Nord/Sud, s’est sensiblement
               leurs effacements de consommation depuis le          accru depuis 2011 et a dépassé à plusieurs re-
               mois de décembre 2013 et l’approbation par la        prises le seuil de 6 €/MWh. Il en est résulté une
               Commission de régulation de l’énergie (CRE)          situation défavorable pour les industriels de la
               des règles expérimentales de RTE relatives au        zone Sud qui ne pouvait être compensée qu’à
               mécanisme d’effacement de consommation.              l’horizon 2018 par les travaux d’accroissement
               La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, dite loi        de capacité entrepris par GRTgaz sur la liai-
               « Brottes », avait introduit à l’article L. 271-1 du son Nord/Sud. Seuls de tels travaux pouvaient
               Code de l’énergie une nouvelle disposition pré-      permettre la fusion des zones Nord et Sud par
               voyant la mise en place du                                               une réduction physique des
               système de valorisation des                                              contraintes. Au-delà du mar-
               effacements sur les marchés               Un écart croissant             ché français, cette situation
               de l’énergie. Les effacements           du prix du gaz entre             affecte également l’Espagne
               sont rémunérés par une                                                   dont les approvisionnements
               prime versée aux opérateurs            les zones Nord et Sud             en gaz naturel transitent par
               d’effacement. La première             du réseau de transport la zone Sud de la France.
               vente directe d’un efface-                                               L’État espagnol pourrait,
               ment de consommation sur                                                 pour cette raison, participer
               le marché de gros de l’électricité a d’ailleurs      aux investissements réalisés par GRTgaz.
               été annoncée le 8 janvier dernier, dans le cadre        Dans l’attente de l’éché-ance de 2018, la loi
               du dispositif transitoire validé par la CRE et       n° 2013-619 du 16 juillet 2013, en introduisant
               qui sera en place jusqu’au mois de décembre          l’article L. 461-1 du Code de l’énergie, a per-
               2014. Y succédera un système définitif qui sera      mis à la CRE d’adopter des conditions parti-
               adopté par décret, dont le projet a été pro-         culières d’approvisionnement et d’accès aux
               posé par la CRE et sur lequel l’Autorité de la       réseaux de transport et de distribution de gaz
               concurrence a rendu son avis le 20 décembre          naturel au profit des entreprises « qui utilisent
               2013. Pour l’année 2014, la CRE a estimé que         le gaz naturel comme matière première ou
               les primes qui seront versées aux opérateurs         source d’énergie et dont l’activité principale est
               d’effacements devraient avoisiner un montant         exposée à la concurrence internationale ». Les
               total de 4 millions d’euros.                         entreprises gazo-intensives qui bénéficient de
                                                                    ces privilèges, définies de manière plus précise
                                                                    par le décret n° 2013-972 du 30 octobre 2013,
                             2. Un récent statut                    sont notamment celles dont le ratio entre le
                          pour les gazo-intensifs                   volume de gaz consommé et la valeur ajoutée
                                                                    dépasse 4 kWh/€. Elles peuvent alors bénéfi-
                  Le statut des énergo-intensifs en matière de      cier d’un accès prioritaire à près de 20 % des
               gaz répond, quant à lui, à un enjeu de nature        capacités commercialisées du Nord vers le
               différente. Le marché français du gaz se carac-      Sud. Elles acquièrent également ces capacités
               térise notamment par un écart croissant du prix      à un tarif régulé de 0,57 €/MWh et non aux
               du gaz entre les zones Nord et Sud du réseau         enchères, comme pour les autres expéditeurs.
               de transport, géré par GRTgaz et TIGF. Depuis        La nature exacte de ces avantages a été déci-
               début 2012, la liaison entre ces deux zones est      dée par la CRE au moyen d’une délibération
               congestionnée dans le sens Nord vers Sud, ce         du 17 octobre 2013 modifiée par une seconde
               qui s’est traduit par un rencherrissement du         délibération du 23 janvier 2014. Paradoxale-
               coût de l’utilisation de cette liaison dans le       ment, ce régime a été critiqué à la fois par les
               sens descendant. Le prix du gaz en zone Sud,         expéditeurs qui n’en bénéficiaient pas et par
               qui demeure alimentée principalement par le          les industriels eux-mêmes, par l’intermédiaire
               gaz venant du Nord de l’Europe, a donc connu         pour les seconds de l’Uniden. Pour 2015, la
               une augmentation supérieure à celle du gaz en        CRE a estimé que ce mécanisme permettrait de
               zone Nord. Le différentiel de prix entre les deux    réduire le différentiel de prix à 1,3 €/MWh.

               La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                      223

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ÉTUDE      Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?

                  Les mécanismes de soutien mis en place en           consommateurs électro-intensifs bénéficient,
               France, outre qu’ils répondent à la situation          depuis le 1er juillet 2013, d’exemptions allant de
               particulière des industriels energo-intensifs en       15 à 60 % des frais généraux exigibles.
               France, présentent une véritable originalité en           L’Italie a récemment consacré une extension
               comparaison avec les systèmes des autres pays          au secteur du gaz de l’exonération de la contri-
               européens.                                             bution d’acheminement de l’électricité. Une
                                                                      loi du 21 février 2014 a ainsi confirmé l’atta-
                                                                      chement de l’Italie à ce mode de soutien à ses
                3. Des aides en Allemagne et en Italie
                                                                      industriels energo-intensifs.
                     et aucun dispositif spécial                         L’Allemagne et l’Italie ont choisi de favoriser
                     dans la péninsule ibérique                       une baisse des contributions des consomma-
                                                                      teurs électro-intensifs. Cette solution n’est ce-
                   L’Allemagne et l’Italie ont adopté deux sys-
                                                                      pendant pas exempte de critiques liées, d’une
               tèmes très semblables qui reposent sur des
                                                                      part, à son coût (dès lors qu’elle a généré en
               exemptions de charges dont le champ était,
                                                                      Allemagne un manque à gagner de 500 mil-
               jusqu’à récemment, limité au seul marché de
                                                                      lions d’euros en 2013) et, d’autre part, à des
               l’électricité. La logique de ces mécanismes est
                                                                      considérations de justice sociale puisque les
               commune : soustraire les consommateurs les
                                                                      sommes qui ne sont pas acquittées par les
               plus importants à diverses charges, notamment
               celles instaurées afin de financer les disposi-        grands consommateurs sont en définitive réper-
               tifs favorisant le développement des énergies          cutées sur les autres consommateurs. En outre,
               renouvelables.                                         contrairement au dispositif français de groupe-
                   Face à la nécessité de permettre aux indus-        ments d’achat d’électricité, ces systèmes ne font
               tries électro-intensives implantées sur son terri-     pas véritablement intervenir de mécanismes de
               toire de rester compétitives, l’Allemagne a opté       marché et ne laissent aucune place à la négo-
               pour un système d’exemptions concernant la             ciation et aux initiatives privées.
               redevance d’utilisation du réseau, d’une part, et         A l’inverse, aucun système organisé n’existe
               concernant les suppléments de charges finan-           actuellement en Espagne et au Portugal en
               çant les énergies renouvelables, d’autre part. Ces     faveur des énergo-intensifs, où ces consom-
               exemptions, dont l’importance est progressive,         mateurs ne font pas l’objet d’un traitement dif-
               bénéficient aux entreprises dont la consomma-          férencié vis-à-vis des autres consommateurs
               tion en électricité s’élève au moins à 1 GWh/          d’énergie. L’absence de soutien spécifique peut
               an et représente un coût supérieur à 14 % de la        s’expliquer par un contexte économique peu
               valeur ajoutée de l’entreprise. En pratique, les       propice à l’instauration de dispositifs d’aide
               mesures instaurées en Allemagne permettent             aux grands consommateurs d’électricité et de
               de réduire entre 1 et 20 % les charges ciblées en      gaz. De plus, les interrogations liées à la com-
               fonction de la consommation annuelle d’électri-        patibilité de tels mécanismes vis-à-vis du droit
               cité des entreprises.                                  communautaire (voir ci-dessous) en ont certai-
                   L’Italie s’est inspirée de ce schéma pour          nement freiné le développement.
               mettre en place des exemptions diminuant les              Il n’en demeure pas moins que les grands
               frais généraux payés par les industries afin de        consommateurs d’énergie bénéficient ponc-
               contribuer, entre autres, au développement des         tuellement, dans ces deux pays, d’un traite-
               énergies renouvelables ainsi qu’au démantè-            ment plus favorable. D’abord, cela va de soi,
               lement des centrales nucléaires. Là encore, ce         leur forte consommation leur confère un im-
               mécanisme bénéficie aux entreprises consom-            portant pouvoir de négociation et incite au re-
               mant une grande quantité d’électricité, d’au           groupement pour l’achat de grandes quantités
               moins 2,4 GWh/an, pour un coût significatif            d’électricité ou de gaz, sans pour autant qu’ils
               représentant au moins 2 % du chiffre d’affaires.       y soient spécifiquement encouragés par l’État.
               Les exemptions prévues sont en revanche bien           En outre, la régularité et la prévisibilité de leur
               plus importantes que dans les autres pays étu-         consommation énergétique conduit souvent
               diés. Tandis qu’une exemption totale bénéficie         à les mobiliser dans le cadre de mécanismes
               aux entités les plus consommatrices, les autres        de demand side management, c’est-à-dire

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d’effacement de consommation. Les électro-            des deux enquêtes, la Commission a relevé que
               intensifs espagnols sont d’ailleurs les seules        le cas de l’Allemagne est « le premier qui a trait
               entreprises à remplir les conditions nécessaires      à une exonération des droits de réseau ».
               afin d’obtenir une indemnité en cas d’interrup-           Depuis lors, des discussions se sont enga-
               tion forcée de la consommation. Ce système,           gées au sujet du système de suppléments de
               qui vient d’être complété par un arrêté ministé-      charges. Ces échanges entre l’État allemand et
               riel du 7 mars 2014, est d’ailleurs d’autant plus     la Commission européenne ont porté sur deux
               intéressant pour les grands consommateurs             des critères de l’aide d’État : l’existence d’un
               qu’une compensation leur est versée, y compris        avantage concurrentiel, d’une part, et le carac-
               lorsque la suspension de la consommation n’a          tère public des fonds alloués, d’autre part. Le
               pas été requise par le gestionnaire du réseau.        gouvernement fédéral allemand a notamment
                  L’étude des mécanismes existants montre            mis en avant que la mesure constitue un régime
               une prise en compte variable du statut de             général qui se limite à compenser le déficit de
               consommateur énergo-intensif dans les pays de         compétitivité des entreprises électro-intensives.
               l’Ouest de l’Europe, dont il résulte une situa-       Il n’en résulterait donc pas un véritable avan-
               tion concurrentielle inégale pour ces industriels     tage, mais simplement le rétablissement d’une
               pourtant en compétition directe entre eux. Le         situation équitable à partir d’un déséquilibre
               rôle d’initiative des États dans la détermination     antérieur. L’Allemange considère également
               des aides accordées demeure donc au premier           que son régime n’est pas administré par une
               plan. Il pourrait toutefois se voir réduit par le     autorité publique ou parapublique, mais par les
               cadre communautaire qui y est applicable.             entreprises privées en charge du réseau.
                                                                         L’État allemand a annoncé avoir introduit un
                     4. La compatibilité du soutien                  recours contre la seconde des deux décisions
                    aux énergo-intensifs avec le droit               d’ouverture d’enquête au mois de février 2014.
                            communautaire                            Naturellement, et dès l’origine, l’avancement de
                                                                     la procédure a été suivie de très près en Italie
                  Les mécanismes de soutien aux industriels          comme en France, la décision à intervenir illus-
               énergo-intensifs par les États-membres de             trant la position que la Commission européenne
               l’Union européenne font actuellement l’objet          pourrait retenir concernant les autres systèmes
               d’un contrôle approfondi de la Commission eu-         nationaux de soutien bénéficiant aux grands
               ropéenne. L’article 107 § 1 du traité sur le fonc-    consommateurs. À raison, d’ailleurs, puisque la
               tionnement de l’Union européenne pose que             Commission a ouvert le 27 mars 2014 une nou-
               sont en principe incompatibles avec le marché         velle procédure d’enquête portant cette fois sur
               intérieur « les aides accordées par les États ou au   les règles françaises, proches sur ce point du
               moyen de ressources d’État sous quelque forme         système allemand, de plafonnement de la CSPE
               que ce soit qui faussent ou qui menacent de           au bénéfice des sociétés industrielles. La Com-
               fausser la concurrence en favorisant certaines        mission a notamment relevé que ces mesures
               entreprises ou certaines productions ».               « semblent donner aux grands consommateurs
                  Sur ce fondement, la Commission euro-              d’électricité un avantage sélectif qui pourrait
               péenne a récemment initié plusieurs procédures        fausser la concurrence au sein du marché
               d’enquête relatives à des politiques nationales       unique » et que « la possibilité d’octroyer de
               de soutien aux consommateurs industriels              telles réductions n’est pas prévue dans les lignes
               d’électricité et de gaz. Deux procédures portant      directrices de 2008, actuellement en vigueur ».
               sur les exemptions allemandes ont notamment
               été lancées en mars et en décembre 2013. La
               Commission y a respectivement mis en cause                 5. Nouvelles lignes directrices
               l’exonération des droits de réseau pour les                applicables au 1er juillet 2014
               grands consommateurs d’électricité et les ré-
               ductions du prélèvement permettant de finan-            La question de la compatibilité des régimes
               cer les énergies renouvelables dont bénéficient       nationaux avec le droit communautaire a enfin
               ces mêmes entreprises. Concernant la première         connu un renouveau avec l’adoption, le 9 avril

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ÉTUDE           Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?

               dernier, des lignes directrices relatives aux aides                entreprises. Les autorités françaises avaient ce-
               d’État pour la protection de l’environnement et                    pendant insisté pour que ce plafond soit abais-
               l’énergie pour la période 2014-2020. Ces der-                      sé à 0,5 % comme cela est prévu actuellement
               nières prévoient la possibilité pour les États-                    en France pour la CSPE. C’est finalement cette
               membres d’accorder des réductions de charges                       position qui a prévalu dans la version définitive
               liées au financement des mécanismes de sou-                        du projet.
               tien aux énergies renouvelables, à certaines                          Ces nouvelles lignes directrices seront appli-
               conditions. Tout d’abord, les coûts dont pour-                     cables dès le 1er juillet 2014. Elles prévoient de
               raient être exonérés les bénéficiaires doivent                     plus que les mesures nationales qui ne seraient
               être uniquement liés au financement de tels                        pas en conformité avec leurs dispositions à
               mécanismes. Concernant la France, cette pre-                       cette date seront tout de même déclarées com-
               mière limite n’est pas sans poser difficulté dès                   patibles avec le marché intérieur si l’État met en
               lors que la CSPE a vocation à financer d’autres                    place un « plan d’adaptation » en vue de leur
               mesures nationales, dont les tarifs sociaux et la                  régularisation à l’horizon du 1er janvier 2019.
               péréquation tarifaire. En outre, les dispositions
                                                                                  Pour les exemptions accordées avant l’entrée
               des lignes directrices ne concernent a priori
                                                                                  en vigueur des lignes directrices, celles-ci pour-
               que le secteur de l’électricité et non celui du
                                                                                  ront être déclarées compatibles à condition que
               gaz. Le nouvelle législation italienne pose donc
                                                                                  le plan d’adaptation prévoie qu’une contribu-
               de ce point de vue des interrogations distinctes.
                                                                                  tion d’au moins 20 % des charges soit rétablie
                  Ensuite, seules les entreprises de certains
               secteurs dont la liste est annexée aux lignes                      d’ici à fin 2018.
               directrices pourront en principe bénéficier de                        Surtout, comme l’a rappelé la Commission
               l’exemption. Il s’agit des secteurs identifiés                     européenne, ces lignes directrices s’appliqueront
               par la Commission comme étant fortement                            aux enquêtes en cours d’instruction. Leur
               consommateurs d’électricité et particulièrement                    publication ouvre donc une nouvelle période
               exposés à la concurrence internationale. Les                       de débats entre la Commission et les États
               États pourront toutefois étendre leurs mesures                     concernés pour déterminer si les mesures
               à d’autres secteurs, à condition qu’ils prouvent                   nationales sont d’ores et déjà conformes aux
               que les bénéficiaires de la mesure ont une                         cadre communautaire. Cette situation place les
               électro-intensivité4 supérieure à 20 % et qu’ils                   industries électro-intensives dans une posture
               appartiennent à un secteur d’activité dont l’in-                   délicate puisque la perennité des allègements
               tensité des échanges au niveau de l’Union eu-                      dont elles bénéficient actuellement, et qui ont
               ropéenne excède 4 %.                                               un impact financier considérable, n’est pas
                  Enfin, l’aide consistant en l’allègement de                     garantie. Il s’y ajoute enfin que, pour le passé,
               charges sera considérée comme proportionnée                        une récupération de l’aide ne peut pas être
               si le bénéficiaire continue de supporter un mi-                    exclue.
               nimum de 15 % des charges initiales, qui peut                         La France est certes touchée par les nouvelles
               éventuellement être plafonné à 4 % de la valeur                    règles communautaires en raison du plafon-
               ajoutée brute de l’entreprise ou à 0,5 % de cette                  nement de la CSPE dont bénéficient les élec-
               valeur pour les entreprises ayant une électro-                     tro-intensifs. Les autres mesures de faveur aux
               intensivité d’au moins 20 %.                                       consommateurs industriels pour leurs achats
                  Ce dernier plafond de 0,5 % avait donné lieu                    d’électricité (groupement d’achat) et de gaz
               à de longues discussions entre la France et la                     (allocation prioritaire de capacités à la liaison
               Commission européenne qui, confortée par                           Nord/Sud) ne sont cependant pas visées pour
               l’Allemagne, avait initialement retenu un pla-                     le moment. Sous l’impulsion de la Commission
               fond maximum de 1 % de valeur ajoutée des                          européenne, la nature des aides octroyées par
                                                                                  les États européens aux industriels implantés
               4. L’électro-intensivité d’une entreprise est définie, confor-     sur leurs territoires pourrait ainsi progressive-
               mément à l’annexe 4 des lignes directrices, par le rapport
                                                                                  ment être modifiée et s’harmoniser au sein de
                                                                                                                                   Q
               entre le coût de l’électricité consommée par l’entreprise et
               sa valeur ajoutée brute.                                           ces pays.

               226                                                              La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014

Livre Revue_619.indb 226                                                                                                               22/05/14 22:17
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