ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?1
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ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ?1 Michel Guénaire, Pierre-Adrien Lienhardt2 Soumis à une dure concurrence internationale, les entreprises de l’Union euro- péenne fortes consommatrices d’électricité et de gaz bénéficient de mesures de soutien. Les dispositifs sont très variables, ainsi que le révèle une étude menée sur cinq pays : Allemagne, Espagne, France, Italie et Portugal. La Commission européenne vient d’adopter des lignes directrices concernant ces aides et leur compatibilité avec les règles de la concurrence. Ces nouvelles règles doivent en- trer en vigueur au 1er juillet 2014. La crise de la mondialisation pose la ques- l’Europe a ainsi vu naître des politiques d’aide tion de la compétitivité des industries dans les à ces consommateurs dits « électro- » et « gazo- différentes régions du monde. En Europe par- intensifs » (ou, ensemble, « énergo-intensifs »). ticulièrement, les entreprises souffrent d’une La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne perte de compétitivité face à leurs concur- et le Portugal ont adopté des positions diffé- rentes étrangères. rentes face à cet enjeu. L’analyse des systèmes Les gouvernements européens se sont mo- en place, qu’ils soient aboutis ou plus ponc- bilisés pour créer des mécanismes de soutien tuels, permet d’évaluer dans quelle mesure les aux industries dont le coût de revient est forte- industriels européens bénéficient aujourd’hui ment lié aux prix de l’électricité et du gaz. Ces d’un traitement suffisamment égalitaire selon industries, dont le rôle en termes d’emploi et leur lieu d’implantation. de valeur ajoutée est déterminant, sont expo- Ces initiatives doivent en outre s’inscrire sées à la concurrence d’entreprises qui bénéfi- dans le cadre de libre concurrence établi par cient de la disparité du prix de l’énergie dans l’Union européenne, et notamment les règles le monde. Au cours de la dernière décennie, relatives aux aides d’État. Cet aspect de la ques- tion était d’ailleurs particulièrement d’actualité 1. Le 19 mars 2014, un colloque organisé par le cabinet d’avocats Gide sur le thème du statut des industries dans l’attente de l’édiction par la Commission énergo-intensives en Europe a été l’occasion de revenir européenne des nouvelles lignes directrices sur les mécanismes de soutien aux entreprises fortement relatives aux aides d’État pour la protection de consommatrices d’électricité et de gaz dans cinq pays l’environnement et l’énergie pour la période européens. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie du ministère français de l’Écologie, du Développement 2014-2020. Ces lignes directrices ont été adop- durable et de l’Énergie, Michel Guénaire, avocat du cabinet tées le 9 avril dernier3. Gide (France), Burghard Hildebrandt et Tobias Leidinger, avocats du cabinet Gleiss Lutz (Allemagne), Carola Antonini, avocate du cabinet Chiomenti (Italie), Juan 3. Au moment où cet article est composé, la version dé- Carlos Hernanz et Duarte Abecasis, avocats du cabinet finitive des lignes directrices n’a pas encore été publiée Cuatrecasas Gonçalves Pereira (Espagne et Portugal) sont au journal officiel de l’Union européenne. Les développe- intervenus pour apporter leurs regards croisés sur cet ments qui y sont relatifs sont donc fondés sur une version enjeu industriel, concurrentiel et juridique majeur. provisoire mise en ligne par la Commission européenne 2. Avec la participation d’Adrien Houssaïs. sur son site internet le 21 mai 2014. La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 221 Livre Revue_619.indb 221 22/05/14 22:17
ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ? 1. Les mécanismes français de soutien d’appel d’offres, un contrat de partenariat de aux électro-intensifs depuis 2005 long terme qui lui permet de bénéficier de tarifs plus compétitifs. En contrepartie, les en- Les problématiques auxquelles sont confron- treprises du consortium se sont engagées à tés les consommateurs énergo-intensifs consti- prendre à leur charge une partie des risques tuent un véritable problème structurel qui associés au développement et à l’exploitation affecte des secteurs industriels stratégiques. En par EDF du parc nucléaire français. France, ce sont près de 1/5e de la valeur ajou- Ce dispositif principal est complété de tée, un-quart des emplois et 70 % de l’énergie mesures plus ponctuelles. Les grands consom- consommée dans le secteur industriel qui sont mateurs d’électricité peuvent bénéficier d’un directement concernés. Le régime mis en place plafonnement de la CSPE, taxe qui permet au profit des consommateurs électro- et gazo- en France de financer le rachat de l’électricité intensifs répond aux difficultés spécifiquement d’origine renouvelable, la péréquation tari- rencontrées par ces acteurs faire et les tarifs sociaux de l’électricitré. D’une sur les marchés de l’électri- part, le montant annuel de cité et du gaz. la contribution par site de Création d’un consommation est plafonné Dès 2005, le législa- teur a pris l’initiative de fa- consortium, Exeltium, à 550 000 €. D’autre part, les voriser le regroupement qui réunit les principaux sociétés industrielles con- de consommateurs électro- sommant plus de 7 GWh/ intensifs pour leurs achats consommateurs an voient leur contribution d’électricité. Cette forme électro-intensifs plafonnée à 0,5 % de leur de groupement de com- valeur ajoutée annuelle. implantés sur le Ces seuils, qui ont pour ob- mande bénéficie, depuis la loi n° 2005-1719 du 30 territoire français jet de réduire l’impact du décembre 2005 et le décret développement des énergies n° 2006-506 du 3 mai 2006 renouvelables sur la compé- relatifs aux sociétés d’approvisionnement à titivité (notamment à l’international) des indus- long terme d’électricité, d’une incitation fiscale tries implantées en France, ne sont cependant dont les modalités sont actuellement définies pas sans effet pour les autres consommateurs par les articles 238 bis HZ bis et suivants, et qui supportent alors le reliquat de la contribu- 46 quindecies R et suivants du Code général tion excédant le plafond. des impôts. Peuvent bénéficier de ces mesures, Les industriels électro-intensifs peuvent les sites : 1) dont la consommation en heu- également bénéficier des dispositions rela- res creuses représente au moins 55 % de la tives au mécanisme d’interruptibilité, prévues consommation annuelle totale d’électricité du à l’article L. 321-19 du Code de l’énergie site, 2) qui sont en mesure, sauf pour une du- et par le récent arrêté du 27 mars 2014 pris rée maximale de 8 000 heures, de consommer pour son application. La signature de contrats l’intégralité de l’énergie acquise sous forme d’interruptibilité avec le gestionnaire de réseau d’une puissance constante via le groupement de transport d’électricité, RTE, rendue possible de commande, et 3) dont la consommation par la loi n° 2010-1448 du 7 décembre 2010, en électricité donne lieu au paiement de la dite loi « Nome », permet la rémunération de contribution aux charges du service public de consommateurs mettant à disposition de la l’électricité (CSPE). capacité interruptible en cas de surcharge du Ces dispositions ont permis la création d’un réseau. Pour être éligible au mécanisme, cette consortium, Exeltium, qui réunit les principaux capacité doit être comprise entre 60 et 300 MW consommateurs électro-intensifs implantés sur et être disponible « à toute heure et tous les le territoire français. Ce groupement fut créé jours de l’année ». La compensation versée est en 2006 par une soixantaine d’entreprises et d’un montant maximal de 82 €/MW par jour de a conclu avec EDF, au terme d’une procédure disponibilité. 222 La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 Livre Revue_619.indb 222 22/05/14 22:17
Les électro-intensifs peuvent, enfin, valoriser zones, dit spread Nord/Sud, s’est sensiblement leurs effacements de consommation depuis le accru depuis 2011 et a dépassé à plusieurs re- mois de décembre 2013 et l’approbation par la prises le seuil de 6 €/MWh. Il en est résulté une Commission de régulation de l’énergie (CRE) situation défavorable pour les industriels de la des règles expérimentales de RTE relatives au zone Sud qui ne pouvait être compensée qu’à mécanisme d’effacement de consommation. l’horizon 2018 par les travaux d’accroissement La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, dite loi de capacité entrepris par GRTgaz sur la liai- « Brottes », avait introduit à l’article L. 271-1 du son Nord/Sud. Seuls de tels travaux pouvaient Code de l’énergie une nouvelle disposition pré- permettre la fusion des zones Nord et Sud par voyant la mise en place du une réduction physique des système de valorisation des contraintes. Au-delà du mar- effacements sur les marchés Un écart croissant ché français, cette situation de l’énergie. Les effacements du prix du gaz entre affecte également l’Espagne sont rémunérés par une dont les approvisionnements prime versée aux opérateurs les zones Nord et Sud en gaz naturel transitent par d’effacement. La première du réseau de transport la zone Sud de la France. vente directe d’un efface- L’État espagnol pourrait, ment de consommation sur pour cette raison, participer le marché de gros de l’électricité a d’ailleurs aux investissements réalisés par GRTgaz. été annoncée le 8 janvier dernier, dans le cadre Dans l’attente de l’éché-ance de 2018, la loi du dispositif transitoire validé par la CRE et n° 2013-619 du 16 juillet 2013, en introduisant qui sera en place jusqu’au mois de décembre l’article L. 461-1 du Code de l’énergie, a per- 2014. Y succédera un système définitif qui sera mis à la CRE d’adopter des conditions parti- adopté par décret, dont le projet a été pro- culières d’approvisionnement et d’accès aux posé par la CRE et sur lequel l’Autorité de la réseaux de transport et de distribution de gaz concurrence a rendu son avis le 20 décembre naturel au profit des entreprises « qui utilisent 2013. Pour l’année 2014, la CRE a estimé que le gaz naturel comme matière première ou les primes qui seront versées aux opérateurs source d’énergie et dont l’activité principale est d’effacements devraient avoisiner un montant exposée à la concurrence internationale ». Les total de 4 millions d’euros. entreprises gazo-intensives qui bénéficient de ces privilèges, définies de manière plus précise par le décret n° 2013-972 du 30 octobre 2013, 2. Un récent statut sont notamment celles dont le ratio entre le pour les gazo-intensifs volume de gaz consommé et la valeur ajoutée dépasse 4 kWh/€. Elles peuvent alors bénéfi- Le statut des énergo-intensifs en matière de cier d’un accès prioritaire à près de 20 % des gaz répond, quant à lui, à un enjeu de nature capacités commercialisées du Nord vers le différente. Le marché français du gaz se carac- Sud. Elles acquièrent également ces capacités térise notamment par un écart croissant du prix à un tarif régulé de 0,57 €/MWh et non aux du gaz entre les zones Nord et Sud du réseau enchères, comme pour les autres expéditeurs. de transport, géré par GRTgaz et TIGF. Depuis La nature exacte de ces avantages a été déci- début 2012, la liaison entre ces deux zones est dée par la CRE au moyen d’une délibération congestionnée dans le sens Nord vers Sud, ce du 17 octobre 2013 modifiée par une seconde qui s’est traduit par un rencherrissement du délibération du 23 janvier 2014. Paradoxale- coût de l’utilisation de cette liaison dans le ment, ce régime a été critiqué à la fois par les sens descendant. Le prix du gaz en zone Sud, expéditeurs qui n’en bénéficiaient pas et par qui demeure alimentée principalement par le les industriels eux-mêmes, par l’intermédiaire gaz venant du Nord de l’Europe, a donc connu pour les seconds de l’Uniden. Pour 2015, la une augmentation supérieure à celle du gaz en CRE a estimé que ce mécanisme permettrait de zone Nord. Le différentiel de prix entre les deux réduire le différentiel de prix à 1,3 €/MWh. La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 223 Livre Revue_619.indb 223 22/05/14 22:17
ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ? Les mécanismes de soutien mis en place en consommateurs électro-intensifs bénéficient, France, outre qu’ils répondent à la situation depuis le 1er juillet 2013, d’exemptions allant de particulière des industriels energo-intensifs en 15 à 60 % des frais généraux exigibles. France, présentent une véritable originalité en L’Italie a récemment consacré une extension comparaison avec les systèmes des autres pays au secteur du gaz de l’exonération de la contri- européens. bution d’acheminement de l’électricité. Une loi du 21 février 2014 a ainsi confirmé l’atta- chement de l’Italie à ce mode de soutien à ses 3. Des aides en Allemagne et en Italie industriels energo-intensifs. et aucun dispositif spécial L’Allemagne et l’Italie ont choisi de favoriser dans la péninsule ibérique une baisse des contributions des consomma- teurs électro-intensifs. Cette solution n’est ce- L’Allemagne et l’Italie ont adopté deux sys- pendant pas exempte de critiques liées, d’une tèmes très semblables qui reposent sur des part, à son coût (dès lors qu’elle a généré en exemptions de charges dont le champ était, Allemagne un manque à gagner de 500 mil- jusqu’à récemment, limité au seul marché de lions d’euros en 2013) et, d’autre part, à des l’électricité. La logique de ces mécanismes est considérations de justice sociale puisque les commune : soustraire les consommateurs les sommes qui ne sont pas acquittées par les plus importants à diverses charges, notamment celles instaurées afin de financer les disposi- grands consommateurs sont en définitive réper- tifs favorisant le développement des énergies cutées sur les autres consommateurs. En outre, renouvelables. contrairement au dispositif français de groupe- Face à la nécessité de permettre aux indus- ments d’achat d’électricité, ces systèmes ne font tries électro-intensives implantées sur son terri- pas véritablement intervenir de mécanismes de toire de rester compétitives, l’Allemagne a opté marché et ne laissent aucune place à la négo- pour un système d’exemptions concernant la ciation et aux initiatives privées. redevance d’utilisation du réseau, d’une part, et A l’inverse, aucun système organisé n’existe concernant les suppléments de charges finan- actuellement en Espagne et au Portugal en çant les énergies renouvelables, d’autre part. Ces faveur des énergo-intensifs, où ces consom- exemptions, dont l’importance est progressive, mateurs ne font pas l’objet d’un traitement dif- bénéficient aux entreprises dont la consomma- férencié vis-à-vis des autres consommateurs tion en électricité s’élève au moins à 1 GWh/ d’énergie. L’absence de soutien spécifique peut an et représente un coût supérieur à 14 % de la s’expliquer par un contexte économique peu valeur ajoutée de l’entreprise. En pratique, les propice à l’instauration de dispositifs d’aide mesures instaurées en Allemagne permettent aux grands consommateurs d’électricité et de de réduire entre 1 et 20 % les charges ciblées en gaz. De plus, les interrogations liées à la com- fonction de la consommation annuelle d’électri- patibilité de tels mécanismes vis-à-vis du droit cité des entreprises. communautaire (voir ci-dessous) en ont certai- L’Italie s’est inspirée de ce schéma pour nement freiné le développement. mettre en place des exemptions diminuant les Il n’en demeure pas moins que les grands frais généraux payés par les industries afin de consommateurs d’énergie bénéficient ponc- contribuer, entre autres, au développement des tuellement, dans ces deux pays, d’un traite- énergies renouvelables ainsi qu’au démantè- ment plus favorable. D’abord, cela va de soi, lement des centrales nucléaires. Là encore, ce leur forte consommation leur confère un im- mécanisme bénéficie aux entreprises consom- portant pouvoir de négociation et incite au re- mant une grande quantité d’électricité, d’au groupement pour l’achat de grandes quantités moins 2,4 GWh/an, pour un coût significatif d’électricité ou de gaz, sans pour autant qu’ils représentant au moins 2 % du chiffre d’affaires. y soient spécifiquement encouragés par l’État. Les exemptions prévues sont en revanche bien En outre, la régularité et la prévisibilité de leur plus importantes que dans les autres pays étu- consommation énergétique conduit souvent diés. Tandis qu’une exemption totale bénéficie à les mobiliser dans le cadre de mécanismes aux entités les plus consommatrices, les autres de demand side management, c’est-à-dire 224 La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 Livre Revue_619.indb 224 22/05/14 22:17
d’effacement de consommation. Les électro- des deux enquêtes, la Commission a relevé que intensifs espagnols sont d’ailleurs les seules le cas de l’Allemagne est « le premier qui a trait entreprises à remplir les conditions nécessaires à une exonération des droits de réseau ». afin d’obtenir une indemnité en cas d’interrup- Depuis lors, des discussions se sont enga- tion forcée de la consommation. Ce système, gées au sujet du système de suppléments de qui vient d’être complété par un arrêté ministé- charges. Ces échanges entre l’État allemand et riel du 7 mars 2014, est d’ailleurs d’autant plus la Commission européenne ont porté sur deux intéressant pour les grands consommateurs des critères de l’aide d’État : l’existence d’un qu’une compensation leur est versée, y compris avantage concurrentiel, d’une part, et le carac- lorsque la suspension de la consommation n’a tère public des fonds alloués, d’autre part. Le pas été requise par le gestionnaire du réseau. gouvernement fédéral allemand a notamment L’étude des mécanismes existants montre mis en avant que la mesure constitue un régime une prise en compte variable du statut de général qui se limite à compenser le déficit de consommateur énergo-intensif dans les pays de compétitivité des entreprises électro-intensives. l’Ouest de l’Europe, dont il résulte une situa- Il n’en résulterait donc pas un véritable avan- tion concurrentielle inégale pour ces industriels tage, mais simplement le rétablissement d’une pourtant en compétition directe entre eux. Le situation équitable à partir d’un déséquilibre rôle d’initiative des États dans la détermination antérieur. L’Allemange considère également des aides accordées demeure donc au premier que son régime n’est pas administré par une plan. Il pourrait toutefois se voir réduit par le autorité publique ou parapublique, mais par les cadre communautaire qui y est applicable. entreprises privées en charge du réseau. L’État allemand a annoncé avoir introduit un 4. La compatibilité du soutien recours contre la seconde des deux décisions aux énergo-intensifs avec le droit d’ouverture d’enquête au mois de février 2014. communautaire Naturellement, et dès l’origine, l’avancement de la procédure a été suivie de très près en Italie Les mécanismes de soutien aux industriels comme en France, la décision à intervenir illus- énergo-intensifs par les États-membres de trant la position que la Commission européenne l’Union européenne font actuellement l’objet pourrait retenir concernant les autres systèmes d’un contrôle approfondi de la Commission eu- nationaux de soutien bénéficiant aux grands ropéenne. L’article 107 § 1 du traité sur le fonc- consommateurs. À raison, d’ailleurs, puisque la tionnement de l’Union européenne pose que Commission a ouvert le 27 mars 2014 une nou- sont en principe incompatibles avec le marché velle procédure d’enquête portant cette fois sur intérieur « les aides accordées par les États ou au les règles françaises, proches sur ce point du moyen de ressources d’État sous quelque forme système allemand, de plafonnement de la CSPE que ce soit qui faussent ou qui menacent de au bénéfice des sociétés industrielles. La Com- fausser la concurrence en favorisant certaines mission a notamment relevé que ces mesures entreprises ou certaines productions ». « semblent donner aux grands consommateurs Sur ce fondement, la Commission euro- d’électricité un avantage sélectif qui pourrait péenne a récemment initié plusieurs procédures fausser la concurrence au sein du marché d’enquête relatives à des politiques nationales unique » et que « la possibilité d’octroyer de de soutien aux consommateurs industriels telles réductions n’est pas prévue dans les lignes d’électricité et de gaz. Deux procédures portant directrices de 2008, actuellement en vigueur ». sur les exemptions allemandes ont notamment été lancées en mars et en décembre 2013. La Commission y a respectivement mis en cause 5. Nouvelles lignes directrices l’exonération des droits de réseau pour les applicables au 1er juillet 2014 grands consommateurs d’électricité et les ré- ductions du prélèvement permettant de finan- La question de la compatibilité des régimes cer les énergies renouvelables dont bénéficient nationaux avec le droit communautaire a enfin ces mêmes entreprises. Concernant la première connu un renouveau avec l’adoption, le 9 avril La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 225 Livre Revue_619.indb 225 22/05/14 22:17
ÉTUDE Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ? dernier, des lignes directrices relatives aux aides entreprises. Les autorités françaises avaient ce- d’État pour la protection de l’environnement et pendant insisté pour que ce plafond soit abais- l’énergie pour la période 2014-2020. Ces der- sé à 0,5 % comme cela est prévu actuellement nières prévoient la possibilité pour les États- en France pour la CSPE. C’est finalement cette membres d’accorder des réductions de charges position qui a prévalu dans la version définitive liées au financement des mécanismes de sou- du projet. tien aux énergies renouvelables, à certaines Ces nouvelles lignes directrices seront appli- conditions. Tout d’abord, les coûts dont pour- cables dès le 1er juillet 2014. Elles prévoient de raient être exonérés les bénéficiaires doivent plus que les mesures nationales qui ne seraient être uniquement liés au financement de tels pas en conformité avec leurs dispositions à mécanismes. Concernant la France, cette pre- cette date seront tout de même déclarées com- mière limite n’est pas sans poser difficulté dès patibles avec le marché intérieur si l’État met en lors que la CSPE a vocation à financer d’autres place un « plan d’adaptation » en vue de leur mesures nationales, dont les tarifs sociaux et la régularisation à l’horizon du 1er janvier 2019. péréquation tarifaire. En outre, les dispositions Pour les exemptions accordées avant l’entrée des lignes directrices ne concernent a priori en vigueur des lignes directrices, celles-ci pour- que le secteur de l’électricité et non celui du ront être déclarées compatibles à condition que gaz. Le nouvelle législation italienne pose donc le plan d’adaptation prévoie qu’une contribu- de ce point de vue des interrogations distinctes. tion d’au moins 20 % des charges soit rétablie Ensuite, seules les entreprises de certains secteurs dont la liste est annexée aux lignes d’ici à fin 2018. directrices pourront en principe bénéficier de Surtout, comme l’a rappelé la Commission l’exemption. Il s’agit des secteurs identifiés européenne, ces lignes directrices s’appliqueront par la Commission comme étant fortement aux enquêtes en cours d’instruction. Leur consommateurs d’électricité et particulièrement publication ouvre donc une nouvelle période exposés à la concurrence internationale. Les de débats entre la Commission et les États États pourront toutefois étendre leurs mesures concernés pour déterminer si les mesures à d’autres secteurs, à condition qu’ils prouvent nationales sont d’ores et déjà conformes aux que les bénéficiaires de la mesure ont une cadre communautaire. Cette situation place les électro-intensivité4 supérieure à 20 % et qu’ils industries électro-intensives dans une posture appartiennent à un secteur d’activité dont l’in- délicate puisque la perennité des allègements tensité des échanges au niveau de l’Union eu- dont elles bénéficient actuellement, et qui ont ropéenne excède 4 %. un impact financier considérable, n’est pas Enfin, l’aide consistant en l’allègement de garantie. Il s’y ajoute enfin que, pour le passé, charges sera considérée comme proportionnée une récupération de l’aide ne peut pas être si le bénéficiaire continue de supporter un mi- exclue. nimum de 15 % des charges initiales, qui peut La France est certes touchée par les nouvelles éventuellement être plafonné à 4 % de la valeur règles communautaires en raison du plafon- ajoutée brute de l’entreprise ou à 0,5 % de cette nement de la CSPE dont bénéficient les élec- valeur pour les entreprises ayant une électro- tro-intensifs. Les autres mesures de faveur aux intensivité d’au moins 20 %. consommateurs industriels pour leurs achats Ce dernier plafond de 0,5 % avait donné lieu d’électricité (groupement d’achat) et de gaz à de longues discussions entre la France et la (allocation prioritaire de capacités à la liaison Commission européenne qui, confortée par Nord/Sud) ne sont cependant pas visées pour l’Allemagne, avait initialement retenu un pla- le moment. Sous l’impulsion de la Commission fond maximum de 1 % de valeur ajoutée des européenne, la nature des aides octroyées par les États européens aux industriels implantés 4. L’électro-intensivité d’une entreprise est définie, confor- sur leurs territoires pourrait ainsi progressive- mément à l’annexe 4 des lignes directrices, par le rapport ment être modifiée et s’harmoniser au sein de Q entre le coût de l’électricité consommée par l’entreprise et sa valeur ajoutée brute. ces pays. 226 La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014 Livre Revue_619.indb 226 22/05/14 22:17
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