Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
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Document generated on 07/01/2023 9:44 p.m. Vie des arts Ramsès II et son temps Michèle Tremblay-Gillon Volume 30, Number 119, June–Summer 1985 URI: https://id.erudit.org/iderudit/54131ac See table of contents Publisher(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital) Explore this journal Cite this article Tremblay-Gillon, M. (1985). Ramsès II et son temps. Vie des arts, 30(119), 36–102. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1985 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Michèle TREMBLAY-GILLON Ramsès n ET SON TEMPS remière grande civilisation à croire politique, fils d'une belle Asiatique et P à la survie de l'homme, l'ancienne Egypte a toute entière été marquée et déterminée par l'expression de cette nouvelle conception du monde. C'est dans l'élan de cet espoir du tré- époux de Nefertiti, cet intuitif échevelé rompit, en dix-sept ans, l'ordre normal des choses, devenant le promoteur d ' u n art d'où toutes les traditions devaient être b a n n i e s ; il fut le seul p h a r a o n de l'an- fonds de l'être que, dans un accord tacite, cienne Egypte à secouer aussi violem- les pouvoirs politiques et religieux entraî- nèrent, bon gré, mal gré, toute une société ÂA m e n t les c o n c e p t i o n s e s t h é t i q u e s et sociales, mais surtout, les croyances pro- dans l'édification d ' u n art et d ' u n e vie fondes de l'empire, c'est-à-dire la toute- quotidienne indissociés de la conscience puissance du dieu polymorphe Amon-Râ, du gouffre de la mort et de la nécessité in- en faveur d'une conception monothéiste térieure de transgresser autant que pos- du dieu Aton, représentant la force créa- sible l'ordre de la nature: loin d'être au trice du soleil libérée de l'association des service d ' u n culte, d ' u n état ou d ' u n e autres dieux. Après cette courte période de puissance, loin d'être décoration ou luxe, lyrisme tourmenté, une réaction se fit aus- l'art égyptien offrait une demeure, une re- sitôt sentir qui ramena ce style désor- création de la vie pour les morts et son rôle donné à un style plus tempéré et aussi plus religieux lui conférait u n rôle magique maniériste sous Toutankhamon qui réta- produisant l'éternité et triomphant de la blit le culte du dieu A m o n 1 . Q u o i q u e mort. éphémère, cette réforme artistique, dite Cette projection de l ' h o m m e aux amarnienne 2 , eut des répercussions jus- prises avec l'inconnu, raison même de qu'à l'époque ramesside, cinquante ans l'existence de l'art, fait de toute cette ci- plus tard, pendant laquelle nous retrou- vilisation une œuvre d'art en soi jusque vons la forme ovoïde des crânes allongés dans les moindres détails de son quoti- et rasés, l'influence naturaliste, le goût du dien. C'est avec fascination et émotion pittoresque dans les scènes de genre et une qu'aujourd'hui chacun de nous, peut-être plus grande virtuosité dans les traits et la aussi démunis devant la mort que les an- composition. ciens, essayons de pénétrer cette quête de Montréal, cette fois, est l'hôte d'une survie à jamais renouvelée et le silence de autre exposition d'envergure sur l'Egypte. ces témoignages étonnants de spiritualité Celle-ci est consacrée à Ramsès II et son et de joie de vivre. Pendant près de quatre temps. Elle pourrait sembler, à première mille a n s , quel que soit la p é r i o d e ou vue, un peu moins étincelante que celle de ' l'époque, le style ou la tendance, l'an- Toutankhamon. Cependant, la munifi- cienne Egypte nous donne à voir un art cence de l'ère ramesside, qui remplit deux authentique empreint de continuité, de siècles d'histoire, est sans égale d a n s réflexion et de pensée sur la condition hu- l'Egypte pharaonique. D'aucune époque, maine. il n'est resté, partout au pays, autant d'ob- En 1979, à Toronto, l'exposition des jets, de vestiges, de m o n u m e n t s aussi trésors de Toutankhamon nous a séduits. beaux que ceux qui unissent, sous Séthi Elle était d'autant plus passionnante que I er , par exemple, la qualité artistique à la ce tombeau de la Vallée des Rois fut re- splendeur, et aussi spectaculaires que trouvé intact. De plus, le court règne de ce ceux de son fils Ramsès II, bâtisseur infa- jeune pharaon maladif avait été d'une im- portance cruciale parce qu'il suivait im- médiatement le règne révolutionnaire du roi Aménophis IV-Akhenaton, surnommé le roi hérétique: grand romantique, rêveur 1. Colosse de Ramsès II en dévot du dieu Monthou et de la déesse Rât. Taouy. dans sa pensée religieuse aussi bien que ^ Granitrose; H.: 244cm; Larg.: 100. 36
Événements tigable. En effet, celui-ci fit restaurer tous montre la grande épouse royale, maîtresse Par ailleurs, il est émouvant de se les temples en plus d'entreprendre de cé- de l'Egypte et du monde, comme disent trouver en face du couvercle en bois peint lèbres travaux dont les temples d'Abou- partout les inscriptions, dépassant en du sarcophage de Ramsès II, même s'il Simbel, le Ramesseum, l'avant-cour du b e a u t é et en é l é g a n c e les d i e u x eux- n'est que le dernier réceptacle qui ait abrité temple de Louxor, la salle hypostyle de mêmes. Remarquons la grâce du héron la momie, les autres, plus s é d u i s a n t s , Karnak, les colosses et les temples d'Aby- bleu, la chaleur des coloris qui prennent ayant été volés 6 . Le roi, très sobre, nous est dos, de Tanis, de Memphis et d'Hélio- un éclat exceptionnel dans le tableau où présenté dans l'attitude du mort momifié polis. Nefertari joue au senet, sorte de jeu et son visage jeune rappelle celui de Tou- L'exposition Ramsès II et son temps, d'échecs. Cette scène fut entièrement ver- tankhamon. déjà montrée du Grand-Palais, de Paris, en nie comme pour la conserver plus long- Et, sur une belle colonne cannelée en 1976, présentera ici sensiblement les temps que les autres. Tombe rayonnante grès peint découverte près d'Assouan, mêmes objets et se rendra par la suite à aux tons éthérés et riches, elle témoigne de Ramsès apparaît dans l'exercice de fonc- Vancouver puis à Memphis, Tennessee. Le la somptuosité de cette époque prospère et tions rituelles offrant des fleurs, alors que maire de Montréal, M. Jean Drapeau, sereine. le faucon plane au-dessus de sa tête. Cette maître d ' œ u v r e de cette t o u r n é e , s'est colonne qui était gravée aux noms de rendu au Caire pour signer l'entente rela- Thoutmosis IV, pharaon ayant régné cent Image de Ramsès u tive à cette exposition avec le Dr Ahmed vingt-cinq ans avant Ramsès II, fut gravée, Kadry, secrétaire d'État égyptien et prési- L'image de ce troisième pharaon de la sans complexe par celui-ci: il fit inscrire sa dent de l'Organisation des A n t i q u i t é s XIXe dynastie, que tout jeune déjà Séthi Ier propre image et ses propres noms, selon Égyptiennes (OAE). Mentionnons aussi nommait prince régent, était partout des- une pratique qui lui était habituelle 7 , tout que l'organisation de l'exposition a été fa- sinée, peinte ou sculptée. Ici, Ramsès est en préservant la titulaire de ce grand pha- cilitée par la collaboration de l'Institut montré, taillé dans du schiste gris-vert, raon de la XVIIIe dynastie, ce dont il ne se Canadien de la Méditerranée (ICM) qui re- tantôt à genoux et à demi-allongé dans une préoccupait pas toujours. La maîtrise du groupe près de mille membres œuvrant, attitude rituelle sur des branches de l'arbre trait et du modelé ainsi que l'élégance des sans but lucratif, à stimuler les travaux iched (persea), tantôt sous la forme d'un proportions de son effigie ont été reprises d'universitaires c a n a d i e n s spécialisés sphinx offrant u n vase au dieu Amon. et inspirées du style gracieux du reste de dans l'étude des pays méditerranéeens. Cette statue a conservé intacts le nez légè- la colonne de la XVIII e dynastie, cette Tous les objets de l'exposition sont prêtés rement arqué et la petite bouche souriante grande époque de la peinture et des bas- par le Musée égyptien du Caire dont le di- de Ramsès; le vase était offert à l'occasion reliefs thébains qu'affectionnait tant Séthi recteur général est le professeur Saleh, au- des fêtes du nouvel an qui coïncidait avec 1er s, r j e cette époque, on peut voir aussi la t e u r d e p l u s i e u r s p u b l i c a t i o n s 3 et l'arrivée annuelle de l'inondation du Nil statue, en granit gris, du scribe Ramsès- archéologue ayant lui-même découvert assurant, depuis toujours, la prospérité, la nakht qui vécut sous Thoutmosis IV et trois tombes de l'Ancien Empire et trois vie et la continuité de l'Egypte. dont la tombe splendide est remarquable- tombes du Nouvel Empire. Un autre buste de ce roi, en granit ment bien conservée grâce au verni, en- noir, n'est que mesure, grâce et dextérité. core une fois, dont elle a été e n d u i t e . Son visage jeune et sensible est empreint Malgré le statut particulier du scribe, in- de noblesse et encadré d'une épaisse per- termédiaire entre le roi, les aristocrates et ruque courte bordée d'un bandeau fron- le peuple, la pierre était généralement ré- tal: il rappelle, d'ailleurs, le buste de Turin servée à la gloire du pharaon alors que le qui est un des plus beaux exemples de l'art bois était employé pour représenter les de la XVIIIe dynastie, l'époque où le sage aristocrates, les scribes et les nobles; en Amenhotep, à l'égal du roi, insufflait à plus d'être en pierre, Nakht est représenté tout le pays un esprit de grandeur et de ici, coiffé du singe de Thot, patron des sa- raffinement rarement égalé. Pensons aux vants: il était premier prophète d'Amon, bas-reliefs du magnifique tombeau de donc un personnage important et d'une Ramosé 5 . grande influence. Le colosse en granit rose de Ramsès II, découvert près de Karnak et portant les e n s e i g n e s du d i e u M o n t o u et de son épouse, la déesse, Rattaouy, se dresse fiè- rement ainsi que le groupe colossal en gra- nit gris du pharaon et du dieu Houroun, découvert en 1934, dans une chapelle de Tanis construite par Psousennès environ deux cents ans après la mort de Ramsès II. Celui-ci est représenté sous la forme d'un jeune enfant protégé par Houroun, l'im- mense faucon, divinité jusque-là négligée par les historiens. L'exposition présente en plus, et à 2. La Fille aînée de Ramsès et de Nofretari. l'échelle, une reconstitution photogra- Calcaire peint; H. 75 cm; L.: 44. phique de la magnifique tombe de Nefer- tari, p r o p r i é t é de Mmes Christiane Desroches-Noblecourt et Diane Harlé 4 qui ont été les organisatrices de cette exposi- tion à Paris. Cette œuvre photographique de qualité, représentant la tombe de la plus aimée des épouses de Ramsès II, et dont les 3. Le Scribe Ramsès - Nakht dominé par le babouin parois se désagrègent de jour en jour, de Thot. Granit gris; H.: 75 cm; Larg.: 43. 37
Événements Objets funéraires et art sacré grès que celui de l'autel et probablement autres, les détails techniques, les styles et Le culte de l'homme glorifié par la peints. Puis, venant de l'intérieur du naos, les coiffures de l'époque, et nous montre mort avait, dans les tombes pharaoniques, véritable tabernacle, deux statues en grès que les b o u c h o n s des vases c a n o p e s comme on le sait, des résonnances et des stuqué peint en blanc d'un singe et d'un royaux étaient, encore à ce moment-là, des connotations uniquement royales, sacrées scarabée symbolisent le perpétuel devenir portraits du défunt. Lors du m ê m e dé- ou religieuses puisque le roi était dieu, fils du soleil. blaiement, une jarre à vin datant du fa- du dieu suprême, Râ. La momification des Trouvé dans une chapelle près de Ra- meux traité de paix que Ramsès avait signé cadavres étant une des conditions de la messeum, un buste de reine, La Reine à la avec les Hittites au début de son règne a survie, l'exposition est constituée de menât, attire bien des regards et passe, à pu être reconstituée à partir de morceaux nombreux objets liturgiques et de matériel juste titre, pour l'un des chefs-d'œuvre de de poterie cassée 10 . Ramsès l'avait déposé sacré alors que les bijoux et les objets l'art statuaire ramesside: fille et épouse de dans la tombe de sa mère lors de ses c u l t u r e l s p r é c i e u x en s y m b o l i s e n t la Ramsès II, Meryt-Amon, dont l'expres- obsèques. splendeur et la puissance. sion est douce et aimable, serre contre elle Les objets précieux sont plus beaux Du sanctuaire solaire d'Abou-Sim- un collier menât, symbole de fécondité. les uns que les autres. De l'ancienne ville bel, sanctuaire à ciel ouvert dédié au soleil De m ê m e , le p o r t r a i t le p l u s c o m p l e t de Bubastis 11 , près de la moderne Zagazig et construit au nord du grand t e m p l e connu à ce jour de la reine Touy, mère de dans le Delta, nous viennent aussi, en or d'Abou-Simbel sur les ordres de Ramsès II Ramsès II, nous est d o n n é sur u n petit massif et en lapis-lazuli, les fameux brace- en hommage à la déesse Hathor et à son bouchon de vase canope représentant la lets de Ramsès II, pièces maîtresses du tré- épouse Nefertari 9 , nous proviennent des tête de la reine, en albâtre laiteux sculptée sor de Bubastis, portant en relief le nom de ensembles d'objets culturels dont les deux en ronde-bosse avec incrustations, et date couronnement de Ramsès. Le célèbre pot obélisques qui se dressaient de chaque du début de la XIXe dynastie. Cet objet est dit «à la chevrette», en or et en argent, pro- côté de l'autel solaire, ainsi qu'une sorte d'un intérêt archéologique et historique vient des trésors de Zagazig. L'anse repré- de petite chapelle d'un mètre cube envi- indiscutable. Trouvé par les équipes qui sente un capridé dressé, alors que le haut ron, et l'autel aux singes sur la plate-forme travaillaient sous la responsabilité de de la panse et le col vertical présentent une duquel étaient placés quatre statues de Mme Desroches-Noblecourt, l'objet est un scène d'adoration gravée et deux bandes singes hamadryas sculptés dans le même v é r i t a b l e d o c u m e n t qui r é v è l e , e n t r e d'hiéroglyphes. ^y V /i a. *^ De Zagazig également, la beauté du collier et de l'aiguière d'Ahmose 1 2 , celle de la coupe lotiforme de la reine Taousert, épouse de Séthi II, ainsi que l'éclat des , - A ' S> imposantes boucles d'oreilles de Séthi II, * i ne sont surpassés que par la magnificence du spectaculaire collier de Psousennès, véritable toison d'or, découvert, comme d'autres vases en or et en argent, à l'en- droit même où les avaient placés les prê- 4. Ramsès dans tres, à Tanis, dans le tombeau inviolé de ce une attitude rituelle, sous les branches de l'arbre iched. grand roi, admirateur de son illustre an- Schiste gris verdâtre; H. 27 cm 5; Larg.: 75,8. cêtre Ramsès H.
-s---^ j - i - UJJJJJJJJJJJJJ -AT 11 Les Bracelets de Ramses Or et lapis-lazuli; Diam. 6cm 8. (Toutes les photos: Ville de Montréal ken C.raetz. C.raetz. Inc.) • Art et vie A travers ces objets sacrés et funé- certaine négligence dans la facture des nécropole thébaine spécifiquement raires, c'est pourtant l'art, c'est la vie. qui peintures murales résulte de ces procédés consacré, par la XIX1' dynastie, aux ou- sont là, et ces «maisons d'éternité» qu'é- hâtifs d'exécution qui. par contre, favori- vriers, artisans, décorateurs, artistes des taient les tombes nous en ont laissé tous les sent la spontanéité du dessin qui prendra tombes du Nouvel Empire. Ces humbles signes. La XVIII1' dynastie, dont lesThout- bientôt le pas sur les scènes picturales. serviteurs du royaume à qui l'on doit tant niosis, les Aménophis et Toutankhamon, Dans les caveaux privés de l'ère rames- de chefs-d'œuvre y vivaient et y étaient illustre la codification de toutes Les for- side. et surtout dans les plus petits, où la ensevelis 1 '. Dans leurs petites tombes, mules artistiques en une synthèse de pu- liberté de l'inspiration pouvait être plus nous découvrons les tableaux vivants, les reté et d'équilibre, s ' a p p u y a n t sur les spontanée et devait être rapide, le peintre représentations biographiques, cultu- lignes, les proportions, la mesure, la gran- se complaisait davantage dans des scènes relles et symboliques souvent les plus deur et. à la fois, la délicatesse. D'autre animées de la vie populaire, dans des charmantes et humoristiques de l'époque. part, le slvle pictural des tombes royales suites de détails a m u s a n t s et. parfois Ces images de tous les jours, encore sou- était comparable â celui des tombes plus même, bruegeliens, du quotidien, dans le vent empreintes de l'esprit a m a r n i e n , modestes des particuliers par la fermeté pittoresque de processions de dieux, de nous c o m m u n i q u e n t leur joie de vivre des contours, la souplesse des mouve- génies, d'offrandes, de parents et d'amis, avec originalité et facilité, mais les malé- ments, l'effet d'ensemble poétique et la de compositions complexes d'éléments de maîtrise plastique, groupe et de leur relation avec l'espace. Il font que plusieurs hypogées périssent Il n'en esl pas de môme à la XIX1 el à semble que le peintre qui avait quelque sous nos yeux. Quelques scènes et quel- la XX' dynastie, A l'ère ramesside. et sur- peu gagné son autonomie au cours de la ques tombes st! sont pourtant conservées tout à partir de Ramsès II. alors que le pays XVIII0 dynastie, termine!, au cours de la de façon exceptionnelle, regorge de richesses et que les grands XIX1 dynastie, sa longue association ano- Une des mieux préservées et des plus vivent dans le luxe et l'aisance, les nvme avec le sculpteur en relief. La pein- colorées est celle de Sennedjem, artisan ou constructions se multiplient, et le peintre, ture disparaîtra complètement d'ailleurs à simple ouvrier de la fin de la XIX' dynas- dans les tombes royales, respecte fidèle- la XX1 dynastie. Une certaine tradition se tie, dont le seul titre était «serviteur de la ment, mais sans grand e n t h o u s i a s m e , maintiendra pourtant grâce à l'art sur pa- nécropole». Ce caveau étonnant, couvert l'imagerie symbolique des allégories my- pyrus dont nous avons un bon exemple de scènes profanes aussi bien que reli- thologiques ou cosmogoniques 13 . Et son dans l'exposition. gieuses, fut trouvé intact, et, lorsque les travail est bien l'ait et consciencieux'- 1 . Même si la peinture ramesside était archéologues le découvrirent, ils se heur- M a i s d a n s les t o m b e s p r i v é e s , au tèrent à la charmante porte en bois que l'on contraire, la couche de pisé rugueuse, ra- celles-ci contenaient plusieurs petits peut voir exposée ici; elle était fermée soi- pide à travailler, remplace l'enduit fin de chefs-d'œuvre dont la chapelle du sculp- gneusement mais très symboliquement au stuc lisse utilisé auparavant et soutient teur Ipy. à Deir el-Medineh. Fat effet, dans moyen d'une targette en bois, alors qu'une mal la peinture; et puis, le plâtre, plus fa- l'art ramesside. il faut faire une place à part cordelette traversant la porte était scellée cile à sculpter, remplace le calcaire. Une aux tombes de Deir el-Medineh, coin de la Suite à la page 102
dans l'espace. La plus mémorable des citations de Guernica 1. A.-H. Barr, Picasso, fifty years of his art, (New-York, 1946) demeure incontestablement l'ouvrage de base des études sur Picasso. Références complémentaires: W. Boeck, Pi- reste toutefois El Zocalo, de 1970 également. Comme dans la casso, Stuttgart, 1955; G. Schiff, éd., Picasso in Perspective, Englewood Cliffs, N.-J., 1976. toile précédente, le chef-d'œuvre du maître est montré dans une 2. Pour ce qui concerne le lien très particulier entre Picasso et Velôsquez, U. Kultermann, pièce, mais cette fois, le sang qui jaillit de la blessure de l'une Velâsquez dans la peinture contemporaine, dans Artistes (Mars 1984), p. 74-81. 3. Ironiquement, pour le grand public, Picasso fut - et reste toujours - considéré comme des victimes s'écoule hors de la toile. De toute évidence, l'incarnation de l'avant-garde. 4. Collection de M. et Mme Burton. l'œuvre de Picasso ne laisse pas de marquer la situation poli- 5. Coplans J., éd., Hoy Lichtenstein, New-York, 1972, p. 157. tique et artistique actuelle. 6. Collection de M. et Mme R. Brant, de Greenwich (Conn.). 7. Collection Arturo Schwarz, de Milan. Elio Maraini en fait foi d'une manière très représentative 8. Collection Roberto Grippa, de Milan. 9. La Femme qui pleure est également évoquée dans deux toiles de l'artiste chinois Tsing- dans sonNuovo edizione di Guernica, de 1965. Sa toile recrée le Fang Chen, The War of Yom Kippur, de 1973. et To Die in Spain, de 1976. Outre climat de terreur et de guerre qui subsiste encore aujourd'hui. l'œuvre de Picasso, l'on y reconnaît des peintures de Salvador Dali et de Francis Bacon, et, dans chacune d'elles, l'art s'exprime par l'image d'un soldat mort. S'appuyant sur le symbolisme de la lampe, l'artiste rappelle 10. Emile-Othon Friesz avait peint, dès 1907, une variation de cette œuvre révolutionnaire de Picasso et l'avait intitulée Les Demoiselles de Marseille. l'épouvantable cauchemar émotionnel que Picasso exprimait 11. Collection Arturo Schwarz, de Milan. dans son œuvre. 12. Collection Miltow Ratler, de Chicago. 13. H. Read, Picasso's Guernica, dans London Bulletin 6, Oct. 1938; J. Larrea, Guernica, En somme, les artistes contemporains qui font référence à New-York, 1947; A. Blunt, Picasso's Guernica, New-York, 1969; R. Arnheim, Picasso's Guernica, Berkeley et Los Angeles, 1962. Picasso ou réalisent des citations de ses œuvres font renaître à 14. Collection Daniel Varenne, de Paris. la vie le grand maître qu'il demeure. C'est à la fois une célébra- 15. Collection de M. et Mme Robert Orchard, de Saint-Louis. 16. Extrait du catalogue de son exposition au Krannert Art Museum, Champaign, Illinois, tion et une perpétuation de cette tradition que Pablo Picasso in- 1974. 17. On retrouve une juxtaposition de Picasso et de Vermeer dans le Picasso/Vermeer Give tégra si profondément à son art. Car, d'une façon générale, une Be/ore a Mirror, de 1977, de George Deem. tradition n'existe que si elle est sanctionnée par chaque géné- 18. Massacre en Corée, de 1951, une toile de Picasso s'inscrivant elle-même dans la tradi- tion de Goya et de Manet, est reprise dans Die Ungeheuer, de 1974, d'Equipo Cronica. ration. La continuité historique de tout art est fondée sur ce 19. Collection Lucio Munoz, de Madrid. principe. (Traduction de Laure Muszynski) RAMSES II ET SON TEMPS Sennedjem, justifié»16; un niveau en forme 11. Bubastis fut la résidence royale de la XXIIe dynastie. 12. Le roi Ahmose reprit la ville d'Avaris aux Hyksos et fonda Suite de la page 39 d'équerre; un maillet; des cuillers à fard; la XVIIIe dynastie. Les souvenirs de ce roi sont très rares, donc d'autant plus précieux. un rasoir; un miroir; un peigne; une tren- 13. Le dessin d'après les textes sacrés de l'époque est de plus sur l'huisserie par un cachet d'argile es- taine d'objets en bois, en bronze, en terre en plus subordonné à la magie. 14. On sait que, dans ces chambres et couloirs obscurs des tampé à l'image du dieu Anubis. Peinte cuite, en calcaire, en os et en albâtre. hypogées, la peinture murale a été exécutée grâce à des systèmes de miroirs en métal poli qui permettaient la sur les deux faces, elle donne une idée du D'emblée, l'exposition nous plonge réflexion de la lumière naturelle jusque dans les coins les travail pictural de la tombe, supérieur à dans le quotidien de l'ère grandiose de plus reculés des tombes. 15. On se rappellera qu'une fois le travail terminé, les ar- celui de la plupart des autres tombes de Ramsès II, époque si bien préparée par son tistes-peintres étaient, la plupart du temps, supprimés, afin de préserver le secret le plus total concernant les l'époque. Les fonds jaunes, la juxtaposi- père, Séthi 1 er , et inégalée dans le double tombeaux. tion de bleu et de vert, les contours noirs domaine de l'architecture et de la sculp- 16. Les deux terres étant La Haute et la Basse Egypte. plus épais et les aplats de couleurs vives ture. L'art de l'éternel et l'art du pouvoir sont caractéristiques de l'ère ramesside. devinrent, sous Ramsès II, l'art du su- De ce caveau, on nous montre aussi une blime, l'art de l'absolu, l'art du monu- MARTIAL RAYSSE très belle chaise, deux statuettes en cal- mental. Les objets exposés, témoignages Suite de la page 45 caire peint, des shaouabtis (sorte de ré- d'une foi encore ardente et d ' u n sens pro- pondants du décédé), deux couvercles de fond de la tradition, manifestent claire- sarcophage en bois stuqué peint et vernis ment le désir puissant de la suprématie de Raysse, certes, et en cela sa modernité dont l'un, extérieur, représente Senned- la vie et de la victoire sur la mort. est évidente, analyse son œuvre avec les jem sous son aspect momiforme, et l'autre, Par ailleurs, les objets semblent être moyens spécifiques de l'œuvre même. un couvercle-planche, en costume des vi- là pour nous dire qu'ils n'existent pas en Son discours sur le tableau est dit par le ta- vants, les mains posées à plats sur les soi, qu'il faut voir leur contexte sur place, bleau lui-même. Ce qui surprendra davan- cuisses et un bracelet à chaque poignet; qu'ils sont aussi faits de mort, de passé, de tage est le retour à la thématisation. Ce qui deux autres couvercles de sarcophage font tradition, de répétition, et que leur vic- est et sera mis en question est l'utilisation partie de l'exposition: celui de la jolie bru toire actuelle sur le temps n'est pas pour d'un esthétisme séducteur. de Sennedjem, la dame Isis, représentée autant une victoire sur la mort. Cette di- Interdit. Transgression. Raysse, durant avec une peau ocre-rouge et vêtue de ses chotomie fondamentale, présente dans dix ans, veut avoir la lucidité d'un ingé- plus beaux atours, ainsi que le couvercle- l'art égyptien comme dans tout art, existe nieur, d'un scientifique. Mais dispose-t-il p l a n c h e de Piay, «chef m a r c h a n d du aussi à l'intérieur même de l'exposition. des moyens techniques et des connais- prince», que l'on a découvert posé direc- sances théoriques propres à sa recherche? 1. Amon, «Celui qui est caché», dieu traditionnel et patron tement sur l'homme enveloppé de bande- de Thèbes. Le regard q u ' i l p o s e sur ce qui l ' e n v i - 2. Terme dérivé du nom de la capitale. Tell el Amarnah. choi- ronne, l'inventaire qu'il en fait, sont-ils lettes et au visage masqué de cartonnage. sie par Akhénaton. On sait que d'un empire à l'autre, les De l'un des fils de Sennedjem, Khon- pharaons changeaient de capitale. davantage qu'un parti-pris intellectuel? 3. M. Saleh est l'auteur de nombreux articles et de livres sou, artiste et artisan œuvrant à la décora- importants tels que «Three Old Kingdom Tombs at Thebes» Dix ans plus tard, sa relation au monde (1977), «The Book of the Dead in the Theban Tombs» s'étant détournée «de l'hygiène de la vi- tion de la nécropole, on nous montre la (1983), «The Luxor Temple» (1983). cave funéraire: splendide meuble en bois 4. Mme Christiane Desroches-Noblecourt est inspecteur sion» en faveur d'une conception spiritua- général des Musées de France. Elle a également travaillé stuqué polychrome et vernis, il était des- sur le terrain en dirigeant des équipes de chercheurs; Mme liste, ses toiles se couvrent d'anecdotes Diane Harlé est documentaliste scientifique des antiquités moralisantes. tiné à contenir le ou les sarcophages du égyptiennes du Musée du Louvre. défunt. Nous sommes conquis par la fraî- 5. Ramosê était vizir et gouverneur de Thèbes sous Améno- L'asepsie est pourtant aussi présente phis III et Aménophis IV. L'art sous Aménophis III mérite cheur et la variété des couleurs ainsi que la qualification de classique en architecture, en sculpture dans l'une comme dans l'autre représen- et en peinture. tation. Mais, autrefois, hôpitaux, labora- par la qualité et l'élégance des hiéro- 6. On sait que le tombeau de Ramsès II devait être un des glyphes et des dessins qui la recouvrent. plus beaux, des plus riches et des plus garnis; mais il fut toires, étaient en référence; aujourd'hui, aussi un des plus pillés. L'exposition consacre une section à 7. Les rois avaient toujours usurpé les monuments de leurs c'est une transcendance qui l'anime. Et le prédécesseurs mais pas autant que Ramsès II. Made in Japan est d e v e n u L'Archer ou toutes sortes d'objets intéressants de cette 8. L'hypogée de Séthi 1 er dans la Vallée des Rois, est cou- vie quotidienne, dont la clepsydre de Kar- verte, sur une profondeur d'environ cent mètres, de bas- L'Oiseau d'or, p o r t e u r d ' u n e t r a d i t i o n reliefs peints qui sont parmi les meilleures productions de nak, la plus vieille horloge du monde, en l'art égyptien. orientale, qui supprime, dit-on, les virus 9. Parmi toutes les femmes, c'était avec Nefertari qu'il voulait de l'âme, comme jadis Raysse aimait faire albâtre, verre et cornaline, qui fonctionne passer l'éternité. à l'eau; la lampe de Khâ, plus élaborée que 10. Ramsès II, en fin diplomate, admit la dominance hittite disparaître ceux du corps. sur les plaines de la Syrie du nord, mais la bataille in- la plupart des lampes de l'époque; u n fil à décise de Kadesh, au bord de l'Oronte, permit au moins 1. Préface du catalogue de l'exposition du Palais des Beaux- cinquante ans de paix grâce au traité entre Hattousil III, plomb et son support en bois au nom du roi des Hittites, et Ramsès II, en 1278/1270 av. J.-C. L'al- Arts de Bruxelles. Du 10 mars 1967. 2. Catalogue du Musée Picasso, Antibes, 1982. «Serviteur du Maître des Deux Terres, liance se raffermit par le mariage de Ramsès à ta fille d'Hattousil. 3. Op. cit. 102
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