Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon

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Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
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Vie des arts

Ramsès II et son temps
Michèle Tremblay-Gillon

Volume 30, Number 119, June–Summer 1985

URI: https://id.erudit.org/iderudit/54131ac

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Publisher(s)
La Société La Vie des Arts

ISSN
0042-5435 (print)
1923-3183 (digital)

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Tremblay-Gillon, M. (1985). Ramsès II et son temps. Vie des arts, 30(119),
36–102.

Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1985                      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
Michèle TREMBLAY-GILLON

              Ramsès n                             ET SON TEMPS

         remière grande civilisation à croire                                 politique, fils d'une belle Asiatique et

P        à la survie de l'homme, l'ancienne
         Egypte a toute entière été marquée
         et déterminée par l'expression de
cette nouvelle conception du monde.
      C'est dans l'élan de cet espoir du tré-
                                                                              époux de Nefertiti, cet intuitif échevelé
                                                                              rompit, en dix-sept ans, l'ordre normal des
                                                                              choses, devenant le promoteur d ' u n art
                                                                              d'où toutes les traditions devaient être
                                                                              b a n n i e s ; il fut le seul p h a r a o n de l'an-
fonds de l'être que, dans un accord tacite,                                   cienne Egypte à secouer aussi violem-
les pouvoirs politiques et religieux entraî-
nèrent, bon gré, mal gré, toute une société        ÂA                         m e n t les c o n c e p t i o n s e s t h é t i q u e s et
                                                                              sociales, mais surtout, les croyances pro-
dans l'édification d ' u n art et d ' u n e vie                               fondes de l'empire, c'est-à-dire la toute-
quotidienne indissociés de la conscience                                      puissance du dieu polymorphe Amon-Râ,
du gouffre de la mort et de la nécessité in-                                  en faveur d'une conception monothéiste
térieure de transgresser autant que pos-                                      du dieu Aton, représentant la force créa-
sible l'ordre de la nature: loin d'être au                                    trice du soleil libérée de l'association des
service d ' u n culte, d ' u n état ou d ' u n e                              autres dieux. Après cette courte période de
puissance, loin d'être décoration ou luxe,                                    lyrisme tourmenté, une réaction se fit aus-
l'art égyptien offrait une demeure, une re-                                   sitôt sentir qui ramena ce style désor-
création de la vie pour les morts et son rôle                                 donné à un style plus tempéré et aussi plus
religieux lui conférait u n rôle magique                                      maniériste sous Toutankhamon qui réta-
produisant l'éternité et triomphant de la                                     blit le culte du dieu A m o n 1 . Q u o i q u e
mort.                                                                         éphémère, cette réforme artistique, dite
      Cette projection de l ' h o m m e aux                                   amarnienne 2 , eut des répercussions jus-
prises avec l'inconnu, raison même de                                         qu'à l'époque ramesside, cinquante ans
l'existence de l'art, fait de toute cette ci-                                 plus tard, pendant laquelle nous retrou-
vilisation une œuvre d'art en soi jusque                                      vons la forme ovoïde des crânes allongés
dans les moindres détails de son quoti-                                       et rasés, l'influence naturaliste, le goût du
dien. C'est avec fascination et émotion                                       pittoresque dans les scènes de genre et une
qu'aujourd'hui chacun de nous, peut-être                                      plus grande virtuosité dans les traits et la
aussi démunis devant la mort que les an-                                      composition.
ciens, essayons de pénétrer cette quête de                                           Montréal, cette fois, est l'hôte d'une
survie à jamais renouvelée et le silence de                                  autre exposition d'envergure sur l'Egypte.
ces témoignages étonnants de spiritualité                                    Celle-ci est consacrée à Ramsès II et son
et de joie de vivre. Pendant près de quatre                                  temps. Elle pourrait sembler, à première
mille a n s , quel que soit la p é r i o d e ou                              vue, un peu moins étincelante que celle de
                                                                        '
l'époque, le style ou la tendance, l'an-                                     Toutankhamon. Cependant, la munifi-
cienne Egypte nous donne à voir un art                                       cence de l'ère ramesside, qui remplit deux
authentique empreint de continuité, de                                       siècles d'histoire, est sans égale d a n s
réflexion et de pensée sur la condition hu-                                  l'Egypte pharaonique. D'aucune époque,
maine.                                                                       il n'est resté, partout au pays, autant d'ob-
      En 1979, à Toronto, l'exposition des                                   jets, de vestiges, de m o n u m e n t s aussi
trésors de Toutankhamon nous a séduits.                                      beaux que ceux qui unissent, sous Séthi
Elle était d'autant plus passionnante que                                    I er , par exemple, la qualité artistique à la
ce tombeau de la Vallée des Rois fut re-                                     splendeur, et aussi spectaculaires que
trouvé intact. De plus, le court règne de ce                                 ceux de son fils Ramsès II, bâtisseur infa-
jeune pharaon maladif avait été d'une im-
portance cruciale parce qu'il suivait im-
médiatement le règne révolutionnaire du
roi Aménophis IV-Akhenaton, surnommé
le roi hérétique: grand romantique, rêveur                                       1. Colosse de Ramsès II en dévot du dieu Monthou
                                                                                                         et de la déesse Rât. Taouy.
dans sa pensée religieuse aussi bien que                                         ^              Granitrose; H.: 244cm; Larg.: 100.
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Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
Événements

tigable. En effet, celui-ci fit restaurer tous               montre la grande épouse royale, maîtresse                     Par ailleurs, il est émouvant de se
les temples en plus d'entreprendre de cé-                    de l'Egypte et du monde, comme disent                  trouver en face du couvercle en bois peint
lèbres travaux dont les temples d'Abou-                      partout les inscriptions, dépassant en                 du sarcophage de Ramsès II, même s'il
Simbel, le Ramesseum, l'avant-cour du                        b e a u t é et en é l é g a n c e les d i e u x eux-   n'est que le dernier réceptacle qui ait abrité
temple de Louxor, la salle hypostyle de                      mêmes. Remarquons la grâce du héron                    la momie, les autres, plus s é d u i s a n t s ,
Karnak, les colosses et les temples d'Aby-                   bleu, la chaleur des coloris qui prennent              ayant été volés 6 . Le roi, très sobre, nous est
dos, de Tanis, de Memphis et d'Hélio-                        un éclat exceptionnel dans le tableau où               présenté dans l'attitude du mort momifié
polis.                                                       Nefertari joue au senet, sorte de jeu                  et son visage jeune rappelle celui de Tou-
        L'exposition Ramsès II et son temps,                 d'échecs. Cette scène fut entièrement ver-             tankhamon.
déjà montrée du Grand-Palais, de Paris, en                   nie comme pour la conserver plus long-                        Et, sur une belle colonne cannelée en
1976, présentera ici sensiblement les                        temps que les autres. Tombe rayonnante                 grès peint découverte près d'Assouan,
mêmes objets et se rendra par la suite à                     aux tons éthérés et riches, elle témoigne de           Ramsès apparaît dans l'exercice de fonc-
Vancouver puis à Memphis, Tennessee. Le                      la somptuosité de cette époque prospère et             tions rituelles offrant des fleurs, alors que
maire de Montréal, M. Jean Drapeau,                          sereine.                                               le faucon plane au-dessus de sa tête. Cette
maître d ' œ u v r e de cette t o u r n é e , s'est                                                                 colonne qui était gravée aux noms de
rendu au Caire pour signer l'entente rela-                                                                          Thoutmosis IV, pharaon ayant régné cent
                                                             Image de Ramsès u
tive à cette exposition avec le Dr Ahmed                                                                            vingt-cinq ans avant Ramsès II, fut gravée,
Kadry, secrétaire d'État égyptien et prési-                          L'image de ce troisième pharaon de la          sans complexe par celui-ci: il fit inscrire sa
dent de l'Organisation des A n t i q u i t é s               XIXe dynastie, que tout jeune déjà Séthi Ier           propre image et ses propres noms, selon
Égyptiennes (OAE). Mentionnons aussi                         nommait prince régent, était partout des-              une pratique qui lui était habituelle 7 , tout
que l'organisation de l'exposition a été fa-                 sinée, peinte ou sculptée. Ici, Ramsès est             en préservant la titulaire de ce grand pha-
cilitée par la collaboration de l'Institut                   montré, taillé dans du schiste gris-vert,              raon de la XVIIIe dynastie, ce dont il ne se
Canadien de la Méditerranée (ICM) qui re-                    tantôt à genoux et à demi-allongé dans une             préoccupait pas toujours. La maîtrise du
groupe près de mille membres œuvrant,                        attitude rituelle sur des branches de l'arbre          trait et du modelé ainsi que l'élégance des
sans but lucratif, à stimuler les travaux                    iched (persea), tantôt sous la forme d'un              proportions de son effigie ont été reprises
d'universitaires c a n a d i e n s spécialisés               sphinx offrant u n vase au dieu Amon.                  et inspirées du style gracieux du reste de
dans l'étude des pays méditerranéeens.                       Cette statue a conservé intacts le nez légè-           la colonne de la XVIII e dynastie, cette
Tous les objets de l'exposition sont prêtés                  rement arqué et la petite bouche souriante             grande époque de la peinture et des bas-
par le Musée égyptien du Caire dont le di-                   de Ramsès; le vase était offert à l'occasion           reliefs thébains qu'affectionnait tant Séthi
recteur général est le professeur Saleh, au-                 des fêtes du nouvel an qui coïncidait avec             1er s, r j e cette époque, on peut voir aussi la
t e u r d e p l u s i e u r s p u b l i c a t i o n s 3 et   l'arrivée annuelle de l'inondation du Nil              statue, en granit gris, du scribe Ramsès-
archéologue ayant lui-même découvert                         assurant, depuis toujours, la prospérité, la           nakht qui vécut sous Thoutmosis IV et
trois tombes de l'Ancien Empire et trois                     vie et la continuité de l'Egypte.                      dont la tombe splendide est remarquable-
tombes du Nouvel Empire.                                             Un autre buste de ce roi, en granit            ment bien conservée grâce au verni, en-
                                                             noir, n'est que mesure, grâce et dextérité.            core une fois, dont elle a été e n d u i t e .
                                                             Son visage jeune et sensible est empreint              Malgré le statut particulier du scribe, in-
                                                             de noblesse et encadré d'une épaisse per-              termédiaire entre le roi, les aristocrates et
                                                             ruque courte bordée d'un bandeau fron-                 le peuple, la pierre était généralement ré-
                                                             tal: il rappelle, d'ailleurs, le buste de Turin        servée à la gloire du pharaon alors que le
                                                             qui est un des plus beaux exemples de l'art            bois était employé pour représenter les
                                                             de la XVIIIe dynastie, l'époque où le sage             aristocrates, les scribes et les nobles; en
                                                             Amenhotep, à l'égal du roi, insufflait à               plus d'être en pierre, Nakht est représenté
                                                             tout le pays un esprit de grandeur et de               ici, coiffé du singe de Thot, patron des sa-
                                                             raffinement rarement égalé. Pensons aux                vants: il était premier prophète d'Amon,
                                                             bas-reliefs du magnifique tombeau de                   donc un personnage important et d'une
                                                             Ramosé 5 .                                             grande influence.
                                                                     Le colosse en granit rose de Ramsès
                                                             II, découvert près de Karnak et portant les
                                                             e n s e i g n e s du d i e u M o n t o u et de son
                                                             épouse, la déesse, Rattaouy, se dresse fiè-
                                                             rement ainsi que le groupe colossal en gra-
                                                             nit gris du pharaon et du dieu Houroun,
                                                             découvert en 1934, dans une chapelle de
                                                             Tanis construite par Psousennès environ
                                                             deux cents ans après la mort de Ramsès II.
                                                             Celui-ci est représenté sous la forme d'un
                                                             jeune enfant protégé par Houroun, l'im-
                                                             mense faucon, divinité jusque-là négligée
                                                             par les historiens.

     L'exposition présente en plus, et à                     2. La Fille aînée de Ramsès et de Nofretari.
l'échelle, une reconstitution photogra-                         Calcaire peint; H. 75 cm; L.: 44.
phique de la magnifique tombe de Nefer-
tari, p r o p r i é t é de Mmes Christiane
Desroches-Noblecourt et Diane Harlé 4 qui
ont été les organisatrices de cette exposi-
tion à Paris. Cette œuvre photographique
de qualité, représentant la tombe de la plus
aimée des épouses de Ramsès II, et dont les                  3. Le Scribe Ramsès - Nakht dominé par le babouin
parois se désagrègent de jour en jour,                          de Thot.
                                                                Granit gris; H.: 75 cm; Larg.: 43.
                                                                                                                                                                 37
Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
Événements

Objets funéraires et art sacré                                  grès que celui de l'autel et probablement                       autres, les détails techniques, les styles et
         Le culte de l'homme glorifié par la                    peints. Puis, venant de l'intérieur du naos,                    les coiffures de l'époque, et nous montre
mort avait, dans les tombes pharaoniques,                       véritable tabernacle, deux statues en grès                      que les b o u c h o n s des vases c a n o p e s
comme on le sait, des résonnances et des                        stuqué peint en blanc d'un singe et d'un                        royaux étaient, encore à ce moment-là, des
connotations uniquement royales, sacrées                        scarabée symbolisent le perpétuel devenir                       portraits du défunt. Lors du m ê m e dé-
ou religieuses puisque le roi était dieu, fils                  du soleil.                                                      blaiement, une jarre à vin datant du fa-
du dieu suprême, Râ. La momification des                                 Trouvé dans une chapelle près de Ra-                   meux traité de paix que Ramsès avait signé
cadavres étant une des conditions de la                         messeum, un buste de reine, La Reine à la                       avec les Hittites au début de son règne a
survie, l'exposition est constituée de                          menât, attire bien des regards et passe, à                      pu être reconstituée à partir de morceaux
nombreux objets liturgiques et de matériel                      juste titre, pour l'un des chefs-d'œuvre de                     de poterie cassée 10 . Ramsès l'avait déposé
sacré alors que les bijoux et les objets                        l'art statuaire ramesside: fille et épouse de                   dans la tombe de sa mère lors de ses
c u l t u r e l s p r é c i e u x en s y m b o l i s e n t la   Ramsès II, Meryt-Amon, dont l'expres-                           obsèques.
splendeur et la puissance.                                      sion est douce et aimable, serre contre elle                          Les objets précieux sont plus beaux
         Du sanctuaire solaire d'Abou-Sim-                      un collier menât, symbole de fécondité.                         les uns que les autres. De l'ancienne ville
bel, sanctuaire à ciel ouvert dédié au soleil                   De m ê m e , le p o r t r a i t le p l u s c o m p l e t        de Bubastis 11 , près de la moderne Zagazig
et construit au nord du grand t e m p l e                       connu à ce jour de la reine Touy, mère de                       dans le Delta, nous viennent aussi, en or
d'Abou-Simbel sur les ordres de Ramsès II                       Ramsès II, nous est d o n n é sur u n petit                     massif et en lapis-lazuli, les fameux brace-
en hommage à la déesse Hathor et à son                          bouchon de vase canope représentant la                          lets de Ramsès II, pièces maîtresses du tré-
épouse Nefertari 9 , nous proviennent des                       tête de la reine, en albâtre laiteux sculptée                   sor de Bubastis, portant en relief le nom de
ensembles d'objets culturels dont les deux                      en ronde-bosse avec incrustations, et date                      couronnement de Ramsès. Le célèbre pot
obélisques qui se dressaient de chaque                          du début de la XIXe dynastie. Cet objet est                     dit «à la chevrette», en or et en argent, pro-
côté de l'autel solaire, ainsi qu'une sorte                     d'un intérêt archéologique et historique                        vient des trésors de Zagazig. L'anse repré-
de petite chapelle d'un mètre cube envi-                        indiscutable. Trouvé par les équipes qui                        sente un capridé dressé, alors que le haut
ron, et l'autel aux singes sur la plate-forme                   travaillaient sous la responsabilité de                         de la panse et le col vertical présentent une
duquel étaient placés quatre statues de                         Mme Desroches-Noblecourt, l'objet est un                        scène d'adoration gravée et deux bandes
singes hamadryas sculptés dans le même                          v é r i t a b l e d o c u m e n t qui r é v è l e , e n t r e   d'hiéroglyphes.

                                                                    ^y

                           V                                                                         /i

                             a.   *^

                                                                                                                                      De Zagazig également, la beauté du
                                                                                                                                collier et de l'aiguière d'Ahmose 1 2 , celle
                                                                                                                                de la coupe lotiforme de la reine Taousert,
                                                                                                                                épouse de Séthi II, ainsi que l'éclat des
                                                                              , - A ' S>                                        imposantes boucles d'oreilles de Séthi II,
                                                                                  * i                                           ne sont surpassés que par la magnificence
                                                                                                                                du spectaculaire collier de Psousennès,
                                                                                                                                véritable toison d'or, découvert, comme
                                                                                                                                d'autres vases en or et en argent, à l'en-
                                                                                                                                droit même où les avaient placés les prê-
                                                                                                        4. Ramsès dans          tres, à Tanis, dans le tombeau inviolé de ce
                                                                                                    une attitude rituelle,
                                                                                      sous les branches de l'arbre iched.       grand roi, admirateur de son illustre an-
                                                                          Schiste gris verdâtre; H. 27 cm 5; Larg.: 75,8.       cêtre Ramsès H.
Ramsès II et son temps - Michèle Tremblay-Gillon
-s---^

                                                                                                                                                 j -   i -       UJJJJJJJJJJJJJ

                                                                                                                                   -AT
                                                                                                                  11

                                                                                                         Les Bracelets de Ramses
                                                                                                         Or et lapis-lazuli; Diam. 6cm 8.
                                                                                                         (Toutes les photos: Ville de Montréal     ken C.raetz.
                                                                                                         C.raetz. Inc.)

                                                                                                                                                             •

Art et vie
       A travers ces objets sacrés et funé-          certaine négligence dans la facture des           nécropole thébaine spécifiquement
raires, c'est pourtant l'art, c'est la vie. qui      peintures murales résulte de ces procédés         consacré, par la XIX1' dynastie, aux ou-
sont là, et ces «maisons d'éternité» qu'é-           hâtifs d'exécution qui. par contre, favori-       vriers, artisans, décorateurs, artistes des
taient les tombes nous en ont laissé tous les        sent la spontanéité du dessin qui prendra         tombes du Nouvel Empire. Ces humbles
signes. La XVIII1' dynastie, dont lesThout-          bientôt le pas sur les scènes picturales.         serviteurs du royaume à qui l'on doit tant
niosis, les Aménophis et Toutankhamon,               Dans les caveaux privés de l'ère rames-           de chefs-d'œuvre y vivaient et y étaient
illustre la codification de toutes Les for-          side. et surtout dans les plus petits, où la      ensevelis 1 '. Dans leurs petites tombes,
mules artistiques en une synthèse de pu-             liberté de l'inspiration pouvait être plus        nous découvrons les tableaux vivants, les
reté et d'équilibre, s ' a p p u y a n t sur les     spontanée et devait être rapide, le peintre       représentations biographiques, cultu-
lignes, les proportions, la mesure, la gran-         se complaisait davantage dans des scènes          relles et symboliques souvent les plus
deur et. à la fois, la délicatesse. D'autre          animées de la vie populaire, dans des             charmantes et humoristiques de l'époque.
part, le slvle pictural des tombes royales           suites de détails a m u s a n t s et. parfois     Ces images de tous les jours, encore sou-
était comparable â celui des tombes plus             même, bruegeliens, du quotidien, dans le          vent empreintes de l'esprit a m a r n i e n ,
modestes des particuliers par la fermeté             pittoresque de processions de dieux, de           nous c o m m u n i q u e n t leur joie de vivre
des contours, la souplesse des mouve-                génies, d'offrandes, de parents et d'amis,        avec originalité et facilité, mais les malé-
ments, l'effet d'ensemble poétique et la             de compositions complexes d'éléments de
maîtrise plastique,                                  groupe et de leur relation avec l'espace. Il       font que plusieurs hypogées périssent
       Il n'en esl pas de môme à la XIX1 el à        semble que le peintre qui avait quelque            sous nos yeux. Quelques scènes et quel-
la XX' dynastie, A l'ère ramesside. et sur-          peu gagné son autonomie au cours de la             ques tombes st! sont pourtant conservées
tout à partir de Ramsès II. alors que le pays        XVIII0 dynastie, termine!, au cours de la          de façon exceptionnelle,
regorge de richesses et que les grands               XIX1 dynastie, sa longue association ano-               Une des mieux préservées et des plus
vivent dans le luxe et l'aisance, les                nvme avec le sculpteur en relief. La pein-        colorées est celle de Sennedjem, artisan ou
constructions se multiplient, et le peintre,         ture disparaîtra complètement d'ailleurs à        simple ouvrier de la fin de la XIX' dynas-
dans les tombes royales, respecte fidèle-            la XX1 dynastie. Une certaine tradition se        tie, dont le seul titre était «serviteur de la
ment, mais sans grand e n t h o u s i a s m e ,      maintiendra pourtant grâce à l'art sur pa-        nécropole». Ce caveau étonnant, couvert
l'imagerie symbolique des allégories my-             pyrus dont nous avons un bon exemple              de scènes profanes aussi bien que reli-
thologiques ou cosmogoniques 13 . Et son             dans l'exposition.                                gieuses, fut trouvé intact, et, lorsque les
travail est bien l'ait et consciencieux'- 1 .             Même si la peinture ramesside était          archéologues le découvrirent, ils se heur-
M a i s d a n s les t o m b e s p r i v é e s , au                                                     tèrent à la charmante porte en bois que l'on
contraire, la couche de pisé rugueuse, ra-           celles-ci contenaient plusieurs petits            peut voir exposée ici; elle était fermée soi-
pide à travailler, remplace l'enduit fin de          chefs-d'œuvre dont la chapelle du sculp-          gneusement mais très symboliquement au
stuc lisse utilisé auparavant et soutient            teur Ipy. à Deir el-Medineh. Fat effet, dans      moyen d'une targette en bois, alors qu'une
mal la peinture; et puis, le plâtre, plus fa-        l'art ramesside. il faut faire une place à part   cordelette traversant la porte était scellée
cile à sculpter, remplace le calcaire. Une           aux tombes de Deir el-Medineh, coin de la                                     Suite à la page 102
dans l'espace. La plus mémorable des citations de Guernica                              1. A.-H. Barr, Picasso, fifty years of his art, (New-York, 1946) demeure incontestablement
                                                                                           l'ouvrage de base des études sur Picasso. Références complémentaires: W. Boeck, Pi-
reste toutefois El Zocalo, de 1970 également. Comme dans la                                casso, Stuttgart, 1955; G. Schiff, éd., Picasso in Perspective, Englewood Cliffs, N.-J.,
                                                                                           1976.
toile précédente, le chef-d'œuvre du maître est montré dans une                         2. Pour ce qui concerne le lien très particulier entre Picasso et Velôsquez, U. Kultermann,
pièce, mais cette fois, le sang qui jaillit de la blessure de l'une                        Velâsquez dans la peinture contemporaine, dans Artistes (Mars 1984), p. 74-81.
                                                                                        3. Ironiquement, pour le grand public, Picasso fut - et reste toujours - considéré comme
des victimes s'écoule hors de la toile. De toute évidence,                                 l'incarnation de l'avant-garde.
                                                                                        4. Collection de M. et Mme Burton.
l'œuvre de Picasso ne laisse pas de marquer la situation poli-                          5. Coplans J., éd., Hoy Lichtenstein, New-York, 1972, p. 157.
tique et artistique actuelle.                                                           6. Collection de M. et Mme R. Brant, de Greenwich (Conn.).
                                                                                        7. Collection Arturo Schwarz, de Milan.
      Elio Maraini en fait foi d'une manière très représentative                        8. Collection Roberto Grippa, de Milan.
                                                                                        9. La Femme qui pleure est également évoquée dans deux toiles de l'artiste chinois Tsing-
dans sonNuovo edizione di Guernica, de 1965. Sa toile recrée le                            Fang Chen, The War of Yom Kippur, de 1973. et To Die in Spain, de 1976. Outre
climat de terreur et de guerre qui subsiste encore aujourd'hui.                            l'œuvre de Picasso, l'on y reconnaît des peintures de Salvador Dali et de Francis
                                                                                           Bacon, et, dans chacune d'elles, l'art s'exprime par l'image d'un soldat mort.
S'appuyant sur le symbolisme de la lampe, l'artiste rappelle                           10. Emile-Othon Friesz avait peint, dès 1907, une variation de cette œuvre révolutionnaire
                                                                                           de Picasso et l'avait intitulée Les Demoiselles de Marseille.
l'épouvantable cauchemar émotionnel que Picasso exprimait                              11. Collection Arturo Schwarz, de Milan.
dans son œuvre.                                                                        12. Collection Miltow Ratler, de Chicago.
                                                                                       13. H. Read, Picasso's Guernica, dans London Bulletin 6, Oct. 1938; J. Larrea, Guernica,
      En somme, les artistes contemporains qui font référence à                            New-York, 1947; A. Blunt, Picasso's Guernica, New-York, 1969; R. Arnheim, Picasso's
                                                                                           Guernica, Berkeley et Los Angeles, 1962.
Picasso ou réalisent des citations de ses œuvres font renaître à                       14. Collection Daniel Varenne, de Paris.
la vie le grand maître qu'il demeure. C'est à la fois une célébra-                     15. Collection de M. et Mme Robert Orchard, de Saint-Louis.
                                                                                       16. Extrait du catalogue de son exposition au Krannert Art Museum, Champaign, Illinois,
tion et une perpétuation de cette tradition que Pablo Picasso in-                          1974.
                                                                                       17. On retrouve une juxtaposition de Picasso et de Vermeer dans le Picasso/Vermeer Give
tégra si profondément à son art. Car, d'une façon générale, une                            Be/ore a Mirror, de 1977, de George Deem.
tradition n'existe que si elle est sanctionnée par chaque géné-                        18. Massacre en Corée, de 1951, une toile de Picasso s'inscrivant elle-même dans la tradi-
                                                                                           tion de Goya et de Manet, est reprise dans Die Ungeheuer, de 1974, d'Equipo Cronica.
ration. La continuité historique de tout art est fondée sur ce                         19. Collection Lucio Munoz, de Madrid.
principe.                                                                                                                                (Traduction de Laure Muszynski)

RAMSES II ET SON TEMPS                            Sennedjem, justifié»16; un niveau en forme                          11. Bubastis fut la résidence royale de la XXIIe dynastie.
                                                                                                                      12. Le roi Ahmose reprit la ville d'Avaris aux Hyksos et fonda
Suite de la page 39                               d'équerre; un maillet; des cuillers à fard;                             la XVIIIe dynastie. Les souvenirs de ce roi sont très rares,
                                                                                                                          donc d'autant plus précieux.
                                                  un rasoir; un miroir; un peigne; une tren-                          13. Le dessin d'après les textes sacrés de l'époque est de plus
sur l'huisserie par un cachet d'argile es-        taine d'objets en bois, en bronze, en terre                             en plus subordonné à la magie.
                                                                                                                      14. On sait que, dans ces chambres et couloirs obscurs des
tampé à l'image du dieu Anubis. Peinte            cuite, en calcaire, en os et en albâtre.                                hypogées, la peinture murale a été exécutée grâce à des
                                                                                                                          systèmes de miroirs en métal poli qui permettaient la
sur les deux faces, elle donne une idée du              D'emblée, l'exposition nous plonge                                réflexion de la lumière naturelle jusque dans les coins les
travail pictural de la tombe, supérieur à         dans le quotidien de l'ère grandiose de                                 plus reculés des tombes.
                                                                                                                      15. On se rappellera qu'une fois le travail terminé, les ar-
celui de la plupart des autres tombes de          Ramsès II, époque si bien préparée par son                              tistes-peintres étaient, la plupart du temps, supprimés,
                                                                                                                          afin de préserver le secret le plus total concernant les
l'époque. Les fonds jaunes, la juxtaposi-         père, Séthi 1 er , et inégalée dans le double                           tombeaux.
tion de bleu et de vert, les contours noirs       domaine de l'architecture et de la sculp-                           16. Les deux terres étant La Haute et la Basse Egypte.

plus épais et les aplats de couleurs vives        ture. L'art de l'éternel et l'art du pouvoir
sont caractéristiques de l'ère ramesside.         devinrent, sous Ramsès II, l'art du su-
De ce caveau, on nous montre aussi une            blime, l'art de l'absolu, l'art du monu-                            MARTIAL RAYSSE
très belle chaise, deux statuettes en cal-        mental. Les objets exposés, témoignages                             Suite de la page 45
caire peint, des shaouabtis (sorte de ré-         d'une foi encore ardente et d ' u n sens pro-
pondants du décédé), deux couvercles de           fond de la tradition, manifestent claire-
sarcophage en bois stuqué peint et vernis         ment le désir puissant de la suprématie de                             Raysse, certes, et en cela sa modernité
dont l'un, extérieur, représente Senned-          la vie et de la victoire sur la mort.                               est évidente, analyse son œuvre avec les
jem sous son aspect momiforme, et l'autre,              Par ailleurs, les objets semblent être                        moyens spécifiques de l'œuvre même.
un couvercle-planche, en costume des vi-          là pour nous dire qu'ils n'existent pas en                          Son discours sur le tableau est dit par le ta-
vants, les mains posées à plats sur les           soi, qu'il faut voir leur contexte sur place,                       bleau lui-même. Ce qui surprendra davan-
cuisses et un bracelet à chaque poignet;          qu'ils sont aussi faits de mort, de passé, de                       tage est le retour à la thématisation. Ce qui
deux autres couvercles de sarcophage font         tradition, de répétition, et que leur vic-                          est et sera mis en question est l'utilisation
partie de l'exposition: celui de la jolie bru     toire actuelle sur le temps n'est pas pour                          d'un esthétisme séducteur.
de Sennedjem, la dame Isis, représentée           autant une victoire sur la mort. Cette di-                             Interdit. Transgression. Raysse, durant
avec une peau ocre-rouge et vêtue de ses          chotomie fondamentale, présente dans                                dix ans, veut avoir la lucidité d'un ingé-
plus beaux atours, ainsi que le couvercle-        l'art égyptien comme dans tout art, existe                          nieur, d'un scientifique. Mais dispose-t-il
p l a n c h e de Piay, «chef m a r c h a n d du   aussi à l'intérieur même de l'exposition.                           des moyens techniques et des connais-
prince», que l'on a découvert posé direc-                                                                             sances théoriques propres à sa recherche?
                                                  1. Amon, «Celui qui est caché», dieu traditionnel et patron
tement sur l'homme enveloppé de bande-               de Thèbes.                                                       Le regard q u ' i l p o s e sur ce qui l ' e n v i -
                                                  2. Terme dérivé du nom de la capitale. Tell el Amarnah. choi-       ronne, l'inventaire qu'il en fait, sont-ils
 lettes et au visage masqué de cartonnage.           sie par Akhénaton. On sait que d'un empire à l'autre, les
       De l'un des fils de Sennedjem, Khon-          pharaons changeaient de capitale.                                davantage qu'un parti-pris intellectuel?
                                                  3. M. Saleh est l'auteur de nombreux articles et de livres
sou, artiste et artisan œuvrant à la décora-         importants tels que «Three Old Kingdom Tombs at Thebes»          Dix ans plus tard, sa relation au monde
                                                     (1977), «The Book of the Dead in the Theban Tombs»               s'étant détournée «de l'hygiène de la vi-
tion de la nécropole, on nous montre la              (1983), «The Luxor Temple» (1983).
cave funéraire: splendide meuble en bois          4. Mme Christiane Desroches-Noblecourt est inspecteur               sion» en faveur d'une conception spiritua-
                                                     général des Musées de France. Elle a également travaillé
stuqué polychrome et vernis, il était des-           sur le terrain en dirigeant des équipes de chercheurs; Mme       liste, ses toiles se couvrent d'anecdotes
                                                     Diane Harlé est documentaliste scientifique des antiquités       moralisantes.
tiné à contenir le ou les sarcophages du             égyptiennes du Musée du Louvre.
défunt. Nous sommes conquis par la fraî-          5. Ramosê était vizir et gouverneur de Thèbes sous Améno-               L'asepsie est pourtant aussi présente
                                                     phis III et Aménophis IV. L'art sous Aménophis III mérite
cheur et la variété des couleurs ainsi que           la qualification de classique en architecture, en sculpture       dans l'une comme dans l'autre représen-
                                                     et en peinture.                                                   tation. Mais, autrefois, hôpitaux, labora-
par la qualité et l'élégance des hiéro-           6. On sait que le tombeau de Ramsès II devait être un des
glyphes et des dessins qui la recouvrent.            plus beaux, des plus riches et des plus garnis; mais il fut       toires, étaient en référence; aujourd'hui,
                                                     aussi un des plus pillés.
        L'exposition consacre une section à       7. Les rois avaient toujours usurpé les monuments de leurs           c'est une transcendance qui l'anime. Et le
                                                     prédécesseurs mais pas autant que Ramsès II.                      Made in Japan est d e v e n u L'Archer ou
toutes sortes d'objets intéressants de cette      8. L'hypogée de Séthi 1 er dans la Vallée des Rois, est cou-
vie quotidienne, dont la clepsydre de Kar-           verte, sur une profondeur d'environ cent mètres, de bas-          L'Oiseau d'or, p o r t e u r d ' u n e t r a d i t i o n
                                                     reliefs peints qui sont parmi les meilleures productions de
nak, la plus vieille horloge du monde, en            l'art égyptien.                                                   orientale, qui supprime, dit-on, les virus
                                                  9. Parmi toutes les femmes, c'était avec Nefertari qu'il voulait     de l'âme, comme jadis Raysse aimait faire
albâtre, verre et cornaline, qui fonctionne          passer l'éternité.
à l'eau; la lampe de Khâ, plus élaborée que       10. Ramsès II, en fin diplomate, admit la dominance hittite          disparaître ceux du corps.
                                                       sur les plaines de la Syrie du nord, mais la bataille in-
la plupart des lampes de l'époque; u n fil à           décise de Kadesh, au bord de l'Oronte, permit au moins
                                                                                                                       1. Préface du catalogue de l'exposition du Palais des Beaux-
                                                       cinquante ans de paix grâce au traité entre Hattousil III,
plomb et son support en bois au nom du                 roi des Hittites, et Ramsès II, en 1278/1270 av. J.-C. L'al-       Arts de Bruxelles. Du 10 mars 1967.
                                                                                                                       2. Catalogue du Musée Picasso, Antibes, 1982.
«Serviteur du Maître des Deux Terres,                  liance se raffermit par le mariage de Ramsès à ta fille
                                                       d'Hattousil.                                                    3. Op. cit.

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