Rapaillage1 poétique DOSSIER : UNE POÉSIE QUÉBÉCOISE

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Rapaillage1 poétique DOSSIER : UNE POÉSIE QUÉBÉCOISE
DOSSIER : UNE POÉSIE QUÉBÉCOISE

Rapaillage1 poétique
Entretien avec Diane Régimbald sur la poésie québécoise par Régine de La Tour –
19 mai 2022

Marché de la poésie, Rapailler, festival des littératures québécoises à la
librairie Monte en l’air dans le 20°, une double occasion pour le dire et l’écrire
d’un petit rapaillage poétique avec la poète québécoise Diane Régimbald. Mais
aussi un focus sur les femmes poètes. Le prétexte ? Denise Desautels. Il y a
un mois, la poète québécoise, faisait son entrée dans la mythique collection
Poésie des éditions Gallimard (voir encadré). L’événement est remarquable à
deux titres. Denise Desautels devient la deuxième poète du Québec à être
publiée dans cette collection, plus de vingt ans après Gaston Miron, mais
surtout c’est la première femme poète québécoise que les éditions Gallimard
publient.

                             Extrait de Rose désarroi - L'angle noir de la joie – Denise Desautels

Le dire et l’écrire : Ce n’est pas un secret, Denise Desautels et vous êtes deux
grandes amies. Mais au-delà de cette amitié de longue date que représente
l’entrée de Denise Desautels chez Gallimard ?

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    Rapaillage, français du Québec : vient du verbe rapailler, ramasser des objets ici et là ; rassembler des objets épars.
Rapaillage1 poétique DOSSIER : UNE POÉSIE QUÉBÉCOISE
Diane Régimbald : Vingt ans après Gaston Miron, une figure mythique de la poésie
québécoise, c’est le tour de Denise. Alors tout d’abord c’est une immense JOIE. C’est
une belle reconnaissance de son œuvre. Denise Desautels est une voix forte et
singulière qui cherche toujours à renouveler l’espace poétique. L’angle noir de la joie
qui avait reçu le Prix Jean Arp, et D’où surgit parfois un bras d’horizon sont deux
recueils majeurs traversés par les voix des autres, celles-là même avec qui elle écrit
« car on n’écrit jamais seule » dit-elle. Son écriture est « une archéologie de l’intime »
qui signe son œuvre. C’est aussi une immense fierté pour notre poésie ! Gaston Miron
est une figure de proue de la poésie québécoise des années 70. C’est l’homme d’un
livre, L’homme rapaillé. Il est le poète diffuseur, l’intellectuel engagé politiquement qui
marque plus que son époque. Denise Desautels, appelée par sa conscience de la
douleur du monde, des femmes en particulier, trouve une voie pour dire le sombre état
des choses entre résistance et beauté. L’impression qu’elle ouvre grand la porte à
l’effervescence de la poésie québécoise. Je suis convaincue, enfin je le souhaite
vivement, qu’il y aura d’autres voix québécoises qui entreront dans la collection Poésie
Gallimard. La poésie au Québec est plurielle, forte et singulière, elle mérite toute sa
place dans la francophonie et en France en particulier.

Le d & l’é : Au regard d’autres poètes étrangers, à y regarder de plus près, la
poésie québécoise semble relativement peu publiée en France.

D.R. : Ce n’est pas tout à fait exact, mais il est vrai que nous sommes dans une
situation un peu atypique. Il y a une grosse production au Québec mais qui, pour des
raisons de diffusion, est peu accessible en France. En ce qui concerne les éditions
françaises, je ne serai pas exhaustive bien sûr, mais puisque le thème est celui des
femmes, nous pouvons explorer cet aspect. Aux éditions Bruno Doucey, il y a trois
grandes poètes québécoises : Hélène Dorion avec Comme résonne la vie et Mes
forêts ; la poète innue, Rita Mestokosho avec un recueil bilingue en français et en innu-
aimun, Née de la pluie et de la terre. Il y a aussi Louise Dupré, qui a écrit la préface
de l’ouvrage de Denise Desautels chez Gallimard. Elle a publié La main hantée et un
long poème Plus Haut que les Flammes dédié aux enfants disparus dans les camps,
puis à ceux des générations à venir, qui devront « trouver des échelles plus hautes
que les flammes ». Il faut absolument le lire. On n’en sort pas indemne. Pour revenir à
Denise Desautels, son dernier recueil Disparaître a été publié en même temps au
Québec, aux éditions du Noroît et en France à L’Herbe qui tremble. Si le texte est le
même, la facture est différente. Cette double édition est heureuse pour la diffusion. La
poésie québécoise est aussi assez présente dans de petites maisons telles que
L’Atelier des Noyers, Le Petit Flou, La tête à l’envers, etc. Il est aussi important de
mentionner que le poète et éditeur Rodney Saint-Éloi a fait paraître en 2021, Nous ne
trahirons pas le poème et autres recueils dans la collection Point poésie des éditions
du Seuil dirigée par Alain Mabanckou. La littérature québécoise se taille doucement
une place dans l’hexagone par des diffusions plus dynamiques et des partenariats
intéressants.
Le d & l’é : Vous parlez d’effervescence poétique au Québec. Les femmes y sont
très présentes. Je pense par exemple au collectif Femmes Rapaillées, sous la
direction d’Isabelle Duval et de Ouanessa Younsi, parue en 2016 aux éditions
Mémoires d’Encrier. Cet ouvrage fait écho à L’homme rapaillé de Gaston Miron.
Vous y avez participé avec 40 autres femmes. Dans quelle mesure les poètes
québécoises ont une voix singulière ?

D. R. : Les femmes participent très activement à ce qui se fait, se crée comme poésie.
Et c’est là l’essentiel. Une parole forte, engagée, critique et inventive. Elles sont les
bâtisseuses du temps présent. Femmes Rapaillées est parti de l’exergue de Gaston
Miron à sa fille Emmanuelle où il écrit « je ne suis pas revenu pour revenir, je suis
arrivé à ce qui commence ». Près de 50 ans plus tard, avec des poètes québécoises
de tous horizons, nous avons voulu prendre la parole pour « que le commencement
continue d’advenir ». C’est une forme anthologique très riche et originale.

Les femmes ont un désir de se rencontrer, une générosité, une sororité créatrice. En
2018, Sara Dignard dans Ce qui existe entre nous, créait un dialogue poétique entre
vingt-deux poètes et écrivaines de générations différentes. Le collectif, réuni par elle,
a permis de créer de véritables échanges. Des constructions poétiques, des
correspondances où «la fragilité et la puissance de l’écriture apparaissent comme
points de rencontre qui défient le temps ». De ce dialogue est né pour Louise Dupré
et Ouanessa Younsi, leur beau livre, Nous ne sommes pas des fées. Il avait été initié
dans Ce qui existe entre nous. Elles ont poursuivi leur dialogue poétique en poussant
plus loin leur réflexion autour de l’enfance et de l’écriture. « Nous voulons que l’amitié
garde vivantes nos mortes, vivantes leurs paroles murmurées à notre oreille » écrit
Louise Dupré et Ouanessa Younsi, lui faisant écho : « nous avons commencé à écrire
grâce à l’enfance, nous avons continué grâce à l’écriture ».

Et puis il y a Nicole Brossard. Elle est pour moi, une figure majeure et influente de la
poésie. Une poète dont les écrits sont tout à la fois avant-gardistes et féministes. « A
quoi ressemble une colère amplifiée du pluriel féminin ? » écrit-elle, repris dans
l’exergue du poème « Pour dire nous voici » de Denise Desautels. « Une écriture de
passion, d’engagement et en recherche » résume Carmen Mata Barreiro dans un
article qui lui est consacré. Nicole Brossard vient de publier L'ongle le vernis aux
éditions du Noroît avec l’artiste, musicien et poète Symon Henry, « on nous dit de
rêver/ entre deux civilisations / en deçà de la liberté /l’incendie progresse ». Ce livre
est magnifique !

Et si on veut connaitre plus de femmes poètes québécoises, je peux aussi
recommander deux anthologies qui font référence. D’abord il y a celle de Nicole
Brossard et Lisette Girouard, Anthologie de la poésie des femmes au Québec, des
origines à nos jours, publiée aux éditions du remue-ménage et puis toujours aux
éditions remue-ménage, il y a l’ Anthologie de la poésie actuelle des femmes au
Québec, 2000 – 2020 de Vanessa Bell et Catherine Cormier Larose. Cet ouvrage est
assez sélectif mais ouvre une fenêtre très intéressante sur certaines poètes.
Le d & l’é : Quelle est la place des autres langues dans la poésie québécoise ?

D. R. : La langue française n’est pas la seule langue de la poésie québécoise. Certes
il y a une grande majorité de publications en français. Il y a aussi des poètes québécois
anglophones, notamment Erín Mouré, Oana Avasilichioaei, deux traductrices par
ailleurs du français à l’anglais. Et, ne l’oublions pas, il y a Léonard Cohen que les
Français aiment aussi beaucoup ! Et surtout, il existe de plus en plus de textes
littéraires en langues autochtones. Alors comme nous faisons un focus sur les
femmes, je voudrais évoquer Rita Metsokosho, Natasha Kanapé Fontaine, Andrée
Lévesque-Sioui et la grande Joséphine Bacon avec Bâtons à message /
Tshissinuashitakana, Un thé dans la toundra/ Nipishapui nete mushuat Quelque part/
Uiesh où elle écrira :

 Je n’ai pas la démarche féline       Apu tapue utshimashkueupaniuian pemuteiani
 J’ai le dos des femmes ancêtres      Anikashkau nishpishkun miam tshiashishkueu
 Les jambes arquées                   Nuatshikaten
 De celles qui ont portagé            Miam ishkueu ka pakatat
 De celles qui accouchent             Miam ishkueu ka peshuat
 En marchant                          Auassa pemuteti

Ce sont des publications bilingues pour plusieurs d’entre elles, parues chez Mémoire
d’encrier et aussi chez Hannenorak, maison consacrée essentiellement à la littérature
des Premières Nations. Poésies d’engagement, de révolte, de vérité sur les injustices
vécues, elles portent haut leurs ancêtres et leurs traditions en créant dans des formes
contemporaines. Avec Joséphine Bacon, commence une nouvelle histoire de la poésie
québécoise que les autres poursuivent.

Le d & l’é : Vous serez en juin à Paris. Quelle sera la présence québécoise au
Marché de la Poésie ?

D. R. : Au Marché, il y aura une vingtaine de poètes de diverses maisons, des poètes
d’Omri, petite maison qui deviendra une collection des Éditions du Noroît, l’hiver
prochain. Il y aura le Noroît évidemment, les Herbes rouges ; L’Oie de Cravan ; Écrits
des Forges. Nous pourrons y entendre le 9 juin, Denise Desautels dans un entretien
avec Jean-Pierre Siméon, éditeur de la collection Poésie / Gallimard ; le vendredi 10
juin, des poètes du Noroît liront au Café de la Mairie puis dans la même soirée, des
poètes d’Omri liront à la librairie féministe Un livre et une tasse de thé dans le 10e. Et
il y aura le Festival Rapailler à la librairie Monte en l’air dans le 20e. Ce même vendredi
10 juin, on pourra assister à une performance poétique qui rassemblera les
Québécoises Vanessa Bell, Geneviève Blais, Lorrie Jean-Louis et Virginia Pésémapéo
Bordeleau, et les Françaises Claire Finch, Liliane Giraudon, Aurelie Olivier et Etaïnn
Zwer. Le dimanche 12 juin, il y aura une rencontre avec Camille Readman-
Prud’homme, qui vient de remporter le Prix des libraires du Québec, et son éditeur
Benoît Chaput de L’Oie de Cravan.

Le d & l’é : On ne peut pas terminer ce rapaillage poétique sans parler du dernier
numéro de la belle revue de littérature et de réflexion dirigée par Hubert Haddad
à laquelle vous venez de contribuer avec d’autres poètes québécois.

D. R. : Vous voulez parlez d’Apulée bien sûr, publiée par les éditions Zulma qui
célèbrent leurs 30 ans cette année. C’est une très belle publication avec laquelle j’ai
eu la chance de collaborer à deux reprises. Le n° 7 a pour thème Libertés. Et Hubert
Haddad a confié le soin à la poète Laure Morali de coordonner le dossier qui s’intitule
« Québec, des phares dans la nuit ». Il s’agissait d’évoquer des poètes québécois
disparus et qui ont défendu ardemment la liberté. Louise Dupré dans son texte
Geneviève Amyot, poésie, liberté́ rend un hommage à cette poète majeure. Isabelle
Miron évoque le poète Michel Beaulieu dans Et tu dis qu’il s’agit là d’un jeu,
cofondateur de la revue de théâtre Jeu, ce qui explique aussi le titre. Flavia Garcia
écrit autour du grand poète Paul-Marie Lapointe, l’AutrEAmÉriquE. Pour ma part, j’ai
écrit sur une auteure de ma génération, une écrivaine rebelle, Écrire debout avec
Hélène Monette. Le dernier texte est de Rodney Saint-Éloi Je suis un homme rapaillé,
évidemment autour de Gaston Miron.

Petite bibliographie sélective2
   - Vanessa Bell et Catherine Cormier Larose, Anthologie de la poésie actuelle des
       femmes au Québec 2000 – 2020. Les éditions du remue-ménage. Montréal,
       2021
   - Nicole Brossard et Lisette Girouard, (sous la direction de) Anthologie de la
       poésie des femmes au Québec, des origines à nos jours. Les éditions du
       remue-ménage. Montréal, Édition revue et augmentée 2003. [éd. originale
       1991]
   - Apulée #7 - Liberté, Editions Zulma, mai 2022
   - Sara Dignard (sous la direction de). Ce qui existe entre nous, dialogue poétique.
       Editions du Passage, Montréal 2018
   - Isabelle Duval, Ouanessa Younsi (Sous la direction). Femmes Rapaillées.
       Mémoire d’Encrier. Québec 2016
   - Denise Desautels, L’angle noir de la joie suivi de D’où surgit parfois un bras
       d’horizon. Gallimard, coll. « Poésie ». Paris, 2022.
   - Louise Dupré, Ouanessa Younsi. Nous ne sommes pas des fées Mémoire
       d’Encrier. Québec 2022
   - Nicole Brossard, Symon Henry, L’ongle le vernis, Montréal, Éditions le Noroît,
       2022.

2
 Disponibles à la librairie du Québec 30, Rue Gay-Lussac, 75005 Paris et à la bibliothèque Gaston-Miron 13,
rue Santeuil 75005 Paris et aussi au Marché de la Poésie
Diane Régimbald vit à Montréal. Elle a publié une dizaine de
recueils de poésie aux Editions du Noroît. En France, elle a
publié : Toi au soleil pâle ou brûlant et De mère encore aux
éditions du Petit Flou ainsi que Cœur d’orange à L’Atelier des
Noyers. Certains de ses textes ont été traduits en anglais, en
catalan et en espagnol. Elle a contribué à des revues littéraires
dont la revue Apulée. Elle a participé à plusieurs ouvrages
collectifs dont Ce qui existe entre nous et Femmes rapaillées.
Membre du conseil d’administration du Centre québécois du
P.E.N. international, elle préside son Comité Femmes depuis
2017. Elle participe depuis plusieurs années à des activités
littéraires au Québec et à l’étranger. Elle organise des lectures
de poésie et ateliers d’écriture de poésie avec les enfants.

Le dire et l’écrire a réalisé, en octobre 2021, un entretien avec
Diane Régimbald à l’occasion de la sortie de son dernier
ouvrage, Au plus clair de la lumière. Chant pour l’enfant qui
revient.
SORORITAS
                          Par Régine de La Tour

                     En publiant L’angle noir de la joie, suivi D’où surgit un bras
                     d’horizon dans la collection « poésie », Les éditions Gallimard
                     reconnaissent, en Denise Desautels, l’une des grandes voix de
                     la poésie québécoise. Ecriture en vers, écriture en prose ;
                     l’écriture de Denise Desautels est elliptique, souvent âpre
                     toujours d’une grande exigence, une écriture incisive et
                     resserrée au service d’un amour désespéré de la vie. « J’écris
comme on fait des fouilles, en archéologue de l’intime » dit-elle. « J’écris légèrement
au-dessus de la douleur ». « l'encre pénètre/à l'intérieur de chacune des fosses / lieu
d'observation qu'on voudrait habiter » écrit-elle dans Penser ne pas penser.

« A partir de l’enfance : l’amoureux, le fils, l’ami, et surtout l’amie, la complicité entre
femmes revenant d’un recueil à l’autre ». Louise Dupré, dans sa très belle préface
explique que « la posture de Denise Desautels ne tient aucunement du militantisme.
Celle-ci exprime sa douleur, sa détresse ou son indignation ». « ce qui fait triompher
l’essentiel/ les récits sans fins, femmes / femmes sans boycott/ blessures en noir et en
blanc, découpes / textures, fissures/ femmes / et raccommodements à venir ». Extrait
du poème intitulé « Et nous aurons des filles » dans lequel elle engage une sorte de
dialogue avec Annette Messager, Marjane Satrapi et Kara Walter. Et dans Vigilances
« alors que tant de voiles et d’armes / sur tant de figures / plus fortes que tout / cette
main / et son excès de « e » frivoles ». Et encore dans Pour dire nous voici « Nous
seins nus pour dire non pour dire nous voici »

J’écris loin de l’amer obstinément/Sans maison d‘enfance /En femme qui marche. À
chaque pas elle entend l’obstacle, elle le franchit avec douleur, force et tendresse à la
fois.

Il faut lire Denise Desautels

Denise Desautels, L’angle noir de la joie suivi de D’où surgit parfois un bras d’horizon. Gallimard, coll.
« Poésie ». Paris, 2022. 304 p., 10,60 €.
Ce rapaillage iconoclaste
                                                        a été imaginé, tout
                                                        spécialement pour ce
                                                        dossier, par Régine de La
                                                        Tour.

                                                        Vers épars, vers entre
                                                        eux mêlés, vers glanés
                                                        dans la poésie sélection
                                                        de poètes québécois.

                                                       Dans l’ordre, Michel
                                                       Beaulieu, Nathasha
                                                       Kanapé Fontaine,
                                                       Rodney Saint Eloi,
Joséphine Bacon, Denise Desautels, Louise Dupré et Diane Régimbald.
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