RAPPORT DE LA COMMISSION PROSPECTIVE - DU TRIBUNAL DE COMMERCE AU TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES

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RAPPORT DE LA COMMISSION PROSPECTIVE - DU TRIBUNAL DE COMMERCE AU TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES
RAPPORT DE LA COMMISSION PROSPECTIVE

          DU TRIBUNAL DE COMMERCE
   AU TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES

    Pour une justice commerciale attractive et efficace

                     novembre 2018
SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 2
1.            POURQUOI UN TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES ? ............................................. 4
     1.1         EVOLUTION DE L’ACTIVITE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE ET DE LEUR EFFICIENCE............................ 4
     1.2         UN PARTAGE DE COMPETENCE COMPLEXE ..................................................................................................... 7
2.            PROPOSITIONS ET PISTES D’EVOLUTION .............................................................................. 11
     2.1   PROPOSITIONS DE LA COMMISSION .............................................................................................................. 11
       2.11 Simplifier la répartition des compétences en modifiant les critères ............................... 12
       2.12 Du tribunal de commerce au tribunal des « activités économiques » ............................. 13
       2.13 Domaines d’extension possibles des compétences ................................................................. 13
         a) Contentieux des activités économiques ................................................................................................13
         b) Difficultés des entreprises ...........................................................................................................................14
         c) Les baux commerciaux .................................................................................................................................16
         d) La propriété intellectuelle ..........................................................................................................................17
     2.2   LES PISTES D’EVOLUTION ............................................................................................................................... 18
       2.21 Elargissement du corps électoral .................................................................................................... 18
       2.22 Spécialisation et carte judiciaire...................................................................................................... 18
       2.23 Spécialisation et tribunal numérique ............................................................................................ 20
       2.24 Echevinage et mixité............................................................................................................................. 21
3.            CONCLUSION..................................................................................................................................... 22
ANNEXE 1 : MEMBRES DE LA COMMISSION.......................................................................................... 23
ANNEXE 2 : PERSONNES AUDITIONNEES .............................................................................................. 24
ANNEXE 3 : SYNTHESE DES AUDITIONS ................................................................................................ 26

                                   Rapport de la commission prospective – novembre 2018                                                                                 1
INTRODUCTION

L’organisation de la justice doit s’adapter en permanence aux évolutions de la société, au progrès
technologique qui révolutionne la circulation et l’accès à l’information, à la compétition que se
livrent les Etats et les acteurs économiques pour un droit attractif favorisant la sécurité
juridique et la rapidité des décisions.
Elle doit également se réformer face à plusieurs dysfonctionnements connus de tous :
encombrements des tribunaux, allongement des délais, complexité de son organisation,
insuffisance notoire de moyens humains et financiers comparés à d’autres pays européens.

Chacune des dernières années a vu son lot de lois et d’ordonnances venir ajouter une pierre à
l’édifice au nom d’une volonté politique de modernisation et de simplification. Sans être
exhaustif, on peut rappeler pour ce qui concerne en particulier la justice commerciale :
− la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour « la croissance, l’activité et l’égalité des chances
    économiques » instaurant des tribunaux de commerce spécialisés en matière de procédure
    collective ;
− la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une « République numérique » dont l’article 21
    prévoit en substance une mise à disposition gratuite du public des décisions rendues par les
    juridictions judiciaires après leur anonymisation ;
− la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la justice du XXIème siècle »
    dont le titre VII vise à « rénover et adapter la justice commerciale aux enjeux de la vie
    économique et de l’emploi » notamment en prévoyant un statut du juge consulaire et en
    transférant au tribunal de commerce la compétence des litiges concernant les artisans ;
− le projet de loi de programmation et de réforme de la justice en cours d’examen au
    Parlement qui devrait déboucher sur une simplification de la procédure civile et de la
    procédure pénale, l’allégement de la charge des juridictions administratives, un
    rapprochement des tribunaux d’instance et de grande instance, projet de loi considéré tant
    dans sa version initiale que dans la version amendée par le Sénat et faisant l’objet de la
    « petite loi » du 23 octobre 2018.

Dans ce contexte effervescent de réformes, la Conférence générale des juges consulaires de
France a, par la voie de son président lors du congrès national en novembre 2017, souhaité
ouvrir une réflexion sur le rôle de la justice commerciale confrontée aux mutations de
l’économie. Ces mutations sont connues : libéralisation et mondialisation des échanges,
regroupement d’entreprises, économie numérique, nouveaux acteurs, nouveaux modèles
économiques dans lesquels la solidarité prime la quête du profit. Elles font émerger de nouveaux
types de litiges toujours plus complexes et s’imposent ainsi au juge.

Le droit tend à s’adapter à ces nouvelles formes de l’économie et à la place de l’entreprise dans
la société. C’est ainsi par exemple que l’article 1833 du code civil qui dispose que le contrat de
société est conclu dans l’intérêt commun des associés, va être modifié par l’article 61 1du projet
de loi PACTE voté en première lecture à l’Assemblée nationale afin de consacrer la notion
d’intérêt social dégagée par la jurisprudence en y associant la prise en considération des enjeux
sociaux et environnementaux qui entourent l’activité de l’entreprise. L’élargissement de l’intérêt

1Article 1833 modifié du code civil : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les
enjeux sociaux et environnementaux de son activité. ».

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social à la reconnaissance d’un intérêt collectif met à la charge du dirigeant de l’entreprise une
nouvelle obligation que le juge devra cerner par ses décisions futures.

L’article L. 721-3 du code de commerce délimite le périmètre de compétence du tribunal de
commerce ; en substance ce tribunal connaît :
1° des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de
crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° de celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° de celles relatives aux actes de commerce entre toutes les personnes.

Cette disposition a été conçue à une époque où l’on parlait encore de droit commercial et non de
droit des affaires ou de droit économique. Or, de nombreuses règles du droit commercial ont été
étendues à des non commerçants : artisans, agriculteurs et, parfois, professionnels libéraux. Le
droit des procédures collectives en est sans doute le meilleur exemple. Le droit des pratiques
restrictives de concurrence (article L. 442-6 du code de commerce) en est un autre, car il vise les
producteurs, commerçants, industriels et personnes immatriculées au répertoire des métiers.
On pourrait aussi évoquer le droit maritime qui s’applique, au-delà de son cercle naturel, aux
plaisanciers.

Pour autant, les règles de compétence n’ont pas été modifiées et les litiges sur les matières
économiques se répartissent encore entre les tribunaux de commerce et les tribunaux civils.
La question qui se pose est donc de savoir si cette répartition de compétences a encore un sens
et s’il ne serait pas opportun, notamment dans un souci d’efficacité et de lisibilité et dans le
prolongement de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la Justice du
XXIème siècle », de confier le contentieux des activités économiques à des tribunaux de commerce
modernisés qui deviendraient des tribunaux des activités économiques.

Afin de nourrir cette réflexion, la Conférence générale a confié à une commission composée de
juges consulaires et de professeurs d’université le soin de recueillir l’avis de diverses
personnalités qui côtoient les tribunaux de commerce. La composition de la commission 2 et les
personnes et les organisations 3 auditionnées ainsi que la synthèse de leurs propos 4 figurent en
annexes.

Le présent rapport rend compte des travaux de la commission. Les propositions qui y sont
formulées s’inscrivent dans une recherche de modernisation et d’efficacité au bénéfice de la
justice et des justiciables.

Dans une première partie, il sera fait état de l’évolution de l’activité des tribunaux de commerce,
de leur efficience et de la perception qui en résulte. Par quelques exemples seront évoquées la
construction jurisprudentielle de la délimitation de compétence entre tribunal civil et tribunal
de commerce et les difficultés qui en découlent pour les acteurs économiques.

Dans la deuxième partie seront développées les propositions de la commission et, si celles-ci
devaient être retenues, les pistes d’évolution susceptibles de favoriser leur mise en œuvre.

2 Annexe 1.
3 Annexe 2.
4 Annexe 3.

                    Rapport de la commission prospective – novembre 2018                              3
1. POURQUOI UN TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES ?

1.1 EVOLUTION DE L’ACTIVITE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE ET DE LEUR EFFICIENCE

Le tableau ci-dessous, tiré des statistiques produites par la Conférence générale des juges
consulaires de France, hors les chambres commerciales des tribunaux de grande instance
d’Alsace Moselle et les tribunaux mixtes d’outre-mer, illustre sans qu’il soit besoin d’un
commentaire pour chaque rubrique la baisse structurelle de l’activité de contentieux des
tribunaux de commerce dont les affaires nouvelles ont diminué de près de moitié en dix ans.

                                             2017      2016      2007    %N/N-1      %N/N-10

    Contentieux
    Affaires nouvelles                     53 510     60 069   101 969   -10,9%        -47,5%
    Référés                                21 688     21 871    27 347    -0,8%        -20,7%
    Injonctions de payer                  133 005    160 634   129 054   -17,2%         3,1%

    Total                                 208 203    242 574   258 370   -14,2%        -19,4%
    Procédures collectives
    Ouvertures                              47 211    50 452    42 168    -6,4%        12,0%

Déjà en 2007, lors du colloque de l’association Droit et Commerce sur le thème « Où sont passés
les contentieux » 5, les intervenants s’étaient interrogés sur la diminution des affaires au
contentieux. Sans qu’une étude précise n’ait été réalisée, plusieurs facteurs sont, semble-t-il, à
l’origine de cette évolution qui persiste, voire s’accentue :
− la recherche de solutions amiables et de transactions avant le procès ;
− l’incitation régulière de la loi à orienter tous les acteurs économiques vers le règlement
     amiable de leurs différends ;
− l’introduction plus systématique de clauses compromissoires dans les contrats ;
− la renonciation au procès en raison de son coût et du temps à y consacrer au regard du faible
     enjeu financier du litige ;
− le fait que certains acteurs économiques, tels que les banques, se sont organisés pour
     transférer leurs créances irrécouvrables à des organismes spécialisés qui adoptent des
     méthodes de recouvrement faisant moins appel au tribunal.

Les ouvertures de procédures collectives sont liées à la conjoncture économique et au climat des
affaires : ceux-ci s’étant améliorés, elles marquent une régression régulière depuis trois ans dont
on peut se réjouir, même si elles ne sont pas encore revenues au niveau de 2007, année la plus
haute du cycle économique avant la crise des « subprimes ».
Une telle réduction d’activité des tribunaux de commerce se traduit inévitablement par une
diminution du nombre de décisions rendues par les juges consulaires alors que le nombre de

5   Gazette du Palais 27-28 juin 2007, n°178-179.

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ceux-ci reste constant 6. En 2017, les juges consulaires des 134 tribunaux de commerce ont
rendu 918 598 décisions, toutes natures confondues mais entretiens de prévention exclus, soit,
en moyenne, 281 par juge et 6854 par tribunal 7.

De ces quelques données chiffrées, il en ressort une évolution qui apparaît devoir être prise en
compte au regard de l’organisation des tribunaux et de l’expérience des juges.

Si l’on observe maintenant les tribunaux de commerce sous l’angle de leur efficience, les attentes
des acteurs économiques qu’ils soient commerçants, personnes physiques ou dirigeants de
personnes morales sont connues : les juges doivent être compétents, la justice doit être rapide,
accessible et à moindre coût.

En 2017, le délai moyen pour traiter une affaire contentieuse est, selon les statistiques du
ministère de la justice 8, de 5,5 mois, chiffre calculé affaire par affaire pour les décisions
effectivement rendues. A titre indicatif et non comparatif, car les affaires portent sur des
domaines beaucoup plus diversifiés, le délai moyen des tribunaux civils est de 7,6 mois.
Le taux d’appel en premier ressort est de 14,5%, contre 21,6% pour les tribunaux de grande
instance, et le taux d’infirmation de 4,9%.

Même si les tribunaux de commerce sont encore contestés par certains de manière récurrente
en raison d’une prétendue méconnaissance du droit par les juges ou encore d’une suspicion de
partialité puisque ces juges tranchent les litiges de leurs pairs, les chiffres qui viennent d’être
rappelés corroborent, s’il en est besoin, l’efficacité des juridictions commerciales. Dans le
prolongement des efforts de formation engagés depuis 2003 en partenariat avec l’Ecole
nationale de la magistrature (ENM), le caractère devenu obligatoire de la formation initiale et
continue des juges ainsi que le renforcement des règles de déontologie et d’éthique instaurées
par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la Justice du XXIème siècle »
viendront encore améliorer les décisions des juges.

Il est intéressant de compléter ce rapide panorama de l’activité des juridictions commerciales
par la perception qui ressort de l’étude annuelle « Doing business in France » 9 publiée par la
Banque mondiale.

Le tableau suivant retrace le positionnement de la France par rapport à la moyenne des pays de
l’OCDE pour les deux indicateurs relatifs au système judiciaire examinés : l’exécution des
contrats et le règlement de l’insolvabilité. La méthodologie retenue vise à évaluer pour le
premier indicateur, les procédures, les délais et le coût du règlement d’un différend commercial
et pour le second, les délais, le coût et le taux de recouvrement par les créanciers de l’entreprise
défaillante. Si le score de la France apparaît satisfaisant pour le premier indice (15ème rang sur
180), confirmant l’efficacité de la législation et de la justice en matière de contentieux
commercial, il l’est moins pour le second indice (28ème rang), quoiqu’en progrès (43ème rang il y a
cinq ans).

6 3386 juges consulaires élus dont 95 dans les chambres commerciales des TGI d’Alsace Moselle.
7 Statistiques de la CGJCF 2017.
8 Chiffres clés de la justice 2018- Sous-direction de la Statistique et des Etudes.
9 Données de 2017.

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Exécution des contrats               France             Royaume uni         Allemagne        Moyenne OCDE
 Délais (en jours)                         395               437                 499               578
 Coût (en % du litige)                     17,4              45,7                14,4             21,5

 Règlement de l’insolvabilité         France             Royaume Uni         Allemagne        Moyenne OCDE
 Délais (années)                            1,9               1                   1,2              1,7
 Coût (en % des actifs du débiteur)          9                6                    8               9,1
 Taux de Recouvrement                      73,5              85,2                80,6             71,2
 par les créanciers (%)

Ces chiffres donnent des indications comparatives dont il ne peut être tiré de conclusion
absolue, d’autant que la méthodologie déroulée par les experts de la Banque mondiale a fait
l’objet de réserves de la part de la doctrine en France car elle tendrait à favoriser le concept de la
« common law » par rapport au droit écrit continental. La progression notoire de 25 points du
taux de recouvrement par les créanciers qui est passé de 48,4%, il y a cinq ans, à 73,5% en 2017,
au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, peut étonner alors qu’il n’y a pas eu de
modification notoire de la législation dans ce domaine. Néanmoins, il en ressort une perception
favorable sur la qualité du fonctionnement de la justice commerciale en France.

Dans le même esprit de comparaison internationale des droits, on peut relever les travaux de la
Fondation pour le droit continental qui est à l’origine de la publication de l’index de la sécurité
juridique (ISJ), lequel évalue les formes de sécurité apportées à tous les acteurs économiques. La
sécurité juridique est un des éléments de l’attractivité économique. Elle suppose l’accessibilité
du droit applicable - contenu dans un recueil publié, exhaustif et validé -, sa prévisibilité, grâce à
la hiérarchie des normes et à des compétences prédéfinies du législateur et du juge, une stabilité
raisonnable dans le temps, et enfin un équilibre entre les intérêts économiques et les parties en
présence.

Le premier rapport de la Fondation publié en 2015 a débouché sur un classement, selon une
méthodologie spécifique à partir de cas juridiques, de treize pays 10 répartis sur quatre
continents. Six domaines de droit ont été étudiés : contrats, immobilier, responsabilité, sociétés,
travail et règlement des différends. Le 3ème rang attribué à la France permet de constater selon
les auteurs du rapport 11 que le droit français peut parfaitement se mesurer aux autres systèmes
de droit, même si certains points sont perfectibles en termes de sécurité juridique qui est au
cœur des relations entre les acteurs économiques.

10 Classement des pays, du premier au treizième : Norvège, Allemagne, France, Royaume Uni, Chine, Maroc, Sénégal,
Italie, Canada, Argentine, Japon, Etats-Unis, Brésil.
11 Conclusion du rapport, p. 123.

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1.2 UN PARTAGE DE COMPETENCE COMPLEXE

Si, à bien des égards, le tribunal de commerce apparaît comme la juridiction de « l’économique »
par les domaines de compétence qui lui sont attribués, il ne couvre cependant pas le champ de
toutes les activités économiques. C’est en effet une juridiction judiciaire spécialisée dont les
principes de compétence d’attribution sont fixés, comme rappelé en introduction, par l’article
L.721.3 du code de commerce. Le code de l’organisation judiciaire donne compétence au tribunal
de grande instance dans toutes les matières qui ne sont pas expressément attribuées à une autre
juridiction 12. De nombreux secteurs économiques relèvent ainsi de sa compétence : l’artisanat
jusqu’au 1er janvier 2022 13, l’agriculture 14, les professions libérales exerçant sous la forme d’une
société d’exercice libéral constituée selon la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 15, le secteur
associatif et les sociétés civiles.

En application de ces textes fixant l’attribution de compétence entre tribunal de commerce et
tribunal civil et de la notion d’acte de commerce aux visas des articles L. 110-1 et L. 110-2 du
code de commerce, les juridictions jusqu’à la Cour de cassation ont construit, tout au long des
XIXème et XXème siècles, une jurisprudence subtile, complexe et sans doute déroutante pour le
justiciable, qu’il convient de rappeler par quelques exemples.

−    L’artisan n’est pas commerçant : tout litige concernant ses prestations relève du tribunal
     civil. Toutefois, s’il exerce sous la forme d’une société commerciale, il est justiciable du
     tribunal de commerce. De même, si plutôt que de tirer le principal de ses revenus de son
     travail manuel, il spécule sur le travail d’autrui ou de machines, il est qualifié de commerçant
     et relève de la compétence du tribunal de commerce 16. Ainsi, en fonction du nombre de
     salariés qu’elle emploie ou de l’importance de l’utilisation qu’elle fait de machines, une
     personne peut être qualifiée d’artisan ou de commerçant. Par exemple, un chaudronnier
     dont les revenus proviennent tant du travail de ses salariés que de la revente des matériaux
     fournis lors des travaux exécutés, est un commerçant 17. De même n’a pas la qualité d’artisan,
     mais celle de commerçant, un fabricant de pâtes alimentaires n’employant pas de main
     d’œuvre, mais utilisant des machines importantes 18.

−    Dans le secteur agricole, la jurisprudence a construit une distinction subtile entre l’activité
     agricole civile et l’activité commerciale. Ainsi, l’analyse de l’article L. 721-6 du code de
     commerce conduit à considérer que le contrat concédant l’exclusivité et la vente des vins
     concernant des opérations d’écoulement de la production d’un vigneron est un contrat civil

12  COJ art. R. 211.3.
13  Date arrêtée par la loi du 18 novembre 2016 pour le transfert du contentieux touchant l’activité des artisans devant
le tribunal de commerce.
14 Article L. 721-6 du code de commerce: « Ne sont pas de la compétence des tribunaux de commerce les actions

contre un propriétaire, cultivateur ou vigneron, pour vente de denrées provenant de son cru, ni les actions intentées
contre un commerçant, pour paiement de denrées et marchandises achetées pour son usage particulier (…) ».
15 Article L. 721-5 du code de commerce : « Par dérogation au 2° de l’article L. 721-3 et sous réserve des juridictions

disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des
actions en justice dans lesquelles une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31
décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés de professions libérales soumises à un statut législatif ou
réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que des contestations survenant entre associés d’une telle société ».
16 Cour de cassation, ch. com. 21 mai 1985, n° 82-16.264, Bull. civ. IV, n° 161.
17 Cour de cassation, ch. com. 19 nov. 1975, n° 75-11.937, Bull. civ. IV, n° 275.
18 Cour de cassation, ch. com. 2 mai 1972, n° 71-11.216, Bull. civ. IV, n° 128.

                         Rapport de la commission prospective – novembre 2018                                              7
relevant de la compétence du tribunal de grande instance, mais qu’en revanche, accomplit
     des actes de commerce selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’horticulteur dont
     l’activité consiste essentiellement en l’achat de boutures pour les enraciner et les revendre à
     ses clients 19 ; de même, exerce une activité commerciale l’éleveur qui nourrit son cheptel
     avec des aliments provenant pour leur quasi-totalité de l’extérieur faisant ainsi ressortir que
     la proportion d'aliments représentée par les achats n'avait pas un caractère accessoire ou
     complémentaire 20 . En revanche, l’exploitant dont la production d’œufs est l’activité
     principale, et bien qu’il achète une grande quantité hebdomadaire d’aliments, n’exerce pas
     une activité commerciale dès lors qu’il vend les produits de son élevage sans procéder à des
     achats pour revendre 21.

−    Définies par l’article 29-1 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 22, les professions libérales
     exercent une activité de nature généralement civile. Cependant, par référence aux principes
     généraux définissant les actes de commerce, le pharmacien d’officine qui achète des
     médicaments pour les revendre est un commerçant. De même, un notaire a pu être considéré
     comme commerçant parce qu’il réalisait des opérations bancaires avec les fonds de ses
     clients 23.
     En revanche, et contrairement à la solution retenue pour les artisans, si la profession est
     exercée sous la forme d’une société d’exercice libéral en respectant les dispositions de la loi
     n° 90-1258 du 31 décembre 1990 qui prévoient notamment que plus de la moitié du capital
     social et des droits de vote doit être détenue, directement ou indirectement, par des
     professionnels en exercice au sein de la société, l’article L. 721-5 du code de commerce
     précité dispose que les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître de litiges
     impliquant la société ou de conflits entre associés, nonobstant la forme commerciale de cette
     société.
     La cour d’appel qui retient la compétence de la juridiction consulaire dans une action
     intentée contre une société d’avocats de forme anonyme constituée selon la loi n° 90-1258
     du 31 décembre 1990, méconnaît selon la Cour de cassation l’article 631-1 (L. 721-5
     nouveau) du code de commerce en énonçant que, quelle que soit la nature des actes
     auxquels le litige se rapporte, « la forme imprime la commercialité à son activité », celle-ci
     serait-elle civile par nature 24. A l’inverse, une société d’expertise comptable constituée en la
     forme d’une société à responsabilité limitée avant la loi du 31 décembre 1990 et qui, depuis,
     n’a pas modifié ses statuts pour devenir une société d’exercice libéral, relève de la
     compétence du tribunal de commerce 25.

−    Une association est, par hypothèse, un organisme à but non lucratif ; les actes qu’elle
     accomplit sont de nature civile et relèvent en cas de contestation des tribunaux civils.

19  Cour de cassation, ch. com. 5 fév. 1979, n° 77-10.626, Bull. civ. IV, n° 46.
20  Cour de cassation, ch. com. 10 juill. 1985, n° 84-11.730, Bull. civ. IV, n° 210.
21 Cour de cassation, ch. com. 11 avril 1995, n° 93-16.064, Bull. civ. IV, n° 127.
22 Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches

administratives, art 29 : « Les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière
indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans
l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre
au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d’une déontologie
professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant».
23 Cour de cassation, ch. com. 2 fév. 1970, n° 68-13.575, Bull. civ. n° 36 ; JCP 1970, II, 16313.
24 Cour de cassation, 2ème civ. 6 mai 1997, n° 95-11.857, Bull. civ. II, n° 128.
25 Cour de cassation, ch.com. 16 nov. 2004, n° 01-03.304, Bull. civ. IV, n° 196.

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Toutefois, par extension jurisprudentielle de la qualification d’acte de commerce, une
     association qui offre de manière permanente à des particuliers un site internet pour
     favoriser l’échange d’immeubles effectue des opérations d’intermédiaire pour l’achat ou la
     revente d’immeubles au sens de l’article L. 110-1-3° du code de commerce, ce qui justifie la
     compétence du tribunal de commerce même si cette activité n’est pas spéculative 26.

−    On notera aussi que le cautionnement dont on connaît l’extraordinaire essor dans la vie des
     affaires, est un acte civil, à moins que la caution n’ait un intérêt patrimonial au paiement de
     la dette garantie, ce qui vise la plupart des dirigeants de société.

Ces rappels de jurisprudence illustrent la complexité de la répartition des compétences qui nuit
sans conteste à la lisibilité et à l’attractivité du droit. Le justiciable chef d’entreprise pour qui le
temps consacré au procès a un coût, ne peut que souhaiter que son litige soit traité rapidement
devant le bon tribunal.

Or, un éventuel conflit de compétence peut être source d’incidents de procédure qui retardent
l’issue du procès. La commission a pris pour exemple le cas fréquent d’un litige de construction
dans lequel un promoteur assigne pour malfaçons, devant le tribunal de commerce, une
entreprise générale, laquelle a sous-traité une partie des travaux et appelle dans la cause le
cabinet d’architecture ayant conçu et piloté le projet immobilier ; les assureurs de chaque partie
sont également dans la cause et celui de l’architecte est une société mutuelle d’assurance qui
soulève in limine litis l’incompétence du tribunal de commerce dans la mesure où son activité a
un objet civil et demande le renvoi de l’affaire devant le tribunal de grande instance. Quelle que
soit la décision du tribunal de commerce, renvoi, disjonction partielle ou rejet de l’exception
soulevée, la solution de l’affaire sera considérablement retardée au détriment de l’intérêt de
l’ensemble des parties alors qu’elles ont toutes, sauf une, une activité commerciale et sont en
attente d’une décision judiciaire rapide.

Les constatations qui précédent amènent à se poser plusieurs questions :

−    Les clés législatives et jurisprudentielles de la répartition de compétence entre tribunaux
     civils et tribunaux de commerce, fondées sur le statut du commerçant et la commercialité
     formelle, sont-elles toujours pertinentes ?
−    La distinction entre l’acte de commerce dont la finalité est la recherche d’un gain
     économique et l’acte civil reste-t-elle toujours appropriée dès lors que par exemple des
     entités commerciales et des organismes sans but lucratif proposent concurremment les
     mêmes services sur le marché ?
−    Alors que les acteurs économiques ayant la même activité voient, selon la jurisprudence
     actuelle, leurs éventuels litiges tranchés par des tribunaux différents, ne conviendrait-il pas,
     à l’instar de la notion d’activité artisanale et commerciale 27 déjà introduite dans le livre VI du
     code de commerce, d’attribuer à un tribunal unique la compétence des affaires contentieuses
     relevant d’activités économiques ?

26Cour de cassation, ch. com. 14 fév. 2006, n° 05-13.453, Bull. civ. IV, n° 35.
27Article L. 621-2 du code commerce modifié par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 : « Le tribunal
compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale. Le tribunal de
grande instance est compétent dans les autres cas (...) ».

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− L’organisation du système judiciaire et, par conséquent, les justiciables n’y gagneraient-ils
       pas en termes de lisibilité, de simplification et de sécurité juridique ?

Le législateur tend d’ailleurs à procéder à cette simplification, comme le montrent les exemples
de l’agriculture et de l’artisanat.

S’agissant des activités agricoles, le législateur a posé en principe qu’elles ont un caractère civil 28
et énoncé les critères permettant de les définir. Ainsi, sont réputées agricoles toutes les activités
correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d‘un cycle biologique de caractère végétal ou
animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle, ainsi que
les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de
production ou qui ont pour support l’exploitation.

Quant aux artisans, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a supprimé les questions de
compétence liées aux aléas de qualification en confiant aux tribunaux de commerce le
contentieux relatif à leurs activités.

Pour enrichir la réflexion, il est intéressant de noter que certains pays tentent, en modifiant
profondément leur législation, d’apporter une réponse parfois radicale à ces interrogations.
L’exemple de la Belgique est édifiant à cet égard : abandonnant bon nombre de concepts du code
napoléonien de 1807, le parlement belge a adopté le 15 avril 2018 29 une loi réformant le droit
des entreprises. Elle intègre une nouvelle dimension de la notion d’« entreprise » dans le code de
droit économique. La notion de commerçant n’est désormais plus le critère central et celle légale
d’acte de commerce disparaît. L’« entreprise » vise à présent l’ensemble des acteurs actifs sur le
plan économique. Une définition formelle est donc retenue : toutes les personnes morales sont
désormais considérées comme des « entreprises », en ce compris l’association sans but lucratif.
La société se distinguera essentiellement de l’association par le fait que la première aura pour
but de répartir une partie, au moins, de ses profits à ses associés alors que toute distribution est
exclue dans les associations.

Cette réforme est suivie d’un projet de loi déposé au parlement qui viendra simplifier
profondément le code actuel des sociétés afin de faire, selon l’exposé des motifs du projet de loi,
« du droit belge des sociétés un droit attractif qui soit compétitif sur le plan international par
rapport aux droits des autres pays membres de l’Union européenne et qui puisse dès lors constituer
un des éléments favorisant des investissements étrangers ».

Conséquence de la réforme, le tribunal de commerce disparait et devient le « tribunal des
entreprises ». Ce tribunal sera à présent compétent pour les litiges entre entreprises, en ce
compris ceux qui concernent des associations sans but lucratif et les professions libérales. Avec
une telle évolution, le législateur vise une simplification du droit économique belge et de
l’organisation judiciaire qui devrait encourager les investisseurs à s’installer dans le pays et
favoriser son développement.

28   Article 311-1 du code rural et de la pêche maritime.
29   Moniteur belge du 3 mai 2018.

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2. PROPOSITIONS ET PISTES D’EVOLUTION

Les auditions auxquelles la commission a procédé et dont la synthèse est présentée en annexe,
apportent l’éclairage des acteurs qui interviennent auprès des tribunaux de commerce sur un
éventuel élargissement de compétence de ces juridictions.

Il en ressort plusieurs constats partagés par le plus grand nombre des personnalités qui se sont
exprimées :

−   Le premier est l’apport indéniable que constitue la présence de dirigeants dans les
    juridictions commerciales. L'originalité du recrutement des juges consulaires fait leur force.
    En effet, les juges consulaires possèdent en raison de leur expérience professionnelle
    une très bonne connaissance des activités économiques. Ils détiennent une incontestable
    capacité à juger de façon pragmatique des situations économiques et financières
    susceptibles d'entraîner des drames humains considérables. Ils disposent d'un savoir-faire
    pratique du fonctionnement de l'entreprise. Il est également reconnu que les juridictions
    consulaires ont su démontrer de tout temps par leur jurisprudence et leur pratique des
    capacités d'adaptation, d'innovation et d'anticipation indéniables face à l'extraordinaire
    diversité et à la complexité des situations. La contribution des tribunaux de commerce à
    l'évolution du droit s'est illustrée par de nombreux exemples : le juge rapporteur devenu
    juge chargé d’instruire l’affaire, le mandat ad hoc ont été des initiatives prétoriennes ;

−   Le deuxième constat qui peut être relevé est l’association faite par plusieurs intervenants
    entre l’extension éventuelle de la compétence d’attribution et d’une part, une exigence de
    formation renforcée, ce qui est naturel, et d’autre part, une spécialisation des tribunaux qui
    accroit l’expertise du juge, ou une spécialisation des juges ;

−   Troisième constat : l’évolution de la compétence des tribunaux de commerce fait débat ;
    certains sont favorables à une extension de leurs compétences, d’autres y sont hostiles, et
    d’autres encore souhaitent s’en tenir au statu quo ;

La commission a considéré qu’il était important de contribuer à ce débat et de formuler des
propositions, pour une justice efficace et attractive en matière économique.

2.1 PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Les propositions de la commission s’articulent autour de deux principes : d’une part, rendre la
répartition de compétence entre tribunal de commerce et tribunal civil plus simple et plus lisible
pour le justiciable afin notamment d’assurer une meilleure sécurité juridique et d’autre part,
maximiser les domaines où le juge consulaire peut faire valoir son expérience de chef
d’entreprise et sa connaissance de l’environnement économique.

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2.11 Simplifier la répartition des compétences en modifiant les critères

Dès lors qu’après avoir recherché en vain une solution négociée à un litige avec un de ses
partenaires, le chef d’entreprise comme tout acteur économique se résout à introduire une
instance judiciaire, il attend que le procès se déroule rapidement et sans encourir de risque
d’incident de procédure. La contestation de la compétence matérielle du tribunal saisi est source
de retard et donc de coût et revêt parfois un caractère dilatoire.
Au regard de la complexité de la répartition des champs de compétence rappelée en première
partie et dans une perspective de simplification et de sécurité juridique, la commission suggère
que la distinction entre acte de commerce et acte civil et la notion de commerçant s’effacent
devant les critères d’activité et d’acteur économiques. Certes, la notion d’activité économique ne
fait l’objet d’aucune définition juridique mais elle est sous-jacente dans les dispositions du livre
IV du code de commerce pour définir les entités soumises au droit de la concurrence et est
également mentionnée à l’article L. 612-1 du même code 30.

Qu’entendre par activité économique ? La jurisprudence nationale et européenne en matière de
droit de la concurrence constitue une référence utile pour cerner la notion d’activité
économique : celle-ci se caractérise par le fait de produire et de commercialiser des biens et
services sur un marché donné et ce, indépendamment du statut juridique et du mode de
financement de l’entité exerçant cette activité 31.
Il pourrait être pertinent d’ajouter à cette définition de l’activité économique deux conditions,
déjà présentes pour qualifier l’acte de commerce par nature : la recherche d’un gain d’une part,
l’accomplissement à titre habituel de cette activité d’autre part. Le premier critère permet
d’exclure les activités répondant au principe de solidarité, comme celles des institutions sociales,
qui ne sont pas de nature économique dans la mesure où elles n’obéissent pas à une logique de
marché 32. Le second critère permet d’exclure de la compétence d’un tribunal des activités
économiques le particulier qui accomplit cette activité de manière occasionnelle.

Selon la commission, retenir la prééminence du critère d’activité économique sur ceux
d’activités civile ou commerciale conduirait à simplifier et clarifier la répartition des
compétences : ainsi par exemple dans une instance devant un tribunal de commerce un
plaignant ayant une activité économique à l’identique des autres parties au procès, ne devrait
plus pouvoir exciper de son objet civil en raison de son statut juridique (société mutuelle, société
civile, association, profession libérale…) pour invoquer l’incompétence du tribunal et demander
le renvoi de l’affaire devant le tribunal de grande instance.
De même pourrait être écartée l’application de la théorie de l’accessoire construite par la
jurisprudence permettant actuellement de caractériser un acte civil qui peut devenir commercial
en raison de la qualité de la personne qui l’exécute ou, à l’inverse, un acte commercial par nature
au sens de l’article L. 110-1 du code de commerce qui peut être qualifié d’acte civil par

30  Code de commerce article L. 612-1 alinéa 1 : « Les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une
activité économique dont le nombre de salariés, le montant hors taxes du chiffre d'affaires ou les ressources et le total
du bilan dépassent, pour deux de ces critères, des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat, doivent établir chaque
année un bilan, un compte de résultat et une annexe. Les modalités d'établissement de ces documents sont précisées
par décret ».
31 Cf. notamment arrêt CJCE du 11 juill. 2006 FENIN c/ Commission européenne.
32 Par exemple Cour de cassation, ch. sociale 21 janv. 2009, n° 07-12.411, Bull. civ. V, n° 14.

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accessoire s’il se rattache à une activité civile principale exercée par un personne non-
commerçante.

La commission n’a pas, à ce stade, approfondi ses travaux pour tirer toutes les conséquences qui
découleraient de la reconnaissance de la notion d’activité économique comme critère principal
de répartition de la compétence matérielle entre tribunal de commerce et tribunal civil : aussi
appelle-t-elle à la poursuite de la réflexion engagée par un large débat sur la pertinence des
critères historiques de commerçant et de commercialité par la forme d’exercice dans la sphère
économique actuelle en évolution permanente.

2.12 Du tribunal de commerce au tribunal des « activités économiques »

Dans la logique de l’introduction de la notion d’activité économique du justiciable comme critère
de répartition de compétence matérielle entre les juridictions, la commission recommande que
le tribunal de commerce soit dénommé « tribunal des activités économiques », le terme
« activité » ayant été jugé préférable à celui de « affaire ». Ce tribunal deviendrait la juridiction
principale, si ce n’est unique, pour trancher les litiges des acteurs économiques quelle que soit la
forme d’exercice de leurs activités.

2.13 Domaines d’extension possibles des compétences

La commission a examiné successivement les différents domaines de compétence entrant dans
le périmètre des activités économiques. Les propositions formulées s’inscrivent dans une
perspective de simplification et de lisibilité pour les justiciables et ont été conduites en
procédant à une appréciation critique de la légitimité des juridictions consulaires à aborder ces
nouveaux domaines.

Seront successivement analysés les domaines suivants : contentieux des activités économiques,
difficultés des entreprises, ainsi que les problématiques spécifiques des baux commerciaux et de
la propriété intellectuelle.

a) Contentieux des activités économiques

Plusieurs rapports au cours des dernières décennies ont appelé à revoir et simplifier la
répartition des contentieux entre tribunaux de premier degré et les règles de procédure
induites : le rapport du premier président de la cour d’appel d’Orléans, M. Francis CASORLA,
préconisait déjà en 1997 la création de tribunaux de première instance par la fusion des
tribunaux de grande instance et d’instance 33, puis en 2008 le rapport du professeur Serge
GUINCHARD 34 qui n’a pas retenu cette idée, préférant un principe de juridiction duale avec le
tribunal de grande instance et le tribunal d’instance absorbant le juge de proximité ; la
suppression du tribunal d’instance est inscrite aujourd’hui dans le projet de loi sur la
programmation de la justice en cours d’examen par le Parlement.

33 Rapport  « Réflexions sur l'amélioration de l'accès à la justice par la mise en place d'un guichet unique de greffe et la
simplification de juridictions de première instance », La Documentation française mai 1997.
34 Rapport « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », la Documentation française août 2008.

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Ces différents rapports n’ont cependant pas abordé la répartition des contentieux entre tribunal
civil et tribunal de commerce. Les exemples de complexité de cette répartition, rappelés en
première partie de ce rapport, militent à poursuivre les simplifications déjà engagées pour
répondre à l’attente de lisibilité par le justiciable pour être orienté vers la juridiction compétente
à trancher son litige.

Le recours au critère d’activité économique comme clé principale de répartition de compétence
matérielle aurait comme avantage par son caractère suffisamment large d’être indifférent à
l’évolution des caractéristiques de production, de transformation et de services des divers
acteurs économiques et à la forme juridique sous laquelle ils exercent leur activité. Le juge
n’aurait plus à s’interroger pour savoir qui du tribunal civil ou du tribunal de commerce est
compétent pour juger le litige d’un propriétaire, cultivateur ou vigneron qui vend à titre habituel
sa production, qu’il l’ait ou non transformée ; de même, le critère de commercialité par la forme
pourrait disparaître et permettre ainsi, par exemple, à un tribunal unique d’être compétent pour
trancher un conflit impliquant un professionnel libéral dont le statut est réglementé et ce, quelle
que soit la forme juridique de son exercice professionnel.

Les personnes ayant une activité économique auraient vocation en cas de conflit à être attraites
devant un tribunal unique dès lors qu’elles proposent leurs services sur un marché en
concurrence avec des acteurs économiques exerçant des activités similaires sous forme de
société commerciales.

Après les auditions auxquelles elle a procédé, la commission tout en reconnaissant l’intérêt d’un
transfert des contentieux de ces secteurs d’activités à un tribunal des activités économiques
unique par la cohérence qui en résulterait, considère préférable une évolution par étape pour
permettre de débattre pleinement du critère d’activité économique et d’en préciser les contours.

En revanche, un premier pas pourrait être engagé dans le domaine des procédures collectives,
dans la mesure où les tribunaux de commerce connaissent de la majorité des affaires dans ce
domaine, et que le champ d’application des règles applicables en la matière repose déjà sur le
critère de l’activité économique.

b) Difficultés des entreprises

Les juridictions commerciales ont une expertise reconnue en matière de détection et de
traitement des difficultés des entreprises ; elles sont à l’origine et ont développé les outils de
prévention avant qu’ils ne soient consacrés par le législateur dans le livre VI du code de
commerce aux articles L. 611-2 et suivants. Les procédures conventionnelles de mandat ad hoc
et de conciliation, mises en œuvre à temps, sont performantes pour pérenniser l’activité des
entreprises et sauvegarder les emplois.

Le livre VI du code de commerce s’applique à tous les acteurs économiques : commerçants,
artisans, agriculteurs, personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante y
compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre
est protégé, sociétés civiles, associations et autres personnes morales de droit privé, et ce,
quelque soit le statut juridique d’exploitation35. L’article L. 621-2 du code de commerce dispose

35   Article L. 620-2 du code de commerce.

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