RAPPORT DE LA COMMISSION PROSPECTIVE - DU TRIBUNAL DE COMMERCE AU TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES
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RAPPORT DE LA COMMISSION PROSPECTIVE DU TRIBUNAL DE COMMERCE AU TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES Pour une justice commerciale attractive et efficace novembre 2018
SOMMAIRE INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 2 1. POURQUOI UN TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES ? ............................................. 4 1.1 EVOLUTION DE L’ACTIVITE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE ET DE LEUR EFFICIENCE............................ 4 1.2 UN PARTAGE DE COMPETENCE COMPLEXE ..................................................................................................... 7 2. PROPOSITIONS ET PISTES D’EVOLUTION .............................................................................. 11 2.1 PROPOSITIONS DE LA COMMISSION .............................................................................................................. 11 2.11 Simplifier la répartition des compétences en modifiant les critères ............................... 12 2.12 Du tribunal de commerce au tribunal des « activités économiques » ............................. 13 2.13 Domaines d’extension possibles des compétences ................................................................. 13 a) Contentieux des activités économiques ................................................................................................13 b) Difficultés des entreprises ...........................................................................................................................14 c) Les baux commerciaux .................................................................................................................................16 d) La propriété intellectuelle ..........................................................................................................................17 2.2 LES PISTES D’EVOLUTION ............................................................................................................................... 18 2.21 Elargissement du corps électoral .................................................................................................... 18 2.22 Spécialisation et carte judiciaire...................................................................................................... 18 2.23 Spécialisation et tribunal numérique ............................................................................................ 20 2.24 Echevinage et mixité............................................................................................................................. 21 3. CONCLUSION..................................................................................................................................... 22 ANNEXE 1 : MEMBRES DE LA COMMISSION.......................................................................................... 23 ANNEXE 2 : PERSONNES AUDITIONNEES .............................................................................................. 24 ANNEXE 3 : SYNTHESE DES AUDITIONS ................................................................................................ 26 Rapport de la commission prospective – novembre 2018 1
INTRODUCTION L’organisation de la justice doit s’adapter en permanence aux évolutions de la société, au progrès technologique qui révolutionne la circulation et l’accès à l’information, à la compétition que se livrent les Etats et les acteurs économiques pour un droit attractif favorisant la sécurité juridique et la rapidité des décisions. Elle doit également se réformer face à plusieurs dysfonctionnements connus de tous : encombrements des tribunaux, allongement des délais, complexité de son organisation, insuffisance notoire de moyens humains et financiers comparés à d’autres pays européens. Chacune des dernières années a vu son lot de lois et d’ordonnances venir ajouter une pierre à l’édifice au nom d’une volonté politique de modernisation et de simplification. Sans être exhaustif, on peut rappeler pour ce qui concerne en particulier la justice commerciale : − la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour « la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » instaurant des tribunaux de commerce spécialisés en matière de procédure collective ; − la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une « République numérique » dont l’article 21 prévoit en substance une mise à disposition gratuite du public des décisions rendues par les juridictions judiciaires après leur anonymisation ; − la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la justice du XXIème siècle » dont le titre VII vise à « rénover et adapter la justice commerciale aux enjeux de la vie économique et de l’emploi » notamment en prévoyant un statut du juge consulaire et en transférant au tribunal de commerce la compétence des litiges concernant les artisans ; − le projet de loi de programmation et de réforme de la justice en cours d’examen au Parlement qui devrait déboucher sur une simplification de la procédure civile et de la procédure pénale, l’allégement de la charge des juridictions administratives, un rapprochement des tribunaux d’instance et de grande instance, projet de loi considéré tant dans sa version initiale que dans la version amendée par le Sénat et faisant l’objet de la « petite loi » du 23 octobre 2018. Dans ce contexte effervescent de réformes, la Conférence générale des juges consulaires de France a, par la voie de son président lors du congrès national en novembre 2017, souhaité ouvrir une réflexion sur le rôle de la justice commerciale confrontée aux mutations de l’économie. Ces mutations sont connues : libéralisation et mondialisation des échanges, regroupement d’entreprises, économie numérique, nouveaux acteurs, nouveaux modèles économiques dans lesquels la solidarité prime la quête du profit. Elles font émerger de nouveaux types de litiges toujours plus complexes et s’imposent ainsi au juge. Le droit tend à s’adapter à ces nouvelles formes de l’économie et à la place de l’entreprise dans la société. C’est ainsi par exemple que l’article 1833 du code civil qui dispose que le contrat de société est conclu dans l’intérêt commun des associés, va être modifié par l’article 61 1du projet de loi PACTE voté en première lecture à l’Assemblée nationale afin de consacrer la notion d’intérêt social dégagée par la jurisprudence en y associant la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux qui entourent l’activité de l’entreprise. L’élargissement de l’intérêt 1Article 1833 modifié du code civil : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. ». Rapport de la commission prospective – novembre 2018 2
social à la reconnaissance d’un intérêt collectif met à la charge du dirigeant de l’entreprise une nouvelle obligation que le juge devra cerner par ses décisions futures. L’article L. 721-3 du code de commerce délimite le périmètre de compétence du tribunal de commerce ; en substance ce tribunal connaît : 1° des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; 2° de celles relatives aux sociétés commerciales ; 3° de celles relatives aux actes de commerce entre toutes les personnes. Cette disposition a été conçue à une époque où l’on parlait encore de droit commercial et non de droit des affaires ou de droit économique. Or, de nombreuses règles du droit commercial ont été étendues à des non commerçants : artisans, agriculteurs et, parfois, professionnels libéraux. Le droit des procédures collectives en est sans doute le meilleur exemple. Le droit des pratiques restrictives de concurrence (article L. 442-6 du code de commerce) en est un autre, car il vise les producteurs, commerçants, industriels et personnes immatriculées au répertoire des métiers. On pourrait aussi évoquer le droit maritime qui s’applique, au-delà de son cercle naturel, aux plaisanciers. Pour autant, les règles de compétence n’ont pas été modifiées et les litiges sur les matières économiques se répartissent encore entre les tribunaux de commerce et les tribunaux civils. La question qui se pose est donc de savoir si cette répartition de compétences a encore un sens et s’il ne serait pas opportun, notamment dans un souci d’efficacité et de lisibilité et dans le prolongement de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la Justice du XXIème siècle », de confier le contentieux des activités économiques à des tribunaux de commerce modernisés qui deviendraient des tribunaux des activités économiques. Afin de nourrir cette réflexion, la Conférence générale a confié à une commission composée de juges consulaires et de professeurs d’université le soin de recueillir l’avis de diverses personnalités qui côtoient les tribunaux de commerce. La composition de la commission 2 et les personnes et les organisations 3 auditionnées ainsi que la synthèse de leurs propos 4 figurent en annexes. Le présent rapport rend compte des travaux de la commission. Les propositions qui y sont formulées s’inscrivent dans une recherche de modernisation et d’efficacité au bénéfice de la justice et des justiciables. Dans une première partie, il sera fait état de l’évolution de l’activité des tribunaux de commerce, de leur efficience et de la perception qui en résulte. Par quelques exemples seront évoquées la construction jurisprudentielle de la délimitation de compétence entre tribunal civil et tribunal de commerce et les difficultés qui en découlent pour les acteurs économiques. Dans la deuxième partie seront développées les propositions de la commission et, si celles-ci devaient être retenues, les pistes d’évolution susceptibles de favoriser leur mise en œuvre. 2 Annexe 1. 3 Annexe 2. 4 Annexe 3. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 3
1. POURQUOI UN TRIBUNAL DES ACTIVITES ECONOMIQUES ? 1.1 EVOLUTION DE L’ACTIVITE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE ET DE LEUR EFFICIENCE Le tableau ci-dessous, tiré des statistiques produites par la Conférence générale des juges consulaires de France, hors les chambres commerciales des tribunaux de grande instance d’Alsace Moselle et les tribunaux mixtes d’outre-mer, illustre sans qu’il soit besoin d’un commentaire pour chaque rubrique la baisse structurelle de l’activité de contentieux des tribunaux de commerce dont les affaires nouvelles ont diminué de près de moitié en dix ans. 2017 2016 2007 %N/N-1 %N/N-10 Contentieux Affaires nouvelles 53 510 60 069 101 969 -10,9% -47,5% Référés 21 688 21 871 27 347 -0,8% -20,7% Injonctions de payer 133 005 160 634 129 054 -17,2% 3,1% Total 208 203 242 574 258 370 -14,2% -19,4% Procédures collectives Ouvertures 47 211 50 452 42 168 -6,4% 12,0% Déjà en 2007, lors du colloque de l’association Droit et Commerce sur le thème « Où sont passés les contentieux » 5, les intervenants s’étaient interrogés sur la diminution des affaires au contentieux. Sans qu’une étude précise n’ait été réalisée, plusieurs facteurs sont, semble-t-il, à l’origine de cette évolution qui persiste, voire s’accentue : − la recherche de solutions amiables et de transactions avant le procès ; − l’incitation régulière de la loi à orienter tous les acteurs économiques vers le règlement amiable de leurs différends ; − l’introduction plus systématique de clauses compromissoires dans les contrats ; − la renonciation au procès en raison de son coût et du temps à y consacrer au regard du faible enjeu financier du litige ; − le fait que certains acteurs économiques, tels que les banques, se sont organisés pour transférer leurs créances irrécouvrables à des organismes spécialisés qui adoptent des méthodes de recouvrement faisant moins appel au tribunal. Les ouvertures de procédures collectives sont liées à la conjoncture économique et au climat des affaires : ceux-ci s’étant améliorés, elles marquent une régression régulière depuis trois ans dont on peut se réjouir, même si elles ne sont pas encore revenues au niveau de 2007, année la plus haute du cycle économique avant la crise des « subprimes ». Une telle réduction d’activité des tribunaux de commerce se traduit inévitablement par une diminution du nombre de décisions rendues par les juges consulaires alors que le nombre de 5 Gazette du Palais 27-28 juin 2007, n°178-179. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 4
ceux-ci reste constant 6. En 2017, les juges consulaires des 134 tribunaux de commerce ont rendu 918 598 décisions, toutes natures confondues mais entretiens de prévention exclus, soit, en moyenne, 281 par juge et 6854 par tribunal 7. De ces quelques données chiffrées, il en ressort une évolution qui apparaît devoir être prise en compte au regard de l’organisation des tribunaux et de l’expérience des juges. Si l’on observe maintenant les tribunaux de commerce sous l’angle de leur efficience, les attentes des acteurs économiques qu’ils soient commerçants, personnes physiques ou dirigeants de personnes morales sont connues : les juges doivent être compétents, la justice doit être rapide, accessible et à moindre coût. En 2017, le délai moyen pour traiter une affaire contentieuse est, selon les statistiques du ministère de la justice 8, de 5,5 mois, chiffre calculé affaire par affaire pour les décisions effectivement rendues. A titre indicatif et non comparatif, car les affaires portent sur des domaines beaucoup plus diversifiés, le délai moyen des tribunaux civils est de 7,6 mois. Le taux d’appel en premier ressort est de 14,5%, contre 21,6% pour les tribunaux de grande instance, et le taux d’infirmation de 4,9%. Même si les tribunaux de commerce sont encore contestés par certains de manière récurrente en raison d’une prétendue méconnaissance du droit par les juges ou encore d’une suspicion de partialité puisque ces juges tranchent les litiges de leurs pairs, les chiffres qui viennent d’être rappelés corroborent, s’il en est besoin, l’efficacité des juridictions commerciales. Dans le prolongement des efforts de formation engagés depuis 2003 en partenariat avec l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), le caractère devenu obligatoire de la formation initiale et continue des juges ainsi que le renforcement des règles de déontologie et d’éthique instaurées par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de « modernisation de la Justice du XXIème siècle » viendront encore améliorer les décisions des juges. Il est intéressant de compléter ce rapide panorama de l’activité des juridictions commerciales par la perception qui ressort de l’étude annuelle « Doing business in France » 9 publiée par la Banque mondiale. Le tableau suivant retrace le positionnement de la France par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE pour les deux indicateurs relatifs au système judiciaire examinés : l’exécution des contrats et le règlement de l’insolvabilité. La méthodologie retenue vise à évaluer pour le premier indicateur, les procédures, les délais et le coût du règlement d’un différend commercial et pour le second, les délais, le coût et le taux de recouvrement par les créanciers de l’entreprise défaillante. Si le score de la France apparaît satisfaisant pour le premier indice (15ème rang sur 180), confirmant l’efficacité de la législation et de la justice en matière de contentieux commercial, il l’est moins pour le second indice (28ème rang), quoiqu’en progrès (43ème rang il y a cinq ans). 6 3386 juges consulaires élus dont 95 dans les chambres commerciales des TGI d’Alsace Moselle. 7 Statistiques de la CGJCF 2017. 8 Chiffres clés de la justice 2018- Sous-direction de la Statistique et des Etudes. 9 Données de 2017. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 5
Exécution des contrats France Royaume uni Allemagne Moyenne OCDE Délais (en jours) 395 437 499 578 Coût (en % du litige) 17,4 45,7 14,4 21,5 Règlement de l’insolvabilité France Royaume Uni Allemagne Moyenne OCDE Délais (années) 1,9 1 1,2 1,7 Coût (en % des actifs du débiteur) 9 6 8 9,1 Taux de Recouvrement 73,5 85,2 80,6 71,2 par les créanciers (%) Ces chiffres donnent des indications comparatives dont il ne peut être tiré de conclusion absolue, d’autant que la méthodologie déroulée par les experts de la Banque mondiale a fait l’objet de réserves de la part de la doctrine en France car elle tendrait à favoriser le concept de la « common law » par rapport au droit écrit continental. La progression notoire de 25 points du taux de recouvrement par les créanciers qui est passé de 48,4%, il y a cinq ans, à 73,5% en 2017, au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, peut étonner alors qu’il n’y a pas eu de modification notoire de la législation dans ce domaine. Néanmoins, il en ressort une perception favorable sur la qualité du fonctionnement de la justice commerciale en France. Dans le même esprit de comparaison internationale des droits, on peut relever les travaux de la Fondation pour le droit continental qui est à l’origine de la publication de l’index de la sécurité juridique (ISJ), lequel évalue les formes de sécurité apportées à tous les acteurs économiques. La sécurité juridique est un des éléments de l’attractivité économique. Elle suppose l’accessibilité du droit applicable - contenu dans un recueil publié, exhaustif et validé -, sa prévisibilité, grâce à la hiérarchie des normes et à des compétences prédéfinies du législateur et du juge, une stabilité raisonnable dans le temps, et enfin un équilibre entre les intérêts économiques et les parties en présence. Le premier rapport de la Fondation publié en 2015 a débouché sur un classement, selon une méthodologie spécifique à partir de cas juridiques, de treize pays 10 répartis sur quatre continents. Six domaines de droit ont été étudiés : contrats, immobilier, responsabilité, sociétés, travail et règlement des différends. Le 3ème rang attribué à la France permet de constater selon les auteurs du rapport 11 que le droit français peut parfaitement se mesurer aux autres systèmes de droit, même si certains points sont perfectibles en termes de sécurité juridique qui est au cœur des relations entre les acteurs économiques. 10 Classement des pays, du premier au treizième : Norvège, Allemagne, France, Royaume Uni, Chine, Maroc, Sénégal, Italie, Canada, Argentine, Japon, Etats-Unis, Brésil. 11 Conclusion du rapport, p. 123. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 6
1.2 UN PARTAGE DE COMPETENCE COMPLEXE Si, à bien des égards, le tribunal de commerce apparaît comme la juridiction de « l’économique » par les domaines de compétence qui lui sont attribués, il ne couvre cependant pas le champ de toutes les activités économiques. C’est en effet une juridiction judiciaire spécialisée dont les principes de compétence d’attribution sont fixés, comme rappelé en introduction, par l’article L.721.3 du code de commerce. Le code de l’organisation judiciaire donne compétence au tribunal de grande instance dans toutes les matières qui ne sont pas expressément attribuées à une autre juridiction 12. De nombreux secteurs économiques relèvent ainsi de sa compétence : l’artisanat jusqu’au 1er janvier 2022 13, l’agriculture 14, les professions libérales exerçant sous la forme d’une société d’exercice libéral constituée selon la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 15, le secteur associatif et les sociétés civiles. En application de ces textes fixant l’attribution de compétence entre tribunal de commerce et tribunal civil et de la notion d’acte de commerce aux visas des articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de commerce, les juridictions jusqu’à la Cour de cassation ont construit, tout au long des XIXème et XXème siècles, une jurisprudence subtile, complexe et sans doute déroutante pour le justiciable, qu’il convient de rappeler par quelques exemples. − L’artisan n’est pas commerçant : tout litige concernant ses prestations relève du tribunal civil. Toutefois, s’il exerce sous la forme d’une société commerciale, il est justiciable du tribunal de commerce. De même, si plutôt que de tirer le principal de ses revenus de son travail manuel, il spécule sur le travail d’autrui ou de machines, il est qualifié de commerçant et relève de la compétence du tribunal de commerce 16. Ainsi, en fonction du nombre de salariés qu’elle emploie ou de l’importance de l’utilisation qu’elle fait de machines, une personne peut être qualifiée d’artisan ou de commerçant. Par exemple, un chaudronnier dont les revenus proviennent tant du travail de ses salariés que de la revente des matériaux fournis lors des travaux exécutés, est un commerçant 17. De même n’a pas la qualité d’artisan, mais celle de commerçant, un fabricant de pâtes alimentaires n’employant pas de main d’œuvre, mais utilisant des machines importantes 18. − Dans le secteur agricole, la jurisprudence a construit une distinction subtile entre l’activité agricole civile et l’activité commerciale. Ainsi, l’analyse de l’article L. 721-6 du code de commerce conduit à considérer que le contrat concédant l’exclusivité et la vente des vins concernant des opérations d’écoulement de la production d’un vigneron est un contrat civil 12 COJ art. R. 211.3. 13 Date arrêtée par la loi du 18 novembre 2016 pour le transfert du contentieux touchant l’activité des artisans devant le tribunal de commerce. 14 Article L. 721-6 du code de commerce: « Ne sont pas de la compétence des tribunaux de commerce les actions contre un propriétaire, cultivateur ou vigneron, pour vente de denrées provenant de son cru, ni les actions intentées contre un commerçant, pour paiement de denrées et marchandises achetées pour son usage particulier (…) ». 15 Article L. 721-5 du code de commerce : « Par dérogation au 2° de l’article L. 721-3 et sous réserve des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés de professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que des contestations survenant entre associés d’une telle société ». 16 Cour de cassation, ch. com. 21 mai 1985, n° 82-16.264, Bull. civ. IV, n° 161. 17 Cour de cassation, ch. com. 19 nov. 1975, n° 75-11.937, Bull. civ. IV, n° 275. 18 Cour de cassation, ch. com. 2 mai 1972, n° 71-11.216, Bull. civ. IV, n° 128. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 7
relevant de la compétence du tribunal de grande instance, mais qu’en revanche, accomplit des actes de commerce selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’horticulteur dont l’activité consiste essentiellement en l’achat de boutures pour les enraciner et les revendre à ses clients 19 ; de même, exerce une activité commerciale l’éleveur qui nourrit son cheptel avec des aliments provenant pour leur quasi-totalité de l’extérieur faisant ainsi ressortir que la proportion d'aliments représentée par les achats n'avait pas un caractère accessoire ou complémentaire 20 . En revanche, l’exploitant dont la production d’œufs est l’activité principale, et bien qu’il achète une grande quantité hebdomadaire d’aliments, n’exerce pas une activité commerciale dès lors qu’il vend les produits de son élevage sans procéder à des achats pour revendre 21. − Définies par l’article 29-1 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 22, les professions libérales exercent une activité de nature généralement civile. Cependant, par référence aux principes généraux définissant les actes de commerce, le pharmacien d’officine qui achète des médicaments pour les revendre est un commerçant. De même, un notaire a pu être considéré comme commerçant parce qu’il réalisait des opérations bancaires avec les fonds de ses clients 23. En revanche, et contrairement à la solution retenue pour les artisans, si la profession est exercée sous la forme d’une société d’exercice libéral en respectant les dispositions de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 qui prévoient notamment que plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou indirectement, par des professionnels en exercice au sein de la société, l’article L. 721-5 du code de commerce précité dispose que les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître de litiges impliquant la société ou de conflits entre associés, nonobstant la forme commerciale de cette société. La cour d’appel qui retient la compétence de la juridiction consulaire dans une action intentée contre une société d’avocats de forme anonyme constituée selon la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, méconnaît selon la Cour de cassation l’article 631-1 (L. 721-5 nouveau) du code de commerce en énonçant que, quelle que soit la nature des actes auxquels le litige se rapporte, « la forme imprime la commercialité à son activité », celle-ci serait-elle civile par nature 24. A l’inverse, une société d’expertise comptable constituée en la forme d’une société à responsabilité limitée avant la loi du 31 décembre 1990 et qui, depuis, n’a pas modifié ses statuts pour devenir une société d’exercice libéral, relève de la compétence du tribunal de commerce 25. − Une association est, par hypothèse, un organisme à but non lucratif ; les actes qu’elle accomplit sont de nature civile et relèvent en cas de contestation des tribunaux civils. 19 Cour de cassation, ch. com. 5 fév. 1979, n° 77-10.626, Bull. civ. IV, n° 46. 20 Cour de cassation, ch. com. 10 juill. 1985, n° 84-11.730, Bull. civ. IV, n° 210. 21 Cour de cassation, ch. com. 11 avril 1995, n° 93-16.064, Bull. civ. IV, n° 127. 22 Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, art 29 : « Les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant». 23 Cour de cassation, ch. com. 2 fév. 1970, n° 68-13.575, Bull. civ. n° 36 ; JCP 1970, II, 16313. 24 Cour de cassation, 2ème civ. 6 mai 1997, n° 95-11.857, Bull. civ. II, n° 128. 25 Cour de cassation, ch.com. 16 nov. 2004, n° 01-03.304, Bull. civ. IV, n° 196. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 8
Toutefois, par extension jurisprudentielle de la qualification d’acte de commerce, une association qui offre de manière permanente à des particuliers un site internet pour favoriser l’échange d’immeubles effectue des opérations d’intermédiaire pour l’achat ou la revente d’immeubles au sens de l’article L. 110-1-3° du code de commerce, ce qui justifie la compétence du tribunal de commerce même si cette activité n’est pas spéculative 26. − On notera aussi que le cautionnement dont on connaît l’extraordinaire essor dans la vie des affaires, est un acte civil, à moins que la caution n’ait un intérêt patrimonial au paiement de la dette garantie, ce qui vise la plupart des dirigeants de société. Ces rappels de jurisprudence illustrent la complexité de la répartition des compétences qui nuit sans conteste à la lisibilité et à l’attractivité du droit. Le justiciable chef d’entreprise pour qui le temps consacré au procès a un coût, ne peut que souhaiter que son litige soit traité rapidement devant le bon tribunal. Or, un éventuel conflit de compétence peut être source d’incidents de procédure qui retardent l’issue du procès. La commission a pris pour exemple le cas fréquent d’un litige de construction dans lequel un promoteur assigne pour malfaçons, devant le tribunal de commerce, une entreprise générale, laquelle a sous-traité une partie des travaux et appelle dans la cause le cabinet d’architecture ayant conçu et piloté le projet immobilier ; les assureurs de chaque partie sont également dans la cause et celui de l’architecte est une société mutuelle d’assurance qui soulève in limine litis l’incompétence du tribunal de commerce dans la mesure où son activité a un objet civil et demande le renvoi de l’affaire devant le tribunal de grande instance. Quelle que soit la décision du tribunal de commerce, renvoi, disjonction partielle ou rejet de l’exception soulevée, la solution de l’affaire sera considérablement retardée au détriment de l’intérêt de l’ensemble des parties alors qu’elles ont toutes, sauf une, une activité commerciale et sont en attente d’une décision judiciaire rapide. Les constatations qui précédent amènent à se poser plusieurs questions : − Les clés législatives et jurisprudentielles de la répartition de compétence entre tribunaux civils et tribunaux de commerce, fondées sur le statut du commerçant et la commercialité formelle, sont-elles toujours pertinentes ? − La distinction entre l’acte de commerce dont la finalité est la recherche d’un gain économique et l’acte civil reste-t-elle toujours appropriée dès lors que par exemple des entités commerciales et des organismes sans but lucratif proposent concurremment les mêmes services sur le marché ? − Alors que les acteurs économiques ayant la même activité voient, selon la jurisprudence actuelle, leurs éventuels litiges tranchés par des tribunaux différents, ne conviendrait-il pas, à l’instar de la notion d’activité artisanale et commerciale 27 déjà introduite dans le livre VI du code de commerce, d’attribuer à un tribunal unique la compétence des affaires contentieuses relevant d’activités économiques ? 26Cour de cassation, ch. com. 14 fév. 2006, n° 05-13.453, Bull. civ. IV, n° 35. 27Article L. 621-2 du code commerce modifié par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 : « Le tribunal compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale. Le tribunal de grande instance est compétent dans les autres cas (...) ». Rapport de la commission prospective – novembre 2018 9
− L’organisation du système judiciaire et, par conséquent, les justiciables n’y gagneraient-ils pas en termes de lisibilité, de simplification et de sécurité juridique ? Le législateur tend d’ailleurs à procéder à cette simplification, comme le montrent les exemples de l’agriculture et de l’artisanat. S’agissant des activités agricoles, le législateur a posé en principe qu’elles ont un caractère civil 28 et énoncé les critères permettant de les définir. Ainsi, sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d‘un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle, ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation. Quant aux artisans, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a supprimé les questions de compétence liées aux aléas de qualification en confiant aux tribunaux de commerce le contentieux relatif à leurs activités. Pour enrichir la réflexion, il est intéressant de noter que certains pays tentent, en modifiant profondément leur législation, d’apporter une réponse parfois radicale à ces interrogations. L’exemple de la Belgique est édifiant à cet égard : abandonnant bon nombre de concepts du code napoléonien de 1807, le parlement belge a adopté le 15 avril 2018 29 une loi réformant le droit des entreprises. Elle intègre une nouvelle dimension de la notion d’« entreprise » dans le code de droit économique. La notion de commerçant n’est désormais plus le critère central et celle légale d’acte de commerce disparaît. L’« entreprise » vise à présent l’ensemble des acteurs actifs sur le plan économique. Une définition formelle est donc retenue : toutes les personnes morales sont désormais considérées comme des « entreprises », en ce compris l’association sans but lucratif. La société se distinguera essentiellement de l’association par le fait que la première aura pour but de répartir une partie, au moins, de ses profits à ses associés alors que toute distribution est exclue dans les associations. Cette réforme est suivie d’un projet de loi déposé au parlement qui viendra simplifier profondément le code actuel des sociétés afin de faire, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « du droit belge des sociétés un droit attractif qui soit compétitif sur le plan international par rapport aux droits des autres pays membres de l’Union européenne et qui puisse dès lors constituer un des éléments favorisant des investissements étrangers ». Conséquence de la réforme, le tribunal de commerce disparait et devient le « tribunal des entreprises ». Ce tribunal sera à présent compétent pour les litiges entre entreprises, en ce compris ceux qui concernent des associations sans but lucratif et les professions libérales. Avec une telle évolution, le législateur vise une simplification du droit économique belge et de l’organisation judiciaire qui devrait encourager les investisseurs à s’installer dans le pays et favoriser son développement. 28 Article 311-1 du code rural et de la pêche maritime. 29 Moniteur belge du 3 mai 2018. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 10
2. PROPOSITIONS ET PISTES D’EVOLUTION Les auditions auxquelles la commission a procédé et dont la synthèse est présentée en annexe, apportent l’éclairage des acteurs qui interviennent auprès des tribunaux de commerce sur un éventuel élargissement de compétence de ces juridictions. Il en ressort plusieurs constats partagés par le plus grand nombre des personnalités qui se sont exprimées : − Le premier est l’apport indéniable que constitue la présence de dirigeants dans les juridictions commerciales. L'originalité du recrutement des juges consulaires fait leur force. En effet, les juges consulaires possèdent en raison de leur expérience professionnelle une très bonne connaissance des activités économiques. Ils détiennent une incontestable capacité à juger de façon pragmatique des situations économiques et financières susceptibles d'entraîner des drames humains considérables. Ils disposent d'un savoir-faire pratique du fonctionnement de l'entreprise. Il est également reconnu que les juridictions consulaires ont su démontrer de tout temps par leur jurisprudence et leur pratique des capacités d'adaptation, d'innovation et d'anticipation indéniables face à l'extraordinaire diversité et à la complexité des situations. La contribution des tribunaux de commerce à l'évolution du droit s'est illustrée par de nombreux exemples : le juge rapporteur devenu juge chargé d’instruire l’affaire, le mandat ad hoc ont été des initiatives prétoriennes ; − Le deuxième constat qui peut être relevé est l’association faite par plusieurs intervenants entre l’extension éventuelle de la compétence d’attribution et d’une part, une exigence de formation renforcée, ce qui est naturel, et d’autre part, une spécialisation des tribunaux qui accroit l’expertise du juge, ou une spécialisation des juges ; − Troisième constat : l’évolution de la compétence des tribunaux de commerce fait débat ; certains sont favorables à une extension de leurs compétences, d’autres y sont hostiles, et d’autres encore souhaitent s’en tenir au statu quo ; La commission a considéré qu’il était important de contribuer à ce débat et de formuler des propositions, pour une justice efficace et attractive en matière économique. 2.1 PROPOSITIONS DE LA COMMISSION Les propositions de la commission s’articulent autour de deux principes : d’une part, rendre la répartition de compétence entre tribunal de commerce et tribunal civil plus simple et plus lisible pour le justiciable afin notamment d’assurer une meilleure sécurité juridique et d’autre part, maximiser les domaines où le juge consulaire peut faire valoir son expérience de chef d’entreprise et sa connaissance de l’environnement économique. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 11
2.11 Simplifier la répartition des compétences en modifiant les critères Dès lors qu’après avoir recherché en vain une solution négociée à un litige avec un de ses partenaires, le chef d’entreprise comme tout acteur économique se résout à introduire une instance judiciaire, il attend que le procès se déroule rapidement et sans encourir de risque d’incident de procédure. La contestation de la compétence matérielle du tribunal saisi est source de retard et donc de coût et revêt parfois un caractère dilatoire. Au regard de la complexité de la répartition des champs de compétence rappelée en première partie et dans une perspective de simplification et de sécurité juridique, la commission suggère que la distinction entre acte de commerce et acte civil et la notion de commerçant s’effacent devant les critères d’activité et d’acteur économiques. Certes, la notion d’activité économique ne fait l’objet d’aucune définition juridique mais elle est sous-jacente dans les dispositions du livre IV du code de commerce pour définir les entités soumises au droit de la concurrence et est également mentionnée à l’article L. 612-1 du même code 30. Qu’entendre par activité économique ? La jurisprudence nationale et européenne en matière de droit de la concurrence constitue une référence utile pour cerner la notion d’activité économique : celle-ci se caractérise par le fait de produire et de commercialiser des biens et services sur un marché donné et ce, indépendamment du statut juridique et du mode de financement de l’entité exerçant cette activité 31. Il pourrait être pertinent d’ajouter à cette définition de l’activité économique deux conditions, déjà présentes pour qualifier l’acte de commerce par nature : la recherche d’un gain d’une part, l’accomplissement à titre habituel de cette activité d’autre part. Le premier critère permet d’exclure les activités répondant au principe de solidarité, comme celles des institutions sociales, qui ne sont pas de nature économique dans la mesure où elles n’obéissent pas à une logique de marché 32. Le second critère permet d’exclure de la compétence d’un tribunal des activités économiques le particulier qui accomplit cette activité de manière occasionnelle. Selon la commission, retenir la prééminence du critère d’activité économique sur ceux d’activités civile ou commerciale conduirait à simplifier et clarifier la répartition des compétences : ainsi par exemple dans une instance devant un tribunal de commerce un plaignant ayant une activité économique à l’identique des autres parties au procès, ne devrait plus pouvoir exciper de son objet civil en raison de son statut juridique (société mutuelle, société civile, association, profession libérale…) pour invoquer l’incompétence du tribunal et demander le renvoi de l’affaire devant le tribunal de grande instance. De même pourrait être écartée l’application de la théorie de l’accessoire construite par la jurisprudence permettant actuellement de caractériser un acte civil qui peut devenir commercial en raison de la qualité de la personne qui l’exécute ou, à l’inverse, un acte commercial par nature au sens de l’article L. 110-1 du code de commerce qui peut être qualifié d’acte civil par 30 Code de commerce article L. 612-1 alinéa 1 : « Les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique dont le nombre de salariés, le montant hors taxes du chiffre d'affaires ou les ressources et le total du bilan dépassent, pour deux de ces critères, des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat, doivent établir chaque année un bilan, un compte de résultat et une annexe. Les modalités d'établissement de ces documents sont précisées par décret ». 31 Cf. notamment arrêt CJCE du 11 juill. 2006 FENIN c/ Commission européenne. 32 Par exemple Cour de cassation, ch. sociale 21 janv. 2009, n° 07-12.411, Bull. civ. V, n° 14. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 12
accessoire s’il se rattache à une activité civile principale exercée par un personne non- commerçante. La commission n’a pas, à ce stade, approfondi ses travaux pour tirer toutes les conséquences qui découleraient de la reconnaissance de la notion d’activité économique comme critère principal de répartition de la compétence matérielle entre tribunal de commerce et tribunal civil : aussi appelle-t-elle à la poursuite de la réflexion engagée par un large débat sur la pertinence des critères historiques de commerçant et de commercialité par la forme d’exercice dans la sphère économique actuelle en évolution permanente. 2.12 Du tribunal de commerce au tribunal des « activités économiques » Dans la logique de l’introduction de la notion d’activité économique du justiciable comme critère de répartition de compétence matérielle entre les juridictions, la commission recommande que le tribunal de commerce soit dénommé « tribunal des activités économiques », le terme « activité » ayant été jugé préférable à celui de « affaire ». Ce tribunal deviendrait la juridiction principale, si ce n’est unique, pour trancher les litiges des acteurs économiques quelle que soit la forme d’exercice de leurs activités. 2.13 Domaines d’extension possibles des compétences La commission a examiné successivement les différents domaines de compétence entrant dans le périmètre des activités économiques. Les propositions formulées s’inscrivent dans une perspective de simplification et de lisibilité pour les justiciables et ont été conduites en procédant à une appréciation critique de la légitimité des juridictions consulaires à aborder ces nouveaux domaines. Seront successivement analysés les domaines suivants : contentieux des activités économiques, difficultés des entreprises, ainsi que les problématiques spécifiques des baux commerciaux et de la propriété intellectuelle. a) Contentieux des activités économiques Plusieurs rapports au cours des dernières décennies ont appelé à revoir et simplifier la répartition des contentieux entre tribunaux de premier degré et les règles de procédure induites : le rapport du premier président de la cour d’appel d’Orléans, M. Francis CASORLA, préconisait déjà en 1997 la création de tribunaux de première instance par la fusion des tribunaux de grande instance et d’instance 33, puis en 2008 le rapport du professeur Serge GUINCHARD 34 qui n’a pas retenu cette idée, préférant un principe de juridiction duale avec le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance absorbant le juge de proximité ; la suppression du tribunal d’instance est inscrite aujourd’hui dans le projet de loi sur la programmation de la justice en cours d’examen par le Parlement. 33 Rapport « Réflexions sur l'amélioration de l'accès à la justice par la mise en place d'un guichet unique de greffe et la simplification de juridictions de première instance », La Documentation française mai 1997. 34 Rapport « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », la Documentation française août 2008. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 13
Ces différents rapports n’ont cependant pas abordé la répartition des contentieux entre tribunal civil et tribunal de commerce. Les exemples de complexité de cette répartition, rappelés en première partie de ce rapport, militent à poursuivre les simplifications déjà engagées pour répondre à l’attente de lisibilité par le justiciable pour être orienté vers la juridiction compétente à trancher son litige. Le recours au critère d’activité économique comme clé principale de répartition de compétence matérielle aurait comme avantage par son caractère suffisamment large d’être indifférent à l’évolution des caractéristiques de production, de transformation et de services des divers acteurs économiques et à la forme juridique sous laquelle ils exercent leur activité. Le juge n’aurait plus à s’interroger pour savoir qui du tribunal civil ou du tribunal de commerce est compétent pour juger le litige d’un propriétaire, cultivateur ou vigneron qui vend à titre habituel sa production, qu’il l’ait ou non transformée ; de même, le critère de commercialité par la forme pourrait disparaître et permettre ainsi, par exemple, à un tribunal unique d’être compétent pour trancher un conflit impliquant un professionnel libéral dont le statut est réglementé et ce, quelle que soit la forme juridique de son exercice professionnel. Les personnes ayant une activité économique auraient vocation en cas de conflit à être attraites devant un tribunal unique dès lors qu’elles proposent leurs services sur un marché en concurrence avec des acteurs économiques exerçant des activités similaires sous forme de société commerciales. Après les auditions auxquelles elle a procédé, la commission tout en reconnaissant l’intérêt d’un transfert des contentieux de ces secteurs d’activités à un tribunal des activités économiques unique par la cohérence qui en résulterait, considère préférable une évolution par étape pour permettre de débattre pleinement du critère d’activité économique et d’en préciser les contours. En revanche, un premier pas pourrait être engagé dans le domaine des procédures collectives, dans la mesure où les tribunaux de commerce connaissent de la majorité des affaires dans ce domaine, et que le champ d’application des règles applicables en la matière repose déjà sur le critère de l’activité économique. b) Difficultés des entreprises Les juridictions commerciales ont une expertise reconnue en matière de détection et de traitement des difficultés des entreprises ; elles sont à l’origine et ont développé les outils de prévention avant qu’ils ne soient consacrés par le législateur dans le livre VI du code de commerce aux articles L. 611-2 et suivants. Les procédures conventionnelles de mandat ad hoc et de conciliation, mises en œuvre à temps, sont performantes pour pérenniser l’activité des entreprises et sauvegarder les emplois. Le livre VI du code de commerce s’applique à tous les acteurs économiques : commerçants, artisans, agriculteurs, personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, sociétés civiles, associations et autres personnes morales de droit privé, et ce, quelque soit le statut juridique d’exploitation35. L’article L. 621-2 du code de commerce dispose 35 Article L. 620-2 du code de commerce. Rapport de la commission prospective – novembre 2018 14
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