Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
© Benoît Debuisser dOssier Refondation de l’école : quelle place pour l’éducation non formelle ? P lusieurs acteurs de la communauté éducative ont été invités à débattre du concept de « réussite éducative ». Une étape nou- velle pour un débat ancien : est-il possible de définir un horizon commun qui ne se résumerait pas aux seuls enjeux de la dans ce dossier réussite scolaire ? Si l’objectif est aussi consensuel que difficile à délimiter, un principe est toutefois depuis longtemps par- ●●Enjeux : l’éducation populaire, tagé : la nécessité de renforcer l’approche globale en éducation et de remettre de la cohérence entre tous les temps et acteurs édu- un projet politique pour repenser catifs. la « complémentarité » en éducation. Cette ambition se heurte pourtant à la spécificité du contexte français : l’école, qui est (trop) centrale dans la construction des ●●Jacques Rancière : « L’égalité n’est pas un parcours éducatifs des jeunes, a de plus en plus de mal à les mener tous, par des voies diversifiées, à la réussite. Amplification des but. C’est un point de départ » inégalités sociales de départ, méritocratie compétitive, orientation et sélection précoce, académisme, élitisme, etc., les critiques sur les faiblesses de notre système scolaire ne manquent pas. Les enquêtes internationales, type PISA, pointent d’ailleurs nos « carac- ●●Citoyenneté active : pratiques croisées des téristiques » au regard des autres pays de l’OCDE : les écarts entre les meilleurs et les « plus faibles » se creusent et la sélection de Juniors associations, des Atec et de l’Icem cette élite se fait aux dépens de l’élévation du niveau de tous. Produit de l’idéal de la méritocratie républicaine, le poids de la sco- ●●Éducation au sensible : larité initiale dans la détermination des parcours éducatifs et sociaux est ainsi en France bien plus prégnante qu’ailleurs. Cette par- - Faire tomber toutes les barrières entre ticularité explique à quel point l’essentiel du débat public, des recherches et des priorités des politiques se portent sur les inégali- l’école et son environnement tés de réussite scolaire. - Zoom sur les ateliers d’écriture Sur ce registre, Jacques Rancière dresse une critique sévère de l’institution et de la vision actuelle de l’égalité par la démocrati- ●●Éducation partagée : les ateliers de sation scolaire : « plus on accuse l’école de son incapacité à “réduire les inégalités” et plus on renforce le poids des stratégies de la savoirs sociolinguistiques : valoriser le fiction institutionnelle et sa spirale d’autolégitimation » (page 11). Dans la lignée du pédagogue Jacotot, le philosophe invite donc potentiel éducatif des parents à faire de l’égalité non un horizon, mais le principe premier de l’action. Sommes-nous en mesure aujourd’hui de penser une ambi- ●●Expérience de la rencontre : l’Usep et les tion éducative au service de l’égalité ? Cette ambition est-elle réalisable sans une refondation totale des politiques éducatives et de classes de découvertes l’éducation ? Afin de contribuer au débat, ce dossier propose de questionner la notion de « complémentarité » en éducation, et notamment le lien entre éducations formelle et non formelle, pour reprendre la terminologie européenne. ●●Éducation aux médias et à l’information : Qu’est-ce que l’éducation non formelle ? Existe-t-il une spécificité de l’éducation populaire complémentaire de l’enseignement - L’éducation non formelle à l’heure du web 2.0 public ? Actuellement, « force est de constater qu’elle a du mal à faire reconnaître ses spécificités tant en matière de pédagogie que - Zoom sur le serious game « 2025 ex machina » d’organisation » (page 10). Difficilement repérée et repérable, l’éducation non formelle s’est parfois cantonnée à un simple rôle de sous-traitant des politiques scolaires. Et pour autant, l’éducation populaire porte dans ses gènes et ses pratiques une vision globale Rédacteurs en chef du dossier : et politique de l’individu et de la société, fondée sur l’émancipation solidaire. Des principes forts s’en dégagent : l’idée d’une ci- Ariane Ioannides et Richard Robert toyenneté active (pages 12, 15 et 16), une éducation au sensible et à la créativité (page 13), la valorisation de la rencontre et du partage (page 15), la mobilisation et la coopération de tous les acteurs éducatifs : école, enfants, familles, animateurs… (page 14). Et sans doute est-elle depuis longtemps un écho à l’invitation de Jacques Rancière à sortir de l’approche purement institutionnelle et à « multiplier les aventures et les chemins par lesquels des individus peuvent prendre la mesure de leur capacité intellectuelle ». ●●Ariane Ioannides et Arnaud Tiercelin Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013 9.
dOssier enjeux Un projet politique pour repenser la « complémentarité » en éducation À l’heure où le débat public se focalise sur la refondation de l’école publique, la question de la complémentarité de l’éducation non formelle avec l’éducation scolaire semble le « parent pauvre » des ambitions politiques actuelles. Par son projet et ses pratiques, l’éducation populaire est pourtant décisive pour repenser le partage entre l’institution scolaire et l’éducation non formelle au service d’une nouvelle ambition démocratique. L’ éducation populaire est cite ainsi à repenser profondé- historiquement un pro- ment le partage entre le savant et © Benoît Debuisser jet politique qui a pu l’ignorant, entre savoirs institués inspirer depuis un siècle et demi et savoirs « sociaux ». Cette muta- les politiques publiques en ma- tion profonde dans l’ordre des tière d’éducation, de scolarité et savoirs est au cœur des enjeux de formation 1. Mais force est de d’égalité et de démocratie, de par- constater qu’elle a du mal au- tage inégal des pouvoirs et des qui permettent de se distancier de en plus éclatées peuvent alimen- qui est tant un principe pédago- jourd’hui à faire reconnaître ses capacités d’agir. Sur ce point, l’évidence et du connu. On peut ter des ségrégations spatiales et gique qu’un mode d’organisation spécificités, tant en matière de pé- Jacques Rancière (page 11) nous ainsi voir le risque d’appauvrisse- sociales de plus en plus marquées. de l’éducation populaire, est pré- dagogie que d’organisation. Si elle invite à une critique radicale de ce ment qu’il y aurait à trop sou- L’éducation populaire doit donc cisément le cadre régulé qui per- bénéficie d’une reconnaissance partage entre savoir-culture légi- mettre la dimension non formelle être toujours inspirée de la lo- met une implication de tous, et institutionnelle autour du prin- time et savoirs populaires. Si la de l’éducation populaire à la for- gique de la rencontre, de l’ouver- une reconnaissance de l’impor- cipe de « complémentarité éduca- critique est virulente contre une malisation et la hiérarchisation ture, de la mobilité et de la mixité tance de la contribution de chaque tive », l’éducation populaire tra- approche institutionnelle des en- des savoirs qu’organise l’institu- sociale pour prétendre contribuer acteur, professionnel ou non, jeune verse une crise de sens à l’heure jeux d’égalité, et contre la pédago- tion scolaire. Mais aussi à l’inverse à cette fabrique du commun. C’est ou adulte. C’est le fondement du où les enjeux sociaux et culturels gisation des rapports sociaux, le à trop basculer dans une forme de à cette condition que l’estime de pari de l’éducation partagée : celle- autour de la scolarité donnent à philosophe nous invite à remettre spontanéisme, qui ne viserait plus soi, de son identité et de son ter- ci vise à sortir des approches dis- l’école le quasi-monopole de l’or en avant, dans l’acte éducatif, le une ambition pédagogique d’ou- ritoire peut contribuer à l’émanci- qualifiantes ou culpabilisantes qui dre du jour en matière éducative. pari de l’égalité et de la capacité verture et de dépassement de l’ex- pation individuelle et collective feraient reposer la responsabilité Elle ne saurait se réduire à un de tous. C’est précisément l’un périence immédiate. sans déboucher sur la défiance à de la réussite ou de l’échec soit sur simple rôle de sous-traitant des des fondements de l’éducation l’endroit de l’autre et de l’ailleurs. l’institution, soit sur les acteurs politiques scolaires, de réparation populaire, dont l’ambition origi- Proposer des espaces individuels. À ce titre, l’éducation de loupés de la méritocratie, ou nelle est de contribuer à l’émanci- de valorisation et de Reconnaître l’implication populaire peut proposer des cadres de réponse institutionnelle à de pation individuelle et collective. rencontre de chacun dans l’action ouverts, permettant plus qu’un nouveaux besoins sociaux de Cette dimension pédagogique, où La « société interculturelle » commune cadre institutionnel l’invention de garde. Il est urgent de revisiter ses chacun peut participer au déve- est une dimension indissociable de Cette reconnaissance de la di- multiples voies d’inventivité so- principes fondateurs au regard de loppement de l’intelligence collec- la précédente. Elle rend compte de versité des contributions indivi- ciale, culturelle et démocratique. nouveaux enjeux sociaux et poli- tive, est à remettre au cœur de la la multiplicité et du développe- duelles et collectives doit aussi Face à ces trois défis, on voit tiques. refondation de l’école et de tout le ment des espaces d’appartenance inspirer la troisième dimension de que l’éducation populaire devra C’est à cette ambition que la champ de l’éducation. identitaire et culturelle. Et elle s’ac- la « société participative ». Le défi partager avec l’école. Il est néces- Ligue de l’enseignement tente de S’il ne s’agit pas de tomber compagne d’une demande crois- est là celui de l’approfondisse- saire et urgent de repenser et réin- contribuer autour de sa question dans le relativisme culturel, ou de sante de reconnaissance de lo- ment démocratique qui permet- venter les lignes de partage ou de congrès. Comme nous y invite renier la contribution des savoirs giques anciennes et nouvelles trait une implication de tous dans d’articulation entre éducation for- Guy Saez, il y a urgence à repenser abstraits à la capacité de penser des d’appartenance ou de fierté col- l’organisation de l’action collec- melle et non formelle, par-delà les les enjeux politiques de l’éducation dépassements sociaux et culturels, lective. On est là au cœur des en- tive, en prolongement des poli- champs d’exclusive institutionnelle. populaire à l’aune des transforma- la place de l’éducation populaire jeux de démocratie culturelle, qui tiques institutionnelles. Ce point tions sociales et culturelles, selon est sans doute à réaffirmer dans cet ne serait pas que la démocratisa- est décisif pour rétablir la confiance ●●Arnaud Tiercelin trois dimensions, trois défis liés à espace intermédiaire entre savant tion de l’accès à une culture légi- dans les institutions collectives la mondialisation : la société créa- et populaire, entre institution et time. L’éducation populaire peut face au risque d’une défiance crois- tive, la société interculturelle et la société. Par son postulat de la ca- y contribuer en proposant des sante. L’enjeu est bien de proposer, société participative 2. pacité et de l’éducabilité de tous, espaces de valorisation dissociés à côté et au cœur des institutions, et par ses pratiques d’agir collec- des savoirs institués et hiérarchi- des espaces et des modalités d’ap- Contribuer au tif, l’éducation populaire se place sés des institutions culturelles, à plication des capacités d’agir indi- développement de à l’interface entre savoirs institués commencer par l’école. Il convient viduelles et collectives de la société 1. Lire l’article de Michel Miaille : l’intelligence collective et savoirs informels, en proposant cependant de prendre la mesure créative. C’est dans son organisa- www.education-populaire-congres.org/ La « société créative » part du des espaces de créativité et de re- des risques de fragmentation et de tion même que l’éducation popu- education-populaire-et-formation constat de la prolifération des connaissance des capacités de repli que comporte une société de laire peut retrouver ce principe 2. Lire l’interview de Guy Saez sur « l’éducation populaire à l’épreuve de la sources et modalités d’élaboration chacun, mais aussi de réinvestis- plus en plus inégalitaire, où les d’implication de tous dans l’action mondialisation », parue dans Les Idées et de partage des savoirs. Elle in- sement de savoirs émancipateurs appartenances culturelles de plus commune. La forme associative, en mouvement en février 2013. .10 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013
dOssier Point de vue « L’égalité n’est pas un but. C’est un point de départ » Jacques Rancière 1 porte un regard sévère sur le projet de refondation de l’école qui ne ferait qu’affirmer la légitimité de l’institution et entretenir le fantasme de sa capacité à réduire les inégalités. Pour le philosophe, l’éducation populaire est une multiplication des voies d’accès ouverte à tous, où les positions d’enseignant et d’enseigné perdent leur fixité. Les Idées en mouvement : Les idée de la démocratie fondée sur la débats politiques actuels portant capacité partagée par tous. Elle est sur la refondation de l’école, de faire que, dans tous les do- comment concevez-vous cette maines de la vie économique et so- approche de l’émancipation par le ciale, cette capacité se donne des savoir ? Quels liens faites-vous organes propres et affirme sa puis- avec les questions d’égalité et sance autonome face à un ordre oli- d’inégalités ? garchique qui tend de plus en plus Jacques Rancière : Il n’y a pas à supprimer l’espace de manifesta- d’émancipation par le savoir, pour tion de la capacité collective. Ce la simple raison que l’émancipation n’est pas des réformes ministé- est une manière de se comporter rielles que les citoyens la recevront par rapport au savoir. Le savoir, mais de leur propre initiative. cela signifie deux choses bien diffé- rentes : d’un côté, ce sont des Quelle conception peut-on se faire connaissances que l’on possède ; de de l’éducation populaire (ou de l’autre, c’est un système social, une ce sont d’abord des écoles, des Vous partez du principe que la but à atteindre au bout du che- l’éducation non formelle) par distribution sociale de positions et lieux concrets où des enfants sont vision actuelle de l’égalité par la min. C’est une pratique à mettre rapport aux enjeux de la de relations au sein desquelles ces mis en capacité de prendre eux- démocratisation scolaire est en œuvre maintenant. La machine démocratie ? connaissances sont acquises, trans- mêmes la mesure de ce qu’ils critiquable. Vous contestez censée produire de l’égalité dans Dans la conception de l’éman- mises et utilisées. La logique domi- peuvent, de développer leurs ca- notamment le partage le futur est une machine à repro- cipation intellectuelle, ce qui est nante subordonne la première à la pacités par des voies multiples. pédagogique entre savant et duire perpétuellement l’inégalité important, c’est la multiplicité des seconde : le savoir vaut pour elle « Refonder » en ce sens pourrait ignorant. Quelles perspectives et plus encore à fournir à la domi- aventures intellectuelles, la multi- non comme compétence acquise avoir un sens positif : retourner à aujourd’hui peut-on donner à nation ses modèles. Aujourd’hui plicité des chemins par lesquelles par des individus mais comme la base, affirmer la priorité de l’en- l’ambition démocratique ? l’idéologie dominante, avec ses des individus peuvent prendre la place au sein d’un système intégré seignement élémentaire et d’ap- La vision qui promet l’égalité bons et ses mauvais « élèves », ar- mesure de leur capacité intellec- à un ordre hiérarchique. Voyez ce prentissages de base comme ceux par la démocratie scolaire feint rive à assimiler le système entier tuelle. Si « éducation populaire » a qui se passe aujourd’hui où la capa- de la langue. Mais une telle prio- d’ignorer une double donnée. Tout de la domination à un classement un sens, ce doit donc d’abord être cité des individus se mesure au fait rité suppose qu’on pense d’abord d’abord, l’inégalité entre les condi- scolaire. L’émancipation intellec- celui d’une multiplication de ces qu’ils « sont » bac + 3, bac + 5 ou aux situations concrètes d’ensei- tions n’est pas une conséquence tuelle prônée par Jacotot inversait voies d’accès et pas celui d’une bac + 8 et celle des institutions à gnement, qu’on cherche à assurer d’une inégalité de savoir que l’école la logique dominante. Cela ne éducation spécialement destinée leur rang dans le classement de aux enseignants et aux élèves les aurait à corriger. La promotion par veut pas dire, comme certains aux défavorisés ou adaptée à une Shanghai. On peut connaître au- meilleures ressources et la plus le mérite scolaire d’enfants des feignent de le croire, que les pro- culture dite populaire. Ce n’est pas tant de choses qu’on veut, on n’est grande liberté, parce que l’accès à classes défavorisées a certes existé fesseurs ne doivent plus ensei- que le problème de l’accès des plus pas émancipé tant qu’on raisonne sa propre puissance intellectuelle mais elle n’a jamais fonctionné qu’à gner, que les élèves en savent plus défavorisés ne se pose pas. C’est et qu’on agit dans cette logique. Il se fait, selon les individus, de cent la marge. Et l’institution scolaire qu’eux ou que sais-je… Cela veut qu’il ne peut pas être résolu par y a émancipation, à l’inverse, là où façons différentes. C’est tout le fonctionne aujourd’hui au sein dire qu’on part non pas de la dif- une méthode qui leur serait spécia- la connaissance et la compétence contraire de cette grande machine d’un monde où les inégalités ne férence de savoir entre les indivi- lement adaptée mais par les possi- acquises ne sont plus mesurées en qui doit les entraîner par ses nou- cessent de croître, où ce rêve de dus mais du fait que tous savent bilités qui leur sont offertes de termes de positions au sein du sys- veaux « rythmes » et sous la hou- rééquilibrage par l’éducation est quelque chose et ont la capacité s’emparer de la capacité qui est tème. Un maître émancipé, c’est un lette d’un « Conseil supérieur des plus improbable que jamais. De- d’en savoir plus. égale en tous. Une éducation popu- maître qui ne confond sa capacité programmes » à atteindre l’objec- mander aux institutions scolaires La principale question à partir laire en ce sens est une éducation éducative ni avec son savoir, ni tif d’être « tant pour cent » à at- de promouvoir l’égalité sociale, de cela est d’aider à ce que cette ca- ouverte à tous parce qu’elle ne avec sa position institutionnelle. Et teindre tel ou tel palier institu- c’est les charger d’une tâche impos- pacité se développe aussi loin que poursuit aucun objectif de perfor- un élève émancipé, c’est un élève tionnel. Refonder l’école, dans les sible et les culpabiliser par avance possible : pas simplement comme mance particulière au sein du sys- dont les capacités de savoir et de logiques ministérielles, c’est de ne pas atteindre ce but. Et on gain de savoir mais comme gain de tème éducatif. C’est aussi un sys- penser ne sont plus simplement d’abord refonder la légitimité de retombe alors dans la logique infer- confiance en une capacité intellec- tème où les positions d’enseignant mesurées par des notes obtenues l’institution comme telle, l’obliger nale. Plus on reproche à l’école son tuelle qui est celle de chacun et de et d’enseigné perdent leur fixité, où aux examens scolaires. à travailler en priorité à cette légi- incapacité à « réduire les inégali- tous. C’est ce progrès effectif de les savoirs s’échangent et se com- C’est dire qu’il n’y a guère à timation. Une institution, au-delà tés » et plus on renforce le poids l’égalité qui est barré si on prétend plètent. n attendre de lois destinées à « re- d’un certain seuil, a pour fonction des stratégies imaginaires de « ré- faire de l’école comme corps une fonder » l’école. Au contraire, de essentielle d’affirmer sa propre lé- duction des inégalités », c’est-à-dire machine à « réduire les égalités » telles lois risquent de confirmer ce gitimité. Mon expérience des concrètement qu’on renforce le ou bien former on ne sait quel ci- 1. Parmi ses ouvrages les plus connus : qui refoule toute émancipation à transformations de l’enseigne- poids de la fiction institutionnelle toyen idéal, en possession d’un ac- Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle (Fayard, savoir le fantasme de l’école ment supérieur est celle de l’ac- et de sa spirale d’autolégitimation. quis cognitif, civique et culturel 1987). comme le grand corps collectif. Le croissement constant du travail Dès les années 1830, Jacotot 2 commun défini par une commis- 2. Jean Joseph Jacotot (1770-1840) est problème est d’émanciper les en- d’autolégitimation de l’institution avait prévenu les gens qui vou- sion ministérielle. L’ambition dé- un pédagogue français, créateur d’une méthode d’enseignement qui pose que seignants comme les enseignés au détriment du travail d’ensei- laient promouvoir l’égalité par mocratique aujourd’hui, c’est l’am- tout homme, tout enfant, est en état de par rapport à ce fantasme. L’école, gnement et de recherche. l’éducation : l’égalité n’est pas un bition de faire avancer une nouvelle s’instruire seul et sans maître. Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013 11.
dOssier citoyenneté active Faire ensemble, ou l’apprentissage du citoyen Quand on évoque l’éducation non formelle, on pense d’abord aux formes alternatives à l’école, ou plus largement aux pratiques scolaires institutionnelles. Mais le terme est impropre. Car certains de ces apprentissages introduisent précisément aux aspects formalisés de la vie sociale. Avec, à l’horizon, l’idée d’une citoyenneté active. Trois expériences sensiblement différentes en témoignent. Les Juniors associations : teurs administratifs, politiques, rement différent : les enfants ci- une mise en situation des phénomènes sociaux) et au toyens sont appelés à devenir au- collective développement de capacités (s’ex- teurs de leur vie. Le terme est La Ligue de l’enseignement primer, se poser face à un groupe riche de sens : il s’agit de ne pas se accompagne depuis ses débuts ou face à un décideur, concevoir laisser dicter les termes de son l’expérience des Juniors associa- et mener un projet, gérer un bud- existence, mais de conquérir leur tions, lancée en 1998. Sur le pa- get). Des capacités personnelles, autonomie, condition essentielle pier, il s’agit simplement d’offrir mais aussi collectives, et c’est là le de la citoyenneté. Par rapport au aux mineurs la possibilité de s’or- deuxième enjeu : l’idée d’une projet porté par la Ligue, qui in- © Les Francas ganiser, en leur fournissant par mise en situation collective est au siste davantage sur la participa- Jeunes Diawarois (Sénégal) et jeunes Rezéens (Loire-Atlantique), exemple les moyens d’ouvrir un cœur du projet. Cette forme par- tion à la société civile organisée, à l’origine de l’Atec « Ensemble de Rezé à Diawar ». compte en banque et de prendre ticulière d’apprentissage vise à dé- celui des Francas est ainsi marqué une assurance, et en les formant à velopper le sens de la coopération par une version plus individuelle l’art de gérer une association. Le et l’art de l’organisation, qualités de la citoyenneté, en prise avec tissage et qu’il convient d’éviter monde de demain » – sans plus dispositif « Junior association » se nécessaires dans la vie d’adulte et l’idéal des Lumières. Une citoyen- les dérives éventuelles liées à une de précision sur la nature de cette définit ainsi comme une facilité, vertus essentielles à l’entretien du neté qui « ne se décrète pas, mais institutionnalisation. action, sur sa dimension ci- un service offert à des jeunes qui lien social. Mais en favorisant l’ap- se construit » : c’est cette cons toyenne par exemple, ou sur son souhaiteraient se mobiliser autour propriation précoce des modes truction que visent les projets, qui Préparer à agir : les ICEM inscription dans des formes orga- d’un projet. d’action collective, on espère aussi s’inscrivent d’emblée dans un Les enfants des Atec sont déjà nisées. La temporalité, elle aussi, Mais au-delà de cette dimen- faire émerger des vocations d’ani- cadre universel. des citoyens, porteurs de droits est différente : c’est sur l’ensemble sion d’accompagnement adminis- mateurs ou de militants. De sorte Cette ambition explique sans politiques et engagés. Cette ap- de la scolarité primaire, voire l’en- tratif, il y a des enjeux politiques. que le troisième enjeu est le re- doute le côté un peu plus poli- proche, au croisement de l’éduca- semble de la scolarité que prend L’objectif affiché est de donner aux nouvellement du monde associa- tique, et un peu moins concret, tion populaire et des mouvements sens cette approche, qui se dis- jeunes la possibilité de se faire tif. Certaines Juniors associations des projets accompagnés dans le de jeunesse des partis politiques, tingue ainsi radicalement des pro- entendre et d’exister en tant qu’ac deviendront grandes, et se trans- cadre des Atec, dont la plupart n’est pas celle de l’Institut coopé- jets plus brefs et surtout plus péri- teurs. L’acte de s’associer est envi- formeront en associations loi ressortissent des enjeux de solida- ratif de l’école moderne (Icem), phériques menés dans le cadre des sagé comme un outil pour l’inser- 1901. D’autres disparaîtront, mais rité internationale. La Charte des une association créée en 1947 par Atec ou des Juniors associations. tion sociale, une façon de lutter on peut gager que leurs créateurs Atec, qui contractualise le lien Célestin Freinet pour diffuser sa On retrouve néanmoins dans contre l’exclusion. Dans leur vie et animateurs n’en auront pas fini entre un groupe d’enfants, un ac- pédagogie alternative. Celle-ci ces trois univers des éléments en quotidienne, il arrive souvent aux avec le militantisme. compagnateur, et les Francas, as- n’ignore pas la dimension poli- commun : l’idée d’un enfant « au- jeunes de croiser des associations, signe aux enfants la volonté tique, puisqu’elle se donne com teur de ses apprentissages », chez qui organisent leurs activités spor- Construire la d’« agir de façon positive dans la me « un choix pédagogique en Freinet, rejoint l’accent mis sur tives ou culturelles. Mais ils se citoyenneté : les ATEC cité », mais précise bien le sens de lien étroit avec un engagement l’expérience et la mise en situation contentent le plus souvent d’en Les Juniors associations visent cité : « le quartier, la ville, le dé- social et politique ». Mais ce choix dans les réseaux d’éducation po- utiliser les services, à la façon de à pérenniser, sinon la structure, partement, le pays, le monde ». Si est celui des adultes. Pour les en- pulaire. De même, l’importance consommateurs. Le dispositif des en tout cas les parcours militants. on voit bien mentionnée la « vo- fants, bien davantage que l’éduca- de la sociabilité et de la coopéra- Juniors associations fait le pari de Les Associations temporaires lonté commune d’agir sur la vie tion à la citoyenneté, c’est la coo- tion est-elle réaffirmée dans les les amener à sortir de cette pos- d’enfants citoyens (Atec), lancées quotidienne de la cité », les pro- pération qui est la vertu cardinale. trois modèles. Au total, il se dé- ture pour entrer dans un autre par les Francas, s’inscrivent expli- jets réels participent plus d’une La notion de « vie coopérative » gage de ces expériences une ambi- rôle, celui d’acteurs. citement dans une temporalité sensibilisation aux grands enjeux est en effet centrale ; elle « orga- tion commune : faire porter l’édu- Ce renversement de perspec- différente, en insistant sur la lo- du monde que d’un apprentissage nise et structure les apprentis- cation sur la capacité d’agir, tive a trois enjeux. Le premier est gique de projet. du faire, comme c’est le cas avec sages tout en développant le sens ensemble, sur le monde. immédiat et consiste à développer Là encore, les enjeux revendi- les Juniors associations. Le public critique ». une forme dynamique de citoyen- qués sont le lien social et la redy- visé est aussi manifestement plus Au-delà des citoyens ou des ●●Richard Robert neté, en libérant l’esprit d’initiative namisation de la vie associative ; jeune. De là également le carac- futurs militants, c’est d’abord et et en permettant à de très jeunes de même que l’abandon d’une tère temporaire des projets, justi- avant tout des hommes et des citoyens de se faire entendre, de posture passive (celle du consom- fié par le fait que « le long terme femmes qu’il s’agit ainsi de for- jouer un rôle plus actif sur leur ter- mateur acquiesçant à la marche n’est pas un cadre que les enfants mer, et d’accompagner dans leur ritoire, en un mot de s’engager. Il y du monde) au profit d’un engage- peuvent facilement appréhender développement. La finalité affi- a là un apprentissage qui touche à ment actif. Mais là où la Ligue ni dans lequel ils se sentent à chée est à la fois plus modeste et la fois à la compréhension du parle de former des acteurs, les l’aise », mais aussi que l’Atec se plus ambitieuse : il s’agit de pré- monde (découverte des interlocu- Atec utilisent un vocabulaire légè- déroule dans une phase d’appren- parer les enfants à « agir sur le .12 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013
dOssier Éducation au sensible Faire tomber les barrières entre l’école et son environnement La loi sur la refondation de l’école propose la création d’un parcours artistique et culturel obligatoire pour chaque élève. Pour Philippe Joutard 1, une telle entreprise n’aura de chances de réussite que si sont bien articulés temps scolaire et temps extrascolaire, école et monde extérieur, collectivités territoriales, institutions culturelles et associations périscolaires. U n des défauts de l’ensei- apprentissage efficace de la langue tance d’intermédiaires facilitant diffusion des témoins du passé les artistes et les créateurs, dans gnement français est la passe aussi par la littérature et la cette relation. Aujourd’hui encore, sur le territoire national prémunit une vision très large de la créa- primauté absolue accordée poésie. L’histoire des arts, do- c’est le plus souvent la famille qui contre les inégalités. Les nom- tion, intégrant aussi bien le de- à l’intelligence verbo-concep- maine pluridisciplinaire nouvelle- joue ce rôle, facteur d’inégalité breuses associations gravitant au- sign, l’artisanat d’art ou les jardins tuelle, au détriment d’autres for ment introduit, ne se réduit pas à maintes fois souligné. Il est indis- tour de ces lieux de mémoire que les beaux-arts. mes comme l’intelligence sen- des connaissances, puisqu’elle pensable de trouver des média- peuvent aussi fournir un appui L’éducation artistique et cultu- sible, que cherche à développer privilégie l’approche par les œu teurs qui s’adressent à tous. L’ac- précieux. relle est une occasion magnifique l’éducation artistique. L’Éducation vres. Les cours de musique et cès au patrimoine est le plus Beaucoup plus délicat est le pour faire tomber les barrières nationale en a conscience. Elle d’arts visuels sont fondés sur une facile : les collectivités territoriales lien avec la création vivante, plus entre l’école et son environne- s’est efforcée depuis plus d’un pratique, même si des connais- ont souvent en charge directe- inégalement répartie sur le terri- ment, pour le bien de l’un et de demi-siècle de la promouvoir, sances sont indispensables. Cela ment ou indirectement ce patri- toire national, les zones rurales l’autre. avec un succès inégal tant les ré- dit, le rapport direct avec le patri- moine, ne serait-ce que pour les étant particulièrement défavori- sistances sont fortes. moine et la création vivante sont monuments historiques ou les sées. Les transports sont une pre- ●●Philippe Joutard L’éducation artistique et cultu- les deux fondements indisso- musées. Elles peuvent donc jouer mière forme d’aide des communes relle – a-t-on besoin de le rappeler ? ciables d’une réelle éducation ar- un rôle privilégié, d’autant plus et des départements qui peuvent – ne relève pas d’une approche tistique, l’une n’allant pas sans facilement que les compétences aussi encourager financièrement cognitive. L’école n’est pas enfer- l’autre. partagées les mettent en relation théâtres, concerts, expositions. mée dans la seule transmission Or l’école ne peut assurer cette permanente avec l’école. Pour le Les associations d’éducation po- 1. Ancien recteur d’académies, Philippe des savoirs, comme le montrent relation qu’à la marge, les lieux où primaire, l’aménagement des pulaire, fidèles à leurs origines, Joutard est professeur d’histoire à l’université de Provence et à l’École des les pédagogies les plus dyna- se découvrent l’un et l’autre lui rythmes scolaires offre une occa- devraient jouer un rôle dans la hautes études en sciences sociales miques et les plus innovantes. Un étant extérieurs. D’où l’impor- sion inespérée à saisir. La large mise en relation des jeunes avec (EHESS). Ateliers d’écriture : l’éducation littéraire Centrés sur l’écriture créative et accompagnés par un écrivain, les ateliers d’écriture organisés par la Ligue de l’enseignement des Côtes- d’Armor font tomber la crainte de l’écrit et initient à la littérature. C haque année, la Ligue de l’enseigne- heure et demie. Au fil des rencontres, la ment des Côtes-d’Armor accueille production de chacun des élèves, inscrite des résidences d’écrivains qui se dans un cadre collectif, va s’élaborer pour © Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor couplent avec des ateliers d’écriture pour être publiée sous la forme d’un blog ou sur les élèves, du primaire au lycée, notamment un autre support. « Ce temps long, régulier, à la Maison Louis Guilloux de Saint-Brieuc. permet peu à peu une appropriation de Loin encore du pragmatisme des précur- l’écriture par les élèves, poursuit Soizic. Il seurs et très répandus creative writings amé- permet de faire tomber les craintes qu’ils ricains, et plus proches peut-être de tech- peuvent nourrir à l’égard de l’écrit. Au niques de pédagogie active héritée de début, la plupart sont intimidés, ils pensent Célestin Freinet qui, dès les années 1930, ne pas savoir, ont peur de faire des fautes. faisait appel à l’écriture de textes libres, Cette réticence est d’autant plus grande que « ces ateliers sont avant tout un travail avec les séances sont organisées sur le temps un auteur, dans le cadre d’un processus de scolaire, en présence de leur enseignant. création et dans une perspective d’éduca- Nous insistons sur le fait qu’on ne se pré- dans leurs propres capacités. « Je me sou- ont leur propre approche, ils sont dans des tion artistique et littéraire. Nous laissons les occupe pas de grammaire ou d’orthographe viens de jeunes d’un lycée agricole qui di- démarches de création personnelle qui pro- auteurs rester au plus proche de leurs pré- ici, mais de ce qu’ils veulent exprimer. » saient ne pas savoir écrire. Avec l’écrivain posent d’autres entrées. L’écrivaine Anne Sa- occupations personnelles afin qu’ils les par- Tous les ateliers sont travaillés au préa- Jérémie Lefevre, ils ont beaucoup travaillé velli commençait par exemple toutes ses tagent mieux et que les élèves entrent dans lable avec les enseignants afin d’en adapter sur les registres de langue. Il y avait une di- séances par une lecture de textes d’auteurs un univers plutôt que dans un cadre tech- les thèmes et les modalités. Mais les effets mension ludique qui leur a permis de les très peu connus. Les élèves découvrent ainsi nique », explique Soizic Landrein, déléguée ne se trouvent pourtant pas tant dans l’adé- mettre à l’aise. » une diversité de publications, et peuvent générale de la fédération des Côtes-d’Ar- quation du contenu avec le programme Les ateliers d’écriture ouvrent ainsi d’au trouver des écrits proches de leurs préoccu- mor. scolaire que dans la curiosité suscitée pour tres possibles que le cadre scolaire. Selon pations ou de leur sensibilité ». À la Ligue 22, une classe participe géné- l’écriture créative et la littérature, ainsi que Soizic, « pour des élèves, être face à un au- ralement à raison de six séances d’une dans la confiance que prennent les élèves teur change la relation à l’écrit. Les auteurs ●●Stéphanie Barzasi Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013 13.
dOssier Éducation partagée Valoriser le potentiel éducatif des parents La Ligue de l’enseignement du Val-de-Marne met en place depuis quelques années des ateliers de savoirs sociolinguistiques (ASL), dans et en dehors de l’école 1, à destination des publics migrants qui maîtrisent peu ou pas la langue française. À Villeneuve-Saint- Georges, ils permettent à des mamans d’élèves d’appréhender le système scolaire avec moins de craintes. «M adame. Je souhai- de réussite éducative (PRE), l’ate- terais prendre lier « Parents d’enfants, parents rendez-vous avec d’élèves » dure deux ans. Ensuite, vous en raison d’un problème la fédération et la directrice es- avec mon fils. Mon fils se bagarre saient de raccrocher tant bien que toujours avec un autre enfant de mal avec d’autres dispositifs exis- sa classe. Seriez-vous disponible tants, plus classiques, autour du le 26 avril à partir de 17 heures français. Mais la demande est s’il vous plaît ? Cordialement. » forte et comme souvent, ces ASL, Pour arriver à comprendre, pro- qui séduisent sur le papier de noncer et écrire ce mot, il aura nombreux chefs d’établissement, fallu beaucoup d’attention aux pourraient être largement étendus femmes présentes et une bonne avec plus de moyens. dose de patience à Oifa Laidouni, l’animatrice enthousiaste de l’ate- ●●Ariane Ioannides lier « Parents d’enfants, parents d’élèves ». À raison de deux sessions de 1. La fédération 94 anime également © Rémy Gabalda/AFP deux heures par semaine, les des ASL à Alfortville, dont l’objectif femmes sont accueillies au sein de est d’acquérir une autonomie sociale : l’école élémentaire Anatole France. connaissance du système administratif français (sécurité sociale, CAF, Pole La directrice, très engagée dans le emploi) et des différents espaces dispositif (voir interview ci-contre), sociaux (PMI, médiathèque, spectacles). a mis à disposition une petite salle de classe à des heures (de 9 h à 11 h) qui permettent aux mamans « Démonter la représentation de récupérer leurs enfants pour le déjeuner. Du Mali, Sri-Lanka, Turquie ou Maroc, Fatia, Sevim, des parents démissionnaires » Sadiow, Ratikanti, Sati, Fazilette sont en France depuis une dizaine d’années en moyenne et pos- sèdent un niveau d’études très dif- férent ; toutes ne sont pas allées à l’école dans leur pays d’origine. Jeanine Morvan est la directrice de l’école Anatole France à Villeneuve-Saint-Georges, qui compte Pendant le cours, elles font l’effort 400 élèves. En deux ans, elle a mis en place deux ateliers pour les mamans migrantes et entreprend la de communiquer et de s’aider en français, ce qui ne manque pas de création d’une « Maison des savoirs » pour lier l’établissement à son territoire. déclencher certains rires. « Pour beaucoup de ces femmes souvent Les Idées en mouvement : rents, qui est fausse, et ne pas lais- Ces dispositifs ne sont pas uni- savoirs », c’est l’ouverture de isolées, l’atelier constitue un espace Qu’est-ce qui a motivé la ser seuls les enseignants. Et du quement l’affaire du directeur. Ils l’école sur le territoire. Avec Cathy de socialisation très important. création d’ateliers de savoirs côté des parents, nous devons doivent perdurer au-delà des per- Séguenot, responsable du secteur Elles sont heureuses de prendre sociolinguistiques ? faire comprendre qu’accompa- sonnes. « Politiques éducatives » à la Li enfin du temps pour elles et de Jeanine Morvan : En arrivant gner ses enfants ne se résume pas gue de l’enseignement du Val-de- pouvoir mieux accompagner leurs il y a deux ans, j’ai constaté que aux devoirs. Vous avez décidé de créer une Marne, nous avons récemment enfants dans leur scolarité », pré- certaines grosses difficultés sco- « Maison des savoirs » au sein présenté le dispositif à la munici- cise Oifa. Les ateliers de savoirs laires n’étaient pas très bien trai- Avez-vous constaté un de votre établissement. Vous palité et à la politique de la ville, sociolinguistiques ne sont pas des tées, notamment dans le suivi des changement ? semblez très sensible à qui ont été séduites par l’idée. cours de langue à proprement par- élèves : des parents avaient du L’impact est évident. Les ma- l’éducation non formelle… Deux petites actions vont être lan- ler ; ils l’abordent au travers mal à accompagner leurs enfants, mans se sentent concernées : Oui, car il est primordial de cées avant la fin de l’année : une d’exemples concrets : comprendre et les enseignants à entrer en com- celles qui restaient à 50 mètres de relier les savoirs. L’école doit abso- autour d’Internet et l’autre en lien et écrire un mot dans le carnet de munication avec les familles. Les l’entrée ont une plus grande faci- lument s’ouvrir, car ce n’est pas le avec la bibliothèque de Villeneuve. correspondance, déchiffrer le livret parents migrants font face à une lité à franchir la porte de l’école. seul lieu où l’on apprend. Notre scolaire, prendre rendez-vous avec double difficulté : les codes de Avant, elles se sentaient dévalori- futur défi : intégrer toutes les nou- ●●Propos recueillis par les enseignants ou la directrice… l’institution et les problèmes de sées, comme si ne pas parler fran- velles technologies dans nos pra- Ariane Ioannides Les progrès en termes de con langue. Aujourd’hui, les ensei- çais les empêchait d’être des pa- tiques, qu’il faut reconsidérer. fiance sont visibles et rapides. Une gnants sont à la fois désemparés rents d’élèves. Désormais, elles se Faire des « cours intelligents » maman qui restait en retrait de face aux difficultés sociétales et de sentent réhabilitées dans leur po- comme le dit Michel Serres. L’école l’école ose désormais s’adresser di- plus en plus éloignés socialement tentiel éducatif. Les enseignants, est un ensemble de connaissances rectement aux enseignants, en des familles qu’ils accueillent. Il eux, sont très satisfaits. Avec ces qui ne sont pas seulement sco- dépit de son français approximatif. faut donc démonter les représen- ASL, nous créons un autre lien laires, c’est une formation tout au Monté grâce au programme tations sur la démission des pa- que pédagogique : un lien social. long de la vie. Et la « Maison des .14 Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013
dOssier Expérience de la rencontre « Dans la rencontre, on réinvestit » Pour l’Usep, le sport a toujours été un moyen éducatif d’accès à la citoyenneté. Francis Givernaud, directeur, nous explique la spécificité des activités Usep et les pistes envisagées dans le © Usep cadre de la refondation de l’école. Les Idées en mouvement : Quelle surtout de l’activité associative qui sportive autour de thèmes comme pour concrétiser la relance voire de travail, ces derniers « font de est la spécificité de l’Usep sur le en est le support. Lors des temps le développement durable, le han- la transformation d’un sport sco- l’Usep » en plus de nombreuses non scolaire ? de préparation des rencontres par dicap ou la santé. Il en est ainsi laire qui participerait aussi de ces disciplines. Peut-être faudrait-il Francis Givernaud. Le cœur exemple, organisés par les asso- des assemblées d’enfants, qui sont enjeux d’éducation à la citoyen- envisager un caractère obligatoire de métier de l’Usep, c’est la ren- ciations Usep d’écoles, les enfants des rencontres associatives dans les- neté par le sport. Il existe d’ores et à une place plus affirmée des as- contre. Ce qui la distingue en pre- apprennent aussi l’autonomie en quelles la pratique sportive est l’oc- déjà des pistes comme le rôle que sociations d’école dans les projets mier lieu de l’EPS (éducation phy- se mettant d’accord sur les lieux, casion de mettre les enfants en si- pourrait jouer l’association Usep d’école. Il serait alors souhaitable sique et sportive) qui relève des les règles du jeu, etc. C’est dans ce tuation de réflexion, au travers dans les projets éducatifs de terri- d’impliquer davantage les familles programmes scolaires, c’est que cadre qu’enseignants, parents et « d’ateliers philosophiques » aussi toire. En impliquant tous les par- dans la vie des associations, cette activité n’est pas obligatoire, enfants ont tous un rôle d’acteur bien sur la place et le rôle de chacun tenaires, l’association d’école comme cela se fait très souvent en et peut se tenir hors du cadre sco- primordial. au sein de l’association que sur des pourrait en effet être à la fois le maternelle. Enfin, l’objet de l’asso- laire habituel. En complément des thèmes plus larges comme la triche, lien entre ce qui se fait dans l’école ciation pourrait sans doute évoluer apprentissages de l’EPS, la ren- Quelles sont les pistes de le respect, la peur, l’entraide. et ce qui se fait en dehors. Au- et s’élargir à d’autres dimensions contre permet aux enfants de les développement à venir ? jourd’hui, l’Usep semble confron- notamment culturelles et coopéra- réinvestir et de les prolonger. On Un guide de la rencontre est Le projet de refondation de tée à une difficulté et une fai- tives ; et ne plus être uniquement réinvestit avec d’autres, dans des actuellement en réflexion. Au- l’école peut-il constituer une blesse : une grande majorité des sportif, lui permettant ainsi d’affir- lieux nouveaux, ce qui permet delà du cadre réglementaire qui opportunité pour le sport associations Usep n’a plus de réel mer davantage sa dimension es- aussi de sortir de l’entre-soi de la régit la rencontre sportive, ce scolaire ? fonctionnement associatif et s’ap- sentielle d’accès à la citoyenneté. classe, de l’école et du quartier : guide sera l’occasion de mettre en Si le projet de loi l’évoque, il puie sur l’engagement volontaire on se confronte, on coopère, au évidence ce qui peut se dévelop- faudra sans doute une plus grande des enseignants. En raison de la ●●Propos recueillis par travers de l’activité sportive mais per, au-delà de la seule pratique mobilisation des acteurs locaux dégradation de leurs conditions Ariane Ioannides Les classes de découvertes : l’apprentissage par l’expérience Si le cadre pédagogique des classes de découvertes est pensé en fonction des programmes de l’Éducation nationale, elles sont avant tout vécues par les enfants comme une aventure. En observant, en expérimentant, ils apprennent autrement. «L a connaissance s’acquiert par la forêt de Moulière et de la réserve natu- Pierre Pallisé. « Pour les camps d’orienta- changement de cadre et l’ouverture à d’au l’expérience, tout le reste n’est relle du Pinail, le grand parc arboré des tion Usep, nous tendons au zéro carbone : tres milieux de vie influent sur les compor- que de l’information », disait Chalets de Moulière, à Vouneuil-sur- les enfants se déplacent à vélo, travaillent tements. « Ces voyages créent une conni- Albert Einstein. En dépit des flots de docu- Vienne, est un dépaysement total pour les sur le tri sélectif. » Autant de contenus qui vence au sein du groupe classe et avec ments et outils auxquels peuvent avoir jeunes citadins. Outre les classes de décou- font échos aux programmes scolaires. l’enseignant. Ils font aussi l’apprentissage accès les enfants et les jeunes grâce aux res- vertes centrées sur les thèmes développés « Nous travaillons avec les enseignants du « vivre ensemble » : partager une même sources numériques ou à la télévision, en par le Futuroscope tout proche, le cadre a pour adapter nos séjours types à leurs pro- chambre incite à trouver des compromis. » complément des indispensables savoirs favorisé la mise en place de séjours tournés jets pédagogiques. » Nombreux sont les enfants qui à l’occasion qu’ils assimilent au fil de leur scolarité, la vers l’éducation à l’environnement et au Pour autant, pour les enfants, ce n’est de ces classes de découvertes font l’expé- découverte sur le terrain reste irrempla- développement durable, grâce à des parte- pas vraiment l’école, et ça change tout. « Ils rience de la toute première séparation çable. « L’un des principaux aspects des nariats avec le Centre permanent d’initia- font un cheminement par le jeu pour dé- d’avec leurs parents, voire du tout premier classes de découvertes est qu’on ne sait pas tive pour l’environnement (Cpie) ou l’Usep. couvrir, éprouver. Ils apprennent ainsi de voyage. « Ces séjours, résume Pierre Pallisé, qu’on est en train d’apprendre, juge Pierre « Nous travaillons autour de la conserva- manière pérenne, estime Pierre Pallisé. Et sont une avalanche de découvertes et Pallisé, directeur du village de vacances Les tion des espèces, leur évolution, l’influence quand quelqu’un de l’Agence de l’eau parle d’émotions. » Châlets de Moulière, géré depuis 1995 par de la main de l’homme sur l’environne- de lagunage, c’est très différent de ce que la Ligue de l’enseignement de la Vienne. ment, notamment dans la réserve naturelle pourrait apporter un enseignant. Être sur ●●Stéphanie Barzasi C’est l’école ailleurs. » du Pinail parsemée de mares, vestiges de place et observer l’environnement des Entre Châtellerault et Poitiers, près de l’extraction de la pierre meulière », détaille choses fait aussi toute la différence. » Le Les idées en mouvement le mensuel de la Ligue de l’enseignement n° 210 juin-juillet 2013 15.
Vous pouvez aussi lire