Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?

La page est créée Emma Barbier
 
CONTINUER À LIRE
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
© Benoît Debuisser
                                                                                                                                                                                       dOssier

                     Refondation de l’école :
                     quelle place pour l’éducation
                     non formelle ?
          P
                             lusieurs acteurs de la communauté éducative ont été invités à débattre du concept de « réussite éducative ». Une étape nou-
                             velle pour un débat ancien : est-il possible de définir un horizon commun qui ne se résumerait pas aux seuls enjeux de la             dans ce dossier
                             réussite scolaire ? Si l’objectif est aussi consensuel que difficile à délimiter, un principe est toutefois depuis longtemps par-    ●●Enjeux : l’éducation populaire,
                     tagé : la nécessité de renforcer l’approche globale en éducation et de remettre de la cohérence entre tous les temps et acteurs édu-         un projet politique pour repenser
                     catifs.                                                                                                                                      la « complémentarité » en éducation.
                          Cette ambition se heurte pourtant à la spécificité du contexte français : l’école, qui est (trop) centrale dans la construction des
                                                                                                                                                                  ●●Jacques Rancière : « L’égalité n’est pas un
                     parcours éducatifs des jeunes, a de plus en plus de mal à les mener tous, par des voies diversifiées, à la réussite. Amplification des
                                                                                                                                                                  but. C’est un point de départ »
                     inégalités sociales de départ, méritocratie compétitive, orientation et sélection précoce, académisme, élitisme, etc., les critiques sur
                     les faiblesses de notre système scolaire ne manquent pas. Les enquêtes internationales, type PISA, pointent d’ailleurs nos « carac-          ●●Citoyenneté active : pratiques croisées des
                     téristiques » au regard des autres pays de l’OCDE : les écarts entre les meilleurs et les « plus faibles » se creusent et la sélection de    Juniors associations, des Atec et de l’Icem
                     cette élite se fait aux dépens de l’élévation du niveau de tous. Produit de l’idéal de la méritocratie républicaine, le poids de la sco-     ●●Éducation au sensible :
                     larité initiale dans la détermination des parcours éducatifs et sociaux est ainsi en France bien plus prégnante qu’ailleurs. Cette par-        - Faire tomber toutes les barrières entre
                     ticularité explique à quel point l’essentiel du débat public, des recherches et des priorités des politiques se portent sur les inégali-       l’école et son environnement
                     tés de réussite scolaire.                                                                                                                      - Zoom sur les ateliers d’écriture
                          Sur ce registre, Jacques Rancière dresse une critique sévère de l’institution et de la vision actuelle de l’égalité par la démocrati-   ●●Éducation partagée : les ateliers de
                     sation scolaire : « plus on accuse l’école de son incapacité à “réduire les inégalités” et plus on renforce le poids des stratégies de la    savoirs sociolinguistiques : valoriser le
                     fiction institutionnelle et sa spirale d’autolégitimation » (page 11). Dans la lignée du pédagogue Jacotot, le philosophe invite donc        potentiel éducatif des parents
                     à faire de l’égalité non un horizon, mais le principe premier de l’action. Sommes-nous en mesure aujourd’hui de penser une ambi-
                                                                                                                                                                  ●●Expérience de la rencontre : l’Usep et les
                     tion éducative au service de l’égalité ? Cette ambition est-elle réalisable sans une refondation totale des politiques éducatives et de
                                                                                                                                                                  classes de découvertes
                     l’éducation ? Afin de contribuer au débat, ce dossier propose de questionner la notion de « complémentarité » en éducation, et
                     notamment le lien entre éducations formelle et non formelle, pour reprendre la terminologie européenne.                                      ●●Éducation aux médias et à l’information :
                          Qu’est-ce que l’éducation non formelle ? Existe-t-il une spécificité de l’éducation populaire complémentaire de l’enseignement            - L’éducation non formelle à l’heure du web 2.0
                     public ? Actuellement, « force est de constater qu’elle a du mal à faire reconnaître ses spécificités tant en matière de pédagogie que         - Zoom sur le serious game « 2025 ex
                                                                                                                                                                    machina »
                     d’organisation » (page 10). Difficilement repérée et repérable, l’éducation non formelle s’est parfois cantonnée à un simple rôle de
                     sous-traitant des politiques scolaires. Et pour autant, l’éducation populaire porte dans ses gènes et ses pratiques une vision globale       Rédacteurs en chef du dossier :
                     et politique de l’individu et de la société, fondée sur l’émancipation solidaire. Des principes forts s’en dégagent : l’idée d’une ci-       Ariane Ioannides et Richard Robert
                     toyenneté active (pages 12, 15 et 16), une éducation au sensible et à la créativité (page 13), la valorisation de la rencontre et du
                     partage (page 15), la mobilisation et la coopération de tous les acteurs éducatifs : école, enfants, familles, animateurs… (page 14).
                     Et sans doute est-elle depuis longtemps un écho à l’invitation de Jacques Rancière à sortir de l’approche purement institutionnelle
                     et à « multiplier les aventures et les chemins par lesquels des individus peuvent prendre la mesure de leur capacité intellectuelle ».

                     ●●Ariane Ioannides et Arnaud Tiercelin

                                                                                       Les idées en mouvement             le mensuel de la Ligue de l’enseignement           n° 210     juin-juillet 2013 9.
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 enjeux

Un projet politique pour repenser
la « complémentarité » en éducation
À l’heure où le débat public se focalise sur la
refondation de l’école publique, la question de la
complémentarité de l’éducation non formelle avec
l’éducation scolaire semble le « parent pauvre »
des ambitions politiques actuelles. Par son projet
et ses pratiques, l’éducation populaire est pourtant
décisive pour repenser le partage entre l’institution
scolaire et l’éducation non formelle au service d’une
nouvelle ambition démocratique.

L’
           éducation populaire est       cite ainsi à repenser profondé-
           historiquement un pro-        ment le partage entre le savant et

                                                                                                                                                                                                                 © Benoît Debuisser
           jet politique qui a pu        l’ignorant, entre savoirs institués
inspirer depuis un siècle et demi        et savoirs « sociaux ». Cette muta-
les politiques publiques en ma-          tion profonde dans l’ordre des
tière d’éducation, de scolarité et       savoirs est au cœur des enjeux
de formation 1. Mais force est de        d’égalité et de démocratie, de par-
constater qu’elle a du mal au-           tage inégal des pouvoirs et des         qui permettent de se distancier de         en plus éclatées peuvent alimen-         qui est tant un principe pédago-
jourd’hui à faire reconnaître ses        capacités d’agir. Sur ce point,         l’évidence et du connu. On peut            ter des ségrégations spatiales et        gique qu’un mode d’organisation
spécificités, tant en matière de pé-     Jacques Rancière (page 11) nous         ainsi voir le risque d’appauvrisse-        sociales de plus en plus marquées.       de l’éducation populaire, est pré-
dagogie que d’organisation. Si elle      invite à une critique radicale de ce    ment qu’il y aurait à trop sou-            L’éducation populaire doit donc          cisément le cadre régulé qui per-
bénéficie d’une reconnaissance           partage entre savoir-culture légi-      mettre la dimension non formelle           être toujours inspirée de la lo-         met une implication de tous, et
institutionnelle autour du prin-         time et savoirs populaires. Si la       de l’éducation populaire à la for-         gique de la rencontre, de l’ouver-       une reconnaissance de l’impor-
cipe de « complémentarité éduca-         critique est virulente contre une       malisation et la hiérarchisation           ture, de la mobilité et de la mixité     tance de la contribution de chaque
tive », l’éducation populaire tra-       approche institutionnelle des en-       des savoirs qu’organise l’institu-         sociale pour prétendre contribuer        acteur, professionnel ou non, jeune
verse une crise de sens à l’heure        jeux d’égalité, et contre la pédago-    tion scolaire. Mais aussi à l’inverse      à cette fabrique du commun. C’est        ou adulte. C’est le fondement du
où les enjeux sociaux et culturels       gisation des rapports sociaux, le       à trop basculer dans une forme de          à cette condition que l’estime de        pari de l’éducation partagée : celle-
autour de la scolarité donnent à         philosophe nous invite à remettre       spontanéisme, qui ne viserait plus         soi, de son identité et de son ter-      ci vise à sortir des approches dis-
l’école le quasi-monopole de l’or­       en avant, dans l’acte éducatif, le      une ambition pédagogique d’ou-             ritoire peut contribuer à l’émanci-      qualifiantes ou culpabilisantes qui
dre du jour en matière éducative.        pari de l’égalité et de la capacité     verture et de dépassement de l’ex-         pation individuelle et collective        feraient reposer la responsabilité
Elle ne saurait se réduire à un          de tous. C’est précisément l’un         périence immédiate.                        sans déboucher sur la défiance à         de la réussite ou de l’échec soit sur
simple rôle de sous-traitant des         des fondements de l’éducation                                                      l’endroit de l’autre et de l’ailleurs.   l’institution, soit sur les acteurs
politiques scolaires, de réparation      populaire, dont l’ambition origi-       Proposer des espaces                                                                individuels. À ce titre, l’éducation
de loupés de la méritocratie, ou         nelle est de contribuer à l’émanci-     de valorisation et de                      Reconnaître l’implication                populaire peut proposer des cadres
de réponse institutionnelle à de         pation individuelle et collective.      rencontre                                  de chacun dans l’action                  ouverts, permettant plus qu’un
nouveaux besoins sociaux de              Cette dimension pédagogique, où             La « société interculturelle »         commune                                  cadre institutionnel l’invention de
garde. Il est urgent de revisiter ses    chacun peut participer au déve-         est une dimension indissociable de             Cette reconnaissance de la di-       multiples voies d’inventivité so-
principes fondateurs au regard de        loppement de l’intelligence collec-     la précédente. Elle rend compte de         versité des contributions indivi-        ciale, culturelle et démocratique.
nouveaux enjeux sociaux et poli-         tive, est à remettre au cœur de la      la multiplicité et du développe-           duelles et collectives doit aussi            Face à ces trois défis, on voit
tiques.                                  refondation de l’école et de tout le    ment des espaces d’appartenance            inspirer la troisième dimension de       que l’éducation populaire devra
     C’est à cette ambition que la       champ de l’éducation.                   identitaire et culturelle. Et elle s’ac-   la « société participative ». Le défi    partager avec l’école. Il est néces-
Ligue de l’enseignement tente de              S’il ne s’agit pas de tomber       compagne d’une demande crois-              est là celui de l’approfondisse-         saire et urgent de repenser et réin-
contribuer autour de sa question         dans le relativisme culturel, ou de     sante de reconnaissance de lo-             ment démocratique qui permet-            venter les lignes de partage ou
de congrès. Comme nous y invite          renier la contribution des savoirs      giques anciennes et nouvelles              trait une implication de tous dans       d’articulation entre éducation for-
Guy Saez, il y a urgence à repenser      abstraits à la capacité de penser des   d’appartenance ou de fierté col-           l’organisation de l’action collec-       melle et non formelle, par-delà les
les enjeux politiques de l’éducation     dépassements sociaux et culturels,      lective. On est là au cœur des en-         tive, en prolongement des poli-          champs d’exclusive institutionnelle.
populaire à l’aune des transforma-       la place de l’éducation populaire       jeux de démocratie culturelle, qui         tiques institutionnelles. Ce point
tions sociales et culturelles, selon     est sans doute à réaffirmer dans cet    ne serait pas que la démocratisa-          est décisif pour rétablir la confiance   ●●Arnaud Tiercelin
trois dimensions, trois défis liés à     espace intermédiaire entre savant       tion de l’accès à une culture légi-        dans les institutions collectives
la mondialisation : la société créa-     et populaire, entre institution et      time. L’éducation populaire peut           face au risque d’une défiance crois-
tive, la société interculturelle et la   société. Par son postulat de la ca-     y contribuer en proposant des              sante. L’enjeu est bien de proposer,
société participative 2.                 pacité et de l’éducabilité de tous,     espaces de valorisation dissociés          à côté et au cœur des institutions,
                                         et par ses pratiques d’agir collec-     des savoirs institués et hiérarchi-        des espaces et des modalités d’ap-
Contribuer au                            tif, l’éducation populaire se place     sés des institutions culturelles, à        plication des capacités d’agir indi-
développement de                         à l’interface entre savoirs institués   commencer par l’école. Il convient         viduelles et collectives de la société
                                                                                                                                                                     1. Lire l’article de Michel Miaille :
l’intelligence collective                et savoirs informels, en proposant      cependant de prendre la mesure             créative. C’est dans son organisa-       www.education-populaire-congres.org/
    La « société créative » part du      des espaces de créativité et de re-     des risques de fragmentation et de         tion même que l’éducation popu-          education-populaire-et-formation
constat de la prolifération des          connaissance des capacités de           repli que comporte une société de          laire peut retrouver ce principe         2. Lire l’interview de Guy Saez sur
                                                                                                                                                                     « l’éducation populaire à l’épreuve de la
sources et modalités d’élaboration       chacun, mais aussi de réinvestis-       plus en plus inégalitaire, où les          d’implication de tous dans l’action      mondialisation », parue dans Les Idées
et de partage des savoirs. Elle in-      sement de savoirs émancipateurs         appartenances culturelles de plus          commune. La forme associative,           en mouvement en février 2013.

.10 Les idées en mouvement               le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 210     juin-juillet 2013
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 Point de vue

« L’égalité n’est pas un but. C’est un
point de départ »
Jacques Rancière 1 porte un regard sévère sur le projet de refondation de l’école qui ne ferait qu’affirmer la légitimité de l’institution
et entretenir le fantasme de sa capacité à réduire les inégalités. Pour le philosophe, l’éducation populaire est une multiplication des
voies d’accès ouverte à tous, où les positions d’enseignant et d’enseigné perdent leur fixité.

Les Idées en mouvement : Les                                                                                                                                       idée de la démocratie fondée sur la
débats politiques actuels portant                                                                                                                                  capacité partagée par tous. Elle est
sur la refondation de l’école,                                                                                                                                     de faire que, dans tous les do-
comment concevez-vous cette                                                                                                                                        maines de la vie économique et so-
approche de l’émancipation par le                                                                                                                                  ciale, cette capacité se donne des
savoir ? Quels liens faites-vous                                                                                                                                   organes propres et affirme sa puis-
avec les questions d’égalité et                                                                                                                                    sance autonome face à un ordre oli-
d’inégalités ?                                                                                                                                                     garchique qui tend de plus en plus
     Jacques Rancière : Il n’y a pas                                                                                                                               à supprimer l’espace de manifesta-
d’émancipation par le savoir, pour                                                                                                                                 tion de la capacité collective. Ce
la simple raison que l’émancipation                                                                                                                                n’est pas des réformes ministé-
est une manière de se comporter                                                                                                                                    rielles que les citoyens la recevront
par rapport au savoir. Le savoir,                                                                                                                                  mais de leur propre initiative.
cela signifie deux choses bien diffé-
rentes : d’un côté, ce sont des                                                                                                                                    Quelle conception peut-on se faire
connaissances que l’on possède ; de                                                                                                                                de l’éducation populaire (ou de
l’autre, c’est un système social, une   ce sont d’abord des écoles, des          Vous partez du principe que la           but à atteindre au bout du che-          l’éducation non formelle) par
distribution sociale de positions et    lieux concrets où des enfants sont       vision actuelle de l’égalité par la      min. C’est une pratique à mettre         rapport aux enjeux de la
de relations au sein desquelles ces     mis en capacité de prendre eux-          démocratisation scolaire est             en œuvre maintenant. La machine          démocratie ?
connaissances sont acquises, trans-     mêmes la mesure de ce qu’ils             critiquable. Vous contestez              censée produire de l’égalité dans            Dans la conception de l’éman-
mises et utilisées. La logique domi-    peuvent, de développer leurs ca-         notamment le partage                     le futur est une machine à repro-        cipation intellectuelle, ce qui est
nante subordonne la première à la       pacités par des voies multiples.         pédagogique entre savant et              duire perpétuellement l’inégalité        important, c’est la multiplicité des
seconde : le savoir vaut pour elle      « Refonder » en ce sens pourrait         ignorant. Quelles perspectives           et plus encore à fournir à la domi-      aventures intellectuelles, la multi-
non comme compétence acquise            avoir un sens positif : retourner à      aujourd’hui peut-on donner à             nation ses modèles. Aujourd’hui          plicité des chemins par lesquelles
par des individus mais comme            la base, affirmer la priorité de l’en-   l’ambition démocratique ?                l’idéologie dominante, avec ses          des individus peuvent prendre la
place au sein d’un système intégré      seignement élémentaire et d’ap-              La vision qui promet l’égalité       bons et ses mauvais « élèves », ar-      mesure de leur capacité intellec-
à un ordre hiérarchique. Voyez ce       prentissages de base comme ceux          par la démocratie scolaire feint         rive à assimiler le système entier       tuelle. Si « éducation populaire » a
qui se passe aujourd’hui où la capa-    de la langue. Mais une telle prio-       d’ignorer une double donnée. Tout        de la domination à un classement         un sens, ce doit donc d’abord être
cité des individus se mesure au fait    rité suppose qu’on pense d’abord         d’abord, l’inégalité entre les condi-    scolaire. L’émancipation intellec-       celui d’une multiplication de ces
qu’ils « sont » bac + 3, bac + 5 ou     aux situations concrètes d’ensei-        tions n’est pas une conséquence          tuelle prônée par Jacotot inversait      voies d’accès et pas celui d’une
bac + 8 et celle des institutions à     gnement, qu’on cherche à assurer         d’une inégalité de savoir que l’école    la logique dominante. Cela ne            éducation spécialement destinée
leur rang dans le classement de         aux enseignants et aux élèves les        aurait à corriger. La promotion par      veut pas dire, comme certains            aux défavorisés ou adaptée à une
Shanghai. On peut connaître au-         meilleures ressources et la plus         le mérite scolaire d’enfants des         feignent de le croire, que les pro-      culture dite populaire. Ce n’est pas
tant de choses qu’on veut, on n’est     grande liberté, parce que l’accès à      classes défavorisées a certes existé     fesseurs ne doivent plus ensei-          que le problème de l’accès des plus
pas émancipé tant qu’on raisonne        sa propre puissance intellectuelle       mais elle n’a jamais fonctionné qu’à     gner, que les élèves en savent plus      défavorisés ne se pose pas. C’est
et qu’on agit dans cette logique. Il    se fait, selon les individus, de cent    la marge. Et l’institution scolaire      qu’eux ou que sais-je… Cela veut         qu’il ne peut pas être résolu par
y a émancipation, à l’inverse, là où    façons différentes. C’est tout le        fonctionne aujourd’hui au sein           dire qu’on part non pas de la dif-       une méthode qui leur serait spécia-
la connaissance et la compétence        contraire de cette grande machine        d’un monde où les inégalités ne          férence de savoir entre les indivi-      lement adaptée mais par les possi-
acquises ne sont plus mesurées en       qui doit les entraîner par ses nou-      cessent de croître, où ce rêve de        dus mais du fait que tous savent         bilités qui leur sont offertes de
termes de positions au sein du sys-     veaux « rythmes » et sous la hou-        rééquilibrage par l’éducation est        quelque chose et ont la capacité         s’emparer de la capacité qui est
tème. Un maître émancipé, c’est un      lette d’un « Conseil supérieur des       plus improbable que jamais. De-          d’en savoir plus.                        égale en tous. Une éducation popu-
maître qui ne confond sa capacité       programmes » à atteindre l’objec-        mander aux institutions scolaires            La principale question à partir      laire en ce sens est une éducation
éducative ni avec son savoir, ni        tif d’être « tant pour cent » à at-      de promouvoir l’égalité sociale,         de cela est d’aider à ce que cette ca-   ouverte à tous parce qu’elle ne
avec sa position institutionnelle. Et   teindre tel ou tel palier institu-       c’est les charger d’une tâche impos-     pacité se développe aussi loin que       poursuit aucun objectif de perfor-
un élève émancipé, c’est un élève       tionnel. Refonder l’école, dans les      sible et les culpabiliser par avance     possible : pas simplement comme          mance particulière au sein du sys-
dont les capacités de savoir et de      logiques ministérielles, c’est           de ne pas atteindre ce but. Et on        gain de savoir mais comme gain de        tème éducatif. C’est aussi un sys-
penser ne sont plus simplement          d’abord refonder la légitimité de        retombe alors dans la logique infer-     confiance en une capacité intellec-      tème où les positions d’enseignant
mesurées par des notes obtenues         l’institution comme telle, l’obliger     nale. Plus on reproche à l’école son     tuelle qui est celle de chacun et de     et d’enseigné perdent leur fixité, où
aux examens scolaires.                  à travailler en priorité à cette légi-   incapacité à « réduire les inégali-      tous. C’est ce progrès effectif de       les savoirs s’échangent et se com-
     C’est dire qu’il n’y a guère à     timation. Une institution, au-delà       tés » et plus on renforce le poids       l’égalité qui est barré si on prétend    plètent. n
attendre de lois destinées à « re-      d’un certain seuil, a pour fonction      des stratégies imaginaires de « ré-      faire de l’école comme corps une
fonder » l’école. Au contraire, de      essentielle d’affirmer sa propre lé-     duction des inégalités », c’est-à-dire   machine à « réduire les égalités »
telles lois risquent de confirmer ce    gitimité. Mon expérience des             concrètement qu’on renforce le           ou bien former on ne sait quel ci-       1. Parmi ses ouvrages les plus connus :
qui refoule toute émancipation à        transformations de l’enseigne-           poids de la fiction institutionnelle     toyen idéal, en possession d’un ac-      Le Maître ignorant. Cinq leçons sur
                                                                                                                                                                   l’émancipation intellectuelle (Fayard,
savoir le fantasme de l’école           ment supérieur est celle de l’ac-        et de sa spirale d’autolégitimation.     quis cognitif, civique et culturel       1987).
comme le grand corps collectif. Le      croissement constant du travail              Dès les années 1830, Jacotot 2       commun défini par une commis-            2. Jean Joseph Jacotot (1770-1840) est
problème est d’émanciper les en-        d’autolégitimation de l’institution      avait prévenu les gens qui vou-          sion ministérielle. L’ambition dé-       un pédagogue français, créateur d’une
                                                                                                                                                                   méthode d’enseignement qui pose que
seignants comme les enseignés           au détriment du travail d’ensei-         laient promouvoir l’égalité par          mocratique aujourd’hui, c’est l’am-      tout homme, tout enfant, est en état de
par rapport à ce fantasme. L’école,     gnement et de recherche.                 l’éducation : l’égalité n’est pas un     bition de faire avancer une nouvelle     s’instruire seul et sans maître.

                                                                   Les idées en mouvement              le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 210     juin-juillet 2013 11.
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 citoyenneté active

Faire ensemble,
ou l’apprentissage
du citoyen
Quand on évoque l’éducation non formelle, on pense d’abord aux
formes alternatives à l’école, ou plus largement aux pratiques scolaires
institutionnelles. Mais le terme est impropre. Car certains de ces
apprentissages introduisent précisément aux aspects formalisés de la vie
sociale. Avec, à l’horizon, l’idée d’une citoyenneté active. Trois expériences
sensiblement différentes en témoignent.
Les Juniors associations :                teurs administratifs, politiques,        rement différent : les enfants ci-
une mise en situation                     des phénomènes sociaux) et au            toyens sont appelés à devenir au-
collective                                développement de capacités (s’ex-        teurs de leur vie. Le terme est
     La Ligue de l’enseignement           primer, se poser face à un groupe        riche de sens : il s’agit de ne pas se
accompagne depuis ses débuts              ou face à un décideur, concevoir         laisser dicter les termes de son
l’expérience des Juniors associa-         et mener un projet, gérer un bud-        existence, mais de conquérir leur
tions, lancée en 1998. Sur le pa-         get). Des capacités personnelles,        autonomie, condition essentielle
pier, il s’agit simplement d’offrir       mais aussi collectives, et c’est là le   de la citoyenneté. Par rapport au
aux mineurs la possibilité de s’or-       deuxième enjeu : l’idée d’une            projet porté par la Ligue, qui in-

                                                                                                                                                                                                           © Les Francas
ganiser, en leur fournissant par          mise en situation collective est au      siste davantage sur la participa-
                                                                                                                             Jeunes Diawarois (Sénégal) et jeunes Rezéens (Loire-Atlantique),
exemple les moyens d’ouvrir un            cœur du projet. Cette forme par-         tion à la société civile organisée,
                                                                                                                             à l’origine de l’Atec « Ensemble de Rezé à Diawar ».
compte en banque et de prendre            ticulière d’apprentissage vise à dé-     celui des Francas est ainsi marqué
une assurance, et en les formant à        velopper le sens de la coopération       par une version plus individuelle
l’art de gérer une association. Le        et l’art de l’organisation, qualités     de la citoyenneté, en prise avec         tissage et qu’il convient d’éviter     monde de demain » – sans plus
dispositif « Junior association » se      nécessaires dans la vie d’adulte et      l’idéal des Lumières. Une citoyen-       les dérives éventuelles liées à une    de précision sur la nature de cette
définit ainsi comme une facilité,         vertus essentielles à l’entretien du     neté qui « ne se décrète pas, mais       institutionnalisation.                 action, sur sa dimension ci-
un service offert à des jeunes qui        lien social. Mais en favorisant l’ap-    se construit » : c’est cette cons­                                              toyenne par exemple, ou sur son
souhaiteraient se mobiliser autour        propriation précoce des modes            truction que visent les projets, qui     Préparer à agir : les ICEM             inscription dans des formes orga-
d’un projet.                              d’action collective, on espère aussi     s’inscrivent d’emblée dans un                Les enfants des Atec sont déjà     nisées. La temporalité, elle aussi,
     Mais au-delà de cette dimen-         faire émerger des vocations d’ani-       cadre universel.                         des citoyens, porteurs de droits       est différente : c’est sur l’ensemble
sion d’accompagnement adminis-            mateurs ou de militants. De sorte             Cette ambition explique sans        politiques et engagés. Cette ap-       de la scolarité primaire, voire l’en-
tratif, il y a des enjeux politiques.     que le troisième enjeu est le re-        doute le côté un peu plus poli-          proche, au croisement de l’éduca-      semble de la scolarité que prend
L’objectif affiché est de donner aux      nouvellement du monde associa-           tique, et un peu moins concret,          tion populaire et des mouvements       sens cette approche, qui se dis-
jeunes la possibilité de se faire         tif. Certaines Juniors associations      des projets accompagnés dans le          de jeunesse des partis politiques,     tingue ainsi radicalement des pro-
entendre et d’exister en tant qu’ac­      deviendront grandes, et se trans-        cadre des Atec, dont la plupart          n’est pas celle de l’Institut coopé-   jets plus brefs et surtout plus péri-
teurs. L’acte de s’associer est envi-     formeront en associations loi            ressortissent des enjeux de solida-      ratif de l’école moderne (Icem),       phériques menés dans le cadre des
sagé comme un outil pour l’inser-         1901. D’autres disparaîtront, mais       rité internationale. La Charte des       une association créée en 1947 par      Atec ou des Juniors associations.
tion sociale, une façon de lutter         on peut gager que leurs créateurs        Atec, qui contractualise le lien         Célestin Freinet pour diffuser sa           On retrouve néanmoins dans
contre l’exclusion. Dans leur vie         et animateurs n’en auront pas fini       entre un groupe d’enfants, un ac-        pédagogie alternative. Celle-ci        ces trois univers des éléments en
quotidienne, il arrive souvent aux        avec le militantisme.                    compagnateur, et les Francas, as-        n’ignore pas la dimension poli-        commun : l’idée d’un enfant « au-
jeunes de croiser des associations,                                                signe aux enfants la volonté             tique, puisqu’elle se donne com­       teur de ses apprentissages », chez
qui organisent leurs activités spor-      Construire la                            d’« agir de façon positive dans la       me « un choix pédagogique en           Freinet, rejoint l’accent mis sur
tives ou culturelles. Mais ils se         citoyenneté : les ATEC                   cité », mais précise bien le sens de     lien étroit avec un engagement         l’expérience et la mise en situation
contentent le plus souvent d’en               Les Juniors associations visent      cité : « le quartier, la ville, le dé-   social et politique ». Mais ce choix   dans les réseaux d’éducation po-
utiliser les services, à la façon de      à pérenniser, sinon la structure,        partement, le pays, le monde ». Si       est celui des adultes. Pour les en-    pulaire. De même, l’importance
consommateurs. Le dispositif des          en tout cas les parcours militants.      on voit bien mentionnée la « vo-         fants, bien davantage que l’éduca-     de la sociabilité et de la coopéra-
Juniors associations fait le pari de      Les Associations temporaires             lonté commune d’agir sur la vie          tion à la citoyenneté, c’est la coo-   tion est-elle réaffirmée dans les
les amener à sortir de cette pos-         d’enfants citoyens (Atec), lancées       quotidienne de la cité », les pro-       pération qui est la vertu cardinale.   trois modèles. Au total, il se dé-
ture pour entrer dans un autre            par les Francas, s’inscrivent expli-     jets réels participent plus d’une        La notion de « vie coopérative »       gage de ces expériences une ambi-
rôle, celui d’acteurs.                    citement dans une temporalité            sensibilisation aux grands enjeux        est en effet centrale ; elle « orga-   tion commune : faire porter l’édu-
     Ce renversement de perspec-          différente, en insistant sur la lo-      du monde que d’un apprentissage          nise et structure les apprentis-       cation sur la capacité d’agir,
tive a trois enjeux. Le premier est       gique de projet.                         du faire, comme c’est le cas avec        sages tout en développant le sens      ensemble, sur le monde.
immédiat et consiste à développer             Là encore, les enjeux revendi-       les Juniors associations. Le public      critique ».
une forme dynamique de citoyen-           qués sont le lien social et la redy-     visé est aussi manifestement plus            Au-delà des citoyens ou des        ●●Richard Robert
neté, en libérant l’esprit d’initiative   namisation de la vie associative ;       jeune. De là également le carac-         futurs militants, c’est d’abord et
et en permettant à de très jeunes         de même que l’abandon d’une              tère temporaire des projets, justi-      avant tout des hommes et des
citoyens de se faire entendre, de         posture passive (celle du consom-        fié par le fait que « le long terme      femmes qu’il s’agit ainsi de for-
jouer un rôle plus actif sur leur ter-    mateur acquiesçant à la marche           n’est pas un cadre que les enfants       mer, et d’accompagner dans leur
ritoire, en un mot de s’engager. Il y     du monde) au profit d’un engage-         peuvent facilement appréhender           développement. La finalité affi-
a là un apprentissage qui touche à        ment actif. Mais là où la Ligue          ni dans lequel ils se sentent à          chée est à la fois plus modeste et
la fois à la compréhension du             parle de former des acteurs, les         l’aise », mais aussi que l’Atec se       plus ambitieuse : il s’agit de pré-
monde (découverte des interlocu-          Atec utilisent un vocabulaire légè-      déroule dans une phase d’appren-         parer les enfants à « agir sur le

.12 Les idées en mouvement                le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 210     juin-juillet 2013
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 Éducation au sensible

Faire tomber les barrières entre l’école
et son environnement
La loi sur la refondation de l’école propose la création d’un parcours artistique et culturel obligatoire pour chaque élève. Pour
Philippe Joutard 1, une telle entreprise n’aura de chances de réussite que si sont bien articulés temps scolaire et temps extrascolaire,
école et monde extérieur, collectivités territoriales, institutions culturelles et associations périscolaires.

U
         n des défauts de l’ensei-       apprentissage efficace de la langue      tance d’intermédiaires facilitant          diffusion des témoins du passé        les artistes et les créateurs, dans
         gnement français est la         passe aussi par la littérature et la     cette relation. Aujourd’hui encore,        sur le territoire national prémunit   une vision très large de la créa-
         primauté absolue accordée       poésie. L’histoire des arts, do-         c’est le plus souvent la famille qui       contre les inégalités. Les nom-       tion, intégrant aussi bien le de-
à l’intelligence verbo-concep-           maine pluridisciplinaire nouvelle-       joue ce rôle, facteur d’inégalité          breuses associations gravitant au-    sign, l’artisanat d’art ou les jardins
tuelle, au détriment d’autres for­       ment introduit, ne se réduit pas à       maintes fois souligné. Il est indis-       tour de ces lieux de mémoire          que les beaux-arts.
mes comme l’intelligence sen-            des connaissances, puisqu’elle           pensable de trouver des média-             peuvent aussi fournir un appui            L’éducation artistique et cultu-
sible, que cherche à développer          privilégie l’approche par les œu­        teurs qui s’adressent à tous. L’ac-        précieux.                             relle est une occasion magnifique
l’éducation artistique. L’Éducation      vres. Les cours de musique et            cès au patrimoine est le plus                  Beaucoup plus délicat est le      pour faire tomber les barrières
nationale en a conscience. Elle          d’arts visuels sont fondés sur une       facile : les collectivités territoriales   lien avec la création vivante, plus   entre l’école et son environne-
s’est efforcée depuis plus d’un          pratique, même si des connais-           ont souvent en charge directe-             inégalement répartie sur le terri-    ment, pour le bien de l’un et de
demi-siècle de la promouvoir,            sances sont indispensables. Cela         ment ou indirectement ce patri-            toire national, les zones rurales     l’autre.
avec un succès inégal tant les ré-       dit, le rapport direct avec le patri-    moine, ne serait-ce que pour les           étant particulièrement défavori-
sistances sont fortes.                   moine et la création vivante sont        monuments historiques ou les               sées. Les transports sont une pre-    ●●Philippe Joutard
     L’éducation artistique et cultu-    les deux fondements indisso-             musées. Elles peuvent donc jouer           mière forme d’aide des communes
relle – a-t-on besoin de le rappeler ?   ciables d’une réelle éducation ar-       un rôle privilégié, d’autant plus          et des départements qui peuvent
– ne relève pas d’une approche           tistique, l’une n’allant pas sans        facilement que les compétences             aussi encourager financièrement
cognitive. L’école n’est pas enfer-      l’autre.                                 partagées les mettent en relation          théâtres, concerts, expositions.
mée dans la seule transmission               Or l’école ne peut assurer cette     permanente avec l’école. Pour le           Les associations d’éducation po-      1. Ancien recteur d’académies, Philippe
des savoirs, comme le montrent           relation qu’à la marge, les lieux où     primaire, l’aménagement des                pulaire, fidèles à leurs origines,    Joutard est professeur d’histoire à
                                                                                                                                                                   l’université de Provence et à l’École des
les pédagogies les plus dyna-            se découvrent l’un et l’autre lui        rythmes scolaires offre une occa-          devraient jouer un rôle dans la       hautes études en sciences sociales
miques et les plus innovantes. Un        étant extérieurs. D’où l’impor-          sion inespérée à saisir. La large          mise en relation des jeunes avec      (EHESS).

Ateliers d’écriture : l’éducation littéraire
Centrés sur l’écriture créative et accompagnés par un écrivain, les
ateliers d’écriture organisés par la Ligue de l’enseignement des Côtes-
d’Armor font tomber la crainte de l’écrit et initient à la littérature.

C
        haque année, la Ligue de l’enseigne-       heure et demie. Au fil des rencontres, la
        ment des Côtes-d’Armor accueille           production de chacun des élèves, inscrite
        des résidences d’écrivains qui se          dans un cadre collectif, va s’élaborer pour

                                                                                                                                                                                                               © Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor
couplent avec des ateliers d’écriture pour         être publiée sous la forme d’un blog ou sur
les élèves, du primaire au lycée, notamment        un autre support. « Ce temps long, régulier,
à la Maison Louis Guilloux de Saint-Brieuc.        permet peu à peu une appropriation de
Loin encore du pragmatisme des précur-             l’écriture par les élèves, poursuit Soizic. Il
seurs et très répandus creative writings amé-      permet de faire tomber les craintes qu’ils
ricains, et plus proches peut-être de tech-        peuvent nourrir à l’égard de l’écrit. Au
niques de pédagogie active héritée de              début, la plupart sont intimidés, ils pensent
Célestin Freinet qui, dès les années 1930,         ne pas savoir, ont peur de faire des fautes.
faisait appel à l’écriture de textes libres,       Cette réticence est d’autant plus grande que
« ces ateliers sont avant tout un travail avec     les séances sont organisées sur le temps
un auteur, dans le cadre d’un processus de         scolaire, en présence de leur enseignant.
création et dans une perspective d’éduca-          Nous insistons sur le fait qu’on ne se pré-          dans leurs propres capacités. « Je me sou-        ont leur propre approche, ils sont dans des
tion artistique et littéraire. Nous laissons les   occupe pas de grammaire ou d’orthographe             viens de jeunes d’un lycée agricole qui di-       démarches de création personnelle qui pro-
auteurs rester au plus proche de leurs pré-        ici, mais de ce qu’ils veulent exprimer. »           saient ne pas savoir écrire. Avec l’écrivain      posent d’autres entrées. L’écrivaine Anne Sa-
occupations personnelles afin qu’ils les par-           Tous les ateliers sont travaillés au préa-      Jérémie Lefevre, ils ont beaucoup travaillé       velli commençait par exemple toutes ses
tagent mieux et que les élèves entrent dans        lable avec les enseignants afin d’en adapter         sur les registres de langue. Il y avait une di-   séances par une lecture de textes d’auteurs
un univers plutôt que dans un cadre tech-          les thèmes et les modalités. Mais les effets         mension ludique qui leur a permis de les          très peu connus. Les élèves découvrent ainsi
nique », explique Soizic Landrein, déléguée        ne se trouvent pourtant pas tant dans l’adé-         mettre à l’aise. »                                une diversité de publications, et peuvent
générale de la fédération des Côtes-d’Ar-          quation du contenu avec le programme                     Les ateliers d’écriture ouvrent ainsi d’au­   trouver des écrits proches de leurs préoccu-
mor.                                               scolaire que dans la curiosité suscitée pour         tres possibles que le cadre scolaire. Selon       pations ou de leur sensibilité ».
     À la Ligue 22, une classe participe géné-     l’écriture créative et la littérature, ainsi que     Soizic, « pour des élèves, être face à un au-
ralement à raison de six séances d’une             dans la confiance que prennent les élèves            teur change la relation à l’écrit. Les auteurs    ●●Stéphanie Barzasi

                                                                    Les idées en mouvement               le mensuel de la Ligue de l’enseignement                  n° 210     juin-juillet 2013 13.
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 Éducation partagée

Valoriser le potentiel éducatif des parents
La Ligue de l’enseignement du Val-de-Marne met en place depuis quelques années des ateliers de savoirs sociolinguistiques (ASL),
dans et en dehors de l’école 1, à destination des publics migrants qui maîtrisent peu ou pas la langue française. À Villeneuve-Saint-
Georges, ils permettent à des mamans d’élèves d’appréhender le système scolaire avec moins de craintes.

«M
                     adame. Je souhai-   de réussite éducative (PRE), l’ate-
                     terais prendre      lier « Parents d’enfants, parents
                     rendez-vous avec    d’élèves » dure deux ans. Ensuite,
vous en raison d’un problème             la fédération et la directrice es-
avec mon fils. Mon fils se bagarre       saient de raccrocher tant bien que
toujours avec un autre enfant de         mal avec d’autres dispositifs exis-
sa classe. Seriez-vous disponible        tants, plus classiques, autour du
le 26 avril à partir de 17 heures        français. Mais la demande est
s’il vous plaît ? Cordialement. »        forte et comme souvent, ces ASL,
Pour arriver à comprendre, pro-          qui séduisent sur le papier de
noncer et écrire ce mot, il aura         nombreux chefs d’établissement,
fallu beaucoup d’attention aux           pourraient être largement étendus
femmes présentes et une bonne            avec plus de moyens.
dose de patience à Oifa Laidouni,
l’animatrice enthousiaste de l’ate-      ●●Ariane Ioannides
lier « Parents d’enfants, parents
d’élèves ».
     À raison de deux sessions de
                                         1. La fédération 94 anime également

                                                                                                                                                                                                             © Rémy Gabalda/AFP
deux heures par semaine, les             des ASL à Alfortville, dont l’objectif
femmes sont accueillies au sein de       est d’acquérir une autonomie sociale :
l’école élémentaire Anatole France.      connaissance du système administratif
                                         français (sécurité sociale, CAF, Pole
La directrice, très engagée dans le      emploi) et des différents espaces
dispositif (voir interview ci-contre),   sociaux (PMI, médiathèque, spectacles).
a mis à disposition une petite salle
de classe à des heures (de 9 h à
11 h) qui permettent aux mamans

                                         « Démonter la représentation
de récupérer leurs enfants pour le
déjeuner. Du Mali, Sri-Lanka,
Turquie ou Maroc, Fatia, Sevim,

                                         des parents démissionnaires »
Sadiow, Ratikanti, Sati, Fazilette
sont en France depuis une dizaine
d’années en moyenne et pos-
sèdent un niveau d’études très dif-
férent ; toutes ne sont pas allées à
l’école dans leur pays d’origine.        Jeanine Morvan est la directrice de l’école Anatole France à Villeneuve-Saint-Georges, qui compte
Pendant le cours, elles font l’effort
                                         400 élèves. En deux ans, elle a mis en place deux ateliers pour les mamans migrantes et entreprend la
de communiquer et de s’aider en
français, ce qui ne manque pas de        création d’une « Maison des savoirs » pour lier l’établissement à son territoire.
déclencher certains rires. « Pour
beaucoup de ces femmes souvent           Les Idées en mouvement :                  rents, qui est fausse, et ne pas lais-   Ces dispositifs ne sont pas uni-         savoirs », c’est l’ouverture de
isolées, l’atelier constitue un espace   Qu’est-ce qui a motivé la                 ser seuls les enseignants. Et du         quement l’affaire du directeur. Ils      l’école sur le territoire. Avec Cathy
de socialisation très important.         création d’ateliers de savoirs            côté des parents, nous devons            doivent perdurer au-delà des per-        Séguenot, responsable du secteur
Elles sont heureuses de prendre          sociolinguistiques ?                      faire comprendre qu’accompa-             sonnes.                                  « Politiques éducatives » à la Li­
enfin du temps pour elles et de               Jeanine Morvan : En arrivant         gner ses enfants ne se résume pas                                                 gue de l’enseignement du Val-de-
pouvoir mieux accompagner leurs          il y a deux ans, j’ai constaté que        aux devoirs.                             Vous avez décidé de créer une            Marne, nous avons récemment
enfants dans leur scolarité », pré-      certaines grosses difficultés sco-                                                 « Maison des savoirs » au sein           présenté le dispositif à la munici-
cise Oifa. Les ateliers de savoirs       laires n’étaient pas très bien trai-      Avez-vous constaté un                    de votre établissement. Vous             palité et à la politique de la ville,
sociolinguistiques ne sont pas des       tées, notamment dans le suivi des         changement ?                             semblez très sensible à                  qui ont été séduites par l’idée.
cours de langue à proprement par-        élèves : des parents avaient du                L’impact est évident. Les ma-       l’éducation non formelle…                Deux petites actions vont être lan-
ler ; ils l’abordent au travers          mal à accompagner leurs enfants,          mans se sentent concernées :                 Oui, car il est primordial de        cées avant la fin de l’année : une
d’exemples concrets : comprendre         et les enseignants à entrer en com-       celles qui restaient à 50 mètres de      relier les savoirs. L’école doit abso-   autour d’Internet et l’autre en lien
et écrire un mot dans le carnet de       munication avec les familles. Les         l’entrée ont une plus grande faci-       lument s’ouvrir, car ce n’est pas le     avec la bibliothèque de Villeneuve.
correspondance, déchiffrer le livret     parents migrants font face à une          lité à franchir la porte de l’école.     seul lieu où l’on apprend. Notre
scolaire, prendre rendez-vous avec       double difficulté : les codes de          Avant, elles se sentaient dévalori-      futur défi : intégrer toutes les nou-    ●●Propos recueillis par
les enseignants ou la directrice…        l’institution et les problèmes de         sées, comme si ne pas parler fran-       velles technologies dans nos pra-        Ariane Ioannides
     Les progrès en termes de con­       langue. Aujourd’hui, les ensei-           çais les empêchait d’être des pa-        tiques, qu’il faut reconsidérer.
fiance sont visibles et rapides. Une     gnants sont à la fois désemparés          rents d’élèves. Désormais, elles se      Faire des « cours intelligents »
maman qui restait en retrait de          face aux difficultés sociétales et de     sentent réhabilitées dans leur po-       comme le dit Michel Serres. L’école
l’école ose désormais s’adresser di-     plus en plus éloignés socialement         tentiel éducatif. Les enseignants,       est un ensemble de connaissances
rectement aux enseignants, en            des familles qu’ils accueillent. Il       eux, sont très satisfaits. Avec ces      qui ne sont pas seulement sco-
dépit de son français approximatif.      faut donc démonter les représen-          ASL, nous créons un autre lien           laires, c’est une formation tout au
     Monté grâce au programme            tations sur la démission des pa-          que pédagogique : un lien social.        long de la vie. Et la « Maison des

.14 Les idées en mouvement               le mensuel de la Ligue de l’enseignement                     n° 210     juin-juillet 2013
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
dOssier

 Expérience de la rencontre

« Dans la
rencontre,
on réinvestit »
Pour l’Usep, le sport a toujours été un moyen
éducatif d’accès à la citoyenneté. Francis
Givernaud, directeur, nous explique la spécificité
des activités Usep et les pistes envisagées dans le

                                                                                                                                                                                                            © Usep
cadre de la refondation de l’école.

Les Idées en mouvement : Quelle          surtout de l’activité associative qui   sportive autour de thèmes comme          pour concrétiser la relance voire        de travail, ces derniers « font de
est la spécificité de l’Usep sur le      en est le support. Lors des temps       le développement durable, le han-        la transformation d’un sport sco-        l’Usep » en plus de nombreuses
non scolaire ?                           de préparation des rencontres par       dicap ou la santé. Il en est ainsi       laire qui participerait aussi de ces     disciplines. Peut-être faudrait-il
    Francis Givernaud. Le cœur           exemple, organisés par les asso-        des assemblées d’enfants, qui sont       enjeux d’éducation à la citoyen-         envisager un caractère obligatoire
de métier de l’Usep, c’est la ren-       ciations Usep d’écoles, les enfants     des rencontres associatives dans les-    neté par le sport. Il existe d’ores et   à une place plus affirmée des as-
contre. Ce qui la distingue en pre-      apprennent aussi l’autonomie en         quelles la pratique sportive est l’oc-   déjà des pistes comme le rôle que        sociations d’école dans les projets
mier lieu de l’EPS (éducation phy-       se mettant d’accord sur les lieux,      casion de mettre les enfants en si-      pourrait jouer l’association Usep        d’école. Il serait alors souhaitable
sique et sportive) qui relève des        les règles du jeu, etc. C’est dans ce   tuation de réflexion, au travers         dans les projets éducatifs de terri-     d’impliquer davantage les familles
programmes scolaires, c’est que          cadre qu’enseignants, parents et        « d’ateliers philosophiques » aussi      toire. En impliquant tous les par-       dans la vie des associations,
cette activité n’est pas obligatoire,    enfants ont tous un rôle d’acteur       bien sur la place et le rôle de chacun   tenaires, l’association d’école          comme cela se fait très souvent en
et peut se tenir hors du cadre sco-      primordial.                             au sein de l’association que sur des     pourrait en effet être à la fois le      maternelle. Enfin, l’objet de l’asso-
laire habituel. En complément des                                                thèmes plus larges comme la triche,      lien entre ce qui se fait dans l’école   ciation pourrait sans doute évoluer
apprentissages de l’EPS, la ren-         Quelles sont les pistes de              le respect, la peur, l’entraide.         et ce qui se fait en dehors. Au-         et s’élargir à d’autres dimensions
contre permet aux enfants de les         développement à venir ?                                                          jourd’hui, l’Usep semble confron-        notamment culturelles et coopéra-
réinvestir et de les prolonger. On           Un guide de la rencontre est        Le projet de refondation de              tée à une difficulté et une fai-         tives ; et ne plus être uniquement
réinvestit avec d’autres, dans des       actuellement en réflexion. Au-          l’école peut-il constituer une           blesse : une grande majorité des         sportif, lui permettant ainsi d’affir-
lieux nouveaux, ce qui permet            delà du cadre réglementaire qui         opportunité pour le sport                associations Usep n’a plus de réel       mer davantage sa dimension es-
aussi de sortir de l’entre-soi de la     régit la rencontre sportive, ce         scolaire ?                               fonctionnement associatif et s’ap-       sentielle d’accès à la citoyenneté.
classe, de l’école et du quartier :      guide sera l’occasion de mettre en         Si le projet de loi l’évoque, il      puie sur l’engagement volontaire
on se confronte, on coopère, au          évidence ce qui peut se dévelop-        faudra sans doute une plus grande        des enseignants. En raison de la         ●●Propos recueillis par
travers de l’activité sportive mais      per, au-delà de la seule pratique       mobilisation des acteurs locaux          dégradation de leurs conditions          Ariane Ioannides

Les classes de découvertes :
l’apprentissage par l’expérience
Si le cadre pédagogique des classes de découvertes est pensé en fonction des programmes de l’Éducation nationale, elles sont avant
tout vécues par les enfants comme une aventure. En observant, en expérimentant, ils apprennent autrement.

«L
               a connaissance s’acquiert par       la forêt de Moulière et de la réserve natu-        Pierre Pallisé. « Pour les camps d’orienta-        changement de cadre et l’ouverture à d’au­
               l’expérience, tout le reste n’est   relle du Pinail, le grand parc arboré des          tion Usep, nous tendons au zéro carbone :          tres milieux de vie influent sur les compor-
               que de l’information », disait      Chalets de Moulière, à Vouneuil-sur-               les enfants se déplacent à vélo, travaillent       tements. « Ces voyages créent une conni-
Albert Einstein. En dépit des flots de docu-       Vienne, est un dépaysement total pour les          sur le tri sélectif. » Autant de contenus qui      vence au sein du groupe classe et avec
ments et outils auxquels peuvent avoir             jeunes citadins. Outre les classes de décou-       font échos aux programmes scolaires.               l’enseignant. Ils font aussi l’apprentissage
accès les enfants et les jeunes grâce aux res-     vertes centrées sur les thèmes développés          « Nous travaillons avec les enseignants            du « vivre ensemble » : partager une même
sources numériques ou à la télévision, en          par le Futuroscope tout proche, le cadre a         pour adapter nos séjours types à leurs pro-        chambre incite à trouver des compromis. »
complément des indispensables savoirs              favorisé la mise en place de séjours tournés       jets pédagogiques. »                               Nombreux sont les enfants qui à l’occasion
qu’ils assimilent au fil de leur scolarité, la     vers l’éducation à l’environnement et au               Pour autant, pour les enfants, ce n’est        de ces classes de découvertes font l’expé-
découverte sur le terrain reste irrempla-          développement durable, grâce à des parte-          pas vraiment l’école, et ça change tout. « Ils     rience de la toute première séparation
çable. « L’un des principaux aspects des           nariats avec le Centre permanent d’initia-         font un cheminement par le jeu pour dé-            d’avec leurs parents, voire du tout premier
classes de découvertes est qu’on ne sait pas       tive pour l’environnement (Cpie) ou l’Usep.        couvrir, éprouver. Ils apprennent ainsi de         voyage. « Ces séjours, résume Pierre Pallisé,
qu’on est en train d’apprendre, juge Pierre        « Nous travaillons autour de la conserva-          manière pérenne, estime Pierre Pallisé. Et         sont une avalanche de découvertes et
Pallisé, directeur du village de vacances Les      tion des espèces, leur évolution, l’influence      quand quelqu’un de l’Agence de l’eau parle         d’émotions. »
Châlets de Moulière, géré depuis 1995 par          de la main de l’homme sur l’environne-             de lagunage, c’est très différent de ce que
la Ligue de l’enseignement de la Vienne.           ment, notamment dans la réserve naturelle          pourrait apporter un enseignant. Être sur          ●●Stéphanie Barzasi
C’est l’école ailleurs. »                          du Pinail parsemée de mares, vestiges de           place et observer l’environnement des
    Entre Châtellerault et Poitiers, près de       l’extraction de la pierre meulière », détaille     choses fait aussi toute la différence. » Le

                                                                    Les idées en mouvement             le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 210    juin-juillet 2013 15.
Refondation de l'école : quelle place pour l'éducation non formelle ?
Vous pouvez aussi lire