Robert Lalonde LA RECONSTRUCTION DUPARADIS - Numilog

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Robert Lalonde LA RECONSTRUCTION DUPARADIS - Numilog
Robert Lalonde
LA RECONSTRUCTION
    DU PARADIS

    Carnets
Robert Lalonde LA RECONSTRUCTION DUPARADIS - Numilog
Les Éditions du Boréal
 4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) h2j 2l2
www.editionsboreal.qc.ca
La Reconstruction
    du paradis
­ uteur
                                du même a
La Belle Épouvante, roman, Éditions Quinze, 1980; Julliard, 1981.
Le Dernier Été des Indiens, roman, Seuil, 1982.
Une belle journée d’avance, roman, Seuil, 1986; Boréal, coll. «Boréal compact»,
   1998.
Le Fou du père, roman, Boréal, 1988; coll. «Boréal compact», 2010.
Le Diable en personne, roman, Seuil, 1989; Boréal, coll. «Boréal compact», 1999.
Baie de feu, poésie, Écrits des Forges, 1991.
L’Ogre de Grand Remous, roman, Seuil, 1992; Boréal, coll. «Boréal compact»,
   2000.
Sept lacs plus au nord, roman, Seuil, 1993; Boréal, coll. «Boréal compact», 2000.
Le Petit Aigle à tête blanche, roman, Seuil, 1994; Boréal, coll. «Boréal compact»,
    2000.
Où vont les sizerins flammés en été?, histoires, Boréal, 1996.
Le Monde sur le flanc de la truite, notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, Boréal,
    1997; coll. «Boréal compact», 1998; L’Olivier, coll. «Petite Bibliothèque
    américaine», 1999.
Des nouvelles d’amis très chers, histoires, Boréal, 1999.
Le Vacarmeur, notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, Boréal, 1999.
Le Vaste Monde. Scènes d’enfance, nouvelles, Seuil, 1999.
Monsieur Bovary ou Mourir au théâtre, théâtre, Boréal, 2001.
Un jardin entouré de murailles, roman, Boréal, 2002.
Iotékha’, carnets, Boréal, 2004; coll. «Boréal compact», 2009.
Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?, roman, Boréal, 2005; Seuil, 2006.
Espèces en voie de disparition, nouvelles, Boréal, 2007.
Un cœur rouge dans la glace, nouvelles, Boréal, 2009.
Le Seul Instant, Boréal, 2011; coll. «Boréal compact», 2013.
Sept oiseaux, mon père et moi, Le Sabord, 2012.
Un jour, le vieux hangar sera emporté par la débâcle, roman, Boréal, 2012.
C’est le cœur qui meurt en dernier, récit, Boréal, 2013; coll. «Boréal compact»,
    2014.
À l’état sauvage, roman, Boréal, 2015.
Le Petit Voleur, roman, Boréal, 2016.
La Liberté des savanes, carnets, Boréal, 2017.
Un poignard dans un mouchoir de soie, roman, Boréal, 2018.
Fais ta guerre, fais ta joie, récit, Boréal, 2019.
Robert Lalonde

La Reconstruction
    du paradis
       carnets

       Boréal
© Les Éditions du Boréal 2021
Dépôt légal: 1er trimestre 2021
Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada: Dimedia
Diffusion et distribution en Europe: Interforum

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et de Bibliothèque et Archives Canada
Titre: La reconstruction du paradis / Robert Lalonde.
Noms: Lalonde, Robert, auteur.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200094084 | Canadiana
(livre numérique) 20200094092 | ISBN 9782764626559 | ISBN 9782764636558 (PDF)
| ISBN 9782764646557 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Lalonde, Robert—Résidences et lieux familiers.
| RVM: Whitman, Walt, 1819-1892. Leaves of grass. | RVM: Livres et lecture.
| RVM: Création littéraire.
Classification: LCC PS8573.A3835 R43 2021 | CDD C848/.54—dc23
I am of old and young, of the foolish as
much as the wise, a child as well as a man
                         Walt Whitman

Les désirs des enfants donnent des ordres
à l’avenir. L’avenir est un serviteur lent,
mais fidèle.
                            Erri De Luca
La veille, jour de Noël, devant la fenêtre fouet-
tée par la poudrerie, j’avais recopié au dos d’un
compte impayé ces mots de Scott Fitzgerald
– attribués à son cher Gatsby: I saw the skins of
tigers flaming in the night.
    Ces mots-là, précisément.
    Notre maison a entièrement brûlé dans la
nuit du 26 décembre 2018.

                       9
Sommes tous les deux quelque part. À l’abri.
Loin de chez nous. Quelque part. Ailleurs.
Face à un grand lac, ce matin du même bleu
azur que le ciel.
     Quelque part, nulle part, ailleurs. Juillet
sans pareil. Aggiornamento, comme disent les
Italiens. En transition. Transition, asile, déraci-
nement: mots occultes qui disent à la fois tout
et rien. I still see the skins of tigers flaming in the
night.
     Whitman m’accompagne. Tout va bien.
Tout ira bien.

    A man is a summons
    and a challenge.
    It is good to fall.
    Battles are lost in the same
    spirit in which they are won.

    Tout homme est à la fois une interrogation
    et un défi…

                          10
Il est souvent bon de chuter…
   Il faut accepter
   de perdre la bataille comme de la gagner.

     Et puis nous sommes deux, quelle chance.
Deux à désirer une même métamorphose.
Parlures sans fin, le soir, dans la chambre bleue
de la maison de transition, au bord du grand
lac.

                       11
Dans l’ancien Éden retourné en savane, elle est
allée choisir, pour notre futur jardin, héméro-
calles, œillets, campanules, lilas, cœurs sai-
gnants, pivoines, delphiniums… Elle est si
vaillante. Moi? Depuis plus de six mois, je vois
un gouffre dans une égratignure. Alors j’écris.
C’est ma façon à moi de respirer.
    Avant de respirer, on ne sait pas qu’on est
dans un état d’asphyxie.
    Il était temps que je respire.
    Pensant à elle, j’entends Whitman:

   I understand the large hearts of heroes.

   Je sais le vaste cœur des héros.

                         12
J’arpente des débris calcinés. Notre cuisine,
notre chambre, le salon, la bibliothèque: des
grottes de conte noir. Des fantômes de feuil-
lages valsent sur les murs d’une chambre
inconnue.
    J’écoute le huard pousser sa gueulante pas-
sionnée. Un appel, une exhortation. Entamer
comme si de rien n’était la journée qui com-
mence. Je m’approche de la fenêtre, attrape les
jumelles. Là, tout au bout du quai, ils sont
trois, la mère et son petit que la vague esca-
mote, libère, dissimule à nouveau, et le père, en
cérémonieux plumage de noces, qui nage un
peu plus au large. Il plonge. Je compte trente-
six secondes avant qu’il refasse surface.
    Le nouveau temps est désaccordé. Il avance
et recule à la fois, si dissemblable à ce qu’il était
avant. L’heure, le jour, la semaine, le mois: la
même durée tantôt dilatée, tantôt contractée,
et qui fuit.

                         13
I am around, tenacious, acquisitive, tireless
and cannot be shaken away.

Je suis à l’affût, tenace,
avide, infatigable,
et rien ni personne ne peut m’ébranler.

                      14
De la cuisine monte la bonne odeur du café.
Elle fredonne un air syncopé, invente un
nécessaire poème de bonne humeur. Ce qui
nous est arrivé nous est arrivé, c’est comme ça
et puis c’est tout. Le jour est neuf, unique de
son espèce, descends! Je marmonne Whitman
dans ma barbe rêche:
    — There are millions of suns left… À venir
encore, des millions de soleils…
    Elle ne m’entend pas. Je crie:
    — Je crois que je vais traduire Whitman!
Tout Leaves of Grass  ! Ça va m’occuper!
    Elle me répond:
    — Pourquoi pas?
    Je commence, dans ma tête:

   Loose the stop from your throat.

   Crache le mors qui entrave ta voix.

   Pas mal…

                        15
Je descends.

   Il y a exactement six mois aujourd’hui que
notre maison a brûlé.

                     16
Marie-Claire Blais, Virginia Woolf, Jean
Giono, Faulkner, Hemingway, Gabrielle Roy,
Albert Camus, Colette, Maupassant, Flannery
O’Connor et tant d’autres proches amis ont
brûlé, indispensables compagnes, camarades
de première nécessité. Les pompiers ont bien
tenté de les faire sortir à la queue leu leu de la
maison en flammes – quatre mille bouquins,
voyons, congelés par blocs épais et lourds
comme des plaques d’ardoise. Je leur ai crié:
    — Laissez faire, ça n’a plus d’importance!
    Je le pensais, ne le pensais pas, je ne savais
plus.
    Aujourd’hui, je crois que je ne me raconte
pas d’histoires quand je pense à la fois
«hélas!» et «bon débarras».
    Suis-je pour autant protégé du piratage?
J’entends d’ici Jean, mon cher ami éditeur, cla-
mer:
    — À présent, tu citeras moins, c’est tou-
jours ça de pris!

                        17
Si je cite tant, c’est que je ne désire pas être
seul à être entré dans le monde avec au cou
une sarabande de paradoxes. Et puis je suis
persuadé que le courage peut venir de l’imita-
tion.

    Forever alive, forever forward!

    Toujours vivant, toujours de l’avant!

    Qu’est-ce que la fatigue, sinon une perte de
confiance, une injuste trahison du désir?
    Je dormirais sans finir, m’abolirais tout
entier, abdiquerais tout avenir sans remords.
    Faux! Tu aurais des remords, tu le sais
bien. La vie, l’avenir n’attendent pas.
    Une sieste et tu seras d’aplomb. Avec le
chuintement de la pluie. Allez, descends dans
la courte mort qui abolit et restaure.

                         18
Je cherche un de mes livres dans les décombres.
Je me rappelle l’avoir composé le cœur dans la
gorge et le feu au crayon. Je soulève gravats,
planches cramées, tessons de bouteille et gue-
nilles puantes, toussant comme un damné,
mais ne déniche que de vieilles paperasses aux
lettres affreusement délavées. Et puis voilà
qu’apparaît, sous un chaudron noir comme
cuve de sorcière, le livre de comptes que nous
rangions tout au fond du bahut de la salle à
manger. Je l’attrape prestement et déchiffre sur
la couverture le mot incunable. Je l’ouvre. Ses
pages vierges sont collées les unes aux autres
par ce qui semble être du sang et qui me poisse
les doigts. Coup de tonnerre et tout s’éteint.
    Je fixe le plafond de la chambre inconnue
où danse l’ombre géante du pin. C’est un nou-
vel ami, un protecteur, il monte la garde devant
la maison. Quelle maison? Où suis-je? Quel
jour se lève? De quel chef-d’œuvre au juste,
jamais écrit, ai-je rêvé? Et qui donc chante
au loin?

                      19
Robert Lalonde
          LA RECONSTRUCTION DU PARADIS

          Dans la nuit du 26 décembre 2018, la maison de Robert
          Lalonde a complètement brûlé. Cette demeure, que sa
          compagne et lui avaient construite et entretenue avec
          ardeur pendant plus de quarante ans, n’est plus qu’un
          tas de cendres fumant au milieu du jardin dévasté. Les
          pompiers ont bien tenté de faire sortir à la queue leu
          leu les quatre mille livres que recelait la maison en
          flammes. En vain, ou presque. Les maîtres de céans,
          après avoir cherché une porte dans l’étouffante bou-
          cane noire, se sont retrouvés, en plein cœur de l’hiver,
          tous les deux nus comme au premier jour.
          Pendant toute une année, ils ont caboté d’un chalet
Carnets

          à l’autre en attendant qu’une nouvelle demeure les
          accueille. De cet épisode, Robert Lalonde tire un de
          ses textes les plus lumineux. Les livres, aussitôt par-
          tis en fumée, ne demandent bien sûr qu’à renaître, et
          un beau matin une idée vient à l’auteur : traduire Walt
          Whitman, tout Leaves of Grass, pour s’occuper. Ces
          carnets, ponctués de passages tirés de l’œuvre maî-
          tresse du grand poète américain, racontent comment
          l’écrivain, chassé d’un paradis pour en voir un autre se
          construire sous ses yeux, reprend ardemment goût à la
          vie – une vie toute nouvelle.
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