Robert Lalonde LA RECONSTRUCTION DUPARADIS - Numilog
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La Reconstruction du paradis
uteur du même a La Belle Épouvante, roman, Éditions Quinze, 1980; Julliard, 1981. Le Dernier Été des Indiens, roman, Seuil, 1982. Une belle journée d’avance, roman, Seuil, 1986; Boréal, coll. «Boréal compact», 1998. Le Fou du père, roman, Boréal, 1988; coll. «Boréal compact», 2010. Le Diable en personne, roman, Seuil, 1989; Boréal, coll. «Boréal compact», 1999. Baie de feu, poésie, Écrits des Forges, 1991. L’Ogre de Grand Remous, roman, Seuil, 1992; Boréal, coll. «Boréal compact», 2000. Sept lacs plus au nord, roman, Seuil, 1993; Boréal, coll. «Boréal compact», 2000. Le Petit Aigle à tête blanche, roman, Seuil, 1994; Boréal, coll. «Boréal compact», 2000. Où vont les sizerins flammés en été?, histoires, Boréal, 1996. Le Monde sur le flanc de la truite, notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, Boréal, 1997; coll. «Boréal compact», 1998; L’Olivier, coll. «Petite Bibliothèque américaine», 1999. Des nouvelles d’amis très chers, histoires, Boréal, 1999. Le Vacarmeur, notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, Boréal, 1999. Le Vaste Monde. Scènes d’enfance, nouvelles, Seuil, 1999. Monsieur Bovary ou Mourir au théâtre, théâtre, Boréal, 2001. Un jardin entouré de murailles, roman, Boréal, 2002. Iotékha’, carnets, Boréal, 2004; coll. «Boréal compact», 2009. Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?, roman, Boréal, 2005; Seuil, 2006. Espèces en voie de disparition, nouvelles, Boréal, 2007. Un cœur rouge dans la glace, nouvelles, Boréal, 2009. Le Seul Instant, Boréal, 2011; coll. «Boréal compact», 2013. Sept oiseaux, mon père et moi, Le Sabord, 2012. Un jour, le vieux hangar sera emporté par la débâcle, roman, Boréal, 2012. C’est le cœur qui meurt en dernier, récit, Boréal, 2013; coll. «Boréal compact», 2014. À l’état sauvage, roman, Boréal, 2015. Le Petit Voleur, roman, Boréal, 2016. La Liberté des savanes, carnets, Boréal, 2017. Un poignard dans un mouchoir de soie, roman, Boréal, 2018. Fais ta guerre, fais ta joie, récit, Boréal, 2019.
Robert Lalonde La Reconstruction du paradis carnets Boréal
© Les Éditions du Boréal 2021 Dépôt légal: 1er trimestre 2021 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Diffusion au Canada: Dimedia Diffusion et distribution en Europe: Interforum Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèque et Archives Canada Titre: La reconstruction du paradis / Robert Lalonde. Noms: Lalonde, Robert, auteur. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200094084 | Canadiana (livre numérique) 20200094092 | ISBN 9782764626559 | ISBN 9782764636558 (PDF) | ISBN 9782764646557 (EPUB) Vedettes-matière: RVM: Lalonde, Robert—Résidences et lieux familiers. | RVM: Whitman, Walt, 1819-1892. Leaves of grass. | RVM: Livres et lecture. | RVM: Création littéraire. Classification: LCC PS8573.A3835 R43 2021 | CDD C848/.54—dc23
I am of old and young, of the foolish as much as the wise, a child as well as a man Walt Whitman Les désirs des enfants donnent des ordres à l’avenir. L’avenir est un serviteur lent, mais fidèle. Erri De Luca
La veille, jour de Noël, devant la fenêtre fouet- tée par la poudrerie, j’avais recopié au dos d’un compte impayé ces mots de Scott Fitzgerald – attribués à son cher Gatsby: I saw the skins of tigers flaming in the night. Ces mots-là, précisément. Notre maison a entièrement brûlé dans la nuit du 26 décembre 2018. 9
Sommes tous les deux quelque part. À l’abri. Loin de chez nous. Quelque part. Ailleurs. Face à un grand lac, ce matin du même bleu azur que le ciel. Quelque part, nulle part, ailleurs. Juillet sans pareil. Aggiornamento, comme disent les Italiens. En transition. Transition, asile, déraci- nement: mots occultes qui disent à la fois tout et rien. I still see the skins of tigers flaming in the night. Whitman m’accompagne. Tout va bien. Tout ira bien. A man is a summons and a challenge. It is good to fall. Battles are lost in the same spirit in which they are won. Tout homme est à la fois une interrogation et un défi… 10
Il est souvent bon de chuter… Il faut accepter de perdre la bataille comme de la gagner. Et puis nous sommes deux, quelle chance. Deux à désirer une même métamorphose. Parlures sans fin, le soir, dans la chambre bleue de la maison de transition, au bord du grand lac. 11
Dans l’ancien Éden retourné en savane, elle est allée choisir, pour notre futur jardin, héméro- calles, œillets, campanules, lilas, cœurs sai- gnants, pivoines, delphiniums… Elle est si vaillante. Moi? Depuis plus de six mois, je vois un gouffre dans une égratignure. Alors j’écris. C’est ma façon à moi de respirer. Avant de respirer, on ne sait pas qu’on est dans un état d’asphyxie. Il était temps que je respire. Pensant à elle, j’entends Whitman: I understand the large hearts of heroes. Je sais le vaste cœur des héros. 12
J’arpente des débris calcinés. Notre cuisine, notre chambre, le salon, la bibliothèque: des grottes de conte noir. Des fantômes de feuil- lages valsent sur les murs d’une chambre inconnue. J’écoute le huard pousser sa gueulante pas- sionnée. Un appel, une exhortation. Entamer comme si de rien n’était la journée qui com- mence. Je m’approche de la fenêtre, attrape les jumelles. Là, tout au bout du quai, ils sont trois, la mère et son petit que la vague esca- mote, libère, dissimule à nouveau, et le père, en cérémonieux plumage de noces, qui nage un peu plus au large. Il plonge. Je compte trente- six secondes avant qu’il refasse surface. Le nouveau temps est désaccordé. Il avance et recule à la fois, si dissemblable à ce qu’il était avant. L’heure, le jour, la semaine, le mois: la même durée tantôt dilatée, tantôt contractée, et qui fuit. 13
I am around, tenacious, acquisitive, tireless and cannot be shaken away. Je suis à l’affût, tenace, avide, infatigable, et rien ni personne ne peut m’ébranler. 14
De la cuisine monte la bonne odeur du café. Elle fredonne un air syncopé, invente un nécessaire poème de bonne humeur. Ce qui nous est arrivé nous est arrivé, c’est comme ça et puis c’est tout. Le jour est neuf, unique de son espèce, descends! Je marmonne Whitman dans ma barbe rêche: — There are millions of suns left… À venir encore, des millions de soleils… Elle ne m’entend pas. Je crie: — Je crois que je vais traduire Whitman! Tout Leaves of Grass ! Ça va m’occuper! Elle me répond: — Pourquoi pas? Je commence, dans ma tête: Loose the stop from your throat. Crache le mors qui entrave ta voix. Pas mal… 15
Je descends. Il y a exactement six mois aujourd’hui que notre maison a brûlé. 16
Marie-Claire Blais, Virginia Woolf, Jean Giono, Faulkner, Hemingway, Gabrielle Roy, Albert Camus, Colette, Maupassant, Flannery O’Connor et tant d’autres proches amis ont brûlé, indispensables compagnes, camarades de première nécessité. Les pompiers ont bien tenté de les faire sortir à la queue leu leu de la maison en flammes – quatre mille bouquins, voyons, congelés par blocs épais et lourds comme des plaques d’ardoise. Je leur ai crié: — Laissez faire, ça n’a plus d’importance! Je le pensais, ne le pensais pas, je ne savais plus. Aujourd’hui, je crois que je ne me raconte pas d’histoires quand je pense à la fois «hélas!» et «bon débarras». Suis-je pour autant protégé du piratage? J’entends d’ici Jean, mon cher ami éditeur, cla- mer: — À présent, tu citeras moins, c’est tou- jours ça de pris! 17
Si je cite tant, c’est que je ne désire pas être seul à être entré dans le monde avec au cou une sarabande de paradoxes. Et puis je suis persuadé que le courage peut venir de l’imita- tion. Forever alive, forever forward! Toujours vivant, toujours de l’avant! Qu’est-ce que la fatigue, sinon une perte de confiance, une injuste trahison du désir? Je dormirais sans finir, m’abolirais tout entier, abdiquerais tout avenir sans remords. Faux! Tu aurais des remords, tu le sais bien. La vie, l’avenir n’attendent pas. Une sieste et tu seras d’aplomb. Avec le chuintement de la pluie. Allez, descends dans la courte mort qui abolit et restaure. 18
Je cherche un de mes livres dans les décombres. Je me rappelle l’avoir composé le cœur dans la gorge et le feu au crayon. Je soulève gravats, planches cramées, tessons de bouteille et gue- nilles puantes, toussant comme un damné, mais ne déniche que de vieilles paperasses aux lettres affreusement délavées. Et puis voilà qu’apparaît, sous un chaudron noir comme cuve de sorcière, le livre de comptes que nous rangions tout au fond du bahut de la salle à manger. Je l’attrape prestement et déchiffre sur la couverture le mot incunable. Je l’ouvre. Ses pages vierges sont collées les unes aux autres par ce qui semble être du sang et qui me poisse les doigts. Coup de tonnerre et tout s’éteint. Je fixe le plafond de la chambre inconnue où danse l’ombre géante du pin. C’est un nou- vel ami, un protecteur, il monte la garde devant la maison. Quelle maison? Où suis-je? Quel jour se lève? De quel chef-d’œuvre au juste, jamais écrit, ai-je rêvé? Et qui donc chante au loin? 19
Robert Lalonde LA RECONSTRUCTION DU PARADIS Dans la nuit du 26 décembre 2018, la maison de Robert Lalonde a complètement brûlé. Cette demeure, que sa compagne et lui avaient construite et entretenue avec ardeur pendant plus de quarante ans, n’est plus qu’un tas de cendres fumant au milieu du jardin dévasté. Les pompiers ont bien tenté de faire sortir à la queue leu leu les quatre mille livres que recelait la maison en flammes. En vain, ou presque. Les maîtres de céans, après avoir cherché une porte dans l’étouffante bou- cane noire, se sont retrouvés, en plein cœur de l’hiver, tous les deux nus comme au premier jour. Pendant toute une année, ils ont caboté d’un chalet Carnets à l’autre en attendant qu’une nouvelle demeure les accueille. De cet épisode, Robert Lalonde tire un de ses textes les plus lumineux. Les livres, aussitôt par- tis en fumée, ne demandent bien sûr qu’à renaître, et un beau matin une idée vient à l’auteur : traduire Walt Whitman, tout Leaves of Grass, pour s’occuper. Ces carnets, ponctués de passages tirés de l’œuvre maî- tresse du grand poète américain, racontent comment l’écrivain, chassé d’un paradis pour en voir un autre se construire sous ses yeux, reprend ardemment goût à la vie – une vie toute nouvelle.
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