Salaire et taux de remplacement : deux catégories au coeur de la réforme d'assurance chômage - hypotheses.org
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Mathieu Grégoire (IDHE.S / Université Paris Nanterre) mgregoire@parisnanterre.fr Claire Vivès (CNAM – CEET / Lise) claire.vives@lecnam.net Document de travail – Merci de ne pas citer et ne pas diffuser Juillet 2019 Salaire et taux de remplacement : deux catégories au cœur de la réforme d’assurance chômage Cette communication est un peu différente de celle annoncée car nous avons moins avancé que prévu sur le travail sur les indicateurs alternatifs. Nous avons, de ce fait, choisi de nous appuyer sur l’actualité très chargée en matière de réforme de l’assurance chômage. La réforme en cours transforme en profondeur deux catégories fondamentales de l’indemnisation : le revenu de référence et le taux de remplacement. En France, l’indemnisation du chômage est assurée par une institution paritaire, l’Unédic, qui verse un revenu de « remplacement » qualifié « d’assurantiel » aux demandeurs d’emploi éligibles. Les non éligibles relèvent de l’assistance et perçoivent le Revenu de solidarité active ou l’Allocation de solidarité spécifique en fonction des ressources de leur ménage. Depuis la fusion entre l’ANPE et les Assédic en 2009, de nombreuses réformes de l’assurance chômage ont été menées. Qu’elles soient paramétriques ou qu’elles concernent des transformations plus importantes de la réglementation, la définition de l’indemnisation du chômage doit aujourd’hui faire face à une mise en cause des catégories sur lesquelles elle reposait jusqu’à présent. Seul un demandeur d’emploi sur deux inscrits à Pôle emploi est indemnisé et dans le même temps, un allocataire sur deux travaille. Avec le développement des formes particulières d’emploi, les frontières entre emploi et chômage se brouillent (Grégoire, Guergoat, Vivès, 2018). 1
L’indemnisation qui avait originellement pour vocation de fournir un revenu de remplacement en cas de chômage total est devenu pour un nombre croissant d’allocataires un revenu de complément, de plus perçu de manière durable. C’est d’ailleurs au nom de la nécessaire adaptation aux transformations du marché du travail qu’est menée la réforme actuelle qui modifie certaines catégories sur lesquelles s’appuyait le fonctionnement de l’indemnisation chômage. L’argumentaire au cœur de la réforme de 2019 a été le suivant : les règles en vigueur de l’indemnisation doivent être revues car elles rendraient possible le fait de gagner plus au chômage qu’en travaillant. Connaissant cette situation, les demandeurs d’emploi adopteraient des comportements stratégiques et feraient le choix d’occuper durablement des emplois précaires. Cette situation est présentée comme préjudiciable à plusieurs égards. Premièrement, elle enfermerait les demandeurs d’emploi dans la précarité. Deuxièmement, elle serait mauvaise pour les finances de l’Unédic. Troisièmement, elle serait injuste vis-à-vis des autres demandeurs d’emploi et salariés et quatrièmement, elle introduirait des inégalités entre entreprises puisque les entreprises qui font peu de CDD paieraient pour celles qui en font beaucoup. Le socle de ce discours est l’affirmation selon laquelle on pourrait gagner plus au chômage qu’en travaillant. Pour parler selon les catégories de l’assurance chômage, c’est donc le taux de remplacement qui est en jeu, à savoir le ratio entre revenu perdu et revenu perçu pendant la période d’indemnisation. Or, les règles de l’assurance chômage ont été construites pour que ce soit impossible de gagner plus au chômage qu’en travaillant. C’est donc que dans le discours sur la réforme, la définition du taux de remplacement et du revenu de référence n’est pas la même que celle en usage dans la réglementation en vigueur de l’assurance chômage. Dans cette communication, nous allons étudier les deux catégories qui sont au cœur de la réforme : le taux de remplacement et le revenu de référence. Notre analyse ne pourra être qu’exploratoire car des éléments sont toujours en cours de définition. Cependant, les orientations principales et les principes de justice sous-jacents à la réforme sont clairement établis, ce qui nous permettra d’esquisser des éléments d’’analyse. Dans une première partie, nous étudierons les définitions du taux de remplacement et du revenu de référence et leurs évolutions jusqu’à 2014 pour, dans un second temps, analyser leurs transformations dans la séquence de réforme en cours. 2
I. Qu’est-ce que le taux de remplacement lorsque l’assurance chômage devient un revenu de complément ? En matière d’indemnisation, le taux de remplacement et la référence au salaire pour calculer le revenu de référence ont connu une grande stabilité mais ces catégories ont été questionnées par le développement des formes particulières d’emploi. 1.1. Le taux de remplacement : une catégorie fondamentale en matière de protection sociale Le taux de remplacement est un indicateur commun aux revenus de remplacement de la protection sociale qu’il s’agisse de revenus versés en cas de retraite, maladie ou chômage. Le taux de remplacement est un ratio qui caractérise l’écart entre le revenu d’activité antérieurement perçu et le revenu perçu dans la nouvelle situation. Le taux de remplacement est généralement inférieur à 100 % dans la mesure où en cas de maladie, retraite ou chômage, l’allocation est inférieure au salaire mais pas nécessairement. Si la définition paraît simple, calculer un taux de remplacement nécessite de faire un certain nombre de choix pour définir quels sont les revenus pris en compte et sur quelles périodes en matière de revenus d’activité et quelles sont les allocations qui viennent s’y substituer. Ainsi, en matière d’assurance chômage, on peut ne retenir que l’indemnisation ou inclure des aides au logement ou fiscales. En France, on ne retient généralement que l’allocation alors que dans d’autres pays où la situation de chômage ouvre le droit à d’autres allocations, d’autres sources de revenu sont intégrées. L’Unédic définit le taux de remplacement comme « le rapport entre l’allocation nette perçue et le salaire net perdu ». L’Unédic ajoute « Plus le salaire antérieur est faible, plus le taux de remplacement est élevé, selon un principe de redistribution1 ». Cela signifie que les règles établies pour fixer le taux de remplacement prévoient que celui-ci varie en fonction du niveau de revenu. Outre le coefficient multiplicateur qui est appliqué, l’élément décisif du taux de remplacement est le revenu de référence choisi. C’est cet élément qui se trouve en 2019 au cœur de la réforme. 111 Unédic, Les chiffres qui comptent. Données 2017 3
1.2. En matière d’indemnisation du chômage en France : une grande stabilité dans la définition du taux de remplacement En France, entre 1979 et 2017, la définition du taux de remplacement a connu des évolutions paramétriques mais est resté dans les grandes lignes identique. Un élément décisif dans le calcul du taux de remplacement concerne le revenu de référence et en l’occurrence, le calcul du salaire journalier de référence, c’est-à-dire le salaire auquel va être appliqué le taux de remplacement. Jusqu’en 2014 inclus (le changement intervient en 2017), il est calculé en divisant la somme des salaires perçus par le nombre de jours couverts par un contrat de travail. En France, une distinction est établie entre la période retenue pour calculer l’affiliation et donc l’éligibilité et la période retenue pour calculer le revenu de référence2. Le taux appliqué au salaire de référence varie en fonction du niveau de salaire. Un autre élément caractéristique est l’application d’un plafond, c’est-à-dire un taux de remplacement maximum. En 1979, ce plafond était fixé à 90 % du salaire de référence pour descendre ensuite en 1984 à 75 %, niveau qui a perduré jusqu’à aujourd’hui. Le principe sous-jacent à ce plafond est qu’il est toujours impossible de gagner davantage au chômage qu’en travaillant. En 1979, l’allocation journalière plancher était établie à 25€10. Elle était calculée en multipliant le salaire de référence par 0,42, somme à laquelle était ajoutée une partie fixe (9€47 ou 20,53F). Le montant était le montant le plus grand obtenu selon ces deux modes de calcul. Mais il fallait que le tout soit inférieur à 90 % du salaire journalier de référence. Les évolutions du taux de remplacement ont consisté en des évolutions des parties fixes et du plafond qui est passé en 1984 à 0,75% du salaire journalier de référence. Bien que la formule de calcul reste la même, une modification importante intervient en 1993 : les nouvelles règles prévoient que les parties fixes de l’allocation soient proportionnelles à la quotité de travail. Autrement dit, pour un demandeur d’emploi qui a travaillé à mi-temps, la partie fixe n’est plus 10€90 mais 5€95. Cette réforme a évidemment pour conséquences de diminuer les indemnités des précaires. Ensuite, en 1997, 2002, 2006, 2009 et 2014, les évolutions sont paramétriques. Elles consistent à modifier légèrement les parties fixes. 2 La même distinction existe en matière de retraite où il faut voir cumulé un certain nombre de trimestres pour avoir droit à une recette à taux plein et où le montant de la pension est calculé à partir du salaire des N meilleures années (10, 25, etc. selon les régimes et les périodes). 4
1.3. Le développement de l’« activité réduite » interroge la signification du taux de remplacement En dépit d’une grande stabilité des paramètres, la catégorie de taux de remplacement va se trouver questionnée par le développement de l’emploi précaire. Comme l’indique l’expression « taux de remplacement », l’allocation chômage a été initialement pensée comme un revenu de remplacement. Depuis 1958, est allocataire l’individu involontairement privé d’emploi et disponible pour rechercher et occuper un emploi qui remplit les conditions d’affiliation. Il reçoit un revenu de remplacement qui vient se substituer au revenu tiré de l’emploi perdu. L’indemnisation du chômage est conçue pour indemniser le chômage dit « total ». A l’époque, le chômage est défini comme total pour le distinguer du chômage « partiel ». L’idée sous- jacente est que l’assurance chômage ne doit pas permettre à une entreprise de garder un salarié en le rémunérant que partiellement et en faisant financer le complément par l’assurance chômage. A cette période, le fait de reprendre une activité, même très ponctuelle, avait pour conséquence d’entrainer la perte du statut d’allocataire et donc de l’indemnisation. En réponse au développement de l’emploi précaire et pour lutter contre le travail non déclaré, les règles d’indemnisation sont adaptées pour indemniser l’activité dite « réduite ». Il s’agit d’une modalité d’indemnisation à laquelle sont éligibles certains des allocataires qui travaillent. Bien que ce dispositif ouvre la possibilité d’un cumul, l’Unédic insiste sur le fait que sa mission reste d’indemniser le chômage total. Ainsi, dans un article du Bulletin de liaison de 1986 qui a vocation à « rappel[er] les principes sur lesquels ce traitement [de l’activité réduite] est fondé, [… il est précisé que] la vocation du régime d’assurance chômage est l’indemnisation du chômage total3 ». Outre l’affirmation dans les textes, cette mission transparaît également dans les règles élaborées pour régir le cumul. Elles reposent sur deux fondements. Premièrement, l’allocataire dispose de droits à l’assurance chômage au titre de son statut de demandeur d’emploi. Comme un allocataire en chômage total, le fait d’avoir perdu son emploi, d’être inscrit comme demandeur d’emploi, de remplir les conditions de cotisations préalables, et de satisfaire aux obligations de recherche d’un emploi justifient l’indemnisation. Lui a cependant la particularité d’être en emploi. Ces deux situations d’emploi et de chômage qui étaient auparavant exclusives sont ainsi reconnues comme pouvant être simultanées. Deuxièmement, l’indemnisation perçue est un pourcentage de celle qu’il percevrait s’il était en chômage total. Le calcul de ce pourcentage 3 Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, « Activité des instances paritaires des Assedic en 1985 », n° 103. 5
résulte d’une mise en équivalence qui revient à créer une situation fictive où l’allocataire serait en chômage total certains jours du mois (Vivès, 2018). Le cumul de l’allocation et du nouveau revenu ne peut être supérieur au salaire mensuel de référence4. L’allocation versée vient compléter le nouveau revenu pour s’approcher de l’ancien. Cette règle change le statut de l’indemnisation : conçue pour être un revenu de remplacement en cas de privation d’emploi, elle devient un revenu de complément qui s’ajoute à la rémunération d’une autre activité. L’allocataire consomme ses droits plus lentement puisqu’il est indemnisé seulement certains jours dans le mois, ce qui lui donne la possibilité de percevoir une allocation partielle jusqu’à épuisement de ses droits pendant toute la période de cumul autorisée. En matière de calcul du montant de l’indemnisation et du taux de remplacement, les règles sont inchangées. Le taux de remplacement est appliqué sur le salaire journalier de référence pour obtenir le montant d’une indemnisation journalière. Ensuite, l’allocation journalière est multipliée par le nombre de jours de chômage total (cf. supra). L’activité réduite entraine un brouillage des frontières entre revenu de remplacement et revenu de complément. Les modalités de calcul sont les mêmes que celles d’un revenu de remplacement mais elle fait office de revenu de complément. II. Une séquence de réformes qui, au nom de l’équité, redéfinit le revenu de référence Depuis 2015, l’idée que les règles d’indemnisation seraient trop favorables aux plus précaires gagne du terrain. Leur modification repose sur une nouvelle définition du revenu de référence qui se traduit par des montants d’allocation plus faibles. 2.1. La modification du calcul du revenu de référence au cœur de la réforme de 2019 Les situations où l’indemnisation fait office de revenu de complément sont au cœur de la réforme menée en 2019. A partir de l’hiver 2019, une affirmation est mise en avant de manière récurrente par le gouvernement pour justifier la réforme : il serait possible de gagner plus au chômage qu’en travaillant. Ainsi, lors d'une conférence de presse, le 26 février 2019, Edouard 4 Le salaire de référence est le salaire à partir duquel est calculé l’allocation. Il est obtenu à partir des rémunérations perçues au cours de la période de référence. 6
Philippe a évoqué "les cas où le montant de l'allocation chômage mensuelle est plus élevé que le salaire mensuel moyen perçu antérieurement". Toujours au cours de la même conférence de presse, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, a avancé le chiffre d’un demandeur d’emploi sur cinq qui serait dans cette situation. Ce chiffre a suscité des interrogations et a été démenti aussi bien par l’Unédic que par différents spécialistes de l’assurance chômage. Pour autant, il n’a pas cessé de circuler et s’est même trouvé de moins en moins contesté. A tel point qu’il n’était plus contesté du tout ou presque lorsque l’exécutif l’a remobilisé au moment de la présentation de la réforme le 18 juin 2019 et dans les débats qui ont suivi. Cette affirmation qui n’était initialement par sourcée a fini par l’être avec la publication d’une note de Pôle emploi le 29 mars 2019. L’analyse de cette note permet de comprendre comment ce chiffre a été construit et quelles définitions du taux de remplacement et du revenu de référence le sous- tendent. Dans cette note, le mode de calcul du taux de remplacement change de définition. La note est intitulée : « taux de remplacement mensuel net ». Ce terme n’est jamais présent dans les publications de l’Unédic pour la bonne raison qu’il n’a pas d’existence dans la réglementation en vigueur. Le mode de calcul du taux de remplacement retenu par Pôle emploi qui aurait alimenté les discours gouvernementaux est le suivant : le taux de remplacement devient le ratio entre le montant mensuel net de l’allocation et le salaire net moyen perçu au cours d’une période qui correspond à l’ensemble des mois de la période d’affiliation où au moins un jour a été travaillé. Les données au numérateur et au dénominateur sont potentiellement différentes de celles habituellement utilisées pour calculer le taux de remplacement et le sont à coup sûr en cas d’emploi discontinu. Comme indiqué dans la note de Pôle emploi : « l’allocation se calcule [actuellement] sur une base journalière : son montant est déterminé à partir des seuls jours travaillés5 ». Selon le nouveau calcul, dans l’exemple pris par Pôle emploi, le demandeur d’emploi a mis 11 mois pour avoir droit à 4 mois d’indemnisation. Pour une même durée d’indemnisation, on aurait pu prendre l’exemple d’un demandeur d’emploi travaillant à temps plein pendant 4 mois (son taux de remplacement aurait alors été inférieur au cas pris en exemple) ou un demandeur d’emploi mettant 28 mois pour accumuler les jours nécessaires (son taux de remplacement aurait été encore plus élevé). Dans la réglementation actuellement en vigueur, pour une période travaillée identique (88 jours), le demandeur d’emploi, quel que soit 5 Pôle emploi, 2019, « Taux de remplacement mensuel net », p. 1. 7
son taux de remplacement mensuel net moyen, perçoit toujours le même droit à l’assurance chômage, qu’il mette 4 mois, 8 mois ou 28 mois à ouvrir ce droit. Le caractère arbitraire (dans le sens où la définition retenue ne correspond pas à une définition inscrite dans une réglementation) de cet indicateur est même reconnu dans une des notes de bas de page qui précise qu’« une autre option aurait consisté à calculer le salaire moyen sur l’ensemble de la période d’affiliation (y compris les mois sans aucune activité). Cette option conduirait à un salaire mensuel moyen plus faible, et donc à un taux de remplacement plus élevé. Suivant cette méthode un nombre encore plus important de demandeurs d’emplois auraient une indemnisation supérieure au salaire moyen net mensuel6 ». Pour ce chiffrage, le choix est fait de prendre comme revenu de référence un revenu mensuel moyen qui ne correspond pas aux modalités de définition en vigueur dans l’assurance chômage. Le salaire, dans la définition de Pôle emploi, ne correspond pas à un revenu du travail mais à un revenu sur une période. Cela revient à modifier le mode de calcul du taux de remplacement en incluant les jours non travaillés (alors qu’auparavant seuls les jours travaillés étaient pris en compte) ce qui mécaniquement fait baisser le salaire de référence et donc, à taux de remplacement identique, a pour conséquence de baisser le montant de l’allocation. Une grande partie de la réforme est justifiée par cette nouvelle définition du taux de remplacement. Un nouvel indicateur est imposé médiatiquement alors qu’il n’a aucune existence réglementaire et qu’il est même un contresens par rapport à la réglementation en vigueur assise sur la référence au salaire. 2.2. Des éléments annonciateurs de cette nouvelle définition S’il est vrai que ces définitions du taux de remplacement et du salaire de référence ne correspondent pas à des catégories jusqu’ici en usage en matière d’indemnisation, il est possible d’identifier dans les années précédentes, des mises en cause et des transformations de la réglementation annonciatrices de cet élément. Une note rédigée par Pierre Cahuc et Corinne Prost pour le Conseil d’Analyse économique, publiée en 2015 et intitulée « Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi » va jouer un rôle clé dans les transformations de la réglementation d’assurance chômage. Dans ce document en date de septembre 2015, deux caractéristiques de l’assurance 6 Pôle emploi, 2019, « Taux de remplacement mensuel net », note de bas de page n° 2, page 2. 8
chômage française sont accusées de favoriser le développement des contrats instables : la possibilité de cumuler allocation chômage et salaire dans des conditions présentées comme avantageuses et sans limitation de durée et le fait que les entreprises qui recourent fortement aux contrats courts ne cotisent pas davantage à l’assurance chômage alors qu’elles coûtent davantage. Nous nous intéressons ici seulement au premier point de ce texte qui préconise un changement des modalités de calcul du salaire de référence. Alors que pendant de nombreuses années, la réglementation de l’activité réduite avait pour objectif d’inciter les demandeurs d’emploi à reprendre un emploi, dans ce texte, elle est présentée comme étant à l’origine de l’instabilité. Corrélativement et cohérence avec les hypothèses qui sous-tendent les travaux des économistes orthodoxes, les demandeurs d’emploi sont présentés comme des agents non seulement rationnels mais stratèges qui optimisent en fonction de ces règles. La note met en avant une particularité du mode de calcul de l’activité réduite qui sera ensuite mobilisée sans relâche. Elle pointe le fait qu’au regard des règles de l’activité réduite, « dans ces circonstances, pour un même revenu mensuel, le salaire journalier de référence est d’autant plus élevé que le nombre de jours travaillés est faible. Un allocataire réadmis à la fin de sa période courante d’indemnisation sur la base des salaires issus de son activité réduite a tout intérêt à travailler une semaine sur deux plutôt qu’à mi-temps en continu. Son salaire de référence est deux fois plus élevé dans le premier cas7. » La caractéristique de leur propos est de réfléchir à des formes d’optimisation des règles d’activité réduite comme si un allocataire avait le choix entre différents rythmes de travail : travail à temps plein, travail à mi-temps en continu, travail pendant 15 jours et chômage pendant 15 jours avec ce cycle répété à l’infini, etc. Comme nous l’avons expliqué, dans les règles alors en vigueur, pour calculer le salaire de référence, on reconstitue sur une base journalière des périodes de chômage total. Pour cela, les périodes non travaillées sont exclues. L’existence de périodes non travaillées se traduit par le fait que l’allocataire met plus longtemps à être éligible que s’il travaillait en continu (puisqu’il peut mettre jusqu’à 28 mois pour accumuler 88 jours de cotisations) mais cela ne se traduit pas sur le montant du revenu de référence. De ce fait, un allocataire B qui a davantage de périodes travaillées qu’un allocataire A peut avoir un revenu 7 P. Cahuc, C. Prost, 2015, « Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi », Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 24, septembre 2015, p. 5. 9
de référence inférieur si son salaire perçu les jours travaillés est inférieur. Cependant, il sera indemnisé pour une durée plus longue. Cette caractéristique – présentée depuis quelques années seulement comme injuste – a fait l’objet d’une première modification lors de la convention datée du 14 avril 2017. Lors de la négociation de cet accord, les parties signataires8 ont revu les modalités de comptabilisation des jours travaillés. Le système antérieur comptabilisait le nombre de jours couverts par le contrat, qu’ils soient ou pas des jours travaillés. Désormais, seuls les jours effectivement travaillés comptent. Cette réforme supprime les règles de calcul spécifiques destinées aux intérimaires. Pour chaque demandeur d’emploi quelle que soit sa situation contractuelle, il faut avoir cotisé 88 jours ou 610 heures pour passer le seuil d’éligibilité à l’indemnisation. Cette modification a des conséquences, de fait, uniquement sur les personnes qui ne travaillent pas à temps plein. 2.3. Le contenu de la réforme de 2019 La réforme dont les grandes lignes ont été dévoilées le 18 juin 2019 et dont les décrets sont en cours de finalisation modifie les définitions du taux de remplacement et du revenu de référence en reprenant la même logique mais en mettant davantage en cause les catégories sous-jacentes à la réglementation de l’indemnisation. Un certain nombre de paramètres reste à définir mais il est d’ores et déjà clair que la réforme modifie les modalités de calcul du revenu de référence. Il s’agira d’un revenu de référence et non d’un salaire de référence. Pour le calculer, les périodes non travaillées ne seront plus exclues, ce qui par conséquent, modifiera le taux de remplacement puisque le revenu de référence sera plus faible. 2.4. Une réforme faite au nom de l’équité Que ce soit dans la note du CAE de 2015, dans les règles modifiées en 2017 ou dans celles de 2019, l’évolution des règles ne concernent que les travailleurs qui occupent des emplois discontinus. Les modifications consistent à modifier le calcul du revenu de référence en incluant les périodes non travaillées. Alors que jusqu’en 2014, le choix avait été fait de renforcer les incitations à la reprise d’un emploi court en apportant des droits supplémentaires, en 2019, la 8 A savoir les trois organisations patronales (Medef, U2P, CPME) et côté organisations syndicales de salariés la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et la CGT-FO. 10
réforme pénalisent les allocataires pour les périodes non travaillées9, ce qui a pour effet de renforcer leur subordination au marché du travail. Ce choix est fait au nom de l’égalité avec l’idée selon laquelle les allocataires sont responsables de leur situation de chômage puisqu’ils auraient le choix entre travailler de manière continue, occuper des emplois précaires ou ne pas travailler. La réforme est présentée comme visant à adapter les règles d’indemnisation aux évolutions du marché du travail en modifiant la couverture des allocataires en contrats courts. Les modifications des règles sont présentées comme une « correction », ce qui est une manière de minimiser la portée politique du changement. Les modifications apportées sont présentées comme une rectification alors que des dispositions plus favorables pour les plus précaires avaient été introduites volontairement. Cela était explicitement le cas pour les intérimaires qui, jusqu’en 2017, avaient des règles spécifiques de comptabilisation de leur temps travaillé (inscrites dans l’annexe IV au règlement général). La ministre justifie cette réforme du mode de calcul de l’indemnité chômage par le principe « à travail égal droit égal ». La conséquence de la réforme sera en fait de renforcer encore le caractère contributif de l’assurance chômage10. La communication de l’Unédic insistait déjà lourdement sur cet élément en répétant sur de multiples supports qu’« ainsi [avec les nouvelles règles de 2017], tout salarié bénéficie des mêmes conditions d’accès, quelle que soit la nature de son contrat de travail11 ». Suite à la réforme, le régime d’indemnisation du chômage accordera de bons droits à ceux qui ont de bons emplois alors que ceux qui ont des emplois discontinus et mal payés n’auront que des droits à indemnisation faibles. Notons-le au passage, c’est le même principe de « contributivité stricte » qui est au cœur du projet de retraite par point qui constituera un deuxième coup de massue pour tous les salariés dont les parcours se départissent de l’emploi stable, bien payé et sans accroc tout au long de la carrière. La tendance à l’approfondissement de la contributivité stricte est ancienne dans l’assurance chômage. Auparavant, le fait qu’il n’y ait pas stricte égalité entre cotisation et prestation n’était pas présenté comme inégalitaire. De même qu’aujourd’hui, le fait de cotiser quatre ou six mois pour rien (puisque le salarié ne parvient pas à franchir le seuil d’éligibilité) n’est pas présenté comme une injustice. L’approfondissement de la contributivité franchit une étape supplémentaire puisque la contributivité qui s’appliquait auparavant au salaire journalier de 9 De fait, contrairement à la communication gouvernementale, cette réforme ne vise pas à lutter contre la précarité mais pénalise toute période non travaillée. Les allocataires auront intérêt à prendre un emploi, même pour une heure, ce qui n’était pas le cas avant la réforme. 10 Sur ce point voir : Grégoire M., Higelé J.-P., Vivès C., « Réforme de l’assurance chômage : renouer avec le caractère salalrial de la protection contre le chômage », AOC, 21 mars 2019. 11 Unédic, 2017, Essentiel sur la convention 2017. 11
référence, se calcule désormais au niveau d’une période en pénalisant les périodes non travaillées. Alors que la contributivité est généralement associée à la référence au salaire, il y a désormais suppression de la référence salariale pour rendre la contributivité encore plus stricte. Au nom de la nécessité d’adapter les règles d’indemnisation aux transformations du marché du travail pour les rendre plus justes, la réforme en cours modifie la définition du revenu de référence et indirectement le taux de remplacement. Ceci a pour effet de renforcer la subordination des salariés à l’emploi discontinu. La réforme en cours de l’assurance chômage transforme en profondeur les catégories de l’indemnisation. Bien qu’ayant déjà connu des évolutions, l’indemnisation fonctionnait comme un revenu de remplacement qui prenait comme référence le salaire perçu au cours des jours travaillés auquel était appliqué un taux de remplacement. La réforme actuelle consiste à supprimer la référence salariale pour adopter un revenu de référence calculé sur une période. Cette transformation conduit à augmenter le caractère contributif de l’indemnisation (mettant en cause le lien souvent établi en matière de protection sociale entre référence au salaire et contributivité). Ces nouvelles règles reposent sur une nouvelle définition du taux de remplacement justifiée par des discours sur l’équité entre demandeurs d’emploi. Ces discours présentent comme incontestablement justes de nouveaux principes de justice pourtant conventionnels. Ces changements ont pour effets de renforcer la subordination des salariés qui occupent des emplois précaires. Bibliographie (provisoire) Grégoire M. et Guergoat-Larivière M., Vivès C., 2018, « Introduction générale. Discontinuités de l’emploi et indemnisation du chômage », Socio-économie du Travail, numéro thématique « Discontinuités de l’emploi et indemnisation du chômage », n° 3, 2018-1, p. 15-30 Vivès C., 2018, « Règles d'indemnisation et justifications de "l'activité réduite" : le sens de l'Assurance chômage en question (1983-2014) », Dossier « Troubles dans la protection sociale », Revue française de socioéconomie, n° 20, Juin 2018, p. 61-81 12
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