MARUANI Margaret (2002) Les mécomptes du chômage
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Notes de lecture Conférences « Au fil du travail des sciences sociales » 2004-2005 Responsable : Pierre Mercklé MARUANI Margaret (2002) Les mécomptes du chômage Note de lecture réalisée par Aude Abensour et Eric Monnet (ENS-LSH) MARUANI Margaret (2002), Les mécomptes du chômage, Paris, Bayard, 2002 Partant du constat de la multiplicité des définitions et des chiffres du chômage, Margaret Maruani propose « un essai de décodage sociologique des mécomptes de la pénurie d’emploi » qui tente de comprendre à partir de quelles normes sociales sont construits les instruments de mesure du chômage, du sous-emploi et de la pauvreté salariale, et pose ainsi les limites de la signification des chiffres usuels en sciences sociales ou en politique. En particulier, l’auteur interroge la capacité de ces indicateurs à rendre compte des mutations de la société salariale, à rendre lisible « la montée en puissance des emplois atypiques, tout comme l’essor de la pauvreté laborieuse ». Autour d’une discussion sur la pertinence de catégories statistiques, cet ouvrage permet donc également une exploration du marché du travail à partir du problème de sous-emploi, ainsi que de celui des différences entre les sexes qui apparaissent nettement dans les problèmes de chômage et de pauvreté laborieuse. Les Mécomptes Du Chômage s’inscrivent en effet dans les préoccupations principales de l’auteure, fondatrice du groupe de recherche Marché du travail et Genre (MAGE) et directrice de la revue Travail, genre et sociétés. Définitions et mesures C’est d’abord la définition même du chômage qu’il faut questionner. Selon que l’on prend pour référence l’INSEE, l’ANPE ou le BIT, les différences sont nombreuses, notamment en ce qui concerne la prise en compte de la disponibilité des travailleurs, la date du dernier emploi et les démarches administratives. La diversité des chiffres résulte bien évidemment de ces définitions et relativise la portée de ces indicateurs : en 1999, on observe ainsi que l’ANPE comptabilisait 773.000 chômeurs de moins que l’INSEE. Il est donc nécessaire de replacer tout indicateur dans le contexte de sa définition ; la notion de chômage est d’ailleurs récente, datant du dernier quart du XIXe siècle, et son évolution confirme son statut de « construction sociale mouvante et non de réalité clairement identifiable » (p. 16). Les « frontières du chômage » demeurent donc floues. Qui comprennent-elles ? Qui excluent-elles ? Elles repoussent clairement ceux qui ne travaillent que quelques heures de temps à autre, ceux qui sont découragés par les démarches administratives, ceux qui sont indisponibles pour diverses raisons et ceux considérés comme inactifs. Ces situations ne doivent pourtant surtout pas être exclues de l’analyse du chômage ; Jacques Freyssinet l’affirme ainsi : « S’il est difficile de mesurer le chômage, c’est principalement parce que des franges importantes de la population se trouvent dans des positions intermédiaires entre l’emploi, l’inactivité et le chômage. » (Le chômage, Paris, La Découverte, 1998). Il est également indispensable de comprendre où se situe la frontière entre inactivité et chômage, comment celle-ci se constitue, et de quelles normes sociales elle dépend. Chômeurs officiels et chômeurs de l’ombre « Général mais inégal, massif et sélectif : telles sont les deux caractéristiques du chômage contemporain. » (p. 23) : les chiffres officiels renvoient en effet une image nette d’une inégalité profonde sur le marché du travail. Quatre éléments sont nettement discriminants – le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle, la nationalité – et
Notes de lectures ENS-LSH 2 s’accumulent. Les jeunes étrangers sont, par exemple, cinq fois plus au chômage que les français d’âge intermédiaire, les femmes étrangères six fois plus. Selon M.Maruani le contraste entre l’inégalité manifeste des chiffres et la quasi-absence dans les débats publics sur le chômage de cette question rejoint le problème général de la tolérance sociale aux inégalités : « le niveau de chômage “tolérable”, tout comme le degré d’insécurité de l’emploi admissible, varie fortement selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes, de cadres ou d’ouvrier-e-s, de jeunes ou de moins jeunes. » (p. 29) Mais à coté des comptes officiels existent d’autres catégories de « chômeurs », également mesurées et repérées, qui n’entrent pourtant pas dans les définitions usuelles du chômage. Dans un rapport au Premier ministre datant de 1997, Robert Castel, Jean-Paul Fitoussi, Jacques Freyssinet et H. Guaino concluaient : « Près de 7 millions de personnes sont touchées plus ou moins fortement par les difficultés de l’emploi ». Les catégories que l’on peut qualifier de chômeurs découragés (ceux qui même inscrits à l’ANPE, ont cessé toute démarche de recherche), chômeurs indisponibles (ceux qui ne pourraient pas se mettre au travail sous 15 jours), chômeurs en activité réduite (ceux qui ont travaillé au moins une heure durant la semaine précédente), sont ainsi exclues de la définition du BIT qui est au fondement de l’enquête emploi de l’INSEE. Comment interpréter ces « motifs légitimes de l’exclusion du chômage » ? Les chiffres et les catégories sont en effet loin d’être neutres et doivent être interprétés comme porteurs de normes sociales et de choix politiques. « Le tout est de savoir ce qu’une société reconnaît à un moment donné comme étant son chômage. Etre chômeur, ce n’est pas seulement être sans emploi. C’est faire partie d’une catégorie à laquelle on accorde la légitimité de prétendre à un emploi. » (p. 42) De ce point de vue, l’analyse des chômeurs de l’ombre doit se doubler de l’analyse de l’inactivité qui cache parfois du chômage déguisé. Significations de l’inactivité Margaret Maruani laisse de côté la part d’arbitrage individuel et les décisions statistiques pour se concentrer sur les politiques publiques qui tendent à transformer du chômage en inactivité. Cette perspective permet de mettre en valeur l’importance des normes et choix politiques dans les comptes du chômage. Les deux catégories clairement visées par les « politiques de l’inactivité » sont les travailleurs âgés et les jeunes mères de famille. D’un côté, les mesures facilitant l’accès à la préretraite marquent une incitation à l’inactivité précoce. Bienfaits ou méfaits, ces politiques entraînent clairement de nombreux passages de la catégorie statistique « chômeur » à celle d’ « inactif ». De l’autre côté, l’allocation parentale d’éducation (APE), même si elle n’est pas présentée comme telle, apparaît comme une incitation au retrait des femmes du marché du travail ; 98 % des bénéficiaires sont des femmes, mais pas n’importe quelles femmes : ce sont avant tout des femmes de milieu modeste, pour la plupart en situation de chômage ou de grande précarité qui peuvent trouver un avantage financier à échanger leur indemnité de chômage ou un travail à temps partiel contre de l’APE1. « En terme de politique familiale, les effets positifs et négatifs de l’APE sont évidemment discutables. Mais du point de vue de l’emploi, les méfaits sont incontestables. On sait maintenant qu’après trois années d’allocation, les perspectives d’emploi se ferment. » (p. 56) L’auteure conclut ainsi cette analyse des incitations politiques à l’inactivité : « L’évolution de la situation de l’emploi ne peut donc s’évaluer uniquement à l’aune de la courbe du chômage. L’inactivité, dans bien des cas, masque le chômage et doit être étudiée en tant que telle : une des formes d’exclusion du marché du travail, une des façons de gommer le chômage. » (p. 58) D’une façon plus large, les interventions de l’Etat sur le marché du travail (indemnisation chômage, protections sociales…) peuvent contribuer à la requalification du non-emploi en retraite, en inactivité ou même en invalidité et brouiller les pistes de lisibilité du chômage. Au Royaume-Uni, les statistiques dévoilent en effet un sous-chômage féminin qui révèle en fait une politique qui incite nettement les femmes travaillant à temps partiel ou étant au chômage à entrer dans la catégorie « inactive ». Ces tendances à pousser les femmes vers l’inactivité se retrouvent dans tous les pays d’Europe et ne cachent guère les vues sous jacentes et les normes qui les impliquent, c'est-à-dire l’image du « chef de famille » apportant le revenu principal au foyer. De la volonté d’enrayer le chômage est né, selon Margaret Maruani, une situation de « plein chômage » dans une société libérale, c’est-à-dire une société imprégnée du rationnement de l’emploi. C’est, selon elle, « au nom du chômage que l’on précarise l‘emploi et que l’on rejette certaine catégorie de salarié-e-s. Les nouvelles formes d’emploi et leur caractéristique Pour l’auteure, les maîtres mots pour définir la kyrielle de nouveaux emplois survenus lors de la montée du chômage sont précarisation et sous-emploi. Si le premier thème fait l’objet d’une très abondante réflexion au sein des études sur l’emploi et le chômage, le deuxième passe quant à lui inaperçu du fait de sa symbolique et de la proximité de sa forme avec le « travail à temps partiel », traditionnellement « bon pour les femmes ». En France, en 2001, les « emplois atypiques », qui ont connu une croissance ininterrompue entre 1985 et 2000, représentaient 25% de l’emploi total. Il en existe cependant deux formes que l’auteur caractérise : pour elles doivent donc être distingués les « formes particulières d’emplois » parce que moins stables et d’une durée non-conforme à la 1 voir C. Afsa, « L’activité féminine à l’épreuve de l’APE » in Recherches et prévisions, n°46, 1996.
Notes de lectures ENS-LSH 3 norme, et les emplois à temps partiels assimilable à du sous-emploi du point de vue du temps de travail et du salaire mensuel. Il y a différents temps partiels : ceux sur fond de sécurité de l’emploi, qui choisissent leurs horaires de travail, dans le secteur public notamment ; et ceux qui se déploient dans la précarité (salaire horaires moins élevés) et l’instabilité extrême, et dont on attend « disponibilité permanente », ce qui aboutit dans de nombreux cas à un « destruction maximale de la vie privée » pour maintenir un niveau de salaire convenable, comme le note Nathalie Cattanéo2. Ce sont ceux du secteur privé. Si Margaret Maruani insiste bien sur l’hétérogénéité des situations de sous- emplois en France, elle note deux points communs : « les emplois précaires sont devenus un préalable à l’embauche en même temps qu’un prélude au chômage »3 ; et l’ instabilité qui les caractérise les assimile tous à la précarité et les rapproche du chômage. Le temps partiel, le sous-emploi et la précarité C’est la question du revenu qui donne tout son sens à la notion de sous-emploi comptabilisé par l’INSEE et le BIT. Le sous-emploi, bien visible, comprend « les personnes qui travaillent involontairement moins que la durée normale du travail dans leur activité et qui étaient à la recherche d’un travail supplémentaire ou disponibles pour un tel travail ». En 2001 en France, cela concernait 1,5 million de personnes. L’auteure part d’un constat : quand la pression du chômage faiblit, le sous-emploi se réduit. Elle en conclut que le travail à temps partiel a été le moteur du sous-emploi et l’accélérateur d’un processus de paupérisation d’une partie du salariat, et majoritairement de la frange féminine du monde du travail. Cela n’empêche pas que pour Margaret Maruani, les analyses de la précarité due à l’emploi sont biaisées, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, elles omettent de considérer le groupe des travailleurs précaires comme un flux, et « l’essentiel de ce qui bouge sur le marché du travail »4 ; ensuite, les réflexions relatives à la réduction du temps de travail ont totalement écarté celles dont l’objet étaient de trouver plus de travail à ceux qui en manquaient ; enfin, les réflexions sont biaisées par la mauvaise foi des débats qui assimilent les « temps partiels » à un art de vivre qui permet de concilier vie professionnelle et vie familiale et qui restreignent la question au seul cas des femmes. L’auteure fait une distinction entre revenu et salaire pour mettre en évidence la valeur sociale du travail : le revenu nous donne une évaluation des gains monétaires à partir d’un ensemble, tandis que le salaire mesure ce que rapporte le travail et uniquement le travail. Ainsi, que penser de ces miettes d’emploi où ne sait pas ce que l’on gagnera à la fin du mois ? L’idée qui ressort est donc la nécessité de mettre un terme à la pertinence de la notion de « choix » dans tous les cas de travail à temps partiel. Il y a bien plus des pressions qui sont tant d’ordre économique, domestique qu’idéologique. Pour la majorité des salarié-e-s, le temps partiel est décidé par l’employeur à l’embauche et le temps partiel choisi pour s’occuper des enfants reste minoritaire, y compris chez les femmes. Travailleurs pauvres et salariés pauvres A partir d’une comparaison avec la situation outre-atlantique, où l’on a préférer juguler le chômage à coup de mauvais emplois (les « bad jobs »), M. Maruani montre que la France connaît elle aussi la « pauvreté laborieuse », phénomène difficile à cerner, à délimiter et à recenser. Plusieurs acceptions coexistent et le choix d’une définition est extrêmement polémique, voire politique. Un problème tient à la notion même de travailleur. Aux Etats-Unis le « working poor » est un travailleur ou un chômeur pauvre. En France, on distingue un travailleur d’un actif pauvre. Pour Bruce W. Klein et Philip L. Rones, il y a trois critères de définition de la pauvreté laborieuse : le seuil de pauvreté, la présence sur le marché du travail, et la prise en compte du niveau de la famille. Aux Etats-Unis, le seuil est un seuil absolu ; en France, il est relatif et référé au salaire médian. Il y a en France, trois définitions de pauvreté : la pauvreté monétaire, à partir de laquelle se fait l’estimation des seuils de pauvreté , la « pauvreté d’existence » et la pauvreté subjective. L’INSEE a opté pour une définition relative qui repose sur les niveaux de vie médians et établit le seuil de pauvreté à 50% du revenu médian. Eurostat, l’Institut européen des Statistiques a opté pour un seuil fixé à 60%, différence qui multiplie le nombre de pauvre en France par deux. Face à ces seuils discrétionnaires « vides de sens » et à la disparité des statistiques (les travailleurs pauvres sont 1,3 million selon l’INSEE et 2,4 millions d’après Eurostat), l’auteur se demande quel pourrait être l’indicateur pertinent de la pauvreté laborieuse. Il s’agit d’abord d’établir une échelle stricte des travailleurs pauvres et de requalifier les groupes en fonction de ce que la pression du chômage et la croissance du travail à temps partiel a impulsé de paupérisation au salariat. En 2001, 3,4 millions de salarié-e-s, des femmes en grande majorité et des hommes peu qualifiés, perçoivent un salaire inférieur au SMIC. Il faut distinguer les « travailleurs pauvres », qui sont statistiquement des hommes dont les femmes ne travaillent pas, et les « salarié-e-s pauvres », terme que l’auteure préfère et qui sont pour beaucoup des femmes qui travaillent à temps partiel. 2 Nathalie Cattanéo, « le travail à temps partiel : un rêve ou un cauchemar », thèse soutenue à l’université de Paris VII 3 Margaret Maruani et Emmanuèle Reynaud, Sociologie de l’emploi, La découverte, 2001 4 Olivier Marchand, Plein emploi, l’improbable retour, Gallimard, 2002
Notes de lectures ENS-LSH 4 L’auteure invoque une hiérarchie des salariés pauvres : les « bas salaires » (dont le seuil est égal à 98% du SMIC), ou pauvreté issue du travail, et les très bas salaires (seuil à 73%), qui ont connu une croissance extrêmement rapide. Ainsi, 60% des travailleurs pauvres sont des hommes, mais 80% des salarié-e-s pauvres (c’est-à-dire ceux qui travaillent pour des bas salaires) sont des femmes. Cette contradiction s’explique non part la quantité mais la caractérisation des individus concernés. Salariés pauvres et ménages pauvres Un « working poor » en France est une personne « travaillant et vivant au sein d’un ménage pauvre ». Le niveau de vie du travailleur est assimilé à celui de la famille. Curieuse définition donc, puisque rien n’indique que la famille du travailleur soit un critère central. Le choix de l’individu ou du ménage un choix lourd de conséquence. Tout dépend de ce que l’on cherche à cerner mais se baser sur l’individu est la seule façon dévaluer avec précision la pauvreté issue du travail. Tandis que se référer au ménage, c’est agglomérer des situations diverses et les convertir en une « moyenne familiale » qui fait fi de l’autonomie des individus et brouiller l’analyse des causes de la pauvreté. Cela vient confirmer le constat de Christine Lagarenne et Nadine Legendre : « le risque de pauvreté est directement lié à l’activité [du] conjoint. »5 Le concept de pauvreté laborieuse met ainsi en évidence le cumul des risques de pauvreté dans les familles ou les femmes sont inactives. Femmes et temps partiels « Le travail à temps partiel a été construit de toutes pièces comme la forme d’emploi idéal pour les femmes […]. » De fait, le temps partiel est réservé aux femmes. En France, les salariés à temps partiels sont pour 84% des femmes, chiffre dont l’importance n’est pas une spécificité française au sein de l’Europe. Les temps partiel bénéficie d’une véritable immunité politique, qui est dit-on un « bienfait pour les femmes ». C’est, pour M. Maruani, méconnaître la diversité des attentes des femmes en terme d’emploi puisque toutes ne souhaitent pas profiter d’un statut partiel, tant dans l’emploi que dans le salaire. Ainsi, l’auteure parvient-elle à inclure une distinction sémantique importante : on distingue « travail à temps réduit » (aménagement individuel et volontaire du temps de travail) et « emploi partiel » (embauche à temps partiel décidé par l’employeur). C’est selon l’auteure, le retour en force du modèle de Monsieur Gagne-Pain, subvenant à la totalité des besoins de sa famille, qui fait prospérer l’idée de « salaire d’appoint » ramené par la femme. Cela explique également pourquoi les femmes qui travaillent pour un salaire inférieur au SMIC n’apparaissent pas dans le recensement de la pauvreté laborieuse, en tant que membre de la catégorie des working poors, dont le décompte statistique est volontaire. Cela fait comprendre au passage qu’on ne peut réellement se rendre compte de l’ampleur de la paupérisation engendrée par le sous-emploi et l’indigence des revenus du travail. Mais l’idée de salaire d’appoint est selon elle « fausse », « désuète » et « illogique », voir « idéologique ». Elle ne correspond à aucune réalité sociale, le modèle du prince et de la bergère étant assez peu répandu. Aussi, parmi ces salariées pauvres, est-il possible de distinguer deux cas de figure : le cas le plus répandu, de celles dont le salaire est vital parce qu’il est le seul ou le principal apport du ménage (35%) et le cas de celles qui vivent dans des ménages où le conjoint n’est ni chômeur, ni travailleur pauvre, mais où le salaire reste essentiel au ménage. Plein emploi et/ou chômage De juin 1997 à mai 2001, le taux de chômage conventionnel passe de 12,6% à 8,7%. Liées à la croissance de l’économie et aux lois sur les 35 heures, les créations d’emploi ont été nombreuses. Pour autant, sommes réellement sortis du marécage du plein chômage ? Reprenant la définition du plein emploi de William Beveridge 6, Margaret Maruani constate que plein-emploi ne rime pas avec chômage nul. Pour elle, l’actuel débat sur le plein emploi est marqué par deux écueils : l’oubli originel du sexe de l’emploi et la fixation sur les taux de chômage conventionnel. La décélération du taux de chômage a fait envisager, au sein du monde politique, le possible retour du plein-emploi. Envisageant successivement les trois modèles théoriques qui ont été mis à l’œuvre (NAIRU, modèle de Maastricht, modèle s’appuyant sur la durée du chômage), l’auteure en conclut que réduire la réflexion sur l’avenir du plein emploi à une bataille de chiffres sur le « chômage de plein-emploi » confine à l’absurde, l’interrogation principale restant : de quels emplois et de quels chômage parle-t-on ? L’évolution des formes du chômage ne fait que rendre plus pertinente cette question. Pierre Concialdi7 montre que les années de décrue du chômage officiel ont été marquée par une forte augmentation du chômage de l’ombre. 5 Christine Lagarenne et Nadine Legendre, Les travailleurs pauvres, in INSEE première, n° 745, 2000 6 William Beverdidge, Full employment in a free society, Monchrestion, 1945 7 Pierre Concialdi, « Des chômages de plus en plus ″ invisibles″ », in Note de CERC- Association, n010, juin 2001
Notes de lectures ENS-LSH 5 Autrement dit le chômage est devenu de plus en plus « invisible ». » Faut-il privilégier le plein-emploi au mépris du sous-emploi ? Pour Jacques Freyssinet, Olivier Marchand et d’autres, il faut que les emplois soient « convenables », il faut enrayer un phénomène devenu structurel et touchant en priorité aux femmes. Ainsi, dans toute cette réflexion sur le plein emploi, faire l’économie du genre, c’est relativiser l’ampleur des dégâts du chômage et du sous-emploi, c’est le ravaler au rang de problèmes sociaux secondaires et tolérables et c’est se priver d’un des éléments de compréhension essentiels pour l’avenir de l’emploi. Conclusion Ce livre se fixe sur une étude des indicateurs statistiques du chômage et du sous-emploi, dont il montre les insuffisances pour une lisibilité correcte des problèmes du marché du travail. Le propos « n’est pas de faire le tri des bons et des mauvais instruments de mesure, mais de comprendre à partir de quelles normes sociales ils ont été construits. » (p. 139). L’analyse de ces normes permet quelques conclusions quant aux frontières du chômage. Tout d’abord la sous-estimation massive et incontestable du non-emploi implique de ne pas réduire l’emprise du chômage au taux de chômage. Cette nécessité est d’autant plus grande que l’auteure a montré que l’indifférence au sous-emploi et à la pauvreté laborieuse est manifeste. Enfin, parmi cette population d’oubliés, la prépondérance féminine est patente. « Plus précisément, ne sommes-nous pas face à une solution « à l’américaine », focalisée sur les femmes : la contention du chômage officiel contre la paupérisation d’une partie du salariat ? » (p. 141)
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