Série : "Chernobyl", onde de choc et mensonge d'État - Reforme.net
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Publié le 27 mai 2021(Mise à jour le 28/05) Par Sophie Esposito Série : “Chernobyl”, onde de choc et mensonge d’État Entre documentaire et fiction, ce vibrant plaidoyer pour la vérité montre que la crise causée par l’accident nucléaire irradie le plan humain, scientifique et politique. Que s’est-il vraiment passé le 26 avril 1986 à Tchernobyl ? La mini-série anglo- américaine réalisée par Johan Renck (Breaking Bad) et coproduite par Sky et HBO s’empare de l’accident nucléaire le plus marquant du XXe siècle. Immersive, bien documentée et savamment romancée, cette fiction historique intense et sombre nous raconte les ravages d’une fake news aux accents apocalyptiques. Ça commence par une confession sur une radiocassette. Un homme dénonce les pressions politiques exercées par ceux qu’il tient pour responsables de cette catastrophe. Puis il se suicide. Cet homme c’est Valeri Legassov (Jared Harris), directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kourtchatov. En duo avec un apparatchik, l’ingénieur chimiste a été appelé aux commandes pour gérer la crise. Son témoignage posthume veut réhabiliter la vérité à travers une reconstitution rigoureuse de l’accident et de ses conséquences, depuis l’explosion du réacteur n° 4 de la centrale à 1 h 23 jusqu’au procès final, en passant par l’évacuation de
centaine de milliers de personnes et la bataille acharnée pour sécuriser, consolider et assainir la zone. On découvre l’immensité des mensonges élaborés par le régime bureaucratique soviétique. Le déni organisé et le culte du secret pour cacher les erreurs humaines et la gestion déficiente. Des hauts responsables de la centrale jusqu’aux instances dirigeantes du pays, les (non-)décisions sont prises par aveuglement idéologique. Multipliant les points de vue, la série intègre de nombreux personnages qui s’expriment tous en anglais. Une physicienne biélorusse fictive incarne la communauté scientifique ayant œuvré à Tchernobyl mais il y a aussi des gens ordinaires, intimement liés à l’évènement. Des pompiers aux « liquidateurs » venus pour nettoyer, tous ces héroïques anonymes appelés à agir au péril de leur vie pour stopper la contamination mettent l’humain au cœur de la tragédie. Diffusée en 2019, Chernobyl a rencontré un succès fulgurant. Seule la presse populaire russe l’accuse d’être caricaturale et de ternir la réputation du pays. La série divise aussi les pro et les anti-nucléaires : trop dramatique pour les uns, pas assez pour les autres. Peut-être parce que la leçon, pour le créateur de Chernobyl Craig Mazin, est la suivante : « Ce n’est pas l’énergie nucléaire moderne qui est dangereuse, mais le mensonge, l’arrogance et l’interdiction de faire des critiques. » Chernobyl de Craig Mazin, diffusée sur M6 à partir du jeudi 27 mai à 21h05.
Publié le 21 avril 2016(Mise à jour le 25/10) Par Laurent Geslin Les réfugiés de Vilcha Trente ans après l’accident nucléaire en Union soviétique, la vie semble figée pour les anciens habitants du site. Dans le nord de l’Ukraine, à l’est de la cité industrielle de Kharkiv, quelques kilomètres avant la frontière russe, la monotonie de l’immense plaine céréalière ukrainienne est parfois coupée par de sombres forêts de résineux et par des marécages qui disparaissent dans le brouillard. Les dalles de la route qui mène au village de Vilcha n’ont que 25 ans mais elles résistent mal à l’alternance des saisons et au gel qui fait sauter le béton. « Nous sommes arrivés ici en 1992, quelques familles d’abord, puis de plus en plus de gens, au fur et à mesure que les maisons de briques sortaient de terre », explique Tatyana Semenchuk, membre de l’association « La mémoire de Tchernobyl ». Vilcha compte aujourd’hui un peu moins de 2 000 habitants, une mairie, un dispensaire, quelques épiceries et des rues désertes bordées par des chapelets de poteaux électriques. « Cette terre n’est pas la nôtre. Nous venons de Pripyat, de la zone interdite et de hameaux où la radioactivité empêche aujourd’hui toute vie humaine. Vilcha, c’est d’abord le nom du village où la majorité d’entre nous a grandi, à proximité de la Biélorussie, celui des temps heureux de la jeunesse. » Souvenirs et regrets Pour évacuer les régions touchées par les retombées consécutives à l’explosion du réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, l’Union soviétique en déliquescence avait projeté de construire ici une petite ville qui devait accueillir des milliers de personnes. Mais après la chute du régime,
l’argent est vite venu à manquer, les travaux se sont arrêtés, le centre culturel a depuis longtemps fermé ses portes, laissant les déplacés de Vilcha avec leurs souvenirs et leurs regrets. « C’est Nikolaï, l’un des premiers pompiers à avoir essayé de refroidir le réacteur après l’explosion. Il est mort quelques semaines plus tard dans un hôpital de Moscou. Il était de 1962, je suis de 1964, nous avons été à l’école ensemble, c’est pourquoi nous l’avons amené avec nous », continue Tatyana Semenchuk, en passant devant la photographie d’un jeune homme en uniforme, placardé dans le hall de la mairie. Elle-même réside la majorité du temps à Kharkiv, où elle se fait soigner. Alexandre Breitenfeld est lui aussi un ancien liquidateur. Après avoir été déplacé, il a travaillé sur des chantiers et dans une coopérative agricole. Aujourd’hui, il touche une pension d’invalidité. « Vilcha 1, c’est le village d’où nous venons et où ne subsistent aujourd’hui que quelques murs, Vilcha 2, c’est là où nous avons été relogés. Mais de plus en plus des nôtres reposent à Vilcha 3 », plaisante-t-il en remontant les allées du cimetière, qui compte déjà plusieurs centaines de tombes et où il vient d’enterrer son meilleur ami. « À chaque fois que quelqu’un meurt, sa maison est revendue à des gens venus d’autres régions d’Ukraine, notre mémoire est en train de doucement s’éteindre, d’autant que nos enfants vont chercher de l’embauche dans les grandes villes. » Les barrières métalliques qui entourent « Vilcha 3 » ont récemment été reculées de quelques dizaines de mètres pour dégager de la place pour de nouveaux « pensionnaires ». Depuis quelques mois, la population du village est pourtant gonflée par des centaines de réfugiés qui ont fui les combats qui déchirent l’est de l’Ukraine. Anna et sa fille sont originaires de Gorlovka, une ville minière du Donbass aujourd’hui sous le contrôle des séparatistes de la « république populaire de Donetsk (DNR) ». Au terme d’une errance de plusieurs mois dans différents centres d’hébergement du pays, elles ont trouvé refuge dans une chambre prêtée par l’Église gréco- catholique de Vilcha. « Mon enfant a quatre ans, mais elle sait déjà faire la différence entre un obus de char et un missile “grad”, explique Anna. Alors, je suis reconnaissante aux habitants de ce village calme et tranquille de nous accueillir. » « Nous savons ce que l’exil veut dire, aiment à répéter les habitants de Vilcha, c’est pour cela que nous aidons du mieux que nous pouvons ceux qui fuient les
combats à l’Est. » Si une solution politique est, un jour, trouvée pour mettre fin à la guerre qui déchire l’Ukraine, les réfugiés du Donbass pourront peut-être rentrer chez eux. Ceux des villages évacués de Tchernobyl sont en revanche condamnés à être inhumés dans une terre qu’ils considèrent comme étrangère. Publié le 21 avril 2016(Mise à jour le 25/10) Par Laurent Geslin À l’hôpital d’Ivankiv, une menace inodore Les effets délétères de la radiation touchent les enfants et les adultes qui se nourrissent de légumes provenant de terres contaminées. Comme tous les matins, le docteur Youri Bandajevsky se fraie un passage dans les couloirs surchargés du centre hospitalier de la ville d’Ivankiv, à une soixantaine de kilomètres à vol d’oiseau au sud-ouest de la centrale nucléaire de Tchernobyl. « Grâce à un financement de l’Union européenne, nous étudions les conséquences de la radioactivité sur 4 000 enfants de la région », explique-t-il devant une carte où les zones contaminées par le strontium 90 et le césium 137 forment d’étranges arabesques rouges et jaunes. « Plus de 80 % d’entre eux souffrent d’hypertension ou de problèmes cardiovasculaires. On peut déjà prévoir les pathologies qu’ils développeront une fois adultes, des infarctus du myocarde, des cancers, etc. » Depuis plus de 25 ans, Youri Bandajevsky travaille sur les effets délétères de la radiation à faibles doses et met en évidence les processus pathologiques induits
par la contamination chronique des plus jeunes. Des travaux qui ont fini par devenir gênants dans son pays d’origine, la Biélorussie. En 1999, le chercheur est arrêté pour « corruption ». Il passera sept ans en prison, avant d’être libéré sous la pression d’organisations comme Amnesty International et de trouver refuge en France, puis en Ukraine. « Dans cette région pauvre, rares sont les familles qui ont les moyens d’acheter régulièrement des produits dans les magasins. La population consomme des champignons et des baies cueillis dans les forêts et des pommes de terre cultivées sur des terres contaminées », continue-t-il. Une menace invisible et inodore que ceux qui sont condamnés à rester dans ces villages sinistrés préfèrent oublier pour continuer à vivre. Radioactivité et factures d’électricité « Je ne sais pas pourquoi je dois faire tous ces tests car je me sens très bien », souffle timidement Sacha, huit ans, un épais dossier médical sous le bras, après avoir enchaîné une série de flexions. « Grâce à cet exercice, nous mesurons à quelle vitesse ce petit reprend son souffle, et les résultats ne sont pas bons », regrette le médecin. Devant l’hôpital, quelques grands-mères proposent du café et des sandwichs pour compléter leurs maigres revenus. « Beaucoup de gens sont malades, beaucoup de gens meurent. Personne ne peut se payer des traitements médicaux, le gouvernement est censé nous aider, mais les retraites et les salaires sont très faibles, pas plus de 150 euros par mois », se lamente Maria, installée dans le froid, sur une chaise pliante. Un peu plus loin, trois taxis enchaînent les cigarettes en attendant un hypothétique client. « La radioactivité ? Qu’est-ce que vous voulez que l’on y fasse ? Nous avons d’autres problèmes que Tchernobyl, comme celui de payer nos factures d’électricité. »
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