Blizzard et Pénombre : deux Côté moins connus - Érudit

 
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Lurelu

Blizzard et Pénombre : deux Côté moins connus
Sébastien Chartrand

Volume 37, Number 1, Spring–Summer 2014

URI: https://id.erudit.org/iderudit/71560ac

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Publisher(s)
Association Lurelu

ISSN
0705-6567 (print)
1923-2330 (digital)

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Chartrand, S. (2014). Blizzard et Pénombre : deux Côté moins connus. Lurelu, 37 (1),
95–96.

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                                                                     Sébastien Chartrand

Pour beaucoup de jeunes lecteurs des an-        popularité de Bob Morane, auquel on fera             De retour chez lui pour un bref repos,
nées 80, La courte échelle était la maison      référence tout au long du récit. Cependant,      Moraine-qui-n’est-pas-un-personnage fait
d’édition prédominante pour les choix de        Côté trace son intrigue en ajoutant au fur et    à nouveau face aux menaces de la Pénom-
lecture. Et ceux qui se lassèrent des per-      à mesure les informations nécessaires pour       bre Jaune. On découvre que l’auteur de la
sonnages du type «enquêteur de douze            que le lecteur puisse savourer toute l’histoi-   série Moraine prépare un ultime roman et
ans» en vinrent vite à se plonger dans les      re sans être entravé par sa méconnaissance       que les aventures vécues par le Moraine
péripéties science-fictionnelles de la série    du personnage d’Henri Vernes.                    «réel» semblent tirées de ce récit! Pour
«Maxime» de Denis Côté, dont trois tomes            La Pénombre Jaune débute par la ren-         affronter de nouveau la Pénombre Jaune,
(Les yeux d’Émeraude, La nuit du vampire        contre du personnage-narrateur avec un           Moraine «réel» emprunte la voie des eaux
et Le voyage dans le temps) furent adaptés      certain Bob Moraine – qui, comme tous les        jusqu’à l’ile d’Orléans où il sera attaqué par
au petit écran.                                 personnages tirés de la série, porte un nom      des hordes de guerriers narcoïts (dacoïts
    Néanmoins, d’autres ouvrages moins          légèrement modifié.                              chez Vernes) puis sauvé, cette fois, par
connus de Denis Côté valent la peine qu’on          Ce Moraine bien modeste, grand lecteur       la séduisante nièce de son ennemi, Tania
s’y attarde. On oublie trop souvent l’éton-     des aventures du Bob Moraine fictif, a calqué    Karloff (Orloff)…
nant Les Géants de Blizzard, un des rares ro-   sa vie sur celle de son héros : se coiffer les       Que se passe-t-il? La fiction semble peu
mans de science-fiction de La courte échelle    cheveux en brosse, s’inscrire à Polytechni-      à peu prendre le pas sur la réalité… une dis-
à l’époque. Rares aussi les lecteurs qui se     que, devenir pilote… jusqu’à ce que l’enne-      cussion avec le créateur de la série Moraine
souviennent de La Pénombre Jaune, paru          mi juré du Moraine fictif, la Pénombre Jaune     nous apprendra que c’est le cas! Citant
chez Médiaspaul. Pourtant, ces deux œuvres      (Ombre Jaune dans l’œuvre de Vernes), en         les théories de Bertrand Méheust, l’auteur
de l’auteur de Québec méritent d’être relues    vienne à entrer en contact avec lui!             expliquera que les produits de l’imaginaire
par les enseignants d’aujourd’hui. Dans un          Se lançant sur les traces de l’affreux       finissent par se manifester dans la réalité…
article du Journal de Montréal, Louise Blan-    Ling (Ming chez Vernes), ce Moraine-qui-         et c’est en faisant usage de ces révélations
chard écrivait : «Denis Côté touche au cœur     n’est-pas-LE-Moraine vivra une aventure          que Moraine «réel» triomphera de la Pé-
de préoccupations bien modernes et passe        semblant sortie tout droit de l’imaginaire       nombre Jaune.
son message avec conviction : son style         de Vernes : téléporté de son propre appar-           Un dénouement inattendu qui laisse le
est prenant, sa structure bien équilibrée,      tement malgré lui, Moraine découvrira en         lecteur songeur. On se rapproche énormé-
sa montée des évènements bien calculée»         pleine forêt canadienne un temple mongol         ment des thèses du philosophe George
(citée sur le site Web de La courte échelle).   où les péripéties classiques l’y attendent :     Berkeley, selon lesquelles les idées ont
Les deux œuvres présentées dans cet article     guerriers primitifs, murs couverts de scor-      une cause extérieure à la conscience, une
correspondent tout spécialement à cette         pions, grenouilles venimeuses et veuves          cause spirituelle et non matérielle : la seule
description et, bien qu’âgées de presque        noires. S’échappant in extrémis de ce lieu       chose qui existe est ce que nous percevons
trente ans, parviennent toujours à toucher      infernal, il aboutira dans une ville déserte     et non l’objet en lui-même (ou, de façon
les préoccupations actuelles.                   où un immense robot à l’effigie de monsieur      plus moderne, repensons au concept du
                                                Ling sème la terreur… pour être sauvé par        film Matrix).
La Pénombre Jaune : et si c’était vrai ?        Bill Ballantrae (ou Ballantine), le célèbre          Ainsi, une histoire imaginaire est-elle
                                                faire-valoir écossais de Moraine.                moins réelle que la «vraie» réalité? Tout
La Pénombre Jaune est un roman fort                 Dès lors, une question s’impose dans         l’intérêt du récit réside dans ce question-
particulier, à l’intrigue simple mais aux       l’esprit du lecteur : qui est le plus «vrai»     nement. «Lisez, créez, imaginez!» semble
implications complexes. Sans difficulté, le     des deux Bob Moraine? Le personnage              prôner l’auteur. La Pénombre Jaune crée
jeune lecteur comprend le sens de l’histoire,   de roman, auquel on attribue toutes ces          une ouverture pour un questionnement phi-
toutefois il risque de réfléchir longtemps,     péripéties, ou le Bob Moraine qui vit et res-    losophique poussé, tout en conférant plus
par la suite, à son étrange dénouement.         pire, auquel ces aventures stupéfiantes ne       de substance à l’imaginaire, et cela d’une
Seul aspect qui a peut-être mal vieilli : la    devraient pas arriver?                           façon unique en littérature jeunesse.
Blizzard et Pénombre : deux Côté moins connus - Érudit
lurelu volume 37 • no 1 • printemps-été 2014

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                                   Édition 1985                                                                                                Édition 1990

     Les Géants de Blizzard : une allégorie du          les personnages du récit –, Chrysalide s’em-          La conclusion est émouvante et laisse
     monde moderne et un manifeste pacifiste            barque à bord du vaisseau Taureau pour             songeur : le bienêtre et la paix sont-ils pos-
                                                        tourner le documentaire dénonciateur.              sibles? La dernière phrase de Braal porte à
     Dans son édition d’origine, Les Géants de              Le voyage spatial, riche en péripéties,        réfléchir : «Pour les êtres vivants qui vivent
     Blizzard surprenait dès le premier coup            surprend par le côté non violent incarné           dans cet univers, il restera toujours un bout
     d’œil : une couverture signée par Serge            par Chrysalide. Alors que des créatures in-        de chemin à faire. Toujours.»
     Chapleau, le célèbre caricaturiste, don-           sectoïdes cherchent à détruire leur vaisseau          Les Géants de Blizzard ne laisse pas le
     nait au roman un sérieux et une maturité           et que les deux autres voyageurs pensent à         lecteur indifférent. Ce manifeste pour les
     qu’on ne retrouvait pas chez les autres            les tuer en vertu du principe «c’est eux ou        solutions pacifiques, tout comme la prise
     livres de la série «Roman jeunesse» de La          nous», Chrysalide insiste pour user d’une          de conscience de la violence latente qui
     courte échelle. Ses illustrations intérieures      décharge électrique inoffensive destinée à         réside dans chaque être, a le mérite d’être
     n’auraient pas détonné dans une revue de           effrayer et éloigner les créatures. D’autres       présenté avec imagination et créativité.
     science-fiction pour adultes. Peut-être pour       êtres, semblables à des poissons spatiaux,
     cette raison, on fit quelques années plus          paraissent plutôt portés à manifester leur         Des livres à redécouvrir
     tard une réédition illustrée par Stéphane          amitié qu’à incommoder les voyageurs.
     Poulin, où les personnages revêtaient une              Mais c’est une fois les héros rendus           Œuvres habiles et moins connues de Denis
     apparence plus proche du dessin animé.             sur Blizzard que l’allégorie se fait plus          Côté, La Pénombre Jaune et Les Géants de
         Le texte ne manquait pourtant pas, lui         forte. Les travaux miniers menés sur cette         Blizzard gagnent à être relues. Non seule-
     aussi, de sérieux et de maturité. Dans un          planète neigeuse semblent paralysés par            ment celles-ci s’intègrent très bien dans
     empire galactique où s’opposent deux               l’intervention d’inquiétants géants blancs,        les cours d’éthique au primaire, mais elles
     superpuissances (écrit en 1984, le roman           se tenant pourtant à l’écart et ne faisant         portent le lecteur à réfléchir sur le monde
     trahit l’influence de la guerre froide), un        montre d’aucune violence.                          qui l’entoure, à remettre en question ses
     petit groupe de résistants de toutes races             Apeurés, les militaires en place tentent       certitudes et à s’interroger sur le sens des
     cherche à prouver, par le tournage d’une           d’abattre les géants, lesquels ne font que         pensées qui l’habitent, une rareté en litté-
     vidéo risquée, que Blizzard, une planète           disparaitre et réapparaitre. L’agressivité ne      rature jeunesse.
     minière lointaine, emploie des esclaves            sert à rien, et les travaux piétinent jusqu’à ce
     comme ouvriers.                                    que les talents télépathiques de Chrysalide
         Dès les premières pages, on sent le            soient sollicités : on découvre alors que
     propos pacifiste. Dans ce monde futuriste,         Blizzard est peuplée d’une race bien étrange
     les deux blocs politiques se disputent l’ob-       où chaque individu revêt l’apparence d’un
     tention d’une planète riche par un tournoi         flocon de neige. Les Blizzardiens, nous ap-
     d’échecs. Mais c’est l’entrée de Chrysalide,       prennent les talents de Chrysalide, étaient
     la protagoniste principale, qui donne le ton       jadis entredéchirés par les guerres et déci-
     au récit. Télépathe – ou plutôt «empathe»          dèrent, pour se purger définitivement de la
     –, elle parcourt une foule en percevant            violence, d’adopter ces corps cristallins et de
     malgré elle la haine que refoule chaque            se fondre en une intelligence collective. Les
     individu et elle fait le triste constat, dès les   géants s’avèrent n’être qu’une apparence
     premières pages, que la violence existe en         qu’ils adoptent pour effrayer les militaires et
     chaque individu.                                   les inciter à quitter leur planète, exactement
         Choisie avec deux autres personnages           comme Chrysalide le fit pour les êtres insec-
     – Élée et Braal, non-humains comme tous            toïdes qui menacèrent son vaisseau.
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