ÉTAT ACTIONNAIRE de PRIVATISATIONS 33 milliards d'euros - SOCIÉTÉ CIVILE - Fondation IFRAP

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L E M EN SU EL DE L A FO N DAT I O N i F R A P

                 SOCIÉTÉ CIVILE                    E n q u ê t e r p o u r r é f o r m e r N ° 17 9

                           ÉTAT
                       ACTIONNAIRE
                     33 milliards d'euros
                    de PRIVATISATIONS
Mai 2017 - 8 €
PRIVATISATIONS ❚ Introduction

          État actionnaire : 33 milliards d’euros                                                                                 9

                    DE PRIVATISATIONS
L’État actionnaire, c’est 1 750 participations directes, pour une valeur comptable de 98,9 milliards d’euros et 538,6 milliards
de chiffre d’affaires en 2015. Au sein de l’OCDE, la France est de loin le pays dans lequel les entreprises publiques emploient
le plus (800 000 personnes soit 3,3 % des emplois salariés contre 2,5 % en moyenne pour l’OCDE).
À Bercy, Emmanuel Macron s’était vu contraint de renoncer à certaines privatisations. Aujourd’hui, les rôles ont chan-
gé. Le nouveau président peut ressortir ses projets des cartons et on évoque déjà les cas de Renault, Orange, ADP,
DCNS ou encore de la FDJ. Néanmoins, l’ancien ministre de l’Économie ne renonce pas à exercer son influence sur les
entreprises du portefeuille étatique. Sa préférence affirmée pour un État régulateur privilégiant la réglementation
plutôt que l’actionnariat public s’accorde mal avec son rôle dans l’adoption de la « loi Florange » ou la conservation
des parts acquises chez Renault.
Pourtant, la mauvaise santé des entreprises publiques, les enjeux concurrentiels et la nécessité budgétaire appellent
une réforme ambitieuse dont la réduction du portefeuille public constitue la première pierre. La « clarification » de la
gestion des participations publiques qui fait quasiment l’unanimité restera un vœu pieu si elle n’est accompagnée de
cessions d’envergure, seules à même de redessiner dans l’économie et la société, et pas seulement dans les textes de
loi, les contours de l’État actionnaire.
Cette voie a souvent été barrée par trois grandes peurs : les délocalisations et pertes d’emplois, l’ingérence d’investis-
seurs étrangers « hostiles » dans les entreprises stratégiques et la dérégulation de l’activité économique. Ces craintes
se révèlent être davantage le produit d’une confusion ancienne et tenace entre les multiples rôles de l’État français
que de réalités économiques et sociales. L’État dispose d’ailleurs d’outils permettant de préserver ses intérêts sans
avoir à maintenir les participations financières au niveau actuel.
Pour répondre à ces enjeux, la Fondation iFRAP propose un plan de 33 milliards de cessions sur cinq ans. Ces cessions sont
divisées en fonction de leurs degrés de complexité (participations cotées ou non, réformes nécessaires, portée stratégique…)
en quatre phases successives : les cessions immédiates de participations cotées de l’APE (3,8 milliards), les cessions éco-
nomiques et compétitives en 2017-2018 (12,6 milliards), les cessions symboliques et stratégiques de participations de l’APE
en 2019-2020 (8 milliards) et les cessions ayant trait aux grandes réformes du service public pour 2021-2022 (9,3 milliards).
❙ De 2010 à 2016, le portefeuille coté de l’APE a baissé de 29 % contre 28 % de hausse pour le CAC 40 ;
❙ La dette des entreprises du périmètre de l’APE augmente de 40 % de 2010 à 2015 et atteint 150 % des fonds propres
des entreprises (136 milliards d’euros) ;
❙ En moyenne depuis 2012, l’État accorde environ 10 milliards d’euros chaque année en dotations aux entreprises à
participations publiques du périmètre de l’APE.

                                                  ÉTUDE RÉALISÉE PAR PAUL SCHREIBER ET L'ÉQUIPE DE LA FONDATION IFRAP   ▪▪▪
                                                    Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                       L’ÉTAT ACTIONNAIRE
   10                  L’État actionnaire : « Léviathan1 » actionnarial à trois têtes

                       L
                               e terme d’État actionnaire désigne             variété d’organes aux missions différentes :
                               généralement l’intervention en fonds           Agence des participations de l’État (APE) :
                               propres, à titre majoritaire ou mino-          service à compétence nationale fondé en
                       ritaire, de l’État dans des sociétés commer-           20044, elle est en théorie l’asset manager
                       ciales. En France, l’État actionnaire se décline       du portefeuille de participations françaises,
                       en trois volets :                                      appuyé sur des outils budgétaires spécifiques
                       ➊ Le volet « souveraineté » ou « intérêts essen-       (compte d’affectation spéciale). Si l’APE
                       tiels2 » : concerne uniquement des secteurs liés       incarne initialement le volet souveraineté
                       à la souveraineté (militaire et nucléaire) du          et patrimoine, elle possède en pratique une
                       pays ou la fourniture des besoins fondamen-            forte composante interventionniste.
                       taux nécessaires à son bon fonctionnement              Caisse des dépôts et consignations (CDC) :
                       (infrastructures, nouveaux réseaux et services         établissement public sui generis fondé en
                       ou opérateurs historiques de services publics).        1816 et placé sous le contrôle du Parlement5
❚❚1 Thomas             On peut citer par exemple DCNS (Direction              (Commission de surveillance), la CDC pos-
Hobbes, Lévia-
than, 1651.            des constructions navales, systèmes et services),      sède une mission principalement interven-
❚❚2 Paul Schrei-       fabriquant des sous-marins nucléaires français ;       tionniste. Présente dans le domaine financier,
ber, « État action-
naire : utiliser les   ➋ Le volet « interventionniste » ou « diri-            elle intervient comme actionnaire d’appoint
goldens shares »,                                                             à l’APE et détient un grand nombre de parti-
février 2017,
                       giste » : héritage direct des grandes vagues
Fondation iFRAP.       de nationalisations ou sauvetages étatiques,           cipations minoritaires. Elle allie actionnariat
❚❚3 BPIfrance,         il vise à préserver l’emploi et à conduire des         de long terme et logique d’entrepreneuriat
Doctrine d’inter-
vention de BPI-
                       politiques spécifiques (énergie, industrie, télé-      (CDC International Capital…) ;
france, 14 avril       communications…). L’État qualifie souvent              BPIfrance : créée en 2012 sous la forme
2014.
                       de manière trompeuse ces interventions à               d’une société anonyme détenue à parts
❚❚4 Décret
n° 2004-963
                       but économique ou social de « stratégiques »           égales par l’APE et la CDC6, la BPI prend
du 9 septembre         comme avec Orange, Peugeot ou Renault ;                en charge le volet « entrepreneuriat » et réa-
2004 portant
création du ser-       ➌ Le volet « entrepreneuriat » : vise le déve-         lise de nombreux investissements minori-
vice à compé-
tence nationale        loppement d’entreprises sélectionnées en               taires. Elle possède deux pôles d’activité : le
Agence des                                                                    financement (garantie, prêt, cofinancement
participations
                       accord avec les objectifs principaux de la
de l’État.             politique économique. L’aide accordée est              et innovation) et l’investissement (sur fonds
❚❚5 Ordonnance         censée répondre à des exigences conjonctu-             propres ou quasi propres). Auparavant, le
du 3 juillet 1816
relative aux attri-
                       relles3, elle n’a pas vocation à être éternelle ;      fonds stratégique d’investissement (FSI),
butions de la                                                                 les FSI Régions et la « Caisse des dépôts et
Caisse des dé-         Si les volets souveraineté et intervention-
pôts et consi-         niste sont l’essence même des grandes natio-           consignations entreprises » s’occupaient du
gnations crée                                                                 pôle investissement et Oséo du financement ;
par la loi du          nalisations du XXe siècle, le volet entrepre-
28 avril 1816.         neuriat n’a été clairement explicité qu’avec           Actionnaires spécialisés : ils sont très divers
❚❚6 Ordonnance         l’apparition de BPIfrance fin 2012. Légiti-            et chargés de politiques publiques spéci-
n° 2012-15559
du 31 décembre         mé par la crise économique des années 2000             fiques. On peut citer le Bureau de recherche
2012 relative à        il reprend le mythe colbertiste d’un État-             géologique et minier (BRGM), le Centre
la création
de la BPI.             stratège. Les trois volets sont confiés à une          national d’études spatiales (Cnes)…

                                                       Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

L’actionnariat public massif : piètre gestionnaire, grand dépensier                                                      11

Fin 2015, le portefeuille des participations de       ❙ Audiovisuel (1 %) : ces participations sont
l’État représente 1 750 entreprises détenues          détenues par l’APE et sont caractérisées par
directement dont 1 720 par le trio APE/CDC/           leur stabilité (Ina, Radio France, Rfi…).
Bpifrance7 (on compte également 1 600 par-            Comparée aux autres pays de l’OCDE, la pré-
ticipations indirectes). La valeur nette comp-        sence française dans les industries manufactu-
table de l’ensemble des participations est de         rières est particulièrement importante (31 %
98,9 milliards d’euros dont 80,2 pour l’APE8.         des effectifs du portefeuille des participations
60 % des participations directes sont minori-         publiques12).
taires, elles représentent un tiers de la valeur      L’effectif du portefeuille de l’État est caractéri-
totale. Les 62 participations cotées en bourse        sé par une grande stabilité au cours des dix der-
étaient valorisées à 77,4 milliards fin 2015.         nières années et les désengagements de l’État
Malgré son ampleur, le portefeuille est mal           ont servi à financer des augmentations de capi-
connu. Les méthodes d’évaluation varient              tal ou la prise de nouvelles participations plu-
selon les institutions et, à l’exception de ceux      tôt que de participer au désendettement ini-
réunis dans le périmètre de la CDC, de nom-           tialement prévu13. En 2015, les cessions de
breux fonds locaux ou régionaux ne rentrent           GDF-Suez, Safran et Aéroport de Toulouse-
pas dans le calcul des participations de l’État       Blagnac ont rapporté à l’APE 2,8 milliards
et ne sont, à ce jour, pas recensés.                  d’euros ; mais l’agence a renforcé sa partici-
En dépit d’une réduction significative depuis         pation dans Areva (334 millions), Renault
les années 80, la France reste le 1er pays de         (1 212 millions) et KLM (42 millions). La per-
l’OCDE en termes d’emploi par des entre-              tinence de cette gestion patrimoniale, qui pri-
prises publiques. Ainsi, en 2012, les entreprises     vilégie la satisfaction de demandes étatiques
publiques employaient près de 800 000 per-            au détriment de la valorisation optimale des
sonnes en France soit 3,3 % des emplois sala-         participations cédées, peut être mise en doute.       ❚❚7 Cour des
riés contre 2,5 % en moyenne pour l’OCDE9.            Vendre vite et mal pour secourir des entre-           comptes, « L’État
                                                                                                            actionnaire »,
Le nombre grimpe à 2,4 millions, soit 10 % de         prises peu prometteuses se révèle rarement            janvier 2017.
l’emploi salarié total, lorsque l’on inclut toutes    être un bon investissement (le cas Peugeot de
                                                                                                            ❚❚8 Ibid.
les entreprises à participation publique10.           2013 faisant figure de contre-exemple).
                                                                                                            ❚❚9 OECD, The
Les participations publiques couvrent un large
                                                      Le portefeuille de l’APE                              Size and Sectoral
éventail de secteur que l’on peut ranger par                                                                Distribution of
                                                      Plus important portefeuille public, le por-           SOEs in OECD
parts décroissantes de la valeur nette comp-                                                                and Partner
                                                      tefeuille de l’APE est marqué par une nette
table du portefeuille en 201511 :                                                                           Countries, 2014.
                                                      détérioration au cours des dernières années. En
                                                                                                            ❚❚10 Cour des
❙ Énergie (44 %) : EDF, Engie, Areva ;                2015, pour la première fois depuis la création        comptes, « L’État
❙ Services et Finance (29 %) : La Poste, CNP          de l’APE, le résultat d’exploitation et le résul-     actionnaire »,
                                                                                                            janvier 2017.
Assurances, la Française des Jeux ;                   tat net combiné sont négatifs. Le résultat net,
                                                      qui dépassait les 20 milliards en 2008, tombe         ❚❚11 Ibid.
❙ Industrie et Télécoms (15 %) : Orange,
                                                      à – 10,1 milliards en 201514.                         ❚❚12 Ibid.
Renault, PSA, Eutelsat ;
                                                      La valeur globale du portefeuille de l’APE            ❚❚13 Sénat, Notes
❙ Défense et aéronautique (7 %) : Airbus,             dépend fortement de celles de quelques par-           de présentation -
                                                                                                            Projet de loi de fi-
Safran, Thales, Nexter et DCNS ;                      ticipations. Les mauvais résultats de 2015            nances pour 2017
                                                                                                            CAS PFE,
❙ Transports (4 %) : SNCF, RATP, Air France           s’expliquent largement par les dépréciations          8 novembre
KLM, ADP, les Grands Ports Maritimes ;                d’actifs SNCF (Réseau et Mobilités pour               2016.

                                          Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                      11,8 milliards) et EDF (pour 3,5 milliards)15.         ❙ CDC : 1,9 % sur 2012-2015 ;
                      Ces dépréciations sanctionnent des faiblesses          ❙ BPIfrance investissement : 3,7 % en 201520.
                      structurelles mais ne suffisent pas à justifier
  12                  la mauvaise performance financière de l’APE.           La politique actionnariale de l’État
                      La rentabilité économique et financière des            De 2010 à 2015, l’État engrange 25,9 mil-
                      entreprises du périmètre de l’APE subit une            liards d’euros de dividendes dont 2,6 en
                      forte dégradation : du 31 décembre 2010 au             actions au travers des participations tenant
                      31 décembre 2016, le portefeuille passe de             du périmètre de l’APE. De son côté, la CDC
                      87,6 à 59,8 milliards, soit une baisse de 29 %         a versé 2,98 milliards d’euros de dividendes.
                      contre une hausse de 28 % pour le CAC 4016.            Le secteur de l’énergie contribue à hauteur
                      Les participations cotées sont fortement han-          de 64 % et EDF à plus de 50 %. La poli-
                      dicapées par les baisses du secteur de l’éner-         tique actionnariale de l’État est caractérisée
                      gie (- 70 % pour EDF entre 2005 et 2016 et             par des taux de distribution et de rendement
                      - 90 % pour Areva entre 2006 et 2016).                 élevés. Alors que le chiffre d’affaires global
                      Plus préoccupant encore, l’accroissement conti-        combiné du portefeuille de l’État actionnaire
                      nu de la dette des entreprises du périmètre de         a baissé de 40 % entre 2003 et 2015, le mon-
                      l’APE, qui augmente de 64 % de 2007 à 2015 et          tant des dividendes perçus a lui été multi-
                      atteint alors 150 % des fonds propres des entre-       plié par quatre21. La préférence française
                      prises (136,6 milliards)17. Cet endettement est        pour la rémunération sous forme de divi-
                      le résultat de deux phénomènes : les investis-         dendes s’explique en partie par le fait que
                      seurs qui souscrivent savent pouvoir bénéficier        ceux-ci permettent de limiter l’endettement
❚❚14 Cour des         d’une garantie plus ou moins tacite de l’État          au sens du traité de Maastricht car les divi-
comptes, « L’État     actionnaire, qui sait que cette dette n’est pas
actionnaire »,
                                                                             dendes perçus sont comptabilisés au budget
janvier 2017.         consolidée dans la dette maastrichtienne.              général comme encaissement, ce qui n’est
❚❚15 Ibid.                                                                   pas le cas de ventes de parts comptabilisées
❚❚16 Ibid.
                      Le portefeuille de la CDC et de la BPI                 au CAS PFE. Elle peut aussi se comprendre
                      Les participations de la CDC et de BPIfrance           comme le résultat de la concentration des
❚❚17 Ibid.
                      sont en meilleure santé. Après une période             actifs étatiques dans des secteurs tradition-
❚❚18 Cour des
comptes, « Rap-       2011-2012 difficile marquée par la crise de            nellement à haut rendement comme celui
port public thé-      Dexia, qui aurait coûté 6,4 milliards à l’État         de l’énergie (EDF et Engie contribuaient
matique : Dexia :
un sinistre coû-      et à la Caisse de 2008 à 201218, les résultats         pour 71 % au total des dividendes perçus
teux, des risques     s’améliorent depuis 2013. Les performances             en 201522). Cependant, la conséquence de ce
persistants », La
Documentation         du portefeuille de la BPI sont globalement             tropisme n’en est pas moins préjudiciable :
française,            positives mais marquées par de fortes dispa-           réduction des fonds propres et donc dimi-
juillet 2013.
                      rités19 et une faible lisibilité due au fonction-      nution de la capacité d’investissement ou
❚❚19 Cour des         nement de l’organisme et à l’éclatement de             recours à l’endettement. L’exemple le plus
comptes, « L’État
actionnaire »,        ses participations.                                    significatif reste celui d’EDF dont la situa-
janvier 2017.         Dans leur ensemble, les participations de              tion financière profondément dégradée dès
❚❚20 Ibid.            l’État sont marquées par une rentabilité               2010 n’entraîne pourtant pas de réduction
❚❚21 Commission       inférieure à celle des entreprises cotées. Ce          des dividendes versés à l’État qui sont alors
des Finances du
Sénat, « Rapport
                      constat est vérifié par l’étude des retours sur        financés par l’endettement. Il faut attendre
d’information sur     fonds propres moyens des trois grands action-          2015, et une progression de 43 % de la dette
la politique de di-
videndes de l’État
                      naires publics qui montre des taux inférieurs          du groupe en quatre ans23, pour que l’État
actionnaire »,        à ceux des SBF 120 (en moyenne 10 % de                 réagisse en acceptant de percevoir son divi-
janvier 2017.
                      2010 à 2015) :                                         dende en actions jusqu’en 2017.
❚❚22 Ibid.            ❙ APE : 2,8 % sur 2010-2015 (et -10% en                L’État n’a pas toujours été aussi réticent
❚❚23 Ibid.            2015) ;                                                à adapter sa politique de dividendes au

                                                     Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

contexte économique. Il a consenti à réduire                                 7,5 milliards27 au minimum en 2017 dont
ses dividendes chez Orange, diminution de                                    7 milliards pour les seuls Areva et EDF28.
plus de 50 % entre 2012 et 2015, et à ne pas                                 Les dividendes et les produits de ces-
                                                                                                                                              13
percevoir de dividendes d’Areva dès 2010, de                                 sions actuelles sont inférieurs aux dota-
Thales depuis 2012 ou de Peugeot en 2015.                                    tions d’en moyenne 3,8 milliards par an
Néanmoins, les concessions étatiques se font                                 de 2010 à 2015 (versements de la CDC
presque toujours avec un temps de retard24.                                  et dividendes en actions inclus). Une note
Dans le contexte actuel, il est pourtant                                     du Sénat de novembre 2016 estime qu’au
urgent que l’État apprenne à se passer des                                   moins 4 milliards sont nécessaires pour
dividendes. Depuis 2012, les dividendes per-
                                                                             équilibrer le CAS PFE en 2017 en épui-
çus par l’État n’ont cessé de chuter. Un mou-                                                                                    ❚❚24 Margaux
                                                                             sant tous les soldes cumulés du compte29            Barbier, « L’État
vement qui devrait se poursuivre durant les                                                                                      actionnaire plus
                                                                             (voir tableau 1). Seules des cessions impor-        gourmand qu’un
prochaines années selon la Cour des comptes
                                                                             tantes permettraient de combler le défi-            actionnaire pri-
qui estime le montant des dividendes perçus                                                                                      vé », mai 2016,
                                                                             cit du compte sans faire appel au budget            Fondation iFRAP.
à seulement 1,9 milliard pour 201625.
                                                                             général. Même en prenant en compte les              ❚❚25 Cour des
                                                                             1,9 milliard d'euros obtenus par l’État en          comptes, « L’État
Des besoins en dotations aux entre-                                                                                              actionnaire »,
prises publiques toujours croissants                                         cédant les participations de l’APE dans PSA         janvier 2017.

En parallèle, l’État accorde environ 10 mil-                                 à BPIfrance30, véritable tour de passe-passe        ❚❚26 Ibid.

liards chaque année en dotations aux entre-                                  comptable, 2,1 milliards restent à finan-           ❚❚27 Sénat,
                                                                                                                                 Notes de présen-
prises à participations publiques du péri-                                   cer. La préservation du solde cumulé de             tation - Projet de
mètre de l’APE26 : 3,8 pour l’audiovisuel                                    2015 (2,4 milliards) pour un exercice 2017          loi de finances
                                                                                                                                 pour 2017 CAS
et 6 pour la SNCF, et doit faire face à des                                  neutre nécessiterait au minimum 4,5 mil-            PFE, 8 novembre
                                                                                                                                 2016.
besoins de financement sans précédent de                                     liards de cessions.
                                                                                                                                 ❚❚28 Cour des
                                                                                                                                 comptes, « L’État
Tableau 1 : Estimation du résultat du CAS PFE en 2017 en l’absence d’adoption                                                    actionnaire »,
                                                                                                                                 janvier 2017.
de cessions supplémentaires (en milliards d’euros)
                                                                                                                                 ❚❚29 Sénat,
                                                                                                                                 Notes de présen-
                                                                                                                                 tation - Projet de
                                                                         Solde cumulé du CAS PFE fin 2015 (A)            2,4     loi de finances
                                                                                                                                 pour 2017 CAS
                                                                                                                                 PFE, 8 novembre
                                                                     Résultat du CAS PFE 2017 sans cession PSA (B)       1,1     2016.
   Recettes et fonds disponibles au CAS PFE
                                                                                                                                 ❚❚30 Philippe
                                                                                    Cession PSA (C)                      1,9
                                                                                                                                 Jacqué, « L’APE
                                                                                                                                 revend à Bpi-
                                                            Total des fonds disponibles au CAS PFE en 2017 (A + B + C)   5,4     france sa partici-
                                                                                                                                 pation dans
                                                     Dépenses au CAS PFE (D)                                             7,5     PSA »,
                                                                                                                                 28 mars 2017,
                                                                                                                                 Le Monde.
                                        Résultat du CAS PFE 2017 (A + B + C - D)                                         - 2,1
                                                                                                                                 ❚❚31 Cour des
Source : iFRAP d’après données de la Cour des comptes et du Sénat.                                                               comptes, « L’État
                                                                                                                                 actionnaire »,
                                                                                                                                 janvier 2017.
En suivant les prévisions de la Cour des                                     compte tous les besoins annexes de finan-           ❚❚32 Sénat,
                                                                                                                                 Notes de présen-
comptes31 et du rapport du Sénat32, l’action-                                cement ou les augmentations de dotations            tation - Projet de
nariat public de l’APE nécessitera a minima                                  publiques, alors même que la SNCF et Dexia          loi de finances
                                                                                                                                 pour 2017 CAS
un financement de 10,2 milliards en 2017…                                    (garantie à 28 milliards) représentent tou-         PFE, 8 novembre
(Voir tableau 2), et ce, sans prendre en                                     jours des dangers majeurs.                          2016.

                                                               Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                      Tableau 2 : Estimation des dépenses et recettes liées à l’actionnariat public
                      de l’APE en 2017 (en milliards d’euros)
  14                                                               Dotations en crédits budgétaires
                                                                                                                    10
                                                                   (d’après la moyenne 2010-2015)
                         Dépenses
                                                                   Besoin en financement en 2017
                                                                                                                    7,5
                                                                   (estimation)
                         Total dépenses 2017                                                                       17,5
                                                                   Dividendes perçus en numéraire en 2017
                                                                                                                    1,9
                                                                   (estimation)
❚❚33 Insee,              Recettes
Compte des ad-                                                     Recettes totales au CAS PFE en 2017
                                                                                                                     3
ministrations pu-                                                  (estimation et cession de PSA)
bliques en 2015,
mai 2016.                Total recettes 2017                                                                        4,9
❚❚34 Cour des            Fonds disponibles au CAS PFE avant 2017                                                    2,4
comptes, « L’État
actionnaire »,           Total non financé 2017                                                                    10,2
janvier 2017.
❚❚35 Insee,
Compte des ad-        Même dans les années les plus fastes en                   déjà déficitaire (- 77,4 milliards, soit - 3,5 %
ministrations pu-     termes de dividendes, le bilan de l’État action-          du PIB en 201533) et l’endettement croissant
bliques en 2015,
mai 2016.             naire est très déséquilibré pour les finances             des entreprises publiques (136,6 milliards en
❚❚36 David Azé-
                      publiques. L’État actionnaire coûte bien                  2015, soit 150 % des fonds propres34) fait
ma, « L’impos-        plus cher qu’il ne rapporte et ce coût est en             craindre une crise qui pourrait déboucher sur
sible État action-
naire ? », jan-
                      nette augmentation. Les besoins de recapi-                des reclassements en dette publique (celle-ci
vier 2017, Institut   talisation de grandes entreprises publiques               se monte à 2 096,9 milliards soit 95,7 % du
Montaigne.
                      pèsent lourdement sur un budget étatique                  PIB en 201535).
❚❚37 Bertille
Bayart, « Pierre-
René Lemas : je
remets de l’ordre
dans la maison
                      POUR UN ACTIONNARIAT PUBLIC LIMITÉ
Caisse des dé-
pôts », 28 février    L’État actionnaire est un danger pour l’éco-              tique36 écrit par l’ancien directeur de l’APE,
2017, Le Figaro       nomie, mais aussi, et surtout, pour l’État                David Azéma, ou l’intervention de l’actuel
Économie.
                      lui-même. La situation de péril actuelle est              président de la CDC, Pierre-René Lemas,
❚❚38 Paul Schrei-     mise en lumière dans un rapport très cri-                 qui déclare encore « remettre de l’ordre37 ».
ber, « Nationalisa-
tions : dange-
reuses chimères
de la campagne
de 2017 », avril
                      La réduction de l’actionnariat public, une question de survie pour
2017, Fondation
iFRAP.
                      les entreprises
❚❚39 André De-        Au cours de la seconde moitié du XXe siècle,              L’« État tutélaire39 » s’effondre alors dans les
lion, « De l’État
tuteur à l’État ac-   l’État, peu familier du fonctionnement des                années 90 sous l’effet des libéralisations et
tionnaire », Revue    entreprises, leur impose néanmoins une                    à la suite d’une série de crises et scandales
française d’admi-
nistration pu-        tutelle basée sur les mécanismes du droit                 qui frappent les entreprises publiques : le
blique, 2007/4        public et la logique de budget. Le droit                  Crédit Lyonnais, France Télécom, Renault, les
n° 124, p. 537-
572.                  européen de la concurrence 38, au cœur                    Charbonnages de France, la SNCF. Si ce fonc-
❚❚40 Loi orga-
                      de la construction européenne, est la pre-                tionnement est largement réformé suite à
nique aux lois        mière fissure de ce modèle de tutelle : il                l’adoption de la LOLF40, l’« État actionnaire »
de finances ou
LOLF, 1er août
                      entraîne progressivement la fin des mono-                 qui apparaît ne se débarrasse pas de toutes les
2001.                 poles publics.                                            tares de son prédécesseur. Ainsi, l’État fran-

                                                      Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

çais lance une politique de fond souverain           politiques qui y voient un moyen de laisser
visant à compenser l’insuffisante présence           leur marque.
de fonds de pension et la faible contribu-
tion d’une épargne française très orientée           Ces interférences entraînent un certain                         15
vers l’assurance. La création de l’APE puis de       nombre de déficits de gestion publique qui
BPIfrance, la séparation entre le rôle action-       causent la sous-performance des entreprises
narial et les autres rôles de l’État n’a jamais      du portefeuille :
vraiment été effective. De plus, des mono-           ❙ Déresponsabilisation et absence de risque
poles publics « de fait » à la santé économique      « personnel » : les représentants de l’État
et financière inquiétante persistent (SNCF,          n’assument pas le risque financier des déci-
La Poste et EDF) et la « garantie implicite »        sions prises dans les entreprises gérées, ils ne
de l’État liée au statut d’Epic constitue un         sont pas directement touchés par les pertes
risque préoccupant41. On peut souligner              ou errances de gestion. De plus, l’incitation
quelques-unes des raisons qui expliquent la          à la bonne gestion qu’est normalement la
forte interférence politique dans la gestion         variation du cours boursier a un impact très
des entreprises :                                    limité pour des gestionnaires publics qui
                                                                                                        ❚❚41 Paul Schrei-
                                                     n’ont pas pour mission de réaliser une plus-       ber, « Nationalisa-
➊ « Mille-feuille » des intérêts politiques : les    value. La responsabilité des gestionnaires         tions : dange-
                                                                                                        reuses chimères
maires et élus locaux peuvent s’opposer à la         est aussi réduite du fait de la garantie impli-    de la campagne
fermeture d’un bureau de poste cher à leurs          cite de l’État qui réduit considérablement         de 2017 », avril
                                                                                                        2017, Fondation
électeurs, bloquer la réduction du nombre de         le risque de faillite. Ce sont en fait tous les    iFRAP.
trains qui desservent la gare locale, s’engager      outils de supervision indirecte44, venant de
                                                                                                        ❚❚42 R. Kent
contre la fermeture de l’usine proche… Les           l’actionnariat classique et du marché, qui sont    Weaver, « The
intérêts locaux additionnés possèdent une            neutralisés par la présence étatique ;             Politics of Blame
                                                                                                        Avoidance » oc-
influence réelle comme en témoigne la stra-                                                             tobre 1986, Jour-
tégie d’extension des lignes à grande vitesse        ❙ Limitation ou orientation du financement :       nal of Public Poli-
                                                                                                        cy, Vol. 6 n° 4,
poursuivie par la SNCF ;                             l’État a souvent préféré que ses entreprises se    p. 371-398.
                                                     financent par l’endettement plutôt que par         ❚❚43 Paul Schrei-
➋ « Blame avoidance42 » et peur électorale :         des ouvertures de capital ou sur les fonds         ber, « L’opportu-
                                                                                                        nité STX France :
le gouvernement redoute les conséquences             propres. L’État refuse parfois l’ouverture du      bâtir un géant eu-
politiques des privatisations et faillites, cette    capital car celle-ci constituerait une dilution    ropéen de la
                                                                                                        construction na-
crainte est surtout forte en période électorale      de sa participation ou, pour éviter celle-ci,      vale »,
et pour les entreprises symboliques43 ;              nécessiterait un nouvel investissement dans        mars 2017, Fon-
                                                                                                        dation iFRAP.
                                                     l’entreprise. Ce blocage a clairement été mis
➌ Objectifs alternatifs : l’État introduit sou-      en évidence dans la crise du Crédit Lyon-          ❚❚44 Jean Tirole,
                                                                                                        The Theory of
vent des objectifs alternatifs non compatibles       nais et de France Télécom45 dans les années        Corporate Fi-
avec une bonne santé économique des entre-           80-90 ;                                            nance, 2005.

prises (par exemple le plafonnement des                                                                 ❚❚45 André De-
                                                                                                        lion, « De l’État
tarifs de l’électricité ou l'aménagement du          ❙ Instabilité et « déconnexion » stratégique :     tuteur à l’État ac-
territoire).                                         avec les changements politiques, la gou-           tionnaire », Revue
                                                                                                        française d’admi-
                                                     vernance et les stratégies des entreprises         nistration pu-
➍ « Prestige » et image nationale : les entre-       publiques sont moins stables que celles            blique, 2007/4
                                                                                                        n° 124, p. 537-
prises contribuent au prestige national et           des entreprises privées46. Les entreprises         572.
peuvent avoir un impact sur les relations            peuvent être poussées à poursuivre des             ❚❚46 Boycko et
avec les autres pays (spécialement pour le           stratégies déconnectées de la réalité de           al, « A Theory of
                                                                                                        Privatization », The
secteur de la défense). Sauver un « fleuron »        leurs situations économique et financière          Economic Journal,
est une motivation forte pour les hommes             pour préserver les emplois, maintenir une          1996, vol. 106.

                                         Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                      image forte... Ainsi, la SNCF a poursuivi une         Ils accordent alors une « bénédiction »
                      stratégie d’expansion du réseau de lignes à           tacite aux dirigeants qui peuvent prendre
                      grande vitesse particulièrement coûteuses et          des risques sans avoir besoin de l’accord des
  16                  non pertinentes qui accentuent aujourd’hui            actionnaires. De tels comportements ont été
                      ses difficultés47. Et Areva a investi massive-        vus dans le cas du Crédit Lyonnais, endette-
❚❚47 Cour des         ment dans des mines sans intérêt, suppo-              ment sur les marchés et montages financiers
comptes, « La
grande vitesse :      sées contribuer à protéger l’indépendance             pour conduire une stratégie hasardeuse de
un modèle porté       nucléaire française48 ;                               développement50, et d’Areva, dont la prési-
au-delà de sa
pertinence »,                                                               dente a multiplié les engagements à risque
octobre 2014.         ❙ Recrutements et dirigeants « connectés » :          (Uramin, EPR en Finlande) ;
❚❚48 Martine          les dirigeants et cadres supérieurs des entre-
Orange, « Areva
et le scandale
                      prises publiques proviennent généralement             ❙ Multiplicité des groupes de pression : la
Uramin : poker        des mêmes écoles et de la fonction publique.          gestion publique complexifie l’arbitrage entre
menteur à Toron-
to », 16 janvier
                      Certains travaux révèlent une corrélation             groupes de pression en ajoutant un groupe
2012, Mediapart.      entre ce recrutement orienté et la perfor-            public aux intérêts bien spécifiques et peut
❚❚49 Francis Kra-     mance des entreprises49. L’augmentation du            amener un renforcement disproportionné
marz et David         nombre de cadres dirigeants recrutés dans             de l’influence syndicale. Dans ce contexte,
Thesmar, « Social
Networks in the       la même sphère, impacte négativement les              le rôle des dirigeants a souvent été plus de
boardroom »,          résultats de l’entreprise. Un exemple mar-            maintenir la paix entre groupes que d’assurer
2011.
                      quant est celui de la présidence de la SNCF           le développement de l’entreprise. Le Renault
❚❚50 Gérard
Charreaux, L’en-
                      dont les présidents ont tous exercé des fonc-         en crise de 84-85 (23,4 milliards de francs de
treprise publique     tions dans la haute administration ou dans            pertes51) était fortement handicapé par une
est-elle nécessai-
rement moins effi-
                      d’autres grandes entreprises publiques (sauf          gestion privilégiant le maintien de l’emploi
cace, 1997.           de 1955 à 1958) ;                                     et les salaires sous l’influence des syndicats
❚❚51 André De-                                                              soutenus par l’État. Pendant longtemps, le
lion, « De l’État     ❙ Défaillance de contrôle : la confiance dans         groupe EDF a continué à recruter malgré
tuteur à l’État ac-
tionnaire », Revue    les dirigeants ou la poursuite d’ambitions            une santé en déclin (20 000 recrutements de
française d’admi-     spécifiques peut conduire les pouvoirs                2011 à 2014) pour aujourd’hui être contraint
nistration pu-
blique, 2007/4        publics à déléguer totalement la gestion.             de supprimer 5 000 emplois52 (d’ici fin 2019).
n° 124, p. 537-
572.
❚❚52 Jean-Michel
Bezat, « EDF va       Pas de justifications sociales à l’actionnariat public
supprimer 6 % de
postes en France
d’ici à la fin de     L’APE proclame être au service de « l’intérêt         capacité technique et parfois d’intérêt, le
2019 », 1er février   général parce que le patrimoine géré est celui        contrôle exercé par les élus est lui extrême-
2017, Le Monde.
                      des Français53 » alors même que le citoyen n’a        ment faible et diffus. Chose particulièrement
❚❚53 APE, Rap-        que très peu de visibilité sur l’argent dépensé       évidente lorsque l’on étudie les dividendes et
port d’activité
2015-2016, 2016.      par l’État actionnaire. La Cour des comptes           la garantie implicite55, l’actionnariat sert sou-
❚❚54 Cour des         l’a maintes fois souligné, la comptabilisation        vent à dissimuler la dette publique en laissant
comptes, « L’État     des investissements de l’État manque de clar-         des grands groupes s’endetter afin de réali-
actionnaire »,
janvier 2017.         té et il reste impossible d’avoir une percep-         ser des investissements publics « déguisés ».
❚❚55 Paul Schrei-
                      tion exhaustive des participations étatiques54.       L’État a aussi recours à des jeux d’écriture
ber, « Nationalisa-   L’opacité du système est encore accrue par            comptable qui masquent les dépenses liées à
tions : dange-
reuses chimères
                      un « mille-feuille actionnarial » dans lequel         ses participations : sur 680 millions de divi-
de la campagne        l’intervention de l’APE, de la CDC, de la             dendes reversés à l’Epic BPIfrance (détenu
de 2017 », avril
2017, Fondation
                      BPI, des investisseurs spécifiques et des fonds       par l’APE) par BPIfrance en 2014, 614 sont
iFRAP.                locaux se superposent. Faute de moyens, de            transférés dans les fonds de garantie gérés

                                                     Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

par celle-ci. Ces fonds bénéficient aussi du         Or, le taux de féminisation atteint 30 %
recyclage des dotations passées pour former          pour les conseils d’administrations des entre-
un système qui « s’apparente à de la débud-          prises de l’APE60 contre 40,1 % et 38,4 %
gétisation56 » pour citer la Cour de comptes.        pour ceux du CAC40 et du SBF120 au                            17
                                                     30 janvier 201761. Pour les entreprises dans
En dépit de sa forte opacité, l’intervention         lesquelles l’État détient des participations
de l’État auprès des entreprises a souvent été       majoritaires, la rémunération est plafon-
justifiée par ses apports sociaux. Elle est pré-     née à 450 000 euros par an. Certes, l’APE
sentée comme une opération de protection de          s’est opposée à des rémunérations jugées
l’industrie française et de « sauvetage » d’em-      excessives mais l’impact de ces mesures est
plois, souvent à des coûts très importants, sou-     modéré :
vent au moyen de montages permettant de                                                               ❚❚56 Cour des
contourner les obligations communautaires.           ❙ le plafonnement ne concerne qu’un nombre       comptes, BPI-
                                                                                                      france, une mise
Le plan proposé en 2016 pour sauver Als-             limité d’entreprises (ADP, CNP Assurances,       en place réussie,
tom Belfort est un modèle du genre. Pour une         Areva et EDF en 2016) et peut avoir un effet     un développe-
                                                                                                      ment à stabiliser,
usine employant 480 personnes, l’État et la          désincitatif sur les grands dirigeants ;         des perspectives
SNCF vont débourser 770 millions d’euros             ❙ les rejets de rémunérations (Renault, PSA,     financières
                                                                                                      à consolider,
dont 400 pour la fabrication de TGV inutiles         Safran en 2016 et Thales en 2014-2015)           novembre 2016.
dont les coûts de production et d’exploitation       n’ont entraîné qu’un seul refus final en         ❚❚57 Denis Cos-
sont largement supérieurs à ceux de trains           conseil d’administration (PSA).                  nard, « L’année
                                                                                                      où trois groupes
normaux. Reposant sur un contrat cadre               Par ailleurs, la progression des salaires des    du CAC 40 ont
SNCF-Alstom de 2007, qui permet de se pas-           équipes dirigeantes de Bpifrance est parti-      été vendus à des
                                                                                                      étrangers »,
ser d’appel d’offres mais pourrait être remis        culièrement marquante. De 2012 à 2015,           25 décembre
en cause par les institutions européennes, le        les rémunérations des membres du comité          2015, Le Monde.
plan coute 1,9 million d’euros par emploi            exécutif et du comité de management géné-        ❚❚58 Paul Schrei-
« sauvé », soit 107 ans de Smic en 2017.             ral présents en 2012 ont progressé de 40 %       ber, « L’opportu-
                                                                                                      nité STX France :
                                                     pour atteindre 274 300 euros en moyenne62.       bâtir un géant eu-
La désindustrialisation est un mouvement                                                              ropéen de la
                                                                                                      construction na-
français et européen que l’actionnariat public       Contrairement à l’État, un actionnaire           vale », mars
ou l’aide d’État n’a jamais réussi à enrailler.      classique privilégie une rémunération au         2017, Fondation
                                                                                                      iFRAP.
L’État est souvent intervenu pour protéger           résultat. Le renforcement des prérogatives
                                                                                                      ❚❚59 APE, rapport
des entreprises industrielles qualifiées de          actionnariales en la matière est sain pour       d’activité 2015-
« fleurons » mais réellement en difficulté57 :       l’économie et contribue naturellement à          2016, 2016.
Péchiney (2003), Arcelor (2006), Alstom              adapter les rémunérations aux résultats          ❚❚60 Ibid.
Énergie (2015), STX France58 (2017)…                 alors que la doctrine établit par l’actionna-    ❚❚61 Elisa Bellan-
Dans la plupart des cas il n’a fait que retar-       riat public bloque la libre concurrence sur      ger et Al, « Info-
                                                                                                      graphie : la fémi-
der l’inévitable.                                    le marché des dirigeants. L’État serait mieux    nisation des
                                                     servi dans le domaine par une présence ren-      conseils d’admi-
                                                                                                      nistration », fé-
Le rapport d’activité 2015-2016 de l’APE             forcée des actionnaires privés dans la gou-      vrier 2017, Le
met en avant un actionnaire « responsable            vernance des entreprises.                        Monde.
et exemplaire59 », il développe particulière-        Par ailleurs, l’APE affirme sa volonté de lut-   ❚❚62 Cour des
                                                                                                      comptes, « BPI-
ment quatre thèmes déontologiques et socio-          ter contre l’évasion fiscale, mais cette lutte   france, une mise
éthiques qui doivent justifier et guider son         n’est aucunement améliorée par la présence       en place réussie,
                                                                                                      un développe-
action : la mixité des conseils d’administra-        de l’État au capital des entreprises. Elle est   ment à stabiliser,
tion, la rémunération des dirigeants, l’évasion      régie par une législation commune à toutes       des perspectives
                                                                                                      financières
fiscale et la responsabilité sociale et environ-     les entreprises conduisant une activité en       à consolider »,
nementale (RSE).                                     France et est placée sous la responsabilité      novembre 2016.

                                         Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                     des services fiscaux. En un mot, l’action-             de l’ancienne présidente Anne Lauvergeon.
                     nariat public ne contribue en rien à lutter            L’entreprise se serait par ailleurs désengagée
                     contre l’évasion fiscale.                              de la mine d’uranium de Bakouma (en Cen-
  18
                                                                            trafrique) sans apporter l’aide promise aux
                     L’APE se veut aussi promoteur de la res-               populations locales ni réaliser les travaux
                     ponsabilité sociale et environnementale.               nécessaires pour les protéger des radiations64.
                     Cependant, les mesures adoptées par les
                     entreprises du portefeuille n’ont rien d’in-
                                                                            ❙ Le « dieselgate » de Renault : la direction
                     novant en la matière. De plus, les entre-
                                                                            générale de la Concurrence, de la Consom-
                     prises du portefeuille de l’APE n’ont pas
                                                                            mation et de la Répression des fraudes (DGC-
                     toutes fait preuve d’exemplarité éthique
                                                                            CRF) ouvre en décembre 2016 une enquête
                     comme le montrent deux exemples récents :
                     ❙ Le rachat d’Uramin par Areva (1,8 mil-               portant sur le trucage des moteurs diesel du
                     liard d’euros), a donné lieu à l’ouverture de          constructeur français depuis 25 ans65. Selon la
                     deux informations judiciaires en 2014. Les             direction, près de 900 000 véhicules seraient
                     conditions particulièrement floues de l’opéra-         concernés66. Le constructeur a nié toute uti-
                     tion impliquant le versement de commissions            lisation de procédés frauduleux et l’enquête
                     occultes63, ont entraîné la mise en examen             suit actuellement son cours.

                                      Une nouvelle organisation pour l’APE


                       Acteur essentiel de la politique actionnariale de l’État, l’APE ne bénéficie pas d’une organisation
                       optimale qu’il s’agisse du partage de compétences avec la BPI ou de son rôle au sein des
                       conseils d’administration des entreprises de son portefeuille. Si l’État veut être un actionnaire
                       efficace il faut qu’il revoie le fonctionnement de l’APE notamment en professionnalisant la mis-
                       sion des administrateurs : actuellement il y a trop de turnover et les administrateurs ne sont pas
                       suffisamment identifiés comme apportant une vision stratégique aux entreprises. Il faut aussi
                       qu’il redéfinisse le périmètre d’intervention de l’APE vis-à-vis de la BPI : à l’APE une gestion
                       stable des participations majoritaires ; à la BPI une fonction d’investisseur stratégique avec une
❚❚63 Slug News
& hexagones.fr,        plus forte rotation de participations minoritaires.
« Areva et Ura-
min : la bombe à
retardement du
nucléaire fran-
çais », 2016,
Arte.
                     LE PLAN DE CESSIONS 2017-2022
❚❚64 Ibid.
❚❚65 AFP, « Pollu-   Le plan de cession proposé s’appuie sur le             naires majeurs que sont l’APE, la Caisse des
tion : Renault       travail de synthèse de la Cour des comptes             dépôts et consignation et BPIfrance. Les
soupçonné de
stratégies fraudu-   qui rassemble les deux cents principales par-          actionnaires spécifiques sont laissés de côté
leuses depuis        ticipations de l’État (sans tenir compte des           par souci de précision et de concision car,
plus de 25 ans »,
15 mars 2017,        titres de placement et des titres immobilisés).        par nature chargée d’enjeux ciblés, ils néces-
Libération.          Contrairement au RECME (Répertoire des                 siteraient des développements particuliers.
❚❚66 Rédaction       entreprises contrôlées majoritairement par             De plus, en l'absence de recensement ou
Le Monde, « Die-
selgate : tout
                     l'État) de l’Insee, il inclut les participations       d'estimation précise, nous n'avons pu inclure
comprendre au        de la Caisse des dépôts et consignations ainsi         dans ce plan les participations détenues par
cas de Renault »,
13 mars 2017,
                     que des participations minoritaires. Le plan           les collectivités territoriales et leurs fonds
Le Monde.            se focalise uniquement sur les trois action-           d’investissement.

                                                     Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

3,8 milliards de cessions immédiates : le minimum
pour financer les grandes recapitalisations de 2017
                                                                                                                                              19
Nous l’avons évoqué, le besoin de finance-                           brefs délais, la première partie du plan de
ment de l’actionnaire public en 2017 est                             cessions proposé par l’iFRAP est composée
particulièrement conséquent : 7 milliards de                         de participations détenues par l’APE, cotées
recapitalisation sont nécessaires pour les seuls                     en bourse et dont la vente n’impacte pas
EDF et Areva. Dans ce contexte, l’État doit                          directement les grandes politiques étatiques.
immédiatement commencer les cessions. La                             Ces cessions n’ont pas de conséquence stra-
mission est loin d’être impossible : le 22 juin                      tégique et ne nécessitent pas la création de
2012, l’Italie lançait un plan de cessions de                        dispositifs compensatoires ou l’abaissement
14,5 milliards dont 6 milliards sous 30 jours.                       de seuils légaux. Elles permettent de dégager
Afin de pouvoir être exécutée dans les plus                          environ 3,8 milliards d’euros.

                                                  Part du capital                            Détention       Valeur totale des
      Entreprise                  Secteur        détenue par l’APE    Parts cédées         restante après      cessions au
                                                    au 22/03/14                               cession       22 mars 2017 (M€)

                                 Défense
         Thales                                      25,97 %             5,97 %                20 %               1 122
                               aéronautique

   CNP Assurances                 Finance             1,11 %             1,11 %                 0%                 143

                                Industrie et
        Orange                                       13,45 %             3,45 %                10 %               1 354
                           télécommunications

                                Industrie et
        Renault                                      19,74 %             4,74 %                15 %               1 114
                           télécommunications

    Air France KLM               Transports          17,58 %             2,58 %                15 %                57

                                                                                               Total             3 790
Source : iFRAP d’après des données de l’APE67.

On peut détailler les cessions récapitulées                          Thales sont protégés par un pacte d’actionnaires
dans le tableau précédent :                                          (avec Dassault, TSA et Alcatel-Lucent). Dans
➊ Orange : l’État possède aujourd’hui un                             ces conditions, la cession de 6 % du capital
peu plus de 22 % des actions d’Orange qui                            n’a pas d’incidence et peut rapporter environ
se répartissent entre l’APE (13,45 %) et BPI-                        1,1 milliard à l’État ;
france (9,6 %). La vente de 3,45 % du capital                        ➍ CNP : détenue très majoritairement par
par l’APE ne réduirait aucunement la capacité                        la Caisse des dépôts et consignations, les 1 %
d’influence de l’État qui ne peut par ailleurs                       restant aux mains de l’APE sont l’héritage de
être justifiée par une raison stratégique ;                          montages historiques et peuvent facilement être
➋ Renault : l’État y détient une large part et                       vendus ;
vendre 4,74 % du capital de Renault n’im-                            ➎ Air France : les perspectives de croissance à
pacte pas la capacité d’action de l’État qui                         moyen terme sont ternes, la participation de
                                                                                                                                 ❚❚67 APE, Porte-
conserve 15 % du capital tout en engrangeant                         l’État perd chroniquement de la valeur et peut              feuille de partici-
près de 1,1 milliard de cession ;                                    être réduite dans un premier temps à 15 % du                pations cotées de
                                                                                                                                 l’État le 22 mars
➌ Thales : les intérêts stratégiques de l’État dans                  capital.                                                    2017.

                                                        Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
PRIVATISATIONS ❚ État actionnaire

                    12 milliards de cessions en 2017-2018 :
                    des cessions économiques et compétitives
20                  Durant les deux premières années de man-                                 dans lequel elles peuvent être conduites est
                    dat, peuvent être réalisées des cessions qui                             permis par l’absence de seuils législatifs, la
                    ont l’avantage de dégager des fonds tout en                              faible influence des participations sur les
                    réduisant la présence perturbatrice de l’État                            politiques de l’État et l’intérêt stratégique
                    dans l’économie. Le délai relativement court                             très limité de celles-ci.

                                                                Actionnaire           Participation        Participation     Valeur estimée de cession en
                                       Entreprise
                                                                  public                détenue           après cession           millions d’euros**
                                        Thales (1)           APE (holding TSA)            20 %*                15 %                         940
             Défense
                                        Mecadev                  BPIfrance                30 %                  0%                           31
                                          CGG                    BPIfrance               7,04 %                 0%                           33
                                         Eramet                  BPIfrance              25,66 %                 0%                          201
                                      FT1 C1 - ST                BPIfrance              11,36 %                 0%                          614
             Énergies
           et matières                  Sequana                  BPIfrance              15,42 %                 0%                           41
            premières
                                         Technip                 BPIfrance               5,28 %                 0%                          281
                                        Vallourec                BPIfrance               5,42 %                 0%                           62
                                         Eutelsat                BPIfrance              26,45 %                 0%                         1 699
                                         Eiffage                 BPIfrance              13,83 %                 0%                          785
                                        Cégédim                  BPIfrance                15 %                  0%                           67
                                        Cellectis                BPIfrance               8,22 %                 0%                           80
                                       Constellium               BPIfrance              12,22 %                 0%                           91
                                      Groupe Gorgé               BPIfrance               8,23 %                 0%                           27
                                          PSA                    BPIfrance               12,7 %                10 %                         456
                                         Renault                    APE                   15 %*                10 %                        1 176
            Industrie

                                                                                                                                                                    Source : iFRAP d’après des données de l’APE, de Bpifrance et de la CDC
                                         Mersen                  BPIfrance              10,85 %                 0%                           38
           et télécoms
                                        Orange(2)             BPIfrance et APE          19,60 %*               10 %                        3 769
                                        Sequans                  BPIfrance              10,03 %                 0%                           11
                                         Soitec                  BPIfrance               9,54 %                 0%                           14
                                         TXCELL                  BPIfrance              11,27 %                 0%                           10
                                         Valneva                 BPIfrance               9,98 %                 0%                           10
                                         Vergnet                 BPIfrance              47,73 %                 0%                           20
                                   CNP Assurances (3)               CDC                 40,93 %               33,93 %                       901
                                Compagnie des Alpes (4)             CDC                 39,65 %               33,65 %                        23
             Services
                                          Veolia                    CDC                  6,75 %                 0%                          831
            et finance
                                   Air France KLM (5)               APE                   15 %*                10 %                         111
            Transports               Transdev Group                 CDC                   50 %                 10 %                         320
                                                                                                               Total                      12 642
     * % après conduite du plan de cessions immédiates.
     ** valeur de cession estimée selon les cas par la valeur boursière au 22 mars 2017 ou si indisponible la valeur comptable nette.
     Conditions spécifiques aux cessions : (1) Maintien du pacte d’actionnaire, de la convention de protection et de la golden share ; (2) Maintien participation
     APE (10 %) et possible pacte d’actionnaires ou golden share ; (3) Minorité de blocage ; (4) Minorité de blocage ; (5) Pacte d’actionnaires possible.

                                                                 Société Civile n° 179 ❚ Mai 2017
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