Tectonique des plaques, séismes et GPS

La page est créée Émilie Dumont
 
CONTINUER À LIRE
Tectonique des plaques, séismes et GPS
GPS

             Tectonique des plaques,
                 séismes et GPS

                                                                                                                   riches en vapeur d’eau : l’indice
Comment l’installation de stations GPS permanentes                                                                 n de réfraction atmosphérique
                                                                                                                   change avec son contenu hygro-
fournissant des données de haute précision permet de                                                               métrique, donc le front d’onde
                                                                                                                   subit un léger décalage en position
mesurer le déplacement et la déformation des « plaques »
                                                                                                                   et en phase. Comme il n’est guère
qui forment la croûte terrestre, de définir avec précision                                                         possible, à l’heure actuelle, d’es-
                                                                                                                   timer avec précision le profil de
leur étendue, d’analyser a posteriori les séismes voire                                                            la concentration en vapeur d’eau
d’en prédire de nouveaux.                                                                                          de l’atmosphère (qui plus est sur
                                                                                                                   2π d’angle solide), les mesures
                                                                                                                   instantanées sont entachées d’une
                                                                                                                   incertitude météorologique 2.

                                                                                                                   Deux autres facteurs, corrigibles,

             V
                    oilà maintenant deux                        précision 1 des mesures s’est                      introduisent des incertitudes :
                    décennies que le GPS                        d’ailleurs fortement accrue, mais                   Le déplacement du centre de
                    fournit des données de                      plusieurs problèmes demeurent                      phase de l’antenne, ce qui signifie
             haute qualité à la géodésie. Sur                   qui en limitent l’amélioration :                   que, suivant l’incidence du signal,
             ces vingt dernières années, la                                                                        la phase du signal reçu à l’entrée
                                                                1. La traversée par les signaux                    du récepteur varie légèrement,
                                                                radio de la couche ionosphérique ;                 comme si celui-ci se déplaçait ; ce
                                                                si cette dernière n’empêche pas                    phénomène peut se compenser
                                                                la propagation de l’onde comme                     en utilisant deux antennes iden-
                                                                c’est le cas pour la gamme décamé-                 tiques, orientées dans la meme
                                                                trique (f < 30 MHz), elle introduit                direction ;
                                                                néanmoins un retard, qui dépend                     Le centrage des embases mobiles
                                                                non seulement de la concentration                  (trépied). Cette pratique peu fiable
                                                                ionique de la couche, mais égale-                  est remplacée par le boulonnage
                                                                ment de la fréquence. Grâce à                      systématique des aériens.
                                                                l’emploi de signaux simultanément
                                                                émis sur deux fréquences différen-                 Grâce aux progrès accomplis
                                                                tes, le retard ionosphérique peut                  depuis quelques années dans le
                                                                s’estimer – du moins au premier                    calcul des orbites, l’amélioration
                                                                ordre ;                                            des réseaux permanents et GTK,
                                                                                                                   la technologie bi-fréquence et les
             Figure 1 : Comparaison de la précision de la
             mesure GPS entre 1991 et 2006 en fonction          2. La traversée des couches atmos-                 techniques de post-traitement
             de la longueur des lignes de base.                 phériques basses (la troposphère),                 (filtrage), l’erreur de mesure sur

             1. Il y a une grande différence entre exactitude et précision. Les mesures sont précises car on peut les répéter, elles donnent le même résultat à
             quelques mm près. Sont-elles cependant exactes ? C’est-à-dire, si l’on mesure avec un autre instrument, trouve-t-on une quantité identique ?
             2. À l’inverse, il est possible de déduire du retard enregistré par le signal GPS l’intégration de la concentration en vapeur d’eau le long du trajet
             de l’onde et la concentration de l’ionosphère en particules chargées : le GPS est ainsi devenu un instrument d’observation de certaines propriétés
             physiques de l’ionosphère et de la vapeur d’eau dans l’atmosphère.

     30   Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008
Tectonique des plaques, séismes et GPS
des lignes de base de plusieurs          L’ultime problème tient dans la
milliers de kilomètres a maintenant      mise en référence : mesurer des
chuté à des niveaux très faibles : il    déformations sur de petits réseaux
y a vingt ans, il fallait compter sur    est facile, les mêmes mesures sur
des incertitudes de l’ordre de 5 à       de grands réseaux impliquent le
10 cm pour des lignes de base de         choix d’un système de référence
5 000 km ; actuellement, sur les         global, qui présente ses propres
mêmes distances, ces imprécisions        problèmes. L’ITRF, avec ses diffé-
ne dépassent plus le centimètre.         rentes réalisations, modélise les
                                         déplacements séculaires (très
                                         lents) de la croûte terrestre ; ces
La tectonique                            réalisations ne sont pas toujours
                                         faciles, en particulier dans des
des plaques                              régions où il y peu de stations du
                                         réseau mondial, et où les vitesses
La tectonique des plaques postule        de ces stations varient dans le
l’existence de grands blocs solides      temps.                                 Figure 2 : Erreur sur la vitesse mesurée
qui flottent à la surface du magma                                              (en mm/an) en fonction de la durée
                                                                                d’observation GPS.
interne en fusion. Ces blocs se
déplacent selon des trajectoires         L’apport du GPS
propres, et leurs frontières se
matérialisent par des failles ou         Les grands principes de la tectoni-
des dorsales, lieux privilégiés des      que des plaques ont été évoqués :
activités sismique et volcanique.        des « plaques » surnagent sur
L’étude de la tectonique requiert        un manteau solide mais qui se
donc l’évaluation des vitesses des       comporte comme une pâte
stations, solidaires de la plaque        visqueuse à l’echelle de plusieurs
sur laquelle elles se trouvent. Pour     millions d’années (puisque la visco-
cela, il suffit de mesurer régulière-    sité du manteau apparaît comme
ment leur position, puis de diviser      1024 fois supérieure à celle de
les différences par les intervalles      l’eau !) ; ces plaques se déplacent
de temps. Bien entendu, plus la          suivant leur trajectoire propre,
précision des mesures est impor-         s’écartent les unes des autres ou
                                                                                Figure 3 : Déplacement des différentes
tante, moins l’on doit attendre          entrent en collision, le tout avec     stations qui participent à la réalisation de
pour détecter des mouvements             des vitesses de l’ordre de quel-       l’ITRF 2005.
de faible vitesse : ainsi, avec une      ques millimètres à une dizaine de
incertitude de 5 mm, il faut patien-     centimètres par an (au maximum
ter sept ans avant de mettre en          17 cm/an en Papouasie-Nouvelle-
évidence des mouvements de               Guinée et au Vanuatu, proche de
l’ordre du millimètre par an ;           la Nouvelle-Calédonie).
si l’incertitude décroît à 3 mm,
quatre ans seulement suffisent.          La disponibilité de mesures
                                         GPS atteignant cette précision a
On pourrait donc croire que, pour        confirmé l’hypothèse de base la
détecter des mouvements très             théorie, tout en y apportant une
lents, il suffit d’utiliser des séries   touche de complexité. En effet,
temporelles suffisamment longues.        il est apparu que l’étendue des
Ce raisonnement est cependant            plaques n’étaient pas celle que
faux : l’inexactitude des mesures        l’on attendait, et qu’il existait
passées est telle qu’il est, en          des unités tectoniques de taille
réalité, impossible d’exploiter ces      inférieure, les « blocs », voire
résultats anciens pour calculer des      même des « micro-blocs », qui
tendances à long terme. En outre,        accommodent les chevauchements
cela suppose que le mouvement            des grandes plaques à plusieurs
des stations ne varie pas au cours       endroits. Par exemple, l’Indonésie
du temps, ce qui est exact pour          et la Chine du sud, que l’on croyait
                                                                                Figure 4 : Déplacement des stations du Sud-
certaines stations, mais totalement      jusqu’ici faire partie de la plaque    Est asiatique et mise en évidence du bloc de
faux pour d’autres.                      eurasienne, se rattachent en fait à    la Sonde (en rouge).

                                                          Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008                    31
Tectonique des plaques, séismes et GPS
de poser des stations GPS de
                                                                                                         part et d’autre de ces failles pour
                                                                                                         enregistrer la vitesse relative des
                                                                                                         plaques le long de la fracture
                                                                                                         (« vitesse de faille »). Ce n’est
                                                                                                         pas le cas. La plupart du temps,
                                                                                                         ces failles sont « bloquées » : en
                                                                                                         raison de l’énorme viscosité et des
                                                                                                         forces de frottement, les plaques
                                                                                                         ne glissent pas librement : elles
                                                                                                         sont solidaires, et accumulent
                                                                                                         l’énergie cinétique sous forme
                                                                                                         de déformation élastique. De ce
                                                                                                         fait, le profil des vitesses axiales,
                                                                                                         prises perpendiculairement à la
                                                                                                         faille, suit assez bien une loi en arc-
                                                                                                         tangente, dont la pente maximale
        Figure 5 : profil transverse des vitesses GPS enregistrées près de la faille de Sagaing en       correspond à la localisation de la
        Birmanie.                                                                                        faille. Lorsque ces déformations
                                                                                                         dépassent le seuil de contrainte,
        deux blocs indépendants, baptisés               ment précise les vecteurs vitesse                il se produit une rupture, c’est-
        bloc de la Sonde et de Chine du                 issus des études géologiques.                    à-dire un séisme. Suivant les cas,
        sud 3.                                          Cette concordance signifie que les               cette cassure peut être brutale et
                                                        plaques possèdent une inertie telle              catastrophique, ou bien étalée et
        Avant l’avènement des systè-                    que leurs trajectoires n’évoluent                insensible. Ce dernier cas, baptisé
        mes GNSS, l’unique moyen à la                   pas sensiblement sur quelques                    « séisme silencieux », est l’une des
        disposition des chercheurs pour                 millions d’années. Cependant,                    découvertes de la sismologie GPS
        évaluer la dérive des continents                trois exceptions viennent tempé-                 (voir ci-après).
        consistait en l’analyse des fonds               rer cette règle : la plaque Nazca,
        marins. Les roches magmatiques                  au large de l’Amérique du sud,                   Le GPS ne peut évaluer la vitesse
        qui émergent au fond des océans                 l’Arabie et l’Inde semblent se                   des failles ; il mesure, loin à l’inté-
        gardent une trace de l’inversion                mouvoir plus lentement que la                    rieur des plaques, les vitesses de
        régulière du champ magnétique                   géologie ne le laissait prévoir.                 dérive, et, en bordure, la défor-
        terrestre lorsqu’il se produit ; si             Si pour la première, on penche                   mation causée par les frictions le
        les plaques s’écartent, comme                   plutôt pour un artefact dû au                    long des fractures. La vitesse de la
        c’est le cas le long des dorsales,              manque de données précises,                      faille n’est accessible qu’au travers
        il suffit de repérer les inversions             pour les deux dernières, il s’agirait            d’une modélisation mathématique,
        identiques de part et d’autre de                d’un effet réel : la plaque indienne,            nécessairement arbitraire : deux
        la dorsale médiane, de mesurer la               qui progresse vers le nord, entre                modélisations différentes donne-
        distance qui les sépare, d’évaluer              en collision avec la plaque eura-                ront deux vitesses de glissement
        par des moyens géologiques l’âge                siatique, poussant devant elle le                différentes.
        de l’inversion pour en déduire                  bourrelet toujours croissant de
        la vitesse moyenne du mouve-                    l’Himalaya et du plateau Tibétain ;              À première vue, il apparaît que
        ment. Problème : cette méthode                  elle a donc tendance à ralentir,                 l’exactitude et la multiplicité des
        ne fonctionne qu’en présence                    entraînant avec elle sa voisine                  mesures par GPS permet de
        de dorsales ; là où les plaquent                arabique.                                        calculer la trajectoire de toutes
        convergent au lieu de diverger, il                                                               les plaques. Cependant, il faut
        n’y a aucune information géologi-                                                                nuancer : pour certaines plaques
        que. L’évaluation des vitesses doit             Des failles                                      majoritairement sous-marines
        donc se faire de manière détour-                                                                 (comme la plaque Nazca), le peu
        née, en constituant un circuit de               bloquées                                         de terres émergées ne permet
        plaques dont les vitesses relatives                                                              pas des relevés exhaustifs – ce
        sont connues.                                   Les plaques, aux endroits où                     qui donne lieu à des incertitu-
                                                        elles se rencontrent, créent des                 des. Heureusement, les additions
        Les mesures GPS sont venues                     failles dans l’écorce terrestre.                 vectorielles des vitesses observées
        corroborer de manière étonnam-                  On pourrait penser qu’il suffit                  à terre permettent de reconsti-

        3. La Chine du Nord et, au-delà, un bloc Amour à l’Est du lac Baikal semblent également indépendants.

32   Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008
Tectonique des plaques, séismes et GPS
tuer les paramètres de glissement                faille, minimisant la magnitude à
sous-marins. Grâce à des modèles                 9, ne peut expliquer le champ de
déduits de la distribution de la                 déplacement enregistré. Allonger
déformation à terre, on peut                     la zone à 1 000 km, tout en tenant
raisonnablement estimer le profil                compte de la courbure de la faille,
de la subduction (l’angle verti-                 résout le problème, mais conduit
cal de glissement d’une plaque                   à augmenter l’intensité de 9 à 9,2
sur l’autre), même à 500 km de                   (l’erreur pouvant s’expliquer par
distance, et la vitesse totale de                la saturation des sismographes
convergence.                                     et par la non-prise en compte
                                                 de l’énergie des oscillations à
                                                 très basse fréquence). Là-dessus,
Analyse                                          l'exploitation des données des
                                                 îles Andaman pose un problème
des séismes                                      supplémentaire, leur déplacement
                                                 ne concordant pas avec la prédic-
Lors d’un séisme, la tension accu-               tion du modèle.
mulée par les plaques riveraines
d’une faille se relâche. Une onde                En outre, l’analyse des données                  Figure 6 : Famille de courbes, indexée par
sismique de déformation élastique                cinématiques des stations, donc de               l’angle de la subduction, permettant de
                                                                                                  calculer les déformations en fonction de la
se propage radialement depuis                    leur vitesse instantanée, fait ressor-           distance à la faille (ici pour une profondeur
l’épicentre à la vitesse de 4 à                  tir une chronologie particulière : si            de blocage de 50 km).
7 km/s et entraîne avec elle un                  la rupture initiale se propage effec-
déplacement quasi-instantané des                 tivement à 3,7 km/s vers le nord-                région de Phuket, ces ondes sont
terrains, qui s’amoindrit au fur et              ouest, elle semble marquer une                   arrivées en concordance de phase,
à mesure que l’onde progresse et                 pause de 30 secondes à environ                   ce qui a occasionné un renforce-
dissipe son énergie. L’analyse du                8° de latitude nord, puis repart                 ment du phénomène de raz-de-
champ des déplacements élémen-                   à une vitesse réduite de 1,8 km/s                marée. D’autres endroits ont, au
taires issu du GPS permet de                     vers le nord. La conclusion qui                  contraire, été relativement épar-
reconstituer a posteriori le scénario            s’impose est qu’il s’est produit en
exact du séisme, voire de détec-                 réalité deux séismes : le premier,
ter certaines incohérences par                   entre la plaque de la Sonde et
rapport aux versions purement                    celle de l’Australie, a concerné
sismologiques.                                   environ 800 km, jusqu’au point
                                                 triple Sonde/Australie/Inde ; là, il
Dans le cas du séisme de l’est                   s’est interrompu, mais l’énergie
de Sumatra du 26 décembre                        libérée a entraîné une deuxième
2004, estimé à 9 en magnitude de                 rupture consécutive, cette fois sur
moment 4 (pour comparaison,                      environ 450 km, entre les plaques
cela équivaut à une énergie de                   de l’Inde et de la Sonde, au niveau
l’ordre de 1022 joules ; les 0,01 %              des îles Andaman.
dégagés sous forme d’onde sismi-
que correspondent à l’explosion                  Ce double séisme a provoqué des
d’une bombe de 300 mégatonnes),                  mouvements verticaux (surrec-
les déplacements, avant le séisme,               tion/subsidence) de l’ordre de
des stations permanentes de la                   plusieurs mètres, qui ont donné
zone voisine de la faille variaient              naissance à deux ondes de raz-
entre 3 cm/an et quelques mm/an                  de-marée séparées dans l’espace
suivant leur éloignement. Le jour                et dans le temps. Ces ondes de
du séisme, instantanément, ces                   déplacement de l’océan, à très
stations se sont déplacées dix                   basse fréquence (donc quasiment
fois plus (Shanghaï, à 6 000 km                  insensibles en pleine mer) se
de là, a enregistré un saut de                   sont propagées radialement à des                 Figure 7 : Synthèse de l’accumulation des
                                                                                                  tensions et des déformations le long de
4 mm). L’hypothèse initiale d’une                vitesses de plusieurs centaines                  la plaque de la Sonde, avant le séisme de
rupture de 450 km le long de la                  de kilomètres par heure. Dans la                 fin 2004.

4. Personne n’utilise plus l’échelle de Richter, en particulier pour les séismes majeurs. On parle de « magnitude de moment » d’après la formule
de Kanamori qui relie la puissance du séisme à la taille de la faille qui a rompu.

                                                                      Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008                            33
Tectonique des plaques, séismes et GPS
gnés : les ondes y sont arrivées en
                                                                                                           opposition de phase, le relief sous-
                                                                                                           marin a minimisé la violence de la
                                                                                                           vague, ou bien ils étaient protégés
                                                                                                           par d’autres terres émergées plus
                                                                                                           proche de l’épicentre.

                                                                                                           Prévision
                                                                                                           des séismes
                                                                                                           Lorsqu’une section unique d’une
                                                                                                           subduction se rompt, il est
                                                                                                           « logique » de supposer que les
                                                                                                           autres segments se trouvent
                                                                                                           fragilisés et vont finir par céder à
                                                                                                           leur tour. C’est bien ce qui s’est
        Figure 8 : Champ de déplacement enregistré lors du séisme du 26 décembre 2004 (deux                passé dans le cas de la plaque de
        échelles différentes).
                                                                                                           la Sonde, puisque d’autres séismes
                                                                                                           importants ont suivi celui du 26
                                                                                                           décembre 2004 : celui de Nias,
                                                                                                           le 28 mars 2005 (magnitude 8,7),
                                                                                                           puis celui de septembre 2007
                                                                                                           (magnitude 8,4), dont les épicen-
                                                                                                           tres respectifs se trouvaient tous
                                                                                                           deux plus au sud.

                                                                                                           Deux questions se posent à
                                                                                                           l’heure actuelle : la première
                                                                                                           est de savoir où va se produire
                                                                                                           le prochain séisme. La faille se
                                                                                                           prolonge, en effet, d’une part au
                                                                                                           large de Java vers le sud et, d’autre
                                                                                                           part, vers le nord en direction
                                                                                                           du Bangladesh. Or, les terres
                                                                                                           émergées du delta du Gange
        Figure 9 : Importance du glissement (à gauche) et vecteurs de déplacement associés. Dans           sont extrêmement basses et très
        la zone cerclée de noir, au point triple Sonde/Australie/Inde le glissement s’inverse. Il s’agit
        donc de deux séismes distincts.                                                                    peuplées, un raz-de-marée dans la
                                                                                                           région du Golfe du Bengale serait
                                                                                                           donc potentiellement très meur-
                                                                                                           trier. L’autre question en suspens
                                                                                                           concerne un segment de subduc-
                                                                                                           tion au large de la ville de Padang
                                                                                                           (à Sumatra, sur l’équateur), qui n’a
                                                                                                           pas encore bougé (les séismes se
                                                                                                           sont produits au nord et au sud
                                                                                                           de cette zone d’environ 200 km).
                                                                                                           Deux hypothèses peuvent expli-
                                                                                                           quer ce comportement :
                                                                                                            Ou bien, à cet endroit, la visco-
                                                                                                           sité (ou la résistance) des plaques
                                                                                                           culmine, ce qui provoque un
                                                                                                           blocage plus important qu’ailleurs ;
                                                                                                           si cette hypothèse est correcte,
                                                                                                           cela signifie que la rupture, qui se
        Figure 10 : Mouvements verticaux de terrain provoqués par le séisme (gauche) et amplitude          produira tôt ou tard, risque d’être
        initiale des ondes raz-de-marée consécutives (droite).                                             d’une rare violence ;

34   Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008
Tectonique des plaques, séismes et GPS
 Ou bien, à l’inverse, la zone en         l’ordre de 10 cm/an juste après
question est constituée de terrains        un séisme comme celui de 2004,
plus meubles, ou mieux lubrifiés,          à 400 km de la faille) suivant une
et glisse quasi-librement sans             courbe en forme de logarithme.
accumulation de contrainte, ce             Cette courbe se prolonge sur des
qui signifierait l’absence de risque       durées importantes, parfois plus
sismique dans cette région.                de trente ans dans le cas du rift
                                           érythréen, ou du séisme de 1960
Quel est le scénario réel ?                au Chili. Quelle interprétation
L’ambiguïté doit être tranchée             donner alors aux mesures GPS ?
grâce à l’installation dans la             À un instant t, sans historique,
zone de nouvelles stations GPS             mesure-t-on un déplacement
permanentes qui analyseront les            tectonique, ou bien une relaxation
mouvements telluriques autour              liée à un séisme ancien ?
de Padang. Toutefois, la faille
sous-marine n’est pas la seule             L’étude de la relaxation tectoni-
menace qui pèse sur la ville. Les          que aux environs de la Patagonie
séismes océaniques semblent                a conduit à la découverte de                Figure 11 : Carte des séismes enregistrés
avoir réveillé la Grande faille de         phénomènes curieux, et jusqu’ici            dans la région de Sumatra depuis 2004,
                                                                                       avec les risques potentiels de nouveaux
Sumatra (faille de cisaillement),          inconnus. Tout d’abord, certai-             tremblements de terre.
située à l’intérieur de l’île, et dont     nes stations exhibent un mouve-
le regain d’activité s’est traduit par     ment chaotique, avec des vitesses           sition de plusieurs composantes
quatre séismes de l’ordre de 6 en          de déplacement variables, qui               cinématiques erratiques. D’autres
à peine 18 mois.                           semblent provenir de la superpo-            enregistrements issus de stations
                                                                                       situées au large de Vancouver ont
                                                                                       mis en évidence des mouvements
                                                                                       de glissement étalés sur des durées
                                                                                       pouvant atteindre plusieurs jours :
                                                                                       il s’agit de séismes « lents », dont
                                                                                       l’ampleur est masquée (ils ne sont
                                                                                       pas enregistrés sur les sismogra-
                                                                                       phes classiques, et ne provoquent
                                                                                       aucun dégât). Dans certains cas,
                                                                                       ces glissements imperceptibles
                                                                                       se produisent périodiquement,
                                                                                       comme si la plaque était le siège
                                                                                       d’oscillations de relaxation. Ces
                                                                                       mouvements jusqu’ici inobservés
                                                                                       n’ont, pour l’instant, pas reçu d’ex-
Figure 12 : Exemple de mouvements de relaxation suite au séisme d’avril 2007 dans le   plications satisfaisantes. 
fjord d’Aysen en Patagonie.

Phénomènes
de relaxation
Lors d’un tremblement de terre,
les bordures des plaques concer-
nées se déplacent instantanément,
ce qui correspond à la libération
des tensions accumulées depuis le
séisme précédent. Ce mouvement
brutal est suivi, sur une période
bien plus longue, de déplacements
lents correspondant à des déforma-
tions de relaxation (amortissement
visqueux). Ceux-ci se caractérisent        Figure 13 : Exemple de mouvements de glissement périodiques, suffisamment lents pour
par une vitesse décroissante (de           passer inaperçus aux yeux de la sismologie « classique ».

                                                               Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008                   35
Tectonique des plaques, séismes et GPS
Questions subsidiaires

                  Géomatique Expert : Pourquoi ne pas faire                fluides, voire même partiellement fondues :
                  d’études sur les mouvements verticaux ?                  il y a donc convection magmatique, mais les
                                                                           mouvements de terrain superficiels se font
                  Christophe Vigny : Il y a deux problèmes                 sans heurts et sans formation de plaques.
                  avec les mouvements verticaux. Le premier                À l’inverse, Mars, planète plus petite que
                  a trait à l’incertitude du positionnement GPS,           la Terre, a déjà dissipé toute sa chaleur
                  qui est beaucoup plus importante qu’avec les             interne ; elle n’a donc plus de magma et plus
                  mouvements horizontaux. Le second est de                 de mouvements convectifs internes. Il reste
                  savoir de quoi on parle : les mouvements                 toutefois des traces d’une activité volcanique
                  verticaux peuvent être dus à une multitude               martienne, qui prouve que jadis la situation
                  de facteurs, au premier rang desquels la                 était différente.
                  météorologie (surcharge atmosphérique
                  ou hydrologique du sous-sol) . Filtrer les               Géomatique Expert : Haroun Tazieff avait, à
                  données pour isoler le signal utile relève du            l’époque, prophétisé un grand tremblement
                  défi. Pratiquement, la position verticale est            de terre dans la région de Nice. Qu’en est-il
                  très difficile à exploiter.                              exactement ? Et le fameux « Big one » que
                                                                           l’on annonce depuis bientôt cent ans dans
                                                                           la région de Los Angeles ?

                                                                           Christophe Vigny : Cela montre à quel
                                                                           point prédire et prévoir sont des choses
                                                                           différentes. Prédire, c’est simplement remar-
                                                                           quer qu’un séisme devrait se produire dans
                                                                           une région un jour ou l’autre, la probabilité
                                                                           de son occurrence augmentant de jour en
                                                                           jour puisque les déformations croissent avec
                                                                           le temps. Prévoir, ce serait en donner la date,
                                                                           ce que l’on ne sait pas faire.

                                                                           L’exemple du séisme de Parkfield en Californie
                                                                           est éclairant : sur cette portion de faille, six
                                                                           séismes très similaires se sont produits en
                                                                           1857, 1881, 1901, 1922, 1934 et 1966. Il est
                                                                           tentant de déduire que le système se charge
                  Christophe Vigny, chercheur au laboratoire de géologie   et rompt en moyenne tous les 23 ans, avec
                  de l’École normale supérieure.                           une déviation maximum de dix ans. Ainsi, le
                                                                           suivant (après 1966) était attendu pour 1989
                  Géomatique Expert : Pourquoi la tectonique               (1999 au plus tard). Or, il s’est produit le 28
                  est-elle propre à la Terre, et ne concerne               septembre 2004. Alors, succès ou échec de
                  pas les autres planètes « telluriques » que              la prévision ?
                  sont Vénus et Mars ?
                                                                           Donc oui, à Nice, comme à Los Angeles,
                  Christophe Vigny : Vénus est plongée dans                un tremblement de terre finira bien par se
                  une atmosphère extrêmement dense et                      produire. Attention ! majeur en Californie (en
                  chaude (400°C, 90 atmosphères). Il est aussi             fait San Francisco), relativement faible à Nice ;
                  possible qu’elle soit légèrement plus jeune              cela se déduit de l’analyse des séismes passés,
                  que notre Globe, donc que son intérieur soit             de l’étude des failles et de l’accumulation de
                  plus chaud. Quoi qu’il en soit, ces conditions           déformation. Mais quand ? À cette question,
                  infernales rendent les roches vénusiennes plus           nul ne sait répondre.

36   Géomatique Expert - N° 65 - Octobre-Novembre 2008
Tectonique des plaques, séismes et GPS Tectonique des plaques, séismes et GPS Tectonique des plaques, séismes et GPS
Vous pouvez aussi lire