Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791 The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785
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Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791 The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785 Quatuor Cambini-Paris on period instruments Julien Chauvin violin Karine Crocquenoy violin Pierre‑Éric Nimylowycz viola Atsushi Sakaï cello 1
Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791 The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785 Les 6 Quatuors dédiés à Haydn CD1 String quartet no 14 in g major, “Spring” Quatuor no 14 en sol majeur, « le Printemps », K387 1782 1 Allegro vivace assai 12’00 2 Menuetto: Allegretto 7’29 3 Andante cantabile 7’27 4 Molto allegro 7’49 String quartet no 15 in d minor Quatuor no 15 en ré mineur, K421 1783 5 Allegro moderato 11’53 6 Andante 7’27 7 Menuetto: Allegretto 3’59 8 Allegretto ma non troppo – Più allegro 9’57 2
CD2 String quartet no 17 in b flat major, “Hunt” Quatuor no 17 en si bémol majeur, « La Chasse », K458 1783-1784 1 Allegro vivace assai 12’22 2 Menuetto: Moderato 3’54 3 Adagio 7’23 4 Allegro assai 9’30 String quartet no 16 in e flat major Quatuor no 16 en mi bémol majeur, K428 1783 5 Allegro ma non troppo 10’34 6 Andante con moto 12’45 7 Menuetto: Allegretto 05’32 8 Allegro vivace 5’43 3
CD3 String quartet no 18 in a major Quatuor no 18 en la majeur, K464 1785 1 Allegro 11’407 2 Menuetto 5’55 3 Andante 12’20 4 Allegro non troppo 8’29 String quartet no 19 in c major, “Dissonance” Quatuor no 19 en ut majeur, « Les Dissonances », K465 1785 5 Adagio – Allegro 15’22 6 Andante cantabile 7’37 7 Menuetto: Allegretto 4’47 8 Allegro molto 11’14 4
Sommaire — Contents Paris à la découverte des quatuors à cordes de Mozart — Jean Gribenski . . . . . . . . . p.9 Entre influence et défi — Atsushi Sakaï . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.14 Propos recueillis — Alexandre Dratwicki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.17 Clés d’écoute — Pierre‑Éric Nimylowycz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.21 Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.36 Paris’s discovery of Mozart’s String Quartets — Jean Gribenski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.37 Influences from Haydn — Atsushi Sakaï . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.40 Interview — Alexandre Dratwicki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.43 A guide to listening — Pierre‑Éric Nimylowycz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.46 Biography . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.60 Credit page . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.64 5
Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart
À mon cher ami Haydn, Un père ayant résolu d’envoyer ses fils dans le vaste monde estima qu’il devait les confier à la protection et à la direction d’un homme, très célèbre alors, qui, par une heureuse fortune était, de plus, son meilleur ami. C’est ainsi, homme célèbre et ami très cher, que je te présente mes six fils. Ils sont, il est vrai, le fruit d’un long et laborieux effort, mais l’espérance, que plusieurs amis m’ont donnée, de le voir, au moins en partie, récompensé, m’encourage, me persuade que ces enfantements me servent un jour de quelque consolation. Toi-même, ami très cher, au dernier séjour que tu as fait dans cette capitale, tu m’as manifesté ta satisfaction. Ce suffrage de ta part est ce qui m’anima le plus ; et c’est pourquoi je te les recommande avec l’espoir qu’ils ne te semblent pas indignes de ta faveur. Qu’il te plaise donc de les accueillir avec bienveillance et d’être leur père, leur guide, leur ami ! Dès cet instant, je te cède mes droits sur eux et te supplie en conséquence de regarder avec indulgence les défauts que l’œil partial de leur père peut m’avoir cachés, et de conserver, malgré eux, ta généreuse amitié à celui qui l’apprécie tant. Car je suis de tout cœur, ami très cher, Ton bien sincère ami. W. A. Mozart 7
Paris à la découverte des quatuors à cordes de Mozart par Jean Gribenski « Musique de chambre » : à la fin du xviie et au encore le terme d’interprètes). Les œuvres début du xixe siècle, le sens de l’expression n’étant pour ainsi dire jamais jouées en n’a que peu de rapport avec ce qu’il est public, elles ne laissent pratiquement aucune aujourd’hui. De nos jours, on entend par là trace dans la presse (contrairement aux une musique instrumentale destinée à une symphonies ou aux opéras, par exemple) : petite formation de solistes, avec ou sans seule l’édition nous permet de saisir la piano, mais à l’exclusion du piano seul. diffusion de ce répertoire. Cette définition, fondée sur l’effectif, semble ne s’être définitivement imposée que dans De son vivant, les œuvres de Mozart la seconde moitié du xixe siècle. Au siècle publiées à Paris, qui est alors le grand précédent, en effet, le mot « chambre » centre européen de l’édition musicale, sont (Kammer en allemand) s’entend encore principalement des œuvres pour clavier, au sens propre : « musique de chambre » seul ou « accompagné » : la majorité des est la traduction littérale en français de sonates piano-violon, les sept trios pour musica da camera, expression apparue en piano, violon et violoncelle, le trio pour Italie au milieu du xvie siècle pour désigner piano, clarinette et alto (K. 498), les deux toute musique, vocale ou instrumentale, quatuors pour piano et cordes (K. 478, qui n’est pas destinée à l’Église. 493). Ce succès des œuvres pour piano se poursuit et s’amplifie après la mort de Dans le domaine de la « musique de Mozart, pour aboutir, entre 1800 et 1808, chambre », l’édition joue un rôle absolument à la publication d’une importante série fondamental : elle met les œuvres entre les effectuée par un grand éditeur, Pleyel : la mains des « exécutants » (on n’emploie pas Collection complette [sic] des œuvres de 8
piano par W. A. Mozart, en treize volumes, renommée sans cesse croissante comme qui connaîtra en France une diffusion compositeur, dans la quinzaine d’années considérable − exemple parmi d’autres qui suit sa mort : les œuvres orchestrales d’un mouvement très général en Europe, (symphonies, concertos) ne sont encore qui révèle une double mutation du goût guère connues, les opéras le sont moins musical : l’intérêt pour la musique du passé encore. Quant à sa musique religieuse, même si, dans le cas de Mozart ce passé elle n’apparaîtra à Paris qu’à partir de n’est pas encore très ancien et la constitu- 1804. Ainsi, les dix « grands » quatuors à tion d’un « panthéon » de quelques grands cordes (les six dédiés à Haydn, le quatuor compositeurs, parmi lesquels figure Mozart. « Hoffmeister », les trois « prussiens ») connaissent de multiples éditions ; les Pour ce qui est de la « musique de quatuors « de jeunesse » ne sont pas non chambre » sans clavier, le succès est plus plus ignorés : les six « viennois » (K. 168- tardif, posthume en général, à l’exception 173), ainsi que deux des six « milanais » des Six Quatuors dédiés à Haydn : ils sont (K. 157, 160/159a) sont publiés avant 1804. publiés à Paris dès 1785, soit quelques En outre, les éditeurs parisiens publient un mois après la première édition, viennoise, grand nombre de transcriptions pour qua- qui suit elle-même de peu l’achèvement de tuor à cordes, qui témoignent et du succès la composition. Le succès semble d’emblée considérable de ce genre en France − un important : avant la mort de Mozart (1791), succès qui ne semble pas affecté par la la série paraît à nouveau chez un autre Révolution − et du succès grandissant de éditeur parisien — rappelons qu’il n’existe Mozart. Ces éditions culminent en quelque alors aucun droit d’auteur pour les œuvres sorte avec la parution, de 1805 à 1811, de musicales. trois collections de « musique de chambre » pour cordes de Mozart en parties séparées, Dès le lendemain de la mort du compositeur, publiées chez trois des plus grands éditeurs les éditions de sa « musique de chambre », de musique instrumentale de Paris (Pleyel, notamment pour cordes, se multiplient. On Sieber, Imbault). peut même avancer que c’est principale- ment à ces œuvres que Mozart doit une 9
Voit le jour enfin une quatrième collection, Ainsi, la musique de chambre de Mozart qui marque un changement capital dans joue un rôle essentiel dans la mutation qui la réception non seulement de l’œuvre de affecte à Paris vie musicale et réception Mozart, mais de la musique en général : à de la musique au tournant des xviiie et xixe partir de 1802, Pleyel publie, sous le nom siècles. Est-ce à dire que ces œuvres ont hautement symbolique de Bibliothèque quitté les pupitres des « exécutants » pour musicale, une collection de « partitions de les étagères des bibliothèques ? Que la poche », innovation qui restera unique en plume de l’analyste remplace désormais Europe pendant plusieurs dizaines d’années. le clavier ou l’archet ? Certainement pas ! Après quatorze volumes consacrés à Haydn, Mais, on l’a dit, n’étant pas publiques, les de 1802 à 1805, la Bibliothèque musicale se exécutions ne laissent guère de traces. poursuit de 1805 à 1808 avec cinq volumes C’est seulement en 1814 que le violoniste contenant des œuvres de Mozart : les Six Pierre Baillot donne les premières séances Quatuors dédiés à Haydn, puis quatre publiques de quatuors et quintettes à quintettes à cordes. Changement capital : cordes : les œuvres de Mozart y tiennent grâce à la partition, l’œuvre musicale n’est une des premières places. plus seulement éphémère, liée à l’exécution ; elle peut devenir objet d’étude, inscrit dans la durée. Les chefs‑d’œuvre de la musique instrumentale deviennent dignes de prendre place dans une bibliothèque, aux côtés des grandes créations littéraires et phi- losophiques. Et parmi ces chefs‑d’œuvre figurent symphonies et quatuors de Haydn, bien entendu, mais aussi les grandes œuvres de « musique de chambre » de Mozart, dont certaines servent déjà de modèles, soit aux compositeurs (H. Jadin, 1796), soit aux analystes (Momigny, 1806). 10
Joseph Haydn
Entre influence et défis par Atsushi Sakaï « Je vous assure que si l’on ne Les Six Quatuors dédiés à Haydn, écrits voyage pas (au moins les gens qui entre 1782 et 1785, sont le fruit d’un long s’occupent d’arts et de science), et laborieux effort, comme le dit Mozart on n’est vraiment qu’un pauvre lui-même. Ce sont des œuvres sans pré- être !… Un homme de médiocre cédent, par leur écriture ambitieuse, leur talent reste toujours médiocre, qu’il complexité contrapuntique et leur audace voyage ou non, mais un homme de harmonique. Dès leur publication par les talent supérieur (et je ne pourrais éditions Artaria à Vienne en septembre 1785, me contester ce talent à moi-même ces quatuors ont suscité de nombreuses et sans impiété), deviendra mauvais, s’il vives critiques, tout en devenant par ailleurs reste toujours dans le même lieu. » très rapidement un sujet d’analyse dans les (Lettre de Mozart à son père, traités théoriques. le 11 septembre 1778) Une des premières critiques est apparue Mozart n’est ni novateur comme Haydn, ni en avril 1787 dans le Magasin der Musik. révolutionnaire comme Beethoven. Mais il Cet écrit de Carl Friedrich Cramer pourrait aime le monde dans lequel il vit et sait en bien représenter l’avis général de l’époque : tirer la plus grande inspiration. Loin d’être un élitiste académique, il arrive à assimiler « C’est dommage qu’il vise trop haut dans le style des autres, à en absorber le meilleur ses compositions vraiment belles et artis- pour l’adapter à sa propre sensibilité. Il tiques afin de devenir un nouveau créateur, possède un cœur clément et compatissant où l’on doit avouer que le sentiment et le toujours ouvert à ses semblables. cœur en profitent peu. On pourrait bien 13
dire que ses nouveaux quatuors pour deux Mozart crée tout un menuet en utilisant violons, alto et basse, lesquels il a dédiés tous les moyens possibles du contrepoint. à Haydn, sont trop assaisonnés — et quel La superposition des sujets, l’imitation en palais peut en endurer si longtemps ? » strette, et le sujet en mouvement contraire sont si naturellement arrangés dans ce nou- La rencontre avec Haydn en 1781 a certai- veau style que nous sommes constamment nement été très stimulante pour Mozart et l’a emportés par cette musique aérienne. sans doute incité à se lancer dans ce projet de nouveau cycle pour quatuor à cordes. Pour évoquer son influence sur ces six Les quatuors opus 33 de Haydn, composés nouveaux quatuors de Mozart, on doit éga- la même année, se dirigent nettement vers lement revenir vers les quatuors antérieurs le style galant, le goût de l’époque. Haydn de Haydn, particulièrement ceux de l’opus annonce que ces quatuors « sont écrits 20. Ces quatuors composés en 1772 sont d’une manière nouvelle et particulière, remarquables par l’intensité et la profondeur car cela fait dix ans que je n’en ai plus de leur expression, infiniment variée et composé ». Cette nouvelle tentative du personnelle. De par leur travail thématique grand maître montre avec grâce que l’on et contrapuntique développé ainsi que peut composer en bon équilibre, entre le l’« aventure harmonique » qui nous entraîne chant continu, facilement compréhensible, toujours plus loin de la tonalité initiale, ces et le dialogue entre quatre musiciens qui œuvres sont parmi les premiers exemples conversent. Mozart voit la possibilité de d’un genre nouveau de quatuor à cordes, développer cet idéal en se réconciliant qui prévaudra dorénavant, dans lequel les définitivement avec le style sévère du compositeurs repoussent les limites de leur contrepoint dont il se sert librement dans langage musical. Et bien qu’il ne soit pas cette nouvelle esthétique. facile d’apercevoir immédiatement les rap- ports stylistiques entre les deux cycles, les Le Menuet du Quatuor en la majeur (K.464) six nouveaux quatuors de Mozart sonnent est peut-être l’un des exemples les plus presque comme un défi par lequel il entend fascinants de cette entreprise. En utilisant égaler ou même surpasser le prestigieux seulement deux brèves cellules musicales, cycle de son aîné. 14
Prenons par exemple le final du Quatuor en avec le troisième mouvement du premier sol majeur (K. 387). Bien que Haydn n’ait plus quatuor de l’opus 20 de Haydn, une page écrit de fugue pour cette formation après le musicale également emplie de sincérité. cycle de l’opus 20, Mozart ressentit le besoin d’en écrire à nouveau après l’expérience probablement amère que fut pour lui celle du cycle « viennois » composé neuf ans plus tôt. Mais cette fois-ci il invente une forme fuguée plus proche de sa propre sensibilité, en associant la fugue à la forme sonate. Ce nouveau style d’écriture échappe au pédantisme d’un contrepoint trop aca- démique, tout en permettant à Mozart de montrer l’étendue de son savoir-faire par une fugue à double sujet. Mais le vrai défi pour le compositeur sera peut-être d’égaler la profondeur spirituelle et la liberté d’expression des mouvements lents de l’opus 20 de Haydn. Le deuxième mouvement du Quatuor en mi bémol (K. 428) constitue un exemple d’expérimentation dans l’aventure harmonique grâce à laquelle Mozart parvient à une intériorité et une émotion nouvelles. L’utilisation, entre autres, des dissonances, met l’auditeur dans la confidence des sentiments passionnés et de la ferveur amoureuse du compositeur. On ne peut manquer de faire le parallèle 15
Propos recueillis ainsi cheminer à travers un tel éventail de couleurs, de caractères, d’émotions et de par Alexandre Dratwicki sentiments ! À ce propos, vous avez choisi un ordre particu‑ Cher Quatuor Cambini-Paris, vous abor‑ lier dans l’enchaînement de ces six quatuors. dez aujourd’hui au disque le cycle le Pouvez-vous nous l’expliquer ? plus important des quatuors à cordes de Wolfgang Amadeus Mozart, son troisième Nous présentons effectivement ce cycle (composé entre 1782 et 1785) après ceux dans un ordre particulier, suite aux modifica- des « milanais » et des « viennois » et avant tions que Mozart lui‑même aurait apportées celui des « prussiens ». Pourriez-vous nous entre son manuscrit et la première édition dire, après avoir enregistré plusieurs albums supervisée par ses soins et publiée chez de musique française (H. Jadin, Cambini, Artaria à Vienne en 1785. David et Gouvy), ce qui a motivé votre choix ? Il apparaît en effet que sa volonté a bien été de permuter le Quatuor en mi bémol Ce projet nous tenait à cœur depuis long- majeur et le Quatuor en si bémol majeur temps car, tout simplement et très honnê- – contrairement aux dates de composition : tement, nous adorons ces quatuors ! Et les on retrouve des mentions manuscrites qui grands classiques viennois du xviiie siècle vont en ce sens dans la partition autographe font bien évidemment partie de notre conservée à la British Library. répertoire et sont au programme de nos Il nous a donc semblé très intéressant de concerts depuis toujours, il est vrai, aux les faire entendre ainsi. D’autant qu’après le côtés de quelques très belles découvertes Quatuor en ré mineur, très dense émotion- françaises que nous défendons ardemment nellement, une respiration est la bienvenue depuis la création de notre quatuor. avec le caractère assez festif du Quatuor D’autre part, nous avons eu la chance en si bémol majeur, plutôt que d’enchaîner – devenue rarissime de nos jours – de directement avec celui en mi bémol majeur, pouvoir enregistrer ce cycle dans son lequel est de nature beaucoup plus initia- intégralité, ces six magnifiques quatuors tique et mystérieuse. étant tout à fait indissociables à nos yeux car composés et présentés en tant que À partir des années 1770, apparaît en tels par Mozart. Quel bonheur de pouvoir France une « mode » dans la structure des 16
quatuors à cordes, qui prennent une nouvelle Vous jouez et enregistrez depuis 2007 sur des dénomination. Les quatuors « dialogués » instruments anciens, montés avec des cordes ou « concertants » vont ainsi fleurir avant de en boyau, et avec des archets d’époque. Est-ce laisser la place, à la toute fin du xviie siècle, aux un choix primordial pour vous ? quatuors « brillants », qui feront la part belle au premier violon. Nous ne faisons là que répondre à un besoin Pensez-vous que Mozart ait pu avoir connais‑ impérieux qui nous vient, chacun à notre sance de ces « nouveaux » quatuors ? manière, à la fois d’un ressenti profond et d’une recherche sonore. Nous aimons tous Au cours de ses deux voyages à Paris, les quatre passionnément la sonorité parti- Mozart a eu l’occasion de découvrir la culière de ces instruments. Et l’esthétique musique française, tant l’opéra que la dite « historiquement informée » nous tient musique symphonique ou la musique de à cœur, non par désir de faire table rase des chambre. Il a sans aucun doute dû entendre traditions des dernières décennies, mais par les quatuors dialogués de Cambini (plus celui, sincère, de faire partager notre lecture d’une centaine), de Rigel ou de Pleyel, et de ces partitions avec, nous l’espérons, la il a pu s’en inspirer quelques années plus fraîcheur d’une vision renouvelée qui se tard. Nous retrouvons dans le Quatuor en rapproche au plus près du matériau original. ré mineur (allegretto ma non troppo) et le Les cordes en boyau, qui caractérisent le Quatuor en la majeur (andante) le principe plus notre spécificité, sont d’origine animale. même de la « conversation en musique », Elles réagissent donc de manière sensible à chère à nos compositeurs français, à travers l’hygrométrie et aux variations de tempéra- les mouvements à variations. En effet, après ture, ce qui n’est pas toujours confortable, le thème du mouvement exposé au premier mais leur toucher est tellement plus souple violon, chaque protagoniste, à sa manière, et attachant, qu’il est ensuite difficile de donne son point de vue, son « opinion » sur revenir au jeu sur cordes en métal. Cela le thème. La palette sonore s’enrichit ainsi explique certainement en partie pourquoi considérablement et le second violon, l’alto ces dernières ne se sont généralisées que et le violoncelle prennent une autonomie dans les années 1940, avec des musiciens nouvelle que Mozart portera à son apogée qui étaient amenés à voyager plus vite avec les quatuors « prussiens ». d’une ville, voire d’un pays ou même d’un continent à l’autre. 17
Pour les archets, nous en jouons de diffé- de profiter pleinement de la richesse des rents modèles, selon la période de compo- boiseries et des ornements de ce lieu unique sition des œuvres que nous interprétons, et rarement accessible. l’évolution ayant été très rapide, surtout au tournant du xviiie siècle. Beaucoup de modèles se sont succédé entre l’archet Avez-vous déjà songé à votre prochain projet baroque et le modèle romantique actuel, discographique ? la longueur de la baguette s’allongeant progressivement, la mèche devenant de plus Oui ! Beaucoup d’envies personnelles et en plus large et la tête se raccourcissant. de désirs différents, que nous devons faire Les archets sont devenus ainsi de plus en converger… De Haydn à Ravel, en passant plus lourds afin de gagner en projection par Schubert, Beethoven et Mendelssohn, sonore et en égalité, mais ils ont en revanche les possibilités sont inépuisables… En « perdu » en timbre, en articulation et en attendant également de trouver la prochaine clarté d’émission. perle rare française ! Ces caractéristiques sonores vous ont‑elles déterminés à enregistrer ces quatuors dans un lieu particulier ? Nous avons réalisé cette intégrale en deux parties. Dans un premier temps, nous avons enregistré les quatuors K. 428 et K. 458 au très majestueux Théâtre impérial de Compiègne, à l’acoustique merveilleuse. Puis nous avons eu l’honneur que nous soient ouvertes les portes de la somp- tueuse Galerie dorée, située à l’intérieur de la Banque de France, à Paris. Jouer dans cet écrin, lequel inspira à Mansart sa galerie des Glaces du château de Versailles, nous a permis de replacer les œuvres de Mozart dans un contexte plus intimiste et 18
Wolfgang Amadeus Mozart
Clés d’écoute par Pierre-Éric Nimylowycz Dédier à Haydn, son ami et père spirituel, Et Haydn demandera d’ailleurs à réentendre ce livre de six quatuors est, de la part du le cycle une seconde fois. Il est particuliè- jeune Mozart, un geste magnifique d’amitié, rement émouvant pour nous d’imaginer d’humilité, d’admiration et de désintéresse- Mozart tenant la partie d’alto, son père ment. Le cycle ne résulte en effet d’aucune Leopold au premier violon et les deux barons commande directe ; et de fait, Mozart le Tinti au second violon et au violoncelle. compose sans en rechercher de rétribution, Le père de la symphonie sera à son tour ce qui est rare à cette époque. influencé par la beauté de ces pièces, et, Si beaucoup de compositeurs ont dédié s’il ne retourna pas le geste directement, un cycle de quatuors à cordes à Haydn fera évoluer son écriture vers de nouveaux (H. Jadin, Wranitzky…), tant il est vrai que sommets avec l’opus 50 et les suivants, l’inventeur de ce genre musical l’a marqué participant ainsi à une émulation nourrie de d’une empreinte indélébile, seul Mozart respect et d’admiration mutuels. parvient à y faire preuve d’autant de génie. À tel point que le récipiendaire de l’œuvre Le Quatuor en sol majeur K. 387 ouvre déclarera au père de Wolfgang : le cycle sur une tonalité solaire, car extrê- mement bien sonnante sur instruments à « Je vous le dis devant Dieu, en cordes. Terminé le 31 décembre 1782, on honnête homme, votre fils est le y sent la joie des festivités de fin d’année. plus grand compositeur que je Mozart, familiarisé aux musiques des grands connaisse, en personne ou de nom, il maîtres Händel et J. S. Bach grâce au baron a du goût, et en outre la plus grande van Swieten entre 1782 et 1783, opère un science de la composition. » syncrétisme inédit avec le style galant. Grâce à un travail acharné, il s’approprie les formes contrapuntiques héritées de 20
ses prédécesseurs, lesquelles s’intègrent Menuetto maintenant de manière totalement fluide et Placé en deuxième position, le menuet est harmonieuse à son écriture. relativement développé. Il constitue même une forme sonate miniature, dont les mon- Allegro vivace assai tées chromatiques du premier thème, avec Le premier mouvement débute sur un thème leurs nuances dodelinantes, provoquent frais qui valut à ce quatuor son surnom : des tressautements assez surprenants, « Le Printemps ». Mais si la petite marche caractéristiques de ce mouvement. Mozart qui ouvre le second groupe thématique1 s’ingénie à faire passer cet effet à toutes confère à l’exposition un caractère fonda- les voix bien sûr, mais aussi à l’inverser au mentalement optimiste, le drame point assez violoncelle. Basé sur de brèves questions/ rapidement dans le développement. Les réponses en forme de politesses échangées rythmes syncopés haletants, les violentes à l’impromptu, le deuxième thème est plus différences de dynamiques, les accents simple. Le petit arpège du début du mou- abrupts sur les contretemps contribuent vement apporte quelque inquiétude dans à créer un climat agité, avant que ce bref le micro-développement, mais le véritable orage de printemps ne se calme en revenant contraste est dans le trio en sol mineur, vers la réexposition quasi identique. Cette avec ses octaves très définitives et ses dernière est d’ailleurs magnifiquement rame- progressions harmoniques mystérieuses. née par une pédale de dominante perchée Cette frayeur enfantine est vite oubliée au dans l’aigu des instruments, sur laquelle retour du menuet. N’est-ce pas là l’une des viennent s’égrener de jolis accords de sixte manifestations les plus remarquables du descendants, tous retardés et calando, génie mozartien que de nous rappeler la c’est-à-dire justement « en se calmant ». démesure des sentiments qu’enfant nous 1 Pour clarifier un point essentiel du langage grammatical mozartien, il faut préciser que depuis son plus jeune âge, l’amour du théâtre, des marionnettes, du travestissement, du déguisement, de l’opéra, des cartes, du billard, des jeux de mots souvent potaches font de Mozart un adepte du multi-thématisme. Contrairement à nombre de compositeurs de son temps, il ne se suffit en effet que très rarement d’une exposition bi-thématique dans les formes sonates. On parle plus volontiers de « groupe thématique », tellement ses idées mélodiques sont nombreuses. 21
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éprouvons, passant en un éclair du rire le Un deuxième thème/sujet en contretemps plus sincère aux larmes les plus amères ? quasi jazzy est rapidement mêlé au premier, alors qu’un véritable troisième thème de Andante cantabile divertissement, désinvolte, fait penser au Le ton élégiaque et solaire du mouvement récent Enlèvement au sérail. lent en ut majeur fait de cet Andante can- Mozart n’est pas ici dans un tour de force tabile une pièce particulièrement irradiante. théorique, mais bien dans un final enjoué Plusieurs thèmes très chantants et généreux qui contient, dans son épilogue, après se succèdent, avant d’être répétés une une strette au contrepoint très serré, une seconde fois de manière plus ou moins fausse conclusion qui n’est pas sans rap- modifiée. Cette forme est de ce fait très libre. peler l’humour du compositeur du palais Les ornementations du premier violon sont Esterházy. à plus d’un titre remarquables, et donnent vie à l’un des moments les plus magiques Le Quatuor en ré mineur K. 421 est le du cycle lorsqu’une marche d’harmonie seul que Mozart a écrit dans une tonalité vient comme une magnifique étoffe parer le mineure durant sa période de maturité. Il délicat ruban ornemental du premier violon le compose pendant la première grossesse s’envolant dans l’aigu. de sa femme Constanze et le termine pro- bablement en juin 1783. Remarquons que, Molto allegro confronté aux événements marquants de sa Le mouvement final, une exaltante double vie d’homme, Mozart écrit alors dans une fugue de forme sonate, évoque déjà le tonalité grave voire profonde : la Sonate dernier mouvement de la symphonie Jupiter, pour piano et violon en mi mineur K. 304 mais se place surtout sous l’influence de et la Sonate pour piano en la mineur K. 310 Haydn, qui avait conclu deux de ses qua- à la mort de sa mère, le Quintette à cordes tuors de l’opus 20 par une fugue. Le premier en sol mineur K. 516 à celle de son père, thème/sujet du mouvement, un cantus la Grande Messe en ut mineur K. 427 pour firmus de quatre notes, est très rapidement son mariage avec Constanze… suivi par plusieurs divertissements distincts. 23
Allegro Moderato Andante La première phrase place d’emblée ce Ce mouvement en fa majeur évoque un mouvement dans une introspection mélan- balancement de berceuse. Il est construit colique, avec ses grands intervalles et ses assez singulièrement, avec une forme faisant inflexions douloureuses. On pense ici au penser à celle d’un menuet. L’atmosphère Quatuor en fa mineur de l’opus 20 de Haydn. calme et sereine des accords homoryth- Mais des cris déchirants ne tardent pas à miques et des petits arpèges en entrées se faire entendre dès la deuxième carrure. canoniques est à peine contrariée par de L’ensemble du premier groupe thématique petits nuages d’inquiétude. balance entre affliction et colère, avec des La deuxième partie oscille entre des accords différences de nuances extrêmes dans un abrupts d’effroi et une douce cantilène esprit Sturm und Drang. Le deuxième thème consolatrice du premier violon. Notons le en fa majeur, très cantabile, fait naître un parcours tonal « copieux » (fa mineur, do espoir en complet contraste avec ce qui mineur, la bémol majeur, fa mineur) dans un précède. Le premier violon s’y déploie, temps si restreint. Une coda doucereuse, comme les gracieux vols d’anges figurant après la réexposition, termine d’assoupir sur les peintures des plafonds du château l’enfant que Mozart devine dans le ventre de Schönbrunn. Le développement fait de sa bien-aimée. entendre bientôt des dissonances aux violons semblant venir de Pergolèse, alors Menuetto Allegretto que Schubert à son tour se souviendra de L’atmosphère sombre du menuet se nourrit ce passage dans son quatuor La Jeune Fille d’un contrepoint assez serré et d’une mise et la Mort. Le thème réconfortant avec ses en opposition régulière de deux paires triolets de doubles croches de l’exposition (premier violon et violoncelle « contre » vient cette fois, dans la reprise, nous ôter second violon et alto, ou premier violon et toute espérance, avant que la coda ne laisse alto « contre » second violon et violoncelle). place à un dénouement tragique. Le contraste est saisissant avec la « valse » du trio – rappelons que le menuet est l’ancêtre véritable de cette danse typique- ment viennoise du xixe siècle. Les pizzicati 24
des parties accompagnantes ponctuent différemment syncopés de chaque partie une mélodie constituée d’arpèges et de ne laissent aucune mélodie ressortir de sauts dans des tessitures extrêmes sur un ce « tic-toc-choc » musical, si ce n’est la rythme se dérobant sans cesse. L’alto se plainte du premier violon ponctuant une joint au premier violon dans la deuxième carrure sur deux. La partie de second violon section, créant une couleur plus gaillarde. est à cet endroit particulièrement virtuose. Mais le menuetto da capo nous désillusionne La troisième variation est un dialogue bientôt après la grâce presque futile de ce entre l’alto plaintif et les deux violons lui moment de répit. répondant ensemble à l’octave. La variation suivante en ré majeur est celle qui console Allegro ma non troppo — Più allegro enfin grâce aux octaves consensuelles des C’est l’un des deux mouvements en forme violons et aux mélismes du violoncelle dans de thème et variations du cycle. Le thème son registre aigu. de sicilienne rappelle tour à tour une danse La coda reprend le thème più allegro (« plus de la Renaissance tardive ou encore un rapidement »), et les notes répétées mènent air de Händel – le compositeur préféré à une pédale de tonique qui rappelle de Mozart. On peut cependant en trouver l’influence de la musique de J. S. Bach, une ascendance plus certaine dans le faisant sonner le quatuor à cordes comme final du Quatuor en sol majeur de l’opus un orgue à quatre archets. 33 de Haydn, même si la mélodie passe ici successivement d’un violon à l’autre. Le Quatuor en si bémol majeur K. 458 La première variation est celle des volutes fut, à en croire l’étude des manuscrits auto- ornementales du premier violon, avec ses graphes effectuée par Tyson2, commencé arpèges, chromatismes et appoggiatures à la même période que ceux en ré mineur magnifiquement chantants. La très nova- et mi bémol majeur, mais seuls les 106 trice deuxième variation est une expé- premières mesures du premier mouvement rience acoustique que Beethoven n’aurait ainsi que son menuet-trio furent achevés certainement pas reniée : les rythmes en 1783. Mozart ne terminera ce quatuor 2 Allan Tyson, Mozart : Studies of the Autograph Scores, Boston, Harvard University Press, 1987. 25
qu’un an plus tard. Même s’il est difficile de définit cependant assez bien le caractère spéculer sur les raisons d’une telle pause du premier mouvement, où jeux d’échos dans l’écriture, les événements de la vie du et de relais se succèdent. Le deuxième compositeur peuvent contribuer à l’éclairer. thème, moins extraverti mais tout aussi En août 1782, Wolfgang épousait Constanze badin, semble curieusement découler d’un à Vienne, sans que son père Leopold ni motif secondaire exposé précédemment. sa sœur Nannerl ne soient favorables à Sa présentation, tout d’abord par le second cette union. Un voyage à Salzbourg pour violon puis le premier, rappelle le Quatuor présenter la mariée (et mère d’un premier en sol majeur. Un troisième thème, pastoral fils !) s’imposait. Laissant à la fin du mois voire champêtre, débute le développement de juillet 1783 le petit Raimund Leopold avant qu’un nouveau motif ne parvienne à à Vienne, ses parents n’allaient jamais le assombrir, très brièvement, l’atmosphère. revoir, l’enfant décédant le 19 août à l’âge Ce dernier, très court, fut donc certainement de deux mois. Mozart se consacre alors à composé un an plus tard par Mozart, et la composition de la Grande Messe en ut réapparaît à la toute fin de la très large et mineur K. 427, pour laquelle il écrit deux généreuse coda. mouvements supplémentaires spécialement pour une exécution salzbourgeoise. Il com- Menuetto: Moderato pose également les deux duos K. 423 et Très cantabile, ce menuet est d’une allure K. 424 pour tirer le frère de Haydn, Michael, assez noble, avec de longues lignes très de l’embarras, et il s’attelle enfin à termi- vocales, que viennent surprendre quelques ner un cycle de trois sonates pour piano inflexions typiquement viennoises sur le K. 330 à K. 332 – Tyson en date en effet troisième temps. Plus joueur avec ses les manuscrits de cette période. quelques rythmes pointés dans le thème, le trio apporte une fraîcheur bienvenue, Allegro — Vivace assai grâce notamment aux notes sautillées au Même si l’écriture est ici indéniablement second violon et à l’alto. raffinée, c’est la « sonnerie » de cor entendue dès le début qui inspirera le surnom de ce quatuor : « La Chasse ». Il 26
Adagio Haydn – en particulier le final du quatuor Le seul mouvement adagio de tout le cycle de la même tonalité de l’opus 33. Les (avec l’introduction dite des dissonances du lignes jaillissent, les voix surgissent dans dernier quatuor) est le véritable point culmi- les croches répétées du premier thème, nant de ce quatuor, présentant tour à tour dans les petits galops du violon dans le trois magnifiques thèmes, auxquels s’ajoute deuxième, dans la construction étonnante un quatrième dans la coda. L’ensemble par quartes successives du troisième… est présenté deux fois, tout comme dans Le premier thème se trouve, dans l’assez l’Andante cantabile du premier quatuor du large développement, travaillé en strette, cycle. La grande force de Mozart, son génie avec des valeurs en augmentation, dans un même, est bien sûr de faire en sorte que stile antico créant un climat plus tendu. La jamais ce kaléidoscope de musiques ne réexposition (à l’identique) fait disparaître paraisse décousu, mais surtout que ces dif- comme par magie la tension contenue férents univers, philosophique, mélancolique dans le développement pour amener une ou spirituel, se mettent à former une délicate codetta toute de contraste et d’humour mosaïque dont la vue d’ensemble nous faisant penser à Haydn. en fait apprécier l’humanisme. Le climax – revenant par deux fois pour notre plus grand Le Quatuor en mi bémol majeur K. 428 bonheur – est très certainement le thème est très probablement terminé à l’été 1783, chanté par le violon puis le violoncelle sur soit peu de temps après la naissance de l’accompagnement de doubles croches en Raimund Leopold, le premier enfant de un lent chromatisme descendant, qui, telle Constanze et Wolfgang. Certainement le une pulsation immuable, laisse s’échapper plus énigmatique des six, il fut composé le tréfonds de l’âme mozartienne. en troisième dans la genèse de ce cycle, mais aurait été placé par Mozart lui-même Allegro assai en quatrième position dans la première La vivacité toujours renouvelée et la édition publiée chez Artaria, à Vienne, profusion d’idées mélodiques du final en 1785. Suivant l’étude de Tyson, des nous font oublier qu’il s’agit d’une forme mentions manuscrites vont dans ce sens sonate, si chère à Mozart, rappelant encore dans la partition autographe qui a été 27
conservée à la British Library. Même si, de vient qu’elle n’expose clairement sa tonalité l’aveu même de Mozart, la composition de qu’à sa cadence conclusive. ce cycle lui coûta beaucoup d’efforts, il est Des syncopes nerveuses et des dynamiques assez probable qu’une fois satisfait d’une accentuées contrarient dans le développe- idée musicale de départ, il écrivait alors ment des arpèges en triolets, non entendus rapidement, quitte à corriger par la suite, dans l’exposition. Une fois passés à tous parfois bien plus tard. les pupitres, ceux-ci nous feront revenir à la sérénité de la réexposition, presque Allegro ma non troppo identique. Le mystère de ces octaves sur un thème chromatique contenant un triton mélodique Andante con moto place d’emblée ce premier mouvement Le mouvement lent en la bémol majeur dans une atmosphère quasi initiatique, est l’une des pièces les plus mystérieuses que tend à nous confirmer la tonalité aux du cycle, reflétant les hésitations de trois bémols. Ce sera plus tard celle de Mozart à rejoindre la loge maçonnique l’ouverture de La Flûte enchantée. Notons Zur Wohlthätigkeit (À la bienfaisance) du par ailleurs que sur les dix notes qu’il baron von Gemmingen. Il est probable comporte, ce thème en fait entendre neuf que le mouvement lent du Quatuor de différentes (mi bémol, mi bécarre, fa, sol, la l’opus 20 de Haydn dans la même tonalité bémol, la bécarre, si bémol, si bécarre, do) : ait été également une source d’inspiration le sentiment d’attente ainsi créé nous fait directe. Forme sonate si particulière qu’il « désirer » l’exposition réelle de ce premier est difficile d’en caractériser les différents thème, qui arrive enfin, majestueux, paré thèmes, chaque élément semble ici décou- de son auréole harmonique. Le mouvement ler du précédent. Le violoncelle, par son est lancé. Le premier groupe thématique ostinato d’arpèges et de chromatismes comporte là encore un foisonnement d’idées tortueux, paraît presque hypnotiser les mélodiques – au moins quatre distinctes – parties aiguës, avant qu’elles n’entrent dont le contrepoint ciselé tranche avec la une seconde fois en imitation, quelques relative simplicité du deuxième thème. Ce mesures plus tard, tels d’étranges objets dernier est une petite marche dont la saveur célestes. Le deuxième groupe thématique 28
semble n’être qu’un moment d’attente au initial font penser aux rondos alla zingarese retour du premier thème. dont Haydn est coutumier, et le public Le développement, avec des audaces viennois friand. Un second thème plus harmoniques proprement inouïes, fait vocal (avec son gruppetto écrit) apporte circuler le premier thème aux différentes un caractère plus aérien mais toujours parties jusqu’à des horizons insoupçonnés. aussi animé. Après quelques sursauts humoristiques de Menuetto: Allegretto notes issues du premier thème – ce qui fait Après ces mouvements au caractère profond immanquablement penser à Beethoven –, et sérieux, Mozart place le menuet suivant l’ensemble de ces éléments est réexposé. sur un registre diamétralement opposé. Mais ce qui permet in fine d’appeler cette C’est une musique de fête, de réjouissance, pièce rondo-sonate est la reprise du premier d’exultation. Simple mais pas simpliste, il thème une dernière fois, avec, en petite réserve quelques délices : les hoquets et récompense avant les quelques accords caquètements du premier violon, de petites conclusifs, un magnifique chant d’alouette imitations de théâtre miniature, une sonnerie au premier violon. Surprenant Mozart ! de chasse lointaine, une musette comme un souvenir de fêtes populaires… Seule la Terminé le 10 janvier 1785, cinq jours à peine mélodie quelque peu mélancolique du trio avant qu’Haydn n’entende une première fois parvient à assombrir l’humeur définitivement le cycle complet, le Quatuor en la majeur festive de la pièce. K. 464 est, d’après Robbins Landon3, celui qui posa le plus de difficultés à Mozart. On Allegro vivace relève des changements de structures dans Le caractère effréné du rondo-sonate la série de variations de l’Andante et des conclusif semble faire définitivement oublier modifications dans le menuet (mesures 9 les altitudes atteintes dans les deux premiers à 17). Un rondo à 6/8, de 170 mesures tout mouvements. Les silences haletants et les de même, en la majeur, K Anh. 72 (464a), doubles croches virtuoses dans le thème peut être considéré comme un essai de 3 H. C. Robbins Landon, Dictionnaire Mozart, Paris, Fayard, 2006. 29
final rejeté par le compositeur. Ce quatuor menuet tel le premier thème, mi majeur est aussi, certainement, le plus difficile à pour le trio tel le deuxième. Le menuet est exécuter pour les interprètes. axé sur l’énoncé et le mélange de deux formules, la première en un élan de quatre Allegro notes, annoncée dès le départ, la seconde Avec un caractère de menuet noble, ce avec quelques notes répétées appelant mouvement se rapproche de l’écriture de sa résolution sur un rythme pointé. Le Haydn par sa fraîcheur d’inspiration et le trio, légèrement plus chanté au violon, fait traitement assez fouillé de ses thèmes. De éclore dans sa deuxième partie de jolies même, le fait que les tonalités relativement guirlandes de triolets. éloignées d’ut majeur et ensuite de mi mineur soient atteintes très rapidement dans Andante l’exposition prouve encore une fois la mue Véritable pierre angulaire du quatuor, ce réalisée par Mozart en quelques années. Les mouvement se réfère, selon Robbins entrées en imitation nombreuses, dans les Landon, au rituel d’initiation de la loge ma- deux thèmes principaux, trouvent un écho çonnique dans laquelle Mozart vient d’entrer. émouvant de cette capacité nouvelle dans C’est une série de six variations sur un thème l’exposition comme dans le développement, en ré majeur, dont l’accompagnement assez assez étendu. Les marches harmoniques horizontal et contrapuntique ne gâche pas la de la fin de ce dernier sont particulièrement fluidité. La première variation est de manière réussies. classique un ruban ornemental du violon sur le canevas thématique et harmonique. Menuetto La deuxième est plus complexe et riche Si Mozart place le menuet en deuxième rythmiquement, les divers motifs venant se position c’est surtout parce que la série de concaténer aux triples croches en bariolage variations de l’Andante appelle un relâche- du second violon. La troisième laisse l’alto ment immédiat avec le final. Le menuet se prendre une place plus expressive tandis trouve donc comme sous l’aile protectrice que la quatrième, en mode mineur, est du mouvement précédent, partageant particulièrement déchirante. La cinquième métrique et tonalités – la majeur pour le fait apparaître des imitations savantes, dans 30
les reprises, ainsi que Mozart le fera dans développement une fraîcheur bienvenue, la totalité de son Andante du Divertimento contrastant avec les turpitudes habituelles en trio K. 563, ce qui densifie le discours dans les développements mozartiens. La musical. La marche qui sert de sixième conclusion n’est pas non plus sans rappeler variation voit une figure de notes répétées l’humour du final du Quatuor opus 33 en au violoncelle supporter le thème devenu mi bémol majeur, « The Joke », de Haydn, véritable choral, puis passer à tous les mélange tellement brillant entre sérieux et pupitres, avant d’arriver au premier violon légèreté, complexité et facilité. sur la pédale de dominante menant au sommet dramatique du mouvement. Le Le Quatuor en ut majeur K. 465 est claire- retour au thème préfigure les codas d’un ment le plus optimiste et le plus ouvert des certain Beethoven – qui jouera d’ailleurs six, même si l’introduction mystérieuse en devant Mozart en 1787 –, dans la façon de a longtemps brouillé le message véritable, rappeler les cinquième et sixième variations. généreux et profondément humain. Allegro non troppo Adagio - Allegro Ce final fait penser immanquablement, par L’introduction lente est une exception à plus sa complexité, à celui du quatuor dans la d’un titre. Elle donne son nom au quatuor, même tonalité de Haydn dans son opus « Les Dissonnances », tellement ses âpretés 20 (Fuga a tre soggetti). Et même s’il ne harmoniques ont marqué voire choqué s’agit pas d’une fugue à proprement parler, nombre d’auditeurs de son temps. D’autre cette forme sonate, dont les deux thèmes part on ne trouve jusqu’alors aucun quatuor principaux ne font en réalité qu’un – c’est à cordes ayant une introduction lente, ce le seul exemple de ce type chez Mozart à qui est plutôt réservé à la symphonie, à un notre connaissance –, brille par sa spon- « Adagio et fugue », à une fantaisie ou une tanéité et sa joie intense. Ce thème en pièce de style plus libre. Cet Adagio d’une chromatismes descendants est exposé grande profondeur nous livre les inquiétudes de deux façons : de manière fuguée et de Mozart à un tournant spirituel de sa vie : sur une pédale de tonique en croches. Un il est apprenti dans la loge maçonnique thème choral, nouveau, apporte dans le Zur Wohlthätigkeit depuis un mois lorsqu’il 31
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