Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791 The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785

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Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791 The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785
Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791
The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785

Quatuor Cambini-Paris on period instruments
Julien Chauvin violin
Karine Crocquenoy violin
Pierre‑Éric Nimylowycz viola
Atsushi Sakaï cello

                               1
Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791
The 6 String Quartets dedicated to Haydn 1782-1785
Les 6 Quatuors dédiés à Haydn

CD1

    String quartet no 14 in g major, “Spring”
    Quatuor no 14 en sol majeur, « le Printemps », K387 1782

1   Allegro vivace assai 12’00
2   Menuetto: Allegretto 7’29
3   Andante cantabile 7’27
4   Molto allegro 7’49

    String quartet no 15 in d minor
    Quatuor no 15 en ré mineur, K421 1783

5   Allegro moderato 11’53
6   Andante 7’27
7   Menuetto: Allegretto 3’59
8   Allegretto ma non troppo – Più allegro 9’57

                                              2
CD2

    String quartet no 17 in b flat major, “Hunt”
    Quatuor no 17 en si bémol majeur, « La Chasse », K458 1783-1784

1   Allegro vivace assai 12’22
2   Menuetto: Moderato 3’54
3   Adagio 7’23
4   Allegro assai 9’30

    String quartet no 16 in e flat major
    Quatuor no 16 en mi bémol majeur, K428 1783

5   Allegro ma non troppo 10’34
6   Andante con moto 12’45
7   Menuetto: Allegretto 05’32
8   Allegro vivace 5’43

                                           3
CD3

    String quartet no 18 in a major
    Quatuor no 18 en la majeur, K464 1785

1   Allegro 11’407
2   Menuetto 5’55
3   Andante 12’20
4   Allegro non troppo 8’29

    String quartet no 19 in c major, “Dissonance”
    Quatuor no 19 en ut majeur, « Les Dissonances », K465 1785

5   Adagio – Allegro 15’22
6   Andante cantabile 7’37
7   Menuetto: Allegretto 4’47
8   Allegro molto 11’14

                                            4
Sommaire — Contents
Paris à la découverte des quatuors à cordes de Mozart — Jean Gribenski .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                                                                                     p.9
Entre influence et défi — Atsushi Sakaï  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                   p.14
Propos recueillis — Alexandre Dratwicki .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                    p.17
Clés d’écoute — Pierre‑Éric Nimylowycz . .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                      p.21
Biographie  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .     p.36

Paris’s discovery of Mozart’s String Quartets — Jean Gribenski .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                                                               p.37
Influences from Haydn — Atsushi Sakaï  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                        p.40
Interview — Alexandre Dratwicki .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                       p.43
A guide to listening — Pierre‑Éric Nimylowycz .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .                                                             p.46
Biography  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .   p.60

Credit page . .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.64

                                                                                                               5
Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart
À mon cher ami Haydn,
Un père ayant résolu d’envoyer ses fils dans le vaste monde estima qu’il
devait les confier à la protection et à la direction d’un homme, très célèbre
alors, qui, par une heureuse fortune était, de plus, son meilleur ami. C’est
ainsi, homme célèbre et ami très cher, que je te présente mes six fils. Ils
sont, il est vrai, le fruit d’un long et laborieux effort, mais l’espérance, que
plusieurs amis m’ont donnée, de le voir, au moins en partie, récompensé,
m’encourage, me persuade que ces enfantements me servent un jour de
quelque consolation. Toi-même, ami très cher, au dernier séjour que tu as
fait dans cette capitale, tu m’as manifesté ta satisfaction. Ce suffrage de
ta part est ce qui m’anima le plus ; et c’est pourquoi je te les recommande
avec l’espoir qu’ils ne te semblent pas indignes de ta faveur. Qu’il te plaise
donc de les accueillir avec bienveillance et d’être leur père, leur guide,
leur ami ! Dès cet instant, je te cède mes droits sur eux et te supplie en
conséquence de regarder avec indulgence les défauts que l’œil partial de
leur père peut m’avoir cachés, et de conserver, malgré eux, ta généreuse
amitié à celui qui l’apprécie tant. Car je suis de tout cœur, ami très cher,
                                                                  Ton bien sincère ami.

                                                                         W. A. Mozart

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Paris à la découverte des quatuors à cordes de
Mozart
par Jean Gribenski

« Musique de chambre » : à la fin du xviie et au       encore le terme d’interprètes). Les œuvres
début du xixe siècle, le sens de l’expression          n’étant pour ainsi dire jamais jouées en
n’a que peu de rapport avec ce qu’il est               public, elles ne laissent pratiquement aucune
aujourd’hui. De nos jours, on entend par là            trace dans la presse (contrairement aux
une musique instrumentale destinée à une               symphonies ou aux opéras, par exemple) :
petite formation de solistes, avec ou sans             seule l’édition nous permet de saisir la
piano, mais à l’exclusion du piano seul.               diffusion de ce répertoire.
Cette définition, fondée sur l’effectif, semble
ne s’être définitivement imposée que dans              De son vivant, les œuvres de Mozart
la seconde moitié du xixe siècle. Au siècle            publiées à Paris, qui est alors le grand
précédent, en effet, le mot « chambre »                centre européen de l’édition musicale, sont
(Kammer en allemand) s’entend encore                   principalement des œuvres pour clavier,
au sens propre : « musique de chambre »                seul ou « accompagné » : la majorité des
est la traduction littérale en français de             sonates piano-violon, les sept trios pour
musica da camera, expression apparue en                piano, violon et violoncelle, le trio pour
Italie au milieu du xvie siècle pour désigner          piano, clarinette et alto (K. 498), les deux
toute musique, vocale ou instrumentale,                quatuors pour piano et cordes (K. 478,
qui n’est pas destinée à l’Église.                     493). Ce succès des œuvres pour piano
                                                       se poursuit et s’amplifie après la mort de
Dans le domaine de la « musique de                     Mozart, pour aboutir, entre 1800 et 1808,
chambre », l’édition joue un rôle absolument           à la publication d’une importante série
fondamental : elle met les œuvres entre les            effectuée par un grand éditeur, Pleyel : la
mains des « exécutants » (on n’emploie pas             Collection complette [sic] des œuvres de

                                                   8
piano par W. A. Mozart, en treize volumes,         renommée sans cesse croissante comme
qui connaîtra en France une diffusion              compositeur, dans la quinzaine d’années
considérable − exemple parmi d’autres              qui suit sa mort : les œuvres orchestrales
d’un mouvement très général en Europe,             (symphonies, concertos) ne sont encore
qui révèle une double mutation du goût             guère connues, les opéras le sont moins
musical : l’intérêt pour la musique du passé       encore. Quant à sa musique religieuse,
même si, dans le cas de Mozart ce passé            elle n’apparaîtra à Paris qu’à partir de
n’est pas encore très ancien et la constitu-       1804. Ainsi, les dix « grands » quatuors à
tion d’un « panthéon » de quelques grands          cordes (les six dédiés à Haydn, le quatuor
compositeurs, parmi lesquels figure Mozart.        « Hoffmeister », les trois « prussiens »)
                                                   connaissent de multiples éditions ; les
Pour ce qui est de la « musique de                 quatuors « de jeunesse » ne sont pas non
chambre » sans clavier, le succès est plus         plus ignorés : les six « viennois » (K. 168-
tardif, posthume en général, à l’exception         173), ainsi que deux des six « milanais »
des Six Quatuors dédiés à Haydn : ils sont         (K. 157, 160/159a) sont publiés avant 1804.
publiés à Paris dès 1785, soit quelques            En outre, les éditeurs parisiens publient un
mois après la première édition, viennoise,         grand nombre de transcriptions pour qua-
qui suit elle-même de peu l’achèvement de          tuor à cordes, qui témoignent et du succès
la composition. Le succès semble d’emblée          considérable de ce genre en France − un
important : avant la mort de Mozart (1791),        succès qui ne semble pas affecté par la
la série paraît à nouveau chez un autre            Révolution − et du succès grandissant de
éditeur parisien — rappelons qu’il n’existe        Mozart. Ces éditions culminent en quelque
alors aucun droit d’auteur pour les œuvres         sorte avec la parution, de 1805 à 1811, de
musicales.                                         trois collections de « musique de chambre »
                                                   pour cordes de Mozart en parties séparées,
Dès le lendemain de la mort du compositeur,        publiées chez trois des plus grands éditeurs
les éditions de sa « musique de chambre »,         de musique instrumentale de Paris (Pleyel,
notamment pour cordes, se multiplient. On          Sieber, Imbault).
peut même avancer que c’est principale-
ment à ces œuvres que Mozart doit une

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Voit le jour enfin une quatrième collection,         Ainsi, la musique de chambre de Mozart
qui marque un changement capital dans                joue un rôle essentiel dans la mutation qui
la réception non seulement de l’œuvre de             affecte à Paris vie musicale et réception
Mozart, mais de la musique en général : à            de la musique au tournant des xviiie et xixe
partir de 1802, Pleyel publie, sous le nom           siècles. Est-ce à dire que ces œuvres ont
hautement symbolique de Bibliothèque                 quitté les pupitres des « exécutants » pour
musicale, une collection de « partitions de          les étagères des bibliothèques ? Que la
poche », innovation qui restera unique en            plume de l’analyste remplace désormais
Europe pendant plusieurs dizaines d’années.          le clavier ou l’archet ? Certainement pas !
Après quatorze volumes consacrés à Haydn,            Mais, on l’a dit, n’étant pas publiques, les
de 1802 à 1805, la Bibliothèque musicale se          exécutions ne laissent guère de traces.
poursuit de 1805 à 1808 avec cinq volumes            C’est seulement en 1814 que le violoniste
contenant des œuvres de Mozart : les Six             Pierre Baillot donne les premières séances
Quatuors dédiés à Haydn, puis quatre                 publiques de quatuors et quintettes à
quintettes à cordes. Changement capital :            cordes : les œuvres de Mozart y tiennent
grâce à la partition, l’œuvre musicale n’est         une des premières places.
plus seulement éphémère, liée à l’exécution ;
elle peut devenir objet d’étude, inscrit dans
la durée. Les chefs‑d’œuvre de la musique
instrumentale deviennent dignes de prendre
place dans une bibliothèque, aux côtés
des grandes créations littéraires et phi-
losophiques. Et parmi ces chefs‑d’œuvre
figurent symphonies et quatuors de Haydn,
bien entendu, mais aussi les grandes œuvres
de « musique de chambre » de Mozart,
dont certaines servent déjà de modèles,
soit aux compositeurs (H. Jadin, 1796), soit
aux analystes (Momigny, 1806).

                                                10
Joseph Haydn
Entre influence et défis
par Atsushi Sakaï

  « Je vous assure que si l’on ne                     Les Six Quatuors dédiés à Haydn, écrits
  voyage pas (au moins les gens qui                   entre 1782 et 1785, sont le fruit d’un long
  s’occupent d’arts et de science),                   et laborieux effort, comme le dit Mozart
  on n’est vraiment qu’un pauvre                      lui-même. Ce sont des œuvres sans pré-
  être !… Un homme de médiocre                        cédent, par leur écriture ambitieuse, leur
  talent reste toujours médiocre, qu’il               complexité contrapuntique et leur audace
  voyage ou non, mais un homme de                     harmonique. Dès leur publication par les
  talent supérieur (et je ne pourrais                 éditions Artaria à Vienne en septembre 1785,
  me contester ce talent à moi-même                   ces quatuors ont suscité de nombreuses et
  sans impiété), deviendra mauvais, s’il              vives critiques, tout en devenant par ailleurs
  reste toujours dans le même lieu. »                 très rapidement un sujet d’analyse dans les
             (Lettre de Mozart à son père,            traités théoriques.
                    le 11 septembre 1778)
                                                      Une des premières critiques est apparue
Mozart n’est ni novateur comme Haydn, ni              en avril 1787 dans le Magasin der Musik.
révolutionnaire comme Beethoven. Mais il              Cet écrit de Carl Friedrich Cramer pourrait
aime le monde dans lequel il vit et sait en           bien représenter l’avis général de l’époque :
tirer la plus grande inspiration. Loin d’être
un élitiste académique, il arrive à assimiler         « C’est dommage qu’il vise trop haut dans
le style des autres, à en absorber le meilleur        ses compositions vraiment belles et artis-
pour l’adapter à sa propre sensibilité. Il            tiques afin de devenir un nouveau créateur,
possède un cœur clément et compatissant               où l’on doit avouer que le sentiment et le
toujours ouvert à ses semblables.                     cœur en profitent peu. On pourrait bien

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dire que ses nouveaux quatuors pour deux             Mozart crée tout un menuet en utilisant
violons, alto et basse, lesquels il a dédiés         tous les moyens possibles du contrepoint.
à Haydn, sont trop assaisonnés — et quel             La superposition des sujets, l’imitation en
palais peut en endurer si longtemps ? »              strette, et le sujet en mouvement contraire
                                                     sont si naturellement arrangés dans ce nou-
La rencontre avec Haydn en 1781 a certai-            veau style que nous sommes constamment
nement été très stimulante pour Mozart et l’a        emportés par cette musique aérienne.
sans doute incité à se lancer dans ce projet
de nouveau cycle pour quatuor à cordes.              Pour évoquer son influence sur ces six
Les quatuors opus 33 de Haydn, composés              nouveaux quatuors de Mozart, on doit éga-
la même année, se dirigent nettement vers            lement revenir vers les quatuors antérieurs
le style galant, le goût de l’époque. Haydn          de Haydn, particulièrement ceux de l’opus
annonce que ces quatuors « sont écrits               20. Ces quatuors composés en 1772 sont
d’une manière nouvelle et particulière,              remarquables par l’intensité et la profondeur
car cela fait dix ans que je n’en ai plus            de leur expression, infiniment variée et
composé ». Cette nouvelle tentative du               personnelle. De par leur travail thématique
grand maître montre avec grâce que l’on              et contrapuntique développé ainsi que
peut composer en bon équilibre, entre le             l’« aventure harmonique » qui nous entraîne
chant continu, facilement compréhensible,            toujours plus loin de la tonalité initiale, ces
et le dialogue entre quatre musiciens qui            œuvres sont parmi les premiers exemples
conversent. Mozart voit la possibilité de            d’un genre nouveau de quatuor à cordes,
développer cet idéal en se réconciliant              qui prévaudra dorénavant, dans lequel les
définitivement avec le style sévère du               compositeurs repoussent les limites de leur
contrepoint dont il se sert librement dans           langage musical. Et bien qu’il ne soit pas
cette nouvelle esthétique.                           facile d’apercevoir immédiatement les rap-
                                                     ports stylistiques entre les deux cycles, les
Le Menuet du Quatuor en la majeur (K.464)            six nouveaux quatuors de Mozart sonnent
est peut-être l’un des exemples les plus             presque comme un défi par lequel il entend
fascinants de cette entreprise. En utilisant         égaler ou même surpasser le prestigieux
seulement deux brèves cellules musicales,            cycle de son aîné.

                                                14
Prenons par exemple le final du Quatuor en             avec le troisième mouvement du premier
sol majeur (K. 387). Bien que Haydn n’ait plus         quatuor de l’opus 20 de Haydn, une page
écrit de fugue pour cette formation après le           musicale également emplie de sincérité.
cycle de l’opus 20, Mozart ressentit le besoin
d’en écrire à nouveau après l’expérience
probablement amère que fut pour lui celle
du cycle « viennois » composé neuf ans
plus tôt. Mais cette fois-ci il invente une
forme fuguée plus proche de sa propre
sensibilité, en associant la fugue à la forme
sonate. Ce nouveau style d’écriture échappe
au pédantisme d’un contrepoint trop aca-
démique, tout en permettant à Mozart de
montrer l’étendue de son savoir-faire par
une fugue à double sujet.

Mais le vrai défi pour le compositeur sera
peut-être d’égaler la profondeur spirituelle
et la liberté d’expression des mouvements
lents de l’opus 20 de Haydn. Le deuxième
mouvement du Quatuor en mi bémol (K. 428)
constitue un exemple d’expérimentation
dans l’aventure harmonique grâce à laquelle
Mozart parvient à une intériorité et une
émotion nouvelles. L’utilisation, entre autres,
des dissonances, met l’auditeur dans la
confidence des sentiments passionnés et
de la ferveur amoureuse du compositeur.
On ne peut manquer de faire le parallèle

                                                  15
Propos recueillis                                     ainsi cheminer à travers un tel éventail de
                                                      couleurs, de caractères, d’émotions et de
par Alexandre Dratwicki                               sentiments !

                                                      À ce propos, vous avez choisi un ordre particu‑
Cher Quatuor Cambini-Paris, vous abor‑                lier dans l’enchaînement de ces six quatuors.
dez aujourd’hui au disque le cycle le                 Pouvez-vous nous l’expliquer ?
plus important des quatuors à cordes de
Wolfgang Amadeus Mozart, son troisième                Nous présentons effectivement ce cycle
(composé entre 1782 et 1785) après ceux               dans un ordre particulier, suite aux modifica-
des « milanais » et des « viennois » et avant         tions que Mozart lui‑même aurait apportées
celui des « prussiens ». Pourriez-vous nous           entre son manuscrit et la première édition
dire, après avoir enregistré plusieurs albums         supervisée par ses soins et publiée chez
de musique française (H. Jadin, Cambini,              Artaria à Vienne en 1785.
David et Gouvy), ce qui a motivé votre choix ?        Il apparaît en effet que sa volonté a bien
                                                      été de permuter le Quatuor en mi bémol
Ce projet nous tenait à cœur depuis long-             majeur et le Quatuor en si bémol majeur
temps car, tout simplement et très honnê-             – contrairement aux dates de composition :
tement, nous adorons ces quatuors ! Et les            on retrouve des mentions manuscrites qui
grands classiques viennois du xviiie siècle           vont en ce sens dans la partition autographe
font bien évidemment partie de notre                  conservée à la British Library.
répertoire et sont au programme de nos                Il nous a donc semblé très intéressant de
concerts depuis toujours, il est vrai, aux            les faire entendre ainsi. D’autant qu’après le
côtés de quelques très belles découvertes             Quatuor en ré mineur, très dense émotion-
françaises que nous défendons ardemment               nellement, une respiration est la bienvenue
depuis la création de notre quatuor.                  avec le caractère assez festif du Quatuor
D’autre part, nous avons eu la chance                 en si bémol majeur, plutôt que d’enchaîner
– devenue rarissime de nos jours – de                 directement avec celui en mi bémol majeur,
pouvoir enregistrer ce cycle dans son                 lequel est de nature beaucoup plus initia-
intégralité, ces six magnifiques quatuors             tique et mystérieuse.
étant tout à fait indissociables à nos yeux
car composés et présentés en tant que                 À partir des années 1770, apparaît en
tels par Mozart. Quel bonheur de pouvoir              France une « mode » dans la structure des
                                                 16
quatuors à cordes, qui prennent une nouvelle                 Vous jouez et enregistrez depuis 2007 sur des
dénomination. Les quatuors « dialogués »                     instruments anciens, montés avec des cordes
ou « concertants » vont ainsi fleurir avant de               en boyau, et avec des archets d’époque. Est-ce
laisser la place, à la toute fin du xviie siècle, aux        un choix primordial pour vous ?
quatuors « brillants », qui feront la part belle
au premier violon.                                           Nous ne faisons là que répondre à un besoin
Pensez-vous que Mozart ait pu avoir connais‑                 impérieux qui nous vient, chacun à notre
sance de ces « nouveaux » quatuors ?                         manière, à la fois d’un ressenti profond et
                                                             d’une recherche sonore. Nous aimons tous
Au cours de ses deux voyages à Paris,                        les quatre passionnément la sonorité parti-
Mozart a eu l’occasion de découvrir la                       culière de ces instruments. Et l’esthétique
musique française, tant l’opéra que la                       dite « historiquement informée » nous tient
musique symphonique ou la musique de                         à cœur, non par désir de faire table rase des
chambre. Il a sans aucun doute dû entendre                   traditions des dernières décennies, mais par
les quatuors dialogués de Cambini (plus                      celui, sincère, de faire partager notre lecture
d’une centaine), de Rigel ou de Pleyel, et                   de ces partitions avec, nous l’espérons, la
il a pu s’en inspirer quelques années plus                   fraîcheur d’une vision renouvelée qui se
tard. Nous retrouvons dans le Quatuor en                     rapproche au plus près du matériau original.
ré mineur (allegretto ma non troppo) et le                   Les cordes en boyau, qui caractérisent le
Quatuor en la majeur (andante) le principe                   plus notre spécificité, sont d’origine animale.
même de la « conversation en musique »,                      Elles réagissent donc de manière sensible à
chère à nos compositeurs français, à travers                 l’hygrométrie et aux variations de tempéra-
les mouvements à variations. En effet, après                 ture, ce qui n’est pas toujours confortable,
le thème du mouvement exposé au premier                      mais leur toucher est tellement plus souple
violon, chaque protagoniste, à sa manière,                   et attachant, qu’il est ensuite difficile de
donne son point de vue, son « opinion » sur                  revenir au jeu sur cordes en métal. Cela
le thème. La palette sonore s’enrichit ainsi                 explique certainement en partie pourquoi
considérablement et le second violon, l’alto                 ces dernières ne se sont généralisées que
et le violoncelle prennent une autonomie                     dans les années 1940, avec des musiciens
nouvelle que Mozart portera à son apogée                     qui étaient amenés à voyager plus vite
avec les quatuors « prussiens ».                             d’une ville, voire d’un pays ou même d’un
                                                             continent à l’autre.

                                                        17
Pour les archets, nous en jouons de diffé-            de profiter pleinement de la richesse des
rents modèles, selon la période de compo-             boiseries et des ornements de ce lieu unique
sition des œuvres que nous interprétons,              et rarement accessible.
l’évolution ayant été très rapide, surtout
au tournant du xviiie siècle. Beaucoup de
modèles se sont succédé entre l’archet                Avez-vous déjà songé à votre prochain projet
baroque et le modèle romantique actuel,               discographique ?
la longueur de la baguette s’allongeant
progressivement, la mèche devenant de plus            Oui ! Beaucoup d’envies personnelles et
en plus large et la tête se raccourcissant.           de désirs différents, que nous devons faire
Les archets sont devenus ainsi de plus en             converger… De Haydn à Ravel, en passant
plus lourds afin de gagner en projection              par Schubert, Beethoven et Mendelssohn,
sonore et en égalité, mais ils ont en revanche        les possibilités sont inépuisables… En
« perdu » en timbre, en articulation et en            attendant également de trouver la prochaine
clarté d’émission.                                    perle rare française !

Ces caractéristiques sonores vous ont‑elles
déterminés à enregistrer ces quatuors dans
un lieu particulier ?

Nous avons réalisé cette intégrale en deux
parties. Dans un premier temps, nous avons
enregistré les quatuors K. 428 et K. 458
au très majestueux Théâtre impérial de
Compiègne, à l’acoustique merveilleuse.
Puis nous avons eu l’honneur que nous
soient ouvertes les portes de la somp-
tueuse Galerie dorée, située à l’intérieur
de la Banque de France, à Paris. Jouer
dans cet écrin, lequel inspira à Mansart sa
galerie des Glaces du château de Versailles,
nous a permis de replacer les œuvres de
Mozart dans un contexte plus intimiste et
                                                 18
Wolfgang Amadeus Mozart
Clés d’écoute
par Pierre-Éric Nimylowycz

Dédier à Haydn, son ami et père spirituel,          Et Haydn demandera d’ailleurs à réentendre
ce livre de six quatuors est, de la part du         le cycle une seconde fois. Il est particuliè-
jeune Mozart, un geste magnifique d’amitié,         rement émouvant pour nous d’imaginer
d’humilité, d’admiration et de désintéresse-        Mozart tenant la partie d’alto, son père
ment. Le cycle ne résulte en effet d’aucune         Leopold au premier violon et les deux barons
commande directe ; et de fait, Mozart le            Tinti au second violon et au violoncelle.
compose sans en rechercher de rétribution,          Le père de la symphonie sera à son tour
ce qui est rare à cette époque.                     influencé par la beauté de ces pièces, et,
Si beaucoup de compositeurs ont dédié               s’il ne retourna pas le geste directement,
un cycle de quatuors à cordes à Haydn               fera évoluer son écriture vers de nouveaux
(H. Jadin, Wranitzky…), tant il est vrai que        sommets avec l’opus 50 et les suivants,
l’inventeur de ce genre musical l’a marqué          participant ainsi à une émulation nourrie de
d’une empreinte indélébile, seul Mozart             respect et d’admiration mutuels.
parvient à y faire preuve d’autant de génie.
À tel point que le récipiendaire de l’œuvre         Le Quatuor en sol majeur K. 387 ouvre
déclarera au père de Wolfgang :                     le cycle sur une tonalité solaire, car extrê-
                                                    mement bien sonnante sur instruments à
  « Je vous le dis devant Dieu, en                  cordes. Terminé le 31 décembre 1782, on
  honnête homme, votre fils est le                  y sent la joie des festivités de fin d’année.
  plus grand compositeur que je                     Mozart, familiarisé aux musiques des grands
  connaisse, en personne ou de nom, il              maîtres Händel et J. S. Bach grâce au baron
  a du goût, et en outre la plus grande             van Swieten entre 1782 et 1783, opère un
  science de la composition. »                      syncrétisme inédit avec le style galant.
                                                    Grâce à un travail acharné, il s’approprie
                                                    les formes contrapuntiques héritées de

                                               20
ses prédécesseurs, lesquelles s’intègrent                    Menuetto
maintenant de manière totalement fluide et                   Placé en deuxième position, le menuet est
harmonieuse à son écriture.                                  relativement développé. Il constitue même
                                                             une forme sonate miniature, dont les mon-
Allegro vivace assai                                         tées chromatiques du premier thème, avec
Le premier mouvement débute sur un thème                     leurs nuances dodelinantes, provoquent
frais qui valut à ce quatuor son surnom :                    des tressautements assez surprenants,
« Le Printemps ». Mais si la petite marche                   caractéristiques de ce mouvement. Mozart
qui ouvre le second groupe thématique1                       s’ingénie à faire passer cet effet à toutes
confère à l’exposition un caractère fonda-                   les voix bien sûr, mais aussi à l’inverser au
mentalement optimiste, le drame point assez                  violoncelle. Basé sur de brèves questions/
rapidement dans le développement. Les                        réponses en forme de politesses échangées
rythmes syncopés haletants, les violentes                    à l’impromptu, le deuxième thème est plus
différences de dynamiques, les accents                       simple. Le petit arpège du début du mou-
abrupts sur les contretemps contribuent                      vement apporte quelque inquiétude dans
à créer un climat agité, avant que ce bref                   le micro-développement, mais le véritable
orage de printemps ne se calme en revenant                   contraste est dans le trio en sol mineur,
vers la réexposition quasi identique. Cette                  avec ses octaves très définitives et ses
dernière est d’ailleurs magnifiquement rame-                 progressions harmoniques mystérieuses.
née par une pédale de dominante perchée                      Cette frayeur enfantine est vite oubliée au
dans l’aigu des instruments, sur laquelle                    retour du menuet. N’est-ce pas là l’une des
viennent s’égrener de jolis accords de sixte                 manifestations les plus remarquables du
descendants, tous retardés et calando,                       génie mozartien que de nous rappeler la
c’est-à-dire justement « en se calmant ».                    démesure des sentiments qu’enfant nous

1
    Pour clarifier un point essentiel du langage grammatical mozartien, il faut préciser que depuis son plus jeune
âge, l’amour du théâtre, des marionnettes, du travestissement, du déguisement, de l’opéra, des cartes, du billard,
des jeux de mots souvent potaches font de Mozart un adepte du multi-thématisme. Contrairement à nombre de
compositeurs de son temps, il ne se suffit en effet que très rarement d’une exposition bi-thématique dans les formes
sonates. On parle plus volontiers de « groupe thématique », tellement ses idées mélodiques sont nombreuses.

                                                        21
22
éprouvons, passant en un éclair du rire le              Un deuxième thème/sujet en contretemps
plus sincère aux larmes les plus amères ?               quasi jazzy est rapidement mêlé au premier,
                                                        alors qu’un véritable troisième thème de
Andante cantabile                                       divertissement, désinvolte, fait penser au
Le ton élégiaque et solaire du mouvement                récent Enlèvement au sérail.
lent en ut majeur fait de cet Andante can-              Mozart n’est pas ici dans un tour de force
tabile une pièce particulièrement irradiante.           théorique, mais bien dans un final enjoué
Plusieurs thèmes très chantants et généreux             qui contient, dans son épilogue, après
se succèdent, avant d’être répétés une                  une strette au contrepoint très serré, une
seconde fois de manière plus ou moins                   fausse conclusion qui n’est pas sans rap-
modifiée. Cette forme est de ce fait très libre.        peler l’humour du compositeur du palais
Les ornementations du premier violon sont               Esterházy.
à plus d’un titre remarquables, et donnent
vie à l’un des moments les plus magiques                Le Quatuor en ré mineur K. 421 est le
du cycle lorsqu’une marche d’harmonie                   seul que Mozart a écrit dans une tonalité
vient comme une magnifique étoffe parer le              mineure durant sa période de maturité. Il
délicat ruban ornemental du premier violon              le compose pendant la première grossesse
s’envolant dans l’aigu.                                 de sa femme Constanze et le termine pro-
                                                        bablement en juin 1783. Remarquons que,
Molto allegro                                           confronté aux événements marquants de sa
Le mouvement final, une exaltante double                vie d’homme, Mozart écrit alors dans une
fugue de forme sonate, évoque déjà le                   tonalité grave voire profonde : la Sonate
dernier mouvement de la symphonie Jupiter,              pour piano et violon en mi mineur K. 304
mais se place surtout sous l’influence de               et la Sonate pour piano en la mineur K. 310
Haydn, qui avait conclu deux de ses qua-                à la mort de sa mère, le Quintette à cordes
tuors de l’opus 20 par une fugue. Le premier            en sol mineur K. 516 à celle de son père,
thème/sujet du mouvement, un cantus                     la Grande Messe en ut mineur K. 427 pour
firmus de quatre notes, est très rapidement             son mariage avec Constanze…
suivi par plusieurs divertissements distincts.

                                                   23
Allegro Moderato                                    Andante
La première phrase place d’emblée ce                Ce mouvement en fa majeur évoque un
mouvement dans une introspection mélan-             balancement de berceuse. Il est construit
colique, avec ses grands intervalles et ses         assez singulièrement, avec une forme faisant
inflexions douloureuses. On pense ici au            penser à celle d’un menuet. L’atmosphère
Quatuor en fa mineur de l’opus 20 de Haydn.         calme et sereine des accords homoryth-
Mais des cris déchirants ne tardent pas à           miques et des petits arpèges en entrées
se faire entendre dès la deuxième carrure.          canoniques est à peine contrariée par de
L’ensemble du premier groupe thématique             petits nuages d’inquiétude.
balance entre affliction et colère, avec des        La deuxième partie oscille entre des accords
différences de nuances extrêmes dans un             abrupts d’effroi et une douce cantilène
esprit Sturm und Drang. Le deuxième thème           consolatrice du premier violon. Notons le
en fa majeur, très cantabile, fait naître un        parcours tonal « copieux » (fa mineur, do
espoir en complet contraste avec ce qui             mineur, la bémol majeur, fa mineur) dans un
précède. Le premier violon s’y déploie,             temps si restreint. Une coda doucereuse,
comme les gracieux vols d’anges figurant            après la réexposition, termine d’assoupir
sur les peintures des plafonds du château           l’enfant que Mozart devine dans le ventre
de Schönbrunn. Le développement fait                de sa bien-aimée.
entendre bientôt des dissonances aux
violons semblant venir de Pergolèse, alors          Menuetto Allegretto
que Schubert à son tour se souviendra de            L’atmosphère sombre du menuet se nourrit
ce passage dans son quatuor La Jeune Fille          d’un contrepoint assez serré et d’une mise
et la Mort. Le thème réconfortant avec ses          en opposition régulière de deux paires
triolets de doubles croches de l’exposition         (premier violon et violoncelle « contre »
vient cette fois, dans la reprise, nous ôter        second violon et alto, ou premier violon et
toute espérance, avant que la coda ne laisse        alto « contre » second violon et violoncelle).
place à un dénouement tragique.                     Le contraste est saisissant avec la « valse »
                                                    du trio – rappelons que le menuet est
                                                    l’ancêtre véritable de cette danse typique-
                                                    ment viennoise du xixe siècle. Les pizzicati

                                               24
des parties accompagnantes ponctuent                         différemment syncopés de chaque partie
une mélodie constituée d’arpèges et de                       ne laissent aucune mélodie ressortir de
sauts dans des tessitures extrêmes sur un                    ce « tic-toc-choc » musical, si ce n’est la
rythme se dérobant sans cesse. L’alto se                     plainte du premier violon ponctuant une
joint au premier violon dans la deuxième                     carrure sur deux. La partie de second violon
section, créant une couleur plus gaillarde.                  est à cet endroit particulièrement virtuose.
Mais le menuetto da capo nous désillusionne                  La troisième variation est un dialogue
bientôt après la grâce presque futile de ce                  entre l’alto plaintif et les deux violons lui
moment de répit.                                             répondant ensemble à l’octave. La variation
                                                             suivante en ré majeur est celle qui console
Allegro ma non troppo — Più allegro                          enfin grâce aux octaves consensuelles des
C’est l’un des deux mouvements en forme                      violons et aux mélismes du violoncelle dans
de thème et variations du cycle. Le thème                    son registre aigu.
de sicilienne rappelle tour à tour une danse                 La coda reprend le thème più allegro (« plus
de la Renaissance tardive ou encore un                       rapidement »), et les notes répétées mènent
air de Händel – le compositeur préféré                       à une pédale de tonique qui rappelle
de Mozart. On peut cependant en trouver                      l’influence de la musique de J. S. Bach,
une ascendance plus certaine dans le                         faisant sonner le quatuor à cordes comme
final du Quatuor en sol majeur de l’opus                     un orgue à quatre archets.
33 de Haydn, même si la mélodie passe
ici successivement d’un violon à l’autre.                    Le Quatuor en si bémol majeur K. 458
La première variation est celle des volutes                  fut, à en croire l’étude des manuscrits auto-
ornementales du premier violon, avec ses                     graphes effectuée par Tyson2, commencé
arpèges, chromatismes et appoggiatures                       à la même période que ceux en ré mineur
magnifiquement chantants. La très nova-                      et mi bémol majeur, mais seuls les 106
trice deuxième variation est une expé-                       premières mesures du premier mouvement
rience acoustique que Beethoven n’aurait                     ainsi que son menuet-trio furent achevés
certainement pas reniée : les rythmes                        en 1783. Mozart ne terminera ce quatuor

2
    Allan Tyson, Mozart : Studies of the Autograph Scores, Boston, Harvard University Press, 1987.

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qu’un an plus tard. Même s’il est difficile de        définit cependant assez bien le caractère
spéculer sur les raisons d’une telle pause            du premier mouvement, où jeux d’échos
dans l’écriture, les événements de la vie du          et de relais se succèdent. Le deuxième
compositeur peuvent contribuer à l’éclairer.          thème, moins extraverti mais tout aussi
En août 1782, Wolfgang épousait Constanze             badin, semble curieusement découler d’un
à Vienne, sans que son père Leopold ni                motif secondaire exposé précédemment.
sa sœur Nannerl ne soient favorables à                Sa présentation, tout d’abord par le second
cette union. Un voyage à Salzbourg pour               violon puis le premier, rappelle le Quatuor
présenter la mariée (et mère d’un premier             en sol majeur. Un troisième thème, pastoral
fils !) s’imposait. Laissant à la fin du mois         voire champêtre, débute le développement
de juillet 1783 le petit Raimund Leopold              avant qu’un nouveau motif ne parvienne à
à Vienne, ses parents n’allaient jamais le            assombrir, très brièvement, l’atmosphère.
revoir, l’enfant décédant le 19 août à l’âge          Ce dernier, très court, fut donc certainement
de deux mois. Mozart se consacre alors à              composé un an plus tard par Mozart, et
la composition de la Grande Messe en ut               réapparaît à la toute fin de la très large et
mineur K. 427, pour laquelle il écrit deux            généreuse coda.
mouvements supplémentaires spécialement
pour une exécution salzbourgeoise. Il com-            Menuetto: Moderato
pose également les deux duos K. 423 et                Très cantabile, ce menuet est d’une allure
K. 424 pour tirer le frère de Haydn, Michael,         assez noble, avec de longues lignes très
de l’embarras, et il s’attelle enfin à termi-         vocales, que viennent surprendre quelques
ner un cycle de trois sonates pour piano              inflexions typiquement viennoises sur le
K. 330 à K. 332 – Tyson en date en effet              troisième temps. Plus joueur avec ses
les manuscrits de cette période.                      quelques rythmes pointés dans le thème,
                                                      le trio apporte une fraîcheur bienvenue,
Allegro — Vivace assai                                grâce notamment aux notes sautillées au
Même si l’écriture est ici indéniablement             second violon et à l’alto.
raffinée, c’est la « sonnerie » de cor
entendue dès le début qui inspirera le
surnom de ce quatuor : « La Chasse ». Il

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Adagio                                                Haydn – en particulier le final du quatuor
Le seul mouvement adagio de tout le cycle             de la même tonalité de l’opus 33. Les
(avec l’introduction dite des dissonances du          lignes jaillissent, les voix surgissent dans
dernier quatuor) est le véritable point culmi-        les croches répétées du premier thème,
nant de ce quatuor, présentant tour à tour            dans les petits galops du violon dans le
trois magnifiques thèmes, auxquels s’ajoute           deuxième, dans la construction étonnante
un quatrième dans la coda. L’ensemble                 par quartes successives du troisième…
est présenté deux fois, tout comme dans               Le premier thème se trouve, dans l’assez
l’Andante cantabile du premier quatuor du             large développement, travaillé en strette,
cycle. La grande force de Mozart, son génie           avec des valeurs en augmentation, dans un
même, est bien sûr de faire en sorte que              stile antico créant un climat plus tendu. La
jamais ce kaléidoscope de musiques ne                 réexposition (à l’identique) fait disparaître
paraisse décousu, mais surtout que ces dif-           comme par magie la tension contenue
férents univers, philosophique, mélancolique          dans le développement pour amener une
ou spirituel, se mettent à former une délicate        codetta toute de contraste et d’humour
mosaïque dont la vue d’ensemble nous                  faisant penser à Haydn.
en fait apprécier l’humanisme. Le climax –
revenant par deux fois pour notre plus grand          Le Quatuor en mi bémol majeur K. 428
bonheur – est très certainement le thème              est très probablement terminé à l’été 1783,
chanté par le violon puis le violoncelle sur          soit peu de temps après la naissance de
l’accompagnement de doubles croches en                Raimund Leopold, le premier enfant de
un lent chromatisme descendant, qui, telle            Constanze et Wolfgang. Certainement le
une pulsation immuable, laisse s’échapper             plus énigmatique des six, il fut composé
le tréfonds de l’âme mozartienne.                     en troisième dans la genèse de ce cycle,
                                                      mais aurait été placé par Mozart lui-même
Allegro assai                                         en quatrième position dans la première
La vivacité toujours renouvelée et la                 édition publiée chez Artaria, à Vienne,
profusion d’idées mélodiques du final                 en 1785. Suivant l’étude de Tyson, des
nous font oublier qu’il s’agit d’une forme            mentions manuscrites vont dans ce sens
sonate, si chère à Mozart, rappelant encore           dans la partition autographe qui a été

                                                 27
conservée à la British Library. Même si, de           vient qu’elle n’expose clairement sa tonalité
l’aveu même de Mozart, la composition de              qu’à sa cadence conclusive.
ce cycle lui coûta beaucoup d’efforts, il est         Des syncopes nerveuses et des dynamiques
assez probable qu’une fois satisfait d’une            accentuées contrarient dans le développe-
idée musicale de départ, il écrivait alors            ment des arpèges en triolets, non entendus
rapidement, quitte à corriger par la suite,           dans l’exposition. Une fois passés à tous
parfois bien plus tard.                               les pupitres, ceux-ci nous feront revenir
                                                      à la sérénité de la réexposition, presque
Allegro ma non troppo                                 identique.
Le mystère de ces octaves sur un thème
chromatique contenant un triton mélodique             Andante con moto
place d’emblée ce premier mouvement                   Le mouvement lent en la bémol majeur
dans une atmosphère quasi initiatique,                est l’une des pièces les plus mystérieuses
que tend à nous confirmer la tonalité aux             du cycle, reflétant les hésitations de
trois bémols. Ce sera plus tard celle de              Mozart à rejoindre la loge maçonnique
l’ouverture de La Flûte enchantée. Notons             Zur Wohlthätigkeit (À la bienfaisance) du
par ailleurs que sur les dix notes qu’il              baron von Gemmingen. Il est probable
comporte, ce thème en fait entendre neuf              que le mouvement lent du Quatuor de
différentes (mi bémol, mi bécarre, fa, sol, la        l’opus 20 de Haydn dans la même tonalité
bémol, la bécarre, si bémol, si bécarre, do) :        ait été également une source d’inspiration
le sentiment d’attente ainsi créé nous fait           directe. Forme sonate si particulière qu’il
« désirer » l’exposition réelle de ce premier         est difficile d’en caractériser les différents
thème, qui arrive enfin, majestueux, paré             thèmes, chaque élément semble ici décou-
de son auréole harmonique. Le mouvement               ler du précédent. Le violoncelle, par son
est lancé. Le premier groupe thématique               ostinato d’arpèges et de chromatismes
comporte là encore un foisonnement d’idées            tortueux, paraît presque hypnotiser les
mélodiques – au moins quatre distinctes –             parties aiguës, avant qu’elles n’entrent
dont le contrepoint ciselé tranche avec la            une seconde fois en imitation, quelques
relative simplicité du deuxième thème. Ce             mesures plus tard, tels d’étranges objets
dernier est une petite marche dont la saveur          célestes. Le deuxième groupe thématique

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semble n’être qu’un moment d’attente au                     initial font penser aux rondos alla zingarese
retour du premier thème.                                    dont Haydn est coutumier, et le public
Le développement, avec des audaces                          viennois friand. Un second thème plus
harmoniques proprement inouïes, fait                        vocal (avec son gruppetto écrit) apporte
circuler le premier thème aux différentes                   un caractère plus aérien mais toujours
parties jusqu’à des horizons insoupçonnés.                  aussi animé.
                                                            Après quelques sursauts humoristiques de
Menuetto: Allegretto                                        notes issues du premier thème – ce qui fait
Après ces mouvements au caractère profond                   immanquablement penser à Beethoven –,
et sérieux, Mozart place le menuet suivant                  l’ensemble de ces éléments est réexposé.
sur un registre diamétralement opposé.                      Mais ce qui permet in fine d’appeler cette
C’est une musique de fête, de réjouissance,                 pièce rondo-sonate est la reprise du premier
d’exultation. Simple mais pas simpliste, il                 thème une dernière fois, avec, en petite
réserve quelques délices : les hoquets et                   récompense avant les quelques accords
caquètements du premier violon, de petites                  conclusifs, un magnifique chant d’alouette
imitations de théâtre miniature, une sonnerie               au premier violon. Surprenant Mozart !
de chasse lointaine, une musette comme
un souvenir de fêtes populaires… Seule la                   Terminé le 10 janvier 1785, cinq jours à peine
mélodie quelque peu mélancolique du trio                    avant qu’Haydn n’entende une première fois
parvient à assombrir l’humeur définitivement                le cycle complet, le Quatuor en la majeur
festive de la pièce.                                        K. 464 est, d’après Robbins Landon3, celui
                                                            qui posa le plus de difficultés à Mozart. On
Allegro vivace                                              relève des changements de structures dans
Le caractère effréné du rondo-sonate                        la série de variations de l’Andante et des
conclusif semble faire définitivement oublier               modifications dans le menuet (mesures 9
les altitudes atteintes dans les deux premiers              à 17). Un rondo à 6/8, de 170 mesures tout
mouvements. Les silences haletants et les                   de même, en la majeur, K Anh. 72 (464a),
doubles croches virtuoses dans le thème                     peut être considéré comme un essai de

3
    H. C. Robbins Landon, Dictionnaire Mozart, Paris, Fayard, 2006.

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final rejeté par le compositeur. Ce quatuor          menuet tel le premier thème, mi majeur
est aussi, certainement, le plus difficile à         pour le trio tel le deuxième. Le menuet est
exécuter pour les interprètes.                       axé sur l’énoncé et le mélange de deux
                                                     formules, la première en un élan de quatre
Allegro                                              notes, annoncée dès le départ, la seconde
Avec un caractère de menuet noble, ce                avec quelques notes répétées appelant
mouvement se rapproche de l’écriture de              sa résolution sur un rythme pointé. Le
Haydn par sa fraîcheur d’inspiration et le           trio, légèrement plus chanté au violon, fait
traitement assez fouillé de ses thèmes. De           éclore dans sa deuxième partie de jolies
même, le fait que les tonalités relativement         guirlandes de triolets.
éloignées d’ut majeur et ensuite de mi
mineur soient atteintes très rapidement dans         Andante
l’exposition prouve encore une fois la mue           Véritable pierre angulaire du quatuor, ce
réalisée par Mozart en quelques années. Les          mouvement se réfère, selon Robbins
entrées en imitation nombreuses, dans les            Landon, au rituel d’initiation de la loge ma-
deux thèmes principaux, trouvent un écho             çonnique dans laquelle Mozart vient d’entrer.
émouvant de cette capacité nouvelle dans             C’est une série de six variations sur un thème
l’exposition comme dans le développement,            en ré majeur, dont l’accompagnement assez
assez étendu. Les marches harmoniques                horizontal et contrapuntique ne gâche pas la
de la fin de ce dernier sont particulièrement        fluidité. La première variation est de manière
réussies.                                            classique un ruban ornemental du violon
                                                     sur le canevas thématique et harmonique.
Menuetto                                             La deuxième est plus complexe et riche
Si Mozart place le menuet en deuxième                rythmiquement, les divers motifs venant se
position c’est surtout parce que la série de         concaténer aux triples croches en bariolage
variations de l’Andante appelle un relâche-          du second violon. La troisième laisse l’alto
ment immédiat avec le final. Le menuet se            prendre une place plus expressive tandis
trouve donc comme sous l’aile protectrice            que la quatrième, en mode mineur, est
du mouvement précédent, partageant                   particulièrement déchirante. La cinquième
métrique et tonalités – la majeur pour le            fait apparaître des imitations savantes, dans

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les reprises, ainsi que Mozart le fera dans          développement une fraîcheur bienvenue,
la totalité de son Andante du Divertimento           contrastant avec les turpitudes habituelles
en trio K. 563, ce qui densifie le discours          dans les développements mozartiens. La
musical. La marche qui sert de sixième               conclusion n’est pas non plus sans rappeler
variation voit une figure de notes répétées          l’humour du final du Quatuor opus 33 en
au violoncelle supporter le thème devenu             mi bémol majeur, « The Joke », de Haydn,
véritable choral, puis passer à tous les             mélange tellement brillant entre sérieux et
pupitres, avant d’arriver au premier violon          légèreté, complexité et facilité.
sur la pédale de dominante menant au
sommet dramatique du mouvement. Le                   Le Quatuor en ut majeur K. 465 est claire-
retour au thème préfigure les codas d’un             ment le plus optimiste et le plus ouvert des
certain Beethoven – qui jouera d’ailleurs            six, même si l’introduction mystérieuse en
devant Mozart en 1787 –, dans la façon de            a longtemps brouillé le message véritable,
rappeler les cinquième et sixième variations.        généreux et profondément humain.

Allegro non troppo                                   Adagio - Allegro
Ce final fait penser immanquablement, par            L’introduction lente est une exception à plus
sa complexité, à celui du quatuor dans la            d’un titre. Elle donne son nom au quatuor,
même tonalité de Haydn dans son opus                 « Les Dissonnances », tellement ses âpretés
20 (Fuga a tre soggetti). Et même s’il ne            harmoniques ont marqué voire choqué
s’agit pas d’une fugue à proprement parler,          nombre d’auditeurs de son temps. D’autre
cette forme sonate, dont les deux thèmes             part on ne trouve jusqu’alors aucun quatuor
principaux ne font en réalité qu’un – c’est          à cordes ayant une introduction lente, ce
le seul exemple de ce type chez Mozart à             qui est plutôt réservé à la symphonie, à un
notre connaissance –, brille par sa spon-            « Adagio et fugue », à une fantaisie ou une
tanéité et sa joie intense. Ce thème en              pièce de style plus libre. Cet Adagio d’une
chromatismes descendants est exposé                  grande profondeur nous livre les inquiétudes
de deux façons : de manière fuguée et                de Mozart à un tournant spirituel de sa vie :
sur une pédale de tonique en croches. Un             il est apprenti dans la loge maçonnique
thème choral, nouveau, apporte dans le               Zur Wohlthätigkeit depuis un mois lorsqu’il

                                                31
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