ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne : la transition énergétique en question1 - La Revue de l'Énergie
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ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne : la transition énergétique en question1 Michel Deshaies L’Allemagne est l’un des pays qui a développé le plus fortement les énergies re- nouvelables, grâce à une politique très volontariste de soutien sous forme de tarifs d’achat. L’essor des énergies renouvelables, qui fournissent d’ores et déjà environ 20 % de la production d’électricité du pays, doit permettre d’assurer la transition énergétique avec pour objectif proclamé de se passer, à terme, des énergies fossiles comme le nucléaire, dont la sortie est programmée à l’horizon 2020. Pourtant, au fur et à mesure que la part des énergies renouvelables aug- mente, un certain nombre de problèmes apparaissent et s’amplifient, de telle sorte que l’objectif de la transition énergétique ne semble pas pouvoir être at- teint avant longtemps, faute notamment de pouvoir suffisamment compenser l’intermittence des systèmes de production. Pays précurseur du développement des impératif que le pays s’est engagé dans la sortie énergies renouvelables, l’Allemagne a depuis du nucléaire à l’horizon 2020. Si l’Allemagne une quinzaine d’années construit une des plus est d’ores et déjà le pays européen le plus en grosses capacités mondiales de production avance sur ses objectifs de développement des d’électricité à partir des nouvelles énergies énergies renouvelables, il n’en reste pas moins que sont l’éolien, le photovoltaïque et que de nombreux problèmes assez complexes l’utilisation de la biomasse. Cet essor, fondé se posent au fur et à mesure que celles-ci sur une politique très volontariste de soutien prennent de l’importance. Aussi, existe-t-il financier, a permis d’accroître fortement la part des interrogations concernant la possibilité des énergies renouvelables qui fournissent de réussir la transition énergétique suivant le actuellement environ 20 % de la production calendrier envisagé par le gouvernement, en d’électricité. L’objectif à terme est de réaliser la particulier depuis la décision de tenir les délais transition énergétique (Energiewende) qui est de sortie du nucléaire. devenue le mot d’ordre principal de la politique énergétique. L’Allemagne a en effet pour ambition, en l’espace de quelques décennies, 1. En route vers la transition de substituer les énergies renouvelables énergétique aux énergies fossiles encore actuellement largement prédominantes. Cet essor des A) L’émergence de la transition énergétique énergies renouvelables apparaît d’autant plus La transition énergétique est devenue le mot 1. Cet article s’appuie sur des recherches réalisées dans le d’ordre de la politique énergétique allemande cadre du programme ANR COLLENER. et l’un des sujets les plus couramment évoqués La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 169
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne en Allemagne, à tel point que certains ont pu le relais du nucléaire puis des autres énergies y voir la Réforme du XXIe siècle [Möller, 2013]. fossiles. C’est l’origine de la loi EEG (Erneuer- Apparue dans les années 1980 dans le titre d’un baren Energien Gesetz) du 1er avril 2000 qui livre [Krause et al., 1980], l’expression désigne met en place un système de tarifs d’achat avan- une politique destinée à réduire la consom- tageux pendant 20 ans pour les producteurs mation en améliorant l’efficacité énergétique d’énergies renouvelables, rendant l’investisse- et à substituer les énergies renouvelables aux ment dans ce secteur particulièrement attractif énergies fossiles, majoritairement utilisées de- [Bruns et al., 2009, 2010 ; Mautz et al., 2008]. puis la révolution industrielle. Dans le contexte Si la construction d’éoliennes était déjà for- allemand, la transition énergétique, conçue tement développée, principalement en Alle- comme un tournant radical (à l’image du chan- magne du Nord, puisqu’en 1998 le pays pos- gement politique de 1989 qualifié de « die Wen- sédait la première puissance éolienne installée de », Energiewende ayant plutôt le sens de tour- dans le monde avec près de 3 000 MW, c’est nant énergétique), a d’abord été envisagée, dès la loi de 2000 qui va donner l’impulsion déci- le début des années 1980, par les opposants sive. En quelques années, la capacité éolienne au nucléaire comme le moyen de se passer de installée est multiplié par 6 pour dépasser l’utilisation de l’atome [Bruns et al., 2009]. Aussi 18 000 MW dès 2005. Les investissements dans a-t-on vu se multiplier, dès cette époque, les les autres sources d’énergie renouvelables, aux mouvements de citoyens organisés autour de technologies plus coûteuses comme le pho- ce concept de transition énergétique. De nom- tovoltaïque, se développent également. Leur breuses initiatives locales se sont ainsi dévelop- « décollage » est un peu plus tardif, à partir de pées tout au long des années 1980 et 1990 afin 2004 pour le photovoltaïque et les utilisations de recourir davantage aux énergies renouve- de la biomasse pour la production de courant lables (solaire dans certaines villes, mais aussi électrique, notamment à la suite de la révision éolien en Allemagne du Nord). Se fondant sur de la loi EEG. Celle-ci génère une explosion ces développements encourageants, un expert d’investissements dans le photovoltaïque dont comme Hermann Scheer [1999, 2005] a expli- la capacité progresse à un rythme effréné, qué dans ses ouvrages engagés qu’une écono- en particulier après 2008. Alors que la capa- mie fondée entièrement sur le solaire était pos- cité photovoltaïque dépasse les 1 100 MW en sible et que les 500 milliards de kWh consom- 2004, elle atteint déjà 6 100 MW en 2008 pour més en Allemagne chaque année pourraient se hisser à plus de 30 000 MW fin 2012, où elle être produits par environ 166 000 éoliennes ou rejoint celle de l’éolien (tableau 1) ! par 5 000 km² de cellules photovoltaïques cou- Cette frénésie d’investissements dans le vrant moins de 2 % de la superficie du pays ! photovoltaïque, encouragée par les tarifs de Toutefois, la mise en œuvre de la transition rachat particulièrement avantageux, a amené énergétique n’a commencé à se concrétiser le gouvernement fédéral à réviser ces tarifs à dans la politique énergétique du pays qu’avec la baisse à plusieurs reprises. Mais, jusqu’en l’arrivée au pouvoir de la coalition rouge-verte 2012, chaque annonce de baisse a déclenché dirigée par Gerhard Schröder (1998-2005). Fai- une nouvelle ruée d’investissements, notam- sant suite à l’accord conclu en juin 2000 entre ment sous forme de grands parcs photovol- le gouvernement fédéral et les quatre princi- taïques aménagés sur des friches militaires ou pales entreprises de production d’électricité, industrielles (photo 1). De son côté, l’éolien a la loi sur la cessation programmée de l’utilisa- poursuivi une croissance plus « tranquille » à tion de l’énergie nucléaire entrant en vigueur partir de 2006, à raison tout de même d’envi- en avril 2002 a constitué la décision la plus ron 1 800 MW supplémentaires installés chaque spectaculaire avec une sortie du nucléaire pré- année. Au total, de 1995 à 2012, on a installé vue à l’horizon 2021. Dans le même temps, il a en Allemagne pour plus de 67 GW de capaci- été décidé de mettre en place une politique de tés nouvelles de production électrique à par- soutien financier aux énergies renouvelables tir d’énergies renouvelables, soit en puissance afin que celles-ci puissent, à terme, prendre installée plus que le parc nucléaire français. 170 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
Tableau 1 Répartition des puissances photovoltaïques installées par Land de 2007 à 2012 Bundesland 2007 (MW) 2010 (MW) 2011 (MW) 2012 (MW) Bade-Wurtemberg 590 2 741 3 581 4 286,3 Bavière 1 120 6 323 8 067 9 123,7 Berlin 7 32 46 65 Brandebourg 20 565 1 547 1 723,8 Brême 2 14 25 31,1 Hambourg 4 14 22 30,2 Hesse 149 897 1 207 1 590,7 Mecklembourg- 22 249 519 839,1 Poméranie occid. Basse-Saxe 172 1 511 2 285 2 959,4 Rhénanie du Nord- 341 1 961 2 812 3 544,5 Westphalie Rhénanie-Palatinat 131 867 1 175 1 458 Saarland 24 163 224 301,2 Saxe 51 527 888 1 094,2 Saxe-Anhalt 29 408 856 1 222,7 Schleswig-Holstein 63 674 953 1 225,4 Thuringe 34 298 520 817,6 Total 2 759 17 240 24 726 30 312,9 Alors qu’en 1995, la capacité installée en re- renouvelables. De 1998 à 2012, celle-ci a été nouvelables (essentiellement l’hydroélectricité) multipliée par 5, passant de 26 TWh à 136 TWh représentait à peine 5 % du parc de production (Figure 1). Alors qu’en 1998 les énergies allemand, en 2012 elle atteignait 50 % du total. renouvelables n’atteignaient pas 5 % de la Cet effort colossal d’accroissement des production d’électricité, leur part s’est élevée à capacités installées a porté rapidement ses 22 % en 2012. L’Allemagne est même devenue fruits en permettant d’accroître fortement la le premier producteur européen d’électricité à production d’électricité à partir des énergies partir de sources renouvelables et l’un des seuls Photo 1. Parc photovoltaïque sur la friche d’une ancienne mine d’uranium à Ronneburg (Deshaies, 2013) La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 171
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne pays européens à avoir respecté les objectifs Fukushima au Japon, à la suite d’un tsunami, de part des énergies renouvelables fixés par la amène le gouvernement allemand à revenir en directive européenne de 2001. arrière pour confirmer la sortie du nucléaire en 2022. Dans l’immédiat, les sept réacteurs B) La transition énergétique confirmée nucléaires les plus anciens sont fermés et le et accélérée gouvernement modifie son Energiekonzept Cette politique volontariste, initiée par le pour tenir compte de la nécessité d’accélérer gouvernement Schröder, a été poursuivie tout la transition énergétique qui devient le mot aussi fermement par la chancelière Angela d’ordre. La politique énergétique est révisée Merkel, même après le changement de coali- en conséquence par le « paquet énergétique » tion de 2009. L’idée selon laquelle les énergies (Energiepaket) du 6 juin 2011 [BMU, 2013]. renouvelables doivent, à terme, fournir l’essen- L’une des conséquences de cette accélération tiel de l’énergie consommée dans le pays et, de la transition énergétique est une élévation dans un premier temps, la majeure partie de des objectifs à atteindre à l’horizon 2020 par les l’électricité, est restée au cœur de la politique énergies renouvelables. La part de la produc- énergétique allemande. Tout au plus a-t-on pu tion d’électricité fixée passe de 30 % en 2030 sentir une volonté d’inflexion du rythme de la dans le document initial, à 35 % en 2020 selon transition énergétique et notamment de la sor- le paquet énergétique de juin 2011. Ces objec- tie du nucléaire, avec la publication du concept tifs très ambitieux doivent être atteints à travers énergétique (Energiekonzept) en septembre un programme qui prévoit [BMWI, 2013a, b) : 2010 [Bundesregierung, 2010] qui dessine les • D’abaisser la consommation d’énergie grandes lignes et les objectifs de la politique primaire de 20 % et celle d’électricité de énergétique allemande à l’horizon 2050. Qua- 10 % en 2020 grâce à un effort particulier lifiée d’énergie de transition, la nécessité de d’accroissement de l’efficacité énergétique. prolonger la durée d’activité des centrales nu- • L’accélération de la construction des cléaires d’environ une douzaine d’années sup- 10 premiers parcs éoliens offshore, sou- plémentaires par rapport au terme prévu dans tenue par des financements à hauteur de la loi de 2002 est alors affirmée. 5 milliards d’euros débloqués par le cré- Mais la catastrophe survenue le 11 mars 2011 dit pour la reconstruction (KfW). L’objec- sur les réacteurs de la centrale nucléaire de tif affiché est de réaliser 25 GW de parcs Figure 1. Évolution de la production d’électricité à partir des différentes énergies renouvelables (en TWh) 172 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
éoliens offshore, principalement en mer compenser les fluctuations de la production du Nord. des renouvelables. • D es modifications du code de l’urbanisme Ainsi, si le gouvernement allemand s’est fixé et une collaboration active entre l’État et pour objectif d’accélérer le rythme de la transi- les Länder afin de déterminer les nouvelles tion énergétique, il s’agit d’abord de trouver le surfaces disponibles pour implanter des moyen de se passer du nucléaire, sans accroître éoliennes terrestres. Il s’agit notamment la dépendance énergétique du pays et sans ris- de privilégier le Repowering, c’est-à-dire quer d’interruption de l’alimentation du réseau. le remplacement des éoliennes anciennes À plus long terme (c’est-à-dire après 2020), il par de nouvelles plus puissantes. est prévu de remplacer progressivement aus- si les autres énergies fossiles par les énergies • L e réaménagement du réseau de transport renouvelables, pour lesquelles l’Energiekon- d’électricité et la construction de nouvelles zept de 2010 prévoit une part de 60 % de la lignes haute tension, notamment entre le consommation d’énergie primaire et de 80 % de nord (où vont se créer de grandes capaci- la consommation d’électricité à l’horizon 2050. tés de productions éoliennes) et le sud du Cela suppose qu’entretemps ait été réalisée une pays (où se trouvent la plupart des réac- réorganisation complète du système énergé- teurs nucléaires qui seront fermés à l’hori- tique dont on perçoit pour le moment encore zon 2022). Le gouvernement met aussi en difficilement la forme qu’il pourrait prendre. place un cadre administratif et législatif (loi NABEG sur l’accélération de la construc- tion du réseau électrique) pour lever rapi- 2. Les formes locales dement tous les obstacles à la réalisation de développement de ce nouveau réseau, tout en recom- des énergies renouvelables mandant que l’acceptabilité des nouvelles lignes soit obtenue par une consultation des habitants concernés et avec leur parti- La mise en place d’un nouveau système de cipation à toutes les étapes du processus. production à partir des sources d’énergie re- nouvelable devant se substituer à celui fondé Par contre, s’il est prévu aussi d’accroître sur l’utilisation des énergies fossiles est envi- beaucoup l’utilisation de la biomasse, le concept sagée sous des formes très différentes. Il s’agit énergétique ne fixe aucun objectif pour le pho- de remplacer un système constitué de centrales tovoltaïque, alors en plein essor, et il est au de production de grande puissance par un sys- contraire prévu de réduire fortement ses tarifs tème beaucoup plus décentralisé et, qui plus de rachat afin de limiter son développement. est, à production intermittente. Les promoteurs Dans le concept énergétique de 2010, il est les plus enthousiastes des énergies renouve- noté que le photovoltaïque, qui fournit environ lables voient d’ailleurs dans la transition éner- 9 % de la production électrique des renouve- gétique l’instrument d’une sorte de révolution lables, absorbe 40 % des sommes consacrées au économique et sociale, où l’on pourrait passer mécanisme de soutien aux renouvelables. d’un système très capitalistique, dominé par de Le gouvernement fédéral étant conscient grandes sociétés à une multitude de petits pro- des limites possibles au développement des ducteurs pouvant assurer leur propre approvi- énergies renouvelables, notamment à l’horizon sionnement énergétique. Ce renversement de 2020, le paquet énergétique prévoit également situation conduirait à passer du système établi de créer de nouvelles capacités de stockage, depuis la révolution industrielle de l’energy sans qu’il soit d’ailleurs précisé sous quelle for space à celui de l’energy from space [Brü- forme. Mais l’élément le plus important est cher, 2009], puisque la production d’énergie l’accélération des chantiers de construction des en quantités importantes à partir de sources nouvelles centrales à gaz et à charbon, avec un renouvelables nécessite d’équiper de grandes objectif de créer en plus des centrales déjà pro- surfaces en éoliennes ou en panneaux photo- grammées, 10 GW de centrales de réserve pour voltaïques. La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 173
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne A) Les régions à 100 % d’énergies termittence des sources renouvelables, il reste renouvelables nécessaire de recourir aux énergies fossiles à certains moments de la journée et de l’année. C’est dans cet esprit que de très nombreuses Mais l’objectif n’est pas seulement quantita- initiatives locales se sont développées, encou- tif : il s’agit aussi de développer localement des ragées par la loi EEG de 2000 mettant en place comportements peu consommateurs d’éner- les tarifs d’achat pour l’électricité produite à gie, afin d’améliorer l’efficacité énergétique et partir de sources renouvelables. En dehors de de tisser des réseaux d’acteurs publics et pri- la possibilité de financement des panneaux vés réunis autour de la mise en œuvre de la photovoltaïques sur toitures, largement utilisés transition énergétique. L’idée est de créer une dans les Länder du sud (Bavière, Bade-Wur- émulation entre les régions participant à ce temberg), la loi EEG a aussi favorisé le déve- projet dont le nombre augmente chaque année loppement d’initiatives collectives ayant pour et qui échangent leurs expériences, notamment ambition d’atteindre, au moins en théorie, une à l’occasion du congrès annuel se déroulant à autonomie énergétique reposant sur l’utilisation Kassel, siège de l’institution pilote, l’IdE (Institut des énergies renouvelables disponibles locale- des technologies énergétiques décentralisées). ment. Dans différentes régions d’Allemagne, on En janvier 2013, elles étaient au nombre de 136, a vu au cours des années 1980 et surtout 1990 couvrant une superficie de 106 000 km², pour se constituer des associations se donnant pour environ 21 millions d’habitants, le quart de la objectif de mettre en pratique la transition éner- population allemande (Figure 2). gétique. On peut citer notamment la fondation Si certaines régions partenaires du projet de la Solar-Agentur de la région de Freiburg produisent déjà plus d’électricité à partir de en Breisgau en 1993 ou celle d’Eurosolar qui, sources renouvelables que leur consommation, dès 1994, propose un programme pour le dé- la plupart d’entre elles sont encore loin de pro- veloppement du solaire au niveau communal. duire ne serait-ce que la moitié de leur consom- Parmi les expériences pionnières sur la voie de mation énergétique (tableau 2). Il est vrai que la transition énergétique, il faut mentionner l’île les défis à relever sont très inégaux entre les de Pellworm en Frise du Nord, sur laquelle est communes et régions à dominante rurale ayant mise en place dès 1983 une centrale hybride beaucoup développé l’éolien, comme le littoral (éolien et solaire), ou l’initiative solaire de Lüb- de la mer du Nord (Nordfriesland) ou les cam- kow-Krassow en Mecklembourg-Poméranie pagnes du Brandebourg (Oberspreewald) et les occidentale [Bruns et al., 2009]. régions urbaines à forte densité des pays rhé- Tirant partie de ces multiples initiatives, le nans (Speyer, Wetter an der Ruhr). Aussi, quelle ministère de l’Environnement (BMU) a lancé en que soit la catégorie de région partenaire du 2007 un programme de recherche visant à iden- projet, leur engagement et leurs progrès sont tifier les facteurs locaux de réussite de la transi- mesurés à la fois à l’aune de la part d’énergies tion énergétique et à diffuser ces résultats dans renouvelables dans la consommation énergé- les régions. C’est l’origine du projet des Régions tique et à travers la qualité des réseaux d’ac- à 100 % d’énergie renouvelable (100ee : http:// teurs constitués pour atteindre leurs objectifs. www.100-ee.de/). Les régions en question, de Les seules régions qui parviennent à pro- taille très variable allant de la commune rurale duire autant, ou même beaucoup plus, d’élec- isolée à un Landkreis ou à un ensemble de tricité qu’elles n’en consomment sont des ré- Kreise voire même une région urbaine comme gions rurales où le potentiel éolien important le Rhin-Neckar (Mannheim-Heidelberg), se est fortement exploité, grâce à l’implantation donnent pour objectif d’assurer, à plus ou de plusieurs dizaines d’aérogénérateurs. Il moins long terme, l’ensemble de leur approvi- s’agit donc presque exclusivement de régions sionnement énergétique (électricité, chaleur et du littoral de la mer du Nord ou de régions transport) à partir de sources renouvelables. Il de la plaine dans les nouveaux Länder, où de s’agit d’un bilan quantitatif sur l’ensemble de nombreuses éoliennes ont été implantées. Très l’année, dans la mesure où, en raison de l’in- récemment, quelques régions de plateaux ou 174 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
10 9 11 2 8 7 1 3 6 5 1: Vogtlandkreis 2: Hameln-Pyrmont 3: Bamberg 4: Traunstein 5: Schwäbisch Hall 6: Alzey-Worms 7: Vogelsbergkreis 4 8: Oberspreewald Lausitz 9: Uckermark 10: Nordfriesland 11: Wetter an der Ruhr région 100% ENR région urbaine 100% ENR 0 100 km région de démarrage des 100% ENR Figure 2. Les régions à 100 % d’énergies renouvelables (source : http://www.100-ee.de/) de massifs montagneux du Mittelgebirge ont vu minants, on peut distinguer différents profils aussi un fort développement de l’éolien, ce qui régionaux que l’on peut identifier sur la carte devrait leur permettre à brève échéance de pro- de la Figure 3. La Haute Bavière est la région duire également plus d’électricité qu’elles n’en où le solaire photovoltaïque s’est le plus déve- consomment. C’est le cas notamment dans le loppé et vient s’ajouter aux importantes capa- Vogelsberg et sur les plateaux du Hunsrück et cités hydroélectriques, ainsi qu’à la biomasse, de la Hesse Rhénane (région de Alzey-Worms) alors que l’éolien y est presque inexistant. Dans en Rhénanie-Palatinat qui ont vu se multiplier plusieurs Kreis (Rottal-Inn, Straubing, Dingol- les éoliennes de grande puissance. fingen), le solaire de toiture et sous forme de parcs sur surfaces agricoles est tellement im- B) Des situations locales très contrastées portant qu’il produit une part essentielle de En fonction du mix d’énergies renouvelables l’électricité renouvelable et, avec l’appoint de utilisé et des modes de développement prédo- l’hydroélectricité et de la biomasse, parvient à La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 175
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne Tableau 2 Exemples de régions à 100 % d’énergies renouvelables (sources : http://www.energymap.info/map.html et http://www.100-ee.de/index.php?id=100eemap) Région Superficie Population Objectifs Situation 2012 (part de (km²) (hab.) et l’électricité avec ENR consommation et parts des différentes 2012 (MWh) sources) Vogtlandkreis 1 412 265 820 Autarcie énergétique du 7 % ENR dont (Saxe) (1 967 097) Vogtland occidental en 2020, 45 % biogaz, région modèle en Saxe pour 32 % solaire, les Energy awards européens 18 % éolien Hameln-Pyrmont 796 161 063 100 % de la consommation 26 % ENR dont 65 % (Basse-Saxe) (1 191 866) d’électricité du Landkreis avec biogaz, 21 % éolien, ENR en 2012, plan climat 10 % solaire, 4 % hydro Bamberg (Bavière) 1 064 144 940 Alliance climatique de la ville 29 % ENR dont (1 072 600) et du Landkreis. 100 % de la 42 % biogaz, consommation d’électricité et 35 % solaire, 14 % éolien, de chaleur avec ENR en 2035 9 % hydro Traunstein 1 447 170 820 100 % de la consommation 37 % ENR dont (Bavière) (1 264 000) d’électricité du Landkreis avec 24 % hydro, 42 % biogaz, ENR en 2020 32 % solaire, 2 % éolien Schwäbisch Hall 1 482 189 590 Engagement fort de nombreux 40 % ENR dont (Bade-Wurtemberg) (1 402 966) citoyens pour atteindre 47 % biogaz, 100 % de la consommation 40 % solaire, d’électricité et de chaleur 9 % éolien avec ENR Alzey-Worms 593 126 500 100 % de la consommation 42 % ENR dont (Rhénanie- (936 000) d’électricité du Landkreis avec 85 % éolien, Palatinat) ENR en 2020 14 % solaire Vogelsbergkreis 1 461 109 450 100 % de la consommation 59 % EEG dont (Hesse) (809 940) d’électricité avec ENR en 2020, 66 % éolien, 20 % biogaz, développement du biogaz 13 % solaire Oberspreewald- 1 219 129 850 Expérimenter différentes 83 % ENR dont Lausitz (960 890) solutions d’approvisionnement 58 % éolien, 28 % solaire, (Brandebourg) énergétique décentralisées 13 % biogaz Uckermark 3 057 132 602 Réalisation d’une centrale 193 % ENR dont (Mecklembourg- (981 254) hybride pour fabriquer de 89 % éolien, Poméranie) l’hydrogène avec l’énergie 8 % biogaz, éolienne en excès 3 % solaire Nordfriesland 2 052 167 280 Husum, capitale mondiale 246 % ENR dont (Schleswig- (1 237 864) de l’éolien ; développement 77 % éolien, 15 % biogaz, Holstein) économique basé sur l’éolien 8 % solaire Wetter an der 31 29 220 Atteindre 100 % ENR + 1 % ENR dont 56 % Ruhr (Rhénanie du (216 235) plan climatique en cours de solaire et 44 % éolien Nord-Westphalie conception Speyer (Rhénanie- 43 50 420 100 % de la consommation 2 % ENR avec solaire Palatinat) (373 167) d’électricité de la ville avec ENR en 2030 et 100 % du chauffage en 2040 176 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
fournir plus de la moitié de la consommation capacités installées en renouvelables, le reste d’électricité locale. se partageant entre la biomasse et l’éolien, Le Bade-Wurtemberg et le nord de la plus important qu’en Haute Bavière. Dans la Bavière se caractérisent par des capacités en plupart des Kreis, la part d’électricité issue renouvelables moins importantes qu’en Haute des renouvelables reste faible, largement Bavière, en raison notamment de l’absence inférieure à 20 %. Mais certains Kreis, avec à d’hydroélectricité, sauf localement le long la fois de l’éolien, du photovoltaïque, de la des cours du Rhin (en amont de Bâle et de biomasse et de l’hydroélectricité, parviennent à Karlsruhe) et du Main (près de Würzburg). De atteindre un niveau beaucoup plus important, ce fait, le solaire, principalement de toiture, dépassant 40 % de la consommation locale de représente de la moitié aux deux-tiers des courant. C’est le cas par exemple des Kreis de Nordfriesland SH Kiel Dithmarschen Emsland HH MP BR Uckermark-Barnim BS Prignitz-Oberhavel POLOGNE Berlin Berlin P AY S - B A S BB Münster SA NRW Düsseldorf SX TH Dresde HE BELGIQUE R E P U B L I Q U E RP Francfort LUXEMBOURG T C H E Q U E Würzburg Länder: BA : Bavière BB : Brandebourg SL BA BR: Brême BS: Basse-Saxe F R A N C E B W : Bade-Wurtemberg HE: Hesse Stuttgart HH: Hambourg MP: Mecklembourg-Poméranie BW Augsburg NRW: Rhénanie du Nord -Westphalie Munich RP: Rhénanie-Palatinat A UT R I C H E SA: Saxe-Anhalt SH: Schleswig-Holstein SL: Sarre 0 100 km SX: Saxe TH: Thuringe S U I S S E production électrique potentielle des renouvelables Allemagne: 21% d'ENR gaz de houille ou 3000 GWh de station d'épuration hydroélectricité 2000 1000 biomasse 500 solaire pv éolien Figure 3. Capacités de production en électricité par les différentes sources d’énergie renouvelable dans les régions d’aménagement du territoire en 2010 (source des données : http://www.energymap.info/) En fonction des différences de capacité de charge des sources d’énergie, l’évaluation est basée sur les références suivantes : par kW de puissance installée, 950 kWh/an pour le photovoltaïque, 1 700 kWh/an pour l’éolien, 3 900 kWh/an pour l’hydroélectricité, 5 700 kWh/an pour la biomasse, 3 600 kWh/an pour le gaz de station d’épuration. La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 177
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne Schwäbisch Hall, Würzburg, Kitzingen et du ou au Schleswig-Holstein, le photovoltaïque Main-Spessart. individuel sur toiture y est très peu dévelop- La plus grande partie des Länder de Rhéna- pé. En Brandebourg, comme d’ailleurs dans nie-Palatinat, de Hesse, de Rhénanie-du-Nord- les autres nouveaux Länder (Mecklembourg- Westphalie, ainsi que de Thuringe et de Saxe Poméranie et Saxe-Anhalt en particulier), l’ac- présentent un profil relativement similaire, croissement du solaire au cours des dernières avec une capacité installée en renouvelables années est dû surtout à des investissements où prédomine largement l’éolien (au moins de développeurs privés dans de vastes parcs les deux-tiers du total), le reste étant constitué de cellules photovoltaïques implantés sur des surtout par le solaire photovoltaïque avec un friches militaires ou minières (voir photo 1). peu de biomasse. L’hydroélectricité ne joue un Plusieurs anciens aérodromes ou camps d’en- rôle que le long de la vallée de la Moselle. La trainement militaires de l’Armée Rouge ainsi plupart des Kreis, notamment les plus urbani- que des surfaces réhabilitées dans d’anciennes sés (régions urbaines de Francfort-Mayence et exploitations de lignite ont accueilli les plus du Rhin inférieur) n’utilisent qu’une faible part grands parcs photovoltaïques d’Europe. Grâce d’énergies renouvelables pour leur consom- à ses importantes capacités de production mation d’électricité. Néanmoins, un certain éolienne et photovoltaïque, le Brandebourg a nombre de Kreis ruraux dépassent une part même dépassé le Schleswig-Holstein pour la de 40 % d’énergies renouvelables. C’est le cas part de la production d’électricité issue des re- en particulier des Kreis ayant une forte capa- nouvelables. Elle atteint actuellement environ cité éolienne : Alzey-Worms (42 % d’éner- 70 % de la consommation contre 50 % dans le gies renouvelables), Vogelsbergskreis (59 %), Land du nord de l’Allemagne. Rhein-Hunsrück (74 %), Bitburg-Prüm (102 %). Mais, du point de vue du mode de dévelop- Certains Kreis à moindre capacité éolienne pement des énergies renouvelables, le contraste atteignent également une part importante de est particulièrement grand entre d’une part le renouvelables grâce à l’apport complémentaire Brandebourg et plus largement les nouveaux de biomasse et de photovoltaïque : Waldeck- Länder et d’autre part le Schleswig-Holstein. Frankenberg (36 %), Borken (42 %). Alors que, dans les nouveaux Länder, les parcs L’ensemble de l’Allemagne du Nord, du éoliens comme les parcs photovoltaïques ont Schleswig-Holstein et de la Basse-Saxe au été principalement réalisés par des sociétés pri- Brandebourg et à la Saxe-Anhalt rassemble la vées souvent issues d’Allemagne de l’Ouest, le plus forte capacité de production d’électricité Schleswig-Holstein est par excellence la terre à partir de renouvelables. Plusieurs Kreis du d’élection des parcs éoliens citoyens (Bürge- Brandebourg et du Schleswig-Holstein pro- rwindparks). Ces Bürgerwindparks, et plus duisent d’ailleurs plus que leur propre consom- récemment certains parcs solaires (Bürgerso- mation d’électricité et, pour certains (Nordfries- larparks), ont été financés par des collectifs land, Dithmarschen, Prignitz, Uckermark), c’est d’habitants qui se sont constitués en sociétés même 2 à 3 fois plus. Cela est dû d’abord à tirant ainsi les bénéfices des tarifs d’achat du l’importance de l’éolien qui, dans la plupart courant issu des énergies renouvelables. des régions, représente plus des trois-quarts de Ce tour d’horizon de l’état du développe- la puissance installée. L’électricité produite à ment des énergies renouvelables à l’échelle partir de biogaz occupe aussi une place impor- locale fait apparaître une grande diversité de tante en Basse Saxe et au Schleswig-Holstein. situations. Celle-ci vient à la fois des sources L’évolution récente a été marquée par la forte d’énergie privilégiées, des formes de dévelop- progression du photovoltaïque à la faveur de la pement et des acteurs impliqués. Il est clair frénésie d’investissements réalisés depuis 2008. que si de plus en plus de Kreis produisent une Le Brandebourg est ainsi devenu, devant la part majoritaire de leur consommation d’élec- Bavière, le Land ayant la plus forte capacité tricité avec des renouvelables, il s’agit toujours photovoltaïque installée par habitant. Mais, de régions rurales assez peu densément peu- contrairement à ce que l’on observe en Bavière plées comme les campagnes du Brandebourg 178 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
ou les polders de la Frise du Nord. Si le solaire Pourtant, ces progrès si visibles dans les pay- photovoltaïque joue, dans certaines régions sages où les éoliennes comme les parcs pho- d’Allemagne du Sud, un rôle prédominant, tovoltaïques sont devenus particulièrement ailleurs c’est l’éolien qui domine et fournit familiers dissimulent une réalité plus nuancée, suffisamment d’électricité pour permettre d’at- voire même décevante. D’une part, il faut sou- teindre, au moins en théorie, les objectifs de ligner que c’est seulement dans le secteur de la la transition énergétique. Par contre, dans les production d’électricité que des progrès impor- grandes régions urbaines, les énergies renou- tants ont été accomplis. En ce qui concerne velables ne représentent toujours qu’une faible la production de chaleur ou les carburants part de la consommation électrique (moins utilisés dans les transports (qui, ensemble, re- de 10 %), malgré un fort développement du présentent les deux-tiers de la consommation photovoltaïque de toiture. C’est en effet pour d’énergie primaire), la part des énergies renou- alimenter les grandes agglomérations que se velables est encore très faible, de l’ordre de 5 % pose l’un des défis principaux de la transition pour les biocarburants, avec de toute évidence énergétique : trouver des espaces disponibles de grandes difficultés à exploiter suffisamment suffisamment étendus pour collecter l’énergie de surfaces agricoles pour pouvoir augmenter nécessaire. beaucoup cette production [Deshaies et Bau- Aussi, la production décentralisée associée delle, 2013 ; Smil, 2010]. aux énergies renouvelables dans l’imaginaire Mais, même concernant la production collectif (en Allemagne tout particulièrement), d’électricité, il apparaît d’ores et déjà un par opposition à la production centralisée que certain nombre de limites. Si l’on observe la représente le système basé sur les énergies progression des capacités installées et de la part fossiles, relève-t-elle largement du mythe. En des énergies renouvelables dans la production réalité, les grands parcs éoliens ou photovol- d’électricité, on peut vite conclure à l’avènement taïques du Brandebourg, comme les vastes rapide de la transition énergétique. Si l’on surfaces de cellules solaires des fermes de s’attache par contre à comparer l’évolution de Bavière ou du Schleswig-Holstein servent à la quantité d’électricité produite à partir de alimenter le réseau pour une consommation sources d’énergie renouvelable avec celle issue de courant électrique dans les villes situées à de sources d’énergie fossile, il apparaît que la des centaines de kilomètres de distance. Dans transition énergétique est à peine amorcée et ces conditions, la centrale à gaz de Rhénanie les sources traditionnelles restent très largement du Nord-Westphalie, mise en marche pour prédominantes (Figure 4). compenser les fluctuations des renouvelables, Si l’on considère qu’il y a transition éner relève davantage de la production décentrali- gétique à partir du moment où les sources sée. À cela, il faut ajouter qu’avec la construc- d’énergie renouvelable se substituent aux tion des grands parcs éoliens en mer du Nord, ce sont de véritables centrales de production centralisées, et particulièrement éloignées des consommateurs, qui vont être réalisées. 3. Les limites de la transition énergétique A) Les limites des progrès quantitatifs Les progrès accomplis par les énergies re- nouvelables en Allemagne sont pour le moins spectaculaires, à tel point qu’ils semblent lais- Figure 4. Part des différentes sources de ser augurer de la possibilité d’accomplir la production d’électricité en 2012. Production transition énergétique en quelques décennies. totale : 618 TWh (milliards de kWh) La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 179
ÉTUDE Essor et limites des énergies renouvelables en Allemagne énergies fossiles, alors il faut attendre Dans ces conditions, l’objectif de sortie du 2011 pour voir apparaître cette évolution. nucléaire à l’horizon 2022 contraindra à rem- Si la production d’électricité à partir des placer les 100 TWh produits par les réacteurs renouvelables a bien fortement augmenté (de encore en service en 2012 ; ce qui représente près de 82 TWh entre 1993 et 2010), dans le l’équivalent de toute l’augmentation de la pro- même temps, la consommation d’électricité a duction d’électricité à partir de sources renou- progressé de plus de 15 %, soit 83 TWh. C’est velables depuis 2000. La substitution intégrale pourquoi, en 2010, il a fallu produire avec des des énergies renouvelables au nucléaire néces- énergies fossiles la même quantité d’électricité siterait donc que l’on installe, d’ici à 2022, une qu’en 1993 (Figure 5). Par contre, de 2010 à capacité de production nouvelle équivalente à 2012, on observe une baisse notable de la celle qui a été construite en éolien, photovol- consommation d’électricité (-16 TWh), alors taïque et biomasse de 2000 à 2012, soit 60 GW. que les énergies renouvelables ont connu Selon le concept énergétique de 2010, il est une forte augmentation, avec plus de 33 TWh prévu de créer près de la moitié (25 GW) de supplémentaires produits, principalement cette capacité nouvelle grâce à la construction grâce à la progression de la production des de parcs éoliens offshore [Bundesregierung, parcs photovoltaïques. En conséquence, de 2010 ; BMWI, 2013a, b]. Le reste devra être 2010 à 2012, la quantité d’électricité fournie trouvé principalement par le repowering (le par les énergies fossiles a diminué de 10 %, remplacement d’éoliennes anciennes par des soit environ 49 TWh, principalement du fait de éoliennes plus puissantes) des parcs éoliens l’arrêt de sept réacteurs nucléaires à la suite terrestres et par la progression des capacités de la catastrophe de Fukushima. Reste à savoir photovoltaïques et de production à partir de la si cette évolution favorable, due notamment biomasse. Le repowering, déjà très avancé sur à la baisse de la consommation, est une les côtes de la mer du Nord et qui commence tendance de fond durable. On peut d’autant tout juste pour les parcs à l’intérieur des terres, plus légitimement se poser la question qu’une offre un fort potentiel de développement, sans poursuite de la baisse de la consommation telle qu’il soit nécessaire de trouver de nouvelles qu’elle est envisagée dans l’Energiekonzept de surfaces pour installer des éoliennes. Selon le 2010 (d’environ 10 %) semble en contradiction syndicat de l’énergie éolienne [BWE, 2012], il avec l’idée avancée par ailleurs de développer est possible de doubler la capacité éolienne les véhicules électriques. installée terrestre, sans augmenter le nombre Figure 5. Augmentation de la consommation d’électricité totale et de la production à partir de sources renouvelables de 1993 à 2012 (en TWh) 180 La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013
de machines. La nouvelle génération d’éo- tura 2000) ainsi que les réserves de biosphère liennes dépasse couramment les 2,5 à 3 MW, et les zones centrales des parcs naturels soient contre 1 à 1,5 MW au début des années 2000. considérées comme des zones d’exclusion de La plus puissante éolienne terrestre, construite l’éolien. à Schipkau en Basse Lusace (Brandebourg), D’autres mouvements d’opposition à l’éolien atteint même le record de 7 MW. se sont formés dans des parcs naturels où il est déjà très présent. C’est le cas par exemple B) Une contestation locale des effets dans le Naturpark du Vogelsberg. Ce parc de la course à la puissance éolienne naturel a pourtant été le berceau de l’éolien La rançon de cette course à la puissance continental en Allemagne et, dans les années est que les nouvelles éoliennes atteignent 1990 et 2000, les éoliennes s’y sont multipliées aussi des dimensions particulièrement impor- sans rencontrer de résistance particulière. tantes, notamment à l’intérieur des terres où Mais ce qui est mis en cause par l’initiative il faut construire en hauteur pour accéder à citoyenne qui s’est constituée (http://www. un potentiel suffisant. Alors que les éoliennes gegenwind-vogelsberg.de) pour s’opposer aux du début des années 2000 ne dépassaient pas nouveaux projets éoliens, c’est la dimension une hauteur de 70 mètres à la nacelle, on ins- des machines et leur localisation dans la partie talle actuellement des machines qui dépassent centrale du parc naturel. L’argumentation 100 mètres, voire même 130 mètres de hau- souligne aussi que les éoliennes sont déjà très teur pour une envergure des pales de 90 à nombreuses et mal partagées à l’intérieur de 100 mètres ! De telles géantes ont un impact l’arrondissement de Gießen et plus largement paysager sans précédent comme on peut le dans le Land de Hesse. Les opposants ont le constater avec les nouvelles éoliennes de la sentiment d’une concentration toujours plus région de Wörrstadt (photo 2) ou de la forêt grande de machines dans les mêmes endroits du Soonwald (photo 3) en Rhénanie-Palatinat. et il en résulte une saturation. La construction de cette nouvelle génération C) Les problèmes liés à l’intermittence d’éoliennes a déclenché localement des mou- de la production des renouvelables vements d’opposition dénonçant les effets ca- tastrophiques pour les paysages. C’est le cas Cependant, les principales limites au dé- par exemple pour les éoliennes implantées veloppement des énergies renouvelables durant l’hiver 2012 dans la forêt du Soonwald. viennent d’une part de la localisation des aires Une initiative citoyenne s’est constituée contre de production par rapport aux lieux princi- le projet et a reçu l’appui des associations de paux de consommation et, d’autre part, de leur protection de la nature comme Bund et Nabu. caractère intermittent qui complique beaucoup À l’occasion d’une conférence de presse com- leur insertion dans le système électrique. Il mune intitulée « Catastrophe pour le paysage » existe en effet un déséquilibre important entre (http://www.naturpark-statt-windpark.de/PM_ l’Allemagne du Nord où se trouve l’essentiel Katastrophe_fuer_die_Landschaft.pdf), orga- des capacités de production éolienne et l’Alle- nisée en septembre 2012, elles ont dénoncé magne rhénane et du Sud où la consommation l’absence de planification de l’éolien dans le d’électricité est plus importante, à la fois par la Land de Rhénanie-Palatinat. Sans remettre en concentration du peuplement et la localisation cause les objectifs du gouvernement du Land de l’essentiel des industries. Les capacités de de multiplier par 5 la production d’électricité production photovoltaïque installées en Bade éolienne d’ici à 2020, elles ont recommandé de Wurtemberg et en Bavière sont loin de com- concentrer les éoliennes dans certains espaces, penser ce déséquilibre qui devrait s’accentuer afin d’éviter qu’il n’y ait plus aucun paysage beaucoup d’ici à 2020 avec la réalisation des sans éolienne. Elles ont aussi demandé à ce parcs éoliens offshore. Or, la fermeture des que l’on tienne compte plus strictement de la réacteurs nucléaires encore en fonctionnement protection des oiseaux et des chauves-souris et va priver l’Allemagne du Sud d’une grande par- que les zones de protection de la nature (Na- tie de sa production électrique qu’il faudra au La Revue de l’Énergie n° 613 – mai-juin 2013 181
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