Un patrimoine en forêt - Louise Mercier and France Gagnon Pratte - Érudit
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Document generated on 10/07/2021 2:44 p.m. Continuité Un patrimoine en forêt Louise Mercier and France Gagnon Pratte Pêche aux trésors Number 145, Summer 2015 URI: https://id.erudit.org/iderudit/78288ac See table of contents Publisher(s) Éditions Continuité ISSN 0714-9476 (print) 1923-2543 (digital) Explore this journal Cite this article Mercier, L. & Gagnon Pratte, F. (2015). Un patrimoine en forêt. Continuité, (145), 52–54. Tous droits réservés © Éditions Continuité, 2015 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
P P o i n t d e m i r e Un patrimoine en forêt gnement étant un facteur aggravant. Enfin, la forêt qui formait avec ce bâti un tout paysager unique a subi à bien des endroits les coupes intensives de l’industrie fores- tière, qui ont laissé de vastes zones ravagées et méconnais- sables et, surtout, des forêts appauvries. Donner accès au territoire à l’ensemble des Québécois était et demeure une bonne idée. Toutefois, la précipita- tion et la pression populaire n’ont pas favorisé la protection de ce riche patrimoine cultu- rel. Dans l’empressement et la détestation des privilèges d’élite, on a omis d’établir des règles de protection pour ce patrimoine bâti, et en jetant le bébé avec l’eau du bain, les Québécois ont encore oublié l’importance d’un pan de leur patrimoine. Il y a là des leçons que l’on doit tirer et mettre à profit dans nos pratiques et nos Q ui a vécu l’expérience de Les sites des clubs de pêche choix de demain. la forêt et de sa nature sauvage privés qui ont vu le jour sous Des menaces pèsent sur ce sait à quel point il s’agit, au l’égide d’une bourgeoisie qu’il reste de ce patrimoine : Québec, de l’un de nos plus anglo-saxonne et francophone V la méconnaissance de son précieux trésors. Mais plus férue de véritables expériences intérêt comme témoin l’urbanisation progresse, moins en nature sont des territoires d’une partie de notre his- cette expérience est partagée. historiques et naturels ancrés toire et comme potentiel Et moins les gens connaissent dans l’histoire du Québec. Près attrait touristique ; la forêt, moins ils ont le goût de quatre décennies après le V l es coûts que représente de s’en porter défenseurs. « déclubage » (en 1977, l’État son entretien en raison de L’histoire récente nous donne québécois ne renouvelle pas l’éloignement, l’entretien des enseignements impor- les baux sur les terres de la demeurant la clé de sa lon- tants, et certaines initiatives Couronne et abolit les droits gévité ; d’aujourd’hui méritent notre exclusifs de chasse et de pêche V le manque de disponibilité intérêt. des clubs privés), force est de de la main-d’œuvre spécia- constater le piètre sort réser- lisée dans ce type de bâti, L’histoire dans la forêt vé à la majorité d’entre eux. d’autant plus grand dans Dans cette forêt québécoise Certains ont disparu, ont été ces lieux éloignés ; Intérieur de l’un des 13 chalets s’est constitué, dès le XIXe siècle, mis à feu ou détruits volon- V la coupe forestière à proxi- de Kenauk Nature, une des plus à la faveur d’une loi en matière tairement afin d’éviter le mité des camps de pêche, grandes réserves privées en Amérique du Nord, avec ses de pêche (1858) et d’un acte vandalisme et les incendies qui efface tranquillement 26 000 hectares de superficie et facilitant la formation de clubs de forêt. Plusieurs ont perdu les forêts ancestrales ; ses 70 lacs privés (1885), un patrimoine bâti bon nombre de leurs éléments V une faible concertation en Source : Conservation de la d’une grande valeur, construit caractéristiques faute de ce qui concerne la définition nature Canada par des passionnés de nature. l’entretien nécessaire, l’éloi- des rôles de protection du CONTINUITÉ 52 numéro cent quarante-cinq
P o i n t d e m i r e patrimoine et leur partage plus exubérants, club houses et entre ceux qui fréquentent autres constructions d’enver- les lieux, les propriétaires gure, pour les rendre encore et les gestionnaires des ter- plus attrayants. Cela pourrait ritoires. inspirer ceux qui entretiennent Si, à l’époque du « déclubage », ces bâtiments patrimoniaux on n’avait pas une connais- et ceux qui en construisent sance fine de la valeur de ce présentement dans des sites patrimoine, il faut constater naturels au Québec. Pourquoi qu’encore aujourd’hui, bien certaines pourvoiries sont-elles peu d’ouvrages ont été publiés si moches avec leurs camps en sur le sujet. Et il n’existe pas contreplaqué et leurs maté- d’inventaire exhaustif. Le dos- riaux bas de gamme ? Est-ce sier de ce numéro de Continuité vraiment ce que nous avons de vient donc éclairer d’une façon mieux à offrir à ceux qui fré- importante ce champ de notre quentent la forêt, Québécois patrimoine. ou touristes ? L’expérience de Il faudrait, pour ce patrimoine la vie en forêt n’est-elle pas en milieu forestier, une sen- justement l’occasion d’explorer de la nature Canada (CNC), Conservation de la nature sibilisation beaucoup plus notre capacité à nous recon- un OBNL dont la mission Canada a récemment acquis le large des acteurs en présence : necter à la nature sans arti- est de protéger le patrimoine territoire du lac du Portage, le propriétaires de pourvoiries fices ? naturel du Canada, et Lyme plaçant ainsi à l’abri de toute coupe forestière intensive et de et de camps privés, membres Kenauk Canada, une division des zecs, forestiers et État, par Des exemples inspirants de la société forestière Lyme tout projet résidentiel. Photo : Claude Duchaîne l’intermédiaire des ministères Alliances pour l’avenir Timber Company, qui en font concernés. Tous ont un rôle Des alliances nouvelles entre l’acquisition au printemps à jouer pour protéger le patri- sociétés privées et organismes 2014. moine naturel et culturel de à but non lucratif (OBNL) Kenauk Nature achète la plus nos forêts et l’enrichir pour les sont inspirantes et promet- large part du territoire au coût générations futures. teuses pour l’avenir : Kenauk de 27,5 millions de dollars, en Outaouais en est un bel en souhaitant en maintenir le Des enseignements exemple. caractère naturel tout en assu- Le patrimoine bâti de ces En 2013, Oxford Properties rant son accessibilité et les camps ancestraux peut égale- Group (une filiale de la activités de plein air. Cette ment être source d’enseigne- caisse de retraite onta- société gère dorénavant la ments. rienne OMERS) met en pourvoirie. La société Lyme Les matériaux utilisés dans vente l’ensemble du terri- Timber Company, spécialisée la construction des camps toire de Fairmont Kenauk, dans la gestion ordonnée de étaient principalement préle- une pourvoirie sise sur terres forestières, obtient pour vés sur leurs sites. Les tech- l’ancienne seigneurie 8 millions de dollars les droits niques simples, qui avaient Papineau et exploitée par d’exploitation sur 21 060 hec- été celles des premiers colons Fairmont Hotels & Resorts. tares, soit 80 % du territoire. ou qui s’inspiraient des cou- Cette propriété comprend Quant à l’organisme Con- rants naturalistes, permettaient 70 lacs et 13 chalets. En tout, servation de la nature Canada, un entretien facile. La rusti- 26 000 hectares de terres pri- il a acquis 4055 hectares afin cité correspondait aux lieux vées, que l’entreprise ne sou- d’en assurer la protection à eux-mêmes. L’insertion des haite pas vendre à la pièce. perpétuité. Il a réussi à mettre bâtiments dans le paysage Un milieu naturel et culturel 5 millions sur la table grâce à était faite avec grand soin et exceptionnel ! des dons privés, appariés par les laissait place à la contempla- Ce sont donc Kenauk Nature, fonds du Programme de conser- tion de la nature. Parfois, des une société en comman- vation des zones naturelles du architectes collaboraient à la dite formée de quatre parte- Canada. Prévoyant, l’orga- conception des bâtiments les naires privés, Conservation nisme s’est également donné CONTINUITÉ 53 numéro cent quarante-cinq
P o i n t d e m i r e n Et en Beauce maire. L’objectif est de rendre Paysages menacés Une autre acquisition récente la nature accessible pour de au Québec dont CNC est par- courts séjours à ceux que le ticulièrement fier est celle du camping ne passionne pas. À territoire du lac du Portage, ce jour, quatre parcs nationaux le plus grand lac de Beauce. offrent cet habitat forestier En 2014, Rex Scott, héritier nouveau genre et abordable : de la famille Breakey qui y ceux du Mont-Tremblant, de avait implanté un camp de la Jacques-Cartier, des Monts- pêche au début du XXe siècle, Valin et du Mont-Mégantic. a fait don des bâtiments à Le travail de la Sépaq, depuis CNC. L’organisme a ache- quelques décennies mainte- Photo : Louise Mercier té les terres de ce vaste site nant, est de nature à rappro- formé de quatre lacs privés cher les gens des milieux natu- Contigu au parc national des Laurentides, le lac Wilkin était non construits, maintenant rels et à faire en sorte que la l’un des 150 lacs du Triton Fish and Game Club fondé en exempt de toute coupe fores- forêt soit attractive et familière 1893. Son camp date des années 1940. En 2007, la Seigneurie tière intensive et à l’abri de au plus grand nombre. Un du Triton, qui recoupe une partie seulement du territoire ini- tial du club privé, a vu 408 km2 de son territoire protégé par le tout projet résidentiel. CNC espoir de plus pour sa protec- gouvernement du Québec en devenant réserve de biodiversité. a maintenu l’entente avec la tion à long terme. À proximité, les compagnies forestières ont exploité l’une des pourvoirie qui gère les lieux et dernières forêts vierges de la Mauricie. La coupe s’est déployée rend ainsi accessibles les acti- L’avenir nous appartient jusqu’aux alentours du lac Wilkin. vités de chasse et pêche sur le Cette forêt que nous chéris- n territoire. Un autre effet heu- sons, nous devons nous en sen- l’obligation de verser 20 % de reux de cette protection réside tir responsables. Il faut mettre la valeur de la transaction dans dans le fait qu’elle crée un l’épaule à la roue, de façon un fonds de dotation dont les immense corridor forestier pro- collective et individuelle, rendements permettront de tégé pour la faune, le territoire pour trouver les solutions qui payer les taxes relatives au étant jouxté de l’autre côté de assureront son avenir. Les territoire acquis. Dès l’acqui- la frontière américaine par une Québécois doivent également sition, CNC a inventorié la servitude forestière de plus de apprendre à reconnaître la biodiversité du territoire. CNC 100 000 hectares. valeur de leur patrimoine bâti, n’exclut pas la possibilité de se quel qu’il soit. Sinon, il est porter acquéreur d’une autre Habiter la nature condamné à disparaître. partie du territoire de Kenauk La Sépaq offre depuis peu n sur lequel il a une option dans ses parcs des chalets Exp. Louise Mercier, présidente d’Ac- d’achat valide pour quatre ans : (pour « expérience »). D’une tion patrimoine, en collaboration 1800 hectares en plein titre et architecture contemporaine, avec France Gagnon Pratte, pré- 13 000 hectares additionnels ces constructions simples, très sidente de la Fondation québécoise en servitude. Il lui faut d’abord vitrées et bien adaptées aux du patrimoine en évaluer la valeur écologique sites dans lesquels elles s’in- et, bien sûr, réunir les fonds sèrent offrent l’expérience de nécessaires. la forêt dans un confort som- A Action patrimoine est un OBNL qui agit à l’échelle nationale pour protéger et mettre en valeur le patrimoine québécois. Depuis 1975, d’abord sous le nom de Conseil des monuments et sites du Québec, puis sous sa nouvelle dénomination, l’organisme poursuit sans relâche une mission de sensibilisation, de diffusion de la connaissance et de prise de position publique pour la sauvegarde du patrimoine bâti et des paysages culturels du Québec. P CONTINUITÉ 54 numéro cent quarante-cinq
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