Un patrimoine en forêt - Louise Mercier and France Gagnon Pratte - Érudit

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Un patrimoine en forêt - Louise Mercier and France Gagnon Pratte - Érudit
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Continuité

Un patrimoine en forêt
Louise Mercier and France Gagnon Pratte

Pêche aux trésors
Number 145, Summer 2015

URI: https://id.erudit.org/iderudit/78288ac

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Publisher(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (print)
1923-2543 (digital)

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Mercier, L. & Gagnon Pratte, F. (2015). Un patrimoine en forêt. Continuité, (145),
52–54.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 2015                                     This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                                     This article is disseminated and preserved by Érudit.
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                                                                                     Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                                     promote and disseminate research.
                                                                                     https://www.erudit.org/en/
Un patrimoine en forêt - Louise Mercier and France Gagnon Pratte - Érudit
P
                        P o i n t        d e   m i r e

               Un patrimoine en forêt                                                                                             gnement étant un facteur
                                                                                                                                  aggravant. Enfin, la forêt qui
                                                                                                                                  formait avec ce bâti un tout
                                                                                                                                  paysager unique a subi à
                                                                                                                                  bien des endroits les coupes
                                                                                                                                  intensives de l’industrie fores-
                                                                                                                                  tière, qui ont laissé de vastes
                                                                                                                                  zones ravagées et méconnais-
                                                                                                                                  sables et, surtout, des forêts
                                                                                                                                  appauvries.
                                                                                                                                  Donner accès au territoire à
                                                                                                                                  l’ensemble des Québécois
                                                                                                                                  était et demeure une bonne
                                                                                                                                  idée. Toutefois, la précipita-
                                                                                                                                  tion et la pression populaire
                                                                                                                                  n’ont pas favorisé la protection
                                                                                                                                  de ce riche patrimoine cultu-
                                                                                                                                  rel. Dans l’empressement et
                                                                                                                                  la détestation des privilèges
                                                                                                                                  d’élite, on a omis d’établir des
                                                                                                                                  règles de protection pour ce
                                                                                                                                  patrimoine bâti, et en jetant
                                                                                                                                  le bébé avec l’eau du bain, les
                                                                                                                                  Québécois ont encore oublié
                                                                                                                                  l’importance d’un pan de leur
                                                                                                                                  patrimoine. Il y a là des leçons
                                                                                                                                  que l’on doit tirer et mettre à
                                                                                                                                  profit dans nos pratiques et nos
                                                         Q ui a vécu l’expérience de            Les sites des clubs de pêche      choix de demain.
                                                         la forêt et de sa nature sauvage       privés qui ont vu le jour sous    Des menaces pèsent sur ce
                                                         sait à quel point il s’agit, au        l’égide d’une bourgeoisie         qu’il reste de ce patrimoine :
                                                         Québec, de l’un de nos plus            anglo-saxonne et francophone      V la méconnaissance de son
                                                         précieux trésors. Mais plus            férue de véritables expériences       intérêt comme témoin
                                                         l’urbanisation progresse, moins        en nature sont des territoires        d’une partie de notre his-
                                                         cette expérience est partagée.         historiques et naturels ancrés        toire et comme potentiel
                                                         Et moins les gens connaissent          dans l’histoire du Québec. Près       attrait touristique ;
                                                         la forêt, moins ils ont le goût        de quatre décennies après le      V l es coûts que représente
                                                         de s’en porter défenseurs.             « déclubage » (en 1977, l’État        son entretien en raison de
                                                         L’histoire récente nous donne          québécois ne renouvelle pas           l’éloignement, l’entretien
                                                         des enseignements impor-               les baux sur les terres de la         demeurant la clé de sa lon-
                                                         tants, et certaines initiatives        Couronne et abolit les droits         gévité ;
                                                                                                                                                

                                                         d’aujourd’hui méritent notre           exclusifs de chasse et de pêche   V le manque de disponibilité
                                                         intérêt.                               des clubs privés), force est de       de la main-d’œuvre spécia-
                                                                                                constater le piètre sort réser-       lisée dans ce type de bâti,
                                                            L’histoire dans la forêt            vé à la majorité d’entre eux.         d’autant plus grand dans
                                                         Dans cette forêt québécoise            Certains ont disparu, ont été         ces lieux éloignés ;
                      Intérieur de l’un des 13 chalets
                                                         s’est constitué, dès le XIXe siècle,   mis à feu ou détruits volon-      V la coupe forestière à proxi-
                      de Kenauk Nature, une des plus
                                                         à la faveur d’une loi en matière       tairement afin d’éviter le            mité des camps de pêche,
                      grandes réserves privées en
                      Amérique du Nord, avec ses         de pêche (1858) et d’un acte           vandalisme et les incendies           qui efface tranquillement
                      26 000 hectares de superficie et   facilitant la formation de clubs       de forêt. Plusieurs ont perdu         les forêts ancestrales ;
                      ses 70 lacs                        privés (1885), un patrimoine bâti      bon nombre de leurs éléments      V une faible concertation en
                      Source : Conservation de la        d’une grande valeur, construit         caractéristiques faute de             ce qui concerne la définition
                      nature Canada                      par des passionnés de nature.          l’entretien nécessaire, l’éloi-       des rôles de protection du
CONTINUITÉ

              52
             numéro cent quarante-cinq
P o i n t     d e    m i r e

     patrimoine et leur partage      plus exubérants, club houses et
     entre ceux qui fréquentent      autres constructions d’enver-
     les lieux, les propriétaires    gure, pour les rendre encore
     et les gestionnaires des ter-   plus attrayants. Cela pourrait
     ritoires.                       inspirer ceux qui entretiennent
Si, à l’époque du « déclubage »,     ces bâtiments patrimoniaux
on n’avait pas une connais-          et ceux qui en construisent
sance fine de la valeur de ce        présentement dans des sites
patrimoine, il faut constater        naturels au Québec. Pourquoi
qu’encore aujourd’hui, bien          certaines pourvoiries sont-elles
peu d’ouvrages ont été publiés       si moches avec leurs camps en
sur le sujet. Et il n’existe pas     contreplaqué et leurs maté-
d’inventaire exhaustif. Le dos-      riaux bas de gamme ? Est-ce
sier de ce numéro de Continuité      vraiment ce que nous avons de
vient donc éclairer d’une façon      mieux à offrir à ceux qui fré-
importante ce champ de notre         quentent la forêt, Québécois
patrimoine.                          ou touristes ? L’expérience de
Il faudrait, pour ce patrimoine      la vie en forêt n’est-elle pas
en milieu forestier, une sen-        justement l’occasion d’explorer    de la nature Canada (CNC),          Conservation de la nature
sibilisation beaucoup plus           notre capacité à nous recon-       un OBNL dont la mission             Canada a récemment acquis le
large des acteurs en présence :      necter à la nature sans arti-      est de protéger le patrimoine       territoire du lac du Portage, le
propriétaires de pourvoiries         fices ?                            naturel du Canada, et Lyme          plaçant ainsi à l’abri de toute
                                                                                                            coupe forestière intensive et de
et de camps privés, membres                                             Kenauk Canada, une division
des zecs, forestiers et État, par
                                       Des exemples inspirants          de la société forestière Lyme
                                                                                                            tout projet résidentiel.
                                                                                                            Photo : Claude Duchaîne
l’intermédiaire des ministères       Alliances pour l’avenir            Timber Company, qui en font
concernés. Tous ont un rôle          Des alliances nouvelles entre      l’acquisition au printemps
à jouer pour protéger le patri-      sociétés privées et organismes     2014.
moine naturel et culturel de         à but non lucratif (OBNL)          Kenauk Nature achète la plus
nos forêts et l’enrichir pour les    sont inspirantes et promet-        large part du territoire au coût
générations futures.                 teuses pour l’avenir : Kenauk      de 27,5 millions de dollars,
                                     en Outaouais en est un bel         en souhaitant en maintenir le
     Des enseignements               exemple.                           caractère naturel tout en assu-
Le patrimoine bâti de ces            En 2013, Oxford Properties         rant son accessibilité et les
camps ancestraux peut égale-         Group (une filiale de la           activités de plein air. Cette
ment être source d’enseigne-         caisse de retraite onta-           société gère dorénavant la
ments.                               rienne OMERS) met en               pourvoirie. La société Lyme
Les matériaux utilisés dans          vente l’ensemble du terri-         Timber Company, spécialisée
la construction des camps            toire de Fairmont Kenauk,          dans la gestion ordonnée de
étaient principalement préle-        une pourvoirie sise sur            terres forestières, obtient pour
vés sur leurs sites. Les tech-       l’ancienne seigneurie              8 millions de dollars les droits
niques simples, qui avaient          Papineau et exploitée par          d’exploitation sur 21 060 hec-
été celles des premiers colons       Fairmont Hotels & Resorts.         tares, soit 80 % du territoire.
ou qui s’inspiraient des cou-        Cette propriété comprend           Quant à l’organisme Con-
rants naturalistes, permettaient     70 lacs et 13 chalets. En tout,    servation de la nature Canada,
un entretien facile. La rusti-       26 000 hectares de terres pri-     il a acquis 4055 hectares afin
cité correspondait aux lieux         vées, que l’entreprise ne sou-     d’en assurer la protection à
eux-mêmes. L’insertion des           haite pas vendre à la pièce.       perpétuité. Il a réussi à mettre
bâtiments dans le paysage            Un milieu naturel et culturel      5 millions sur la table grâce à
était faite avec grand soin et       exceptionnel !                     des dons privés, appariés par les
laissait place à la contempla-       Ce sont donc Kenauk Nature,        fonds du Programme de conser-
tion de la nature. Parfois, des      une société en comman-             vation des zones naturelles du
architectes collaboraient à la       dite formée de quatre parte-       Canada. Prévoyant, l’orga-
conception des bâtiments les         naires privés, Conservation        nisme s’est également donné
                                                                                                                                                             CONTINUITÉ

                                                                                                                                                      53
                                                                                                                                 numéro cent quarante-cinq
P o i n t        d e   m i r e

                                                         n
                                                                                                 Et en Beauce                        maire. L’objectif est de rendre
                                           Paysages menacés                                      Une autre acquisition récente       la nature accessible pour de
                                                                                                 au Québec dont CNC est par-         courts séjours à ceux que le
                                                                                                 ticulièrement fier est celle du     camping ne passionne pas. À
                                                                                                 territoire du lac du Portage,       ce jour, quatre parcs nationaux
                                                                                                 le plus grand lac de Beauce.        offrent cet habitat forestier
                                                                                                 En 2014, Rex Scott, héritier        nouveau genre et abordable :
                                                                                                 de la famille Breakey qui y         ceux du Mont-Tremblant, de
                                                                                                 avait implanté un camp de           la Jacques-Cartier, des Monts-
                                                                                                 pêche au début du XXe siècle,       Valin et du Mont-Mégantic.
                                                                                                 a fait don des bâtiments à          Le travail de la Sépaq, depuis
                                                                                                 CNC. L’organisme a ache-            quelques décennies mainte-
                        Photo : Louise Mercier                                                   té les terres de ce vaste site      nant, est de nature à rappro-
                                                                                                 formé de quatre lacs privés         cher les gens des milieux natu-
                      Contigu au parc national des Laurentides, le lac Wilkin était              non construits, maintenant          rels et à faire en sorte que la
                      l’un des 150 lacs du Triton Fish and Game Club fondé en                    exempt de toute coupe fores-        forêt soit attractive et familière
                      1893. Son camp date des années 1940. En 2007, la Seigneurie                tière intensive et à l’abri de      au plus grand nombre. Un
                      du Triton, qui recoupe une partie seulement du territoire ini-
                      tial du club privé, a vu 408 km2 de son territoire protégé par le          tout projet résidentiel. CNC        espoir de plus pour sa protec-
                      gouvernement du Québec en devenant réserve de biodiversité.                a maintenu l’entente avec la        tion à long terme.
                      À proximité, les compagnies forestières ont exploité l’une des             pourvoirie qui gère les lieux et
                      dernières forêts vierges de la Mauricie. La coupe s’est déployée           rend ainsi accessibles les acti-
                                                                                                                                         L’avenir nous appartient
                      jusqu’aux alentours du lac Wilkin.                                         vités de chasse et pêche sur le     Cette forêt que nous chéris-
                                                         n
                                                                                                 territoire. Un autre effet heu-     sons, nous devons nous en sen-
                                                             l’obligation de verser 20 % de      reux de cette protection réside     tir responsables. Il faut mettre
                                                             la valeur de la transaction dans    dans le fait qu’elle crée un        l’épaule à la roue, de façon
                                                             un fonds de dotation dont les       immense corridor forestier pro-     collective et individuelle,
                                                             rendements permettront de           tégé pour la faune, le territoire   pour trouver les solutions qui
                                                             payer les taxes relatives au        étant jouxté de l’autre côté de     assureront son avenir. Les
                                                             territoire acquis. Dès l’acqui-     la frontière américaine par une     Québécois doivent également
                                                             sition, CNC a inventorié la         servitude forestière de plus de     apprendre à reconnaître la
                                                             biodiversité du territoire. CNC     100 000 hectares.                   valeur de leur patrimoine bâti,
                                                             n’exclut pas la possibilité de se                                       quel qu’il soit. Sinon, il est
                                                             porter acquéreur d’une autre        Habiter la nature                   condamné à disparaître.
                                                             partie du territoire de Kenauk      La Sépaq offre depuis peu           n

                                                             sur lequel il a une option          dans ses parcs des chalets Exp.     Louise Mercier, présidente d’Ac-
                                                             d’achat valide pour quatre ans :    (pour « expérience »). D’une        tion patrimoine, en collaboration
                                                             1800 hectares en plein titre et     architecture contemporaine,         avec France Gagnon Pratte, pré-
                                                             13 000 hectares additionnels        ces constructions simples, très     sidente de la Fondation québécoise
                                                             en servitude. Il lui faut d’abord   vitrées et bien adaptées aux        du patrimoine
                                                             en évaluer la valeur écologique     sites dans lesquels elles s’in-
                                                             et, bien sûr, réunir les fonds      sèrent offrent l’expérience de
                                                             nécessaires.                        la forêt dans un confort som-

                      A
                               Action patrimoine est un OBNL qui agit à l’échelle nationale pour protéger et mettre en valeur le patrimoine québécois.
                               Depuis 1975, d’abord sous le nom de Conseil des monuments et sites du Québec, puis sous sa nouvelle dénomination,
                               l’organisme poursuit sans relâche une mission de sensibilisation, de diffusion de la connaissance et de prise de position
                               publique pour la sauvegarde du patrimoine bâti et des paysages culturels du Québec.
                                                                                                                                                                 P
CONTINUITÉ

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             numéro cent quarante-cinq
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