Une histoire et de nombreux visages - #81 Automne 2021 - Alliance Sud
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#81 Automne 2021 RUBRIK #50ALLIANCESUD Une histoire et de nombreux visages PAGE 8 Le magazine d’ Swissaid Action de Carême Pain pour le prochain Helvetas Caritas Eper
ÉCLAIRAGE Depuis 50 ans au service Photo : Action de Carême d’une Suisse solidaire Alliance Sud a 50 ans, la DDC 60, tout comme Alliance Sud est également prête à poursuivre l’Action de Carême, et l’EPER souffle 75 bougies : son développement. Elle s’est attelée à cette voilà quelques décennies, un vent de renouveau tâche en 2021 ; à l’avenir, elle concentrera donc se levait pour une responsabilité mondiale. davantage ses efforts sur les activités de plai- Y a-t-il une raison de faire la fête aujourd’hui, doyer pour déployer des effets ici. L’approche ou plutôt de ne pas la faire, vu les nombreux semble adéquate vu la persistance des défis et problèmes non résolus sur cette planète ? De nou- des injustices dans le monde, particulièrement veaux défis et crises apparaissent constam- là où la politique suisse porte une part de ment – et c’est une véritable course contre la responsabilité. Le pouvoir et l’influence du sec- montre s’agissant de la crise climatique. teur économique restent en outre dispropor- tionnés et conduisent souvent à des décisions Lorsque nos pères et mères fondateurs ont créé politiques prises au détriment des popula- la Communauté de travail Swissaid / Action tions et de l’environnement. Dans ce contexte, de Carême / Pain pour le prochain / Helvetas en il devrait être légitime de se demander pour- août 1971, peu après l’introduction du suffrage quoi des conseillères et conseillers fédéraux féminin, ils étaient sûrement loin de se douter appellent aujourd’hui à une implication politique que le périple allait durer cinq décennies. accrue de l’économie, alors qu’en parallèle, L’accent a d’abord été mis sur l’information de on tente de rogner la marge de manœuvre de la la population suisse sur la situation dans les société civile. Le Conseil fédéral et le Parlement pays en développement et sur les interdépen- ne devraient-ils pas veiller à ce que chacune et dances mondiales ; ce n’est que plus tard, chacun, en Suisse, puisse et doive participer dans les années 1980, que les activités de poli- à la vie politique ? tique de développement sont venues com- pléter le tableau. L’intuition précoce qu’un tour- Ce qui est bon pour l’économie ne l’est pas forcé- nant à long terme ne pouvait être négocié ment pour la Suisse et le monde. Des décisions que par des changements au Nord et au Sud politiques judicieuses et durables dépendent était visionnaire, et c’est un succès historique aussi des voix des citoyens et de la société d’Alliance Sud que d’avoir pu faire parler les civile – nous n’avons eu de cesse de le souligner œuvres suisses d’entraide d’une même voix cré- au fil du demi-siècle passé. Grâce à notre dible en matière de politique de développement. expertise, au dialogue et au débat, nous voulons continuer à jouer un rôle actif à l’avenir Je profite de cette occasion pour remercier et à défendre la justice mondiale. toutes celles et tous ceux qui ont contribué à écrire cette histoire et à la rendre possible. Au cours de ces 50 années, Alliance Sud a souvent bousculé les milieux politiques et contribué à l’élargissement et au perfectionnement de la Bernd Nilles, coopération au développement. Et elle a président d’Alliance Sud et toujours œuvré pour une Suisse solidaire. directeur de l’Action de Carême 2 #81 Automne 2021
POINTS FORTS IMPRESSUM global – Plaidoyer pour un monde juste paraît quatre fois par an. Le prochain numéro paraîtra début décembre 2021. Éditeur : Alliance Sud Communauté de travail Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas, Eper 1, Av. de Cour, CH – 1007 Lausanne T +41 21 612 00 95 F +41 21 612 00 99 global@alliancesud.ch www.alliancesud.ch Médias sociaux : facebook.com/alliancesud MISE EN IMAGE twitter.com/AllianceSud À Table ! Rédaction : Marco Fähndrich (mf ), Kathrin Spichiger (ks) T +41 31 390 93 34 /30 6 Iconographie : Daniel Rihs Graphisme : Bodara GmbH, Büro für Gebrauchsgrafik, Zurich #50ALLIANCESUD Impression : Valmedia, Viège Tirage : 1200 Une histoire et Prix publicité / encartage : voir site internet de nombreux visages Photo de couverture : Rosmarie Bär, Peter Niggli 8 (tous deux Alliance Sud) et Alexandra Capeder (Greenpeace) remplissent symboliquement la valise du ministre des affaires étrangères Joseph Deiss de chaussettes chaudes. En 2002, le Sommet mondial sur le développement DÉCOLONISATION DE L’AIDE durable (Rio+10) a eu lieu à Johannesburg et les ONGs ont Changeons la façon de communiquer demandé au Conseil fédéral de soutenir une transition énergétique planétaire et la création d’une législation inter- nationale en matière de responsabilité environnementale. 14 Photo : KEYSTONE / Edi Engeler #50ALLIANCESUD « Mon parcours au quotidien pour ALLIANCE SUD : QUI SOMMES-NOUS ? l’équité dans la dignité » Président POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT 16 Bernd Nilles, Directeur Action Coopération au développement Kristina Lanz de Carême T +41 31 390 93 40 Siège central kristina.lanz@alliancesud.ch POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT Kathrin Spichiger Politique financière et fiscale « La société civile est le nouveau sujet (membre de la direction), Matthias Wüthrich Dominik Gross T +41 31 390 93 35 de l’histoire » Monbijoustr. 31, dominik.gross@alliancesud.ch Case postale, 3001 Berne Climat et environnement 20 T +41 31 390 93 30 Vacant mail@alliancesud.ch Commerce et investissements Bureau de Lausanne Isolda Agazzi PERSPECTIVE SUD Isolda Agazzi T +41 21 612 00 97 Réimaginer l’Afrique (membre de la direction), isolda.agazzi@alliancesud.ch Laurent Matile Entreprises et développement T +41 21 612 00 95 23 F +41 21 612 00 99 Laurent Matile T +41 21 612 00 98 lausanne@alliancesud.ch laurent.matile@alliancesud.ch Bureau de Lugano Médias et communication INFODOC Lavinia Sommaruga Marco Fähndrich L’urgence de réinventer des espaces (membre de la direction) T +41 31 390 93 34 T +41 91 967 33 66 marco.faehndrich@alliancesud.ch de débat démocratique F +41 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch INFODOC 26 Berne Jérémie Urwyler, Joëlle Valterio T +41 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Lausanne Pierre Flatt (membre de la direction), Ermeline Jaggi, Amélie Vallotton Preisig T +41 21 612 00 86 documentation@alliancesud.ch #81 Automne 2021 3
DROIT AU BUT 1948 : Aide suisse à l’Europe Il a reçu une contrepartie en Suisse 1981 : coordination de la À la fin de la Seconde Guerre mondiale, romande, en 1981, avec le Service politique de développement le Don suisse a été fondé pour four- d’information Tiers-Monde (i3m) basé À partir de 1981, la coordination de la nir une aide d’urgence dans une Europe à Lausanne. Les services d’informa- politique de développement de la com- dévastée par la guerre. C’est le 1er tion assuraient un travail médiatique munauté de travail a été chargée des juillet 1948 qu’est née « l’Aide suisse à journalistique (service de presse tâches de lobbying et de relations pu- l’Europe », une organisation faîtière basé sur des périodiques, production bliques. Elle a constitué un départe- des associations d’entraide suisses d’articles exclusifs) et géraient ment distinct dès 1992, lorsque Caritas actives à l’époque. chacun un service de documentation. Suisse est devenue le cinquième Par la suite, le service de presse a membre de la communauté de travail. été rebaptisé respectivement InfoSüd Depuis 1987, le bureau régional 1960 : Service pour (1990) et InfoSud (1988). Son siège Centro Terzo Mondo (C3M) de Lugano l’assistance technique journalistique était basé à Lausanne. s’est occupé des différentes tâches Le Service pour l’assistance technique InfoSud est devenue une association de la communauté de travail en Suisse a été institué en 1960 par le Conseil indépendante à la fin de l’année 1993. italienne (entre-temps sous le nom fédéral. Un an plus tard, il changea de d’Orizzonti nord sud). nom pour devenir le Service à la coopération technique. Le diplomate 1975 : les services École Tiers-Monde Hans Keller, « délégué du Conseil Le service « Schulstelle Dritte Welt » a 1992 : Max Havelaar en Suisse fédéral pour l’assistance technique », été fondé à Berne, en 1975, et le service Le 6 mai 1991, pour garantir des condi- a été le premier à le diriger. École Tiers-Monde (é3m) à Lausanne, tions d’existence convenables aux en 1981. Tous deux prodiguaient des producteurs de café dans les pays en conseils, formaient le corps en développement, les œuvres d’entraide 1969 : campagne seignant et produisaient et vendaient, suisses souhaitaient disposer de café d’information commune ou louaient, des dossiers pédago- « propre et acheté à prix équitable » Le 18 juin 1969, l’Action évangélique giques. En 1997, la Fondation « Édu- dans tous les commerces suisses dès Pain pour le Prochain, l’Action de cation et développement » (devenue l’automne 1992. C’est à cette fin que la Carême et Swissaid (l’ancienne Aide éducation21) a repris les services communauté de travail a créé la Fon- suisse à l’étranger) ont uni leurs École Tiers-Monde de la communauté dation Max Havelaar en Suisse. La forces pour mener, au cours de l’hiver de travail (à l’exception du service Hollande a été le premier pays européen suivant, une campagne de sensi- de production resté au sein de la com- à tenter de mettre fin aux prix injustes bilisation et d’information ciblée munauté jusqu’en 2013). du café versé aux paysannes et aux pay- et à large échelle sur toutes les ques- sans avec la Fondation Max Havelaar. tions relatives à l’aide au déve- loppement. L’objectif de la campagne était « d’informer et de discuter en profondeur des problèmes et des tâches qui se posent dans les 1976 : loi fédérale sur la relations de la Suisse avec les pays du coopération au développement 2005 : nouvelle désignation tiers-monde, notamment dans les Les Chambres fédérales ont adopté la Début 2003, l’EPER a également rejoint domaines social, culturel, politique loi fédérale sur la coopération au déve- la communauté de travail. Deux ans et économique. » loppement et l’aide humanitaire inter- plus tard, cette dernière a été rebaptisée nationales en date du 19 mars 1976. Alliance Sud. L’ancienne désignation La loi a joui d’un consensus dans toutes officielle « Communauté de travail les sphères politiques. Elle avait été Swissaid – Action de Carême – Pain pour initiée par une motion du conseiller le prochain – Helvetas – Caritas – national Erwin Akeret (PAB, le parti des EPER » est encore utilisée aujourd’hui 1971 : Service d’information paysans, artisans et bourgeois, UDC comme sous-titre dans le logo, dans Tiers-Monde depuis 1971). Le conseiller national un esprit de continuité. Le service « Informationsdienst Walter Renschler (PS), vice-président 3. Welt » (i3w) a vu le jour en 1971 à d’Helvetas pendant de nombreuses Berne, comme service central de années, a joué un rôle clé de médiateur la nouvelle communauté de travail. et de catalyseur dans ce contexte. 4 #81 Automne 2021
RUEDI WIDMER À PROPOS DE NOUS InfoDoc – un chapitre s’achève Bien qu’Alliance Sud ne soit plus en en ligne nous manqueront. Mais ce Le Comité directeur d’Alliance Sud a mesure de financer les activités qui nous peine encore plus, c’est la décidé fin juin de mettre un terme aux d’InfoDoc dans la situation actuelle, perspective de ne plus pouvoir activités d’InfoDoc dès fin septembre elle continue de considérer que nous appuyer sur les compétences et 2021. À l’avenir, Alliance Sud se concen- l’information et la documentation sur l’engagement des collaboratrices trera sur le travail de politique de déve- les questions de développement et collaborateurs d’InfoDoc : Pierre loppement afin d’obtenir un impact durable mondial sont essentielles pour Flatt, Amélie Vallotton, Ermeline encore plus grand pour le Sud en Suisse. une démocratie vivante et une Jaggi, Mireille Clavien, Joëlle Valterio, population bien informée en Suisse. Jérémie Urwyler, Petra Schrackmann Au cours des 50 dernières années, Dans cette optique, le Comité et Alina Burri. Certain·e·s nous ont déjà InfoDoc et les institutions qui l’ont directeur d’Alliance Sud a l’intention quittés, d’autres le feront dans les précédé ont fortement contribué de soutenir un éventuel projet de mois qui viennent. Tous et toutes se à l’information et à la documentation structure indépendante par un finan- sont engagés corps et âme pour sur le Sud, notamment au travers cement de démarrage. InfoDoc. Nous les remercions pour de la production de services de presse, leur précieuse collaboration ! de recherches sur mesure, d’ex Les centres de documentation positions, de conférences et de débats. bernois et lausannois sont fermés InfoDoc a contribué à sensibiliser depuis le 1er septembre, l’offre en ligne l’opinion suisse sur des sujets qui font est désactivée depuis le 1er octobre. rarement la une des journaux. Tant l’offre sur place que les services #81 Automne 2021 5
MISE EN IMAGE Ces photos sont tirées du dossier pédagogique « À Table ! » publié par Alliance Sud en 2010. 16 photographies donnent aux élèves l’occasion de comparer diverses cultures alimentaires. On voit des familles de tous les continents avec leurs produits alimentaires de base et on se demande pourquoi les familles d’Afrique et d’Amérique du Sud sont assises par terre et lèvent les yeux vers le photographe, alors que les autres photos ont été prises à hauteur des yeux. La représentation de personnes défavorisées ou privilégiées dans les médias est en constante évolution (lire l’article en page 14). Dans le Manifeste pour une communication responsable de la coopération internationale, Alliance Sud s’engage à trans- mettre « une image authentique et réelle du Sud » et à « réfléchir de manière critique au contenu de nos activités de communication ». Cette réflexion inclut « un processus d’apprentissage continu ». Concrètement, cela pourrait signifier que toute l’Afrique ne se réduit pas à deux familles assises en plein air dans la poussière, explique notre rédacteur photo Daniel Rihs : « Pour ne pas renforcer les vieux clichés, il faudrait aussi présenter des personnes avec un handicap et des couples de parents de même sexe ou d’origines ethniques différentes. » 6 #81 Automne 2021
RUBRIK Photos : Peter Menzel À table ! Un dossier pédagogique sur le thème de l’alimentation. (Agence Cosmos, Paris) #81 Automne 2021 7
#50ALLIANCESUD Alliance Sud n’a cessé d’évoluer au fil des 50 dernières années – avec compétence, des têtes talentueuses et des campagnes efficaces. Rétrospective photographique émaillée de souvenirs personnels des protagonistes. Daniel Rihs et Marco Fähndrich Une histoire et de nombreux visages Photos : màd Justice 8 #81 Automne 2021
Le 19 août 1971, la Communauté de travail Swissaid / Action de à l’horizon 2015. Munie de 201 679 signatures, la pétition a Carême / Pain pour le prochain / Helvetas (devenue Alliance conduit à une hausse de l’aide publique au développement de Sud en 2005) a vu le jour sous forme de société simple, basée la Suisse de 0,39 % du RNB en 2010 à 0,48 % en 2020. à Berne. Elle est née de la nécessité de mener un engagement D’après l’historienne Sibylla Pigni (« Eine Stimme für die non seulement via des projets à l’étranger et au niveau micro, Entwicklungspolitik », édition Huber 2010), la Commu- mais aussi à une échelle élargie, par l’information et la dé- nauté de travail est parvenue à entretenir le débat dans les fense des intérêts impliqués en Suisse. milieux politiques et la société sur les implications de la po- Alliance Sud a régulièrement bousculé le monde politique, litique de développement dans les domaines les plus divers par exemple en 2007 avec sa campagne « 0,7 % – Ensemble con- de la vie et à faire ainsi continuellement avancer la sensibili- tre la pauvreté ». Coordonnée par Alliance Sud, une coalition sation. Impossible aujourd’hui d’imaginer le paysage politi- de plus de 70 organisations a demandé dans une pétition que que helvétique sans Alliance Sud : elle veille à ce que la coopé- le Conseil fédéral et le Parlement s’engagent plus résolument ration internationale de notre pays puisse déployer plus en faveur des objectifs du Millénaire pour le développement de d’efficacité encore, notamment via une politique plus cohé l’ONU et, en particulier, pour une augmentation du budget de rente en matière de développement durable dans tous les l’aide au développement à 0,7 % du revenu national brut (RNB) domaines concernés. « La campagne ‹ 0,7% – ensemble contre la pauvreté › a été une magnifique mobilisation de la société civile. Un mouvement sans précédent en résonnance avec la solidarité de la population suisse en faveur des plus pauvres de la planète. Une énergie qui a fait bouger les lignes politiques au parlement en matière de coopération au développement. » Carlo Sommaruga, Conseiller aux Etats (PS / GE) et Président de Solidar Suisse. #81 Automne 2021 9
Photo : KEYSTONE/Lukas Lehmann Solidarité « La réalité de l’époque est toujours d’actualité, même si elle est bien diffé- rente – c’est ce qu’évoque pour moi la couverture de la publication d’i3m. Et pourtant le titre renvoie à des temps depuis longtemps révolus. Des informations en noir et blanc seule- ment, sans images ni émotion : même alors, elles ont ému les gens et suscité des levées de boucliers. Mais en aucun cas comme de nos jours. Aujourd’hui, elles mobilisent, suscitent des réactions, se diffusent via de nombreux canaux, produisent un effet. Pas à la satisfaction de tous, ce qui peut aussi être considéré comme un compliment. » Markus Mugglin : ancien collaborateur d’i3w et ancien responsable de l’émission « Echo der Zeit » à Radio DRS. 10 #81 Automne 2021
« Pas d’avenir sans solidarité : Photos : màd tel était l’idée phare de la conférence Nord/Sud sur le développement durable organisée par Alliance Sud en 1998. Cet événement majeur a marqué une étape importante pour les organi- sations de développement comme acteurs politiques. Alliance Sud est parvenue à mobiliser des acteurs de la société civile, de l’économie, de l’État et du monde entier. Lors de la Journée de la jeunesse, celle-ci a exprimé ses at- tentes envers la politique future. Et le lieu était symbolique : le Palais fédéral. Vandana Shiva, lauréate indienne du prix Nobel alternatif, Julius Nyerere (dans la photo à gauche), ex-président de la Tanzanie, et José Ramos-Horta, combattant de la liberté et futur président du Timor oriental, ont par exemple pris la parole dans la salle du Conseil national. » Richard Gerster, premier coordinateur de la politique de développement et ancien directeur d’Alliance Sud. « En 1971, j’étais directeur d’Helvetas et j’ai demandé au comité central une adhésion à la Communauté de travail. La décision n’a pas été facile à prendre : Helvetas avait en effet elle-même pour mandat, selon ses statuts, de sen- sibiliser la population suisse aux questions de politique de développe- ment. Helvetas a toutefois rapide- ment rejoint la Communauté des œuvres d’entraide et a pu concentrer ses relations publiques en Suisse sur l’information et la communication sur ses activités de projet. » Peter Arbenz, ancien président de la Communauté de travail et président d’honneur d’Helvetas. #81 Automne 2021 11
Responsabilité globale Photos : màd « En 1998, une alliance d’organisations de protection de l’environnement et de développement, de syndicats, de partis politiques et d’institutions ecclésiastiques a fondé l’association ‹ Agenda 21 local ›. Son objectif était de faire en sorte que chaque autorité locale ait élaboré un tel agenda pour sa commune au plus tard dans les cinq ans suivant le Sommet de la Terre de Rio (1992). En Suisse, même 5 ans après Rio, aucun progrès n’avait été accompli. » Rosmarie Bär, ancienne spécialiste du climat à Alliance Sud et ancienne conseillère nationale (Vert-e-s / BE). « Ce qui nous manquait jusqu’ici, c’était notre propre magazine : une publication informant les per- sonnes intéressées sur ce que nous faisons et pensons. Nombre de nos multiples activités se déroulaient loin des regards publics. Le service d’information ‹ actuel ›, que nous avons interrompu à la fin 2000, contenait de nombreuses informa- tions utiles sur les manifestations, voyages et autres, mais peu de choses sur notre travail de fond. » Pepo Hofstetter, ancien responsable médias d’Alliance Sud, lors du premier lancement de « global » en 2001. 12 #81 Automne 2021
« La photo me montre au Forum écono- mique mondial (WEF) 2012, à Davos, lors du rassemblement clôturant la cam- pagne ‹ Multinationales en laisse ›. Une large coalition avait lancé cette péti- tion à l’époque. Nous avons donc pro- mené des ‹ multinationales en muselière et en laisse › à travers Davos pendant le forum, parcouru le village et distribué des tracts explicatifs. La pétition adres- sée au Conseil national et au Conseil des États anticipait l’idée phare de la future initiative pour des multinationales res- ponsables et a été déposée en juin 2012, après 6 mois de collecte, munie de 135 285 signatures. » Peter Niggli, ancien directeur d’Alliance Sud. « En 1989, ‹ le désendettement, une question de survie › était le slogan d’une vaste campagne menée par les quatre membres de l’actuelle Alliance Sud, ainsi que par Caritas, l’EPER et une vingtaine d’autres organisations de développement. Et le succès a été au rendez-vous. Le Parle- ment n’a pas pu ignorer les 250 000 signatures collectées pour une pétition demandant la remise des dettes publiques et commerciales de pays en développement fortement endettés envers la Suisse. En mai 1991, à l’occa- sion du 700e anniversaire de la Confédération, il a approuvé l’octroi de 500 millions de francs pour le pro- gramme de désendettement mis en œuvre main dans la main avec Alliance Sud. » Kathrin Spichiger, membre de la direction d’Alliance Sud. #81 Automne 2021
DÉCOLONISATION DE L’AIDE Notre monde marche sur la tête et exige une remise en question radicale. Les organisations de développement ont relevé ce défi : non seulement dans leurs programmes, mais aussi dans leur communication institutionnelle. Jörg Arnold Changeons la communication « Nous devons apprendre à communi- quer sur la coopération internationale d’aujourd’hui, qui est différente de celle qui était pratiquée il y a 30 ans. Le monde a changé et avec lui notre façon de communiquer. Aujourd’hui, nous disposons au niveau international d’un langage commun, celui de l’Agenda 2030 », constatait Patricia Danzi, direc- trice de la DDC, à l’occasion du soixan- tième anniversaire de l’organisation. Ces dernières années, les photos ano- nymes d’enfants émaciés ont large- ment disparu des mailings et des sites web des organisations d’entraide. Mais cette réalité a-t-elle également changé la façon dont les organisations occiden- tales de développement parlent du Sud? En Suisse, plus d’une centaine d’or- ganisations donatrices reconnues par la ZEWO s’engagent à rendre le monde meilleur pour tout un chacun. Des dou- zaines d’autres associations non certi- fiées viennent s’y ajouter. Elles sou- haitent toutes soulager la détresse et créer un socle durable pour vaincre la pauvreté, la faim et l’injustice. Elles ont appris à communiquer sur le contenu de leurs activités et à le faire connaître au cercle de leurs donatrices et dona- teurs. Elles tentent de faire mieux com- prendre la situation dans laquelle vivent les personnes en détresse, de renforcer l’engagement en faveur d’une aide concrète et de mettre ainsi leurs propres activités en exergue. Grâce à leur communication, elles influencent considérablement l’opi- nion du public sur les sociétés des pays L’auteur-compositeur-interprète britannique Ed Sheeran au Liberia (photo du haut), du Sud. Leurs campagnes de collecte de l’ex-first lady des États-Unis Melania Trump au Kenya : des célébrités se mettent fonds à forte pénétration véhiculent régulièrement au service de bonnes causes (et photos), en Suisse également. des émotions qui convainquent les do- Une telle pratique renforce une compréhension paternaliste du développement. nateurs de mettre la main à la poche. Photos : Comic Relief et Saul Loeb/AFP 14 #81 Automne 2021
Que ce soit sous forme de rapports régu- déchaînement de critiques virulentes, Figer des continents entiers et leurs ha- liers adressés sélectivement ou de cam- l’organisation britannique Comic Relief bitants dans des images de pauvreté et pagnes de marketing direct sophisti- a mis fin à sa fructueuse campagne de de dépendance est discriminatoire. En- quées : elles façonnent la perception de collecte de fonds avec des célébrités en fermer du même coup des personnes l’injustice, de la pauvreté, de la détresse « visite de projets en Afrique » incitant dans le rôle de bénéficiaires d’aide re- et de la violence sur le continent afri- à donner de l’argent. Les auteures et au- connaissants est dégradant. Il est grand cain, en Amérique latine et en Asie avec teurs de peacedirect s’expriment sans temps que les organisations de dévelop- des images appelant à agir d’urgence. ambages dans une étude de mai 2021 in- pement se débarrassent d’une approche Le travail de communication des or- titulée Time to Decolonise Aid. Ils affir- de collecte de fonds qui a été soigneuse- ganisations de développement est exi- ment que de nombreuses pratiques et ment cultivée pendant de nombreuses geant. Elles doivent sans cesse légiti- attitudes actuelles dans le système d’aide années, non sans succès. Que la commu- mer leurs propres activités auprès des reflètent l’ère coloniale et en découlent, nication prenne de plus en plus d’impor- milieux politiques et de l’opinion pu- ce que la plupart des organisations et des tance dans notre société mondialisée blique, collecter des dons dans le cadre donateurs du Nord rechignent encore à oblige également les organisations de de ce processus et, composante clé de reconnaître. Selon eux toujours, cer- développement à réfléchir davantage leur mission de société civile, effectuer taines pratiques et normes modernes aux effets de leur propre communication également un travail de sensibilisation. renforcent la dynamique et les croyances et à ce qu’elle peut apporter à l’émer- Afin de répondre à toutes ces exigences, coloniales comme l’idéologie du « sau- gence d’une justice mondiale. les organisations ont donc beaucoup veur blanc » qui transparaît dans le sym- Crise climatique, migration, aide hu- investi dans leurs concepts de commu- bolisme des dons et de la communica- manitaire : la communication des orga- nication ces dernières années. Mais tion utilisé par les ONG internationales. nisations de développement dans la so- elles sont particulièrement mises au ciété de l’information du XXIe siècle ne défi dans leurs récits sur les pays du Une communication responsable se limite pas à la communication insti- Sud. C’est là qu’elles doivent passer Une communication stéréotypée, cal- tutionnelle et à la collecte de fonds. Par l’épreuve décisive de leur crédibilité. quée sur des modèles coloniaux : l’accu- leurs récits, elles façonnent activement Les critiques auxquelles les organisa- sation contre la pratique des organisa- le changement social et des modes de tions de développement occidentales tions de développement est sérieuse. pensée prégnants. Les organisations de sont confrontées sont multiples. On Elle remet non seulement en question développement doivent veiller à ce que pense, par exemple, aux militantes et mi- de manière critique la position éthique leur communication corresponde aux ugandais de nowhitesaviors.com : litants o fondamentale des organisations, mais réalités vécues et aux visions de la vie et ils ont investi les médias pour dénoncer révèle encore une contradiction avec aux objectifs des personnes représen- ce qu’ils considèrent comme une repré- l’objectif de la société civile consistant tées. Pour maîtriser la complexité des sentation discriminatoire des per- à vouloir gommer les relations de pou- problèmes – des personnes représen- sonnes du continent africain dans la voir inégales. tées aux destinataires de la communica- communication des ONG. Suite à un Avec le Manifeste pour une communi- tion –, les acteurs locaux, avec leurs dif- cation responsable de la coopération inter- férentes perspectives, leur expertise et nationale adopté à Berne le 10 septembre leurs droits, doivent être intégrés dans 2020, les organisations membres et par- ces processus. Le temps où les organisa- tenaires d’Alliance Sud ont émis un si- tions de développement pouvaient se gnal très clair à cet égard. Les auteurs permettre de communiquer en faisant Fairpicture notent de manière autocritique dans l’in- abstraction des personnes au centre de Fairpicture est une plateforme de photo- troduction du manifeste : « Les popula- leur engagement dans la société civile graphie de commande collaborant tions du Sud sont souvent présentées est révolu. exclusivement avec des professionnels de comme des objets et des bénéficiaires de l’image locaux. Cette plateforme montre l’aide, tandis que les organisations de dé- des photos qui parlent une langue locale veloppement et leur personnel sont dé- et qui sont moins déformées par les crits comme des experts et des sujets ac- stéréotypes que celles des photographes tifs (...). Des stéréotypes sont souvent Jörg Arnold est sociologue. occidentaux. Et parce que ces profes reproduits dans ce contexte. Les images Il a été responsable du sionnels ont un accès plus direct aux per- paternalistes du développement laissent marketing et de la collecte sonnes qu’ils photographient, leurs entendre que les pays développés de fonds chez Caritas images respectent mieux la dignité et les montrent aux pays sous-développés com- Suisse de 2002 à 2018. Il est droits des personnes mises en image. ment faire correctement les choses. » cofondateur de Fairpicture (fairpicture.org). #81 Automne 2021 15
#50ALLIANCESUD Pour 34 ans le visage d’Alliance Sud dans la Suisse italienne, Lavinia Sommaruga partira à la retraite au printemps 2022. Elle a consacré son parcours et son engagement professionnel à la lutte pour un monde plus responsable et solidaire. Valeria Camia « Mon parcours au quotidien pour l’équité dans la dignité » La forza delle parole (« Le pouvoir des mots ») : Lavinia Sommaruga a beaucoup fait bouger les choses en Suisse de langue italienne. Photo : màd 16 #81 Automne 2021
global : Plus de 150 jeunes sont passés par votre bureau avons perdue malheureusement en 1989 pour seulement six ces dernières decénnies. Je voudrais partir d’ici, de voix aux Chambres. Je rappelle que début mai le soutien à la l’importance et la confiance que vous mettez dans l’engage- production indigène de sucre de betterave a été l’un des ment des nouvelles générations pour la promotion thèmes principaux discutés pendant la session spéciale du des droits humains et de la dignité. Ce sont des valeurs Conseil national. La deuxième campagne concerne la rela- qui ont marqué aussi votre jeunesse, n’est-ce pas ? tion entre la Suisse et l’ONU. J’ai apprécié l’engagement des Lavinia Sommaruga : J’ai grandi dans une famille de culture organisations de coopération au développement en faveur de humaniste et engagée au quotidien. Les rencontres avec des l’adhésion de notre pays à l’Organisation des Nations Unies. femmes du Nord et du Sud et les livres d’écrivains de cultures C’était en 2002. Aujourd’hui, la relation avec l’ONU est de différentes m’ont fait beaucoup réfléchir. À Haïti, du temps nouveau au centre du débat médiatique vu que la Suisse est de Baby Doc (1986), j’ai assisté à la « vente des esclaves ». Un candidate au siège de membre non permanent du Conseil de soir, une vingtaine de jeunes affamés se sont fait tuer sous sécurité. Sans notre soutien, elle ne pourrait peut-être pas mes yeux parce qu’ils manifestaient pour réclamer une bou- être dans cette position. Je rappelle aussi l’Initiative pour des chée de pain et de meilleures conditions de multinationales responsables lancée en 2015. Elle fut un suc- vie. C’est là que j’ai compris que j’allais passer cès dû non seulement à la mobilisation des organisations de ma vie à m’engager pour le changement des coopération internationale, mais aussi à l’engagement des structures économiques, politiques et so- groupes de protection de l’environnement et des droits hu- ciales en faveur des plus pauvres. mains, des Églises, des associations de femmes, d’associa- tions d’actionnariat social, des jeunes et des citoyens/ennes. Et Alliance Sud vous a donné la possibilité de poursuivre cette mission, presque un De tout cela se dégage clairement votre engagement et projet « de vie »… celui d’Alliance Sud pour un monde plus responsable : Chez Alliance Sud, j’ai trouvé des collègues quelle place a le travail de lobbying ? dont le travail n’a jamais été idéologique, Une place centrale, car notre devoir est précisément d’influen- mais motivé par l’honnêteté intellectuelle à cer la politique et de la rendre plus favorable aux populations agir contre les inégalités et pour les droits pauvres et désavantagées du Sud, en promouvant plus de cohé- humains. Au cours des ans nous nous rence en Suisse. C’est un pays qui a non seulement le pouvoir, sommes engagés ensemble contre la pau- mais aussi le devoir moral de formuler des politiques équi- vreté (cf. la pétition « 0,7 % – ensemble contre tables et solidaires avec les pays pauvres du Sud, préservant la pauvreté » en 2007) et en faveur des prin- ainsi la dignité humaine, la communauté et l’environnement. cipes de la coopération au développement – la Je rappelle par exemple qu’à l’occasion du 700e anniver- participation, le partenariat, la durabilité, saire de la Confédération (1989), mon engagement dans la l’autonomisation, l’égalité homme – femme, politique de désendettement (lorsque les ONG suisses ont le Do No Harm (ne pas nuire à l’autre). On a pu lancé la pétition « Désendettement : une question de survie ») atteindre des résultats grâce à l’engagement a été soutenu par Flavio Cotti, qui était à l’époque Conseiller et à la responsabilité de beaucoup de gens, fédéral. La pétition a eu du succès et a été acceptée aussi par personnalités politiques, économiques et le Parlement. 500 millions ont alors été utilisés dans le cadre membres de la société civile qui ont cru en les du désendettement. Pour la première fois, en Suisse, le gou- valeurs d’accueil, de solidarité et d’amitié. vernement avait travaillé main dans la main avec les ONG Elles se sont appropriées les réflexions et les pour mettre en oeuvre un programme de désendettement. Le motivations qui nous animent, en tant qu’or- thème est toujours de grande actualité : les pays du Sud sont ganisations de coopération au développe- encore freinés dans certaines politiques de développement ment, pour le soutien des plus vulnérables et par les dettes cumulées, et la crise environnementale grèvera un véritable changement. encore davantage les budgets. Vous avez fait référence aux campagnes Je sais que vous aimez coudre. Pouvons-nous utiliser d’Alliance Sud : voulez-vous nous une métaphore et affirmer que vous êtes satisfaite du en rappeler quelques-unes qui vous ont travail en réseau tissé en Suisse italienne ? particulièrement marquée ? (Sourire) Oui, c’est vraiment un beau tissu ! Dans mon travail Les deux premières concernent des thèmes qui sont redeve- j’ai pu rencontrer plusieurs associations et des volontaires nus d’une grande actualité aujourd’hui. La première, dans qui ont accueilli les campagnes de nos organisations de coo- l’ordre chronologique, visait à augmenter l’importation de pération au développement, promouvant sur leur lieu de tra- sucre en provenance des pays en développement, que nous vail, dans leurs communautés d’appartenance, les écoles ou #81 Automne 2021 17
Study Program NADEL Development and Cooperation Spring Semester 2022 Fragile Contexts – the Nexus between Humanitarian Aid, Peace 28.02.–04.03. and Development Planning and Monitoring of Projects 07.03.–11.03. Towards Food and Nutrition Security 14.03.–18.03. Evaluation of Projects and Programs 21.03.–25.03. Mediation Process Design: Supporting Dialog and Negotiation 28.03.–01.04. ICT4D – Concepts, Strategies and Good Practices 04.04.–08.04. Contemporary Development Debate – Fighting Extreme Poverty 11.04.–13.04. in the 21st Century M4P – Making Markets Work for the Poor 02.05.–06.05. Finanzmanagement von Projekten 09.05.–12.05. Disaster Risk Reduction 16.05.–18.05. Leveraging Private Impact Investors in Development Cooperation 23.05.–24.05. Advanced Monitoring and Evaluation in Learning Organizations 30.05.–01.06. Gender and Economics 13.06.–17.06. The Changing Landscape of Development Cooperation 20.06.–21.06. Strategies for Behavior Change 22.06.–24.06. Information about admission and registration: nadel.ethz.ch
Photos : ©Ti-Press/Gabriele Putzu 2002, ©Ti-Press/Francesca Agosta und « SWISSAID/Bertrand Cottet/Strates » Que ce soit avec des politiciens/politiciennes connus/connues au Tessin ou avec la population à l’étranger : Lavinia Sommaruga met toujours l’accent sur les personnes. les rues, par exemple, la souveraineté alimentaire, le droit à mobiliser et à agir pour soutenir, par exemple, un système l’eau potable, le commerce équitable et la promotion de la commercial qui donne la priorité aux droits humains et à paix. Depuis toujours, Alliance Sud suit d’un œil critique la l’environnement. politique internationale de coopération au développement En plus du dialogue avec le gouvernement, le monde éco- dominée par les pays industrialisés. Je voudrais rappeler nomique et la société, il faut instaurer des liens avec chaque qu’avec toutes les associations liées à la pétition « 0,7 % – en- individu. Nous devons essayer de trouver ensemble des solu- semble contre la pauvreté » nous avons recueilli des signa- tions au phénomène complexe de la mondialisation écono- tures, organisé des conférences de presse, des soirées pu- mique et politique, afin qu’elle ne continue pas à générer des bliques et un cycle de conférences auprès de l’Université de conséquences d’exclusion et de marginalisation, mais favo- la Suisse italienne pour sensibiliser la population. Nous pou- rise au contraire la solidarité, la justice sociale et la respon- vons reconnaître après un parcours difficile que le pourcen- sabilité sur la base de l’Agenda 2030 pour le développement tage actuel d’environ 0,5 % du revenu national brut (RNB) durable. Je continuerai donc, même au niveau personnel, à dévolu à l’aide publique au développement, tel que voté par allier débat politique, responsabilité et participation. les Chambres fédérales, est le fruit de la campagne lancée par Alliance Sud. L’objectif pour lequel nous continuons à nous engager est que la Suisse atteigne le 0,7 % du RNB tel que fixé au niveau international. Pour vous, cette année du cinquantenaire d’Alliance Sud coïncide aussi avec plus de trente ans d’activité : Lavinia Sommaruga comment jugez-vous les résultats obtenus et que faut-il coordonne le travail d’Alliance Sud en Suisse attendre de l’avenir ? italienne. Elle est auteure de livres, ancien membre L’augmentation des inégalités sociales, des discrimina- du conseil de Fondation Max Havelaar ; tions envers les femmes (la pauvreté est surtout féminine) engagements pour Caritas Italie dans un projet et des atteintes à l’environnement est sous les yeux de tout pour femmes à Turin et pour paysans/paysannes à Haïti ; le monde. Tout cela doit nous pousser à continuer à nous ancienne enseignante de math en Suisse romande et au Tessin. #81 Automne 2021 19
RUBRIK Rebelle et visionnaire : Jean Ziegler n’abandonne pas le combat pour un monde plus juste. Photo : Sébastien Agnetti/13 Photo 20 #81 Automne 2021
POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT Auteur du livre « Le capitalisme expliqué à ma petite-fille – en espérant qu’elle en verra la fin », Jean Ziegler appelle les ONG et les mouvements sociaux à élaborer un nouvel ordre social mondial basé sur les droits, la solidarité, la réciprocité et la complémentarité avec les plus pauvres. Isolda Agazzi « La société civile est le nouveau sujet de l’histoire » À l’occasion des cinquante ans d’Alliance tale d’un émirat obscur, pour se réunir. pillage des impôts et l’impunité, le fait Sud, nous avons demandé au célèbre so- Seattle a marqué la rupture et depuis que la Suisse accueille des mafieux, des ciologue genevois, ancien rapporteur lors, la société civile a pris un élan formi- dictateurs et les élites corrompues des spécial de l’ONU sur le droit à l’alimen- dable. En Suisse, il y a eu l’Initiative pour pays en développement. tation, ce qu’il pensait du travail effectué des multinationales responsables, qui par les ONG depuis un demi-siècle et où aurait été tout simplement impensable Pensez-vous que notre travail est il voyait la nécessité d’agir à l’avenir. Se- il y a vingt ans. Les mouvements sociaux toujours nécessaire et si oui, lon lui, ce que la société civile a accompli et les ONG, dont Alliance Sud, ont joué sur quels thèmes devrions-nous est immense – l’Initiative pour des multi- un rôle déterminant dans la lutte contre nous concentrer ? nationales responsables aurait été im- les oligarchies qui dominent le pays. On n’est qu’au début, votre lutte est pensable en Suisse il y a vingt ans – mais Elles ont incarné une expression oppo- plus nécessaire que jamais ! il faut ce n’est que le début. sitionnelle radicale qui a trouvé l’adhé- abattre le système capitaliste et sa vi- sion de la majorité du peuple suisse. sion de l’homme, selon laquelle l’être global : Cette année Alliance Sud humain n’est efficace qu’en fonction de fête ses 50 ans. Qu’est-ce qui a Mais maintenant la Suisse veut son intérêt privé. Pour le néolibéralisme, changé depuis les années 1970 ? museler les ONG… l’égoïsme est le moteur de l’histoire. Jean Ziegler : La société civile est deve- Ce sont l’oligarchie du capital financier Pour les anticapitalistes des mouve- nue le nouveau sujet historique. Elle globalisé et son laquaits Ignazio Cassis ments sociaux, l’homme est habité par le est désormais capable de mobiliser la qui veulent faire taire les ONG ! Pour- désir de solidarité, de réciprocité et de conscience collective et de combattre tant, c’est tout à fait logique qu’elles complémentarité avec les plus pauvres. efficacement les oligarchies finan- touchent de l’argent de la coopération Ce sont deux visions de l’homme com- cières qui dominent la planète. Lors de au développement : si on est engagé dans plètement différentes, dont la première la conférence ministérielle de l’Organi- la lutte contre l’inégalité, la faim, l’ab- aboutit à la maximisation du profit et à sation mondiale du commerce (OMC) à sence de droits dans le monde, on doit l’inégalité − toutes les cinq secondes, un Seattle en 1999, pour la première fois la pouvoir mener aussi une action poli- enfant de moins de 10 ans meurt de faim. rue, avec une conscience radicalement tique locale dans le pays d’origine. C’est Le capitaliste dit : « on ne peut rien faire ». alternative, a fait capoter la réunion la tâche des ONG de se battre contre le Nous, on veut un ordre du monde qui d’un pouvoir mondial. Ce monde autre, n’est plus basé sur le marché, mais sur les de la justice, des droits de l’homme, droits : le droit à l’alimentation, à un sys- s’est dressé contre celui de la maxima- tème normatif que la puissance pu- lisation du profit, et il est devenu vi- blique assure par le biais de la société sible. C’était un moment historique, civile et qui permet une vie digne, satis- mystérieux. À partir du Forum social faisante et à l’abri du désespoir. Selon le mondial de Porto Alegre, en 2001 – qui au Jean Ziegler, Word Food Report de la FAO, l’agricul- début avait toujours lieu à la même date sociologue et auteur suisse, était le ture mondiale pourrait nourrir sans que le Forum de Davos – la société civile rapporteur spécial pour le droit problème douze milliards d’êtres hu- s’est structurée. Depuis Seattle elle ne à l’alimentation du Conseil des droits de mains, c’est-à-dire pratiquement le s’est plus jamais tue, au point que l’OMC l’homme de l’Organisation des Nations double de l’humanité. Il n’y a donc au- n’a pas pu siéger dans des villes occiden- unies de 2000 à 2008. Il a aussi siegé au cune fatalité au massacre de la faim. Un tales et, en 2001, a dû aller à Doha, capi- Conseil national (PS/GE). enfant qui meurt de faim est assassiné. #81 Automne 2021 21
Dans l’un de vos derniers livres, « Le de la première république française Vraiment ? Les magasins sont vides capitalisme expliqué à ma petite-fille » (qui a été adoptée quatre ans plus tard, et les queues pour s’approvisionner (Seuil 2021), vous souhaitez qu’elle en a instauré la souveraineté populaire, interminables… voie la fin, mais vous ne proposez pas les droits de l’homme et liquidé la mo- Il y a la livreta [chèques alimentaires]. Au de véritable alternative. N’est-ce pas narchie absolue), cela aurait été une Brésil et au Congo, les gens meurent de un peu facile vu que c’est le seul question absurde. Le citoyen qui a pris faim, pas à Cuba. système économique qui reste ? la Bastille n’avait aucune idée de ce que Vous êtes injuste ! Le mystère de la li- le mouvement social allait produire. Le seul problème de Cuba est donc le berté déployée dans l’homme va abattre Pourtant aujourd’hui, 250 ans après, blocus américain selon vous, le capitalisme. C’est la lutte des hommes les ¾ des États vivent sous une consti- le système économique et politique et des femmes désaliénés, porteurs de tution républicaine qui affirme le res- n’y est pour rien ? cette conscience nouvelle de la récipro- pect des droits de l’homme. Personne Il y a toujours des problèmes, l’un des cité entre tous les peuples, qui va briser ne peut anticiper le monde nouveau principaux étant d’éviter l’inégalité, la l’un après l’autre les mécanismes d’op- qui naîtra des espérances que nous renaissance d’une société de classes, pression. Quand la conscience sera enfin portons en nous. tout en laissant fleurir l’initiative indivi- libérée de l’aliénation capitaliste, de duelle. Les Cubains cherchent cet équi- cette violence structurelle, alors com- Vous êtes un grand ami de Cuba, l’un libre en permanence, en limitant la pro- mencera la mise en place, l’invention des derniers États socialistes au priété privée du sol ou des immeubles. dans la liberté des institutions et de monde. Comment jugez-vous la C’est une tâche essentielle de la révolu- l’ordre nouveau, qui sera basé sur le res- situation sur place et la répression des tion et en permettant le développement pect de tous les droits économiques, so- manifestants par le régime ? du secteur privé, cela devient très diffi- ciaux et culturels. Deux milliards d’êtres En Birmanie, il y a répression, mais à cile, donc c’est tout à fait possible qu’il humains n’ont pas accès à l’eau potable, Cuba, il y a eu des arrestations tempo- y ait des erreurs dans l’allocation des 62 États membres de l’ONU pratiquent raires, le rétablissement de l’ordre social ressources. Mais Cuba est un exemple la torture, l’exploitation de l’homme dans la rue, mais pas de répression lumineux pour le monde entier, à com- par l’homme ravage la planète. Nous meurtrière comme dans les pays satel- mencer par les pays en développement. savons que nous ne voulons pas de cet lites de l’oligarchie capitaliste. Le fléau Souvenez-vous de ce que disait Marx : ordre cannibale du monde et luttons de Cuba, c’est le blocus américain. Même « de chacun selon ses capacités, pour pour le détruire. Ce qui naîtra dans les un pays comme la Suisse n’aurait pas sur- chacun selon ses besoins ». Le commu- ruines, nous ne le savons pas. Je vous vécu à 62 ans de blocus économique to- nisme est l’horizon de notre histoire. donne un exemple : le 14 juillet 1789, les tal. Mais grâce à la volonté de sacrifice Cuba est en route vers cela. Cuba mérite ouvriers et les artisans du faubourg in- des Cubains, ils ont créé un système de notre totale solidarité. dustriel de Paris marchent sur la Bas- santé dont j’ai moi-même bénéficié tille pour libérer leurs copains. La Bas- puisqu’ils m’ont fait deux transfusions tille tombe. Si le soir du 14 juillet, une sanguines, ils m’ont sauvé. Depuis lors journaliste avait demandé à l’un des j’ai du sang cubain ! Et les Cubains ont insurgés quelle serait la constitution vaincu la faim. Annonce Interested in career development and sector trends? Virtual Forum cinfo, the Swiss Event on Work and Careers in International Cooperation 11–12 November 2021 3420 Zeichen Übersatz www.cinfo.ch/forum21 22 #81 Automne 2021
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