UNIVERSITÉ D'AMSTERDAM - Soumission versus Suicide

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UNIVERSITÉ D'AMSTERDAM - Soumission versus Suicide
UNIVERSITÉ D’AMSTERDAM

                  Soumission versus Suicide
Une analyse et comparaison des livres Le Suicide Français par Éric Zemmour et Soumission par Michel
                                             Houellebecq

                                                                           Nom: Rosanne Hoenderdos

                                                                           Nº 6140076

                                                                           Date: 12 août 2019

                                                                           Prof. : S.M.E. van Wesemael
La France, ce n’est pas la soumission,

     ce n’est pas Michel Houellebecq.

  Ce n’est pas l’intolérance, la haine.

                 Manuel Valls, 2015
Table des matières

Introduction ........................................................................................................................................................................... 5
Les « Nouveaux Réactionnaires » .................................................................................................................................. 7
1. 1.        La naissance des « nouveaux réactionnaires » .......................................................................................... 7
1. 2.        La diversité des « nouveaux réactionnaires » ............................................................................................ 9
1. 3.        Les thèmes communs des « nouveaux réactionnaires »..................................................................... 11
    1. 3. 1.          Les procès selon Lindenberg ................................................................................................................ 12
1. 4.        Le succès des « nouveaux réactionnaires ».............................................................................................. 14
Le ménage traditionnel ................................................................................................................................................... 15
2. 1.        Le féminisme ........................................................................................................................................................ 15
2. 2.        Individualisme ..................................................................................................................................................... 21
2. 3.        La solitude de François..................................................................................................................................... 23
2. 4.        Résumé.................................................................................................................................................................... 27
La décadence ....................................................................................................................................................................... 29
3. 1.        La consommation ............................................................................................................................................... 29
3. 2.        Le sexe ..................................................................................................................................................................... 32
3. 3.        Les solutions possibles ..................................................................................................................................... 34
3. 4.        Résumé.................................................................................................................................................................... 39
L’islam .................................................................................................................................................................................... 41
4. 1         La déchéance de l’identité française ........................................................................................................... 41
4. 2         L’indifférence des intellectuels et la soumission ................................................................................... 50
4. 3         Le retour de la religion ..................................................................................................................................... 53
4. 4         Resumé.................................................................................................................................................................... 57
Conclusion ............................................................................................................................................................................ 59
Bibliographie....................................................................................................................................................................... 61
Introduction

Le roman Soumission de Michel Houellebecq était déjà un sujet de conversation avant sa publication.
Il est devenu célèbre dans le monde entier le 7 janvier 2015. Ce jour, deux hommes attaquaient la
rédaction de Charlie Hebdo et tuaient huit rédacteurs. C’était également le jour de la publication de
Soumission. C’est pourquoi, sur la couverture du dernier numéro publié la veille avant les attaques il
y a un dessin humoristique de Houellebecq, représenté comme un mage qui annonce sa conversion
à l’islam.

Dans Soumission, Houellebecq dépeint la France en 2022, lorsque la Fraternité Musulmane, dirigé
par Mohammed Ben Abbes, vient de gagner les élections. Grâce au narrateur et protagoniste,
François, le lecteur apprend quels évènements ont mené à ce résultat et quelles en sont les
conséquences. Le livre a fait couler beaucoup d'encre. La citation ci-dessous montre que le livre est
parfois fortement critiqué :

        Soumission est un roman, un simple roman, mais c'est un roman qui salit celui qui le lit. Ce n'est
        pas un tract mais un graffiti : Merde à celui qui le lira.

        Christine Angot, Le Monde des Livres, 14 janvier 2015

La citation mise en exergue de Manuel Valls date du lendemain des attaques à la rédaction de
Charlie Hebdo. Elle montre que Houellebecq est souvent considéré comme un écrivain intolérant et
blessant. Son roman Soumission serait un livre réactionnaire, antiféministe et raciste. Cependant, le
lecteur qui essaye de lire entre les lignes et derrière le texte découvrira un message tout différent.
Comme la citation suivante l’explique :

     (…)     Si nous passons autant de temps a démonter une par une les accusations bien-
             pensantes portées contre Houellebecq, c’est parce que cela a son importance : il est de
             notre avis que, fondamentalement, de telles accusations ne sont possibles qu’en
             prenant des citations hors de leur contexte, mais que ces accusations tombent à plat
             dès lors qu’on les replace comme il se doit dans l’économie générale du livre. ce n’est
             pas par exemple que les propos racistes ou les descriptions pornographiques

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détaillées soient importants en soi, mais ces descriptions sont là pour autre chose. Ce
           ne sont en somme que des alibis : l’essentiel est ailleurs1.

           Spieser-Landes, 2017 : 48

Une courte recherche sur Internet à propos de Soumission montre que Houellebecq est souvent
comparé à un autre écrivain: Éric Zemmour2. Personnage public en France, Zemmour relève des
« nouveaux réactionnaires ». La signification de ce terme est discutée dans le premier chapitre. Dans
son livre Le Suicide Français, Zemmour décrit systématiquement et chronologiquement, comment la
France s’est suicidée. Les deux livres de ces auteurs ont été publiés l'un après l'autre,
respectivement en janvier 2015 et octobre 2014, et ont tous deux suscité beaucoup d'agitation en
France.

La question qui se pose est la suivante: est-il justifié que les deux livres soient mentionnés dans le
même souffle? Transmettent-ils le même message ou sont-ils fondamentalement différents? Dans ce
mémoire, je répondrai à cette question en faisant une analyse contrastive basée sur les différents
thèmes des deux livres, à savoir « le ménage traditionnel », « la décadence » et « l’islam ». Par
conséquent, il est important de garder à l’esprit que les livres appartiennent à des genres différents.
Zemmour a écrit un pamphlet politique et Houellebecq un roman de fiction. De ce fait, je ne
discuterai pas l’opinion personnelle de Houellebecq, dans ce mémoire. Je me concentre uniquement
sur les idées que le lecteur peut déduire de Soumission. De plus, j’analyserai la littérature secondaire
consacrée au roman.

1Selon Spieser-Landes l’essentiel dans l’œuvre de Houellebecq est dans le vide, voir (2017, 48).
2Voir : https://sos-racisme.org/soumission-de-michel-houellebecq/
https://www.huffingtonpost.fr/bruno-coppens/zemmour-houellebecq-islam_b_6427792.html
https://www.agoravox.tv/actualites/societe/article/houellebecq-soumission-un-livre-48325
https://www.francetvinfo.fr/culture/houellebecq/houellebecq-les-ingredients-d-une-
polemique_789327.html
http://www.alterinfo.net/Apres-le-suicide-de-Zemmour-la-soumission-de-Houellebecq_a108856.html

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I.
               Les « Nouveaux Réactionnaires »

En France, il a toujours existé une culture des intellectuels, dans laquelle des écrivains, des
philosophes et des journalistes criaient à l’injustice, critiquaient l’ordre établi et ne craignaient pas
de donner leur avis. Victor Hugo défiait l’exil, Émile Zola écrivait son manifeste J’accuse et Jean-Paul
Sartre soutenait les insoumis. Ces intellectuels jouaient un grand rôle dans le débat public. Mais, les
temps ont changé, selon Maschino (2002). Ce n’est plus nécessaire d’écrire un chef-d’œuvre pour
être considéré comme « intellectuel », parce qu’un intellectuel ne se définit plus par son travail, mais
par sa visibilité :

Cit. 1. 1.     (…) il ne s’agit plus d’écrire les livres les plus substantiels, les plus profonds, pour être
              reconnu comme intellectuel, mais d’être le plus visible possible, le plus souvent présent à
              l’écran, à l’antenne et à la « une » des gazettes.

              Maschino, 2002

Un nouveau type des intellectuels qui ne se définissent pas forcément par son travail, mais par sa
visibilité, sont les soi-disant « nouveaux réactionnaires ».

      1. 1. La naissance des « nouveaux réactionnaires »

Au début du 21e siècle, il naît un nouveau mouvement dont les « membres » sont appelés « les
nouveaux réactionnaires ». Cette dénomination paraît pour la première fois en 2002 dans un bref
pamphlet de Daniel Lindenberg intitulé Le Rappel à l’ordre: Enquête sur les nouveaux réactionnaires.3
Dans ce livre, Lindenberg expose les thèmes principaux des « nouveaux réactionnaires » et les
causes historiques du développement de ce mouvement. L’ouvrage a reçu beaucoup de critique,

3   Lindenberg publiait ce livre en 2002, il le republiait en 2016, pourvu d’une postface.

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LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

surtout des personnes concernées4. Michel Houellebecq a écrit par exemple dans Le Figaro en
concernant l’ouvrage de Lindenberg :

Cit. 1. 2.   L'épisode le plus significatif, et sans doute le plus lourd de conséquences, de la période
             qui s'ouvre, est sans doute l'affaire des nouveaux réactionnaires, déjà abondamment
             relatée par les gazettes. L'ouvrage, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a guère été loué.

             Houellebecq, 20035

En plus, selon Houellebecq, un effet secondaire involontaire de ce pamphlet est que les « nouveaux
réactionnaires » ont maintenant la possibilité de se regrouper :

Cit. 1. 3.   Rappelons qu'il y a quelques mois, les « nouveaux réactionnaires » étaient si faibles, si
             fantomatiques et surtout si mal organisés qu'ils n'avaient même pas été capables de
             mettre sur pied un soutien correct à la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Ce
             mince opuscule aura eu pour effet de resserrer leurs rangs, de leur faire prendre
             conscience qu'ils avaient de leur côté l'intelligence et le talent, et d'en faire sans qu'ils
             l'aient cherché la première force intellectuelle du pays.

             Houellebecq, 2003

Le terme « nouveaux réactionnaires » a été inventé par Lindenberg. Il les appelle « réactionnaires »,
parce qu’ils réagissent à une situation contemporaine qu’ils jugent détestable, pour se tourner vers
le passé et des traditions perdues. L’adjectif « nouveaux » a un double sens. D’une part, Lindenberg
utilise le terme « nouveau », parce qu’auparavant ils n’étaient pas réactionnaires, mais plutôt
progressistes ou utopistes. Brusquement, ils pensent qu’il faut se tourner vers le passé et pas vers
l’avenir pour trouver des solutions6. Par exemple, le journaliste Michel Audétat remarque dans son
article que le philosophe André Glucksmann s’orientait auparavant vers le maoïsme avant d’appeler
à voter pour Nicolas Sarkozy et l’historien Marcel Gauchet avait été un acteur enthousiaste de Mai
68 avant d’être accusé de sexisme et d’homophobie en 2012 (Audétat, 2016). Audétat écrit
également que le label « néo-réactionnaire » s’applique aussi à des gens qui semblent avoir été de
droite dès le berceau. Et à d’autres qui, malgré cette étiquette, persistent à se dire de gauche (par

4 Voire le chapitre ‘Novembre 2002-Janvier 2003 : l’affaire Lindenberg’, Durand, Sindaco (2015-2) pour un
résumé de cette critique.
5 Voire Houellebecq, M., « L'homme de gauche est mal parti », Le Figaro, 6 janvier 2003.
6 Voire l’interview de Thierry Ardisson dans INA Talkshows, url :

https://www.youtube.com/watch?v=kmpW3tYL4Nc; consulté : le 12 octobre.

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LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

exemple l’essayiste Pascal Bruckner) (Audétat, 2016). D’autre part, les « nouveaux réactionnaires »
ne réfèrent plus à la Révolution française comme événement fondamental, mais à une autre
révolution plus récente, à savoir la révolution culturelle de Mai 68 (Durand, Sindaco, 2015-2).

Donc, le terme « nouveaux réactionnaire » ne désigne pas nécessairement une certaine préférence
politique. Lindenberg (2016 : 9) estime également que les « nouveaux réactionnaires » ne forment
pas de mouvement structuré avec ses manifestes et ses écoles et ses querelles d’école. Il n’y a pas
non plus un « chef d’orchestre ». Selon Lindenberg (2016 : 13) le courant se caractérise par des
oxymorons: Les nouveaux réactionnaires sont « conservateurs révolutionnaires », « traditionalistes
subversifs » et « démocrates autoritaires ». Néanmoins, en essayant de structurer ce groupe divers,
Sapiro (2015) a fait une division. Selon elle, « les nouveaux réactionnaires » peuvent être divisés en
trois groupes: les polémistes, les notables et les esthètes (Sapiro, 2015 29-36). Les polémistes sont
en général des journalistes, qui avec le journalisme ont trouvé un moyen d’entrer dans deux
mondes, à savoir le monde littéraire et le monde politique. Le pamphlet est un genre favori des
polémistes. Sapiro compte parmi les polémistes Éric Zemmour, Éric Naulleau (ancien professeur de
lettres, éditeur, essayiste et traducteur) et Philippe Muray (philosophe, essayiste et romancier) à
cause de son choix de la forme pamphlétaire (Sapiro, 2015 : 40-41). Les notables sont des écrivains,
des essayistes, des « peintres des mœurs de la bourgeoisie de province » ou des « satiristes des
mœurs » et sont rarement des journalistes. Ce sont par exemple les membres de l’Académie
Française et de l’Académie Goncourt, comme par exemple le philosophe Alain Finkielkraut.
Finalement, les esthètes, au contraire des polémistes, dissocient la littérature et la politique selon
les principes de l’art pour l’art. Le jugement esthétique influence tous les domaines de leur vie. Selon
Sapiro, on peut classer parmi les esthètes les auteurs Michel Houellebecq, Renaud Camus et Richard
Millet (Sapiro, 2015 : 40-42).

    1. 2. La diversité des « nouveaux réactionnaires »

Les « nouveaux réactionnaires » ne se présentent donc pas comme un collectif. Selon Durand et
Sapiro, les « nouveaux réactionnaires » ont seulement en commun qu’ils se représentent comme des
« esprits libres », qui résistent à toute agrégation collective et, avec une détermination particulière, à
toute forme d’assignation sociologique (Durand, Sindaco, 2015 : 11).

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LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

Ce sont plutôt des individus hétéroclites qui réagissent plus ou moins aux mêmes problèmes dans la
société d’aujourd’hui.7 De ce fait, la première difficulté en appréhendant le phénomène « nouveau
réactionnaire », c’est la très grande diversité des profils présentés par les personnalités (Éric
Zemmour, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut etc.) réunies. Ils ne sont pas seulement actifs dans
des domaines divers (la littérature, la philosophie, le journalisme, la politique, les sciences
humaines, l’histoire de l’art, le droit), mais ils expriment leurs idées d’une manière différente aussi
(romans, articles, chroniques, essais, recueils d’entretiens, formes multiples d’intervention
publique). Certains d’entre eux attirent l’intérêt des médias, ils paraissent à la télévision ou sur You
Tube (par exemple le journaliste Élizabeth Lévy), d’autres publient des articles dans les journaux ou
sur internet (par exemple le philosophe Jean-Claude Michéa). Finalement, ils diffèrent surtout par
leurs positionnements politiques : de droite sans complexe ou « pas de gauche », apolitiques ou
libertaires, de gauche sociale ou même de gauche extrême (Durand, Sindaco, 2015 : 12). Ainsi, la
question se pose de savoir s’il est convenable de faire une liste de ces individus complètement
différents et de les grouper sous un dénominateur commun. Durand et Sindaco répondent à cette
question dans une interview dans Le Figaro :

Cit. 1. 4.   Il n'en est pas moins clair que l'une des difficultés majeures est la très grande diversité
             des profils rassemblés sous celle-ci. Diversité des positionnements politiques. Diversité
             des trajectoires suivies, des genres pratiqués, des statuts occupés. Diversité, aussi bien,
             des niveaux de qualité esthétique et intellectuelle. Notre démarche collective a été non
             seulement de procéder par études de cas pour faire droit aux singularités, mais
             parallèlement de dessiner le portrait de ce que nous appellerions volontiers le «
             personnage collectif » des « nouveaux réactionnaires », c'est-à-dire l'idéal-type qui se
             dégage du recoupement de ces individualités.

             Devecchio, 2015

7C’est pourquoi il faut être prudent d’utiliser ce terme. Dans ce mémoire, j’emprunterai l’exemple donné par
Durand et Sindaco (2015) en écrivant le terme entre guillemets.

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LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

     1. 3. Les thèmes communs des « nouveaux réactionnaires »

Alors que les « nouveaux réactionnaires » ne se présentent pas comme un groupe, ils ont quand-
même des idées pareilles sur les causes qui font diminuer la position et l’influence françaises dans le
monde. Selon Lindenberg le discours des « nouveaux réactionnaires » porte sur les thèmes
communs suivants :

Cit. 1. 5.   On y retrouve d’ailleurs toutes les antiennes du pessimisme culturel remises au goût du
             jour, mais aussi des thématiques plus originales. Nous avons été abreuvés ces derniers
             temps par « l’instruction » concomitante du procès de Mai 68, du procès de l’islam (le
             plus « tendance »), du procès de la culture de masse, de l’antiracisme, voire
             l’antifascisme.

             Lindenberg, 2016 : 18-19

Le premier chapitre de son livre Le rappel à l’ordre (intitulé « La levée des tabous ») traite ces
différents procès. Lindenberg le divise en huit paragraphes, et traite successivement le procès de la
culture de masse (1), de la liberté des mœurs (2), des intellectuels (3), de Mai 68 (4), du « droit-de-
l’hommisme » (5), de la société « métissée » (6), de l’islam (7) et de l’égalité (8). Dans leurs discours
sur ces thèmes, les « nouveaux réactionnaires » ne mâchent pas leurs mots et lèvent les tabous.
Ainsi, ils se reconnaissent moins par leur argumentation que par leurs passions et par leurs
aversions. Dans l’interview avec Devecchio (2015), Durand et Sindaco nomment aussi certains
thèmes que les « nouveaux réactionnaires » ont en commun :

Cit. 1. 6.   Des thèmes largement partagés sur fond de rumination du « déclin » et de défiance plus
             ou moins sarcastique à l'égard des valeurs progressistes (ou « néo-progressistes ») : la
             France et l'identité française (menacées par le multiculturalisme), l'École républicaine
             (menacée par le pédagogisme), la laïcité (envisagée comme élément d'un patrimoine
             national plutôt que comme principe juridique), l'éloignement des « élites » politiques et
             sociales à l'égard des réalités vécues par la « France d'en bas », etc.

Elles ajoutent que c’est surtout la manière dont ces idées et ces soucis sont communiqués au public,
qui unifie les « nouveaux réactionnaires » :

Cit. 1. 7.   Mais surtout, il y a la manière dont ces problématiques brassées dans l'air politique et
             médiatique du temps sont véhiculées : avec bien entendu des modulations diverses, on

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LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

            retrouve chez tous la posture typique du pamphlétaire, porteur seul contre tous d'une
            vérité aveuglante, avec une rhétorique volontiers catastrophiste, mêlant pathos et
            provocation.

            Devecchio, 2015

    1. 3. 1. Les procès selon Lindenberg

L’annus horribilis (1968) est la cause de tous les problèmes selon les « nouveaux réactionnaires ». Ils
n’ont jamais accepté le « libéralisme culturel », qui en est le résultat. Les « nouveaux
réactionnaires » dénoncent la liberté des mœurs qui est le résultat de Mai 68, et surtout la libération
de la morale sexuelle et de l’antique division inégalitaire entre les sexes (Lindenberg, 2016 : 21-23).
Les « nouveaux réactionnaires » critiquent également la culture de masse et la « massification ».
Lindenberg (2016 : 21) explique ce terme « massification », qui exprime l’entrée des « masses » où
elles n’ont rien à faire. Cette massification est illustrée par exemple par le tourisme de masse dans
Plateforme de Houellebecq, dans lequel le tourisme est utilisé comme métaphore de la décadence
contemporaine. L’écrivain Philippe Muray voit dans cette décadence contemporaine une société de
la « festivisation » générale qui s'est développée après Mai 68. Selon lui, la fête est une métaphore
qui permet de comprendre la société actuelle (Garbit, 2014). Selon Lindenberg (2016 : 22) la
conclusion, explicite chez un Houellebecq ou un Dantec8, c’est qu’il faut un nouveau « pouvoir
spirituel » qui chassera les marchands du Temple et refera du savoir et de la culture un sacerdoce.

La peur de la perte de l’identité française est à la base de la critique sur le droit-de-l’hommisme, de
la société métissée et de l’islamophobie. Le droit-de-l’hommisme est considéré comme une
invention américaine, dont le but est de détruire l’identité culturelle des peuples (Lindenberg,
2016 : 34). Une autre menace pour l’identité française est la société métissée, qui est beaucoup
critiquée par les « nouveaux réactionnaires » (Lindenberg 2016 : 35-37). Très lié à ce sujet est
l’islamophobie. Dans son article ‘Le magicien et le réactionnaire à propos des « Dissidents de
l’islam »’ Brahimi (2015) décrit les événements qui ont causé cette islamophobie. Depuis les années
1980-1990 les débats politiques sur l’islam ont bénéficié d’impulsions fortes dues à des événements
politiques en lien avec le monde musulman: la révolution iranienne (1979), la guerre du Golfe
(1990-1991) et la crise algérienne (1993-1999). Puis, les attaques du 11 septembre 2001 ont

8Écrivain
       canadien, qui a suscité la controverse entre-autres à cause de sa sympathie pour les idéaux du
mouvement extrême-droite Le Bloc identitaire.

                                                                                                        12
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

aggravé la critique sur l’islam.9 Brahimi (2015 : 201) parle d’une nouvelle critique de l’islam, qui est
basée sur une vision d’un islam intrinsèquement opposé aux valeurs occidentales, comme la
démocratie, la laïcité et l’égalité homme-femme. De plus, l’islam est représenté comme hermétique à
toute interaction avec les autres cultures. Cette vision renvoie selon Brahimi à une perception de
l’islam beaucoup plus fantasmée que réaliste (Brahimi, 2015 : 201). C’est une vision répandue parmi
les « nouveaux réactionnaires ».

Lindenberg publia son essai en 2002, mais les thèmes mentionnés sont toujours actuels en 2015.
Selon Durand et Sindaco, les « nouveaux réactionnaires » exposent toujours les mêmes thèmes :

Cit. 1. 8.    Les années qui ont suivi jusqu’à nos jours n’ont fait que confirmer l’implantation de ces
              thèmes dans le paysage idéologique avec des effets tache d’huile assez significatifs, sur
              fond de désenchantement démocratique et de pathos du « déclin » : la promotion d’une
              laïcité envisagée non plus comme principe juridique, mais comme patrimoine à préserver
              ; la défense de l’identité française d’abord, européenne ensuite, occidentale plus
              largement, contre la montée en puissance d’un islam radical et l’échec en fait
              d’intégration des populations nouvellement immigrées ; les lamentos offensifs relatifs à
              la disparition de l’école républicaine et de l’idéal méritocratique dont elle était porteuse,
              au profit de la discrimination positive et d’un pédagogisme démagogique ; la résurgence
              d’un vieil antiaméricanisme, jusque chez des intellectuels volontiers atlantistes, avec
              charges à répétition contre l’individualisme libéral contemporain, seul horizon d’une
              société ayant évacué les grandes transcendances verticales au profit de l’horizontalité
              indéfinie des droits individuels.

              Durand, Sindaco, 2015 : 13-14

Dans la postface du Rappel à l’ordre, Lindenberg écrit que le paysage a subi des modifications. Selon
lui, la dynamique qu’il avait décrite en 2002 s’est même considérablement renforcée (Lindenberg
2016 : 100).

9   Les attentats terroristes en 2015 ont certainement aggraver la critique et la peur.

                                                                                                       13
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES »

     1. 4. Le succès des « nouveaux réactionnaires »

Reste à savoir comment les « nouveaux réactionnaires » sont devenus si populaires chez une partie
de la société. Premièrement, c’est parce qu’ils donnent une voix au peuple qui est ignoré par la
politique et l’élite actuelle. Cette élite se serait éloignée des préoccupations et des valeurs
« authentiques » de ce « peuple » (Devecchio, 2015). En outre, le tournant libéral de la gauche de
gouvernement sous la présidence de Mitterand à partir des années 1980, a ouvert les vannes à
différentes formes de protestation et de radicalisation. L’absence des grandes voix à gauche
offraient la possibilité de remplir ce vide, ce que les « nouveaux réactionnaires » ont fait.
Troisièmement, les médias de masse ont changé avec l’augmentation des médias sociaux. Sur ces
plateaux la provocation et les conflits attirent beaucoup d’attention (Devecchio, 2015). Meizoz,
professeur associé à l’Université de Lausanne et écrivain, indique dans un article dans Le Matin que
le ton du débat dans les médias a changé :

Cit. 1. 9.   Il existe aujourd’hui dans les médias une forte demande de « parler vrai », de dire les
             choses « telles qu’elles sont », afin de nourrir des débats trop souvent binaires. A cet
             égard, les « néo-réactionnaires10 » sont de bons clients. Ils parlent bien, fort, et
             provoquent des esclandres en prétendant combattre la pensée unique.

             Meizoz, 2016 : 21

Un des « nouveaux réactionnaires » utilisant les médias comme décrit ci-dessus est Éric Zemmour.
Ce polémiste (selon Sapiro, 2015 : 40) et écrivain a beaucoup de succès en France. On a vendu de
son dernier livre Le Suicide Français près de 300.000 exemplaires. Dans les chapitres suivants ses
idées seront élaborées et comparées avec celles exprimées dans Soumission de Michel Houellebecq.

10 Dans la littérature on trouve également les termes « néo-réactionnaires » et les « néo-réacs » pour dénoncer
« les nouveaux réactionnaires » : https://listesocius.hypotheses.org/4285, consulté: 19-06-2018.

                                                                                                        14
II.

                        Le ménage traditionnel

Un père, c’est la loi
avec un L majuscule

Zemmour, 200911

Cette citation montre que le père joue un rôle très important dans la famille et dans la société, selon
Éric Zemmour. Dans son livre Le Suicide Français, il explique que ce père important est mort
aujourd’hui. À cause de l’individualisme et du féminisme, le ménage traditionnel est en train de
disparaître. Dans Soumission la déchéance du ménage est également décrite. Par contre, les causes
de cette déchéance ne sont pas les mêmes dans les deux livres.

     2. 1. Le féminisme

Zemmour fait comprendre que l’institution sainte de la famille, qui est selon lui la clé de voûte de la
société, a considérablement changé. Il trouve que ce changement ne fut pas une amélioration.
Zemmour signale que l’homme perd son rôle masculin dans la famille. La mort du père12 est un
thème important dans le livre de Zemmour. Le Suicide Français commence par la mort de Charles de
Gaulle, selon Zemmour le « père de la France ». Dans son livre, la mort du père est une métaphore.
Depuis les années 1970, l’homme a perdu son influence, car après un pouvoir patriarcal (l’État,
l’Église, le père), un État maternel est né (Zemmour, 2014 : 343). Le développement de
l’individualisme et de l’hédonisme a fait tomber les valeurs patriotiques, familiales et collectives
(Zemmour, 2014 : 134). « L’homme est mort, vive la femme! », ce slogan exprime la crainte de

11Source : cote-famille.com/eric-zemmour-le-pere-c-est-la-loi-avec-un-l-majuscule/, consulté : 11-08-2019.
12La mort de père de François peut être considérée comme un métaphore de cette perte de l’influence
masculine aussi. Par contre, dans Soumission il « naît » un nouveau père, Ben Abbes, qui à la page 158 est
comparé avec Charles de Gaulle. D’autres commentaires ont comparé Ben Abbes avec Pétain, comme si on est
dans la France occupée en 1940 ; Morrey, 2018: 209.

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LE MÉNAGE TRADITIONNEL

Zemmour, comme perspectives d’avenir. La femme est l’avenir de l’homme et en conséquence la
France se suicide (Zemmour, 2014 : 136). Selon lui, l’homme blanc et hétérosexuel en est la victime :

Cit. 2. 1.   Vincent, François, Paul et les autres incarnent le « mâle blanc hétérosexuel » à son
             crépuscule. Bientôt, des armées de Lilliputiens – féministes, militants gay, et combattants
             de la décolonisation – abattront sa statue pour danser au milieu des ruines, sans être
             capable d’en bâtir une autre, pour le plaisir nihiliste de contempler le reflet des flammes,
             auxquels Vincent, François, Paul et les autres allumeront leurs derniers cigares.

             Zemmour, 2014 : 135

Quelques développements dans les années ’70, et notamment après la révolution de Mai 68, ont
causé ce changement13. Premièrement, le féminisme naissant a joué un grand rôle. À cause de
l’émancipation de la femme, l’homme a perdu son rôle principal dans la famille. D’ailleurs, le
féminisme faisait en sorte que les divorces ont été de plus en plus acceptés en France. Selon
Zemmour, le plus fort c’est que ce sont surtout les femmes (80%) qui demandent le divorce. Elles
seraient même applaudies par les organisations féministes sous le couvert de la liberté de la femme
: finalement, les femmes pourraient se libérer des « chaînes du mariage » et n’étaient plus
dépendantes de leurs époux. De ce fait, elles ne se marient plus pour des raisons pragmatiques, mais
plutôt par amour14. Zemmour estime que ces nouveaux mariages engendrent des divorces, quand
l’amour disparaît (Zemmour, 2014 : 100-101) :

Cit. 2. 2.   Les femmes sont à la pointe de cette révolution; elles poussent au mariage d’amour, et
             veulent pouvoir « refaire leur vie » quand l’amour s’éloigne ; elles demandent le divorce
             quand leurs époux les trahit ou qu’elles ont trouvé une nouvelle âme sœur. Ce n’est pas
             un homme, mais l’amour qu’elles aiment.

             Zemmour, 2014 : 101

Donc, le mariage devient de moins en moins une liaison fixe. En outre, il écrit que les raisons de se
divorcer ont changé. Autrefois, les femmes acceptaient que leurs hommes les trompent, aujourd’hui
c’est une bonne raison de demander le divorce. Selon Zemmour, ce changement n’a pas seulement

13 Par contre, comme on verra au paragraphe 4.2, le fait que l’homme perd son rôle masculin n’est pas
considéré comme un grand problème dans Soumission. François ne considère pas l’autonomie forcement
comme une bonne chose.
14 Dans Soumission le nouveau régime de Ben Abbes favorise également le retour du mariage de raison au lieu

du mariage d’amour, comme est suggéré par l’introduction d’essai de Daniel Da Silva, décrit dans Soumission
(p. 203).

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LE MÉNAGE TRADITIONNEL

des conséquences pour le bien-être social, mais aussi pour la prospérité financière de la famille. De
ce fait, l’augmentation des divorces pose également des problèmes pour l’économie française
(Zemmour, 2014 : 103-105). Dans le cas d’un divorce, c’est l’homme qui a le dessous : « son rôle de
père est nié, détruit » (Zemmour, 2014 : 105). Aujourd’hui, les femmes émancipées qui travaillent,
exigent que les hommes aident à faire le ménage. Zemmour écrit que les hommes deviennent
comme les femmes : Puisque les femmes n’avaient pas réussi à devenir des hommes comme les autres,
il fallait que les hommes devinssent des femmes comme les autres. (Zemmour, 2014 : 354). Selon
Zemmour, au lieu du père, la mère est à la tête de la famille : Le père, déchu de sa puissance
paternelle, se sent dépouillé de sa légitimité. Il se retrouve à l’égalité avec sa progéniture, tous
également soumis à la mère régente (Zemmour, 2014 : 134).

En ce qui concerne le mariage, Zemmour a des idées assez traditionnelles. Selon lui, une « famille »
recomposée est un oxymoron (2014 : 107) et le mariage homosexuel n’est qu’une parodie d’un
« vrai » mariage, entre un homme et une femme. C’est qu’avoir des enfants, le but principal du
mariage, est impossible entre deux hommes ou deux femmes :

Cit. 2. 3.   Un mariage homosexuel ne peut être qu’une simulation parodique, puisqu’il faut quand-
             même un homme et une femme pour fabriquer un enfant et fonder cette famille,
             principal objectif du mariage.

             Zemmour, 2014 : 267

Zemmour indique que ce n’est pas seulement le féminisme qui cause l’instabilité du mariage. Ces
changements sont déclenchés également par l’apparition de la liberté sexuelle dans les années ’70:

Cit. 2. 4.   Les années 1970 avaient tout bouleversé. Le sexe était un jeu, un plaisir; il devenait une
             identité. Le mariage n’était plus une institution mais une histoire d’amour.

             Zemmour, 2014 : 266

À cause de ces événements, le mariage est devenu un « contrat à durée déterminée » et est inspiré
par le désir (Zemmour, 2014 : 267).

Dans Soumission l’émancipation de la femme est un thème important aussi. À première vue, François
(le protagoniste et narrateur dans Soumission) semble exprimer les mêmes idées concernant

                                                                                                   17
LE MÉNAGE TRADITIONNEL

l’émancipation dans Soumission que Zemmour dans Le Suicide Français. Comme le montre la citation
suivante :

Cit. 2. 5.   En réalité je n’ai jamais été persuadé que ce soit une si bonne idée que les femmes
             puissent voter, suivre les mêmes études que les hommes, accéder aux mêmes
             professions, etc. Enfin on s’y est habitués, mais est-ce que c’est une bonne idée, au
             fond ? »

             Soumission, p. 41

La question montre que François n’est pas si certain que cela que l’émancipation de la femme soit
un bon développement. Il n’est pas pour le patriarcat (comme Zemmour), mais il ajoute qu’il n’est
pour rien du tout15 et que le patriarcat avait le mérite minimum d’exister, parce qu’il persévérait
dans son être : « il y avait des familles avec des enfants, qui reproduisaient en gros le même schéma »
(p. 41). Par contre, son amie Myriam16, une étudiante et une femme émancipée le contredit. Elle
demande ce qu’on fait d’elle quand le patriarcat est la seule formule viable, étant une femme
émancipée, qui a fait des études et qui se considère égale aux hommes en ce qui concerne sa
capacité de réflexion et de décision. « Je suis bonne à jeter ? » demande-t-elle (p. 43-44). Selon
François, la bonne réponse était probablement « Oui », mais il n’ose pas le dire.

La scène dans laquelle François dîne chez son ami Bruno Desplandes illustre les problèmes causés
par l’émancipation (p. 92-94). Pendant le dîner, François observe que le féminisme du 21e siècle ne
fonctionne pas. Annelise, la femme de Bruno, est crevée à la fin de la semaine à cause de son travail.
Elle n’arrive pas à préparer un dîner et il faut même que François l’aide. En pensant à ce couple,
François estime « qu’ils étaient certainement divorcés maintenant, c’est ainsi que ça passait de nos
jours » (p. 94). Contrairement à Zemmour, la scène dans Soumis
sion ne montre pas que la femme est « la mère régente » qui soumet « le père ». C’est toujours
Annelise qui fait la cuisine, sans aide de son mari qui s’enivre, alors qu’elle est crevée et a travaillé
toute la journée (p. 92-93). Elle veut être la femme au foyer parfaite, qui sait cuisiner « un dîner
presque parfait », comme elle l’a vu sur la télévision (p. 92), mais elle n’y arrive pas à cause de son
travail. Zemmour reconnaît également ce problème. Il écrit que les femmes essayent de concilier
l’inconciliable, à savoir la vie familiale et la vie professionnelle. De ce fait, leur existence devient
« une acrobatie permanente » (Zemmour, 2014 : 353).

15En ce qui concerne l’indifférence de François et les intellectuels en général, voir par. 4.2.
16Le nom Miriam fait référence au féminisme. La figure juive Myriam est la première prophétesse de la Bible
hébraïque et elle est populaire auprès des féministes juives.

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LE MÉNAGE TRADITIONNEL

Un autre désavantage mentionné de la femme qui travaille, selon François, est qu’elle devient moins
attirante pour son mari. Au contraire de Zemmour, François pense c’est à cause du manque de désir
que les mariages ne fonctionnent pas, comme le montre la citation 2.6. François remarque que la
femme qui travaille s’habille bien pour le travail, mais quand elle rentre à la maison elle change en
vêtements confortables et pas très seyants. L’homme, « le seigneur et maître » comme François
l’appelle, a le dessous et en même temps la femme ne profite pas de cette nouvelle répartition des
rôles non plus :

Cit. 2. 6.   C’est ainsi qu’elle se présentait devant son seigneur et maître et il devait avoir, il
             devait nécessairement avoir la sensation de s’être fait baiser quelque part, et elle-
             même avait la sensation de s’être fait baiser quelque part, et que ça n’allait pas
             s’arranger avec les années, les enfants qui allaient grandir et les responsabilités
             professionnelles qui allaient comme mécaniquement augmenter, sans même tenir
             compte de l’affaissement des chairs.

             Soumission, p. 94

Donc, ce n’est pas la faute des femmes que les mariages se terminent par un divorce, comme
Zemmour l’écrit. Dans Soumission il est argumenté que c’est à cause de la répartition des tâches. La
femme doit être une femme au foyer, mère, maîtresse et carriériste en même temps. Une femme
comme Annelise, qui représente les autres femmes occidentales (p. 93) n’y arrive pas. Donc, le
mariage de Bruno Desplandes est un exemple d’un mariage moderne, qui ne fonctionne pas.
Cependant, il y a des femmes qui sont capables de remplir plusieurs rôles, comme le personnage
Marie-Françoise Tanneur, professeur à l’université et collègue de François. Elle montre que c’est
possible d’être une professeur à l’université et de s’occuper du dîner en même temps (p. 151). C’est
que, quand François dîne chez-elle elle s’avère être une très bonne cuisinière et maîtresse de
maison. Courteau a également analysé cette scène. Il signale qu’il y a une description étendue de la
tâche de l’épouse. Selon lui, cette description sape l’effet de nouveauté de réformes politiques de
Ben Abbes, et montre que la sujétion des femmes à l’homme est banale et fait partie du quotidien
des Français (Courteau, 2015 : 85). Par contre, Courteau ne mentionne pas que Marie-Françoise est
une femme émancipée aussi. Elle ne se soumet pas aux hommes, elle prépare simplement le dîner et
est capable donc de remplir plusieurs rôles.

Courteau (2015) montre dans son article La France inchangée que l’islam dans Soumission est la
suite logique de la civilisation française, en étant la solution d’affirmer et de légitimer les désirs

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LE MÉNAGE TRADITIONNEL

françaises17. Il note que dans Soumission c’est la femme crevée qui est la cause de l’échec du
mariage :

Cit. 2. 7.   La frustration majeure de la France, ce n’est pas tant de vivre au milieu des
             tentations, qui impliquent un refoulement obligatoire des pulsions : c’est bien plutôt
             la vie « en ménage », où la femme, d’objet de désir se transforme en corps mou et
             fatigué, qui signe l’échec de la vie de couple occidentale. Aussi, tout ce qu’il reste à
             l’homme ordinaire, ce sont ces tentations publiques (…).

             Courteau, 2015 : 82

Quand la Fraternité Musulmane gagne les élections, les anciens rôles sont rétablis. Le nouveau
régime de Ben Abbes, le dirigeant de la partie politique Fraternité Musulmane, permet aux hommes
de reprendre leur rôle de pater familias, qui s’occupe de la famille. À l’école les filles seront
encouragées de devenir des femmes au foyer. De ce fait, la position de la femme change en France18.
On verra que dans le nouveau régime de Ben Abbes les femmes disparaissent de l’université.
Cependant, François remarque que ce n’est pas un bon développement. Par exemple, une réception
à l’université n’est pas un succès à cause de l’absence des femmes (p. 235). Donc, François se rend
compte que les femmes au foyer, qui restent à la maison, sont une désillusion. Il a besoin de
converser avec des femmes pour s’amuser.

Un des plus grands changements introduit par Ben Abbes, est la législation de la polygamie. En ce
qui concerne le mariage polygame, François a des idées assez ambivalentes. D’une part, il pense que
la polygamie pourrait être une solution possible. Dans le mariage polygame les femmes rempliront
des fonctions différentes, ce qui permet à l’homme d’avoir la relation idéale :

Cit. 2. 8.   (…) une épouse de quarante ans pour la cuisine, une de quinze ans pour d’autres
              choses…

         Soumission, p. 262

17L’idée que l’islam représente la réalisation des désirs cachés de l’Occident reviendra au paragraphe 3.3.
18Dans son article ‘Soumission de Houellebecq : le droit à l’irresponsabilité ?’, Léger écrit que dans le nouveau
régime de Ben Abbes, le plan collectif et la promotion de la cellule familiale devient la garantie d’une
démographie florissante et d’une économie relancée par le retour des femmes au foyer. Dans ce régime, les
femmes quittent leurs travaux et retournent à la maison grâce à la revalorisation considérable des allocations
familiales. Pour cette raison, il y a moins d’hommes au chômage. Selon Léger, on retrouve là de forts accents
schopenhaueriens, où l’espèce humaine est mue par la nécessité de sa reproduction (Léger, 2015 : 43).

                                                                                                           20
LE MÉNAGE TRADITIONNEL

En même temps, cette citation montre que l’émancipation de la femme a mené à une situation
grotesque (voir aussi par. 3.2) et à une dystopie, dans laquelle le mariage avec une fille de quinze
ans est devenue la solution pour satisfaire le désir sexuel des hommes. D’autre part, François trouve
que seulement une relation de type conjugal peut directement, et réellement, faire sens (voir cit. 2.16).
Il mentionne Platon qui dans son œuvre Symposion donne la parole à Aristophanes sur l’amour.
Selon Aristophanes l’homme doit trouver sa seule autre moitié. Donc, en mentionnant Platon,
François critique la polygamie aussi. Zemmour par contre, alors qu’il a des idées traditionnelles sur
le mariage, trouve que l'adultère des hommes est acceptable (voir aussi par. 3.2). De ce fait, il
semble approuver la polygamie, parce qu’il approuve le fait que l’homme a une relation avec
plusieurs femmes.

     2. 2. Individualisme

Une raison pour la déchéance du ménage selon Zemmour est l’individualisme. La société est
devenue plus individualiste et de ce fait la famille n’est plus estimée à sa juste valeur. Les mœurs de
la société ont changé radicalement :

Cit. 2. 9.   La liberté et l’épanouissement personnel sont préférés à la stabilité de la famille;
             l’égoïsme individuel des adultes est préféré à l’équilibre psychologique des enfants ; le
             bovarysme féminin est sanctifié comme valeur suprême des rapports entre les sexes.

             Zemmour, 2014 : 103

Dans Soumission, François remarque également que le ménage est en train de disparaître. À Paris les
ménages sont généralement réduits à une ou deux personnes et de plus en plus souvent à une (p.
206). Donc, les Français deviennent de plus en plus individualistes et seuls. François lui-même mène
une vie individualiste aussi. Il est solitaire et en souffre. Par exemple, il craint qu’il ne trouvera
jamais plus d’autre femme après le départ de Myriam et restera seule toute sa vie19 (p. 50)20.
Justement dans le monde d’aujourd‘hui, où l’individualisme (arrogant et nihiliste) prend le dessus,
Zemmour craint que l’islam puisse s’y imposer :

19 Léger remarque dans Soumission l’accent sur le plan collectif et que la promotion de la cellule familiale
devient la garantie d’une démographie florissante et d’une économie relancée par le retour des femmes au
foyer. Selon Léger, on retrouve là de forts accents schopenhaueriens, où l’espèce humaine est mue par la
nécessité de sa reproduction ; Léger, 2015 : 43.
20 Dans le paragraphe suivant, la solitude et l’individualisme de François est plus expliquée.

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