UNIVERSITÉ D'AMSTERDAM - Soumission versus Suicide
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UNIVERSITÉ D’AMSTERDAM Soumission versus Suicide Une analyse et comparaison des livres Le Suicide Français par Éric Zemmour et Soumission par Michel Houellebecq Nom: Rosanne Hoenderdos Nº 6140076 Date: 12 août 2019 Prof. : S.M.E. van Wesemael
La France, ce n’est pas la soumission, ce n’est pas Michel Houellebecq. Ce n’est pas l’intolérance, la haine. Manuel Valls, 2015
Table des matières Introduction ........................................................................................................................................................................... 5 Les « Nouveaux Réactionnaires » .................................................................................................................................. 7 1. 1. La naissance des « nouveaux réactionnaires » .......................................................................................... 7 1. 2. La diversité des « nouveaux réactionnaires » ............................................................................................ 9 1. 3. Les thèmes communs des « nouveaux réactionnaires »..................................................................... 11 1. 3. 1. Les procès selon Lindenberg ................................................................................................................ 12 1. 4. Le succès des « nouveaux réactionnaires ».............................................................................................. 14 Le ménage traditionnel ................................................................................................................................................... 15 2. 1. Le féminisme ........................................................................................................................................................ 15 2. 2. Individualisme ..................................................................................................................................................... 21 2. 3. La solitude de François..................................................................................................................................... 23 2. 4. Résumé.................................................................................................................................................................... 27 La décadence ....................................................................................................................................................................... 29 3. 1. La consommation ............................................................................................................................................... 29 3. 2. Le sexe ..................................................................................................................................................................... 32 3. 3. Les solutions possibles ..................................................................................................................................... 34 3. 4. Résumé.................................................................................................................................................................... 39 L’islam .................................................................................................................................................................................... 41 4. 1 La déchéance de l’identité française ........................................................................................................... 41 4. 2 L’indifférence des intellectuels et la soumission ................................................................................... 50 4. 3 Le retour de la religion ..................................................................................................................................... 53 4. 4 Resumé.................................................................................................................................................................... 57 Conclusion ............................................................................................................................................................................ 59 Bibliographie....................................................................................................................................................................... 61
Introduction Le roman Soumission de Michel Houellebecq était déjà un sujet de conversation avant sa publication. Il est devenu célèbre dans le monde entier le 7 janvier 2015. Ce jour, deux hommes attaquaient la rédaction de Charlie Hebdo et tuaient huit rédacteurs. C’était également le jour de la publication de Soumission. C’est pourquoi, sur la couverture du dernier numéro publié la veille avant les attaques il y a un dessin humoristique de Houellebecq, représenté comme un mage qui annonce sa conversion à l’islam. Dans Soumission, Houellebecq dépeint la France en 2022, lorsque la Fraternité Musulmane, dirigé par Mohammed Ben Abbes, vient de gagner les élections. Grâce au narrateur et protagoniste, François, le lecteur apprend quels évènements ont mené à ce résultat et quelles en sont les conséquences. Le livre a fait couler beaucoup d'encre. La citation ci-dessous montre que le livre est parfois fortement critiqué : Soumission est un roman, un simple roman, mais c'est un roman qui salit celui qui le lit. Ce n'est pas un tract mais un graffiti : Merde à celui qui le lira. Christine Angot, Le Monde des Livres, 14 janvier 2015 La citation mise en exergue de Manuel Valls date du lendemain des attaques à la rédaction de Charlie Hebdo. Elle montre que Houellebecq est souvent considéré comme un écrivain intolérant et blessant. Son roman Soumission serait un livre réactionnaire, antiféministe et raciste. Cependant, le lecteur qui essaye de lire entre les lignes et derrière le texte découvrira un message tout différent. Comme la citation suivante l’explique : (…) Si nous passons autant de temps a démonter une par une les accusations bien- pensantes portées contre Houellebecq, c’est parce que cela a son importance : il est de notre avis que, fondamentalement, de telles accusations ne sont possibles qu’en prenant des citations hors de leur contexte, mais que ces accusations tombent à plat dès lors qu’on les replace comme il se doit dans l’économie générale du livre. ce n’est pas par exemple que les propos racistes ou les descriptions pornographiques 5
détaillées soient importants en soi, mais ces descriptions sont là pour autre chose. Ce ne sont en somme que des alibis : l’essentiel est ailleurs1. Spieser-Landes, 2017 : 48 Une courte recherche sur Internet à propos de Soumission montre que Houellebecq est souvent comparé à un autre écrivain: Éric Zemmour2. Personnage public en France, Zemmour relève des « nouveaux réactionnaires ». La signification de ce terme est discutée dans le premier chapitre. Dans son livre Le Suicide Français, Zemmour décrit systématiquement et chronologiquement, comment la France s’est suicidée. Les deux livres de ces auteurs ont été publiés l'un après l'autre, respectivement en janvier 2015 et octobre 2014, et ont tous deux suscité beaucoup d'agitation en France. La question qui se pose est la suivante: est-il justifié que les deux livres soient mentionnés dans le même souffle? Transmettent-ils le même message ou sont-ils fondamentalement différents? Dans ce mémoire, je répondrai à cette question en faisant une analyse contrastive basée sur les différents thèmes des deux livres, à savoir « le ménage traditionnel », « la décadence » et « l’islam ». Par conséquent, il est important de garder à l’esprit que les livres appartiennent à des genres différents. Zemmour a écrit un pamphlet politique et Houellebecq un roman de fiction. De ce fait, je ne discuterai pas l’opinion personnelle de Houellebecq, dans ce mémoire. Je me concentre uniquement sur les idées que le lecteur peut déduire de Soumission. De plus, j’analyserai la littérature secondaire consacrée au roman. 1Selon Spieser-Landes l’essentiel dans l’œuvre de Houellebecq est dans le vide, voir (2017, 48). 2Voir : https://sos-racisme.org/soumission-de-michel-houellebecq/ https://www.huffingtonpost.fr/bruno-coppens/zemmour-houellebecq-islam_b_6427792.html https://www.agoravox.tv/actualites/societe/article/houellebecq-soumission-un-livre-48325 https://www.francetvinfo.fr/culture/houellebecq/houellebecq-les-ingredients-d-une- polemique_789327.html http://www.alterinfo.net/Apres-le-suicide-de-Zemmour-la-soumission-de-Houellebecq_a108856.html 6
I. Les « Nouveaux Réactionnaires » En France, il a toujours existé une culture des intellectuels, dans laquelle des écrivains, des philosophes et des journalistes criaient à l’injustice, critiquaient l’ordre établi et ne craignaient pas de donner leur avis. Victor Hugo défiait l’exil, Émile Zola écrivait son manifeste J’accuse et Jean-Paul Sartre soutenait les insoumis. Ces intellectuels jouaient un grand rôle dans le débat public. Mais, les temps ont changé, selon Maschino (2002). Ce n’est plus nécessaire d’écrire un chef-d’œuvre pour être considéré comme « intellectuel », parce qu’un intellectuel ne se définit plus par son travail, mais par sa visibilité : Cit. 1. 1. (…) il ne s’agit plus d’écrire les livres les plus substantiels, les plus profonds, pour être reconnu comme intellectuel, mais d’être le plus visible possible, le plus souvent présent à l’écran, à l’antenne et à la « une » des gazettes. Maschino, 2002 Un nouveau type des intellectuels qui ne se définissent pas forcément par son travail, mais par sa visibilité, sont les soi-disant « nouveaux réactionnaires ». 1. 1. La naissance des « nouveaux réactionnaires » Au début du 21e siècle, il naît un nouveau mouvement dont les « membres » sont appelés « les nouveaux réactionnaires ». Cette dénomination paraît pour la première fois en 2002 dans un bref pamphlet de Daniel Lindenberg intitulé Le Rappel à l’ordre: Enquête sur les nouveaux réactionnaires.3 Dans ce livre, Lindenberg expose les thèmes principaux des « nouveaux réactionnaires » et les causes historiques du développement de ce mouvement. L’ouvrage a reçu beaucoup de critique, 3 Lindenberg publiait ce livre en 2002, il le republiait en 2016, pourvu d’une postface. 7
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » surtout des personnes concernées4. Michel Houellebecq a écrit par exemple dans Le Figaro en concernant l’ouvrage de Lindenberg : Cit. 1. 2. L'épisode le plus significatif, et sans doute le plus lourd de conséquences, de la période qui s'ouvre, est sans doute l'affaire des nouveaux réactionnaires, déjà abondamment relatée par les gazettes. L'ouvrage, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a guère été loué. Houellebecq, 20035 En plus, selon Houellebecq, un effet secondaire involontaire de ce pamphlet est que les « nouveaux réactionnaires » ont maintenant la possibilité de se regrouper : Cit. 1. 3. Rappelons qu'il y a quelques mois, les « nouveaux réactionnaires » étaient si faibles, si fantomatiques et surtout si mal organisés qu'ils n'avaient même pas été capables de mettre sur pied un soutien correct à la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Ce mince opuscule aura eu pour effet de resserrer leurs rangs, de leur faire prendre conscience qu'ils avaient de leur côté l'intelligence et le talent, et d'en faire sans qu'ils l'aient cherché la première force intellectuelle du pays. Houellebecq, 2003 Le terme « nouveaux réactionnaires » a été inventé par Lindenberg. Il les appelle « réactionnaires », parce qu’ils réagissent à une situation contemporaine qu’ils jugent détestable, pour se tourner vers le passé et des traditions perdues. L’adjectif « nouveaux » a un double sens. D’une part, Lindenberg utilise le terme « nouveau », parce qu’auparavant ils n’étaient pas réactionnaires, mais plutôt progressistes ou utopistes. Brusquement, ils pensent qu’il faut se tourner vers le passé et pas vers l’avenir pour trouver des solutions6. Par exemple, le journaliste Michel Audétat remarque dans son article que le philosophe André Glucksmann s’orientait auparavant vers le maoïsme avant d’appeler à voter pour Nicolas Sarkozy et l’historien Marcel Gauchet avait été un acteur enthousiaste de Mai 68 avant d’être accusé de sexisme et d’homophobie en 2012 (Audétat, 2016). Audétat écrit également que le label « néo-réactionnaire » s’applique aussi à des gens qui semblent avoir été de droite dès le berceau. Et à d’autres qui, malgré cette étiquette, persistent à se dire de gauche (par 4 Voire le chapitre ‘Novembre 2002-Janvier 2003 : l’affaire Lindenberg’, Durand, Sindaco (2015-2) pour un résumé de cette critique. 5 Voire Houellebecq, M., « L'homme de gauche est mal parti », Le Figaro, 6 janvier 2003. 6 Voire l’interview de Thierry Ardisson dans INA Talkshows, url : https://www.youtube.com/watch?v=kmpW3tYL4Nc; consulté : le 12 octobre. 8
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » exemple l’essayiste Pascal Bruckner) (Audétat, 2016). D’autre part, les « nouveaux réactionnaires » ne réfèrent plus à la Révolution française comme événement fondamental, mais à une autre révolution plus récente, à savoir la révolution culturelle de Mai 68 (Durand, Sindaco, 2015-2). Donc, le terme « nouveaux réactionnaire » ne désigne pas nécessairement une certaine préférence politique. Lindenberg (2016 : 9) estime également que les « nouveaux réactionnaires » ne forment pas de mouvement structuré avec ses manifestes et ses écoles et ses querelles d’école. Il n’y a pas non plus un « chef d’orchestre ». Selon Lindenberg (2016 : 13) le courant se caractérise par des oxymorons: Les nouveaux réactionnaires sont « conservateurs révolutionnaires », « traditionalistes subversifs » et « démocrates autoritaires ». Néanmoins, en essayant de structurer ce groupe divers, Sapiro (2015) a fait une division. Selon elle, « les nouveaux réactionnaires » peuvent être divisés en trois groupes: les polémistes, les notables et les esthètes (Sapiro, 2015 29-36). Les polémistes sont en général des journalistes, qui avec le journalisme ont trouvé un moyen d’entrer dans deux mondes, à savoir le monde littéraire et le monde politique. Le pamphlet est un genre favori des polémistes. Sapiro compte parmi les polémistes Éric Zemmour, Éric Naulleau (ancien professeur de lettres, éditeur, essayiste et traducteur) et Philippe Muray (philosophe, essayiste et romancier) à cause de son choix de la forme pamphlétaire (Sapiro, 2015 : 40-41). Les notables sont des écrivains, des essayistes, des « peintres des mœurs de la bourgeoisie de province » ou des « satiristes des mœurs » et sont rarement des journalistes. Ce sont par exemple les membres de l’Académie Française et de l’Académie Goncourt, comme par exemple le philosophe Alain Finkielkraut. Finalement, les esthètes, au contraire des polémistes, dissocient la littérature et la politique selon les principes de l’art pour l’art. Le jugement esthétique influence tous les domaines de leur vie. Selon Sapiro, on peut classer parmi les esthètes les auteurs Michel Houellebecq, Renaud Camus et Richard Millet (Sapiro, 2015 : 40-42). 1. 2. La diversité des « nouveaux réactionnaires » Les « nouveaux réactionnaires » ne se présentent donc pas comme un collectif. Selon Durand et Sapiro, les « nouveaux réactionnaires » ont seulement en commun qu’ils se représentent comme des « esprits libres », qui résistent à toute agrégation collective et, avec une détermination particulière, à toute forme d’assignation sociologique (Durand, Sindaco, 2015 : 11). 9
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » Ce sont plutôt des individus hétéroclites qui réagissent plus ou moins aux mêmes problèmes dans la société d’aujourd’hui.7 De ce fait, la première difficulté en appréhendant le phénomène « nouveau réactionnaire », c’est la très grande diversité des profils présentés par les personnalités (Éric Zemmour, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut etc.) réunies. Ils ne sont pas seulement actifs dans des domaines divers (la littérature, la philosophie, le journalisme, la politique, les sciences humaines, l’histoire de l’art, le droit), mais ils expriment leurs idées d’une manière différente aussi (romans, articles, chroniques, essais, recueils d’entretiens, formes multiples d’intervention publique). Certains d’entre eux attirent l’intérêt des médias, ils paraissent à la télévision ou sur You Tube (par exemple le journaliste Élizabeth Lévy), d’autres publient des articles dans les journaux ou sur internet (par exemple le philosophe Jean-Claude Michéa). Finalement, ils diffèrent surtout par leurs positionnements politiques : de droite sans complexe ou « pas de gauche », apolitiques ou libertaires, de gauche sociale ou même de gauche extrême (Durand, Sindaco, 2015 : 12). Ainsi, la question se pose de savoir s’il est convenable de faire une liste de ces individus complètement différents et de les grouper sous un dénominateur commun. Durand et Sindaco répondent à cette question dans une interview dans Le Figaro : Cit. 1. 4. Il n'en est pas moins clair que l'une des difficultés majeures est la très grande diversité des profils rassemblés sous celle-ci. Diversité des positionnements politiques. Diversité des trajectoires suivies, des genres pratiqués, des statuts occupés. Diversité, aussi bien, des niveaux de qualité esthétique et intellectuelle. Notre démarche collective a été non seulement de procéder par études de cas pour faire droit aux singularités, mais parallèlement de dessiner le portrait de ce que nous appellerions volontiers le « personnage collectif » des « nouveaux réactionnaires », c'est-à-dire l'idéal-type qui se dégage du recoupement de ces individualités. Devecchio, 2015 7C’est pourquoi il faut être prudent d’utiliser ce terme. Dans ce mémoire, j’emprunterai l’exemple donné par Durand et Sindaco (2015) en écrivant le terme entre guillemets. 10
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » 1. 3. Les thèmes communs des « nouveaux réactionnaires » Alors que les « nouveaux réactionnaires » ne se présentent pas comme un groupe, ils ont quand- même des idées pareilles sur les causes qui font diminuer la position et l’influence françaises dans le monde. Selon Lindenberg le discours des « nouveaux réactionnaires » porte sur les thèmes communs suivants : Cit. 1. 5. On y retrouve d’ailleurs toutes les antiennes du pessimisme culturel remises au goût du jour, mais aussi des thématiques plus originales. Nous avons été abreuvés ces derniers temps par « l’instruction » concomitante du procès de Mai 68, du procès de l’islam (le plus « tendance »), du procès de la culture de masse, de l’antiracisme, voire l’antifascisme. Lindenberg, 2016 : 18-19 Le premier chapitre de son livre Le rappel à l’ordre (intitulé « La levée des tabous ») traite ces différents procès. Lindenberg le divise en huit paragraphes, et traite successivement le procès de la culture de masse (1), de la liberté des mœurs (2), des intellectuels (3), de Mai 68 (4), du « droit-de- l’hommisme » (5), de la société « métissée » (6), de l’islam (7) et de l’égalité (8). Dans leurs discours sur ces thèmes, les « nouveaux réactionnaires » ne mâchent pas leurs mots et lèvent les tabous. Ainsi, ils se reconnaissent moins par leur argumentation que par leurs passions et par leurs aversions. Dans l’interview avec Devecchio (2015), Durand et Sindaco nomment aussi certains thèmes que les « nouveaux réactionnaires » ont en commun : Cit. 1. 6. Des thèmes largement partagés sur fond de rumination du « déclin » et de défiance plus ou moins sarcastique à l'égard des valeurs progressistes (ou « néo-progressistes ») : la France et l'identité française (menacées par le multiculturalisme), l'École républicaine (menacée par le pédagogisme), la laïcité (envisagée comme élément d'un patrimoine national plutôt que comme principe juridique), l'éloignement des « élites » politiques et sociales à l'égard des réalités vécues par la « France d'en bas », etc. Elles ajoutent que c’est surtout la manière dont ces idées et ces soucis sont communiqués au public, qui unifie les « nouveaux réactionnaires » : Cit. 1. 7. Mais surtout, il y a la manière dont ces problématiques brassées dans l'air politique et médiatique du temps sont véhiculées : avec bien entendu des modulations diverses, on 11
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » retrouve chez tous la posture typique du pamphlétaire, porteur seul contre tous d'une vérité aveuglante, avec une rhétorique volontiers catastrophiste, mêlant pathos et provocation. Devecchio, 2015 1. 3. 1. Les procès selon Lindenberg L’annus horribilis (1968) est la cause de tous les problèmes selon les « nouveaux réactionnaires ». Ils n’ont jamais accepté le « libéralisme culturel », qui en est le résultat. Les « nouveaux réactionnaires » dénoncent la liberté des mœurs qui est le résultat de Mai 68, et surtout la libération de la morale sexuelle et de l’antique division inégalitaire entre les sexes (Lindenberg, 2016 : 21-23). Les « nouveaux réactionnaires » critiquent également la culture de masse et la « massification ». Lindenberg (2016 : 21) explique ce terme « massification », qui exprime l’entrée des « masses » où elles n’ont rien à faire. Cette massification est illustrée par exemple par le tourisme de masse dans Plateforme de Houellebecq, dans lequel le tourisme est utilisé comme métaphore de la décadence contemporaine. L’écrivain Philippe Muray voit dans cette décadence contemporaine une société de la « festivisation » générale qui s'est développée après Mai 68. Selon lui, la fête est une métaphore qui permet de comprendre la société actuelle (Garbit, 2014). Selon Lindenberg (2016 : 22) la conclusion, explicite chez un Houellebecq ou un Dantec8, c’est qu’il faut un nouveau « pouvoir spirituel » qui chassera les marchands du Temple et refera du savoir et de la culture un sacerdoce. La peur de la perte de l’identité française est à la base de la critique sur le droit-de-l’hommisme, de la société métissée et de l’islamophobie. Le droit-de-l’hommisme est considéré comme une invention américaine, dont le but est de détruire l’identité culturelle des peuples (Lindenberg, 2016 : 34). Une autre menace pour l’identité française est la société métissée, qui est beaucoup critiquée par les « nouveaux réactionnaires » (Lindenberg 2016 : 35-37). Très lié à ce sujet est l’islamophobie. Dans son article ‘Le magicien et le réactionnaire à propos des « Dissidents de l’islam »’ Brahimi (2015) décrit les événements qui ont causé cette islamophobie. Depuis les années 1980-1990 les débats politiques sur l’islam ont bénéficié d’impulsions fortes dues à des événements politiques en lien avec le monde musulman: la révolution iranienne (1979), la guerre du Golfe (1990-1991) et la crise algérienne (1993-1999). Puis, les attaques du 11 septembre 2001 ont 8Écrivain canadien, qui a suscité la controverse entre-autres à cause de sa sympathie pour les idéaux du mouvement extrême-droite Le Bloc identitaire. 12
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » aggravé la critique sur l’islam.9 Brahimi (2015 : 201) parle d’une nouvelle critique de l’islam, qui est basée sur une vision d’un islam intrinsèquement opposé aux valeurs occidentales, comme la démocratie, la laïcité et l’égalité homme-femme. De plus, l’islam est représenté comme hermétique à toute interaction avec les autres cultures. Cette vision renvoie selon Brahimi à une perception de l’islam beaucoup plus fantasmée que réaliste (Brahimi, 2015 : 201). C’est une vision répandue parmi les « nouveaux réactionnaires ». Lindenberg publia son essai en 2002, mais les thèmes mentionnés sont toujours actuels en 2015. Selon Durand et Sindaco, les « nouveaux réactionnaires » exposent toujours les mêmes thèmes : Cit. 1. 8. Les années qui ont suivi jusqu’à nos jours n’ont fait que confirmer l’implantation de ces thèmes dans le paysage idéologique avec des effets tache d’huile assez significatifs, sur fond de désenchantement démocratique et de pathos du « déclin » : la promotion d’une laïcité envisagée non plus comme principe juridique, mais comme patrimoine à préserver ; la défense de l’identité française d’abord, européenne ensuite, occidentale plus largement, contre la montée en puissance d’un islam radical et l’échec en fait d’intégration des populations nouvellement immigrées ; les lamentos offensifs relatifs à la disparition de l’école républicaine et de l’idéal méritocratique dont elle était porteuse, au profit de la discrimination positive et d’un pédagogisme démagogique ; la résurgence d’un vieil antiaméricanisme, jusque chez des intellectuels volontiers atlantistes, avec charges à répétition contre l’individualisme libéral contemporain, seul horizon d’une société ayant évacué les grandes transcendances verticales au profit de l’horizontalité indéfinie des droits individuels. Durand, Sindaco, 2015 : 13-14 Dans la postface du Rappel à l’ordre, Lindenberg écrit que le paysage a subi des modifications. Selon lui, la dynamique qu’il avait décrite en 2002 s’est même considérablement renforcée (Lindenberg 2016 : 100). 9 Les attentats terroristes en 2015 ont certainement aggraver la critique et la peur. 13
LES « NOUVEAUX RÉACTIONNAIRES » 1. 4. Le succès des « nouveaux réactionnaires » Reste à savoir comment les « nouveaux réactionnaires » sont devenus si populaires chez une partie de la société. Premièrement, c’est parce qu’ils donnent une voix au peuple qui est ignoré par la politique et l’élite actuelle. Cette élite se serait éloignée des préoccupations et des valeurs « authentiques » de ce « peuple » (Devecchio, 2015). En outre, le tournant libéral de la gauche de gouvernement sous la présidence de Mitterand à partir des années 1980, a ouvert les vannes à différentes formes de protestation et de radicalisation. L’absence des grandes voix à gauche offraient la possibilité de remplir ce vide, ce que les « nouveaux réactionnaires » ont fait. Troisièmement, les médias de masse ont changé avec l’augmentation des médias sociaux. Sur ces plateaux la provocation et les conflits attirent beaucoup d’attention (Devecchio, 2015). Meizoz, professeur associé à l’Université de Lausanne et écrivain, indique dans un article dans Le Matin que le ton du débat dans les médias a changé : Cit. 1. 9. Il existe aujourd’hui dans les médias une forte demande de « parler vrai », de dire les choses « telles qu’elles sont », afin de nourrir des débats trop souvent binaires. A cet égard, les « néo-réactionnaires10 » sont de bons clients. Ils parlent bien, fort, et provoquent des esclandres en prétendant combattre la pensée unique. Meizoz, 2016 : 21 Un des « nouveaux réactionnaires » utilisant les médias comme décrit ci-dessus est Éric Zemmour. Ce polémiste (selon Sapiro, 2015 : 40) et écrivain a beaucoup de succès en France. On a vendu de son dernier livre Le Suicide Français près de 300.000 exemplaires. Dans les chapitres suivants ses idées seront élaborées et comparées avec celles exprimées dans Soumission de Michel Houellebecq. 10 Dans la littérature on trouve également les termes « néo-réactionnaires » et les « néo-réacs » pour dénoncer « les nouveaux réactionnaires » : https://listesocius.hypotheses.org/4285, consulté: 19-06-2018. 14
II. Le ménage traditionnel Un père, c’est la loi avec un L majuscule Zemmour, 200911 Cette citation montre que le père joue un rôle très important dans la famille et dans la société, selon Éric Zemmour. Dans son livre Le Suicide Français, il explique que ce père important est mort aujourd’hui. À cause de l’individualisme et du féminisme, le ménage traditionnel est en train de disparaître. Dans Soumission la déchéance du ménage est également décrite. Par contre, les causes de cette déchéance ne sont pas les mêmes dans les deux livres. 2. 1. Le féminisme Zemmour fait comprendre que l’institution sainte de la famille, qui est selon lui la clé de voûte de la société, a considérablement changé. Il trouve que ce changement ne fut pas une amélioration. Zemmour signale que l’homme perd son rôle masculin dans la famille. La mort du père12 est un thème important dans le livre de Zemmour. Le Suicide Français commence par la mort de Charles de Gaulle, selon Zemmour le « père de la France ». Dans son livre, la mort du père est une métaphore. Depuis les années 1970, l’homme a perdu son influence, car après un pouvoir patriarcal (l’État, l’Église, le père), un État maternel est né (Zemmour, 2014 : 343). Le développement de l’individualisme et de l’hédonisme a fait tomber les valeurs patriotiques, familiales et collectives (Zemmour, 2014 : 134). « L’homme est mort, vive la femme! », ce slogan exprime la crainte de 11Source : cote-famille.com/eric-zemmour-le-pere-c-est-la-loi-avec-un-l-majuscule/, consulté : 11-08-2019. 12La mort de père de François peut être considérée comme un métaphore de cette perte de l’influence masculine aussi. Par contre, dans Soumission il « naît » un nouveau père, Ben Abbes, qui à la page 158 est comparé avec Charles de Gaulle. D’autres commentaires ont comparé Ben Abbes avec Pétain, comme si on est dans la France occupée en 1940 ; Morrey, 2018: 209. 15
LE MÉNAGE TRADITIONNEL Zemmour, comme perspectives d’avenir. La femme est l’avenir de l’homme et en conséquence la France se suicide (Zemmour, 2014 : 136). Selon lui, l’homme blanc et hétérosexuel en est la victime : Cit. 2. 1. Vincent, François, Paul et les autres incarnent le « mâle blanc hétérosexuel » à son crépuscule. Bientôt, des armées de Lilliputiens – féministes, militants gay, et combattants de la décolonisation – abattront sa statue pour danser au milieu des ruines, sans être capable d’en bâtir une autre, pour le plaisir nihiliste de contempler le reflet des flammes, auxquels Vincent, François, Paul et les autres allumeront leurs derniers cigares. Zemmour, 2014 : 135 Quelques développements dans les années ’70, et notamment après la révolution de Mai 68, ont causé ce changement13. Premièrement, le féminisme naissant a joué un grand rôle. À cause de l’émancipation de la femme, l’homme a perdu son rôle principal dans la famille. D’ailleurs, le féminisme faisait en sorte que les divorces ont été de plus en plus acceptés en France. Selon Zemmour, le plus fort c’est que ce sont surtout les femmes (80%) qui demandent le divorce. Elles seraient même applaudies par les organisations féministes sous le couvert de la liberté de la femme : finalement, les femmes pourraient se libérer des « chaînes du mariage » et n’étaient plus dépendantes de leurs époux. De ce fait, elles ne se marient plus pour des raisons pragmatiques, mais plutôt par amour14. Zemmour estime que ces nouveaux mariages engendrent des divorces, quand l’amour disparaît (Zemmour, 2014 : 100-101) : Cit. 2. 2. Les femmes sont à la pointe de cette révolution; elles poussent au mariage d’amour, et veulent pouvoir « refaire leur vie » quand l’amour s’éloigne ; elles demandent le divorce quand leurs époux les trahit ou qu’elles ont trouvé une nouvelle âme sœur. Ce n’est pas un homme, mais l’amour qu’elles aiment. Zemmour, 2014 : 101 Donc, le mariage devient de moins en moins une liaison fixe. En outre, il écrit que les raisons de se divorcer ont changé. Autrefois, les femmes acceptaient que leurs hommes les trompent, aujourd’hui c’est une bonne raison de demander le divorce. Selon Zemmour, ce changement n’a pas seulement 13 Par contre, comme on verra au paragraphe 4.2, le fait que l’homme perd son rôle masculin n’est pas considéré comme un grand problème dans Soumission. François ne considère pas l’autonomie forcement comme une bonne chose. 14 Dans Soumission le nouveau régime de Ben Abbes favorise également le retour du mariage de raison au lieu du mariage d’amour, comme est suggéré par l’introduction d’essai de Daniel Da Silva, décrit dans Soumission (p. 203). 16
LE MÉNAGE TRADITIONNEL des conséquences pour le bien-être social, mais aussi pour la prospérité financière de la famille. De ce fait, l’augmentation des divorces pose également des problèmes pour l’économie française (Zemmour, 2014 : 103-105). Dans le cas d’un divorce, c’est l’homme qui a le dessous : « son rôle de père est nié, détruit » (Zemmour, 2014 : 105). Aujourd’hui, les femmes émancipées qui travaillent, exigent que les hommes aident à faire le ménage. Zemmour écrit que les hommes deviennent comme les femmes : Puisque les femmes n’avaient pas réussi à devenir des hommes comme les autres, il fallait que les hommes devinssent des femmes comme les autres. (Zemmour, 2014 : 354). Selon Zemmour, au lieu du père, la mère est à la tête de la famille : Le père, déchu de sa puissance paternelle, se sent dépouillé de sa légitimité. Il se retrouve à l’égalité avec sa progéniture, tous également soumis à la mère régente (Zemmour, 2014 : 134). En ce qui concerne le mariage, Zemmour a des idées assez traditionnelles. Selon lui, une « famille » recomposée est un oxymoron (2014 : 107) et le mariage homosexuel n’est qu’une parodie d’un « vrai » mariage, entre un homme et une femme. C’est qu’avoir des enfants, le but principal du mariage, est impossible entre deux hommes ou deux femmes : Cit. 2. 3. Un mariage homosexuel ne peut être qu’une simulation parodique, puisqu’il faut quand- même un homme et une femme pour fabriquer un enfant et fonder cette famille, principal objectif du mariage. Zemmour, 2014 : 267 Zemmour indique que ce n’est pas seulement le féminisme qui cause l’instabilité du mariage. Ces changements sont déclenchés également par l’apparition de la liberté sexuelle dans les années ’70: Cit. 2. 4. Les années 1970 avaient tout bouleversé. Le sexe était un jeu, un plaisir; il devenait une identité. Le mariage n’était plus une institution mais une histoire d’amour. Zemmour, 2014 : 266 À cause de ces événements, le mariage est devenu un « contrat à durée déterminée » et est inspiré par le désir (Zemmour, 2014 : 267). Dans Soumission l’émancipation de la femme est un thème important aussi. À première vue, François (le protagoniste et narrateur dans Soumission) semble exprimer les mêmes idées concernant 17
LE MÉNAGE TRADITIONNEL l’émancipation dans Soumission que Zemmour dans Le Suicide Français. Comme le montre la citation suivante : Cit. 2. 5. En réalité je n’ai jamais été persuadé que ce soit une si bonne idée que les femmes puissent voter, suivre les mêmes études que les hommes, accéder aux mêmes professions, etc. Enfin on s’y est habitués, mais est-ce que c’est une bonne idée, au fond ? » Soumission, p. 41 La question montre que François n’est pas si certain que cela que l’émancipation de la femme soit un bon développement. Il n’est pas pour le patriarcat (comme Zemmour), mais il ajoute qu’il n’est pour rien du tout15 et que le patriarcat avait le mérite minimum d’exister, parce qu’il persévérait dans son être : « il y avait des familles avec des enfants, qui reproduisaient en gros le même schéma » (p. 41). Par contre, son amie Myriam16, une étudiante et une femme émancipée le contredit. Elle demande ce qu’on fait d’elle quand le patriarcat est la seule formule viable, étant une femme émancipée, qui a fait des études et qui se considère égale aux hommes en ce qui concerne sa capacité de réflexion et de décision. « Je suis bonne à jeter ? » demande-t-elle (p. 43-44). Selon François, la bonne réponse était probablement « Oui », mais il n’ose pas le dire. La scène dans laquelle François dîne chez son ami Bruno Desplandes illustre les problèmes causés par l’émancipation (p. 92-94). Pendant le dîner, François observe que le féminisme du 21e siècle ne fonctionne pas. Annelise, la femme de Bruno, est crevée à la fin de la semaine à cause de son travail. Elle n’arrive pas à préparer un dîner et il faut même que François l’aide. En pensant à ce couple, François estime « qu’ils étaient certainement divorcés maintenant, c’est ainsi que ça passait de nos jours » (p. 94). Contrairement à Zemmour, la scène dans Soumis sion ne montre pas que la femme est « la mère régente » qui soumet « le père ». C’est toujours Annelise qui fait la cuisine, sans aide de son mari qui s’enivre, alors qu’elle est crevée et a travaillé toute la journée (p. 92-93). Elle veut être la femme au foyer parfaite, qui sait cuisiner « un dîner presque parfait », comme elle l’a vu sur la télévision (p. 92), mais elle n’y arrive pas à cause de son travail. Zemmour reconnaît également ce problème. Il écrit que les femmes essayent de concilier l’inconciliable, à savoir la vie familiale et la vie professionnelle. De ce fait, leur existence devient « une acrobatie permanente » (Zemmour, 2014 : 353). 15En ce qui concerne l’indifférence de François et les intellectuels en général, voir par. 4.2. 16Le nom Miriam fait référence au féminisme. La figure juive Myriam est la première prophétesse de la Bible hébraïque et elle est populaire auprès des féministes juives. 18
LE MÉNAGE TRADITIONNEL Un autre désavantage mentionné de la femme qui travaille, selon François, est qu’elle devient moins attirante pour son mari. Au contraire de Zemmour, François pense c’est à cause du manque de désir que les mariages ne fonctionnent pas, comme le montre la citation 2.6. François remarque que la femme qui travaille s’habille bien pour le travail, mais quand elle rentre à la maison elle change en vêtements confortables et pas très seyants. L’homme, « le seigneur et maître » comme François l’appelle, a le dessous et en même temps la femme ne profite pas de cette nouvelle répartition des rôles non plus : Cit. 2. 6. C’est ainsi qu’elle se présentait devant son seigneur et maître et il devait avoir, il devait nécessairement avoir la sensation de s’être fait baiser quelque part, et elle- même avait la sensation de s’être fait baiser quelque part, et que ça n’allait pas s’arranger avec les années, les enfants qui allaient grandir et les responsabilités professionnelles qui allaient comme mécaniquement augmenter, sans même tenir compte de l’affaissement des chairs. Soumission, p. 94 Donc, ce n’est pas la faute des femmes que les mariages se terminent par un divorce, comme Zemmour l’écrit. Dans Soumission il est argumenté que c’est à cause de la répartition des tâches. La femme doit être une femme au foyer, mère, maîtresse et carriériste en même temps. Une femme comme Annelise, qui représente les autres femmes occidentales (p. 93) n’y arrive pas. Donc, le mariage de Bruno Desplandes est un exemple d’un mariage moderne, qui ne fonctionne pas. Cependant, il y a des femmes qui sont capables de remplir plusieurs rôles, comme le personnage Marie-Françoise Tanneur, professeur à l’université et collègue de François. Elle montre que c’est possible d’être une professeur à l’université et de s’occuper du dîner en même temps (p. 151). C’est que, quand François dîne chez-elle elle s’avère être une très bonne cuisinière et maîtresse de maison. Courteau a également analysé cette scène. Il signale qu’il y a une description étendue de la tâche de l’épouse. Selon lui, cette description sape l’effet de nouveauté de réformes politiques de Ben Abbes, et montre que la sujétion des femmes à l’homme est banale et fait partie du quotidien des Français (Courteau, 2015 : 85). Par contre, Courteau ne mentionne pas que Marie-Françoise est une femme émancipée aussi. Elle ne se soumet pas aux hommes, elle prépare simplement le dîner et est capable donc de remplir plusieurs rôles. Courteau (2015) montre dans son article La France inchangée que l’islam dans Soumission est la suite logique de la civilisation française, en étant la solution d’affirmer et de légitimer les désirs 19
LE MÉNAGE TRADITIONNEL françaises17. Il note que dans Soumission c’est la femme crevée qui est la cause de l’échec du mariage : Cit. 2. 7. La frustration majeure de la France, ce n’est pas tant de vivre au milieu des tentations, qui impliquent un refoulement obligatoire des pulsions : c’est bien plutôt la vie « en ménage », où la femme, d’objet de désir se transforme en corps mou et fatigué, qui signe l’échec de la vie de couple occidentale. Aussi, tout ce qu’il reste à l’homme ordinaire, ce sont ces tentations publiques (…). Courteau, 2015 : 82 Quand la Fraternité Musulmane gagne les élections, les anciens rôles sont rétablis. Le nouveau régime de Ben Abbes, le dirigeant de la partie politique Fraternité Musulmane, permet aux hommes de reprendre leur rôle de pater familias, qui s’occupe de la famille. À l’école les filles seront encouragées de devenir des femmes au foyer. De ce fait, la position de la femme change en France18. On verra que dans le nouveau régime de Ben Abbes les femmes disparaissent de l’université. Cependant, François remarque que ce n’est pas un bon développement. Par exemple, une réception à l’université n’est pas un succès à cause de l’absence des femmes (p. 235). Donc, François se rend compte que les femmes au foyer, qui restent à la maison, sont une désillusion. Il a besoin de converser avec des femmes pour s’amuser. Un des plus grands changements introduit par Ben Abbes, est la législation de la polygamie. En ce qui concerne le mariage polygame, François a des idées assez ambivalentes. D’une part, il pense que la polygamie pourrait être une solution possible. Dans le mariage polygame les femmes rempliront des fonctions différentes, ce qui permet à l’homme d’avoir la relation idéale : Cit. 2. 8. (…) une épouse de quarante ans pour la cuisine, une de quinze ans pour d’autres choses… Soumission, p. 262 17L’idée que l’islam représente la réalisation des désirs cachés de l’Occident reviendra au paragraphe 3.3. 18Dans son article ‘Soumission de Houellebecq : le droit à l’irresponsabilité ?’, Léger écrit que dans le nouveau régime de Ben Abbes, le plan collectif et la promotion de la cellule familiale devient la garantie d’une démographie florissante et d’une économie relancée par le retour des femmes au foyer. Dans ce régime, les femmes quittent leurs travaux et retournent à la maison grâce à la revalorisation considérable des allocations familiales. Pour cette raison, il y a moins d’hommes au chômage. Selon Léger, on retrouve là de forts accents schopenhaueriens, où l’espèce humaine est mue par la nécessité de sa reproduction (Léger, 2015 : 43). 20
LE MÉNAGE TRADITIONNEL En même temps, cette citation montre que l’émancipation de la femme a mené à une situation grotesque (voir aussi par. 3.2) et à une dystopie, dans laquelle le mariage avec une fille de quinze ans est devenue la solution pour satisfaire le désir sexuel des hommes. D’autre part, François trouve que seulement une relation de type conjugal peut directement, et réellement, faire sens (voir cit. 2.16). Il mentionne Platon qui dans son œuvre Symposion donne la parole à Aristophanes sur l’amour. Selon Aristophanes l’homme doit trouver sa seule autre moitié. Donc, en mentionnant Platon, François critique la polygamie aussi. Zemmour par contre, alors qu’il a des idées traditionnelles sur le mariage, trouve que l'adultère des hommes est acceptable (voir aussi par. 3.2). De ce fait, il semble approuver la polygamie, parce qu’il approuve le fait que l’homme a une relation avec plusieurs femmes. 2. 2. Individualisme Une raison pour la déchéance du ménage selon Zemmour est l’individualisme. La société est devenue plus individualiste et de ce fait la famille n’est plus estimée à sa juste valeur. Les mœurs de la société ont changé radicalement : Cit. 2. 9. La liberté et l’épanouissement personnel sont préférés à la stabilité de la famille; l’égoïsme individuel des adultes est préféré à l’équilibre psychologique des enfants ; le bovarysme féminin est sanctifié comme valeur suprême des rapports entre les sexes. Zemmour, 2014 : 103 Dans Soumission, François remarque également que le ménage est en train de disparaître. À Paris les ménages sont généralement réduits à une ou deux personnes et de plus en plus souvent à une (p. 206). Donc, les Français deviennent de plus en plus individualistes et seuls. François lui-même mène une vie individualiste aussi. Il est solitaire et en souffre. Par exemple, il craint qu’il ne trouvera jamais plus d’autre femme après le départ de Myriam et restera seule toute sa vie19 (p. 50)20. Justement dans le monde d’aujourd‘hui, où l’individualisme (arrogant et nihiliste) prend le dessus, Zemmour craint que l’islam puisse s’y imposer : 19 Léger remarque dans Soumission l’accent sur le plan collectif et que la promotion de la cellule familiale devient la garantie d’une démographie florissante et d’une économie relancée par le retour des femmes au foyer. Selon Léger, on retrouve là de forts accents schopenhaueriens, où l’espèce humaine est mue par la nécessité de sa reproduction ; Léger, 2015 : 43. 20 Dans le paragraphe suivant, la solitude et l’individualisme de François est plus expliquée. 21
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