UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT

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UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
Rev. Sc. Env. Univ., Lomé (Togo), 2012, n° 009   ISSN 1812-1403

              UNIVERSITE DE LOME
      SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT

                           PRESSES DE L’UL
Neuvième Numéro              Lomé, 2012          Décembre 2012
UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
Directeur de publication : Prof. Thiou Tanzidani Komlan TCHAMIE,
Université de Lomé, Togo.

Rédacteur en Chef : Lalle Richard LARE, Maître de Conférences,
Université de Lomé

Secrétariat de publication : Aklesso MOUZOU, Bawoubadi Edem
SABI, Ataféi PEWISSI, Wiyao POUTOULI, Amah-Edih KOUYA,
Atiyihwè AWESSO, Tchaa BOUKPESSI, Abdourazakou ALASSANE,
Minkilibe DJANGBEDJA, Paroussiè Wiyao TAKOU, Atina
BADAMELI, Faya LEMOU, Jean-Bosco VODOUNOU.

Comité Scientifique :
Firmin ADJOHOSSOU (Cotonou, Bénin) ; Pascal AFFATON
(Marseille, France) ; Abel AFOUDA (Cotonou, Bénin) ; Yao
AGBOSSOUMONDE (Lomé, Togo) ; Kodjo AKLIKOKOU (Lomé,
Togo) ; Koffi AKPAGANA (Lomé, Togo) ; Abdoul-Salam BÂ
(Bamako, Mali) ; Akpovi AKOEGNINOU (Cotonou, Bénin) ; Boureima
AMADOU (Niamey, Niger) Komlan BATAWILA (Lomé, Togo) ;;
Ibrahim BOUZOU-MOUSSA (Maradi, Niger) ; ; Napo Pierre ALI
(Lomé, Togo) ; Sabiba Kou’Santa AMOUZOU (Lomé, Togo) ; Moctar
BAWA (Lomé, Togo) ; Kossi S. M. BADAMELI (Kara, Togo) ; Michel
BOKO (Cotonou, Bénin) ; Essowè BOUWESSIDJAO (Lomé, Togo) ;
Kwami DIKENOU (Lomé, Togo) ; Gbandi DJANEYE-BOUNDJOU
(Lomé, Togo) ; Eustache GANTHA-BOKONO (Cotonou, Bénin) ;
Gnon BABA (Kara, Togo) ; Mawuéna Y. GUMEDZOE (Lomé, Togo) ;
Mensanvi GBEASSOR (Lomé, Togo) ; Atsu Koudzo GUELLY
(Lomé, Togo); Jean C. HOUNDAGBA (Cotonou, Bénin) ; Chrsitophe
HOUSSOU (Cotonou, Bénin) ; Koffi DJONDO (Lomé, Togo) ;
Kodjona KADANGA (Lomé, Togo) ; Fodouop KENGNE (Yaoundé,
Cameroun) ; Koffi KOBA (Lomé, Togo) ; Koffi KILI (Lomé, Togo) ;
Kouamé KOKOU (Lomé, Togo) ; Honoré K. KOUMAGLO (Lomé,
Togo) ; Kossi NAPO (Lomé, Togo) ; Abou Nappon (Ouagadougou,
Burkina-Faso) ; Komi KOSSI-TITRIKOU (Lomé, Togo) ; Lalle
Richard LARE (Lomé, Togo) ; Euloge OGOUWALE (Cotonou,
Bénin) ; Henri MOTCHO (Zinder, Niger) ; Messan Komla NUBUKPO
(Lomé, Togo) ; François de Charles OUEDRAOGO (Ouagadougou,
Burkina Faso) ; Georges ROSSI (Bordeaux, France) ; Mamadou SALL

                                                              2
UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
(Dakar, Sénégal) ; Komla SANDA (Lomé, Togo) ; Komlavi F.
SEDDOH (Paris, France) ; Komla Peter SEGBOR (Lomé, Togo) ;
N’Koué SIMPARA (Lomé, Togo) ; Brice SINSIN (Cotonou, Bénin) ;
Nestor SOKPON (Parakou, Bénin) ; Comlan de SOUZA (Lomé, Togo) ;
Thiou T. K. TCHAMIE (Lomé, Togo) ; Ben-Sikhina TOGUEBAYE
(Dakar, Sénégal) ; Adjima THIOMBIANO (Burkina-Faso) ; Koffi S.
TOZO (Lomé, Togo) ; Kpèrkouma WALA ; Urbain WENMENGA
(Ouagadougou, Burkina Faso) ; Théophile ZOHOUN (Cotonou,
Bénin) ; Tanga Pierre ZOUNGRANA (Ouagadougou, Burkina-Faso).

Comité de lecture : les lecteurs (referees) sont des scientifiques choisis
de par le monde selon les champs thématiques des articles.

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SOMMAIRE
1. «Typologie des principaux groupements végétaux des savanes
soudaniennes semi-arides au nord Togo» par Y. DEMAKOU, M.
DOURMA, S. AKPAVI, A. ATATO et T. T. K. TCHAMIE ................ 5
2. «Apports de la télédetection et des systèmes d’information
geographiques dans l’étude de la dynamique des paysages végétaux de
l’ouest de la Région des Plateaux au Togo» par P. W. TAKOU, T.
BOUKPESSI, M. DJANGBEDJA et A. MAMA ................................ 29
3. «Relation entre le niveau d’infestation d’un pâturage cultive et celui
des bovins par des tiques (ixodidae) à Lomé, Togo» par E. A. KULO, K.
ASSOGBA, W. PITALA et W. POUTOULI ..................................... 49
4. «Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez
les wodaabe suudu suka’el de Tanout» par S. BODE, B. AMADOU et
R. JAUBERT ..................................................................................... 61
5. «Dérèglement climatique et élevage dans la Région des Savanes à
l’extrême nord-Togo» par E. ADEWI................................................. 87
6. «Importance socio-économique et usages des ressources végétales du
bas delta de l’Ouéme (Bénin)» par B. J. ADJAKPA, A. AGBAKA, M.
TOLMAN, P. WEESIE et L. E. AKPO ........................................... 109
7. «Demande urbaine en bois de feu et nécessite d’une gestion
rationnelle des ressources ligneuses : cas de la ville de Parakou (nord-
Bénin)» par B. L. BIO BIGOU, J. ASSOUNI et G. BIAOU............. 127
8. «Enclave d’insalubrité au centre ville de Cotonou : cas de Zongo»
par T. VIGNINOU et M. MEHOU-LOKO ....................................... 147
9. «Les efforts de modernisation de l’agriculture dans la commune de
Djidja (Bénin) : portée et limites» par A. Y. TOHOZIN ................... 167

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Rev. Sc. Env. Univ., Lomé (Togo), 2012, n° 009                ISSN 1812-1403

 SYSTEME PASTORAL ET FONCTIONNEMENT DES UNITES
  DE PRODUCTION CHEZ LES WODAABE SUUDU SUKA’EL
                   DE TANOUT
                         Sambo BODE1, Boureima AMADOU1 et Ronald
                         JAUBERT2
                         1
                           Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger)
                         2
                          Institut de Géographie de l’Université de Lausanne
                         (Suisse)
Résumé
Le département de Tanout, situé au centre-Est du Niger, est une zone à
vocation agropastorale par excellence. Les pasteurs cohabitent avec des
populations sédentaires dont les agriculteurs qui ont une tenure foncière
forte. Ainsi, les populations peules Wodaabe partagent l’espace,
pourvoyeur de ressources pastorales, avec les autres groupes ethniques.
Cette situation a, dans une certaine mesure, contribué à rendre précaire
leur mobilité pastorale.
Chez les Wodaabe le pastoralisme est une activité économique liée
entièrement à l’exploitation du troupeau. Au cours de l’histoire et pour
faire face aux différents risques, le groupe a mis en place des instances
qui veillent à la fois au contrôle de leurs membres, à la sécurité de leurs
animaux, mais aussi à leur relation avec les autres acteurs. Les
Wodaabe, s’apparentent dès lors en un ensemble bien organisé
permettant la continuité de leur mode de production, malgré les
multiples contraintes auxquelles les membres du groupe doivent faire
face.
L’objectif de ce travail est d’analyser l’organisation sociale de la
mobilité des Wodaabe Suudu suka’el à travers le fonctionnement des
campements. Nous nous sommes interrogés sur les stratégies
développées par ce groupe pour sécuriser son mode de vie face au
changement climatique dans un nouveau contexte de décentralisation.
Notre méthodologie est essentiellement basée sur une collecte de
données à travers une approche géosocioanthropologique. Celle-ci allie
des méthodes qui font appel à la fois à la géographie, l’agronomie, la
sociologie et l’anthropologie. Le choix du groupe cible de l’étude a été
opéré, premièrement sur la base d’un critère de représentativité
géographique de l’ensemble du territoire habituel de parcours
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

(département de Tanout) et aussi sur les formes de mobilité typique du
groupe.
Les résultats rendent compte de l’agencement complexe mais flexible
des unités de production autour des campements et aussi d’une
dynamique du processus de socialisation du groupe d’éleveurs
Wadaabe. Dans cette société, les normes autour des valeurs de la
solidarité, d’entraide et de sens de l’intérêt collectif, cimentées par les
respects des règles du Pulaaku (code des valeurs sociales), sont autant
des facteurs qui permettent la vie de groupe. A chaque évènement
majeur, le groupe se réajuste et adapte sa tactique de mobilité dans un
espace compris entre la zone sahélo-saharienne et celle à dominante
agricole au Sud.
Mots-clés: pastoralisme, unités de production, Wodaabe, Tanout
(Niger).
Abstract
The department of Tanout, situated in the center east, of Niger, is an
outstanding agro-pastoral zone. Shepherds cohabit with the sedentary
populations of which agriculturists have a strong fundamental tenure. So
Wodaabes peuhl populations share the space, supplier of resources, with
the other ethnic groups. This situation has, to a certain extent,
contributed to make precarious their pastoral mobility.
With the Wodaabes pastoralism is an economic activity entirely based
on the exploitation of the herd. In the course of history and to face the
different risks the group set up institutions that control their members
and the security of their animals but also their relation with the other
actors. The Wodaabes are from this classified as a well organized group
permitting the continuity of their production mode, in spite of the
multiple constraints which the members of the group must cope.
The objective of this work is to analyze the social organization of the
mobility of the Wodaabe Suudu suka'el through the mechanism of the
camps. We examined strategies developed by this group to safeguard its
life style from the changes in a new context of decentralization.
Our methodology is essentially based on a collection of data through a
geo socio anthropologic approach. It allies methods that call upon at the
same time geography, agronomy, sociology and anthropology. The
                                                                        62
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                 Suka’El de Tanout
choice of the target group of the survey has been operated, first on the
basis of a criteria of geographical representativeness of the whole
territory usual itinerary circuit (department of Tanout) and also on types
of typical mobility of the group.
Results give account of the complex but flexible arrangement of the
production units around camps and also of a dynamics of the process of
socialization of the Wadaabe breeders group. In this society, norms
around the values of solidarity, of help and senses of the collective
interest, strengthened by the respects of the Pulaaku rules, are as many
factors that permit the life of the group. On every major event, the group
itself adjusts and adapts its tactics of mobility in a space between the
Sahelo-saharian zone and the one of agricultural dominance in the
south.
Key-words: pastoralism, production units, Wodaabe, Tanout (Niger).
INTRODUCTION
Au Niger, pays sahélien, le pastoralisme est une activité économique
liée entièrement à l’exploitation du troupeau, par l’utilisation extensive
ou intensive des ressources naturelles toujours aléatoires (Amadou,
1999). Il est également un système de production dans lequel des
hommes et des animaux vivent dans une relation «symbiotique»
(Bonfiglioli, 1988), à travers une exploitation libre de l’environnement.
L’éleveur, pasteur wodaabe, dans le Sud-Est du Niger, construit et
développe sa stratégie d’élevage autour de deux exigences liées d’une
part à la condition de vie quotidienne de sa famille et son enracinement
dans le groupe social, et de l’autre la survie de ses animaux, entièrement
dépendants de ses décisions. Le troupeau étant son principal moyen de
production, il lui consacre une grande part de ses efforts. Mais il accepte
aussi une part de risque en fonction des moyens dont il dispose et selon
ses choix (Toutain, 2001).
Les Suudu Suka’el, groupe pasteur nomade, de la lignée des peuls
Wordage, font l’objet de cette réflexion. Ces pasteurs, les derniers purs
nomades du Sahel, sont le résultat d’un certain nombre de migrations

                                                                                 63
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

successives qui les a conduits jusqu’au Damergou où ils semblent être
fixés.
Au cours de l’histoire et pour faire face aux différents risques, le groupe
a mis en place des instances qui s’occupent à la fois du contrôle de leurs
membres, de la sécurité de leurs animaux mais aussi de leur relation
avec les autres groupes. C’est une structuration qui permet la survivance
d’un mode de vie particulier fondé sur la mobilité. Ainsi, malgré ces
contraintes liées à l’exercice de leur activité, notamment la mobilité des
hommes et d’animaux, et hormis les épisodes des années très critiques
(sécheresses et autres calamités naturelles), le groupe n’a abandonné ni
son identité pastorale ni son site d’attache (zones de puisards et mares
temporaires).
Ce texte rend compte du fonctionnement des unités de production de ce
groupe d’éleveurs spécifique. Il tente de montrer, à travers des méthodes
géosocioanthropologiques (quantitatives et qualitatives), la capacité de
ces pasteurs à poursuivre leur système de production dans un contexte
socioéconomique en mutation.
L’avenir du pastoralisme mobile et la paix sociale dépendent de la
sécurisation et de la restauration des systèmes pastoraux par une
utilisation soutenable des parcours, de l’amélioration de la productivité
de l’élevage et de règlement des disputes sur les ressources de manière à
faciliter l’intégration des pasteurs dans les nouveaux systèmes plus
globalisés. Ces nouvelles dynamiques ouvrent de nouveaux chantiers
pour la recherche et interpellent les décideurs politiques sur les modes
d’actions en direction des sociétés pastorales.
I. PRESENTATION DE L’ESPACE WODAABE ET LES
    INSTITUTIONS DE DECISIONS
I.1. L’espace Wodaabe
La zone d’étude est le département de Tanout (1 et 2b) appelé aussi
Damergou. C’est une région de plateaux latéritiques et partiellement
recouverts de sable au Sud. On observe globalement une altitude variant
entre 500 et 560m (figure 2b). Au Nord le relief est globalement plat,
avec une altitude comprise entre 450 et 500 m, disséqué de quelques
cours d’eau temporaires ou oueds (figure 2a). La région présente une
double particularité sur le plan écologique et du système de production.

                                                                        64
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                Suka’El de Tanout

      Figure 1: Présentation de l’espace Wodaabe de Tanout
            Source: Signer 2010 et enquête de terrain

           Figure 2a: profil du Nord-Ouest de Tanout
  Source: Fond de carte topographie IGN, République du Niger,
                  Feuille ND-32-XXI (Tanout)
                                                                                65
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

            Figure 2b: profil du Sud-Ouest de Tanout
  Source : Fond de carte topographie IGN, République du Niger,
                   Feuille ND-32-XV (Tanout)

Le système de production repose sur une complémentarité entre les
activités agricoles et pastorales. Ainsi, la possibilité de faire face aux
mauvaises années climatiques dépendait depuis très longtemps de cette
complémentarité entre systèmes sociaux distincts et de la mobilité des
pasteurs comme les Wodaabe et des paysans.
Sur le plan écologique, la zone se trouve à cheval entre les espaces
pastoraux du Nord et la zone à dominante agricole au Sud; en toute
saison, se concentrent des troupeaux venant de différentes contrées du
pays. Elle devient, de ce fait, un espace privilégié de conduite des
activités pastorales de la communauté des Wodaabe. Les précipitations
ont tendance à diminuer au cours des dernières décennies, et l’isohyète
300 mm descend progressivement vers le Sud. La saison froide joue un
rôle important dans le calendrier agropastoral, permettant les cultures de
contre saison, mais aussi les repousses tardives de sorgho et des
repousses successives de niébé, bien utilisées par les pasteurs Wodaabe
pour la vaine pâture. Les paysages ont considérablement évolué au
cours des dernières décennies. Ainsi, la savane arborée a laissé place à
un paysage steppique où l’arbre est devenu plus rare et ne semble plus
jouer un rôle central dans le maintien de la fertilité des sols.
La vocation pastorale initiale de la zone est fortement remise en cause
sur toute la lisière sud par l’avancée du front agricole, aujourd’hui bien
plus au Nord que la limite officielle de 1961. Cette colonisation agricole

                                                                       66
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                    Suka’El de Tanout
est aussi bien le fait d’agropasteurs Touaregs, Peuls, Haoussas et
Dagaras. Ces communautés, avec les pasteurs Wodaabe, constituent les
principaux groupes qui peuplent la zone.
I.2. Les institutions de décision
Nous avons mis en évidence, au niveau du groupe des Suudu Suka’el de
Tanout, les instances ou institutions de décision. Celles-ci s’occupent à
la fois du contrôle de leurs membres, de la sécurité de leurs animaux
mais aussi des relations avec les autres acteurs (figure 3). Les
responsabilités des leaders s’articulent autour de l’organisation du
campement au gré des saisons et de la disponibilité des ressources
pastorales.
Ainsi, le lignage des Suudu Suka’el de Tanout a mis en place des
instances ou institutions qui sont au cœur de leur organisation sociale.
La première instance est dirigée par un Ardo1, un guide, premier
responsable d’une fraction des pasteurs. Il est élu par ses membres et
confirmé par le chef du groupement ou de canton et l’Administration
locale. Il a un rôle plus politique que pastoral. Il est chargé de collecter
les impôts per capita et joue le rôle de chef de tribu administrative. La
tribu est alors constituée de chefs de familles qui payent leurs impôts
auprès d’un Ardo.
Ensuite, vient le Jom dudal, le doyen, un sage d’une unité (ndottijo),
responsable des valeurs sociales d’une unité de nomadisation dont les
membres peuvent provenir d’une ou de plusieurs fractions selon le degré
de parenté. Il est garant de l’ensemble des normes comportementales,
des valeurs morales et sociales du groupe. Il siège au conseil des sages
(instance de jugement) au sein du lignage lors des cérémonies. Il préside
le conseil des adultes (Saawara ndottii’en). Il est le premier magistrat du
campement. Il rend justice et amende les coupables. Il saisit le conseil
des sages à la réunion annuelle. La fonction du doyen est très
importante, surtout pendant la saison sèche et durant les quelques jours
que peut durer la réunion annuelle du worso. Dans ses fonctions, il est
secondé par le samri (terme haoussa qui signifie leader des jeunes

1
    Dans la partie Ouest du Niger, le rôle de Ardo équivaut à celui du Rugga.
                                                                                    67
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

garçons) qui a une fonction de conseiller et par une femme (jaji ou
lamé).

                        Instance de jugement

                    Conseil des sages (ndottii’en)
                      Worso, Daddo, Oumto

                         Guides pastoraux et
                       administratifs (Ardo’en)

   Garsoo           Samri               Jaji          Jeunes
                                                      bergers

    Les niveaux d’organisation du campement (Suudu, Wuro,
                            Dudal)
                       La communauté
 Figure 3: Hiérarchisation des institutions de l’organisation sociale
                         des Suudu Suka’el
                     Source: enquête de terrain
On note enfin, le chef de groupement qui fait office de chef suprême.
Les Suudu Suka’el se réfèrent rarement à leur chef administratif pour
diverses raisons, n’étant pas issus du même clan. Ce qui suppose qu’il y
a une organisation sociopolitique traditionnelle et l’organisation
politico-administrative qui collaborent difficilement.

                                                                     68
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                 Suka’El de Tanout
II. MATERIEL ET METHODES
II.1. Matériel
Notre protocole de recherche a consisté à l’élaboration des indicateurs
de recherche sur des questions clés adressées aux acteurs stratégiques
(Olivier de Sardan, 2003). Des données disponibles sur la zone dont les
fonds de cartes topographiques de l’Institut Géographique National
(IGN) et des données de base de l’Inventaire des Ressources
Hydrauliques (IRH), du Ministère de l’élevage et du Centre Régional
Agrhymet ont été consultées et analysées.
Les informations sur le web (Google Earth) ont également été intégrées.
Enfin, un GPS (Global Positionning System) pour géo-référencer les
gîtes d’étape et les lieux de séjour des pasteurs a été utilisé. Nous avons
pu ainsi réaliser des cartes thématiques. Par ailleurs, au cours du travail
de terrain, l’usage d’un appareil photo pour donner des situations
diachroniques a été un outil très précieux de même que l’utilisation d’un
dictaphone pour l’enregistrement des interviews et entretiens avec les
acteurs.
II.2. Méthodes
La collecte des données s’est faite à travers les approches
géosocioanthropologiques, c'est-à-dire des méthodes mixtes qui font
appel à la fois à la géographie, l’agronomie, la sociologie et à
l’anthropologie.
Le choix du groupe cible de l’étude a été opéré, premièrement sur la
base d’un critère de représentativité géographique de l’ensemble du
territoire habituel de parcours comme une construction d’un terroir
d’attache et d’accoutumance du groupe (département de Tanout). En
deuxième lieu, les formes de mobilité typique du groupe ont été prises
en compte.
La recherche est principalement centrée sur le système pastoral et le
fonctionnement des unités de production du groupe. L’investigation ne
s’est pas limitée seulement à enquêter les acteurs du seul groupe. Elle a
tenu compte de l’avis des autres acteurs sociaux stratégiques, les
membres des différents lignages, les agropasteurs, les agriculteurs et les
                                                                                 69
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

acteurs institutionnels, etc. Le recueil d’informations via l’observation
participante est complété par des interviews de témoins privilégiés et par
l’analyse critique des différentes sources de documents existants. Des
témoignages oraux, écrits et les simples observations ont été intégrés en
insistant sur leurs croisements, leurs complémentarités, leurs
insuffisances, leurs limites et leurs atouts.
Pour les données socio anthropologiques, l’opération a consisté au
recueil des informations prescrites auprès des acteurs institutionnels et
les membres des unités d’observation (campements). Par ailleurs, pour
répondre aux questions sur les indicateurs de recherche, l’enquête socio-
anthropologique a été utilisée sans viser la représentativité statistique
des populations enquêtées, mais elle précise les pratiques, savoirs,
stratégies et perceptions exprimées par les acteurs concernant le système
de mobilité. Ainsi, c’est à l’aide d’instruments d’enquête qualitative
dont l’objectif est de «découvrir les différences subtiles entre formes de
connaissances, modalités d’interprétation et logiques» (Olivier De
Sardan, 2005 : p 210).
L’approche empirique du terrain tient pour beaucoup de
l’anthropologie ; comme c’est le cas de Collington (1996), lorsqu’elle a
étudié la toponymie chez les Inuit. Cette approche relevait de
l’observation participante décrite, comme une stratégie qui facilite la
collecte des données et aussi comme une méthode qualitative rigoureuse
selon Olivier De Sardan (2008). Elle nous a permis de faire une
typologie des systèmes de production. Comme tout canevas d’entretien,
le focus-groupe donne une sorte de modèle réduit, d’une présentation
brève, mais complète des éléments essentiels.
Les données socio-anthropologiques, ont été traitées sur la base de
l’analyse du contenu qui implique la mise en œuvre des procédures
techniques relativement précises (Collington, 1996). Ainsi, le choix des
termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode
d’agencement, la construction du discours et son développement
constituent des sources d’informations à partir desquelles une
connaissance est construite. Dans ce dispositif de recueil des
informations, les entretiens sont toujours associés à l’analyse après un
codage des concepts clés. Il s’agit, en effet, de faire surgir un maximum
d’éléments d’informations et de réflexion qui serviront de matériaux à
une analyse.
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Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                    Suka’El de Tanout
III. RESULTATS
III.1. Le fonctionnement des unités de production: un agencement
       complexe mais flexible
Les unités de production sont représentées par les campements. Un
campement est une structure où les décisions vitales sont prises, en
tenant compte d’un environnement naturel, économique, social et
politique, susceptible de varier à chaque étape, tantôt hospitalier, tantôt
risqué, sinon hostile.
Le campement est l’unité résidentielle des pasteurs. Son effectif (le
nombre de personnes et d’animaux vivant ensemble) peut dépendre de
plusieurs variables dont la saison, l’unité écologique traversée et
l’environnement sécuritaire. Ainsi, il peut être d’une vingtaine de
familles à une cinquantaine ou des centaines en saison des pluies pour se
réduire à moins d’une dizaine en saison sèche. Par contre, il est rare de
voir une seule famille s’ériger en campement. L’organisation est un
agencement complexe, une sorte de composition et de recomposition,
donnant plusieurs niveaux d’analyse. L’étude a identifié cinq 2 niveaux
d’organisation qui se créent selon plusieurs opportunités. Elle a aussi
permis d’analyser les différentes fonctions assurées par les campements.
III.1.1. Le campement comme unité familiale nucléaire ou unité
         sociale de base (wuro)
Le terme de wuro (pl : Gure) désigne l’unité familiale de base sociale,
une collectivité humaine plus ou moins stable. Wuro est le lieu où l’on
vit ensemble, l’espace social de base (Riesman, 1974). C’est aussi une
cellule familiale qui a une autonomie sociale et économique fondée par
un homme adulte, chef de famille (jom wuro). Pour un homme, la
construction de la case (suudu) de son épouse constitue un moment
extrêmement important de sa vie. C’est une étape nouvelle et
déterminante dans le processus de formation de son unité domestique

2
  Au Tchad central, l’étude sur un campement arabe Salamat Siféra a fait ressortir quatre
niveaux d’organisation. La différence avec les Wodaabe vient du fait que ces derniers
célèbrent la fête annuelle (worso ngaynaaka), un autre niveau d’organisation que l’on ne
retrouve pas chez les pasteurs du Tchad (Marty, 2009 : p.241).
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Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

propre et son autonomie par rapport à l’unité familiale élargie de son
père. Pour cela, il faut disposer de son propre cheptel. L’homme
deviendra un jom-wuro quand il devient autonome en tant qu’unité de
gestion.
Le Wuro est aussi une unité sociogéographique (avec son espace réservé
à lui dans le campement) que possède un homme reconnu comme chef
de cette unité. Les membres de l’unité sont noués par des liens de
parenté ou de voisinage.
Chez les Wodaabe, le suudu (au pl. cudi) désigne l’espace familial. Il
s’agit avant tout d’un espace physique, d’un espace arraché à la brousse.
C’est un enclos (hoggo), en forme de demi-lune, et parfois un abri,
délimité par des branches, ouvert vers l’Est, désherbé et balayé. C’est
une sorte de brousse interrompue (howare). Il ne peut y avoir de suudu
sans femme, et vice versa, il ne peut y avoir de femme adulte sans
suudu. La femme est le jom-suudu ou responsable de la maison. C’est
elle, d’ailleurs, qui confectionne, à chaque étape de la mobilité, la case
ou l’abri. Ce concept implique nécessairement une pluralité de
personnes: un homme et une femme vivant ensemble, ainsi qu’un
homme et ses enfants (mariés ou non); au sens plus large encore, tout
regroupement qui forme une communauté.
Le wuro, ou famille nucléaire (monogame ou polygame) constitue la
base du travail et de production chez les Wodaabe. A ce titre, le wuro
forme une unité domestique et reste le centre décisionnel majeur où
l’expression des choix stratégiques s’exprime avant d’atteindre les
niveaux d’organisation sociale supérieurs.
Dans cette unité, les femmes sont chargées des travaux domestiques, de
la surveillance des jeunes animaux, etc. Elles sont aussi responsables de
la gestion des produits laitiers qu’elles vendent dans les villages ou les
marchés locaux. Les hommes sont responsables de la conduite des
troupeaux, de leur alimentation et abreuvement. La gestion du cheptel
est en partie collective, chaque animal, quelle que soit son espèce, dans
une unité familiale, appartient en propre à un individu. Mais certains
aspects de la gestion (décision de vente ou d’achat) sont toujours
discutés au sein de l’unité familiale. Souvent certaines décisions à
prendre peuvent dépasser les seules compétences de cette unité

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                                 Suka’El de Tanout
domestique. Dans ce cas, il faut alors faire recours à un niveau
supérieur.
III.1.2. Le campement comme unité de gestion groupée du troupeau
         (dudal)
Deux ou plusieurs Wuro, le plus souvent très proches parents, se
regroupent, les hommes et leurs animaux, afin de constituer une unité
économique viable (dudal). A ce niveau d’organisation, les
responsabilités sont partagées sous forme d’une conscience collective
(Bonfiglioli, 1988). Dans certaines situations, il peut s’agir de
l’association de plusieurs sous-unités (gure) qui se réunissent et restent
ensemble pendant certaines périodes de l’année afin de faire face aux
éventuelles contraintes (main-d’œuvre). En ce moment, le campement
prend le qualificatif de wuddu (le nombril). Chez les Wodaabe, un dudal
peut comporter 5 à 12 unités familiales qui sont constamment ensemble
ou en relation étroite. En ce sens, il constitue le niveau d’entraide en vue
de l’usage des ressources locales donnant des unités collectives de
résidence. Ce genre de regroupement prend surtout forme en saison
sèche. En ce sens, le leader de l’unité est en général un doyen d’âge, un
patriarche, ou un sage jugé responsable de l’unité selon le code du
mbodaangaaku.
Un dudal comporte un ou plusieurs bergers éclaireurs investis (garsoo
wainata), détenteurs des connaissances et des techniques pastorales.
Quant aux tâches quotidiennes de conduite de troupeaux, elles
reviennent aux simples bergers (waynaabe, boussi’en) qui sont souvent
des hommes de la famille. Mais, ils peuvent aussi être des bergers
contractuels.
A l’échelle du Dudal, le troupeau est un bien collectif, c'est-à-dire,
répondant à un regroupement d’animaux de différents propriétaires,
donc susceptibles d’évoluer contradictoirement selon les décisions
prises, relatives à sa gestion. Le troupeau reste une unité de gestion de
référence, certes fluctuante, mais qui constitue une conjonction de
décisions et de logiques personnelles. L’unité de production et de
consommation que représente le dudal se traduit par l’exploitation
commune d’un même troupeau. Il est donc géré collectivement,

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socialement, mais individuellement approprié par les membres ou des
personnes plus lointaines par les mécanismes de confiage (amis, parents
éloignés, autres éleveurs, paysans, etc.).
Le troupeau est de ce fait composite. La conduite est rarement
différenciée vis-à- vis du statut de chaque animal, même si des
hiérarchies puissantes existent autour de sa symbolique. Le troupeau
comprend trois identités de référence : les bovins possédés en propre par
le jom wuro au sein du dudal, le douaire de sa (ses) femme (s), suriji,
c'est-à-dire les bovins donnés à l’épouse (par son mari), des animaux des
parents mariés vivant dans l’unité et les animaux en garde (janaali).
Les mécanismes de distribution du troupeau dans le campement
(héritage, dons et prêts) se font à ce niveau. En dehors de ce système
classique d’entraide sous forme de habbanaae, suukaaji, soggaraaji et
hawari entre pasteurs, décrit par Amadou et Yamba (1995) dans le Sud-
Ouest du Niger, il est assez courant qu’un propriétaire prête un animal à
un parent moins loti, à un ami ou à un dudal. Les enfants reçoivent en
cadeaux des animaux dès leurs bas âges à l’occasion des évènements et
les mariages arrangés (kobgal)3. En effet, c’est une manière de lutter
contre la vulnérabilité dont chaque membre de la communauté peut être
affecté à un moment donné et de rétablir une certaine équité sociale en
répartissant les richesses du groupe (Bonfiglioli, 1988). C’est aussi le
moyen d’équilibrer le nombre d’animaux avec la main-d’œuvre
disponible (Thébaud, 2004). C’est enfin, l’occasion de tisser tout un
faisceau de relations qui permet de créer un tissu social interdépendant.
Il est bien difficile de déterminer l’évolution du dudal puisqu’il est sujet
à des fusions ou à des éclatements en fonction de la conjoncture (crise
écologique, décès d’un patriarche). Selon Bonfiglioli (1988), le dudal
est une réalité sociopolitique instable et précaire dont l’équilibre est
continuellement sujet à des pressions. Stenning (1994) souligne qu’à
l’intérieur du dudal, il y a une tendance constante vers l’équilibre, vers
une viabilité interne. Il s’agit d’une viabilité quantitative, en termes de
rapport entre le nombre des hommes et celui des effectifs animaux.

3
 Dans la société wodaabe on observe deux types de mariages : le mariage qui est
négocié (Kobgal) avec le consentement des deux familles des jeunes mariés et le
mariage rapt (Teegal) scellé entre un homme et une femme sans le consentement
préalable des parents.
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Mais, il s’agit aussi d’une viabilité temporelle, puisque les techniques et
les stratégies visant à créer et à modifier cet équilibre peuvent varier
dans le temps, selon le cycle de développement ou les stades atteints par
l’unité socio-pastorale ou selon les changements des facteurs
sociopolitiques externes. Donc, le dudal est une unité en perpétuelle
mutation.
Il est évident qu’un ratio existe autour de l’effectif du bétail par
personne ou par actif qui exploite le troupeau. Dans les mêmes
conditions, Thébaud (1999) parle de 3 UBT4 par personne, pour une
famille moyenne de 7 personnes, chiffre en deçà duquel l’unité devient
vulnérable. Au cours de l’étude, les unités suivies dépassaient les 3 UBT
par personne avant la crise pastorale de 2010. Mais avec cette crise, les
pasteurs Wodaabe ont perdu plus de 80% de leur bétail et tombent à 0,3
UBT/personne. Par ailleurs, pendant la transhumance d’hivernage ou au
cours de grandes migrations, les unités se fondent dans des plus grands
ensembles, donnant ainsi une autre forme d’organisation.
III.1.3. Le campement comme unité de transhumance (Tijol)
Les termes tijol en fulfulde, tinikert en tamasheq, qui signifient dans les
deux langues «aller au Nord», ou zua arewa, lassan kawa5 équivalent du
même mot en haoussa qui a donné le concept de cure salée, sont
employés par les éleveurs. C’est une sorte de migration vers le Nord en
début d’hivernage pour rechercher la bonne herbe. Mais, c’est aussi une
forme de mobilité permettant d’évacuer la zone agricole plus
conflictuelle et l’humidité de la zone Sud.
Dans le système de mobilité du groupe Suudu-Suka’el, il existe deux
moments importants de la transhumance et de son organisation.

4
 Une UBT ou unité bétail tropical correspond à un animal de 250 kg vif.
5
  Certains emploient le terme de cure salée ou lassan kanwa, mais le sel n’est pas la
seule raison; le pâturage, quand il y en a, est toujours meilleur au Nord. Les pasteurs
Suudu Suka’el du Damergou dans leur mobilité hivernale atteignent rarement les zones
salées d’Ingall. C’est pourquoi, ils transportent toujours avec eux des quantités
importantes de natron pour leurs animaux. Ils utilisent aussi le sel de Bilma qu’ils
achètent aux caravaniers.

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La transhumance de la saison des pluies est un moment fort et plein
d’espoir, appelé également korsol. En ce moment, il est observé une
association de tous les niveaux d’organisation. Ce regroupement forme
un ensemble, très solide et se présente comme un tout organisé, autour
de la défense des intérêts communs. Les campements se transforment en
unités de transhumance très mobiles, sous la responsabilité d’un chef de
fraction, le guide, l’ardo, et qui prend le titre pastoral de chef d’une
unité en transhumance.
Dans certaines circonstances, notamment lors des traversées des zones
conflictuelles de la zone à dominante agricole, on observe des
associations plus intenses qui composent plusieurs fractions du même
lignage ou d’autres lignages proches. C’est en effet, une stratégie du
nombre pour faire face aux éventuelles agressions qui peuvent à tout
moment surgir lors des avancées vers la zone pastorale ouverte du Nord
en début d’hivernage ou le vers le Sud pour la vaine pâture.
Le retour du Nord vers le Sud constitue également un moment qualifié
de jofol, sakowa (période de vaine pâture). Le tijol et le jofol sont les
deux moments les plus intenses de la mobilité chez les Suudu Suka’el.
C’est aussi les moments pendant lesquels les ressources pastorales sont
les plus disponibles. Par contre, pendant la saison sèche chaude, on
observe moins de mobilité des troupeaux.
Dans les conditions normales de disponibilité des ressources et de
sécurité, une unité en transhumance regroupe un segment de lignage
affichant un ancêtre commun dont les membres transhument souvent
ensemble. Ce regroupement de descendants d’un ancêtre commun
connu implique des mécanismes de solidarité en vertu des liens de sang.
En cas de conflits, les membres de la fraction sont liés par des règles
communes au groupe.
III.1.4. Le campement comme unité de voisinage basée sur l’affinité
         (Gondal)
Il arrive souvent au cours de la mobilité que d’autres campements de
communautés différentes se rapprochent et avancent de façon parallèle.
Cette forme de transhumance de voisinage basée sur l’affinité, gondal,
est observée dans des zones d’insécurité, notamment avec le récent
conflit armé du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Ainsi,
il n’est pas rare de trouver un regroupement de plusieurs groupes
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différents sur un même site. C’est aussi une stratégie de défense
collective en cas d’attaque ou de vol de bétail. Dans ce même cadre, les
Suudu Suka’el s’associent surtout avec les Uda’en Fereebe avec
lesquels, ils ont des liens d’amitié, de mariage et partagent les mêmes
ressources. Les phénomènes de co-résidence sont aussi basés sur l’usage
des ressources communes (par exemple, les Godianko’en ont des
affinités avec les Touaregs Malamey). Cette co-résidence correspond à
une unité de transhumance, regroupant plusieurs unités domestiques qui
sont systématiquement issues du même lignage ou non, donc de
plusieurs unités. Elle constitue un segment circonstanciel de personnes
qui transhume régulièrement. Cette circonstance est aussi à la base de
certaines dynamiques sociales dont les nouvelles alliances et la
segmentation des lignages. Le cas le plus observé constitue le
regroupement des familles sur la base de l’affinité, généralement entre
proches parents (tarde), différents du rassemblement annuel.
III.2. L’organisation sociale et les facteurs de socialisation
III.2.1. Le rassemblement annuel (worso ngaynaaka): un facteur de
         socialisation
Le worso est un rassemblement annuel des Wodaabe. Il apparaît comme
spécifique à ce groupe. C’est surtout en hivernage que le pasteur
bodaado éprouve le sentiment d’appartenir, au-delà de sa famille
nucléaire, à un groupe agnatique plus vaste. A cette époque, les
mouvements de transhumance concertés des campements les font
converger vers le lieu de leur rassemblement annuel, ou worso (Dupire,
1996). Les fractions des lignages se regroupent en campements
(hodorde), d’abord par unités familiales polygames ou monogames sur
un lieu bien précis. Ce rassemblement témoigne de la cohésion et de la
vitalité d’un lignage et du désir de chacun d’y être incorporé. Tout chef
de campement qui ne répond pas à l’invitation sans motif commet un
acte interprété par l’ensemble du groupe comme une velléité de
dissidence qui est mal vue. Toute absence doit être motivée et les places
laissées vides font apparaître immédiatement des dangers de scission

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gardés jusqu’ici secrets. Le worso6 est une entreprise collective car
chacun dans le groupe participe aux frais des repas en apportant sa part
de lait, et ceux qui égorgent des animaux en distribuent la viande à tous
les assistants.
Ce rassemblement de trois jours autour d’un site convenable (une mare,
loin de la zone des cultures) est fonction de l’année en cours. Dans les
préparatifs, le chef de fraction du dernier segment de lignage, se sent en
effet obligé de réunir, au moins une fois par an, tous les membres pour
célébrer les naissances et les mariages ou introniser les nouveaux
leaders. Dans le cas échéant (empêchement), il ressort de la
responsabilité du kinnal (ardo des ardos du lignage) du groupe de le
faire. A Tanout, les Suudu Suka’el ont l’habitude de se rassembler en
septembre. Ainsi, durant les campagnes hivernales 2009 et 2010, le
lignage des Suudu Suka’el n’a pas pu célébrer le worso ngaynaaka
compte tenu de la faible quantité des pluies tombées.
Durant la cérémonie, les sages ne cessent de valoriser à l’endroit des
jeunes, sous forme de conseils, le lait ou la viande des animaux choisis
en l’honneur des invités. Dans les familles, un bovin n’est égorgé qu’à
une cérémonie collective de ce genre et il faut des conditions
particulières pour qu’une famille fasse une imposition du nom de
nouveau né à une autre date. Il faut noter que les sacrifices de bétail des
Wodaabe lors de la réunion de worso revêtent un caractère socio-
magique et non religieux au sens de l’Islam. Ainsi, le jour choisi doit
être faste7 : le lundi (febetede) convient par excellence pour sacrifier du
bétail et célébrer des mariages, imposer des noms aux derniers nés et la
promotion de passage des classes d’âges. Les jours comme le mercredi
ou le samedi sont aussi convenables.
En ce qui concerne le sacrifice du bétail, on finit par comprendre la
valeur symbolique des bovins en lisant les écrits de Dupire (1996) et
Paris (1997) qui décrivent le sacrifice des taureaux lors des grandes
cérémonies inter-lignagères. C’est l’occasion alors, pour chaque lignage

6
  Cette réunion est différente des rencontres interlignages organisées aussi par les jeunes
pour faire le Gerewol et le Ruumi qui durent une semaine au cours desquelles les
mariages (Teegal) et les rapts de femmes sont effectués.
7
  Les Wodaabe distinguent au cours du mois lunaire des jours fastes et des jours
néfastes. Le 27e jour de chaque mois est appelé nlyannga et certaines activités sont
proscrites.
                                                                                       78
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invité à la fête, de prouver son identité Wodaabe aux autres en montrant
qu’il connaît parfaitement les rituels de la fête et également chaque
moindre partie du taureau dépecé.
Les invités appartiennent à des lignages avec lesquels le groupe est en
bons termes. Au worso de 2008, à la mare d’Abdu Nazer, les invités du
lignage des Baguel (ardos, ndottii’en) et le chef de canton de Tanout ont
honoré de leur présence la cérémonie, seulement le deuxième jour 8. Ils
sont logés la nuit par leurs hôtes qui leur ont construit, à cet effet, de
grandes tentes et abris (vastes paravents d’épineux), comme toute
résidence de bodaado. Par contre, le lignage des Jijiiru qui, pourtant est
régulièrement invité, est absent à cette occasion. Il semble que le
problème de l’acquisition d’un nouveau groupement 9 à Tanout soit la
principale cause.
Le worso a pour but de célébrer les mariages et les impositions de noms
du lignage. Il permet, par ailleurs, aux sages de tenir des conseils de
justice, de régler des différends et de préparer de nouvelles alliances;
aux nouveaux adultes, il permet de faire reconnaître par leur «prise de
barbe» (titol bahe), leur passage dans la catégorie des sages. Pour les
jeunes gens, c’est, avant tout, une occasion de bonne chère, de danse et
de libertinage. Au worso de 2008, une dizaine d’animaux (bovins et
ovins) ont été sacrifiés et partagés entre les invités. Une quinzaine de
nouveaux nés ont eu leurs noms (inde) et dix mariages négociés
(koobgal) ont été scellés en trois jours. A la fin de la cérémonie, une
dizaine de jeunes ont rasé définitivement leur traditionnelle tresse et ont
fait leur entrée définitive dans la classe des sages. Des problèmes entre
le groupe et certains lignages comme les Jijiiru sur la course à la
chefferie, ainsi que l’accès à certains sites sous contrôle touareg ont été
discutés. Par contre, un seul garsoo Wainata était promu lors de cette
cérémonie.

8
  Le premier et le troisième du worso sont consacrés aux rites magiques (unirki), propres
au groupe des Suudu Suka’el. Lors de ces manifestations magico-religieuses, il est
formellement interdit aux personnes étrangères d’y assister.
9
   En 2010, un arrêté du ministère de l’intérieur crée un groupement Jijiiru à Tanout,
avec chef lieu de résidence Ndjaptoji. Cet acte a été ressenti par les Suudu Suka’el
comme une usurpation de la chefferie qui devait leur revenir.
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Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT

Cette cérémonie est un cadre d’expression des valeurs culturelles peules
et de socialisation pour les Wodaabe, le mbodaankaaku. Les trois jours
de réunion présentent un raccourci de la vie sociale du lignage : Le
groupe discute de l’opportunité d’aller donner une gerewol dans un
autre lignage (planche 1). Le lignage contrôle l’arrivée de ses nouveaux
membres et le sort de ses femmes. Mais, il se rappelle aussi qu’il
appartient à des groupes sociaux plus vastes avec lesquels il est utile de
consolider ou de nouer des rapports amicaux. C’est une sorte de
socialisation qui a lieu le plus souvent une fois par an. Les unités
mobiles projettent les nouveaux itinéraires en fonction de la nature de
l’année. Lors de cette cérémonie, il arrive souvent que les unités
nucléaires alliées se mettent côte-à-côte, modifiant aussi l’ordre
historique absolu. Ainsi, le worso10 est aussi un lieu de contestation où
on marque son désaccord dans l’optique de trouver une solution
collective.

 Planche 1a: Wodaabe célébrant le Gerewol et 1b: Danse des jeunes
        Uda’en lors de la bastonnade (sharo) (cliché Bodé)
Lors de la cérémonie, il existe entre les unités un classement immuable,
trouvé avec les ancêtres (fina tawa), disent les organisateurs, qui
s’exprime lorsque les campements se rassemblent en hivernage pour le
worso ou le oumto (petit worso). Traditionnellement, l’alignement se
fait sur une seule ligne Nord-Sud11, obéissant à une hiérarchie dont le

10
   Chez les Touaregs, on peut l’assimiler au (tende) qui est une sorte de festival organisé
par une tribu (tawshit)
11
   On retrouve le même alignement des cases et la marque du bétail (alijam, degereeji)
chez les Peuls Kastinanko’en sédentarisés dans le Damergou. Ce qui dénote, peut être,
un lien historique ou une co-résidence avec les Wodaabe.
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Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu
                                 Suka’El de Tanout
sens s’inverse de l’ordre d’arrivée des lignées (gure) dans le groupe
migratoire, de la première au Nord à la dernière au Sud.
III.2.2. L’empreinte sociale dans la disposition des campements
Le campement des Wodaabe obéit toujours selon une disposition et un
ordre Nord-Sud12. Au cours des gîtes d’étapes, le plus ancien dans le
lignage place sa famille toujours du côté Sud des autres familles
cadettes. L’ordre généalogique des branches de la lignée (baaji, pl. de
baajol) va de l’aîné au sud à la cadette au nord. L’ordre de séniorité des
chefs de campements d’une même branche va également du Sud au
Nord (frère ainé-cadet, père-fils, oncles paternels-neveux orphelins,
suivi des parents non agnatiques, ordinairement neveux utérins, etc.).
Cette disposition hiérarchique est également celle des hommes mariés à
l’intérieur du campement domestique ; ils s’alignent du Sud au Nord
selon les rapports de généalogie et de séniorité (ainé des frères suivi de
ses fils mariés par ordre d’âge, second frère avec ses fils, neveux,
parents non agnatiques). Ces genres de disposition de résidence ont été
aussi décrits chez les Peuls semi-nomades du nord Bénin par Bierschenk
(1999).
Tandis que les cases des épouses du mari polygame se disposent dans le
sens inverse nord-sud d’après leur rang de mariage, c'est-à-dire leur
ordre d’arrivée dans le campement. La position ouest-est ou celle des
hommes par rapport aux femmes, des hommes par rapport aux jeunes
est parfois utilisée pour marquer la place d’un wuro cadet ou celle d’un
wuro d’un lignage étranger incomplètement assimilé. Un wuro ou une
branche de wuro peut également exprimer des intentions de dissidence
en se plaçant au worso sur une seconde ligne orientale, derrière les
autres gure de la fraction ou du lignage. Le critère d’alignement est
purement temporel (lors des rassemblements) ; c’est celui de l’ordre
d’arrivée des noyaux ou de naissance des ancêtres et le chef de fraction
se situe à la place que lui dicte son appartenance lignagère et sa situation

12
  La tradition relate que le Shefu de Sokoto qui a accueilli les Wodaabe lors de l’arrivée
à Sokoto en provenance du Bornou, leur a recommandé d’occuper les terres du Nord, en
disant «le Nord est béni».
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