UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
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Rev. Sc. Env. Univ., Lomé (Togo), 2012, n° 009 ISSN 1812-1403 UNIVERSITE DE LOME SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT PRESSES DE L’UL Neuvième Numéro Lomé, 2012 Décembre 2012
Directeur de publication : Prof. Thiou Tanzidani Komlan TCHAMIE, Université de Lomé, Togo. Rédacteur en Chef : Lalle Richard LARE, Maître de Conférences, Université de Lomé Secrétariat de publication : Aklesso MOUZOU, Bawoubadi Edem SABI, Ataféi PEWISSI, Wiyao POUTOULI, Amah-Edih KOUYA, Atiyihwè AWESSO, Tchaa BOUKPESSI, Abdourazakou ALASSANE, Minkilibe DJANGBEDJA, Paroussiè Wiyao TAKOU, Atina BADAMELI, Faya LEMOU, Jean-Bosco VODOUNOU. Comité Scientifique : Firmin ADJOHOSSOU (Cotonou, Bénin) ; Pascal AFFATON (Marseille, France) ; Abel AFOUDA (Cotonou, Bénin) ; Yao AGBOSSOUMONDE (Lomé, Togo) ; Kodjo AKLIKOKOU (Lomé, Togo) ; Koffi AKPAGANA (Lomé, Togo) ; Abdoul-Salam BÂ (Bamako, Mali) ; Akpovi AKOEGNINOU (Cotonou, Bénin) ; Boureima AMADOU (Niamey, Niger) Komlan BATAWILA (Lomé, Togo) ;; Ibrahim BOUZOU-MOUSSA (Maradi, Niger) ; ; Napo Pierre ALI (Lomé, Togo) ; Sabiba Kou’Santa AMOUZOU (Lomé, Togo) ; Moctar BAWA (Lomé, Togo) ; Kossi S. M. BADAMELI (Kara, Togo) ; Michel BOKO (Cotonou, Bénin) ; Essowè BOUWESSIDJAO (Lomé, Togo) ; Kwami DIKENOU (Lomé, Togo) ; Gbandi DJANEYE-BOUNDJOU (Lomé, Togo) ; Eustache GANTHA-BOKONO (Cotonou, Bénin) ; Gnon BABA (Kara, Togo) ; Mawuéna Y. GUMEDZOE (Lomé, Togo) ; Mensanvi GBEASSOR (Lomé, Togo) ; Atsu Koudzo GUELLY (Lomé, Togo); Jean C. HOUNDAGBA (Cotonou, Bénin) ; Chrsitophe HOUSSOU (Cotonou, Bénin) ; Koffi DJONDO (Lomé, Togo) ; Kodjona KADANGA (Lomé, Togo) ; Fodouop KENGNE (Yaoundé, Cameroun) ; Koffi KOBA (Lomé, Togo) ; Koffi KILI (Lomé, Togo) ; Kouamé KOKOU (Lomé, Togo) ; Honoré K. KOUMAGLO (Lomé, Togo) ; Kossi NAPO (Lomé, Togo) ; Abou Nappon (Ouagadougou, Burkina-Faso) ; Komi KOSSI-TITRIKOU (Lomé, Togo) ; Lalle Richard LARE (Lomé, Togo) ; Euloge OGOUWALE (Cotonou, Bénin) ; Henri MOTCHO (Zinder, Niger) ; Messan Komla NUBUKPO (Lomé, Togo) ; François de Charles OUEDRAOGO (Ouagadougou, Burkina Faso) ; Georges ROSSI (Bordeaux, France) ; Mamadou SALL 2
(Dakar, Sénégal) ; Komla SANDA (Lomé, Togo) ; Komlavi F. SEDDOH (Paris, France) ; Komla Peter SEGBOR (Lomé, Togo) ; N’Koué SIMPARA (Lomé, Togo) ; Brice SINSIN (Cotonou, Bénin) ; Nestor SOKPON (Parakou, Bénin) ; Comlan de SOUZA (Lomé, Togo) ; Thiou T. K. TCHAMIE (Lomé, Togo) ; Ben-Sikhina TOGUEBAYE (Dakar, Sénégal) ; Adjima THIOMBIANO (Burkina-Faso) ; Koffi S. TOZO (Lomé, Togo) ; Kpèrkouma WALA ; Urbain WENMENGA (Ouagadougou, Burkina Faso) ; Théophile ZOHOUN (Cotonou, Bénin) ; Tanga Pierre ZOUNGRANA (Ouagadougou, Burkina-Faso). Comité de lecture : les lecteurs (referees) sont des scientifiques choisis de par le monde selon les champs thématiques des articles. 3
SOMMAIRE 1. «Typologie des principaux groupements végétaux des savanes soudaniennes semi-arides au nord Togo» par Y. DEMAKOU, M. DOURMA, S. AKPAVI, A. ATATO et T. T. K. TCHAMIE ................ 5 2. «Apports de la télédetection et des systèmes d’information geographiques dans l’étude de la dynamique des paysages végétaux de l’ouest de la Région des Plateaux au Togo» par P. W. TAKOU, T. BOUKPESSI, M. DJANGBEDJA et A. MAMA ................................ 29 3. «Relation entre le niveau d’infestation d’un pâturage cultive et celui des bovins par des tiques (ixodidae) à Lomé, Togo» par E. A. KULO, K. ASSOGBA, W. PITALA et W. POUTOULI ..................................... 49 4. «Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les wodaabe suudu suka’el de Tanout» par S. BODE, B. AMADOU et R. JAUBERT ..................................................................................... 61 5. «Dérèglement climatique et élevage dans la Région des Savanes à l’extrême nord-Togo» par E. ADEWI................................................. 87 6. «Importance socio-économique et usages des ressources végétales du bas delta de l’Ouéme (Bénin)» par B. J. ADJAKPA, A. AGBAKA, M. TOLMAN, P. WEESIE et L. E. AKPO ........................................... 109 7. «Demande urbaine en bois de feu et nécessite d’une gestion rationnelle des ressources ligneuses : cas de la ville de Parakou (nord- Bénin)» par B. L. BIO BIGOU, J. ASSOUNI et G. BIAOU............. 127 8. «Enclave d’insalubrité au centre ville de Cotonou : cas de Zongo» par T. VIGNINOU et M. MEHOU-LOKO ....................................... 147 9. «Les efforts de modernisation de l’agriculture dans la commune de Djidja (Bénin) : portée et limites» par A. Y. TOHOZIN ................... 167 4
Rev. Sc. Env. Univ., Lomé (Togo), 2012, n° 009 ISSN 1812-1403 SYSTEME PASTORAL ET FONCTIONNEMENT DES UNITES DE PRODUCTION CHEZ LES WODAABE SUUDU SUKA’EL DE TANOUT Sambo BODE1, Boureima AMADOU1 et Ronald JAUBERT2 1 Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger) 2 Institut de Géographie de l’Université de Lausanne (Suisse) Résumé Le département de Tanout, situé au centre-Est du Niger, est une zone à vocation agropastorale par excellence. Les pasteurs cohabitent avec des populations sédentaires dont les agriculteurs qui ont une tenure foncière forte. Ainsi, les populations peules Wodaabe partagent l’espace, pourvoyeur de ressources pastorales, avec les autres groupes ethniques. Cette situation a, dans une certaine mesure, contribué à rendre précaire leur mobilité pastorale. Chez les Wodaabe le pastoralisme est une activité économique liée entièrement à l’exploitation du troupeau. Au cours de l’histoire et pour faire face aux différents risques, le groupe a mis en place des instances qui veillent à la fois au contrôle de leurs membres, à la sécurité de leurs animaux, mais aussi à leur relation avec les autres acteurs. Les Wodaabe, s’apparentent dès lors en un ensemble bien organisé permettant la continuité de leur mode de production, malgré les multiples contraintes auxquelles les membres du groupe doivent faire face. L’objectif de ce travail est d’analyser l’organisation sociale de la mobilité des Wodaabe Suudu suka’el à travers le fonctionnement des campements. Nous nous sommes interrogés sur les stratégies développées par ce groupe pour sécuriser son mode de vie face au changement climatique dans un nouveau contexte de décentralisation. Notre méthodologie est essentiellement basée sur une collecte de données à travers une approche géosocioanthropologique. Celle-ci allie des méthodes qui font appel à la fois à la géographie, l’agronomie, la sociologie et l’anthropologie. Le choix du groupe cible de l’étude a été opéré, premièrement sur la base d’un critère de représentativité géographique de l’ensemble du territoire habituel de parcours
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT (département de Tanout) et aussi sur les formes de mobilité typique du groupe. Les résultats rendent compte de l’agencement complexe mais flexible des unités de production autour des campements et aussi d’une dynamique du processus de socialisation du groupe d’éleveurs Wadaabe. Dans cette société, les normes autour des valeurs de la solidarité, d’entraide et de sens de l’intérêt collectif, cimentées par les respects des règles du Pulaaku (code des valeurs sociales), sont autant des facteurs qui permettent la vie de groupe. A chaque évènement majeur, le groupe se réajuste et adapte sa tactique de mobilité dans un espace compris entre la zone sahélo-saharienne et celle à dominante agricole au Sud. Mots-clés: pastoralisme, unités de production, Wodaabe, Tanout (Niger). Abstract The department of Tanout, situated in the center east, of Niger, is an outstanding agro-pastoral zone. Shepherds cohabit with the sedentary populations of which agriculturists have a strong fundamental tenure. So Wodaabes peuhl populations share the space, supplier of resources, with the other ethnic groups. This situation has, to a certain extent, contributed to make precarious their pastoral mobility. With the Wodaabes pastoralism is an economic activity entirely based on the exploitation of the herd. In the course of history and to face the different risks the group set up institutions that control their members and the security of their animals but also their relation with the other actors. The Wodaabes are from this classified as a well organized group permitting the continuity of their production mode, in spite of the multiple constraints which the members of the group must cope. The objective of this work is to analyze the social organization of the mobility of the Wodaabe Suudu suka'el through the mechanism of the camps. We examined strategies developed by this group to safeguard its life style from the changes in a new context of decentralization. Our methodology is essentially based on a collection of data through a geo socio anthropologic approach. It allies methods that call upon at the same time geography, agronomy, sociology and anthropology. The 62
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout choice of the target group of the survey has been operated, first on the basis of a criteria of geographical representativeness of the whole territory usual itinerary circuit (department of Tanout) and also on types of typical mobility of the group. Results give account of the complex but flexible arrangement of the production units around camps and also of a dynamics of the process of socialization of the Wadaabe breeders group. In this society, norms around the values of solidarity, of help and senses of the collective interest, strengthened by the respects of the Pulaaku rules, are as many factors that permit the life of the group. On every major event, the group itself adjusts and adapts its tactics of mobility in a space between the Sahelo-saharian zone and the one of agricultural dominance in the south. Key-words: pastoralism, production units, Wodaabe, Tanout (Niger). INTRODUCTION Au Niger, pays sahélien, le pastoralisme est une activité économique liée entièrement à l’exploitation du troupeau, par l’utilisation extensive ou intensive des ressources naturelles toujours aléatoires (Amadou, 1999). Il est également un système de production dans lequel des hommes et des animaux vivent dans une relation «symbiotique» (Bonfiglioli, 1988), à travers une exploitation libre de l’environnement. L’éleveur, pasteur wodaabe, dans le Sud-Est du Niger, construit et développe sa stratégie d’élevage autour de deux exigences liées d’une part à la condition de vie quotidienne de sa famille et son enracinement dans le groupe social, et de l’autre la survie de ses animaux, entièrement dépendants de ses décisions. Le troupeau étant son principal moyen de production, il lui consacre une grande part de ses efforts. Mais il accepte aussi une part de risque en fonction des moyens dont il dispose et selon ses choix (Toutain, 2001). Les Suudu Suka’el, groupe pasteur nomade, de la lignée des peuls Wordage, font l’objet de cette réflexion. Ces pasteurs, les derniers purs nomades du Sahel, sont le résultat d’un certain nombre de migrations 63
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT successives qui les a conduits jusqu’au Damergou où ils semblent être fixés. Au cours de l’histoire et pour faire face aux différents risques, le groupe a mis en place des instances qui s’occupent à la fois du contrôle de leurs membres, de la sécurité de leurs animaux mais aussi de leur relation avec les autres groupes. C’est une structuration qui permet la survivance d’un mode de vie particulier fondé sur la mobilité. Ainsi, malgré ces contraintes liées à l’exercice de leur activité, notamment la mobilité des hommes et d’animaux, et hormis les épisodes des années très critiques (sécheresses et autres calamités naturelles), le groupe n’a abandonné ni son identité pastorale ni son site d’attache (zones de puisards et mares temporaires). Ce texte rend compte du fonctionnement des unités de production de ce groupe d’éleveurs spécifique. Il tente de montrer, à travers des méthodes géosocioanthropologiques (quantitatives et qualitatives), la capacité de ces pasteurs à poursuivre leur système de production dans un contexte socioéconomique en mutation. L’avenir du pastoralisme mobile et la paix sociale dépendent de la sécurisation et de la restauration des systèmes pastoraux par une utilisation soutenable des parcours, de l’amélioration de la productivité de l’élevage et de règlement des disputes sur les ressources de manière à faciliter l’intégration des pasteurs dans les nouveaux systèmes plus globalisés. Ces nouvelles dynamiques ouvrent de nouveaux chantiers pour la recherche et interpellent les décideurs politiques sur les modes d’actions en direction des sociétés pastorales. I. PRESENTATION DE L’ESPACE WODAABE ET LES INSTITUTIONS DE DECISIONS I.1. L’espace Wodaabe La zone d’étude est le département de Tanout (1 et 2b) appelé aussi Damergou. C’est une région de plateaux latéritiques et partiellement recouverts de sable au Sud. On observe globalement une altitude variant entre 500 et 560m (figure 2b). Au Nord le relief est globalement plat, avec une altitude comprise entre 450 et 500 m, disséqué de quelques cours d’eau temporaires ou oueds (figure 2a). La région présente une double particularité sur le plan écologique et du système de production. 64
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout Figure 1: Présentation de l’espace Wodaabe de Tanout Source: Signer 2010 et enquête de terrain Figure 2a: profil du Nord-Ouest de Tanout Source: Fond de carte topographie IGN, République du Niger, Feuille ND-32-XXI (Tanout) 65
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT Figure 2b: profil du Sud-Ouest de Tanout Source : Fond de carte topographie IGN, République du Niger, Feuille ND-32-XV (Tanout) Le système de production repose sur une complémentarité entre les activités agricoles et pastorales. Ainsi, la possibilité de faire face aux mauvaises années climatiques dépendait depuis très longtemps de cette complémentarité entre systèmes sociaux distincts et de la mobilité des pasteurs comme les Wodaabe et des paysans. Sur le plan écologique, la zone se trouve à cheval entre les espaces pastoraux du Nord et la zone à dominante agricole au Sud; en toute saison, se concentrent des troupeaux venant de différentes contrées du pays. Elle devient, de ce fait, un espace privilégié de conduite des activités pastorales de la communauté des Wodaabe. Les précipitations ont tendance à diminuer au cours des dernières décennies, et l’isohyète 300 mm descend progressivement vers le Sud. La saison froide joue un rôle important dans le calendrier agropastoral, permettant les cultures de contre saison, mais aussi les repousses tardives de sorgho et des repousses successives de niébé, bien utilisées par les pasteurs Wodaabe pour la vaine pâture. Les paysages ont considérablement évolué au cours des dernières décennies. Ainsi, la savane arborée a laissé place à un paysage steppique où l’arbre est devenu plus rare et ne semble plus jouer un rôle central dans le maintien de la fertilité des sols. La vocation pastorale initiale de la zone est fortement remise en cause sur toute la lisière sud par l’avancée du front agricole, aujourd’hui bien plus au Nord que la limite officielle de 1961. Cette colonisation agricole 66
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout est aussi bien le fait d’agropasteurs Touaregs, Peuls, Haoussas et Dagaras. Ces communautés, avec les pasteurs Wodaabe, constituent les principaux groupes qui peuplent la zone. I.2. Les institutions de décision Nous avons mis en évidence, au niveau du groupe des Suudu Suka’el de Tanout, les instances ou institutions de décision. Celles-ci s’occupent à la fois du contrôle de leurs membres, de la sécurité de leurs animaux mais aussi des relations avec les autres acteurs (figure 3). Les responsabilités des leaders s’articulent autour de l’organisation du campement au gré des saisons et de la disponibilité des ressources pastorales. Ainsi, le lignage des Suudu Suka’el de Tanout a mis en place des instances ou institutions qui sont au cœur de leur organisation sociale. La première instance est dirigée par un Ardo1, un guide, premier responsable d’une fraction des pasteurs. Il est élu par ses membres et confirmé par le chef du groupement ou de canton et l’Administration locale. Il a un rôle plus politique que pastoral. Il est chargé de collecter les impôts per capita et joue le rôle de chef de tribu administrative. La tribu est alors constituée de chefs de familles qui payent leurs impôts auprès d’un Ardo. Ensuite, vient le Jom dudal, le doyen, un sage d’une unité (ndottijo), responsable des valeurs sociales d’une unité de nomadisation dont les membres peuvent provenir d’une ou de plusieurs fractions selon le degré de parenté. Il est garant de l’ensemble des normes comportementales, des valeurs morales et sociales du groupe. Il siège au conseil des sages (instance de jugement) au sein du lignage lors des cérémonies. Il préside le conseil des adultes (Saawara ndottii’en). Il est le premier magistrat du campement. Il rend justice et amende les coupables. Il saisit le conseil des sages à la réunion annuelle. La fonction du doyen est très importante, surtout pendant la saison sèche et durant les quelques jours que peut durer la réunion annuelle du worso. Dans ses fonctions, il est secondé par le samri (terme haoussa qui signifie leader des jeunes 1 Dans la partie Ouest du Niger, le rôle de Ardo équivaut à celui du Rugga. 67
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT garçons) qui a une fonction de conseiller et par une femme (jaji ou lamé). Instance de jugement Conseil des sages (ndottii’en) Worso, Daddo, Oumto Guides pastoraux et administratifs (Ardo’en) Garsoo Samri Jaji Jeunes bergers Les niveaux d’organisation du campement (Suudu, Wuro, Dudal) La communauté Figure 3: Hiérarchisation des institutions de l’organisation sociale des Suudu Suka’el Source: enquête de terrain On note enfin, le chef de groupement qui fait office de chef suprême. Les Suudu Suka’el se réfèrent rarement à leur chef administratif pour diverses raisons, n’étant pas issus du même clan. Ce qui suppose qu’il y a une organisation sociopolitique traditionnelle et l’organisation politico-administrative qui collaborent difficilement. 68
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout II. MATERIEL ET METHODES II.1. Matériel Notre protocole de recherche a consisté à l’élaboration des indicateurs de recherche sur des questions clés adressées aux acteurs stratégiques (Olivier de Sardan, 2003). Des données disponibles sur la zone dont les fonds de cartes topographiques de l’Institut Géographique National (IGN) et des données de base de l’Inventaire des Ressources Hydrauliques (IRH), du Ministère de l’élevage et du Centre Régional Agrhymet ont été consultées et analysées. Les informations sur le web (Google Earth) ont également été intégrées. Enfin, un GPS (Global Positionning System) pour géo-référencer les gîtes d’étape et les lieux de séjour des pasteurs a été utilisé. Nous avons pu ainsi réaliser des cartes thématiques. Par ailleurs, au cours du travail de terrain, l’usage d’un appareil photo pour donner des situations diachroniques a été un outil très précieux de même que l’utilisation d’un dictaphone pour l’enregistrement des interviews et entretiens avec les acteurs. II.2. Méthodes La collecte des données s’est faite à travers les approches géosocioanthropologiques, c'est-à-dire des méthodes mixtes qui font appel à la fois à la géographie, l’agronomie, la sociologie et à l’anthropologie. Le choix du groupe cible de l’étude a été opéré, premièrement sur la base d’un critère de représentativité géographique de l’ensemble du territoire habituel de parcours comme une construction d’un terroir d’attache et d’accoutumance du groupe (département de Tanout). En deuxième lieu, les formes de mobilité typique du groupe ont été prises en compte. La recherche est principalement centrée sur le système pastoral et le fonctionnement des unités de production du groupe. L’investigation ne s’est pas limitée seulement à enquêter les acteurs du seul groupe. Elle a tenu compte de l’avis des autres acteurs sociaux stratégiques, les membres des différents lignages, les agropasteurs, les agriculteurs et les 69
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT acteurs institutionnels, etc. Le recueil d’informations via l’observation participante est complété par des interviews de témoins privilégiés et par l’analyse critique des différentes sources de documents existants. Des témoignages oraux, écrits et les simples observations ont été intégrés en insistant sur leurs croisements, leurs complémentarités, leurs insuffisances, leurs limites et leurs atouts. Pour les données socio anthropologiques, l’opération a consisté au recueil des informations prescrites auprès des acteurs institutionnels et les membres des unités d’observation (campements). Par ailleurs, pour répondre aux questions sur les indicateurs de recherche, l’enquête socio- anthropologique a été utilisée sans viser la représentativité statistique des populations enquêtées, mais elle précise les pratiques, savoirs, stratégies et perceptions exprimées par les acteurs concernant le système de mobilité. Ainsi, c’est à l’aide d’instruments d’enquête qualitative dont l’objectif est de «découvrir les différences subtiles entre formes de connaissances, modalités d’interprétation et logiques» (Olivier De Sardan, 2005 : p 210). L’approche empirique du terrain tient pour beaucoup de l’anthropologie ; comme c’est le cas de Collington (1996), lorsqu’elle a étudié la toponymie chez les Inuit. Cette approche relevait de l’observation participante décrite, comme une stratégie qui facilite la collecte des données et aussi comme une méthode qualitative rigoureuse selon Olivier De Sardan (2008). Elle nous a permis de faire une typologie des systèmes de production. Comme tout canevas d’entretien, le focus-groupe donne une sorte de modèle réduit, d’une présentation brève, mais complète des éléments essentiels. Les données socio-anthropologiques, ont été traitées sur la base de l’analyse du contenu qui implique la mise en œuvre des procédures techniques relativement précises (Collington, 1996). Ainsi, le choix des termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode d’agencement, la construction du discours et son développement constituent des sources d’informations à partir desquelles une connaissance est construite. Dans ce dispositif de recueil des informations, les entretiens sont toujours associés à l’analyse après un codage des concepts clés. Il s’agit, en effet, de faire surgir un maximum d’éléments d’informations et de réflexion qui serviront de matériaux à une analyse. 70
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout III. RESULTATS III.1. Le fonctionnement des unités de production: un agencement complexe mais flexible Les unités de production sont représentées par les campements. Un campement est une structure où les décisions vitales sont prises, en tenant compte d’un environnement naturel, économique, social et politique, susceptible de varier à chaque étape, tantôt hospitalier, tantôt risqué, sinon hostile. Le campement est l’unité résidentielle des pasteurs. Son effectif (le nombre de personnes et d’animaux vivant ensemble) peut dépendre de plusieurs variables dont la saison, l’unité écologique traversée et l’environnement sécuritaire. Ainsi, il peut être d’une vingtaine de familles à une cinquantaine ou des centaines en saison des pluies pour se réduire à moins d’une dizaine en saison sèche. Par contre, il est rare de voir une seule famille s’ériger en campement. L’organisation est un agencement complexe, une sorte de composition et de recomposition, donnant plusieurs niveaux d’analyse. L’étude a identifié cinq 2 niveaux d’organisation qui se créent selon plusieurs opportunités. Elle a aussi permis d’analyser les différentes fonctions assurées par les campements. III.1.1. Le campement comme unité familiale nucléaire ou unité sociale de base (wuro) Le terme de wuro (pl : Gure) désigne l’unité familiale de base sociale, une collectivité humaine plus ou moins stable. Wuro est le lieu où l’on vit ensemble, l’espace social de base (Riesman, 1974). C’est aussi une cellule familiale qui a une autonomie sociale et économique fondée par un homme adulte, chef de famille (jom wuro). Pour un homme, la construction de la case (suudu) de son épouse constitue un moment extrêmement important de sa vie. C’est une étape nouvelle et déterminante dans le processus de formation de son unité domestique 2 Au Tchad central, l’étude sur un campement arabe Salamat Siféra a fait ressortir quatre niveaux d’organisation. La différence avec les Wodaabe vient du fait que ces derniers célèbrent la fête annuelle (worso ngaynaaka), un autre niveau d’organisation que l’on ne retrouve pas chez les pasteurs du Tchad (Marty, 2009 : p.241). 71
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT propre et son autonomie par rapport à l’unité familiale élargie de son père. Pour cela, il faut disposer de son propre cheptel. L’homme deviendra un jom-wuro quand il devient autonome en tant qu’unité de gestion. Le Wuro est aussi une unité sociogéographique (avec son espace réservé à lui dans le campement) que possède un homme reconnu comme chef de cette unité. Les membres de l’unité sont noués par des liens de parenté ou de voisinage. Chez les Wodaabe, le suudu (au pl. cudi) désigne l’espace familial. Il s’agit avant tout d’un espace physique, d’un espace arraché à la brousse. C’est un enclos (hoggo), en forme de demi-lune, et parfois un abri, délimité par des branches, ouvert vers l’Est, désherbé et balayé. C’est une sorte de brousse interrompue (howare). Il ne peut y avoir de suudu sans femme, et vice versa, il ne peut y avoir de femme adulte sans suudu. La femme est le jom-suudu ou responsable de la maison. C’est elle, d’ailleurs, qui confectionne, à chaque étape de la mobilité, la case ou l’abri. Ce concept implique nécessairement une pluralité de personnes: un homme et une femme vivant ensemble, ainsi qu’un homme et ses enfants (mariés ou non); au sens plus large encore, tout regroupement qui forme une communauté. Le wuro, ou famille nucléaire (monogame ou polygame) constitue la base du travail et de production chez les Wodaabe. A ce titre, le wuro forme une unité domestique et reste le centre décisionnel majeur où l’expression des choix stratégiques s’exprime avant d’atteindre les niveaux d’organisation sociale supérieurs. Dans cette unité, les femmes sont chargées des travaux domestiques, de la surveillance des jeunes animaux, etc. Elles sont aussi responsables de la gestion des produits laitiers qu’elles vendent dans les villages ou les marchés locaux. Les hommes sont responsables de la conduite des troupeaux, de leur alimentation et abreuvement. La gestion du cheptel est en partie collective, chaque animal, quelle que soit son espèce, dans une unité familiale, appartient en propre à un individu. Mais certains aspects de la gestion (décision de vente ou d’achat) sont toujours discutés au sein de l’unité familiale. Souvent certaines décisions à prendre peuvent dépasser les seules compétences de cette unité 72
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout domestique. Dans ce cas, il faut alors faire recours à un niveau supérieur. III.1.2. Le campement comme unité de gestion groupée du troupeau (dudal) Deux ou plusieurs Wuro, le plus souvent très proches parents, se regroupent, les hommes et leurs animaux, afin de constituer une unité économique viable (dudal). A ce niveau d’organisation, les responsabilités sont partagées sous forme d’une conscience collective (Bonfiglioli, 1988). Dans certaines situations, il peut s’agir de l’association de plusieurs sous-unités (gure) qui se réunissent et restent ensemble pendant certaines périodes de l’année afin de faire face aux éventuelles contraintes (main-d’œuvre). En ce moment, le campement prend le qualificatif de wuddu (le nombril). Chez les Wodaabe, un dudal peut comporter 5 à 12 unités familiales qui sont constamment ensemble ou en relation étroite. En ce sens, il constitue le niveau d’entraide en vue de l’usage des ressources locales donnant des unités collectives de résidence. Ce genre de regroupement prend surtout forme en saison sèche. En ce sens, le leader de l’unité est en général un doyen d’âge, un patriarche, ou un sage jugé responsable de l’unité selon le code du mbodaangaaku. Un dudal comporte un ou plusieurs bergers éclaireurs investis (garsoo wainata), détenteurs des connaissances et des techniques pastorales. Quant aux tâches quotidiennes de conduite de troupeaux, elles reviennent aux simples bergers (waynaabe, boussi’en) qui sont souvent des hommes de la famille. Mais, ils peuvent aussi être des bergers contractuels. A l’échelle du Dudal, le troupeau est un bien collectif, c'est-à-dire, répondant à un regroupement d’animaux de différents propriétaires, donc susceptibles d’évoluer contradictoirement selon les décisions prises, relatives à sa gestion. Le troupeau reste une unité de gestion de référence, certes fluctuante, mais qui constitue une conjonction de décisions et de logiques personnelles. L’unité de production et de consommation que représente le dudal se traduit par l’exploitation commune d’un même troupeau. Il est donc géré collectivement, 73
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT socialement, mais individuellement approprié par les membres ou des personnes plus lointaines par les mécanismes de confiage (amis, parents éloignés, autres éleveurs, paysans, etc.). Le troupeau est de ce fait composite. La conduite est rarement différenciée vis-à- vis du statut de chaque animal, même si des hiérarchies puissantes existent autour de sa symbolique. Le troupeau comprend trois identités de référence : les bovins possédés en propre par le jom wuro au sein du dudal, le douaire de sa (ses) femme (s), suriji, c'est-à-dire les bovins donnés à l’épouse (par son mari), des animaux des parents mariés vivant dans l’unité et les animaux en garde (janaali). Les mécanismes de distribution du troupeau dans le campement (héritage, dons et prêts) se font à ce niveau. En dehors de ce système classique d’entraide sous forme de habbanaae, suukaaji, soggaraaji et hawari entre pasteurs, décrit par Amadou et Yamba (1995) dans le Sud- Ouest du Niger, il est assez courant qu’un propriétaire prête un animal à un parent moins loti, à un ami ou à un dudal. Les enfants reçoivent en cadeaux des animaux dès leurs bas âges à l’occasion des évènements et les mariages arrangés (kobgal)3. En effet, c’est une manière de lutter contre la vulnérabilité dont chaque membre de la communauté peut être affecté à un moment donné et de rétablir une certaine équité sociale en répartissant les richesses du groupe (Bonfiglioli, 1988). C’est aussi le moyen d’équilibrer le nombre d’animaux avec la main-d’œuvre disponible (Thébaud, 2004). C’est enfin, l’occasion de tisser tout un faisceau de relations qui permet de créer un tissu social interdépendant. Il est bien difficile de déterminer l’évolution du dudal puisqu’il est sujet à des fusions ou à des éclatements en fonction de la conjoncture (crise écologique, décès d’un patriarche). Selon Bonfiglioli (1988), le dudal est une réalité sociopolitique instable et précaire dont l’équilibre est continuellement sujet à des pressions. Stenning (1994) souligne qu’à l’intérieur du dudal, il y a une tendance constante vers l’équilibre, vers une viabilité interne. Il s’agit d’une viabilité quantitative, en termes de rapport entre le nombre des hommes et celui des effectifs animaux. 3 Dans la société wodaabe on observe deux types de mariages : le mariage qui est négocié (Kobgal) avec le consentement des deux familles des jeunes mariés et le mariage rapt (Teegal) scellé entre un homme et une femme sans le consentement préalable des parents. 74
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout Mais, il s’agit aussi d’une viabilité temporelle, puisque les techniques et les stratégies visant à créer et à modifier cet équilibre peuvent varier dans le temps, selon le cycle de développement ou les stades atteints par l’unité socio-pastorale ou selon les changements des facteurs sociopolitiques externes. Donc, le dudal est une unité en perpétuelle mutation. Il est évident qu’un ratio existe autour de l’effectif du bétail par personne ou par actif qui exploite le troupeau. Dans les mêmes conditions, Thébaud (1999) parle de 3 UBT4 par personne, pour une famille moyenne de 7 personnes, chiffre en deçà duquel l’unité devient vulnérable. Au cours de l’étude, les unités suivies dépassaient les 3 UBT par personne avant la crise pastorale de 2010. Mais avec cette crise, les pasteurs Wodaabe ont perdu plus de 80% de leur bétail et tombent à 0,3 UBT/personne. Par ailleurs, pendant la transhumance d’hivernage ou au cours de grandes migrations, les unités se fondent dans des plus grands ensembles, donnant ainsi une autre forme d’organisation. III.1.3. Le campement comme unité de transhumance (Tijol) Les termes tijol en fulfulde, tinikert en tamasheq, qui signifient dans les deux langues «aller au Nord», ou zua arewa, lassan kawa5 équivalent du même mot en haoussa qui a donné le concept de cure salée, sont employés par les éleveurs. C’est une sorte de migration vers le Nord en début d’hivernage pour rechercher la bonne herbe. Mais, c’est aussi une forme de mobilité permettant d’évacuer la zone agricole plus conflictuelle et l’humidité de la zone Sud. Dans le système de mobilité du groupe Suudu-Suka’el, il existe deux moments importants de la transhumance et de son organisation. 4 Une UBT ou unité bétail tropical correspond à un animal de 250 kg vif. 5 Certains emploient le terme de cure salée ou lassan kanwa, mais le sel n’est pas la seule raison; le pâturage, quand il y en a, est toujours meilleur au Nord. Les pasteurs Suudu Suka’el du Damergou dans leur mobilité hivernale atteignent rarement les zones salées d’Ingall. C’est pourquoi, ils transportent toujours avec eux des quantités importantes de natron pour leurs animaux. Ils utilisent aussi le sel de Bilma qu’ils achètent aux caravaniers. 75
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT La transhumance de la saison des pluies est un moment fort et plein d’espoir, appelé également korsol. En ce moment, il est observé une association de tous les niveaux d’organisation. Ce regroupement forme un ensemble, très solide et se présente comme un tout organisé, autour de la défense des intérêts communs. Les campements se transforment en unités de transhumance très mobiles, sous la responsabilité d’un chef de fraction, le guide, l’ardo, et qui prend le titre pastoral de chef d’une unité en transhumance. Dans certaines circonstances, notamment lors des traversées des zones conflictuelles de la zone à dominante agricole, on observe des associations plus intenses qui composent plusieurs fractions du même lignage ou d’autres lignages proches. C’est en effet, une stratégie du nombre pour faire face aux éventuelles agressions qui peuvent à tout moment surgir lors des avancées vers la zone pastorale ouverte du Nord en début d’hivernage ou le vers le Sud pour la vaine pâture. Le retour du Nord vers le Sud constitue également un moment qualifié de jofol, sakowa (période de vaine pâture). Le tijol et le jofol sont les deux moments les plus intenses de la mobilité chez les Suudu Suka’el. C’est aussi les moments pendant lesquels les ressources pastorales sont les plus disponibles. Par contre, pendant la saison sèche chaude, on observe moins de mobilité des troupeaux. Dans les conditions normales de disponibilité des ressources et de sécurité, une unité en transhumance regroupe un segment de lignage affichant un ancêtre commun dont les membres transhument souvent ensemble. Ce regroupement de descendants d’un ancêtre commun connu implique des mécanismes de solidarité en vertu des liens de sang. En cas de conflits, les membres de la fraction sont liés par des règles communes au groupe. III.1.4. Le campement comme unité de voisinage basée sur l’affinité (Gondal) Il arrive souvent au cours de la mobilité que d’autres campements de communautés différentes se rapprochent et avancent de façon parallèle. Cette forme de transhumance de voisinage basée sur l’affinité, gondal, est observée dans des zones d’insécurité, notamment avec le récent conflit armé du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Ainsi, il n’est pas rare de trouver un regroupement de plusieurs groupes 76
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout différents sur un même site. C’est aussi une stratégie de défense collective en cas d’attaque ou de vol de bétail. Dans ce même cadre, les Suudu Suka’el s’associent surtout avec les Uda’en Fereebe avec lesquels, ils ont des liens d’amitié, de mariage et partagent les mêmes ressources. Les phénomènes de co-résidence sont aussi basés sur l’usage des ressources communes (par exemple, les Godianko’en ont des affinités avec les Touaregs Malamey). Cette co-résidence correspond à une unité de transhumance, regroupant plusieurs unités domestiques qui sont systématiquement issues du même lignage ou non, donc de plusieurs unités. Elle constitue un segment circonstanciel de personnes qui transhume régulièrement. Cette circonstance est aussi à la base de certaines dynamiques sociales dont les nouvelles alliances et la segmentation des lignages. Le cas le plus observé constitue le regroupement des familles sur la base de l’affinité, généralement entre proches parents (tarde), différents du rassemblement annuel. III.2. L’organisation sociale et les facteurs de socialisation III.2.1. Le rassemblement annuel (worso ngaynaaka): un facteur de socialisation Le worso est un rassemblement annuel des Wodaabe. Il apparaît comme spécifique à ce groupe. C’est surtout en hivernage que le pasteur bodaado éprouve le sentiment d’appartenir, au-delà de sa famille nucléaire, à un groupe agnatique plus vaste. A cette époque, les mouvements de transhumance concertés des campements les font converger vers le lieu de leur rassemblement annuel, ou worso (Dupire, 1996). Les fractions des lignages se regroupent en campements (hodorde), d’abord par unités familiales polygames ou monogames sur un lieu bien précis. Ce rassemblement témoigne de la cohésion et de la vitalité d’un lignage et du désir de chacun d’y être incorporé. Tout chef de campement qui ne répond pas à l’invitation sans motif commet un acte interprété par l’ensemble du groupe comme une velléité de dissidence qui est mal vue. Toute absence doit être motivée et les places laissées vides font apparaître immédiatement des dangers de scission 77
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT gardés jusqu’ici secrets. Le worso6 est une entreprise collective car chacun dans le groupe participe aux frais des repas en apportant sa part de lait, et ceux qui égorgent des animaux en distribuent la viande à tous les assistants. Ce rassemblement de trois jours autour d’un site convenable (une mare, loin de la zone des cultures) est fonction de l’année en cours. Dans les préparatifs, le chef de fraction du dernier segment de lignage, se sent en effet obligé de réunir, au moins une fois par an, tous les membres pour célébrer les naissances et les mariages ou introniser les nouveaux leaders. Dans le cas échéant (empêchement), il ressort de la responsabilité du kinnal (ardo des ardos du lignage) du groupe de le faire. A Tanout, les Suudu Suka’el ont l’habitude de se rassembler en septembre. Ainsi, durant les campagnes hivernales 2009 et 2010, le lignage des Suudu Suka’el n’a pas pu célébrer le worso ngaynaaka compte tenu de la faible quantité des pluies tombées. Durant la cérémonie, les sages ne cessent de valoriser à l’endroit des jeunes, sous forme de conseils, le lait ou la viande des animaux choisis en l’honneur des invités. Dans les familles, un bovin n’est égorgé qu’à une cérémonie collective de ce genre et il faut des conditions particulières pour qu’une famille fasse une imposition du nom de nouveau né à une autre date. Il faut noter que les sacrifices de bétail des Wodaabe lors de la réunion de worso revêtent un caractère socio- magique et non religieux au sens de l’Islam. Ainsi, le jour choisi doit être faste7 : le lundi (febetede) convient par excellence pour sacrifier du bétail et célébrer des mariages, imposer des noms aux derniers nés et la promotion de passage des classes d’âges. Les jours comme le mercredi ou le samedi sont aussi convenables. En ce qui concerne le sacrifice du bétail, on finit par comprendre la valeur symbolique des bovins en lisant les écrits de Dupire (1996) et Paris (1997) qui décrivent le sacrifice des taureaux lors des grandes cérémonies inter-lignagères. C’est l’occasion alors, pour chaque lignage 6 Cette réunion est différente des rencontres interlignages organisées aussi par les jeunes pour faire le Gerewol et le Ruumi qui durent une semaine au cours desquelles les mariages (Teegal) et les rapts de femmes sont effectués. 7 Les Wodaabe distinguent au cours du mois lunaire des jours fastes et des jours néfastes. Le 27e jour de chaque mois est appelé nlyannga et certaines activités sont proscrites. 78
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout invité à la fête, de prouver son identité Wodaabe aux autres en montrant qu’il connaît parfaitement les rituels de la fête et également chaque moindre partie du taureau dépecé. Les invités appartiennent à des lignages avec lesquels le groupe est en bons termes. Au worso de 2008, à la mare d’Abdu Nazer, les invités du lignage des Baguel (ardos, ndottii’en) et le chef de canton de Tanout ont honoré de leur présence la cérémonie, seulement le deuxième jour 8. Ils sont logés la nuit par leurs hôtes qui leur ont construit, à cet effet, de grandes tentes et abris (vastes paravents d’épineux), comme toute résidence de bodaado. Par contre, le lignage des Jijiiru qui, pourtant est régulièrement invité, est absent à cette occasion. Il semble que le problème de l’acquisition d’un nouveau groupement 9 à Tanout soit la principale cause. Le worso a pour but de célébrer les mariages et les impositions de noms du lignage. Il permet, par ailleurs, aux sages de tenir des conseils de justice, de régler des différends et de préparer de nouvelles alliances; aux nouveaux adultes, il permet de faire reconnaître par leur «prise de barbe» (titol bahe), leur passage dans la catégorie des sages. Pour les jeunes gens, c’est, avant tout, une occasion de bonne chère, de danse et de libertinage. Au worso de 2008, une dizaine d’animaux (bovins et ovins) ont été sacrifiés et partagés entre les invités. Une quinzaine de nouveaux nés ont eu leurs noms (inde) et dix mariages négociés (koobgal) ont été scellés en trois jours. A la fin de la cérémonie, une dizaine de jeunes ont rasé définitivement leur traditionnelle tresse et ont fait leur entrée définitive dans la classe des sages. Des problèmes entre le groupe et certains lignages comme les Jijiiru sur la course à la chefferie, ainsi que l’accès à certains sites sous contrôle touareg ont été discutés. Par contre, un seul garsoo Wainata était promu lors de cette cérémonie. 8 Le premier et le troisième du worso sont consacrés aux rites magiques (unirki), propres au groupe des Suudu Suka’el. Lors de ces manifestations magico-religieuses, il est formellement interdit aux personnes étrangères d’y assister. 9 En 2010, un arrêté du ministère de l’intérieur crée un groupement Jijiiru à Tanout, avec chef lieu de résidence Ndjaptoji. Cet acte a été ressenti par les Suudu Suka’el comme une usurpation de la chefferie qui devait leur revenir. 79
Sambo BODE, Boureima AMADOU et Ronald JAUBERT Cette cérémonie est un cadre d’expression des valeurs culturelles peules et de socialisation pour les Wodaabe, le mbodaankaaku. Les trois jours de réunion présentent un raccourci de la vie sociale du lignage : Le groupe discute de l’opportunité d’aller donner une gerewol dans un autre lignage (planche 1). Le lignage contrôle l’arrivée de ses nouveaux membres et le sort de ses femmes. Mais, il se rappelle aussi qu’il appartient à des groupes sociaux plus vastes avec lesquels il est utile de consolider ou de nouer des rapports amicaux. C’est une sorte de socialisation qui a lieu le plus souvent une fois par an. Les unités mobiles projettent les nouveaux itinéraires en fonction de la nature de l’année. Lors de cette cérémonie, il arrive souvent que les unités nucléaires alliées se mettent côte-à-côte, modifiant aussi l’ordre historique absolu. Ainsi, le worso10 est aussi un lieu de contestation où on marque son désaccord dans l’optique de trouver une solution collective. Planche 1a: Wodaabe célébrant le Gerewol et 1b: Danse des jeunes Uda’en lors de la bastonnade (sharo) (cliché Bodé) Lors de la cérémonie, il existe entre les unités un classement immuable, trouvé avec les ancêtres (fina tawa), disent les organisateurs, qui s’exprime lorsque les campements se rassemblent en hivernage pour le worso ou le oumto (petit worso). Traditionnellement, l’alignement se fait sur une seule ligne Nord-Sud11, obéissant à une hiérarchie dont le 10 Chez les Touaregs, on peut l’assimiler au (tende) qui est une sorte de festival organisé par une tribu (tawshit) 11 On retrouve le même alignement des cases et la marque du bétail (alijam, degereeji) chez les Peuls Kastinanko’en sédentarisés dans le Damergou. Ce qui dénote, peut être, un lien historique ou une co-résidence avec les Wodaabe. 80
Système pastoral et fonctionnement des unités de production chez les Wodaabe Suudu Suka’El de Tanout sens s’inverse de l’ordre d’arrivée des lignées (gure) dans le groupe migratoire, de la première au Nord à la dernière au Sud. III.2.2. L’empreinte sociale dans la disposition des campements Le campement des Wodaabe obéit toujours selon une disposition et un ordre Nord-Sud12. Au cours des gîtes d’étapes, le plus ancien dans le lignage place sa famille toujours du côté Sud des autres familles cadettes. L’ordre généalogique des branches de la lignée (baaji, pl. de baajol) va de l’aîné au sud à la cadette au nord. L’ordre de séniorité des chefs de campements d’une même branche va également du Sud au Nord (frère ainé-cadet, père-fils, oncles paternels-neveux orphelins, suivi des parents non agnatiques, ordinairement neveux utérins, etc.). Cette disposition hiérarchique est également celle des hommes mariés à l’intérieur du campement domestique ; ils s’alignent du Sud au Nord selon les rapports de généalogie et de séniorité (ainé des frères suivi de ses fils mariés par ordre d’âge, second frère avec ses fils, neveux, parents non agnatiques). Ces genres de disposition de résidence ont été aussi décrits chez les Peuls semi-nomades du nord Bénin par Bierschenk (1999). Tandis que les cases des épouses du mari polygame se disposent dans le sens inverse nord-sud d’après leur rang de mariage, c'est-à-dire leur ordre d’arrivée dans le campement. La position ouest-est ou celle des hommes par rapport aux femmes, des hommes par rapport aux jeunes est parfois utilisée pour marquer la place d’un wuro cadet ou celle d’un wuro d’un lignage étranger incomplètement assimilé. Un wuro ou une branche de wuro peut également exprimer des intentions de dissidence en se plaçant au worso sur une seconde ligne orientale, derrière les autres gure de la fraction ou du lignage. Le critère d’alignement est purement temporel (lors des rassemblements) ; c’est celui de l’ordre d’arrivée des noyaux ou de naissance des ancêtres et le chef de fraction se situe à la place que lui dicte son appartenance lignagère et sa situation 12 La tradition relate que le Shefu de Sokoto qui a accueilli les Wodaabe lors de l’arrivée à Sokoto en provenance du Bornou, leur a recommandé d’occuper les terres du Nord, en disant «le Nord est béni». 81
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