1 : PARTIE VISION ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES JEUX DE HASARD - Kansspelcommissie

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1 : PARTIE VISION ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES JEUX DE HASARD - Kansspelcommissie
PARTIE     1:        VISION
ÉCONOMIQUE DU SECTEUR
DES JEUX DE HASARD

                          1
1 : PARTIE VISION ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES JEUX DE HASARD - Kansspelcommissie
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

La Commission des jeux de hasard a demandé à mr. Karel Volckaert du Bureau
riverrun d’approfondir l’angle économique d’une façon que les grandes tendances
économiques s’éclaircissent.
Différentes questions étaient à l’ordre, qui sont réunies en cette partie.
1 : PARTIE VISION ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES JEUX DE HASARD - Kansspelcommissie
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

          RÉSUMÉ POUR LES RESPONSABLES POLITIQUES
Le passé du secteur des jeux de hasard à l'échelle mondiale était caractérisé par
l'interdiction, et en conséquence de cette dernière, par des zones grises sans cadre
réglementaire en matière de contrôle, et par l'illégalité. Grâce à l'augmentation du
revenu disponible dans la population et à la libéralisation sur le plan éthique, une
structure de marché plus ouverte est apparue après la 2e Guerre mondiale où les
monopoles publics traditionnels en matière de loteries cherchaient un modus
vivendi concernant les jeux de hasard qui étaient également exploités par des
opérateurs privés. L'autorité de réglementation essaie tant bien que mal de
combiner la mission sociale des monopoles d'État visant à canaliser la dérive des
jeux de hasard avec la protection des consommateurs dans un écosystème
économique durable d'opérateurs privés dont les activités sont régulées.

Cette recherche de protection du consommateur par le biais de la canalisation et de
la faisabilité économique contrôlée s'est accélérée ces dix dernières années compte
tenu de l'avènement de l'ère de l'information. La numérisation et l'« économie de
l'expérience » (pensez gamification) ont entraîné des modifications structurelles
rapides dans le secteur des jeux de hasard. Un nouveau débat sur les jeux de hasard
s'impose. La viabilité d'une entreprise ou d'une organisation est déterminée de plus
en plus par l'équilibre entre l'expérience des utilisateurs, la valeur de la marque et le
modèle d'entreprise. La surenchère technologique pour proposer aux joueurs
l'expérience qu'ils souhaitent a fait prendre conscience à tous les opérateurs que
tout le monde n'avait pas le savoir-faire et la spécialisation nécessaires. Compte tenu
des avantages d'échelle et des effets de réseau liés à la technologie numérique, le
pouvoir se déplace vers des plateformes (étrangères) de technologies de paris de
plus en plus grandes. Les acteurs locaux (opérateurs, loteries nationales et autorités
de réglementation) devront faire front commun s'ils ne veulent pas être réduits à
une boîte aux lettres, une devanture, voire à un dumb pipe (simple fournisseur
d'accès) pour l'offre de magnats mondiaux.

Il s'avère que notre pays n'est pas à l'avant-garde sur le plan technologique (des
paris). Sur le plan réglementaire, le bilan est plus positif. Sous l'œil vigilant de la Cour
européenne de Justice, les États membres peuvent en effet développer leur propre
politique en tenant compte de la particularité culturelle du pays1. En 1999, le
législateur belge a créé ce type de cadre, qui sera mis à jour ultérieurement en
fonction des développements technologiques. La dichotomie entre la Loterie
nationale et le secteur privé réglementé par la Commission des jeux de hasard est
aujourd'hui à nouveau confrontée à de grands défis extérieurs. Comment les lords of
the cloud (les plateformes technologiques générales comme Apple, Google, Amazon
et Facebook), mais également les plateformes de technologies de paris spécifiques
(comme GTECH/igt ou Amaya/Rational) peuvent-ils être intégrés dans le modèle
belge ?

1
 Un point important spécifique au pays est, par exemple, la propension belge à l'anonymat : le modèle essentiellement
scandinave où les joueurs doivent être enregistrés rebute de nombreux concitoyens.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

Si les États membres veulent également faire appel à l'avenir au principe de la
subsidiarité, ils doivent démontrer qu'ils sont à la hauteur de cette bataille. Une
politique légitime en matière de jeux de hasard exige en particulier une Commission
des jeux de hasard résolue disposant des moyens et de l'expertise nécessaires pour
assumer pleinement son rôle en tant qu'« organisme d'avis, de décision et de
contrôle en matière de jeux de hasard ». Un organisme de réglementation pouvant
intervenir sur le plan réglementaire pour réagir à l'innovation et l'accroissement
d'échelle dans le secteur, tout en surveillant les développements économiques,
sociaux et technologiques plus vastes qui peuvent avoir un impact sur le secteur.
L'importance sociale est double : en maintenant en place le tissu socio-économique
local du secteur, un contrôle peut être réalisé plus efficacement et les flux d'argent
pour nos économies nationales et/ou régionales sont préservés autant que possible.

En l'absence de modification de la politique, le spectre de la non-pertinence menace
tant la Loterie nationale, la Commission des jeux de hasard que les opérateurs privés
locaux. Dans une chaîne de valeur globalisée où le producteur et le distributeur
coïncident de plus en plus souvent, même un monopole d'État ne peut rien faire
contre la violence avec laquelle des sociétés proposant des jeux de hasard font du
forcing pour promouvoir leurs produits à travers le canal de distribution. Le
fonctionnement de l'organisme régional de réglementation est paralysé par des
batailles de procédure. Les exploitants locaux ne sont rien de plus qu'un jouet des
oligopoles qui deviennent systématiquement plus forts par le biais de fusions.

Dans notre pays, les gens ont encore trop souvent l'impression que la Commission
des jeux de hasard est « du côté » des opérateurs privés, contre la Loterie nationale.
C'est le mauvais champ de bataille ; la menace émane d'au-delà des frontières
nationales. La mission sociale de la Loterie nationale est d'être un facilitateur, pas un
distributeur. La rente de monopole, les subsides et les cotisations spéciales lui
permettent de créer des opportunités pour le tissu social et économique social. De
plus, la Commission des jeux de hasard est son allié objectif, en particulier en
imposant lourdement les excess rents (bénéfices excessifs basés sur le pouvoir du
marché) que les plateformes de technologies de paris tirent de leurs oligopoles.

Un organisme de surveillance indépendant pouvant travailler at arm’s length (sans
lien de dépendance) des autorités peut rassembler les forces locales. Un secteur des
jeux de hasard local attrayant a besoin d'un organisme de réglementation qui ne se
limite pas au contrôle des opérateurs autorisés, mais qui effectue des études
approfondies et indépendantes sur l'évolution de la structure du marché, sur
l'« élasticité » de l'offre et de la demande, sur la prévention et l'accompagnement
des comportements problématiques, sur l'équilibre adéquat entre l'expérience des
utilisateurs, la valeur de la marque et le modèle d'entreprise de tous les opérateurs ;
et enfin qui peut agir de manière proactive sur le plan réglementaire – bien sûr en
rendant des comptes au pouvoir parlementaire et au gouvernement.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

SAMENVATTING VOOR BELEIDSMAKERS.................................................................... 2
1. Inleiding. Een sterk staaltje blufpoker.................................................................. 6
2. Een “bijzondere” economische activiteit ............................................................. 9
   1.        De evolutie van het begrip kansspel ........................................................................................................................................... 9
         Financialisering en gamification van de kansspelsector: spread betting en binaire opties ............................... 11

   2.        Mededinging in de kansspelsector .............................................................................................................................................13
         De Nationale Loterij en de Belgische Kansspelcommissie .............................................................................. 14
         De houding van Europa .................................................................................................................................. 16
         Het strijdtoneel verplaatst zich ........................................................................................................................ 17

3. Kansspelen in het informatietijdperk................................................................. 20
   3.        De experience economy .....................................................................................................................................................................20
         Always on: live, hybrid, social, community gaming en betting ......................................................................... 22

   4.        Traditionele trekkingsspelen verliezen marktaandeel ................................................................................................24
         Instant gratification en live experience hertekenen de sector .......................................................................... 26

4. Competitieve analyse van de kansspelsector ..................................................... 29
   5.        Een ‘holistische’ kijk op kansspelen ...........................................................................................................................................29
         De economische samenhang van de kansspelsector – het begrip elasticiteit ................................................. 30

   6.        De dynamiek in de waardematrix ...............................................................................................................................................34
         Marktvermogen en interdependentie .............................................................................................................. 35

   7.        Gevalstudie: kanaliseren zonder marktverruimend te werken ............................................................................39
         Hoe “doorlatend” mogen de schotten tussen de marktsegmenten zijn? .......................................................... 39

5. Welvaartsanalyse van kansspelen ..................................................................... 42
   8.        Hoe mensen omgaan met probabilistische keuzes .......................................................................................................42
   9.        Maatschappelijke wenselijkheid van kansspelen ............................................................................................................44
         Inspraak en legitimiteit – waar is het maatschappelijke debat? ....................................................................... 44

   10. ‘Negatief’ consumentensurplus (verslaving, uitbuiting) en producentensurplus (fraude,
   criminaliteit) ............................................................................................................................................................................................................47
         Rol van de overheid – negatieve externaliteiten en paternalisme ................................................................... 54
         Belastingen op kansspelen............................................................................................................................. 55

6. Een economische kijk op de regulator ............................................................... 58
   11. Een kansspelbeleid dat het evenwicht houdt tussen principes en regels ....................................................58
         Alle evoluties die de kansspelsector aanbelangen opvolgen .......................................................................... 58
         De sector segmenteren tussen criminalisering, private mededinging en staatsmonopolie .............................. 59
         Reguleren en controleren van de vergunninghouders .................................................................................... 60
         Het algemeen belang borgen door gericht de markt te verstoren.................................................................... 61
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

     1. Introduction. Un bel exemple de poker menteur
En juin 2014, la petite société Amaya Gaming de Montréal (chiffre d'affaires de
moins de 150 millions de dollars) a racheté le géant des paris Rational Group pour
4,9 milliards de dollars en espèces2. Les fleurons de Rational Group, PokerStars et
Full Tilt Poker, possèdent plus de deux tiers du marché mondial du poker en ligne.
Comment est-ce possible ? Plus de 100 milliards de mains de poker ont été
distribuées par la plateforme technologique de Rational. Plus de 90 millions de
joueurs sont enregistrés chez eux – en dehors des États-Unis. C'est là que le bât
blessait.

Les difficultés rencontrées par Rational pour obtenir une licence en ligne dans le
New Jersey a déclenché la transaction. L'autorité américaine de réglementation (tout
comme les autres opérateurs privés de jeux de hasard) n'a pas caché que cette
licence ne serait pas accordée tant qu'Isai Scheinberg, actionnaire et père du CEO de
Rational, était encore en activité. En 2011, Isai Scheinberg a été inculpé pour avoir
enfreint l'Illegal Gambling Business Act (loi sur les entreprises de jeux illégaux) et
l'Unlawful Internet Gambling Enforcement Act (loi d'application concernant les jeux
de hasard illégaux sur Internet) en permettant aux joueurs américains d'accéder à
PokerStars alors que les paris en ligne étaient interdits.

En 2006, cette loi UIGEA avait détruit l'hégémonie de PartyPoker, évaluée à plusieurs
milliards, d'un trait de plume. Le plus petit concurrent, PokerStars de Scheinberg, ne
voulait pas renoncer et a eu recours à des méthodes « peu orthodoxes » pour
déplacer quand même de véritables espèces de et vers des comptes de joueurs. Full
Tilt l'a fait aussi, mais cela a été découvert lorsque le tribunal les a mis sur la sellette.
PokerStars a conclu un accord avec les autorités pour 731 millions de dollars en
promettant d'indemniser également les joueurs dupés de Full Tilt. Depuis cette
époque, Isai Scheinberg a été considéré comme un « bad actor » et le marché
américain est resté fermé pour PokerStars.

Lors du refus de la demande de licence en ligne de Rational (basée sur l'île de Man)
dans le New Jersey, le jeune CEO d'Amaya Gaming y a vu une occasion. Des années
auparavant, il avait convaincu le private equity powerhouse Blackstone, un des
grands pontes absolus de Wall Street, de prêter à Amaya 110 millions de dollars en
vue de racheter le fabricant de jeux Cadillac Jack. L'action Amaya cotée à la Bourse
de Toronto a doublé en quelques mois. Rational était cependant une proie vingt fois
plus grande. Amaya Gaming a quand même réussi à convaincre Blackstone de
promettre un financement d'au moins trois milliards de dollars. Avec cet
engagement, elle a pu convaincre les Scheinberg de ne pas lâcher la proie pour
l'ombre.

L'achat serait finalement financé grâce à

24,5 milliards de dollars ont été payés en espèces ; les 400 millions restants concernaient des paiements reportés qui devraient
être effectués 30 mois après la conclusion du contrat ou au plus tard en 2017. Le fait que la transaction ait eu lieu en espèces
témoigne de la confiance extraordinaire qu'Amaya et notamment les financiers de Blackstone et de BlackRock avaient dans la
réussite du projet. Sinon, au moins une partie du montant aurait été payée sous la forme d'actons d'Amaya.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

         un prêt en premier rang de 2 milliards auprès de la Deutsche Bank, de la
          Barclays Bank et de Macquarie Capital (USA), avec un crédit permanent de
          100 millions ;
         encore un prêt de 800 millions au deuxième rang, entièrement souscrit par la
          Deutsche Bank, Barclays et Macquarie, avec des participations de Blackstone
          et du gestionnaire de patrimoine BlackRock ;
         1 milliard obtenu grâce à l'émission d'actions privilégiées obligatoirement
          convertibles chez notamment Blackstone (600 millions) et le gestionnaire de
          patrimoine BlackRock (270 millions), qui seraient converties en actions à 24
          dollars canadiens ;
         500 millions de dollars canadiens grâce à l'émission de droits de souscription
          qui pouvaient aussi être convertis en actions ordinaires, avec l'option pour les
          bailleurs de fonds d'acheter des droits de souscription pour 140 millions de
          dollars canadiens supplémentaires ;
         une promesse de Blackstone d'acheter des actions ordinaires pour 55 millions
          de dollars US supplémentaires.

Après exercice de tous les droits, Blackstone posséderait 20 % et BlackRock, 10 % du
capital social d'Amaya3. C'est l'objet de cette transaction, et la raison pour laquelle
cette transaction se poursuit : Wall Street a fait tapis (all-in) car elle voit son intérêt
dans les jeux de hasard, ou plus précisément : la fusion furtive des jeux de hasard
avec les jeux tout court.

L'affaire a valorisé PokerStars et Full Tilt à plus de quatre fois le chiffre d'affaires et
plus de onze fois le « cash-flow brut » : l'argent gagné par Rational pour les charges
d'intérêt, les amortissements et les charges qui ont été facturées. Ces « multiples »
ne sont justifiés que quand Amaya (lisez : Blackstone) part du principe que la
nouvelle entreprise dispose d'un potentiel de croissance important. Les marchés des
actions ont d'ailleurs partagé le même avis : le cours de l'action d'Amaya a bondi
d'environ 10 dollars canadiens avant l'acquisition à 20 quand les initiés ont eu
connaissance de la transaction et à 30 dollars canadiens, qui est toujours la cote de
l'action.

La vision de David Baazov d'Amaya est très claire :

          We are a consumer–tech–focused company. We didn’t buy Rational because
          of gambling; we wanted it badly because it had 89 million consumers. I
          wouldn’t call them players or gamblers – they are consumers. […] Vision for
          Amaya is based on acquiring customers and cross selling ecosystem of
          offerings.

Au moment de la rédaction de ce rapport, Amaya avait déjà remboursé plus d'un
demi-milliard de dollars de financement avec les recettes de la vente de leurs

3
 David Baazov d'Amaya a remercié son bienfaiteur Blackstone avec des warrants quasiment gratuits qui ont attribué encore 11
millions d'actions d'Amaya aux investisseurs.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

précédentes activités business-to-business, comme Cadillac Jack. Le nouveau modèle
d'entreprise vise dorénavant l'expérience des utilisateurs et l'expérience de la
marque liée aux plateformes de technologies de paris. Encore plus important que le
jeu de poker lui-même : PokerStars peut héberger plus de 600 000 joueurs en même
temps sur sa plateforme. Outre ce player liquidity (nombre de joueurs sur le site), la
confiance des consommateurs dans Poker Stars est inédite : la majorité des joueurs
considère Poker Stars comme une organisation respectant la vie privée avec des
mesures complètes de sécurité concernant l'identification et la protection des
données, qui développe et propose à la fois des jeux de hasard attrayants. Le prix
qu'Amaya et Blackstone paient pour Rational est comparable à de récents rachats de
plateformes technologiques comparables comme Whatsapp ou Instagram.

Par le biais du social gaming comme PokerStars Play sur Facebook, promu par
Cristiano Ronaldo et Neymar, Amaya/Rational veut également conquérir d'autres
segments du secteur des jeux de hasard. Un sondage interne a montré que près de la
moitié des joueurs PokerStars ont également des comptes de casino ou de paris sur
des plateformes concurrentes. En pénétrant également dans ces segments, le
groupe espère devenir un « one-stop shop for gaming ». Cette stratégie de
plateforme est fructueuse jusqu'à présent dans le monde entier. Plus de 60 % des
gross gaming revenue proviennent d'Europe. Plus de 60 % des nouveaux utilisateurs
s'inscrivent par le biais d'appareils mobiles.

Pourtant, les États-Unis restent encore un terrain inexploré un an après pour le
nouveau groupe. Amaya ne parvient pour le moment pas à utiliser ses bonnes
relations comme fournisseur de jeux aux casinos comme Caesar’s pour exploiter
également des licences en ligne. Le cross-selling bafouille pour le moment aux États-
Unis, et l'immense player liquidity pool de PokerStars.com reste inaccessible pour les
joueurs américains.

Le cas d'Amaya illustre de nombreuses facettes (opportunités et menaces) qui
concernent le secteur des jeux de hasard et en particulier son organisme de
surveillance. La dynamique sur le marché du poker en ligne fait office de microcosme
pour tout le secteur : défendant les valeurs de l'expérience des utilisateurs,
l'expérience de la marque et la stratégie de monétisation ; avec la structure de
marché monopolistique ou au moins oligopolistique ; la préoccupation sociale des
problèmes financiers liés à l'addiction aux jeux, du respect de la vie privée ;
l'enchevêtrement des jeux de hasard avec les jeux et la détente en général ; et avec
les organismes de surveillance qui tentent proactivement de réagir aux
développements technologiques et à l'avènement des plateformes mondiales de
technologies de paris.

Cette étude vise, d'un point de vue économique, à inscrire le rôle de cet organisme
de surveillance dans ce plus grand ensemble d'évolutions (révolutions) socio-
économiques qui ont guidé notre société dans l'« ère de l'information ».
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

     2. Une activité économique « particulière »
     1. L'évolution du concept des jeux de hasard

Pourquoi les gens participent-ils depuis des millénaires aux jeux de hasard ? Depuis
tout ce temps, la réponse n'a probablement jamais été différente que celle du
Culture, Media and Sport Committee de la House of Commons britannique4 au début
de ce siècle : « that for many people it is good fun » (pour beaucoup de gens, c'est de
l'amusement). Les scientifiques et les législateurs tentent depuis presque aussi
longtemps de répondre aux deux questions centrales concernant les jeux de hasard :
(1) jusqu'à quel point les jeux de hasard peuvent-ils être tolérés sans pour autant
être encouragés, et (2) dans ce cas, quelle est alors la « juste » répartition des
bénéfices de ces derniers ? Ces deux considérations ne peuvent d'ailleurs pas être
examinées de manière indépendante.

Nous savons que les statistiques et les calculs de probabilité trouvent leur origine
dans les jeux de hasard. À partir du seizième siècle, des mathématiciens comme
Cardan, Tartaglia et Galilée, et plus tard les Français Pascal et Fermat ont cherché la
« bonne » manière de répartir entre les joueurs le jackpot constitué pendant les jeux
de cartes et de dés souvent particulièrement compliqués.

La branche économique respectable qui s'appelait à juste titre la théorie des jeux est
issue d'un jeu de cartes. En 1713, le noble anglais Charles Waldegrave a en effet
développé pour la première fois une « stratégie mixte », un des concepts clés de la
théorie des jeux. Charles Waldegrave a démontré que la même manière de gagner le
jeu de cartes Le Her (coucou ou as qui court) consistait à faire varier votre stratégie
de façon arbitraire : cinq fois sur huit, vous remplacez les cartes les plus faibles de
votre main, et trois fois sur huit, vous les conservez… La théorie des jeux est
essentielle dans chaque politique sur les jeux de hasard : elle décrit en effet la
structure de marché dans le secteur des jeux de hasard, où les oligopoles
interagissent de façon tactique et stratégique. Plus généralement, cette branche de
l'économie traite également de la répartition équitable du bénéfice entre les
joueurs, les opérateurs et la contribution à la société. Ce rapport approfondit un peu
plus ce sujet.

La promesse du jackpot a, par ailleurs, un revers : les jeux de hasard n'excluent pas
un comportement problématique en matière de jeux. Les autorités paient le prix
d'un secteur des jeux de hasard attrayant. Les législateurs luttent pour maintenir
l'équilibre entre l'interdiction et la tolérance des jeux de hasard. L'histoire a vu
passer presque toutes les réactions possibles par rapport aux jeux de hasard. La
colonie britannique puritaine du Massachusetts a interdit la possession de dés et de
cartes (ainsi que les danses et les promenades « inutiles » le dimanche) alors que,
plus à l'Ouest, les jeux de hasard symbolisaient l'aspect aventureux et la disposition
aux risques correspondant au frontier spirit. Les partisans soulignaient la

4
 House of Commons Culture, Media and Sport Committee (2002), The government’s proposals for gambling: nothing to lose?,
7th report of session 2001-2002.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

caractéristique démocratique, à savoir que tous les participants avaient une chance
égale dans les jeux de hasard ; les opposants affirmaient que les paris entraînaient
tous les inconvénients, mais pas les avantages de la spéculation financière.

Déjà durant la période des Lumières, la participation aux jeux de hasard était
réprouvée comme un comportement pathologique qui devait être traité comme une
maladie transmissible. Les moralistes considéraient la possibilité de profit pécuniaire
sans aucun effort comme un fléau pour l'éthique du travail. La loi anglaise Unlawful
Games Act de 1541 a interdit les jeux de hasard, mais également les jeux d'adresse
comme le bowling, le cricket et le tennis car ils ont mené au déclin de la fierté de
l'Angleterre depuis la bataille d'Azincourt – le tir à l'arc5. Cette loi n'a été abolie
qu'après la Deuxième Guerre mondiale.

Cela n'empêche que les organismes caritatifs et les autorités locales collectaient
beaucoup d'argent par le biais des loteries. Le dramaturge (et plus tard magistrat)
anglais Henry Fielding a connu en 1732 un succès phénoménal sur scène avec The
Lottery. Dans la première scène, il décrit déjà la loterie (nationale) comme un impôt
dans cet extrait souvent cité :

           A Lottery is a Taxation
           Upon all the Fools in Creation;
           And Heav’n be prais’d,
           It is easily rais’d.
           Credulity’s always in Fashion;
           For, Folly’s a Fund,
           Will never lose Ground;
           While Fools are so rife in the Nation.

Nous ne pouvons pas non plus perdre de vue que, malgré les opérateurs (privés)
réglementés frauduleux, les loteries nationales avaient à l'origine bonne réputation
et les nantis y participaient pour des considérations éthiques. C'était une forme plus
acceptable et plus volontaire de « cotisations sociales » que des impôts explicites.

Jusqu'en 1826, les autorités britanniques obtenaient leurs revenus par le biais de
loteries avant que l'inefficacité et l'abus ne mettent fin à cet usage. Une loterie
nationale n'a de nouveau été possible qu'en 1993. Dans de très nombreux autres
pays, les autorités n'ont pas non plus réussi à réglementer les opérateurs et les
loteries étaient interdites. Aux États-Unis par exemple, les loteries ont été interdites
entre 1894 et 1964. Mais après la Grande dépression, l'aide publique a augmenté et,
en 1964, une consultation populaire dans le New Hampshire a de nouveau approuvé
une loterie nationale à 76 %. New York et le New Jersey ont suivi quelques années
plus tard.

5Comparez cela à l'exception des jeux (C.C. art. 1965-7) du Code civil belge qui n'accorde aucune action pour une dette du jeu
ou pour le paiement d'un pari sauf si cela concerne les « jeux propres à exercer au fait des armes, les courses à pied ou à
cheval, les courses de chariots, le jeu de paume et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps,
ainsi que les jeux de hasard autorisés par la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de
hasard et la protection des joueurs. »
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

Dans chacun de ces cas, un objectif important de la loterie était d'éviter la hausse
d'un impôt sur le chiffre d'affaires (une sorte de TVA). Les partisans d'une loterie ne
considèrent pas la recette comme un impôt, car il s'agit d'une cotisation volontaire.
Toujours est-il, lors de chaque achat d'un ticket de loterie, une partie souvent
considérable du prix de ce ticket est reversée au Trésor public. Cela s'applique a
fortiori quand les recettes de loterie servent expressément à soutenir l'intérêt
général par le biais d'œuvres caritatives dirigées par l'État et de subsides.

À cause des points de convergence entre loteries et impôts, il semble évident que
l'État possède le monopole sur ces activités. La Cour européenne de Justice a signalé
clairement que l'utilisation des recettes à des fins caritatives ne peut constituer en
soi une raison de limiter la libre circulation des services. L'Europe considère
néanmoins le transfert du bénéfice d'une offre de jeux d'argent « canalisée » aux
autorités comme un meilleur moyen que la levée d'impôts6.

Cela n'empêche pas non plus que d'autres pistes sont aussi envisageables et
correspondent peut-être davantage à la mission sociale d'une loterie nationale : des
emprunts à lots, où le hasard détermine la durée ou le taux, ont également été émis
en 1921 dans notre pays pour financer la reconstruction. Ou des comptes de loterie-
épargne, où le public cible souvent vulnérable des jeux de hasard est dirigé
subtilement vers l'épargne (nudging).
Financiarisation et gamification du secteur des jeux de hasard : spread betting et options binaires

Les questions centrales du monde des jeux de hasard (la répartition « équitable » et
la tolérance ou la réglementation) ont été récemment exacerbées par
l'augmentation de la financiarisation et de la gamification des « jeux de hasard »,
pour ne pas dire : toutes les « transactions » humaines. Les limites entre les jeux de
hasard, les jeux en général et la spéculation sur les marchés financiers s'estompent.
Les techniques et les instruments sont comparables dans de nombreux cas ; seules
les variables sous-jacentes varient. Alors que les paris concernent souvent des
événements sportifs, les titres comme les options (financières) prennent des
positions concernant des variables financières comme des indices boursiers ou les
cours d'action. Cela n'empêche pas que les marchés financiers réglementés dans des
instruments dérivés comprennent également les évolutions de prix de matières
premières réelles, allant des prix du bois à la poitrine de porc.

Même si les « salons » de jeu de hasard ne sont pas encore légalement réglementés
partout, il ne semble être qu'une question de temps avant que l'organisation des
jeux de hasard ne prenne la voie des marchés des capitaux où les salles de marchés
emblématiques avec des traders se dématérialisent en plateformes de trading
6
  Il existe une littérature importante sur le caractère fiscal implicite, notamment, des loteries nationales. Voir notamment le
travail de Charles Clotfelter et Philip Cook (1987), Implicit Taxation in Lottery Finance, National Tax Journal 40, p. 533-546, et de
1990 On the Economics of State Lotteries, Journal of Economic Perspectives 4.4, p. 105-119. Une question importante est
aussi de savoir si ces impôts sont régressifs, et plus généralement dans quelle mesure les recettes et les dépenses des autorités
sont réparties équitablement entre les classes de la population.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

électroniques avec clearing central. La conséquence la plus intéressante est que les
frontières entre les pays s'estompent aussi. Les lords of the cloud (les plateformes
technologiques mondiales Google, Apple, Facebook et Amazon, et leurs équivalents
dans le secteur des jeux de hasard comme GTECH/igt ou SGI) sont maintenant
suffisamment grands pour remettre en question la souveraineté des États-nations.
Cela s'applique peut-être encore plus pour leurs plus petits challengers, comme
Netflix, Alibaba et Uber.

Pour tout nouveau produit situé à la frontière entre effet financier et jeu de hasard,
l'organisme de contrôle financier et l'organisme de réglementation des jeux de
hasard doivent se mettre d'accord : s'agit-il d'un instrument de placement ou d'un
jeu de hasard ? Ils doivent aussi chaque fois se demander ce qu'est un revenu
équitable et comment l'offre doit être tolérée ou réglementée. Lors de la rédaction
de ce rapport, l'accent est mis sur les options binaires et le spread betting.

Les options binaires sont des instruments de placement dont le revenu ne dépend
que de savoir si la variable sous-jacente dépasse ou pas un prix d'exercice prédéfini
pendant la durée du contrat. La plupart du temps, toute la mise est perdue en cas
d'évolution défavorable de la variable sous-jacente ; en cas de bénéfice, une part
importante de la mise est versée comme gain. Le spread betting est comparable aux
contracts for difference (contrats financiers de règlement de différences) même si les
modalités (nature de la variable sous-jacente, date d'exercice, revenu potentiel) sont
parfois différentes. Demain, il s'agira d'autres produits.

Selon nous, la discussion ne peut être réellement tranchée qu'en examinant les
caractéristiques intrinsèques, pas en se concentrant sur les caractéristiques
extérieures. La forme évoluera toujours plus rapidement que le législateur. La
manière dont un produit est commercialisé et le nom qu'on lui donne ne constituent
finalement qu'un phénomène de deuxième rang. Intrinsèquement, il s'agit de la
distinction fondamentale que le législateur veut faire ou non entre les instruments
de placement et les jeux de hasard (et les jeux en général – voir ci-dessous). Le cadre
de ce bref aperçu ne remplace bien sûr pas une discussion approfondie. Nous
voulons simplement donner ici quelques directions où une solution peut
éventuellement être trouvée.

Ainsi, une condition indispensable pour un commerce rentable des options
(financières) n'est pas tant que l'opérateur puisse faire une meilleure estimation que
la moyenne de la direction dans laquelle la variable sous-jacente évolue, mais bien
de la rapidité avec laquelle cela a lieu avant l'échéance du contrat financier. Les
options ont de moins en moins de valeur au fil du temps. Une raison importante est
que cela coûte de l'argent de garder une position dans une option. La variable sous-
jacente doit parfois être conservée physiquement, pensez au pétrole ou au bois. Par
ailleurs, il y a toujours le coût d'opportunité de l'argent qui est « bloqué » dans
l'option pendant la durée du contrat et ne permettant pas de viser d'autres solutions
alternatives rentables. Compte tenu de ces carrying costs, il est indispensable que le
trader d'options ait rapidement raison… La mesure dans laquelle le cours de la
variable sous-jacente peut varier et le coût de conservation d'une position (d'option)
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

peuvent-ils constituer une manière d'établir une distinction entre des instruments de
placement et des jeux de hasard ?

Deuxièmement : les instruments de placement comme les options n'« existent »
généralement pas réellement, même s'ils font l'objet de transactions. Ces contrats
sont synthétisés (de facto simulés) en négociant en permanence dans la variable
sous-jacente. Seules de très grandes banques d'investissement peuvent en effet
aussi développer réellement des millions de types d'instruments dérivés qui sont
proposés sur les marchés financiers. Concernant la « méthode de production », il y a
peut-être aussi une différence essentielle à établir avec les jeux de hasard. De plus,
la sensibilité de l'option à l'évolution des cours, l'intervalle de la valeur et la façon
dont l'option est synthétisée sont liés de manière compliquée, ce qui n'est pas
autant le cas pour les jeux de hasard.

Finalement, le débat doit aboutir à une définition précise de l'instrument de
placement et du jeu (de chance). Non seulement l'organisme de contrôle surveillant
les produits, mais également le rôle de l'organisme de réglementation sont liés de
manière inhérente à cette définition. Nous renvoyons à la définition actuelle de jeu
de hasard dans la loi belge sur les lieux de hasard (art. 2.1) :

          tout jeu pour lequel un enjeu de nature quelconque est engagé, ayant pour
          conséquence soit la perte de l'enjeu par au moins un des joueurs, soit le gain
          de quelque nature qu'il soit, au profit d'au moins un des joueurs ou
          organisateurs du jeu et pour lequel le hasard est un élément, même
          accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la
          fixation du gain ;

et de pari (Art. 2.5) :

          jeu de hasard dans lequel chaque joueur mise un montant et qui produit un
          gain ou une perte qui ne dépend pas d’un acte posé par le joueur mais de la
          vérification d’un fait incertain qui survient sans l’intervention des joueurs ;

Notamment « le hasard » et la « vérification d’un fait incertain »7 sont sujets à
interprétation et peuvent servir de levier. Les vastes possibilités où, par exemple en
ligne et dans le social gaming, 'intelligence artificielle peut « adapter » le cours du
jeu en fonction du joueur imposent une correction de la définition. Tout ce qui ne
relève pas du contrôle direct du joueur doit-il être considéré comme du « hasard »
ou de l'« incertitude » (ou un risque) de son point de vue ? Jusqu'où peut aller le
producteur à ce niveau ? Et tous les jeux de hasard sont-ils de facto des paris ?

     2. Concurrence dans le secteur des jeux de hasard

7
 Ainsi, depuis la célèbre thèse de Frank Knight Risk, uncertainty and profit, publiée en 1921, les économistes établissent une
distinction fondamentale entre risque et incertitude.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

La Loterie Nationale et la Commission belge des jeux de hasard

En 1934, la Belgique a créé la Loterie coloniale, dont les recettes étaient destinées à
des œuvres sociales et humanitaires dans la précédente colonie. En 1962, elle est
devenue la Loterie Nationale et a été confiée au ministre des Finances. Avec la loi sur
les jeux de hasard de 1999, une Commission des jeux de hasard a aussi été créée ; la
politique belge concernant les loteries, les concours, les jeux de hasard et les paris
cherche depuis lors un équilibre entre deux entités. D'une part, il y a la Commission
des jeux de hasard, qui autorise un nombre limité d'opérateurs et en contrôle les
activités ; et, d'autre part, la Loterie Nationale proposant des services publics de la
part des autorités afin que les joueurs disposent d'un exutoire socialement
responsable, en vue de la prévention et de l'aide en cas de comportement
problématique en matière de jeux d'argent.

La Loterie Nationale veille dans un certain sens à réutiliser les fonds « mal alloués »
(à savoir les mises aux jeux proposés par la Loterie Nationale) de manière
constructive pour la société. Le gouvernement fixe chaque année la rente de
monopole que la Loterie Nationale doit payer. Dans le même temps, un pourcentage
du bénéfice est destiné sous la forme de « subsides » au financement de la
coopération au développement et à des « fins d'utilité publique », comme une
dotation à la Caisse nationale des Calamités, à la Fondation Roi Baudouin et au Fonds
belge de Survie, et des « contributions spéciales » à d'autres organisations et
institutions désignées. Une part importante en revient aux Communautés et aux
Régions qui soutiennent à leur tour des organisations culturelles et sportives comme
le BLOSO/l'ADEPS.

 400

 300

 200                                                                             Monopolierente
                                                                                 Subsidies

 100

    0
           2009        2010        2011        2012        2013         2014
Schéma 1 Rente de monopole et subsides de la Loterie Nationale [MEUR]

De manière similaire, les membres communs des European Lotteries donnent plus
de 2 milliards d'euros par an à, par exemple, des organisations sportives.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

Le Parlement a tenté de justifier la séparation entre la Loterie Nationale et la
Commission des jeux de hasard en expliquant8 que

            La Loterie Nationale n’est PAS un opérateur de jeux de hasard, ni un
            concurrent de ces derniers. Une concurrence déloyale entre les deux est
            inexistante.
             La ligne de démarcation se situe à un tout autre niveau. La Loterie Nationale
            est chargée par la loi de l’exploitation des loteries publiques, paris, concours
            et jeux de hasard afin de canaliser l’instinct du jeu […]. Ceci est un service
            public.
            La commission des jeux de hasard est chargée de la surveillance des
            opérateurs de jeux de hasard, c’est-à-dire des entreprises privées à but
            lucratif […].
            Les deux institutions se trouvent donc l’une à côté de l’autre, et rapportent à
            des ministres différents, qui par ailleurs sont également leurs égaux.

Le législateur voulait que la Commission des jeux de hasard contrôle le secteur
commercial et que le gouvernement (la Loterie Nationale) contrôle le secteur non
lucratif. La Loterie Nationale effectue et exploite ce que vise le ministre chargé de la
Loterie Nationale. Même si le gouvernement désignait des opérateurs privés pour
prester le service public indispensable au bien-être général, il ne serait autrement dit
pas question de concurrence comme grosso modo dans un marché libéralisé pour
des services d'utilité publique. Du point de vue du consommateur, il est impossible
de comparer une libéralisation du marché des jeux de hasard et une libéralisation du
marché, par exemple, de l'énergie ou du transport. Cette dernière se doit, en effet,
de donner lieu à un meilleur service et à des frais moins importants. Dans le premier
cas, ces considérations sont peut-être même contreproductives : que signifie un
meilleur produit de jeu pour le consommateur ? Un produit grâce auquel le joueur
peut gagner (ou perdre) davantage et plus vite ?

Le législateur distingue les loteries et les concours qui ne relèvent pas de la
Commission des jeux de hasard, et les jeux de hasard et les paris pour lesquels c'est
le cas, même s'ils sont organisés par la Loterie Nationale.
Les segments des autres jeux de hasard se distinguent toutefois légalement en
fonction du canal de distribution : casinos et champs de courses, autres débits de
boissons, agences de paris, les médias et Internet où la Commission des jeux de
hasard utilise un numerus clausus. Ainsi, le nombre maximal de licences de classe A
(les casinos) est fixé à 9, même si le dernier accord gouvernemental souhaite
augmenter ce nombre à 11 et l'ouvrir aux bateaux de croisière. Les jeux de tirage à la
télévision ont connu un apogée en 2007, mais passent maintenant
systématiquement au second plan au profit d'établissements de jeux de hasard fixes
et, surtout, des jeux de hasard en ligne.

Ces dix dernières années, la législation sur les jeux de hasard en Belgique a été
adaptée plusieurs fois sous la pression de l'Europe et compte tenu des (r)évolutions
8   2000-2001 DOC 50 1339/001.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

technologiques. Le rôle de la Loterie Nationale y a été à chaque fois affiné.
L'avènement d'Internet a notamment changé beaucoup de choses, avec la possibilité
de proposer des jeux de hasard transfrontaliers. En excluant les jeux de hasard, les
loteries et les paris de la directive concernant le commerce électronique, l'Europe a
permis de limiter ces activités au territoire de chaque État membre. Le Traité de
Lisbonne a précisé que le « libre-échange » peut être restreint quand il est remplacé
par un droit « équivalent ».
L'attitude de l'Europe

Le Conseil européen d'Édimbourg en 1992 avait déjà précisé que cela n'entraînerait
pas une harmonisation européenne de la législation sur les jeux de hasard. Un
certain nombre de décisions de la Cour européenne de Justice, à commencer par le
crucial arrêt Schindler durant la même période, expliquait encore la vision de
l'Europe : les monopoles dans ce secteur ne sont pas en contradiction avec le droit
européen sur la concurrence, et les pays disposent d'une liberté considérable pour
interpréter la politique sur les jeux de hasard à leur gré, à condition que ce soit pour
l'intérêt général, la lutte contre la fraude et de manière adaptée, proportionnelle et
non discriminatoire.

Les limitations du libre-échange des services sont possibles, tant qu'elles s'inscrivent
dans une politique cohérente. La législation européenne laisse généralement le
bénéfice du doute aux opérateurs privés. Compte tenu du principe de subsidiarité,
les législations nationales sont très différentes, d'un modèle de monopole bétonné
mais innovant en Finlande qui comprend l'ensemble des loteries et des jeux de
hasard à une politique de licences très libérale au Danemark. Une reconnaissance
mutuelle transfrontalière des opérateurs n'est pas la règle générale, c'est le moins
qu'on puisse dire.

L'élément crucial est que la Cour rejette la présupposition habituelle selon laquelle le
libre-échange est toujours bénéfique pour l'économie9 :

             « Le droit communautaire, selon nous, n’a pas pour objet de soumettre les
             jeux de hasard et d’argent aux lois du marché. La construction d’un marché
             aussi ouvert que possible a été voulue par les États membres comme le
             fondement de la Communauté économique européenne parce que la
             concurrence, lorsqu’elle est loyale, assure, en général, le progrès
             technologique et améliore les qualités d’un service ou d’un produit tout en
             garantissant une baisse des coûts. […]
             Cependant, ces avantages ne se vérifient pas dans le domaine des jeux de
             hasard et d’argent. La mise en concurrence de prestataires de services dans
             ce domaine, qui les conduirait nécessairement à proposer aux
             consommateurs des jeux toujours plus attractifs afin d’en tirer les meilleurs
             profits. ne nous paraît pas être une source de progrès et de développement.
             De même, nous ne voyons pas quel progrès il y aurait à favoriser la possibilité

9   Conclusions de l'avocat-général Bot dans l'affaire C-42/07, Recueil de la jurisprudence Co2009 I-07633, §245-249.
Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

        pour les consommateurs de participer aux loteries nationales organisées dans
        chacun des États membres et de parier sur toutes les compétitions hippiques
        ou sportives organisées au sein de l’Union. […]
        Les jeux de hasard et d’argent, quant à eux, ne peuvent fonctionner et
        perdurer que si les joueurs, dans leur très grande majorité, perdent plus qu’ils
        ne gagnent. […]
        L’encadrement de la compétence des États membres dans le domaine des
        jeux de hasard et d’argent n’a donc pas pour objectif la réalisation d’un
        marché commun et la libéralisation de ce domaine d’activités.

Le secteur des jeux de hasard est donc une « activité économique particulière » où la
concurrence n'a pas de sauf-conduit.

À première vue, il est surprenant que le législateur parte du principe que le
problème est réglé grâce à l'émission et à la gestion d'un nombre limité de licences.
Un économiste aurait pu prévoir qu'une structure de marché dérogeant
consciemment d'un modèle de concurrence pure est réglementée de manière très
active : la dynamique qui règne dans les monopoles ou les oligopoles a en effet un
impact particulièrement grand, souvent négatif, sur le surplus des consommateurs et
le bien-être général. Les « solutions » caractérisant ces structures de marché sont
généralement très éloignées d'un optimum social. Le fait que la tentative de faire
valider un code de conduite sur un comportement responsable en matière de jeux
d'argent par tous les opérateurs ne se déroule pas bien n'aide évidemment pas.
Le théâtre des opérations se déplace

Cela fait partie intégrante de la mission d'un « organisme d'avis, de décision et de
contrôle en matière de jeux de hasard » d'accorder l'attention nécessaire aux règles
économiques auxquelles on peut s'attendre dans un tel secteur. Dans ce rapport, de
très nombreux points seront abordés, notamment la décision de la Cour européenne
de justice décrétant qu'il s'agit ici d'une « activité économique particulière ». Nous
avons déjà cité quelques-uns de ces points, voici déjà un avant-goût de ce qui suivra :

       Le fait que les monopolistes veulent, d'une part, protéger leur marché en
        compliquant l'arrivée des plus petits opérateurs, alors que, d'autre part, ils
        aiment laisser entendre qu'ils ne peuvent bénéficier de ce monopole que
        dans une petite niche ;
       Que les séparations entre les niches du secteur du jeu de hasard ne sont pas
        imperméables et que l'élargissement à des marchés voisins donne
        généralement lieu à des litiges ;
       Que la concurrence entre oligopolistes est dominée par des considérations
        stratégiques, plutôt que par des comparaisons purement pécuniaires ;
       Que les effets de réseau dans l'ère de l'information facilitent la consolidation
        mondiale ;
       Que le cloud et l'internet-of-things (pensez aux video-lottery terminals)
        permettent aux plateformes de technologie mondiales de jeux d'argent, mais
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