NOTRE ÉCONOMIE Propositions pour une politique économique durable 2019 2029 - SP Schweiz
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NOTRE ÉCONOMIE Propositions pour une politique économique durable 2019 – 2029
CONTENU 1 NOTRE CONCEPTION DE L’ÉCONOMIE __________________________________ 5 2 ÉVOLUTION AU COURS DES DIX DERNIÈRES ANNÉES ____________________ 10 2.1 Concepts économiques antérieurs du PS Suisse ___________________________ 10 2.2 Les grandes controverses de notre temps : numérisation, mondialisation et dilemme de la croissance ______________________________________________________ 11 2.2.1 Numérisation : les chances et les risques _________________________________________ 11 2.2.2 Mondialisation : à propos des biens et de la justice _________________________________ 14 2.2.3 Croissance et protection du climat ______________________________________________ 17 2.3 Développements globaux _______________________________________________ 19 2.3.1 Une crise financière aux conséquences graves ____________________________________ 19 2.3.2 Des taux d’intérêt toujours bas__________________________________________________ 21 2.3.3 Ralentissement de la croissance économique _____________________________________ 21 2.3.4 Concentration des revenus et de la richesse ______________________________________ 22 2.3.5 Réchauffement climatique et bulle de carbone ____________________________________ 25 2.4 Évolution en Suisse _____________________________________________________ 26 2.4.1 Peu de progrès sur le marché du travail __________________________________________ 27 2.4.2 L’écart se creuse ____________________________________________________________ 30 2.4.3 Des taux de migration toujours élevés ____________________________________________ 31 2.4.4 Un travail de care réparti inégalement ____________________________________________ 31 2.4.5 Innovation numérique : la Suisse recule __________________________________________ 32 2.5 Conclusion : une décennie perdue ________________________________________ 33 3 ORIENTATIONS POLITIQUES ___________________________________________ 34 3.1 Du travail décent pour tout le monde______________________________________ 35 3.1.1 Développer la formation initiale et la formation continue _____________________________ 35 3.1.2 Répartir le travail équitablement et réduire le temps de travail _________________________ 36 3.1.3 Renforcer la cogestion (codétermination) _________________________________________ 37 3.1.4 L’assurance générale du revenu (AGR)___________________________________________ 39 3.1.5 Sécuriser les salaires et les conditions de travail ___________________________________ 40 3.2 Des services communautaires pionniers __________________________________ 41 3.2.1 Nous affranchir de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles __________________ 41 3.2.2 L’infrastructure numérique en tant que service communautaire d’avenir ________________ 43 3.2.3 Investir dans la recherche et le développement ____________________________________ 44 3.2.4 Un fonds d’avenir pour les entreprises innovantes __________________________________ 45 3.2.5 Économie durable ___________________________________________________________ 46 3.2.6 Stabiliser l’économie financière _________________________________________________ 47 3.3 Une collectivité publique forte ___________________________________________ 47 3.3.1 Renforcer les services publics __________________________________________________ 47 3.3.2 Répartir la rente foncière plus équitablement ______________________________________ 49 3.3.3 Renforcer le pouvoir d’achat des revenus faibles et moyens __________________________ 50 3.3.4 Créer de l’égalité, revaloriser le travail de care _____________________________________ 51 3.3.5 Imposer le revenu du capital et les opérations financières ____________________________ 52 3.4 Engagement international _______________________________________________ 53 3.4.1 Un engagement en faveur de plus de justice ______________________________________ 53 3.4.2 Développer la coopération au développement _____________________________________ 55 3.4.3 Lutter contre l’évasion fiscale ___________________________________________________ 56 3.4.4 Des relations harmonieuses avec l’Europe ________________________________________ 57 4 CONCLUSION ________________________________________________________ 59
L’ÉCONOMIE, C’EST NOUS Nous sommes la majorité. Nous qui, grâce à nos compétences artisanales, intellectuelles, « compassionnelles » ou créatives, apportons notre contribution à la bonne marche et au succès de notre société. Nous sommes l’économie. C’est nous qui créons la prospérité, et non les prétendus leaders économiques ou investisseurs qui vivent des gains du capital… et donc du travail des autres. Notre contribution est indispensable. Nous ne cesserons de lutter pour l’avènement d’une économie qui nous serve toutes et tous et non pas seule- ment ceux qui, avec leur argent, s’arrogent les bénéfices et les bienfaits de l’économie et de la politique. L’économie doit se conformer aux objectifs ancrés dans la Constitution fédérale. Elle doit protéger « la liberté et les droits du peuple », favoriser « la prospérité commune, le dévelop- pement durable, la cohésion interne et la diversité culturelle du pays ». Elle doit veiller à « garantir une égalité des chances aussi grande que possible entre les citoyens » et pro- mouvoir « la conservation durable des ressources naturelles » et « l’ordre international juste et pacifique » 1. Nous appelons à la mise en place d’une économie génératrice de liberté, de justice et de solidarité. Nous voulons une économie qui soit au service de la liberté de tous. La liberté ne se limite pas à réduire la bureaucratie. La liberté n’est pas le droit du plus fort. La liberté n’a rien à voir avec le démantèlement des services publics : être libre, c’est avoir la chance de mener une vie épanouie, de participer à la vie en société et de pouvoir développer ses points forts. Liberté signifie cogestion (codétermination) et participation. Liberté signifie démocra- tie à tous les niveaux. Notre engagement est important, surtout en ces temps troublés où la mondialisation et la numérisation changent rapidement la vie des gens et remettent en question des catégories professionnelles entières, à une époque où les riches deviennent de plus en plus riches aux dépens de ceux qui doivent travailler pour (sur)vivre. Le PS essaie de (pro-)réagir au mieux au changement en cours. Nous ne voulons pas qu’il soit mû par la seule concur- rence et la seule recherche du profit. Nous voulons de la sécurité, des perspectives et de la cogestion. Nous ne voulons pas être laissés à la merci de contraintes techniques ou finan- cières. Nous voulons créer une économie qui soit au service de toutes et tous. 1 Constitution fédérale de la Confédération : Art. 2, But. Page 3 sur 59
RÉSUMÉ L’économie mondiale traverse une période de turbulences. Les mégatendances de la nu- mérisation et de la mondialisation, ainsi que la restructuration écologique de l’économie, ouvrent de nouvelles perspectives, mais présentent aussi d’énormes risques pour la dé- mocratie, la sécurité sociale et l’équité de la répartition. Les inégalités d’actifs et de fortune augmentent dans les pays industrialisés et émergents. Les groupes d’entreprises mon- diaux définissent de plus en plus les règles eux-mêmes. Parallèlement, le dilemme de la croissance est plus présent que jamais. Le changement climatique est également loin d’être stoppé. Dix ans après la crise financière, la croissance de l’économie mondiale et du commerce mondial s’est ralentie ; les taux d’intérêt restent à leur niveau le plus bas. En comparaison, nous nous en sortons relativement bien en Suisse. Mais, ici aussi, l’on constate des évolutions indésirables : le chômage stagne à un niveau élevé, la sécurité sociale diminue. Les heures de travail et le stress augmentent, bien que la productivité croisse. Même près de 40 ans après l’introduction de l’article sur l’égalité, la discrimination à l’égard des femmes dans la vie économique reste un thème d’une actualité brûlante. Les autorités continuent d’ignorer l’importance de l’économie des soins. La classe moyenne se voit soutirer de l’argent via le service de santé, financé sur un mode antisocial, et via les loyers élevés. Il est grand temps de changer de cap en matière de politique économique. Nous connais- sons parfaitement des solutions de rechange : la Suisse a une tradition de formes de pro- priétés d’utilité publique (coopératives, entreprises du service public) en phase avec les besoins de la majorité de la population plutôt qu’avec la logique de profit des grands ac- tionnaires anonymes. La création des Écoles polytechniques fédérales et des CFF, ou l’introduction de l’AVS, sont des exemples de réalisations pionnières. En exposant le présent concept économique, le PS Suisse présente ses idées de réforme pour les dix prochaines années. Nous voulons avoir réalisé la conversion écologique d’ici à 2040. Nous voulons plus de cogestion dans les entreprises, afin que les voix de celles et ceux qui, au premier chef, créent la richesse de la société grâce à leur travail aient du poids. Nous voulons utiliser la numérisation de telle sorte qu’elle permette de réduire le temps de travail et de redistribuer l’emploi rémunéré. Nous demandons enfin l’égalité en matière d’emploi rémunéré et de travail de care. Nous nous battons pour un filet de sécuri- té sociale qui ne laisse passer personne. Nous défendons notamment l’idée d’une Suisse plus engagée sur le plan international. La politique économique et la politique étrangère doivent être pensées conjointement et respecter les objectifs de l’Agenda 2030 de l’ONU pour plus de justice et de durabilité. Page 4 sur 59
1 NOTRE CONCEPTION DE L’ÉCONOMIE Le terme « économie » est dérivé de deux mots du grec ancien : oikos (maison, ménage) et nomos (loi). L’économie est donc l’art de bien administrer le ménage, le foyer. Une bonne administration du ménage signifie que chacun obtient ce dont il a besoin pour vivre. Nous voulons un système économique qui accorde la priorité aux besoins des gens. La théorie économique dominante mesure encore le succès d’une économie (nationale) uniquement en termes de croissance financière. Pour ses calculs, elle se fie au produit intérieur brut ou au nombre de places de travail. Ces grandeurs (unités) de mesure ne sont pas suffisantes. Elles ignorent des aspects centraux sans lesquels il est impossible de juger si l’économie sert les intérêts des gens de façon tangible et à long terme. La politique éco- nomique dominante oublie en particulier l’économie des soins, la nature et la répartition. Tel n’est pas le cas de la politique économique du PS. Pour catégoriser notre politique économique, nous ne nous contentons pas, dans ce cha- pitre, de mettre en lumière (seulement) les taches aveugles : nous présentons aussi la di- versité des acteurs économiques. Nous montrons que le bien commun est parfois à portée de main. La Suisse dispose de bonnes conditions pour surmonter les grands problèmes économiques de notre temps. Tout au long de son histoire, le PS a activement contribué à la percée de valeurs (vertus) suisses éprouvées, telles que la solidarité et le sens civique. 1.1. Répartition Nous sommes déterminés à faire en sorte que les fruits du développement économique profitent à tous. Ce n’est pas seulement une question de justice. Une large répartition des fruits de la prospérité est le moteur d’un progrès économique durable. Ce sont surtout les couches les plus pauvres de la population — qui doivent retourner deux fois chaque franc — qui stimulent l’économie lorsque leurs revenus augmentent. Leurs re- venus supplémentaires sont immédiatement injectés dans l’économie réelle. Il en va au- trement des superriches, qui ont déjà tout. Avec des revenus plus élevés en poche, ils augmenteront et investiront surtout leur épargne. Cela n’est guère utile à l’économie manu- facturière (de production) opérant en Suisse et pour la Suisse. Les nombreuses PME, qui vivent principalement de l’argent que dépensent les Suissesses et les Suisses, dépendent d’une forte demande intérieure. Celle-ci représente environ 60 % du chiffre d’affaires réali- sé en Suisse. Alors, où va l’argent ? Va-t-il aux gens qui travaillent (salaires) ou aux riches qui font travail- ler les autres pour eux (revenus du capital) ? Voilà une question cruciale. Le produit inté- rieur brut ne dit rien à ce sujet. Parce qu’il ne mesure pas la répartition. Il en va autrement de la part salariale, qui mesure la part des salaires dans le revenu total. Celle-ci montre une évolution inquiétante. Depuis les années 1980, la part des salaires dans le produit intérieur brut a diminué dans la plupart des pays. La Suisse a certes été épargnée par ce phéno- mène ; la part salariale a même légèrement augmenté dans notre pays. Cependant, cela est dû uniquement au fait que le 1 % le plus riche des personnes percevant un salaire a Page 5 sur 59
fortement augmenté. Si ce 1 % n’est pas pris en compte, alors la part salariale diminue également en Suisse. Si les fruits de la croissance avaient été répartis plus équitablement, davantage d’emplois auraient été créés. La politique d’après-guerre a apporté des progrès économiques à toutes les classes de la population, parce que les revenus et la richesse étaient répartis largement et que l’égalité des chances augmentait. En Suisse, le partenariat social bien rodé, les œuvres sociales et la protection des salaires suisses contre la concurrence étrangère des bas salaires y ont également contribué. Les progrès de la performance économique (productivité) ont été répercutés sur les travailleurs sous la forme de salaires plus élevés et d’horaires de travail plus courts. Cette évolution a pris fin avec la crise économique du milieu des années 1970. Aujourd’hui, on favorise de nouveau les propriétaires : ils reçoivent une plus grande part du gâteau. Les privatisations, la réduction des prestations sociales, la pression salariale et un système fiscal réorganisé en faveur des groupes d’entreprises d’envergure mondiale ont conduit à une redistribution des richesses, lesquelles passent des travailleurs aux proprié- taires. Les riches s’enrichissent, les pauvres font du surplace. Cela mène à une impasse et compromet la cohésion de la société. Le PS s’engage donc pour une part salariale élevée, une répartition équitable des salaires et l’équilibre social. 1.2. Une économie pour toutes et tous Le modèle d’une économie axée sur les besoins est menacé par l’idée de privatiser les biens de base et les infrastructures. Le démantèlement des PTT et la privatisation partielle de Swisscom ou de certaines banques cantonales à la fin des années 1990 en sont des exemples. La vente de biens-fonds étatiques, l’abolition des impôts sur les successions ou la réduction des impôts sur les dividendes et le capital empêchent également l’existence d’une économie axée sur les besoins. La révolution bourgeoise avait vaincu la société féodale classique (terre appartenant à la noblesse) au milieu du 19e siècle. Récemment, cependant, nous avons observé l’émergence progressive d’une nouvelle classe d’aristocratie monétaire. Celle-ci bénéficie de privatisations ou de privilèges fiscaux. Elle est si riche qu’il en résulte des relations de pouvoir quasi féodales. De grands groupes d’entreprises menacent de partir s’ils ne béné- ficient pas de réductions fiscales. Ou ils exigent des droits d’action (droits d’intenter action) dans les accords de libre-échange pour les pertes de profits quand un pays modifie ses lois démocratiquement. De nouvelles relations de pouvoir apparaissent également lorsque des oligarques russes achètent des entreprises suisses traditionnelles en tant qu’actionnaires majoritaires, ou lorsque des investisseurs tchèques achètent des chemins de fer de montagne en Suisse et cessent de les exploiter jusqu’à ce que la commune ac- cède à leurs désirs. Mais elles se manifestent aussi par le fait que des « oligarques » suisses financent des campagnes de votation et achètent des journaux afin d’influencer l’opinion publique et de faire ainsi triompher leurs intérêts politiques. Page 6 sur 59
1.3. Une multiplicité d’entreprises « L’Économie » ou « L’Entreprise », cela n’existe pas. Un grand groupe d’entreprises coté en bourse, une PME familiale locale ou encore une entreprise récemment créée lançant une idée d’entreprise innovante (« start-up ») fonctionnent selon des logiques différentes. Ils ont par conséquent aussi des besoins différents en termes de conditions-cadres politiques. Depuis des décennies, le modèle de réussite économique suisse se caractérise par un mélange composé de grands groupes d’entreprises plus ou moins innovants, de PME tournées vers l’exportation et le marché intérieur et d’une infrastructure efficace et contrô- lée par l’État (les pouvoirs publics). Cela a été soutenu par des investissements publics dans la recherche, ce qui a permis de traduire de nouvelles connaissances et de nouvelles idées en modèles d’affaires. Telle est la raison pour laquelle la Suisse a réussi sur le plan économique malgré sa pauvreté en matières premières. Cette situation a elle aussi changé à la fin des années 1990. La majorité bourgeoise siégeant au Parlement fédéral a adopté la réforme de l’imposition des entreprises I et attiré de grandes sociétés étrangères jouissant de privilèges fiscaux. Depuis lors, des centaines de groupes d’entreprises, qui n’emploient souvent que quelques personnes dans ce pays, ont déménagé leur siège social en Suisse2. Nous avons ainsi contribué au transfert du substrat fiscal vers la Suisse, et donc à des déficits fiscaux dans d’autres pays. Nous voulons de nouveau faire progresser le développement économique plus fortement par nous-mêmes. Tant les grandes que les petites entreprises offrent de bonnes conditions de travail, maintiennent la cogestion (codétermination) dans les entreprises à un niveau élevé, produisent dans le respect de l’environnement et sont innovantes, elles doivent trou- ver des conditions favorables en Suisse. Les entreprises doivent être en mesure de relever les défis de la mondialisation, de la numérisation et du réchauffement de la planète ainsi que de concrétiser de nouvelles idées et de nouveaux modèles d’affaires. Pour ce faire, elles doivent avoir accès à des crédits d’exploitation favorables, à des spécialistes bien formés et à des connaissances, ainsi qu’à des mesures d’accompagnement efficaces dans les traités commerciaux. L’État devrait soutenir les entreprises disposant d’une bonne in- frastructure et proposant de bons services publics. Pour cela, il faut que les entreprises paient leur part des prestations à l’État par l’intermédiaire de l’impôt. 1.4. Capitalisme et économie de marché Le socialisme souhaite-t-il triompher du capitalisme ou appelle-t-il de ses vœux une éco- nomie de marché à caractère social ? Cette question ne cesse d’être posée. Mais elle mé- lange les concepts et méconnaît la réalité. Le capitalisme et l’économie de marché ne sont pas congruents, même s’ils sont souvent utilisés comme synonymes. Le capitalisme représente la propriété privée des moyens de production. Les actionnaires, les fonds d’investissement ou les propriétaires puissants sont propriétaires des entreprises. Une économie de marché, en revanche, apporte de l’équilibre (du moins en théorie) dans 2 En 2016, sept des dix sociétés ayant le chiffre d’affaires le plus élevé en Suisse étaient des groupes actifs dans le négoce des matières premières. Source : Handelszeitung, Top 500. Page 7 sur 59
les quantités d’offre et de demande par l’intermédiaire des prix. Elle contraste ainsi avec l’économie planifiée, dans laquelle les quantités sont prébudgétées et les prix déterminés en fonction des coûts. L’idée d’une Suisse organisée intégralement sur un mode capita- liste et, en même temps, dans le cadre de l’économie de marché ne rend pas justice à la réalité. Cette idée est tout aussi fausse que celle selon laquelle la seule alternative à la forme organisationnelle actuelle de l’économie est le communisme de l’économie plani- fiée.
décisifs : elles n’ont pas à verser de dividendes à des donateurs extérieurs et elles sont contrôlées de façon plus démocratique. Le PS envisage la question en distinguant plusieurs classes de biens, chacune d’elles né- cessitant ses propres formes d’organisation. Les biens et services que tout le monde doit utiliser dans les civilisations modernes doivent également appartenir à ceux qui en dépen- dent — le grand public. Dans la plus pure tradition confédérale, le PS cherche des formes économiques qui garantissent que le bénéfice et la création de valeur profitent à l’ensemble de la population : à toutes et tous, sans privilèges. 1.5. L’économie des soins Bien que le terme d’« économie » provienne de l’économie domestique, la politique éco- nomique actuelle néglige ce que nous entendons communément par « ménages ». Elle se soucie à peine du travail accompli pour le foyer, les enfants, les personnes âgées et les malades, ce qu’on appelle aussi le travail de care ou le travail de prise en charge/de soins/d’encadrement/d’accompagnement. Ces activités représentent probablement le secteur économique le plus important, mais elles sont à peine couvertes par la science économique et la politique parce qu’elles sont largement effectuées à titre gratuit. Tant que le travail de care ne sera pas inclus dans les considérations et réflexions économiques, une politique économique juste et sensée ne pourra pas remplir sa tâche la plus impor- tante : elle ne pourra pas faire en sorte que tout le monde ait ce dont il a besoin pour bien vivre 3. Nous voulons que les sciences économiques prennent davantage en compte le travail de care et en tirent les conséquences méthodologiques et de contenu qui s’imposent pour leur vision de l’économie globale. Mais nous exigeons aussi que le travail de care soit ré- parti plus équitablement entre les sexes. La répartition équitable du travail de care est la clé de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie et dans la société. Le travail de care non rémunéré est encore largement assuré par les femmes. C’est l’une des nom- breuses raisons pour lesquelles les femmes exerçant une activité sont « freinées » et pour- quoi il n’y a ni égalité des salaires ni égalité des chances. Cela, nous ne l’acceptons pas. L’égalité économique et l’égalité salariale sont l’indice même d’une société moderne. Nous n’abandonnerons pas tant qu’elles ne seront pas devenues réalité. 1.6. Préserver la nature Les ressources naturelles sont à la source même de l’économie : elles fournissent des ali- ments, des matériaux de construction, des substances actives et des vecteurs d’énergie. Nous vivons de la nature. Néanmoins, la doctrine économique actuelle ne rend pas compte de son état. Au contraire, le produit intérieur brut augmente également lorsque l’eau souterraine est polluée, que le sol est imperméabilisé, que les forêts sont défrichées ou que le climat se réchauffe. Les statistiques ne voient pas que cela détruit les valeurs de demain, parce que la destruction ou la surexploitation des ressources naturelles ne coûte 3 Ina Praetorius (2015) : Wirtschaft ist Care (2 (https://www.boell.de/sites/default/files/2015-02-wirtschaft-ist- care.pdf?dimension1=division_sp. Page 9 sur 59
souvent rien ou coûte trop peu aux pollueurs. Cela conduit à de faux signaux de prix, à une distorsion de la réalité et à des décisions qui auront des conséquences fâcheuses, aux airs de vengeance, « au plus tard » sur nos descendants. Certes, il existe de nombreux projets de recherche qui tentent de déterminer la valeur mo- nétaire de la nature 4 ou de mesurer les coûts externes des processus de production. Il y a même de premières agences de notation qui évaluent5 la solvabilité des nations sur la base de leur empreinte écologique 6. Mais cela ne suffit pas. Si nous voulons que l’économie continue de fonctionner à l’avenir, nous devons préserver la nature et sa grande diversité. Cela exige des règles, des normes et des interdictions claires. Une Suissesse ou un Suisse consomme environ trois fois plus de « services » environne- mentaux et de ressources environnementales que ce que la Terre est capable d’en régé- nérer (renouveler) pour chaque habitant dans le monde 7. Les trois quarts de cette surcon- sommation sont causés par l’essence et l’huile de chauffage 8. Leur combustion réchauffe le climat de la Terre. Cela n’est pas viable à long terme. Nous voulons laisser à nos enfants et petits-enfants un tissu écologique, social et économique intact. C’est pourquoi nous fai- sons reposer notre politique économique sur le principe de durabilité. L’excuse selon la- quelle la protection du climat ou de l’environnement est trop chère pour les couches les plus pauvres de la population est irrecevable. Ce sont les coûts croissants y afférents et les catastrophes environnementales qui vont frapper la population avec une violence particu- lière, notamment dans les classes et les pays les plus pauvres. Épargner aujourd’hui en faisant preuve de myopie augmente les coûts de demain. Des mesures politiques équili- brantes doivent garantir que les coûts de la restructuration écologique restent suppor- tables pour toutes et tous et ne créent pas de difficultés sociales. 2 ÉVOLUTION AU COURS DES DIX DERNIÈRES AN- NÉES 2.1 Concepts économiques antérieurs du PS Suisse Depuis 1994, le PS Suisse élabore régulièrement un papier de position politique sous la forme d’un concept économique pour dix à douze ans. Le concept adopté à l’époque (1994), lors du Congrès du parti, avait pour titre « L’avenir dépend de réformes fondamentales ». Il a fait l’objet d’une large couverture médiatique. Le papier était dominé par le triomphe idéologique du néolibéralisme après l’effondrement du bloc de l’Est ainsi que par les conséquences de l’éclatement de la bulle immobilière et de la montée du chômage. Le concept de l’époque était une sorte de catalogue de propositions pour la 4 www.teebweb.org. 5 https://data.footprintnetwork.org. 6 Une empreinte écologique est la surface terrestre nécessaire pour rendre possible à long terme le mode de vie et le niveau de vie d’une personne ou d’un pays (dans les conditions de production actuelles). 7 https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/developpement-durable/empreinte-ecologique.html 8 https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/developpement-durable/empreinte-ecologique.html. Page 10 sur 59
restructuration de l’économie suisse : vers plus de démocratie, d’écologie et de plein em- ploi. Bon nombre des revendications énumérées dans ce document sont pour l’heure (malheureusement) restées lettre morte, d’autres ont été reléguées au second plan et, dans d’autres domaines, des progrès ont été réalisés. Le deuxième concept économique — datant de 2006 — était encore plus complet. Sous le titre « Pour une économie sociale et écologique », il rassemblait sur plus de 160 pages un grand nombre de propositions de réforme, dont certaines étaient traitées et explorées en détail. La période 1994-2006 n’a pas du tout été exempte de crises économiques. Cette période a été marquée par l’éclatement de la bulle Internet (« dot-com bubble ») et la crise asiatique. Il faut néanmoins bien se rappeler que la rédaction du document avait été termi- née encore avant la crise financière et économique mondiale de 2007-2008, qui a ébranlé l’économie mondiale et le débat économique depuis leur base même. Le présent concept économique gravite autour des défis les plus importants auxquels nous sommes confrontés. Il s’agit notamment des progrès rapides de la numérisation et de l’automatisation, de la mondialisation dans le contexte d’accords commerciaux globaux et d’autres accords internationaux, ainsi que de la question de la croissance et de la façon de gérer les conséquences écologiques de l’activité économique humaine. Pour relever ces défis, le PS formule des orientations politiques et des mesures concrètes. 2.2 Les grandes controverses de notre temps : numérisation, mondialisation et dilemme de la croissance 2.2.1 Numérisation : les chances et les risques La numérisation est l’emblème par excellence du progrès technique au 21e siècle. Elle crée une nouvelle industrie clé et, en même temps, modifie les secteurs industriels exis- tants. Avec l’aide de l’intelligence artificielle, de la technologie des capteurs complexes ainsi que de la transmission et du traitement électronique (tous deux peu onéreux) des données, la communication et les processus de travail changent radicalement. L’économie dite « des plates-formes », qui met en contact et rassemble les services, les fournisseurs et les clients via des plates-formes et des applications en ligne, continuera de se développer. Dans cette évolution, le PS voit des chances et des risques. D’une part, la numérisation ouvre des possibilités d’effectuer des travaux dangereux ou répétitifs à l’aide de machines. Cela permet d’avoir du temps libre pour d’autres choses : toutes et tous, nous avons les dons et les talents les plus divers, que nous ne pouvons pas suffisamment développer et apporter à la communauté — dans le cadre des processus de travail d’aujourd’hui. La numérisation permet d’aménager des places de travail plus mobiles et des horaires de travail plus flexibles. Tout cela peut nous faciliter la vie et l’enrichir. Internet facilite l’accès au savoir et à la formation. Il aide les gens du monde entier à « entrer en connexion » les uns avec les autres et à s’exprimer. Internet permet également la diffusion non censurée Page 11 sur 59
de l’information politique, de l’art et de la culture. Le crowdfunding peut rendre les artistes indépendants des grandes marques et des grands éditeurs. Le partage des connaissances et des compétences numériques (« open access », « open source ») recèle un grand poten- tiel pour les entreprises et la société. Grâce aux applications numériques, de plus en plus de gens renoncent à la propriété : quiconque ne possède pas des objets tels que voitures, machines, outils, livres ou supports musicaux peut les louer auprès d’autres personnes via des plates-formes numériques (sharing economy). Ceux qui ont les connaissances néces- saires et un ordinateur équipé d’une connexion Internet peuvent rendre leurs services et leurs idées accessibles à de nombreuses personnes 9. Grâce à un échange d’informations accéléré, il est possible de mieux identifier et de mieux prendre en compte les souhaits des clients. La production peut être mieux adaptée à la demande. On peut dès lors optimiser les processus et éviter les itinéraires de transport. L’utilisation des infrastructures existantes s’en trouve améliorée et les ressources préservées. La « sharing economy » peut égale- ment être mise en œuvre dans des modèles à but non lucratif. Les formes coopératives et participatives de l’activité économique tirent profit des progrès de la technologie de l’information. À moyen terme, la technologie d’impression 3D permettra de rapatrier (récu- pérer) une partie de la production externalisée vers les pays à bas salaires. Enfin, la numérisation offre des possibilités supplémentaires aux personnes handicapées. La disponibilité en ligne des produits et des services leur facilite la vie quotidienne. Pour cela, il faut concevoir le matériel informatique et les logiciels de telle sorte qu’ils ne présen- tent pas d’« obstacles ». Parmi les réalisations pionnières de la numérisation, figurent les chaînes de blocs. Il s’agit de bases de données organisées de manière décentralisée qui peuvent être utilisées li- brement, mais qui ne peuvent pas être manipulées. Cette technologie n’en est qu’à ses débuts. Il n’est pas encore possible d’évaluer si celle-ci rendra un jour superflus les fidu- ciaires et les banquiers, les notaires, les juristes, les tribunaux ou les registres fonciers. Ce qui est certain, c’est que de nombreux processus de travail vont changer radicalement dans les banques, les compagnies d’assurance et les administrations. Des efforts sont dé- ployés pour faire de la Suisse un centre de la scène mondiale de la chaîne de blocs. Les monnaies numériques (monnaies cryptographiques) sont également basées sur la techno- logie de la chaîne de blocs. Elles sont utilisées comme objets de spéculation, mais de plus en plus aussi comme moyens de paiement. Si cette tendance devait se poursuivre, le sys- tème monétaire serait fortement décentralisé et rendu anonyme. Les conséquences d’une telle évolution ne sont pas encore prévisibles. Celle-ci pourrait même conduire à ce que la politique monétaire soit remplacée par les banques nationales et que les flux de trésorerie soient de plus en plus indépendants des banques. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore si les conséquences de la numérisation entraîne- ront des pertes d’emplois en Suisse. Il est clair que la numérisation provoque des chan- gements de plus en plus rapides dans les différentes branches et les profils des différentes professions. En particulier, les professions ayant une fonction d’information et de conseil ainsi que les activités répétitives deviennent toujours plus souvent caduques. De nom- 9 Jeremy Rifkin (2014) : Die Null-Grenzkosten-Gesellschaft Page 12 sur 59
breuses personnes cherchent des informations médicales et juridiques sur Internet. L’expérience acquise à ce jour montre que le besoin en professionnels hautement quali- fiés (IT) va augmenter, que le besoin en personnes moyennement qualifiées va tantôt dimi- nuer (secteur commercial, ventes), tantôt augmenter (éducation, affaires sociales) et que le besoin en personnes peu qualifiées va à peu près stagner. Dans le monde entier, les femmes figurent parmi les perdant-e-s sur le marché de l’emploi 10. Bien que les actrices et acteurs des professions infirmières soient moins susceptibles d’être remplacé-e-s par des machines, de nombreuses autres tâches, par exemple dans le commerce de détail ou le back-office, sont en cours d’automatisation. Le risque de chômage augmente si l’accès à la formation continue tout au long de la vie est insuffisant. L’introduction d’applications numériques conduira dans de nombreux cas à une efficacité accrue, au dépassement des monopoles de l’information et à la mise à disposition de res- sources jusqu’à présent inutilisées. Cependant, si la numérisation progresse unilatérale- ment vers la recherche du profit et de manière incontrôlée, elle comporte(ra) des risques. Un exemple : la numérisation (sous le couvert de l’économie « innovante » des plates- formes) est déjà utilisée par le prestataire de services de transport Uber comme une occa- sion de miner les relations de travail régulières et de détériorer les conditions de travail. Le nombre de « crowdworkers » (ainsi nommés) qui exécute des travaux numériques dans le cadre d’une relation de travail non réglementée augmente rapidement. Ceux-ci ne bénéfi- cient pour ainsi dire d’aucune protection juridique. Depuis des années, les entreprises ex- ternalisent non seulement leur production, mais aussi leurs services à grande échelle vers des pays à bas salaires ou vers des fournisseurs à bas prix. Aucune inversion de cette ten- dance ne se profile. Elle est même renforcée par de meilleurs réseaux de communication. Les définitions, démarcations et règles ayant traditionnellement cours en droit du travail et en matière de partenariat social deviennent floues rapidement, de même que la séparation entre le travail et les loisirs. La pression exercée sur les employés pour qu’ils soient cons- tamment atteignables augmente. Tout cela peut accroître le stress au travail. Et certaines entreprises et leurs groupes de pression (organisations de lobbying) abusent politique- ment de cette situation pour réduire encore davantage les droits des travailleurs. L’évolution rapide du monde professionnel entraîne par ailleurs une nouvelle répartition inégale des risques : pour quiconque a peu d’argent et perd son emploi, il est plus difficile de se faire des amis que pour quelqu’un qui jouit d’un coussin financier. Depuis la forma- tion professionnelle continue jusqu’à la création d’entreprises, il s’agit de savoir si, en termes de coûts, l’on peut ou non s’adapter aux changements rapides. Cette situation peut générer un cercle vicieux de l’inégalité. Le risque pour la société dans son ensemble aug- mente lui aussi : la dépendance croissante de notre économie et de notre infrastructure à l’égard de la transmission de données l’expose à de nouveaux risques élevés en cas de panne de courant ou de cyberattaques. Les risques incluent également les changements sociaux. Internet et les médias sociaux favorisent l’isolement social, la propagation du manque de respect, de la haine et des fausses informations (« fake news »), la perte de la sphère privée et l’utilisation abusive des 10 WEF (2016) : The Industry Gender Gap Page 13 sur 59
données personnelles. Les artistes sont plus souvent « privés » de leurs droits d’auteur du fait que leurs œuvres sont diffusées gratuitement. La numérisation comporte également des pièges pour l’environnement et le climat. Des technologies comme la chaîne de blocs nécessitent une énorme puissance de calcul. Malgré l’augmentation constante de l’efficacité du matériel informatique (hardware), la consommation d’énergie liée à l’informatique continue d’augmenter. L’utilisation du seul bitcoin, la monnaie cryptographique la plus largement diffusée, entraîne une consomma- tion d’électricité qui dépassera celle de nombreux pays de taille moyenne d’ici à la fin de 2017 11. Enfin, malgré son potentiel démocratique, la numérisation a jusqu’à présent contribué à la concentration mondiale du pouvoir entre les mains des grandes entreprises IT et à la con- centration de la richesse. Ont fait leurs apparitions de grands groupes d’entreprises domi- nant le marché et en position de monopole qui peuvent cacher leurs profits à l’administration fiscale. La position du PS : La numérisation est en cours. Nous voulons participer à ce processus, contribuer à le mettre en forme et participer aux décisions le concernant. La formation et la recherche étant les ressources les plus importantes de la Suisse, nous voulons nous assu- rer que la Suisse dispose d’une bonne infrastructure numérique et qu’elle joue un rôle in- ternational de premier plan en matière de savoir-faire. Nous devons donner aux gens la possibilité de s’adapter au changement numérique et d’aider à le façonner. Les perdant-e-s de cette mutation ont besoin de protection sociale. La numérisation ne servira les intérêts de la majorité que si les avantages et bénéfices qu’elle recèle profitent à toutes et tous et si les règles du travail et de la vie en commun ne sont pas ébranlées (remises en cause). Chacun doit avoir la possibilité de maîtriser et d’aider à concevoir/façonner les nouvelles technologies dans sa profession. Cela exige des syndicats forts et des droits étendus pour les travailleurs, de sorte que la majorité salariée soit renforcée plutôt qu’affaiblie. 2.2.2 Mondialisation : à propos des biens et de la justice On parle de mondialisation lorsque les biens, les services, les informations et les capitaux sont échangés toujours plus souvent par-delà les frontières nationales. La rapidité de la mondialisation ne dépend pas seulement du progrès technique, bien qu’il y joue un rôle majeur. La baisse des coûts du carburant, le développement fulgurant de la logistique des transports (transport aérien, conteneurs, cargos) et Internet ont ici joué un rôle non négli- geable. Les décisions politiques sont des moteurs importants de la mondialisation : le dé- veloppement de la mondialisation au cours des dernières décennies est allé très largement de pair avec la déréglementation des mouvements mondiaux de capitaux. Ceux qui ont un certain capital peuvent aujourd’hui l’investir presque sans restriction dans chaque pays ou chaque entreprise — et cela là où un investissement promet le meilleur rendement. Par conséquent, les sites de production sont délocalisés vers des pays lointains et les gens se déplacent dans les lieux où des places de travail sont créées. Dans les années 1980 et 11 https://digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption Page 14 sur 59
1990 en particulier, les politiciens sont partis du principe qu’il valait mieux pour tous les pays qu’ils soient autorisés à pratiquer un libre-échange total. Selon cette théorie 12, si les marchandises sont fabriquées là où elles peuvent être produites au moindre coût possible, cela profite en principe à tout le monde. En conséquence, les droits de douane et autres barrières commerciales ont été abolis dans le monde entier. Les grandes puissances et les organisations internationales ont atteint cet objectif, et cela grâce à des accords commer- ciaux bilatéraux et multilatéraux. L’OMC restreint également la possibilité de protéger sa propre production de la concurrence internationale au moyen de subventions. La concur- rence internationale entre places économiques est toujours plus importante pour la mobili- té du capital, du travail et des marchandises. De nombreux pays, dont la Suisse, agissent de manière très agressive pour attirer les entreprises. La palette d’instruments comprend la réduction de l’imposition des entreprises ainsi que le démantèlement des droits du travail. Aujourd’hui, le néolibéralisme débridé a perdu une partie de son influence, notamment parce que des dispositions sur les obligations sociales et environnementales durables ont été ajoutées à la plupart des accords de ce genre. D’un point de vue économique, la mondialisation profite à l’économie nationale suisse. Les revenus qu’elle tire des marchandises qu’elle exporte sont supérieurs à ce qu’elle paie pour les marchandises importées. La Suisse a de ce fait une balance commerciale posi- tive. Le montant représenté par celle-ci a presque triplé au cours des dix dernières années, pour atteindre près de 40 milliards de francs. Cette forte croissance concerne essentielle- ment l’industrie pharmaceutique 13. Sans celle-ci, la Suisse afficherait depuis des années un déficit commercial. La Suisse est l’un des pays où les parts du commerce extérieur dans le produit intérieur brut (PIB) sont le plus élevées. Les principaux partenaires commerciaux des échanges transfrontaliers de marchandises sont les pays industrialisés, l’UE jouant ici un rôle particulièrement important 14. Au sein de l’OMC, le Conseil fédéral a plaidé en faveur d’une libéralisation du commerce et en faveur d’obstacles juridiques importants. En parallèle, la Suisse a élargi son réseau d’accords de libre-échange et, depuis 2010 environ, ajoute aux conventions des chapitres sur le développement durable. Dans le même temps, le Conseil fédéral a contribué à l’élaboration de l’Agenda 2030 pour le développement durable, que tous les États membres de l’ONU se sont engagés à respecter (2015). L’Agenda 2030 est un projet mondial visant à transformer radicalement l’économie, la société et l’État sur la base d’une durabilité définie de manière globale dans toutes ses dimensions : sociales, écologiques, des droits de l’homme et de la politique de paix 15. Le commerce relie les pays les uns aux autres et rapproche les cultures. Les peuples qui échangent des marchandises travaillent en bonne intelligence et évitent les conflits. Le 12 L’idéologie du libre-échange illimité repose essentiellement sur la théorie de l’avantage comparatif des coûts de l’économiste David Ricardo. 13 https://www.fuw.ch/article/was-waere-die-schweiz-ohne-pharmaindustrie/ 14 Administration fédérale des douanes 2017 : statistique du commerce extérieur de la Suisse 2016 15 Conseil fédéral, Rapports sur la politique économique extérieure 2009 et 2015 et Rapport sur la politique économique extérieure 2017 ; Agenda 2030 de l’ONU : https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/1&Lang=F / http://unctad.org/meetings/fr/SessionalDocuments/ares70d1_fr.pdf Page 15 sur 59
commerce mondial contribue également à la prospérité. Il a créé des centaines de millions de nouveaux emplois dans des économies nationales moins développées et il provoque une baisse des prix de nombreux biens dans le monde entier. Les appareils, les vête- ments, mais aussi certains moyens de production tels que les panneaux photovoltaïques, sont aujourd’hui beaucoup moins chers qu’il y a encore un petit nombre de décennies. Les consommateurs et consommatrices du monde entier ont bénéficié de cette tendance. La croissance économique liée au commerce, en particulier dans les pays émergents, a amélioré le pouvoir d’achat dans ces pays. Cela a contribué à réduire la mortalité infantile et à améliorer la qualité des soins de santé et du niveau de formation. La prospérité crois- sante des pays émergents a ralenti la croissance démographique. On peut aujourd’hui imaginer que la population mondiale ne dépassera jamais 9 milliards d’habitants 16. Nous sommes de plus en plus conscients du fait que les problèmes mondiaux que sont par exemple la protection du climat et de l’environnement, l’utilisation équitable des res- sources, la protection des conditions de travail, la taxation équitable, la paix et la sécurité ne peuvent être résolus qu’à l’échelle internationale. Dans le même temps, certains salariés et certaines PME figurent parmi les perdants de la mondialisation. Lorsque des groupes d’entreprises délocalisent leur production, les circuits locaux de marchandises sont détruits. Alors que de nouvelles chances s’ouvrent à certains, d’autres se retrouvent sans revenus. Dans de nombreux endroits, la pression sur les sa- laires augmente aussi et les conditions de travail se détériorent. Le stress sur le lieu de tra- vail augmente. Les droits de l’homme sont violés tous les jours dans le monde entier et des installations de production inhumaines sont en activité. Là encore, les femmes sont particu- lièrement touchées. Dans un tel contexte, la démocratie est elle aussi perdante. L’alliance des intérêts de la place financière et du commerce des produits de base dans le Nord avec des élites cor- rompues dans le Sud détruit l’État de droit, sape la bonne gouvernance et entrave la dé- mocratie. C’est qu’il y a d’énormes intérêts en jeu : les ressources financières provenant des seuls pays en voie de développement représentent un montant sept fois plus élevé que celui de l’aide publique au développement fournie dans le sens inverse. Dans de nombreux endroits, les groupes d’entreprises mondiaux et les gouvernements néolibéraux tentent d’ouvrir les industries sous contrôle public à la concurrence mondiale. Cela est valable, par exemple, pour les secteurs de l’approvisionnement énergétique et des soins de santé ou pour les établissements d’enseignement. Ces domaines étaient autrefois con- sidérés comme importants pour l’indépendance d’un État. Aujourd’hui, ils sont soustraits à l’influence démocratique, par exemple en passant entre les mains d’entreprises privées. Les bénéfices passent ainsi de la majorité de la population à une minorité d’investisseurs et d’actionnaires de groupes d’entreprises toujours plus importants. Enfin, les entreprises actives au niveau international utilisent les lacunes ou les différences dans les lois fiscales nationales pour cacher d’énormes bénéfices aux autorités fiscales. Au bout du compte, l’environnement est perdant. Les groupes d’entreprises ne paient tou- jours rien pour les dommages qu’ils causent au climat ou à la nature. Par rapport à leur 16 Prévisions démographiques de l’ONU 2017 : https://esa.un.org/unpd/wpp/Publications/Files/WPP2017_KeyFindings.pdf Page 16 sur 59
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