Vulnérabilités croisées à l'adolescence : l'influence du sentiment d'appartenance à l'école, du genre et du vécu d'intimidation sur la présence ...
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Vulnérabilités croisées à l’adolescence : l’influence du sentiment d’appartenance à l’école, du genre et du vécu d’intimidation sur la présence des symptômes dépressifs Mémoire Elodie April Maîtrise en épidémiologie - avec mémoire Maître ès sciences (M. Sc.) Québec, Canada © Elodie April, 2021
Vulnérabilités croisées à l’adolescence : l’influence du sentiment d’appartenance à l’école, du genre et du vécu d’intimidation sur la présence des symptômes dépressifs Mémoire Élodie April Sous la direction de: Richard Bélanger, directeur de recherche Slim Haddad, codirecteur de recherche
Résumé Les enjeux de santé mentale sont fréquents chez les adolescents et peuvent avoir des répercus- sions négatives durables sur leur santé globale. Plusieurs facteurs de risque prédisposant aux symptômes dépressifs dans cette population sont bien connus, tels qu’être une fille ou avoir été victime d’intimidation. Le sentiment d’appartenance à l’école, quant à lui, apparaît être un facteur protecteur des symptômes dépressifs chez les adolescents. Son impact positif au sein de groupes vulnérables reste toutefois à vérifier. Le présent mémoire a trois objectifs distincts. Le premier est d’évaluer l’influence du sentiment d’appartenance sur les symptômes dépressifs chez les adolescents. Le deuxième est de vérifier si son influence varie chez les groupes plus vulnérables, tels que les filles, les victimes d’intimidation et celles cumulant ces deux vulnérabi- lités face aux symptômes dépressifs. Le troisième est d’examiner l’impact relatif hypothétique que pourraient atteindre des interventions favorisant le sentiment d’appartenance, l’élimina- tion de l’intimidation ou de l’écart entre les sexes sur les symptômes dépressifs significatifs sur la base des associations trouvées précédemment. Pour répondre à ces questions, les don- nées de la cohorte 2017-2018 de COMPASS-Québec de 17 367 élèves de 37 écoles secondaires de l’Est-du-Québec ont été utilisées (Chapitre 1). Les résultats suggèrent que le sentiment d’appartenance à l’école rapporté par les élèves a une influence positive face à leurs symp- tômes dépressifs, et que son influence semble d’autant plus importante pour les adolescents cumulant les vulnérabilités, tels que les filles intimidées. Toutefois, même en présence des plus hauts scores d’appartenance, cette influence pourrait être insuffisante chez les groupes les plus à risque de symptômes dépressifs. ii
Abstract Mental health issues are common in adolescents and can have a lasting negative impact on their overall health. Several risk factors for depressive symptoms in this population are well known, such as being a girl or being bullied. School connectedness appears to be a protective factor in adolescents’ depressive symptoms. However, its positive impact among vulnerable groups remains unknown. This master’s thesis has three distinct objectives. The first one is to assess the influence of school connectedness on depressive symptoms among adolescents. The second is to see if its influence varies among vulnerable groups, such as girls, victims of bullying and those who combine these two vulnerabilities. The third is to examine the hypothetical relative impact whether public health interventions aimed at increasing school connectedness, eliminating bullying or eliminating the gender gap could achieve on significant depressive symptoms based on the associations found above. To answer these questions, data from COMPASS-Quebec’s 2017-2018 cohort of 17,367 students from 37 high schools in Eastern Quebec were used ( Chapter 1). The results suggest that the students’ reported school connec- tedness has a protective influence on their depressive symptoms and its influence appears even greater among young people cumulating vulnerabilities, such as bullied girls. However, even with the highest school connectedness scores, this influence may not be sufficient in the most at-risk students for depressive symptoms. iii
Table des matières Résumé ii Abstract iii Table des matières iv Liste des tableaux vi Liste des figures vii Liste des abréviations, sigles, acronymes viii Remerciements ix Avant-propos x Introduction 1 1.1 Les symptômes dépressifs à l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.1.1 Épidémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.1.2 Présentation clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1.1.3 Impact clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1.1.4 Facteurs de risque de la dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1.1.5 Vulnérabilité sexo-spécifique face aux symptômes dépressifs . . . . . 4 1.2 L’intimidation comme élément de vulnérabilité . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1.2.1 Historique de l’intimidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1.2.2 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1.2.3 Prévalence de l’intimidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 1.2.4 L’impact de l’intimidation sur la santé mentale des adolescents . . . 7 1.2.5 Autres conséquences de l’intimidation sur les victimes . . . . . . . . 8 1.3 Facteur de protection de la dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.4 Sentiment d’appartenance à l’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.4.1 Facteurs favorisant le sentiment d’appartenance à l’école . . . . . . . 9 1.4.2 Tendance du sentiment d’appartenance à l’école au Québec et au Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1.4.3 Impact du sentiment d’appartenance à l’école . . . . . . . . . . . . . 10 1.5 Relation entre les facteurs de vulnérabilité et de protection des symptômes dépressifs à l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 1.6 Objectifs du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 iv
1 Is school connectedness enough to buffer mental health vulnerabilities related to gender and bullying among adolescents ? 13 1.1 Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 1.2 Abstract . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 1.3 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1.4 Methods . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.4.1 Participants and procedure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.4.2 Instrumentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.5 Data Analysis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1.5.1 Protective effect of school connectedness on depressive symptoms . 17 1.5.2 Potential benefit of public health interventions . . . . . . . . . . . . 18 1.5.3 Non-respondents and missing values . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 1.6 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 1.6.1 Sample characteristics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 1.6.2 Protective effect of school connectedness . . . . . . . . . . . . . . . . 19 1.6.3 Potential impact of prevention interventions . . . . . . . . . . . . . . 20 1.7 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 1.8 References . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 2 Discussion générale 33 2.1 Rappel des principaux résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 2.1.1 Examen du lien entre le sentiment d’appartenance à l’école et les symptômes dépressifs des adolescents . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 2.1.2 Examen de l’influence du sentiment d’appartenance à l’école selon certains groupes vulnérables, soit les filles et les victimes d’intimida- tion, sur les symptômes dépressifs des adolescents . . . . . . . . . . . 34 2.1.3 Examen de l’impact hypothétique des possibles interventions ciblant les symptômes dépressifs significatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 2.2 Implication clinique des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2.3 Forces et limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Conclusion 40 Bibliographie 42 A Stratégies pour augmenter le sentiment d’appartenance à l’école 63 B Approche à trois niveaux du Positive Behavioral Interventions and Supports 64 v
Liste des tableaux 1 Characteristics of participants (cases, mean, and 95% confidence interval (CI)) 27 2 Interaction of bullying and school connectedness on depressive symptoms by gender . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 3 Conditional prevalence of significant depressive symptoms, population fractions, and risks under hypothetical scenarios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 vi
Liste des figures 1 Average adjusted predictions (AAP) of the depressive score by gender and school connectedness level . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 2 Average adjusted predictions (AAP) of the depressive symptoms score by bul- lying status, gender, and school connectedness score (SC score) . . . . . . . . . 31 A Average adjusted predictions (AAP) of the depressive symptoms score by connec- tedness score (SC score) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 vii
Liste des abréviations, sigles, acronymes AAP : Average adjusted prediction CESD : Center for Epidemiologic Studies Depression Scale PAF : Population attributable fractions PAR : Population attributable risks SC scores : school connectedness scores CI : confidence interval viii
Remerciements Je tiens à remercier mon directeur de maitrise, Dr Richard Bélanger, pour sa rigueur et sa disponibilité. Il fut pour moi un directeur hors pair. Je remercie également Dr Slim Haddad, codirecteur, pour son soutien et sa précieuse aide, particulièrement autour de la précision des objectifs, et pour l’enseignement et l’aide entourant les analyses statistiques. Grâce à lui, j’ai pu apprendre à utiliser Stata de façon autonome. Au cours des deux dernières années, j’ai énormément appris sous leur supervision. Leur appui a été inestimable. Un grand merci à l’équipe COMPASS-Québec pour leur professionnalisme et leur accueil chaleureux. Merci également aux adolescents, aux écoles et aux autorités de santé publique pour leur participation et leur contribution essentielles à la réalisation du projet COMPASS- Québec. Ce projet a été possible grâce au soutien financier du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, des Instituts de Recherche en Santé du Canada et de Santé Ca- nada. Je dois remercier ma famille et mes amis qui ont su m’accompagner dans les nombreux défis des dernières années. ix
Avant-propos L’article présenté dans ce mémoire, “Is school connectedness enough to buffer mental health vulnerabilities related to gender and bullying among adolescents ?”, a été soumis en novembre 2020 au Journal of Adolescent Health. Des modifications pourraient être apportées à l’article avant sa publication. J’ai contribué à l’élaboration de ce projet de recherche dans son entiè- reté. J’ai également écrit l’article présenté dans ce mémoire à titre d’auteur principal sous la supervision des coauteurs principaux, Dr Richard Bélanger et Dr Slim Haddad, ainsi que Dr François Desbiens et Dr Scott Leatherdale. En tant qu’auteur principal, j’ai réalisé les ana- lyses statistiques avec la banque de données de COMPASS-Québec sur Stata, avec l’aide de Dr Slim Haddad et Dr Richard Bélanger. J’ai également créé les graphiques et les tableaux et j’ai effectué l’analyse des résultats. J’ai rédigé la première version de l’article en anglais et mes précieux coauteurs ont soumis leurs commentaires et suggestions. x
Introduction Les problèmes de santé mentale contribuent à 16% de la charge mondiale de morbidité chez les 10 à 19 ans (World Health Organization 2019). Parmi eux, les symptômes dépressifs sont d’un intérêt particulier en raison de l’impact qu’ils ont sur la santé globale des adolescents. De nombreux effets indésirables à l’immédiat, mais aussi à long terme, y sont associés (Fergusson and Woodward 2002, Costello et al. 2005). Certains groupes d’adolescents sont plus sujets à être déprimés, particulièrement les filles et les victimes d’intimidation (Due et al. 2005, Salk et al. 2017). En parallèle, le sentiment d’appartenance à l’école semble être associé à moins de symptômes dépressifs chez les adolescents, mais un tel effet n’a été que peu étudié chez ceux cumulant des vulnérabilités de santé mentale. En s’intéressant aux groupes vulnérables et à certains indicateurs pouvant être modifiés, ce mémoire de maîtrise s’inscrit dans une perspective de santé communautaire en examinant l’intérêt possible de mesures ciblées sur un enjeu clé de la santé des adolescents, le tout proche de ma pratique clinique de pédiatre spécialisée en protection de l’enfance. 1.1 Les symptômes dépressifs à l’adolescence 1.1.1 Épidémiologie Les troubles dépressifs ont une prévalence annuelle estimée entre 4 et 8% (Costello et al. 2005, Jane Costello et al. 2006, Merikangas et al. 2009, Perou et al. 2013, Piché et al. 2017, Zucker- brot et al. 2018). Une étude américaine a démontré que la prévalence à vie de la dépression majeure chez les adolescents était de 11% (Avenevoli et al. 2015). Les problèmes dépressifs sont connus pour être la troisième cause d’années de vie corrigées de l’incapacité chez les adolescents (World Health Organization 2017). Aux États-Unis, en 2017, 31.5% des élèves entre la 9eime et la 12eime année se sont sentis tristes à tous les jours pendant plus de deux semaines dans la dernière année (Kann et al. 2017). En 2012, 11% des Canadiens âgés de 15 à 24 ans ont mentionné avoir déjà souffert d’une dépression (Findlay 2017). 1
La prévalence des symptômes dépressifs augmente avec l’âge chez les mineurs. Elle est basse chez les enfants et augmente drastiquement à l’adolescence (Kessler et al. 2001, American Psychiatric Association 2013). Aux États-Unis, l’incidence de la dépression est estimée à 0.5% chez les enfants de 3 à 5 ans, 2% chez les 6 à 11 ans et jusqu’à 12% chez les 12 à 17 ans (Perou et al. 2013). Il semble avoir une augmentation des symptômes dépressifs chez les adolescents dans les der- nières années (Julien 2018, Keyes et al. 2019). Aux États-Unis, pour tous les sous-groupes d’âge de l’adolescence, les symptômes dépressifs ont diminué de 1991 à 2011 pour augmenter à la suite et atteindre leur plus haut niveau en 2018 (Keyes et al. 2019). Au Québec, la proportion d’élèves se situant au niveau élevé de détresse psychologique a augmenté depuis 2010-2011, passant de 21% à 29% en 2016-2017 (Julien 2018). Cette augmentation a été constatée à tous les niveaux du parcours scolaire secondaire. 1.1.2 Présentation clinique Plusieurs troubles dépressifs peuvent se présenter à l’adolescence, dont le trouble dépressif caractérisé, aussi connu sous le nom de dépression majeure (American Psychiatric Association 2013, Zuckerbrot et al. 2018). La cinquième et plus récente édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie (DSM-5) est la référence en matière de troubles mentaux. Le DSM-5 indique que le trouble dépressif caractérisé consiste à un épisode d’au moins 2 semaines consécutives avec des changements par rapport au fonctionnement antérieur au niveau de l’affect, de la cognition et des fonctions neurovégétatives (American Psychiatric Association 2013). Il peut se traduire par une humeur irritable ou dépressive, une perte d’intérêt ou de plaisir, un changement de l’appétit ou du poids, un trouble de sommeil, une agitation ou un ralentissement psychomoteur, de la fatigue, un sentiment de culpabilité ou de dévalorisation, un problème de concentration et des idées suicidaires (American Psychiatric Association 2013). Parmi ces neuf symptômes spécifiques, cinq doivent être présents pour un diagnostic clinique de dépression, incluant nécessairement l’humeur irritable ou dépressive ou la perte d’intérêt ou de plaisir (American Psychiatric Association 2013). Le niveau d’atteinte n’est pas toujours sévère, mais peut être caractérisé de modéré ou même léger (American Psy- chiatric Association 2013). Ainsi, un adolescent peut avoir des symptômes dépressifs sans avoir les critères complets pour être diagnostiqué avec un trouble dépressif caractérisé. En dessous d’un tel niveau, bien qu’ils puissent engendrer un inconfort, de tels symptômes ne sont pas nécessairement pathologiques. 2
1.1.3 Impact clinique Chez les adolescents, les symptômes dépressifs ont été associés à une moins bonne santé phy- sique et à une augmentation de consommation de substances, telles que l’alcool, les drogues et le tabac (Wilkinson et al. 2016, Finning et al. 2019). Ainsi, les adolescents canadiens de la 9eime à la 12eime année avec des symptômes dépressifs fument plus et ont une plus grande consommation de marijuana et de drogues dures (Hooshmand et al. 2012). Les adolescents déprimés ont aussi plus de symptômes somatiques, tels que de la fatigue, des douleurs gastro- intestinales et des nausées (Bohman et al. 2010, Khalil et al. 2010, Janssens et al. 2010, Bohman et al. 2012). Les symptômes dépressifs durant l’adolescence sont aussi associés aux comportements sexuels à risque et donc, à un risque accru de grossesse durant cette période (Birmaher and Brent 2007). Les comportements décrits peuvent causer de la détresse et mener à des symptômes dépressifs. À l’école, les symptômes dépressifs affectent le parcours scolaire des adolescents touchés. On dénote une augmentation d’absentéisme scolaire, de décrochage et une diminution des perfor- mances scolaires (Finning et al. 2019). Le risque de suicide, associé à l’humeur dépressive, est un enjeu universel des plus significatif (World Health Organization 2017). Le suicide est ainsi la deuxième cause de mortalité chez les 15 à 29 ans (World Health Organization 2017). Il a été constaté que 8% des adolescents avec un diagnostic de dépression majeure vont se suicider avant l’âge adulte (Glied and Pine 2002, Keenan-Miller et al. 2007, Perou et al. 2013, O’Conner et al. 2016). Il est bien connu que les deux principaux facteurs de risque du suicide sont les antécédents de tentative de suicide et les troubles dépressifs (Esposito and Clum 2002, Gould et al. 2003, Cash and Bridge 2009). Il a été décrit que 60% des adolescents déprimés ont des idées suicidaires et 30% ont commis des tentatives de suicide dans le passé (Birmaher and Brent 2007, Cash and Bridge 2009). 1.1.4 Facteurs de risque de la dépression Plusieurs facteurs de risque sont impliqués dans le spectre des symptômes dépressifs chez l’adolescent (Maughan et al. 2013, Kieling et al. 2011). Une composante héréditaire en fait partie (American Psychiatric Association 2013). Les adolescents de parents atteint de dépres- sion ont trois à quatre fois plus de risque d’en souffrir (Maughan et al. 2013). Les stresseurs aigus ainsi que les adversités chroniques sont aussi des facteurs de risque majeurs (Rice et al. 2002, Thapar et al. 2012, Auerbach and Ho 2012). Les stresseurs chroniques semblent avoir un plus grand impact que les évènements aigus, spécialement pour les femmes (Thapar et al. 2012). Les conflits dans la famille et avec les pairs, la maltraitance, la négligence ainsi que l’intimidation y sont associées (Maughan et al. 2013). 3
1.1.5 Vulnérabilité sexo-spécifique face aux symptômes dépressifs Les filles sont plus souvent touchées par la dépression que les garçons (Maughan et al. 2013, Public Health Agency of Canada 2016, Salk et al. 2017, Kann et al. 2017, Julien 2018, Inchley et al. 2020). Ainsi, les adolescentes ont deux à trois fois plus de risque de dépression majeure que les garçons (Hyde et al. 2008, Avenevoli et al. 2015). Aux États-Unis, en 2017, 41.1% des adolescentes se sentaient tristes comparativement à 21.4% chez les adolescents (Kann et al. 2017). Au Canada, en 2014, 43% des filles et 22% des garçons en 10eime année se sentaient tristes ou déprimés à tous les jours durant deux semaines et plus dans la dernière année (Public Health Agency of Canada 2016).Au Québec, en 2016-2017, 40% des filles au secondaire présentaient un niveau élevé de détresse psychologique comparativement à 19% des garçons (Julien 2018). Cette différence selon le sexe soulève plusieurs hypothèses et n’est pas complètement comprise (Bulhões et al. 2017). Des facteurs biologiques et psychosociaux ont été proposés pour expliquer cette différence sexo-spécifique. L’effet des stéroïdes sexuels sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien a été nommé, rendant les filles plus sensibles au stress (Chaplin et al. 2009). De plus, l’adaptation différente des filles face au stress ainsi que l’impact plus important du rejet social chez celles-ci peuvent expliquer cette différence (Hankin 2006, Chaplin et al. 2009). 1.2 L’intimidation comme élément de vulnérabilité 1.2.1 Historique de l’intimidation L’intimidation chez les jeunes n’est pas un phénomène nouveau. Elle est présente depuis des siècles (Koo 2007, Hymel and Swearer 2015). Burk a été le premier à rédiger un article sur le sujet en 1897 (Koo 2007). Dans de vieux documents du 18eime siècle jusqu’au début du 20eime, l’intimidation est décrite comme un harcèlement physique qui se rapportait habituel- lement à un décès, à un isolement prononcé ou à une extorsion chez des élèves (Koo 2007). L’intimidation a été reconnue comme allant bien au-delà de la forme physique à la fin des années 1980 et ainsi, il a été précisé qu’elle peut prendre différentes formes, telles que la forme verbale et sociale (Koo 2007). Dr Dan Olweus, professeur en psychologie à l’Université de Bergen, en Norvège, a été le pionnier de la recherche sur l’intimidation (Olweus Bullying Prevention Program 2020, Koo 2007) et a publié de nombreuses études sur le sujet sur trois décennies (Olweus 1978, Olweus 1991, Olweus 1993, Olweus 1995). Depuis, plusieurs études dans différentes disciplines ont été réalisées (Koo 2007, Hymel and Swearer 2015). 1.2.2 Définition L’intimidation est maintenant considérée comme tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans 4
le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité des rapports de force entre les per- sonnes concernées (Kann et al. 2017). Plusieurs définitions similaires sont présentes dans la littérature (Smith and Thompson 1991, Dodge 1991, Smith and Sharo 1994, Rigby 2002) dont celle de Dr Olweus en 1993 qui a défini une personne intimidée lorsque celle-ci est exposée dans le temps à des actions répétées de la part d’un ou de plusieurs étudiants (Olweus 1993). Toutes les définitions s’unissent en décrivant l’intimidation comme un sous-type d’agression répété et intentionnel avec un déséquilibre de pouvoir (Koo 2007, Hymel and Swearer 2015). L’intimidation peut être directe, soit physique ou verbale. Elle peut aussi être indirecte, en utilisant une forme psychologique ou relationnelle (Baldry 2004). L’intimidation relationnelle est lorsque la manipulation des pairs est utilisée pour exclure une personne (Wolke et al 2000). Avec les avancées technologiques, une nouvelle forme d’intimidation est en émergence, soit la cyberintimidation décrite comme un harcèlement électronique par le biais des réseaux sociaux, des messages sur les téléphones portables, des courriels, des forums de discussion, des blogues ou des publications sur un site Web de propos ou de photographies nuisibles (Smith et al. 2008, Bradshaw et al. 2013, Notar et al. 2013). Les différentes personnes impliquées peuvent être des victimes, des intimidateurs ou des vic- times qui intimident (Solberg et al. 2007). Les adolescents victimes d’intimidation sont plus insécures avec une faible estime de soi et une image négative d’eux-mêmes (O’Moore and Kir- kham 2001, Wolke et al. 2017). Ils sont souvent plus sensibles et discrets de nature (Olweus 1995, Haynie et al. 2001). Les intimidateurs, quant à eux, sont le plus souvent impulsifs avec un besoin fort de dominer les autres et ne ressentent pas d’empathie envers leurs victimes (Olweus 1994, Olweus 1995, Haynie et al. 2001, Carney and Merrell 2001). Ils éprouvent de la difficulté à ressentir la peur ou la tristesse de leurs victimes et ainsi, ne reconnaissent pas facilement leur souffrance comme la conséquence de leurs actes (Blair 1999). Ils sont décrits comme agressifs, hostiles et dominants envers leurs pairs, mais aussi envers les adultes ( Olweus 1995). Ils ont aussi souvent une grande estime d’eux-mêmes (Cillesen and Mayeux 2004). Les élèves avec des comportements antisociaux sont plus souvent des intimidateurs (Viding et al. 2009, Wei et al. 2010, Cerezo and Méndez 2012). Les victimes qui intimident ont souvent de pauvres aptitudes sociales et éprouvent des difficultés dans leur régulation des émotions (Schwartz et al. 2001, Shakoor et al. 2012, Guy and Lee 2017). Plusieurs anciennes études décrivaient les victimes qui intimident comme un groupe homogène (Pelligrini et al. 1999, Schwartz 2000, Haynie et al. 2001, Espelage and Swearer 2003). Toutefois, des études plus récentes démontrent que ce groupe est hétérogène et peut se présenter sous différents sous-groupes, selon leur forme d’intimidation utilisée ( Ettekal and Ladd 2017, Chung and Lee 2020). 5
1.2.3 Prévalence de l’intimidation Une méta-analyse de 80 études en 2014 a estimé que 36% des adolescents vivaient de l’intimi- dation (Modecki et al. 2014). Les chiffres sont similaires en Amérique du Nord. Au Québec, en 2016-2017, près du tiers des élèves du secondaire affirment avoir été victimes d’intimida- tion (Traoré et al. 2018). Au Canada, 19 à 31% des adolescents se disent victimes (Public Health Agency of Canada 2016, Baiden et al. 2017). Des études américaines ont démontré qu’entre 14 à 20% des adolescents américains étaient aussi victimes dans l’année précédant les études (Kann et al. 2017, Musu et al. 2019, Luxenberg et al. 2019). Le nombre de victimes d’intimidation diminue au cours des années du secondaire autant chez les filles que les gar- çons (Sourander et al. 2000, Rigby 2002,Public Health Agency of Canada 2016). Au Québec, 38% et 39% des étudiants de 1re et 2e secondaire respectivement sont victimes d’intimida- tion comparativement à 26% en 5e secondaire (Traoré et al. 2018). Il semble avoir une légère prédominance de garçons chez les victimes d’intimidation, mais cette prédominance n’est pas constante dans les études (Wanf et al. 2009, Smith et al. 2019, Cosma et al. 2020). Ainsi, au Canada, en 2014, les filles se disaient plus souvent victimes d’intimidation que les garçons pour tous les niveaux (Public Health Agency of Canada 2016). Toutefois, au Québec, 37,2% des garçons se disaient victimes d’intimidation comparativement à 30.5% des filles (Traoré et al. 2018). Une méta-analyse de 80 études a démontré qu’environ 15% des adolescents sont victimes de cyberintimidation (Modecki et al. 2014). Plus particulièrement au Québec, 6% en se disaient victimes (Traoré et al. 2018). Au Canada, 3% des adolescents se disent intimidateurs (Public Health Agency of Canada 2016). Dans une étude internationale de 45 pays et régions, incluant le Canada, 8% des ado- lescents avaient déclaré avoir intimidé des pairs au moins 2 à 3 reprises dans les derniers mois, comparativement à 5% des filles (Inchley et al. 2020). Cette prédominance de garçon est constatée dans la littérature (Álvarez-García et al. 2015). Ils utilisent plus souvent l’in- timidation physique ou verbale comparativement aux filles qui utilisent davantage celle qui est psychologique ou relationnelle (Crick and Bigbee 1998). Jusqu’à 14 ans, le pourcentage d’intimidateurs augmente pour ensuite diminuer (Carlyle and Steinman 2007, Barboza et al. 2009, Gendron et al. 2011, Atik and Güneri 2013, Álvarez-García et al. 2015). Au Canada, 5% des adolescents se disent à la fois victimes et intimidateurs (Public Health Agency of Canada 2016). Toutefois, le rapport sur l’intimidation de 2019 aux États-Unis démontre des chiffres plus haut, soit 26% des garçons et 12% des filles de la 9eime à la 12eime année l’étaient au moins 2 à 3 fois par mois (Luxenberg et al. 2019). Les garçons font plus souvent partie de ce groupe (Schwartz et al. 2001, Yang and Salmivalli 2013). Ils utilisent plus fréquemment de l’intimidation physique ainsi que verbale que les intimidateurs non intimidés (Yang and Salmivalli 2013). 6
1.2.4 L’impact de l’intimidation sur la santé mentale des adolescents L’intimidation a un impact sur la santé mentale des victimes (Hawker and Boulton 2000, Bal- dry 2004, Nansel et al. 2004, Due et al. 2005). Ces dernières ont plus souvent de problèmes d’internalisation, tels que la dépression, l’anxiété et la solitude (Hinduja and Patchin 2010, Ortega et al. 2012, Copeland et al. 2013, Zwierzynska et al. 2013, Faris and Felmlee 2014, Landoll et al. 2015, Stapinski et al. 2015, Thomas et al. 2017, Hysing et al. 2019 ). Dans une méta-analyse de 2017, les rapports de cote d’une pauvre santé mentale, de la dépression et de l’anxiété étaient respectivement de 1.60 (95% IC : 1.42-1.81), 2.21 (95% IC : 1.34-3.65) et 1.77 (95% IC : 1.34-2.33) (Moore et al. 2017). Ainsi, il est bien connu que les victimes d’intimidation sont plus à risque de dépression (Saluja et al. 2004, Sampasa-Kanyinga 2017, Strohacker et al. 2019). Dans une étude américaine, les victimes qui étaient fréquemment in- timidées (au moins 3 à 4 fois en 4 semaines) étaient sept fois plus déprimées que ceux qui n’étaient pas victimes (Brunstein et al. 2007). Ceux l’étant moins qu’une fois par semaine étaient, quant à eux, deux fois plus déprimés (Brunstein et al. 2007) que les non-victimes. En 2012, Lemstra et ses collègues ont démontré que les jeunes adolescents victimes d’intimidation physique avaient 80% plus de risque d’avoir une humeur dépressive que ceux n’étant pas vic- times d’intimidation (Lemstra et al. 2012). Une étude longitudinale en 2017 a démontré une association positive entre l’intimidation et les symptômes dépressifs, mais aussi une relation bidirectionnelle (Burke et al. 2017). Ainsi, sur une période de deux ans, les victimes d’inti- midation avaient plus de symptômes dépressifs et ceux avec des symptômes dépressifs étaient davantage victimes d’intimidation par leurs pairs (Burke et al. 2017). Cette association bidi- rectionnelle avait aussi été démontrée dans d’autres études antérieures (Sweeting et al. 2006, Kaltiala-Heino et al. 2010, Reijntjes et al 2010, Jutengren and Stattin 2012, Bogart et al. 2014). Une étude de 2007 avait démontré que les filles intimidées avaient plus de symptômes dé- pressifs, d’idéations suicidaires et de tentatives de suicide que les filles non-intimidées, peu importe la fréquence (Klomek et al. 2007). Toutefois, pour les garçons, seulement ceux qui étaient intimidés fréquemment, soit 3 à 4 fois pendant 4 semaines, avaient plus de symptômes dépressifs que ceux non-intimidés (Klomek et al. 2007). Certaines études montrent que l’inti- midation a plus d’effets néfastes sur la santé mentale des filles que celle des garçons (Rueger and Jenkins 2013, Bannink et al. 2014). D’autres affirment le contraire, avec un effet plus important chez les garçons (Prinstein et al. 2001, Cheng et al. 2008). D’autres études n’ont pas observé de différences selon le sexe (Finkelhor et al. 2006, Bakker et al 2010, Turner et al. 2013, Van Geel et al. 2014, Boyes et al. 2014, Holt et al. 2015).Au long cours, les adolescents victimes d’intimidation ont aussi plus de symptômes dépressifs et une plus basse estime de soi lorsqu’ils sont jeunes adultes, comparés à ceux qui ne sont pas victimes (Olweus 1993, Ttofi et al. 2011, Wolke et al. 2013, Woo et al. 2019). Les victimes d’intimidation ont plus d’idéations suicidaires et de tentatives de suicide (Skapi- 7
nakis et al. 2011, Fisher et al. 2012, Moore et al. 2017, Zaborskis et al. 2019). Une étude de 2019, incluant 134 229 adolescents entre 12 et 15 ans de 47 pays, a démontré que l’intimida- tion était associée aux tentatives de suicide avec un rapport de cote de 3.06 (IC à 95% IC : 2.73-3.43) (Koyanagi et al. 2019). Cette étude va dans le même sens qu’une méta-analyse de 2014 qui a démontré que l’intimidation était associée aux tentatives de suicide avec un rapport de cote de 2.55 (IC à 95% : 1.95 -3.34) (Van Geel et al. 2014). Au Canada, une étude longitu- dinale de 2016 a démontré qu’il existe une association entre être victime d’intimidation à 13 ans et le fait de commettre une tentative de suicide dans les deux années suivantes (rapport de cote : 3.05, IC à 95% : 1.36-6.82) (Geoffroy et al. 2016). Les victimes d’intimidation avaient plus d’idéations suicidaires que les victimes vivant de la cyberintimidation (Baiden and Tadeo 2020). Une étude de 2020 a aussi montré que ceux victimes d’intimidation avaient 30% plus de risque de commettre de l’automutilation (Bryson et al. 2020). Les intimidateurs ainsi que les victimes qui intimident sont aussi des groupes à risque de tentatives de suicide (Klomek et al. 2007, Hepburn, Azrael and Miller 2012, Yang et al. 2020). Les intimidateurs et les victimes qui intimident ont aussi plus de problèmes de santé et des troubles d’adaptation que ceux non touchés par l’intimidation (Nansel et al. 2004). Les inti- midateurs ont plus de problèmes d’externalisation, comme des problèmes de conduite et des comportements antisociaux (Fanti and Kimonis 2012, Hysing et al. 2019). Les victimes qui intimident ont souvent une combinaison de problèmes d’internalisation et d’externalisation. Ils semblent avoir plus de symptômes dépressifs que les victimes seules ou intimidateurs seuls (Haynie et al. 2001, Juvonen et al. 2003, Toblin et al. 2005, Klomek et al. 2007, Kowalski and Limber 2013). 1.2.5 Autres conséquences de l’intimidation sur les victimes Il est décrit que les victimes réussissent moins bien à l’école (Wang et al. 2014, Wolke and Lereya 2015). L’impact de l’intimidation sur la réussite scolaire peut s’expliquer par deux phénomènes. Le premier est par un effet direct sur les performances scolaires et le deuxième via les problèmes de santé mentale causés par l’intimidation, diminuant indirectement les per- formances scolaires (McLeod et al. 2012). De plus, une méta-analyse de 2016 a rapporté un lien important entre l’intimidation et des problèmes de sommeil (Geel et al. 2016). L’intimidation est associée à plus de comportements à risque comme le tabagisme, la consom- mation d’alcool et la consommation de drogues illicites (Tharp-Taylor et al. 2009, Radliff et al. 2012, Valdebenito et al. 2015). Une étude canadienne de 64 174 élèves de la 7eime à la 12eime année suggère l’association de l’intimidation à une consommation plus importante de marijuana, de cocaïne, de méthamphétamines, d’ecstasy et d’hallucinogènes (Turner et al. 2018). 8
1.3 Facteur de protection de la dépression Ce ne sont pas nécessairement tous les adolescents ayant des facteurs de risque qui souffriront de dépression. Certains facteurs génétiques ainsi que des facteurs modifiables peuvent expli- quer leur résilience (Silk et al. 2007). Certains adolescents sont ainsi protégés par leur capacité à réguler leurs émotions et leurs mécanismes d’adaptation (Thapar et al. 2012). Des relations interpersonnelles positives sont aussi des facteurs protecteurs essentiels. Ainsi, de bonnes re- lations avec la famille et le support des pairs ont un rôle protecteur à l’adolescence contre la dépression (Thapar et al. 2012, Klasen et al. 2015). De plus, le sentiment d’appartenance à l’école a été associé à une meilleure santé émotionnelle et semble être un facteur protecteur de la dépression chez les adolescents (Kidger et al. 2012). 1.4 Sentiment d’appartenance à l’école En 2003, lors de la Conférence de Wingspread, plusieurs chercheurs et représentants du secteur de la santé et de l’éducation se sont réunis pour mieux définir le sentiment d’appartenance à l’école (Centers for Disease Control and Prevention 2009). Ainsi, dans le document rédigé lors de cette conférence, soit le Wingspread Declaration on School Connections, le sentiment d’appartenance à l’école a été défini comme la croyance des étudiants que les adultes de l’école se préoccupent de leur apprentissage, mais aussi de leur personne en tant qu’individu (Centers for Disease Control and Prevention 2009). Ils se sentent alors comme une partie intégrante de l’école (Whitlock 2006, García-Moya et al. 2018). Dans les dernières années, la préoccupation des autres élèves a été incluse dans la définition, car plusieurs études ont montré que le sentiment d’appartenance était influencé non pas seulement par les adultes, mais aussi par les pairs (Resnick 1997, Centers for Disease Control and Prevention 2009). Les définitions utilisées dans les différentes études pour le sentiment d’appartenance ne sont toutefois pas toujours similaires (Libbey 2004, Barber and Schluterman 2008, García-Moya et al. 2019). 1.4.1 Facteurs favorisant le sentiment d’appartenance à l’école Quatre facteurs favorisant le sentiment d’appartenance ont été établis (Centers for Disease Control and Prevention 2009). Le premier facteur important est le soutien des adultes de l’école. Les élèves ont besoin de sentir que les adultes se soucient d’eux en leur dédiant du temps, de l’intérêt ainsi qu’un soutien émotionnel (National Research Council and the Institute of Medicine 2004). L’appartenance positive à un groupe de pairs est aussi nécessaire. Les élèves victimes d’intimidation vont ainsi avoir moins de sentiment d’appartenance à l’école (Furlong et al. 2003). Les élèves doivent aussi avoir un engagement scolaire. En fait, pour favoriser le sentiment d’appartenance, autant les élèves que les adultes de l’école doivent s’investir à leur apprentissage et être impliqués dans les activités scolaires. Ainsi, les élèves qui croient qu’une bonne éducation est importante pour atteindre leurs objectifs de vie vont avoir un plus grand 9
sentiment d’appartenance (Centers for Disease Control and Prevention 2009). Finalement, un environnement scolaire sécuritaire ainsi qu’un climat psychosocial favorable sont nécessaires pour établir un sentiment d’appartenance. Le climat est influencé par les politiques discipli- naires scolaires et le fonctionnement en classe (Centers for Disease Control and Prevention 2009). 1.4.2 Tendance du sentiment d’appartenance à l’école au Québec et au Canada En 2016-2017, au Québec, le sentiment d’appartenance a été évalué dans l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire par un questionnaire de cinq énoncés sur l’attachement et l’engagement qu’un jeune a par rapport à son école (Street 2018). Parmi les élèves du secondaire, 59% avaient un niveau élevé de sentiment d’appartenance à l’école, alors que 36% avaient un niveau moyen, sans différence significative entre les garçons et les filles (Street 2018). Un haut niveau de sentiment d’appartenance diminuait avec les années du secondaire, passant de 70% en secondaire 1, 60% en 2e secondaire et de 54% à 52% pour les autres niveaux (Street 2018). Cette diminution du sentiment d’appartenance avec l’âge est bien reconnue dans la littérature (Loukas and Keryn 2013). Au Canada, 30% à 45% des élèves n’éprouvent pas de sentiment d’appartenance à leur école (Public Health Agency of Canada 2016). 1.4.3 Impact du sentiment d’appartenance à l’école Un plus grand sentiment d’appartenance à l’école est reconnu comme un facteur protecteur des symptômes dépressifs chez les adolescents (Shochet et al. 2006, Langille et al. 2012, Joyce and Early 2014, Foster et al. 2017, He et al. 2019). Un sentiment d’appartenance bas est associé à un risque subséquent de dépression dans les études longitudinales (Bond et al. 2007, Costello et al. 2008). Le sentiment d’appartenance à l’école est un facteur protecteur sur les comportements sui- cidaires (Resnick et al. 1997, Borowsky et al. 2001, Kidd et al. 2006, Kaminski et al. 2010, Young et al. 2011, Govender et al. 2013, Foster et al. 2017). Une méta-analyse de 2017 a démontré qu’un plus grand sentiment d’appartenance diminue les idéations suicidaires ainsi que les tentatives de suicide (Whitlock et al. 2014). Une étude canadienne de 2015 a démontré que lorsque le risque de dépression était considéré, un plus haut sentiment d’appartenance à l’école était associé à une diminution des idées suicidaires pour les deux sexes et une dimi- nution des tentatives de suicide pour les filles seulement (Marraccini and Brier 2017). Une étude longitudinale a aussi démontré que les victimes de cyberintimidation avaient moins de comportements suicidaires lorsqu’ils avaient plus de sentiment d’appartenance à l’école (Kim et al. 2019). 10
Il semble aussi avoir de nombreux effets bénéfiques, tels que la diminution de l’anxiété et l’augmentation de l’estime de soi (Foster et al. 2017). Il est aussi associé à de meilleurs résul- tats scolaires ( Nasir et al. 2011). Un plus fort sentiment d’appartenance diminue également l’initiation au tabagisme, à l’alcool, à la marijuana, à la délinquance et aux comportements vio- lents (Resnick et al. 1993, Resnick, Bearman et al. 1997, McNeely and Falci 2005, Brookmeyer et al. 2006, Kidd et al. 2006, Bond et al 2007, Weatherson et al. 2018). 1.5 Relation entre les facteurs de vulnérabilité et de protection des symptômes dépressifs à l’adolescence Il semble y avoir une relation entre certains des facteurs de vulnérabilité et de protection des symptômes dépressifs à l’adolescence. Par exemple, un plus grand sentiment d’appartenance augmente la dénonciation par les élèves témoins d’intimidation (Ahmed 2008) et augmente la demande d’aide par les victimes auprès des adultes de l’école (Eliot et al. 2010). Il permet aussi de diminuer l’isolement social (Hall-Lande et al. 2007). Une étude de 2020 a démontré qu’il diminue la solitude, mais chez les filles seulement (Carney et al. 2020). Reste que le sentiment d’appartenance a été peu étudié chez les groupes plus à risque de dépression, tels que les filles et ceux souffrant d’intimidation. Une étude de 6576 adolescents a démontré que le sentiment d’appartenance à l’école est associé à une diminution des symp- tômes dépressifs avec un impact plus important chez les filles que chez les garçons (He et al. 2019). Une étude allemande a évalué l’impact du soutien de l’école sur les problèmes de santé men- tale chez les victimes d’intimidation (Stadler et al. 2010). Toutefois, le soutien de l’école ne correspond pas à la définition du sentiment d’appartenance et n’englobe pas exactement les mêmes composantes. Morin et al. ont voulu explorer le rôle du sentiment d’appartenance inter- personnel sur les troubles d’adaptation, dont les problèmes d’internalisation chez les victimes d’intimidation. La relation avec les autres étudiants atténuait les problèmes d’internalisation chez les filles victimes d’intimidation relationnelle seulement, sans impact chez les garçons ni pour les victimes d’intimidation physique (Morin et al. 2015). Toutefois, cette étude n’évaluait pas le sentiment d’appartenance à l’école directement, mais regardait plutôt l’impact d’une bonne relation avec les autres élèves et celle avec les professeurs (Morin et al. 2015). Une étude longitudinale américaine a démontré que le sentiment d’appartenance à l’école a un effet protecteur sur les troubles de conduite chez les filles victimes d’intimidation physique ou verbale, âgées de 10 à 14 ans (Loukas and Keryn 2013). Toutefois, il n’avait pas d’effet protec- teur pour les symptômes dépressifs, peu importe le sexe (Loukas and Keryn 2013). Par contre, une autre étude longitudinale sur une période de 6 mois a aussi démontré que le sentiment 11
d’appartenance à l’école diminuait la dépression et les idéations suicidaires chez les victimes d’intimidation, mais qu’il n’y avait pas de différence selon le sexe (Arango et al. 2019). Tou- tefois, seulement 142 adolescents ont participé, tous recrutés lors d’une visite à l’urgence et dépistés comme étant des victimes d’intimidation. Nous constatons donc la pertinence de mieux comprendre l’influence du sentiment d’apparte- nance à l’école sur les états dépressifs des jeunes présentant des vulnérabilités. Cette pertinence repose non seulement sur une littérature limitée à ce sujet et des résultats qui y diffèrent, mais surtout car s’il s’avère que le sentiment d’appartenance mitige de manière importante ces mêmes états dépressifs au sein de certains groupes. L’intérêt à porter sur des interventions ciblés en serait bonifié. Un second constat est que la littérature concernant les relations entre les facteurs de risque et de protection, et les états dépressifs chez les jeunes apparaît difficile à évaluer en partie, car une vaste diversité d’indicateurs est utilisée, souvent de signification incertaine. On oscille entre « se sentir triste », « symptômes dépressifs », « souffrir de dépres- sion », « niveau élevé de détresse psychologique », et « adolescents déprimés ». L’usage de seuils cliniques reconnus, même au sein de projet de recherche d’ordre populationnel, faciliterait l’in- terprétation des résultats et leur signification. 1.6 Objectifs du mémoire Le présent mémoire a trois objectifs distincts. Le premier est d’évaluer la possible influence du sentiment d’appartenance sur les symptômes dépressifs chez les adolescents. Le deuxième est de vérifier si son influence semble varier chez les groupes plus vulnérables, tels que les filles, les victimes d’intimidation et celles cumulant ces deux vulnérabilités face aux symptômes dépressifs. Le troisième est d’examiner l’impact relatif hypothétique que pourraient atteindre des interventions favorisant le sentiment d’appartenance, l’élimination de l’intimidation ou de l’écart entre les sexes sur les symptômes dépressifs significatifs sur la base des associations trouvées précédemment. 12
Chapitre 1 Is school connectedness enough to buffer mental health vulnerabilities related to gender and bullying among adolescents ? Élodie April, MDa ; Richard E. Bélanger, MDb ; François Desbiens, MDc ; Scott Leatherdale, PhDd ; Slim Haddad, MD,PhDe a Clinical Epidemiology Master’s Student and Pediatrician, Université Laval, Quebec City, QC, Canada b Associate Professor, Department of Pediatrics, Faculty of Medicine, Université Laval, As- sociate Researcher, Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Uni- versité Laval, Quebec City, QC, Canada c Professeur de clinique, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de Méde- cine, Université Laval, Quebec City, QC, Canada d Full Professor, CIHR-PHAC Chair in Applied Public Health Research, School of Public Health and Health Systems, University of Waterloo, ON, Canada e Full Professor, Departement of Social and Preventive Medicine, Faculty of Medicine, Uni- versité Laval, Researcher, Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval, Quebec City, QC, Canada. 13
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