Werner Sombart intime : Note sur sa correspondance - Brill

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                  Werner Sombart intime : Note sur
                        sa correspondance

           Dominique Bourel
           CNRS, Centre Roland Mousnier, Paris, France
           boureldominique5@gmail.com

W       erner Sombart (1863-1941) a mauvaise réputation. On peut le com-
        prendre lorsqu’on le lit après 1948! Il est pourtant un des plus grands
sociologues de son temps en Allemagne et en Europe et au-delà comme en
témoigne son succès au Japon qui a d’ailleurs hérité de sa bibliothèque!
   Nous n’avons pas l’intention d’ouvrir à nouveaux frais le dossier ni de la
genèse du capitalisme, ni de la place des Juifs dans son histoire, mais souhai-
tons attirer ici l’attention sur quelques-uns de ses rapports directs avec les Juifs
de son temps autant en Allemagne qu’en France, avec des éditeurs réputés et
à Berlin1. Cet historien de l‘économie était aussi érudit que cultivé dans des
disciplines « hors champ » même si certains passages apparaissent aujourd’hui
comme très contestables! Et on se demande toujours comment quelqu’un qui
a commencé en exégète avisé du marxisme s’est retrouvé proche de la révolu-
tion conservatrice puis dans l’orbite des maîtres bruns après 1933.
   C’est ce que révèle non seulement plusieurs biographies mais encore une
édition de lettres offrant un regard plus fin sur sa personne et sur son œuvre.
Elles permettent de compléter le dossier des rapports entre Sombart et les
Juifs, continuellement et régulièrement traité2.
   Sa vie est bien connue ainsi que son œuvre qui touche l’économie, l’his-
toire et la sociologie. Il est d’ailleurs un des cofondateurs avec Max Weber

1 Ce furent souvent ses voisins, voir Sonnenstuhl, 2006.
2 Voir en France le classique Raphael, 1982, et, outre l’essai de Jacques Attali, 2002, Les
  Juifs, le monde et l’argent, qui a connu plusieurs rééditions en livre de poche, les travaux de
  Evelyne Oliel- Grausz et Liliane Perez. Voir aussi Jacques Wolff, 1988.

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                                                                                  from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM
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(1864-1920) et Georg Simmel (1858-1918) de la Société allemande de sociolo-
gie. Docteur de l’université de Berlin sous la direction de Gustav von Schmoller
(1838-1917), il enseignera aux universités de Breslau puis de Berlin (1917-1931)
prolongeant ses cours jusqu’en 1940.
   Les intellectuels juifs et non des moindres, furent très vite intéressé par
Sombart. Un exemple est la demande d’une contribution effectuée par le
jeune Martin Buber (1878-1965) qui met en chantier une ambitieuse collection
« d’études de psychologie sociale », sous le terme générique de Die Gesellschaft.

       « Par-là, j’entends, non pas un exposé conceptuel et universitaire même si
       je tiens à garder le côté positif de l’ensemble et technique de l’ensemble,
       mais une présentation des réalités de l’âme qui naissent de l’action com-
       mune des hommes. Partout où de nouveaux faits psychiques sont crées,
       par les rapports entre individus, il me semble qu’est donné un objet qui
       peut être examiné de manière psychosociologique. Ces faits psychiques
       se trouvent bien évidemment déjà uniquement dans l’individu, mais
       ils appartiennent à un ordre supra-individuel par leur naissance et leur
       composition »3.

Dans cette série d’une quarantaine de volumes on dispose en français des
contributions de Lou Salomé (1861-1937), Fritz Mauthner (1849-1923), Georg
Simmel, Gustav Landauer (1870-1919). Buber s’adresse à Werner Sombart dès
1905 et c’est le texte de ce dernier sur Le Prolétariat qui va ouvrir la série de
publications4 en 19065. Martin Buber va d’ailleurs participer à la première réu-
nion de la société allemande de sociologie.
   On doit aussi signaler que le traducteur français de l’ouvrage Les Juifs et
la vie économique6, n’est autre que Samuel Jankélévitch (1869-1951) que l’on
peut difficilement accuser de la moindre complaisance envers l’antisémitisme.
Né à Odessa, il s’était établi en France et avait fait ses études de Médecine
à Montpellier. Outre trois enfants, dont le célèbre philosophe Vladimir
Jankélévitch (1903-1985), sa fille Ida (1898-1982), l’épouse de Jean Cassou
(1897-1986), et son autre fils Léon (sinologue et diplomate), il fait aussi œuvre
de traducteur des auteurs suivants Jacob Boehme (1575-1624), Benedetto
Croce (1866-1952), Sigmund Freud (1956-1939) (8 volumes) et Hegel (1770-
1831) (l’Esthétique et la Logique) ainsi que Bronislav Malinowski (1884-1942),

3   On retrouvera le détail de cette entreprise dans Bourel, 2015.
4   Sombart, 1906.
5   Voir la réédition due à Friedheim Hengsbach, Sombart, 2008.
6   Sombart, 1923.

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Max Nordau (1849-1923), Otto Rank (1884-1939), puis de Werner Sombart : Les
Juifs et la vie économique (1923), Le Bourgeois (1928) et l’Apogée du capitalisme
(1932). Ensuite le jeune David Ben Gourion lui-même va traduire son ouvrage
Sozialismus und soziale Bewegung im xix. Jahrhundert aux éditions Achdout
de Jérusalem et un chapitre des Juifs et la vie économique verra une version
hébraïque par de jeunes sionistes7. Tout le monde le lit à l’époque, Paul Celan
(1920-1970) comme Walter Benjamin (1892-1940). La parution de Die Juden
und das Wirtschaftsleben en 1911 constitue un moment important qui a cata-
lysé, non seulement une réponse aux célèbres thèses de Max Weber sur le rôle
du puritanisme, mais encore aux questions de race, de la place des Juifs dans
l’histoire, en Allemagne et du sionisme, très éloquent à Berlin. Le nombre des
recensions souvent rédigées par des auteurs de premier plan : Julius Guttmann
(1880-1950), Lujo Brentano (1844-1931), Ludwig Feuchtwanger (1885-1947),
Franz Oppenheimer (1864-1943) témoigne de son écho. Mais il fut vigoureuse-
ment contesté comme dans l’article du grand Rabbin Moritz Güdemann (1835-
1918)8 adversaire résolu de Theodor Herzl (1860-1904), et auteur du Judaïsme
dans ses traits principaux d’après ses fondements historiques9, qui va même
jusqu’à lui corriger un barbarisme en latin! Sombart est revenu plusieurs fois
sur le rôle du Judaïsme et des Juifs10, dans plusieurs conférences publiques
(1909/1910) dont le développement est la base de son livre de 191111 et en diri-
geant une anthologie de textes Judentaufen, (1912) très répandue dans laquelle
on trouve des noms prestigieux de juifs (Max Nordau, Friedrich Mauthner) et
de non juifs – Heinrich Mann (1871-1950), Paul Natorp (1854-1924), Ferdinand
Tönnies (1855-1936), etc. Il a encore offert un extrait de quelques pages de Die
Zukunft der Juden12, dans un ouvrage collectif de 1932 intitulées « Der Jud ist
schuld? »13, un recueil présenté comme un « livre de discussion sur la ques-
tion juive ». Sa contribution commence par cette phrase : « Les Juifs, jusqu’à
aujourd’hui, n’ont pas réussi, une assimilation complète une fusion totale avec
les peuples européens et sans doute ne réussira jamais car il semble que la
différence de sang entre eux et les ‘tribus’ aryennes est trop grande. Ce constat

7     Kiev 1912, il s’agit d’un extrait d’une centaine de pages.
8     Moritz Güdemann, 1911 ; voir les ouvrages du rabbin M. Hofmann, 1914 et de
      H. Wäjten, 1914.
9     Güdemann, 1906. Traduit par le rabbin Simon Debré (1854-1939) qui avait fait une par-
      tie de ses études à Würzbourg.
10    Voir le chapitre remarquable de Friedrich Lenger, 1994, pp.186-218.
11    Sombart, 1911.
12    Sombart, 1912.
13    Bahr, 1932, pp. 249-253. Ce volume comporte une quarantaine de textes des auteurs les
      plus antisémites au sionistes les plus déclarés.

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implique un profond tragique ». En 1917, il proposa lui-même à Buber un article
pour sa revue Die Juden « sur sa conception de la position des Juifs et de la reli-
gion juive face au capitalisme » où « il veut, ainsi qu’il le dit, écarter toute sorte
de malentendus »14. Ce qui indique qu’il les connaissait et les redoutais. Il faut
dire que le livre traitait aussi des questions latérales à ses questions (psycho-
logie collective, nomadisme, sexualité, race etc.) et ne pouvait que provoquer
les débats.
    Dix-neuf chapitres articulés en trois parties, déploient un luxe de connais-
sances, surtout pour un profane, qui impressionne encore aujourd’hui. La
visée est très large, touche à la fondation de l’état moderne, enjambe plusieurs
siècles, parcourt divers pays pour se concentrer sur la formation d’une men-
talité capitaliste. Il écrit par cercles concentriques, du général au particulier,
sans éviter des passages sur les « idées fondamentales de la religion juive », la
rationalisation de la vie puis aboutir au problème de la race et s’achever sur « le
sort du peuple juif », et une « explication de leur amour de l’argent ».
    Encore aujourd’hui les interprètes sont divisés certains, tel David Landes
(1924-2013), y voient une mystification pseudo savante d’autres – tel Irving
Horowitz dans la réédition de la version anglaise, un « effort significatif pour
comprendre la relation entre religion et économie ».
    Aujourd’hui on peut y voir un chemin direct vers l’antisémitisme! Sa large
utilisation de Marx a laissé entendre qu’il le suivait, mais c’est surtout l’ambi-
guïté qui prédomine tout au long de ces pages15. Elles divisèrent aussi la com-
munauté juive à l’époque, les sionistes, minoritaires y trouvant des arguments
en leur faveur ce que les libéraux majoritaires contestaient.
    Nous ne reprendrons pas le dossier qui continue d’occuper la recherche en
histoire juive économique – ce qui est déjà notable en soi – mais voulons sim-
plement attirer l’attention sur la très récente édition d’un choix de la corres-
pondance, bien entendu parfaitement présentée et annotée par la commission
historique de l’Académie des sciences de Bavière16. Il faut à l’occasion relire
l’évocation de la famille par son fils Nicolas Sombart17 qui fut lui aussi socio-
logue et haut fonctionnaire international.
    Il va de soi que cette correspondance superbement annotée est très riche
non seulement pour l’histoire des idées, celle des rapports avec Ferdinand

14    Martin Buber à Salman Schocken, 23 juin 1917.
15    Michael Löwy, 1983.
16    Sombart W., 2019 : l’ouvrage compte 395 lettres avec une substantielle introduction. Voir
      aussi la biographie donnée par l’un des collaborateurs de cette édition, Lenger, 1994.
17    Sombart N., 1984.

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Tönnies, Max Weber18, Max Scheler (1874-1928) et Georg Simmel19, mais aussi
pour celle de la société allemande, la vie intellectuelle à Berlin ainsi que pour les
sinuosités académiques qu’elle expose! Nous nous en tenons de manière chro-
nologique à ce qui concerne les Juifs et le Judaïsme en feuilletant ce volume.
Très tôt dans les échanges apparaît la figure de Karl Mamroth (1859-1916) qui,
économiste issu d’une famille de banquier juif, aura de la peine à défendre une
habilitation à Jena en 1893, ce qu’il pourra réaliser à l’université technique de
Darmstadt ; Sombart semble l’apprécier. De même fait-il de temps en temps
allusion à Rosa Luxemburg, qu’il appelle Rosa ou « la galicienne » (elle était
née à Samosz en 1871, en Pologne occupée par la Russie) : « Rosa la combat-
tante m’a fait plaisir. Elle a de l’esprit (Witz) et même du courage (ce que l’on ne
peut affirmer de la plupart des hommes de votre parti. Non parce qu’elle écla-
bousse des outsiders comme moi […]. Mais elle montre du courage, peut-être
une forme d’insolence, mieux sous une forme de Choutzpe (ce que ta femme20
t’expliquera) lorsqu’elle attaque franchement vos caciques (Oberbonzen) sans
mettre la main devant la bouche »21. Elle habitera Berlin22 à partir de 1898 où
elle est assassinée en 1919. Mais parfois il moins amène, même pour un de ses
éditeurs Georg Bondi (1865-1935) qui a publié Deutsche Volkswirtschaft im 19.
Jahrhundert23. Les phrases désagréables (p. 262) semblent d’ailleurs concerner
plutôt les éditeurs, des canailles! Il épingle aussi Franz Oppenheimer, méde-
cin, sociologue, professeur à Berlin puis à Francfort et même présent dans la
même collection que le Prolétariat (271)! Lorsqu’il évoque la recension24 de
Max Adler (1873-1937), promoteur de l’austro-marxisme et éditeur, avec Rudolf
Hilferding (1877-1941), d’études sur Marx, puis co-fondateur de la « Société
sociologique de Vienne » où il enseignera cette discipline, il constate : « Cette
recension est typique du sémitisme improductif-talmudique »25. Au contraire
il apprécie « le jeune Dr. [Walther] Rathenau [1867-1922] nous sommes deve-
nus amis de manière très agréable » (p. 359). Il fréquente ainsi la salon d’Emma
Dohm (363), les éditeurs Louis-Ferdinand Ullstein26 (1863-1933) Rudolf Mosse
(1843-1920) ainsi que le rédacteur en chef du Berliner Tageblatt Thedor Wolff

18    Saluons l’achèvement, en 2020, pour le centième anniversaire de sa mort, de Weber,
      1984-2020, 43 volumes ainsi que Hübinger, 2019.
19    Voir Simmel (1989-2014), 24 volumes. Voir aussi Thouard, 2021.
20    Rachel Ronthal (1868-1950) émigrante russe juive de Vilna. Chuzpe signifie culot en
      yiddish.
21    À Otto Lang, le 22 décembre 1900.
22    von Gélieu, 2021.
23    Sombart W., 1903.
24    Dans Die Neue Zeit 21 (1902/3) pp.485-491, pp. 550-560.
25    Il prend Max Adler pour le fils de Victor Adler (1852-1918), ce qu’il n’était pas!
26    Ullstein, 1943.

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(1868-1943). Il remercie Maximilian Harden (1861-1924) qui devait transmettre
son ouvrage, Les Juifs et la vie économique pour une recension27 et (393-394)
et ajoute : « Il semble qu’on enterre mon livre (todgeschwiegen) sauf lorsqu’on
le parque dans la rubrique littéraire comme dans le Berliner Tageblatt28. C’est
la raison pour laquelle j’apprécierai que des revues indépendantes comme
le Zukunft ne se taisent pas29 ». Il est plus que réservé sur une participation
officielle au « First Universal Races Congress » tenu à Londres entre le 26 et
29 juillet 1911. Alors qu’il pense que « Hitler ne pourra pas se relever des der-
niers évènements30, tout est déjà désert et vide ». Quelques mois plus tard,
réfléchissant avec son collègue social-démocrate Johann Plenge, il écrit :

      « Quant à votre prétention à la paternité du national socialisme, il en va
      pour vous comme pour d’autres. Je suis conscient d’avoir soutenu depuis
      longtemps beaucoup d’idées qui agitent la politique actuelle. Je peux
      arguer de mon livre fondamental sur les Juifs (1911) à mon ouvrage de
      guerre Commerçants et héros (1915), à l’introduction de mon anthologie
      du socialisme, à mes deux volumes du Socialisme prolétarien (1924) qui
      comporte aux moins la critique la plus étendues du marxisme, à mon
      discours de Stuttgart contre la lutte des classes (absolue) 1924, à mon
      discours de Zurich sur les métamorphoses du capitalisme (1926) à mon
      écrit sur “L’avenir du capitalisme” (1932) etc. Moi aussi je suis englouti et
      oublié. On ne veut pas avoir de père spirituel. Toute pensées commence
      avec l’an I de la “révolution nationale”. Je suis très détendu dans ce destin.
      Faites la même chose et dites-vous que nous avons écrit pour le siècle et
      non pour aujourd’hui. Alors si désormais le principe suivant vaut pour
      les enfants spirituels “la recherche de paternité est interdite”31, ce n’est
      pas aussi grave qu’ une pension alimentaire. Laissons notre petit enfant
      se développer tranquillement et intéressons-nous tout au plus un peu à
      son éducation »32.

Veut-il se montrer un inspirateur non reconnu à sa juste place ou bien redoute-
t-il des mises en causes ? Mais il signe une de ses dernières cartes à son éditeur
« Heil Hitler! »

27    Jacob Frommer dans Die Zukunft, vol.77, 20 (1911) pp.103-114.
28    Voir les quelques liges de la recension de Otto Jöhlinger, p. 394, n.1980.
29    Il s’agit de la revue de Maximilian Harden.
30    Les dernières élections au Reichstag, le 6 novembre 1932, enregistrèrent la perte de deux
      millions de voix pour le NSDAP.
31    En français dans le texte!
32    Werner Sombart à Johann Plenge, 24 septembre 1933.

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   Pourtant quelques jours plus tard il écrit à Edgar Salin (1892-1974), d’une
famille juive de Francfort, membre du cercle de Stefan George (1868-1933), à
propos d’un de ses étudiants et d’une possibilité de publication et signale que
son dernier livre Deutscher Sozialismus (1934) fait beaucoup de bruit et qu’il
est l’objet de remarquables critiques dont il faudrait faire un prospectus, avec
« Hosana et crucifiez-le ». Même à l’intérieur du NSDAP, il y controverse sur
cet ouvrage.
   Lorsqu’il envoie à Gerhart Hauptmann (1862-1946) son dernier ouvrage, Vom
Menschen Versuch einer geisteswissenschaftlichen Anthropologie33, il écrit : « Le
livre ne vous plaira pas dans certaines parties. Je ne crois pas que vous le lirez.
Mais tel ou tel passage vous amuserons peut-être »34. Le pouvoir aurait empê-
ché la diffusion du livre. Et enfin il s’attriste à la mort de Alfred Ploetz (1860-
1940), le fondateur de l’hygiène raciale en Allemagne. « Je l’estimais fort, bien
qu’il fût dans la plus extrême opposition à mon égard »35. Max Weber voulait
le faire entrer à la direction collégiale de la société allemande de sociologie36,
elle-même traversée par ces questions.
   On voit que cette correspondance ne réussi pas à laver Sombart de réflexions
négatives envers les Juifs. Mais il ne s’agit que de quelques pages et d’autres
lettres encore inédites ou bien dispersés dans d’autres correspondances, (avec
Otto Pringsheim, Maximilian Harden, Edgar Milhaud etc.) publiées pourront
certainement grossir ce dossier.
   Pour mémoire! La grande édition critique de Max Weber est achevée, préci-
sément pour le centième anniversaire de sa mort, le 14 juin 202037. Cette nou-
velle prouesse de la Wissenschaft s’articule en trois partie : Écrits et discours (25
volumes en 30 tomes), Correspondance (11 volumes) et enfin Cours et notes d’en-
seignements (7 volumes). Elle fut initiée en 1984 par une cohorte d’experts dont
le célèbre Wolfgang Mommsen (1930-2004) et patronnée par l’Académie des
sciences de Bavière. De plus il faut noter que le courageux éditeur a flanqué ces
beaux volumes d’une édition plus souple, presque de poche (Studienausgabe,
MWS) et d’eBook qui mettent à la disposition de tous ce penseur, à la fois phi-
losophe, historien, sociologue et économiste. On sait qu’il ne fut pas seulement
assis à son bureau, debout à son pupitre dans un amphi ou même valétudinaire
dans son lit mais qu’il eut une activité politique et même n’hésita pas à faire le
voyage à Versailles pour aider à la rédaction finale du traité éponyme et à entrer

33    Berlin Charlottenburg 1938.
34    Werner Sombart à Gerhart Hauptmann, 30 avril 1940.
35    Werner Sombart à Gerhart Hauptmann, 22 mai 1940.
36    Notons que les correspondance de Weber, Tönnies, Simmel et quelques autres permettent
      aujourd’hui d’avoir un regard neuf sur cette histoire.
37    Weber, 1984-2020.

REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515
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dans une commission pour préparer la constitution de Weimar. Sans doute un
des hommes les plus lus en son temps et encore aujourd’hui, on ne compte
plus les intellectuels de qualité qui s’en sont réclamé, de Raymond Aron (1905-
1983) à Talcott Parson (1902-1979) sans oublier Jürgen Habermas (né en 1929).
Notons enfin que les francophones possèdent d’excellentes traductions d’une
langue pas toujours commode! Inutile de dire tout le plaisir et l’enrichissement
que procurent tant une lecture presque détendue qu’un travail de fond sur ces
pages superbement annotées et contextualisée. La correspondance, déjà, est
une excellente introduction à l’histoire de la culture allemande! Qui plus est,
l’un des maitres d’œuvre de ces volumes, Gangolf Hübinger, vient de nous offrir
une belle anthologie de ses remarquables articles38.

        L iste Des Références

Attali (Jacques), 2002, Les Juifs, le monde et l’argent. Paris Fayard.
Bahr (Hermann) et. al., 1932, Der Jud ist schuld? Diskussionsbuch über die Judenfrage.
  Basel/Berlin/Leipzig/Wien, Zinnen Verlag.
Bourel (Dominique), 2015, Martin Buber. Sentinelle de l’humanité, Paris Albin Michel
  2015, pp.124-125.
Frommer (Jacob), 1911, dans Die Zukunft, vol. 77, 20, pp.103-114.
Güdemann (Moritz), 1906, Le Judaïsme dans ses traits principaux d’après ses fonde-
  ments historiques. Paris, Durlacher [trad. par Simon Debré].
Güdemann (M.), 1911, « Die Juden und das Wirtschaftsleben » in Monatsschrift für
  Geschichte und Wissenschaft des Judentums, 55 (1911) pp.257-275.
Hoffmann (Moses), 1912, Judentum und Kapitalismus, e. krit. Würdigung von Werner
  Sombarts Die Juden und das Wirtschaftsleben. Berlin, Itzkowski.
Hübinger (Gangolf), 2019, Max Weber. Stationen und Impulse einer intellektuelle,
  Biographie. Tübingen, Mohr Siebeck.
Lenger (Friedrich), 1994, Werner Sombart 1863-1941. Eine Biographie. München, Beck
  1994 [3ème éd., 2013].
Löwy (Michael), 1983, recension de Raphael (1982), in Archives des Sciences Sociales
  des Religions, 56, n °2, pp.296-298.
Raphael (Freddy), 1982, Judaïsme et capitalisme. Essai sur la controverse entre Max
  Weber et Werner Sombart. Paris, Presses universitaires de France.
Simmel (Georg), 1989-2014, Gesammtausgabe. Frankfurt/Berlin, Suhrkamp. 24 vol.
  sous la dir. d’Otthein Rammstedt.

38    Hübinger, 2019.

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D. Bourel : Werner Sombart intime                                                      515

Sombart (Nicolaus), 1984, Jugend in Berlin, 1933-1943 : ein Bericht. München, Hanser
  1984. Chronique d’une jeunesse berlinoise, trad. Olivier Mannoni. Paris, Quai
  Voltaire,1994.
Sombart (Werner), 1903, Die deutsche Volkswirtschaft im neunzehnten Jahrhundert.
  Berlin, Bondi.
Sombart (W.), 1906, Das Proletariat. Frankfurt am Main, Rütten und Loening.
Sombart (W.), 1912, Die Zukunft der Juden. Leipzig, Duncker & Humblot 1912.
Sombart (W.), 2019, Briefe eines Intellektuellen 1886-1937, hg. von Thomas Kroll,
  Friedrich Lenger et Michael Schellenberger. Berlin, Duncker und Humblot,
  579 p [Deutsche Geschichtsquellen des 19. und 20. Jahrhunderts, Bd. 75].
Sombart (Werner), 1923, Les Juifs et la vie économique. Paris, Payot.
Sombart (W.), 1938, Vom Menschen. Versuch einer geisteswissenschaftlichen
  Anthropologie. Berlin-Charlottenburg, Buchholz und Weisswange.
Sombart (W.), 2008, Das Proletariat. [rééd. Par Friedheim Hengsbach, Marburg.
  Metropolis Verlag].
Sonnenstuhl (Burkhardt), Hg., 2006, Prominente in Berlin-Grunewald und ihre
  Geschichte. Berlin, Bebra.
Thouard (Denis), 2021, Georg Simmel une orientation. Strasbourg, Circée.
Ullstein (Hermann), 1943-2013, Das Haus Ullstein, trad. Geoffret Layton, intr. de
  Martin Münzel. New York, Simon and Schuster 1943, rééd. Berlin Ullstein 2013.
von Gélieu (Claudia), 2021, Rosa Luxemburg in Berlin. Ein biographischer Stadtführer.
  Berlin, Dietz.
Weber (Max), 1984-2020, Max Weber Gesamtausgabe. Tübingen, Mohr Siebeck.
Wäjten (Hermann), 1914, Das Judentum und die Anfänge der modernen Kolonisation.
  Berlin, Kohlhammer, 1914.
Wolff (Jacques), 1988-2009, « La réception de Werner Sombart en France », Les
  cahiers du Centre de Recherches Historiques (EHESS), en ligne le 13 avril 2009.

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