Werner Sombart intime : Note sur sa correspondance - Brill
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REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515 brill.com/rds Chroniques de la recherche Werner Sombart intime : Note sur sa correspondance Dominique Bourel CNRS, Centre Roland Mousnier, Paris, France boureldominique5@gmail.com W erner Sombart (1863-1941) a mauvaise réputation. On peut le com- prendre lorsqu’on le lit après 1948! Il est pourtant un des plus grands sociologues de son temps en Allemagne et en Europe et au-delà comme en témoigne son succès au Japon qui a d’ailleurs hérité de sa bibliothèque! Nous n’avons pas l’intention d’ouvrir à nouveaux frais le dossier ni de la genèse du capitalisme, ni de la place des Juifs dans son histoire, mais souhai- tons attirer ici l’attention sur quelques-uns de ses rapports directs avec les Juifs de son temps autant en Allemagne qu’en France, avec des éditeurs réputés et à Berlin1. Cet historien de l‘économie était aussi érudit que cultivé dans des disciplines « hors champ » même si certains passages apparaissent aujourd’hui comme très contestables! Et on se demande toujours comment quelqu’un qui a commencé en exégète avisé du marxisme s’est retrouvé proche de la révolu- tion conservatrice puis dans l’orbite des maîtres bruns après 1933. C’est ce que révèle non seulement plusieurs biographies mais encore une édition de lettres offrant un regard plus fin sur sa personne et sur son œuvre. Elles permettent de compléter le dossier des rapports entre Sombart et les Juifs, continuellement et régulièrement traité2. Sa vie est bien connue ainsi que son œuvre qui touche l’économie, l’his- toire et la sociologie. Il est d’ailleurs un des cofondateurs avec Max Weber 1 Ce furent souvent ses voisins, voir Sonnenstuhl, 2006. 2 Voir en France le classique Raphael, 1982, et, outre l’essai de Jacques Attali, 2002, Les Juifs, le monde et l’argent, qui a connu plusieurs rééditions en livre de poche, les travaux de Evelyne Oliel- Grausz et Liliane Perez. Voir aussi Jacques Wolff, 1988. © fondation « pour la science » & koninklijke brill nv, leiden, 2021 Downloaded | doi:10.1163/19552343-14000055 from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
508 REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) (1864-1920) et Georg Simmel (1858-1918) de la Société allemande de sociolo- gie. Docteur de l’université de Berlin sous la direction de Gustav von Schmoller (1838-1917), il enseignera aux universités de Breslau puis de Berlin (1917-1931) prolongeant ses cours jusqu’en 1940. Les intellectuels juifs et non des moindres, furent très vite intéressé par Sombart. Un exemple est la demande d’une contribution effectuée par le jeune Martin Buber (1878-1965) qui met en chantier une ambitieuse collection « d’études de psychologie sociale », sous le terme générique de Die Gesellschaft. « Par-là, j’entends, non pas un exposé conceptuel et universitaire même si je tiens à garder le côté positif de l’ensemble et technique de l’ensemble, mais une présentation des réalités de l’âme qui naissent de l’action com- mune des hommes. Partout où de nouveaux faits psychiques sont crées, par les rapports entre individus, il me semble qu’est donné un objet qui peut être examiné de manière psychosociologique. Ces faits psychiques se trouvent bien évidemment déjà uniquement dans l’individu, mais ils appartiennent à un ordre supra-individuel par leur naissance et leur composition »3. Dans cette série d’une quarantaine de volumes on dispose en français des contributions de Lou Salomé (1861-1937), Fritz Mauthner (1849-1923), Georg Simmel, Gustav Landauer (1870-1919). Buber s’adresse à Werner Sombart dès 1905 et c’est le texte de ce dernier sur Le Prolétariat qui va ouvrir la série de publications4 en 19065. Martin Buber va d’ailleurs participer à la première réu- nion de la société allemande de sociologie. On doit aussi signaler que le traducteur français de l’ouvrage Les Juifs et la vie économique6, n’est autre que Samuel Jankélévitch (1869-1951) que l’on peut difficilement accuser de la moindre complaisance envers l’antisémitisme. Né à Odessa, il s’était établi en France et avait fait ses études de Médecine à Montpellier. Outre trois enfants, dont le célèbre philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985), sa fille Ida (1898-1982), l’épouse de Jean Cassou (1897-1986), et son autre fils Léon (sinologue et diplomate), il fait aussi œuvre de traducteur des auteurs suivants Jacob Boehme (1575-1624), Benedetto Croce (1866-1952), Sigmund Freud (1956-1939) (8 volumes) et Hegel (1770- 1831) (l’Esthétique et la Logique) ainsi que Bronislav Malinowski (1884-1942), 3 On retrouvera le détail de cette entreprise dans Bourel, 2015. 4 Sombart, 1906. 5 Voir la réédition due à Friedheim Hengsbach, Sombart, 2008. 6 Sombart, 1923. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, Downloaded (2021) 507-515 from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
D. Bourel : Werner Sombart intime 509 Max Nordau (1849-1923), Otto Rank (1884-1939), puis de Werner Sombart : Les Juifs et la vie économique (1923), Le Bourgeois (1928) et l’Apogée du capitalisme (1932). Ensuite le jeune David Ben Gourion lui-même va traduire son ouvrage Sozialismus und soziale Bewegung im xix. Jahrhundert aux éditions Achdout de Jérusalem et un chapitre des Juifs et la vie économique verra une version hébraïque par de jeunes sionistes7. Tout le monde le lit à l’époque, Paul Celan (1920-1970) comme Walter Benjamin (1892-1940). La parution de Die Juden und das Wirtschaftsleben en 1911 constitue un moment important qui a cata- lysé, non seulement une réponse aux célèbres thèses de Max Weber sur le rôle du puritanisme, mais encore aux questions de race, de la place des Juifs dans l’histoire, en Allemagne et du sionisme, très éloquent à Berlin. Le nombre des recensions souvent rédigées par des auteurs de premier plan : Julius Guttmann (1880-1950), Lujo Brentano (1844-1931), Ludwig Feuchtwanger (1885-1947), Franz Oppenheimer (1864-1943) témoigne de son écho. Mais il fut vigoureuse- ment contesté comme dans l’article du grand Rabbin Moritz Güdemann (1835- 1918)8 adversaire résolu de Theodor Herzl (1860-1904), et auteur du Judaïsme dans ses traits principaux d’après ses fondements historiques9, qui va même jusqu’à lui corriger un barbarisme en latin! Sombart est revenu plusieurs fois sur le rôle du Judaïsme et des Juifs10, dans plusieurs conférences publiques (1909/1910) dont le développement est la base de son livre de 191111 et en diri- geant une anthologie de textes Judentaufen, (1912) très répandue dans laquelle on trouve des noms prestigieux de juifs (Max Nordau, Friedrich Mauthner) et de non juifs – Heinrich Mann (1871-1950), Paul Natorp (1854-1924), Ferdinand Tönnies (1855-1936), etc. Il a encore offert un extrait de quelques pages de Die Zukunft der Juden12, dans un ouvrage collectif de 1932 intitulées « Der Jud ist schuld? »13, un recueil présenté comme un « livre de discussion sur la ques- tion juive ». Sa contribution commence par cette phrase : « Les Juifs, jusqu’à aujourd’hui, n’ont pas réussi, une assimilation complète une fusion totale avec les peuples européens et sans doute ne réussira jamais car il semble que la différence de sang entre eux et les ‘tribus’ aryennes est trop grande. Ce constat 7 Kiev 1912, il s’agit d’un extrait d’une centaine de pages. 8 Moritz Güdemann, 1911 ; voir les ouvrages du rabbin M. Hofmann, 1914 et de H. Wäjten, 1914. 9 Güdemann, 1906. Traduit par le rabbin Simon Debré (1854-1939) qui avait fait une par- tie de ses études à Würzbourg. 10 Voir le chapitre remarquable de Friedrich Lenger, 1994, pp.186-218. 11 Sombart, 1911. 12 Sombart, 1912. 13 Bahr, 1932, pp. 249-253. Ce volume comporte une quarantaine de textes des auteurs les plus antisémites au sionistes les plus déclarés. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515 Downloaded from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
510 REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) implique un profond tragique ». En 1917, il proposa lui-même à Buber un article pour sa revue Die Juden « sur sa conception de la position des Juifs et de la reli- gion juive face au capitalisme » où « il veut, ainsi qu’il le dit, écarter toute sorte de malentendus »14. Ce qui indique qu’il les connaissait et les redoutais. Il faut dire que le livre traitait aussi des questions latérales à ses questions (psycho- logie collective, nomadisme, sexualité, race etc.) et ne pouvait que provoquer les débats. Dix-neuf chapitres articulés en trois parties, déploient un luxe de connais- sances, surtout pour un profane, qui impressionne encore aujourd’hui. La visée est très large, touche à la fondation de l’état moderne, enjambe plusieurs siècles, parcourt divers pays pour se concentrer sur la formation d’une men- talité capitaliste. Il écrit par cercles concentriques, du général au particulier, sans éviter des passages sur les « idées fondamentales de la religion juive », la rationalisation de la vie puis aboutir au problème de la race et s’achever sur « le sort du peuple juif », et une « explication de leur amour de l’argent ». Encore aujourd’hui les interprètes sont divisés certains, tel David Landes (1924-2013), y voient une mystification pseudo savante d’autres – tel Irving Horowitz dans la réédition de la version anglaise, un « effort significatif pour comprendre la relation entre religion et économie ». Aujourd’hui on peut y voir un chemin direct vers l’antisémitisme! Sa large utilisation de Marx a laissé entendre qu’il le suivait, mais c’est surtout l’ambi- guïté qui prédomine tout au long de ces pages15. Elles divisèrent aussi la com- munauté juive à l’époque, les sionistes, minoritaires y trouvant des arguments en leur faveur ce que les libéraux majoritaires contestaient. Nous ne reprendrons pas le dossier qui continue d’occuper la recherche en histoire juive économique – ce qui est déjà notable en soi – mais voulons sim- plement attirer l’attention sur la très récente édition d’un choix de la corres- pondance, bien entendu parfaitement présentée et annotée par la commission historique de l’Académie des sciences de Bavière16. Il faut à l’occasion relire l’évocation de la famille par son fils Nicolas Sombart17 qui fut lui aussi socio- logue et haut fonctionnaire international. Il va de soi que cette correspondance superbement annotée est très riche non seulement pour l’histoire des idées, celle des rapports avec Ferdinand 14 Martin Buber à Salman Schocken, 23 juin 1917. 15 Michael Löwy, 1983. 16 Sombart W., 2019 : l’ouvrage compte 395 lettres avec une substantielle introduction. Voir aussi la biographie donnée par l’un des collaborateurs de cette édition, Lenger, 1994. 17 Sombart N., 1984. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, Downloaded (2021) 507-515 from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
D. Bourel : Werner Sombart intime 511 Tönnies, Max Weber18, Max Scheler (1874-1928) et Georg Simmel19, mais aussi pour celle de la société allemande, la vie intellectuelle à Berlin ainsi que pour les sinuosités académiques qu’elle expose! Nous nous en tenons de manière chro- nologique à ce qui concerne les Juifs et le Judaïsme en feuilletant ce volume. Très tôt dans les échanges apparaît la figure de Karl Mamroth (1859-1916) qui, économiste issu d’une famille de banquier juif, aura de la peine à défendre une habilitation à Jena en 1893, ce qu’il pourra réaliser à l’université technique de Darmstadt ; Sombart semble l’apprécier. De même fait-il de temps en temps allusion à Rosa Luxemburg, qu’il appelle Rosa ou « la galicienne » (elle était née à Samosz en 1871, en Pologne occupée par la Russie) : « Rosa la combat- tante m’a fait plaisir. Elle a de l’esprit (Witz) et même du courage (ce que l’on ne peut affirmer de la plupart des hommes de votre parti. Non parce qu’elle écla- bousse des outsiders comme moi […]. Mais elle montre du courage, peut-être une forme d’insolence, mieux sous une forme de Choutzpe (ce que ta femme20 t’expliquera) lorsqu’elle attaque franchement vos caciques (Oberbonzen) sans mettre la main devant la bouche »21. Elle habitera Berlin22 à partir de 1898 où elle est assassinée en 1919. Mais parfois il moins amène, même pour un de ses éditeurs Georg Bondi (1865-1935) qui a publié Deutsche Volkswirtschaft im 19. Jahrhundert23. Les phrases désagréables (p. 262) semblent d’ailleurs concerner plutôt les éditeurs, des canailles! Il épingle aussi Franz Oppenheimer, méde- cin, sociologue, professeur à Berlin puis à Francfort et même présent dans la même collection que le Prolétariat (271)! Lorsqu’il évoque la recension24 de Max Adler (1873-1937), promoteur de l’austro-marxisme et éditeur, avec Rudolf Hilferding (1877-1941), d’études sur Marx, puis co-fondateur de la « Société sociologique de Vienne » où il enseignera cette discipline, il constate : « Cette recension est typique du sémitisme improductif-talmudique »25. Au contraire il apprécie « le jeune Dr. [Walther] Rathenau [1867-1922] nous sommes deve- nus amis de manière très agréable » (p. 359). Il fréquente ainsi la salon d’Emma Dohm (363), les éditeurs Louis-Ferdinand Ullstein26 (1863-1933) Rudolf Mosse (1843-1920) ainsi que le rédacteur en chef du Berliner Tageblatt Thedor Wolff 18 Saluons l’achèvement, en 2020, pour le centième anniversaire de sa mort, de Weber, 1984-2020, 43 volumes ainsi que Hübinger, 2019. 19 Voir Simmel (1989-2014), 24 volumes. Voir aussi Thouard, 2021. 20 Rachel Ronthal (1868-1950) émigrante russe juive de Vilna. Chuzpe signifie culot en yiddish. 21 À Otto Lang, le 22 décembre 1900. 22 von Gélieu, 2021. 23 Sombart W., 1903. 24 Dans Die Neue Zeit 21 (1902/3) pp.485-491, pp. 550-560. 25 Il prend Max Adler pour le fils de Victor Adler (1852-1918), ce qu’il n’était pas! 26 Ullstein, 1943. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515 Downloaded from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
512 REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) (1868-1943). Il remercie Maximilian Harden (1861-1924) qui devait transmettre son ouvrage, Les Juifs et la vie économique pour une recension27 et (393-394) et ajoute : « Il semble qu’on enterre mon livre (todgeschwiegen) sauf lorsqu’on le parque dans la rubrique littéraire comme dans le Berliner Tageblatt28. C’est la raison pour laquelle j’apprécierai que des revues indépendantes comme le Zukunft ne se taisent pas29 ». Il est plus que réservé sur une participation officielle au « First Universal Races Congress » tenu à Londres entre le 26 et 29 juillet 1911. Alors qu’il pense que « Hitler ne pourra pas se relever des der- niers évènements30, tout est déjà désert et vide ». Quelques mois plus tard, réfléchissant avec son collègue social-démocrate Johann Plenge, il écrit : « Quant à votre prétention à la paternité du national socialisme, il en va pour vous comme pour d’autres. Je suis conscient d’avoir soutenu depuis longtemps beaucoup d’idées qui agitent la politique actuelle. Je peux arguer de mon livre fondamental sur les Juifs (1911) à mon ouvrage de guerre Commerçants et héros (1915), à l’introduction de mon anthologie du socialisme, à mes deux volumes du Socialisme prolétarien (1924) qui comporte aux moins la critique la plus étendues du marxisme, à mon discours de Stuttgart contre la lutte des classes (absolue) 1924, à mon discours de Zurich sur les métamorphoses du capitalisme (1926) à mon écrit sur “L’avenir du capitalisme” (1932) etc. Moi aussi je suis englouti et oublié. On ne veut pas avoir de père spirituel. Toute pensées commence avec l’an I de la “révolution nationale”. Je suis très détendu dans ce destin. Faites la même chose et dites-vous que nous avons écrit pour le siècle et non pour aujourd’hui. Alors si désormais le principe suivant vaut pour les enfants spirituels “la recherche de paternité est interdite”31, ce n’est pas aussi grave qu’ une pension alimentaire. Laissons notre petit enfant se développer tranquillement et intéressons-nous tout au plus un peu à son éducation »32. Veut-il se montrer un inspirateur non reconnu à sa juste place ou bien redoute- t-il des mises en causes ? Mais il signe une de ses dernières cartes à son éditeur « Heil Hitler! » 27 Jacob Frommer dans Die Zukunft, vol.77, 20 (1911) pp.103-114. 28 Voir les quelques liges de la recension de Otto Jöhlinger, p. 394, n.1980. 29 Il s’agit de la revue de Maximilian Harden. 30 Les dernières élections au Reichstag, le 6 novembre 1932, enregistrèrent la perte de deux millions de voix pour le NSDAP. 31 En français dans le texte! 32 Werner Sombart à Johann Plenge, 24 septembre 1933. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, Downloaded (2021) 507-515 from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
D. Bourel : Werner Sombart intime 513 Pourtant quelques jours plus tard il écrit à Edgar Salin (1892-1974), d’une famille juive de Francfort, membre du cercle de Stefan George (1868-1933), à propos d’un de ses étudiants et d’une possibilité de publication et signale que son dernier livre Deutscher Sozialismus (1934) fait beaucoup de bruit et qu’il est l’objet de remarquables critiques dont il faudrait faire un prospectus, avec « Hosana et crucifiez-le ». Même à l’intérieur du NSDAP, il y controverse sur cet ouvrage. Lorsqu’il envoie à Gerhart Hauptmann (1862-1946) son dernier ouvrage, Vom Menschen Versuch einer geisteswissenschaftlichen Anthropologie33, il écrit : « Le livre ne vous plaira pas dans certaines parties. Je ne crois pas que vous le lirez. Mais tel ou tel passage vous amuserons peut-être »34. Le pouvoir aurait empê- ché la diffusion du livre. Et enfin il s’attriste à la mort de Alfred Ploetz (1860- 1940), le fondateur de l’hygiène raciale en Allemagne. « Je l’estimais fort, bien qu’il fût dans la plus extrême opposition à mon égard »35. Max Weber voulait le faire entrer à la direction collégiale de la société allemande de sociologie36, elle-même traversée par ces questions. On voit que cette correspondance ne réussi pas à laver Sombart de réflexions négatives envers les Juifs. Mais il ne s’agit que de quelques pages et d’autres lettres encore inédites ou bien dispersés dans d’autres correspondances, (avec Otto Pringsheim, Maximilian Harden, Edgar Milhaud etc.) publiées pourront certainement grossir ce dossier. Pour mémoire! La grande édition critique de Max Weber est achevée, préci- sément pour le centième anniversaire de sa mort, le 14 juin 202037. Cette nou- velle prouesse de la Wissenschaft s’articule en trois partie : Écrits et discours (25 volumes en 30 tomes), Correspondance (11 volumes) et enfin Cours et notes d’en- seignements (7 volumes). Elle fut initiée en 1984 par une cohorte d’experts dont le célèbre Wolfgang Mommsen (1930-2004) et patronnée par l’Académie des sciences de Bavière. De plus il faut noter que le courageux éditeur a flanqué ces beaux volumes d’une édition plus souple, presque de poche (Studienausgabe, MWS) et d’eBook qui mettent à la disposition de tous ce penseur, à la fois phi- losophe, historien, sociologue et économiste. On sait qu’il ne fut pas seulement assis à son bureau, debout à son pupitre dans un amphi ou même valétudinaire dans son lit mais qu’il eut une activité politique et même n’hésita pas à faire le voyage à Versailles pour aider à la rédaction finale du traité éponyme et à entrer 33 Berlin Charlottenburg 1938. 34 Werner Sombart à Gerhart Hauptmann, 30 avril 1940. 35 Werner Sombart à Gerhart Hauptmann, 22 mai 1940. 36 Notons que les correspondance de Weber, Tönnies, Simmel et quelques autres permettent aujourd’hui d’avoir un regard neuf sur cette histoire. 37 Weber, 1984-2020. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515 Downloaded from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
514 REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) dans une commission pour préparer la constitution de Weimar. Sans doute un des hommes les plus lus en son temps et encore aujourd’hui, on ne compte plus les intellectuels de qualité qui s’en sont réclamé, de Raymond Aron (1905- 1983) à Talcott Parson (1902-1979) sans oublier Jürgen Habermas (né en 1929). Notons enfin que les francophones possèdent d’excellentes traductions d’une langue pas toujours commode! Inutile de dire tout le plaisir et l’enrichissement que procurent tant une lecture presque détendue qu’un travail de fond sur ces pages superbement annotées et contextualisée. La correspondance, déjà, est une excellente introduction à l’histoire de la culture allemande! Qui plus est, l’un des maitres d’œuvre de ces volumes, Gangolf Hübinger, vient de nous offrir une belle anthologie de ses remarquables articles38. L iste Des Références Attali (Jacques), 2002, Les Juifs, le monde et l’argent. Paris Fayard. Bahr (Hermann) et. al., 1932, Der Jud ist schuld? Diskussionsbuch über die Judenfrage. Basel/Berlin/Leipzig/Wien, Zinnen Verlag. Bourel (Dominique), 2015, Martin Buber. Sentinelle de l’humanité, Paris Albin Michel 2015, pp.124-125. Frommer (Jacob), 1911, dans Die Zukunft, vol. 77, 20, pp.103-114. Güdemann (Moritz), 1906, Le Judaïsme dans ses traits principaux d’après ses fonde- ments historiques. Paris, Durlacher [trad. par Simon Debré]. Güdemann (M.), 1911, « Die Juden und das Wirtschaftsleben » in Monatsschrift für Geschichte und Wissenschaft des Judentums, 55 (1911) pp.257-275. Hoffmann (Moses), 1912, Judentum und Kapitalismus, e. krit. Würdigung von Werner Sombarts Die Juden und das Wirtschaftsleben. Berlin, Itzkowski. Hübinger (Gangolf), 2019, Max Weber. Stationen und Impulse einer intellektuelle, Biographie. Tübingen, Mohr Siebeck. Lenger (Friedrich), 1994, Werner Sombart 1863-1941. Eine Biographie. München, Beck 1994 [3ème éd., 2013]. Löwy (Michael), 1983, recension de Raphael (1982), in Archives des Sciences Sociales des Religions, 56, n °2, pp.296-298. Raphael (Freddy), 1982, Judaïsme et capitalisme. Essai sur la controverse entre Max Weber et Werner Sombart. Paris, Presses universitaires de France. Simmel (Georg), 1989-2014, Gesammtausgabe. Frankfurt/Berlin, Suhrkamp. 24 vol. sous la dir. d’Otthein Rammstedt. 38 Hübinger, 2019. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, Downloaded (2021) 507-515 from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
D. Bourel : Werner Sombart intime 515 Sombart (Nicolaus), 1984, Jugend in Berlin, 1933-1943 : ein Bericht. München, Hanser 1984. Chronique d’une jeunesse berlinoise, trad. Olivier Mannoni. Paris, Quai Voltaire,1994. Sombart (Werner), 1903, Die deutsche Volkswirtschaft im neunzehnten Jahrhundert. Berlin, Bondi. Sombart (W.), 1906, Das Proletariat. Frankfurt am Main, Rütten und Loening. Sombart (W.), 1912, Die Zukunft der Juden. Leipzig, Duncker & Humblot 1912. Sombart (W.), 2019, Briefe eines Intellektuellen 1886-1937, hg. von Thomas Kroll, Friedrich Lenger et Michael Schellenberger. Berlin, Duncker und Humblot, 579 p [Deutsche Geschichtsquellen des 19. und 20. Jahrhunderts, Bd. 75]. Sombart (Werner), 1923, Les Juifs et la vie économique. Paris, Payot. Sombart (W.), 1938, Vom Menschen. Versuch einer geisteswissenschaftlichen Anthropologie. Berlin-Charlottenburg, Buchholz und Weisswange. Sombart (W.), 2008, Das Proletariat. [rééd. Par Friedheim Hengsbach, Marburg. Metropolis Verlag]. Sonnenstuhl (Burkhardt), Hg., 2006, Prominente in Berlin-Grunewald und ihre Geschichte. Berlin, Bebra. Thouard (Denis), 2021, Georg Simmel une orientation. Strasbourg, Circée. Ullstein (Hermann), 1943-2013, Das Haus Ullstein, trad. Geoffret Layton, intr. de Martin Münzel. New York, Simon and Schuster 1943, rééd. Berlin Ullstein 2013. von Gélieu (Claudia), 2021, Rosa Luxemburg in Berlin. Ein biographischer Stadtführer. Berlin, Dietz. Weber (Max), 1984-2020, Max Weber Gesamtausgabe. Tübingen, Mohr Siebeck. Wäjten (Hermann), 1914, Das Judentum und die Anfänge der modernen Kolonisation. Berlin, Kohlhammer, 1914. Wolff (Jacques), 1988-2009, « La réception de Werner Sombart en France », Les cahiers du Centre de Recherches Historiques (EHESS), en ligne le 13 avril 2009. REVUE DE SYNTHÈSE : TOME 142, 7 e SÉRIE, N ° 3-4, (2021) 507-515 Downloaded from Brill.com12/12/2021 09:13:28PM via free access
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