Observations1 L'appréciation des notions de " professionnel " et d'" entreprise " : démarche " au cas par cas " et protection du consommateur ...
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132 REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 JURISPRUDENCE Observations1 L’appréciation des notions de « professionnel » et d’« entreprise » : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur INTRODUCTION somme payée. L’acheteur dépose alors plainte auprès de la Commission de protection des Nous commençons par exposer le contexte consommateurs (ci-après, « C.P.C. »). de la question préjudicielle posée, avant d’examiner la position adoptée par la Cour À la suite de vérifications, la C.P.C. découvre que de justice à cette occasion (I). Cet arrêt nous l’expéditeur de la montre, Madame Kamenova, donne ensuite l’opportunité de revenir sur les a publié au total huit annonces, dont aucune notions fondamentales de « professionnel » et ne mentionnait les informations exigées par la d’« entreprise » qui déterminent, respective- loi bulgare de protection du consommateur. ment, l’application ratione personae des droits Pour cette raison, la C.P.C. décide d’infliger à de la consommation européen et belge (II). cette dernière des amendes administratives. Finalement, nous mentionnons l’adoption de Cependant, Madame Kamenova obtient gain la directive « omnibus »2, qui vise à améliorer de cause devant le tribunal compétent au motif les droits des consommateurs et leur répara- qu’elle n’a pas la qualité de « professionnel » et tion (III). que, dès lors, la loi bulgare de protection du consommateur ne lui est pas applicable. À son I. L’ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE DU tour, la C.P.C. conteste cette décision devant le 4 OCTOBRE 2018 tribunal administratif de Varna. A. Contexte C’est dans ce contexte que la question préju- Les faits à l’origine de la question préjudicielle dicielle suivante a été posée à la Cour de posée à la Cour sont relativement communs : justice : une personne physique qui vend en un consommateur achète, via un site bulgare ligne un nombre relativement élevé de biens de type « eBay », une montre qui semble, une d’une valeur importante revêt-elle la qualité de fois entre ses mains, ne pas correspondre à l’an- « professionnel » au sens de la directive sur les nonce publiée par le vendeur. Afin de résilier le pratiques commerciales déloyales ? contrat, le consommateur prend contact avec B. Position adoptée par la Cour ce dernier, qui refuse toutefois de reprendre le bien en échange du remboursement de la Dans un premier temps, la Cour de justice refor- mule la question qui lui est soumise et l’étend à la notion de « professionnel », visée par la direc- 1 Pauline Limbrée. Avocate au barreau de Liège et assis- tive relative aux droits des consommateurs3, tante à l’UNamur. 2 Directive 2019/2161/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la direc- 3 Directive 2011/83/UE du Parlement européen et tive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen des consommateurs, modifiant la directive 93/13/ et du Conseil en ce qui concerne une meilleure appli- CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parle- cation et une modernisation des règles de l’Union en ment européen et du Conseil et abrogeant la direc- matière de protection des consommateurs, J.O.U.E., tive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du 18 décembre 2019, L 328/7. Parlement européen et du Conseil, J.O.U.E., L 304/64, UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 133 JURISPRUDENCE qui est quasi identique à celle de la direc- s’il existe une situation de déséquilibre entre le tive sur les pratiques commerciales déloyales4. professionnel et le consommateur »9. En effet, conformément à l’avis de M. l’avocat En conséquence, selon la Cour, pour qualifier général5, elle estime que cette notion, consa- de « professionnel » une personne physique, il crée largement par le législateur européen, convient d’apprécier si celle-ci agit à des fins doit être interprétée de manière homogène professionnelles, c’est-à-dire à des fins qui dans les deux instruments précités6. entrent dans le cadre de son activité commer- Dans un deuxième temps, la Cour précise que ciale, industrielle, artisanale ou libérale10. cette notion doit être déterminée « par rapport Pour ce faire, l’ensemble des éléments de fait à la notion, corrélative mais antinomique, de du cas d’espèce doivent être pris en compte, la consommateur »7 qui implique une position démarche étant « au cas par cas »11. En consé- d’infériorité dans le chef de ce dernier. En quence, la Cour invite, en l’espèce, la juridiction effet, il ressort de la jurisprudence européenne de renvoi à déterminer si Madame Kamenova que le consommateur est « réputé être moins a agi dans le cadre de son activité commer- informé, économiquement plus faible et juridi- ciale lorsqu’elle a publié simultanément huit quement moins expérimenté que son cocon- annonces de vente sur la plateforme bulgare. tractant »8. Cette asymétrie est également soulignée par M. l’avocat général, qui précise À cet égard, la juridiction européenne précise qu’il convient de « déterminer si une personne qu’il convient notamment d’être attentif, dans exerce une activité commerciale qui la place, le cadre d’une telle appréciation, aux éléments de ce fait, dans une situation de supériorité à suivants : le caractère organisé, lucratif et/ou l’égard du consommateur et, par conséquent, régulier des ventes en ligne, les compétences techniques et le statut juridique du vendeur, son intention (achète-t-il des biens en vue de les revendre ?), la nature des produits en vente 22 novembre 2011( ci-après, directive relative aux droits des consommateurs). L’article 2, 2), désigne : et leur prix. Ces critères n’étant ni exclusifs, ni « toute personne physique ou morale, qu’elle soit exhaustifs, la Cour rappelle que le simple fait publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermé- que la vente poursuive un but lucratif et que diaire d’une autre personne agissant en son nom ou la personne physique publie simultanément pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou sur une plateforme de vente en ligne plusieurs libérale en ce qui concerne des contrats relevant de la annonces – tel qu’en l’espèce – ne suffit pas à présente directive ». qualifier cette personne de professionnel12. 4 Voy. article 2, b), de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, selon lequel la notion de En effet, nous constaterons qu’il existe d’autres professionnel vise « toute personne physique ou critères à retenir selon les circonstances de la morale qui, pour les pratiques commerciales relevant cause, notamment ceux recommandés par la de la présente directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, indus- trielle, artisanale ou libérale, et toute personne agis- 9 Av. gén. M. Maciej Szpunar, concl., C.J.U.E., arrêt sant au nom ou pour le compte d’un professionnel ». Komisia za zashtita na protebitelite c. Zvelina Kame- 5 Av. gén. M. Maciej Szpunar, concl., C.J.U.E., arrêt nova, 4 octobre 2018, op. cit., point 52. Komisia za zashtita na protebitelite c. Kamenova, 10 C.J.U.E., arrêt Komisia za zashtita na protebitelite 4 octobre 2018, C-105/17, ECLI:EU:C:2018:378, c. Kamenova, 4 octobre 2018, op. cit., points 35 et 36. point 39. 11 Av. gén. M. Maciej Szpunar, concl., C.J.U.E., arrêt 6 C.J.U.E., arrêt Komisia za zashtita na protebitelite Komisia za zashtita na protebitelite c. Kamenova, c. Kamenova, 4 octobre 2018, op. cit., points 24 et 29. op. cit., point 50. 7 Ibidem, point 33. 12 C.J.U.E., arrêt Komisia za zashtita na protebitelite 8 Id., point 34. c. Kamenova, op. cit., points 38 à 40. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
134 REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 JURISPRUDENCE Commission à l’occasion de ses orientations II. LES NOTIONS DE « PROFESSIONNEL » concernant la mise en œuvre de la directive sur ET D’« ENTREPRISE » les pratiques commerciales déloyales13. A. Les notions de « professionnel » Dans un troisième temps, et uniquement dans et d’« entreprise » : l’enjeu de la mesure où la juridiction de renvoi qualifie la qualification Madame Kamenova de « professionnel », la Il ressort de l’arrêt commenté qu’il n’est pas Cour l’invite à apprécier si l’activité en cause aisé de donner avec certitude la qualité de « constitue une action, omission, conduite, « professionnel » à l’utilisateur d’une plate- démarche ou communication commerciale forme en ligne. Cependant, cette étape est en relation directe avec la promotion, la vente un préalable obligatoire à l’identification des ou la fourniture d’un produit aux consomma- dispositions légales ou réglementaires poten- teurs », autrement dit, une pratique commer- tiellement applicables à ce dernier, selon le ciale au sens de la directive 2005/29/CE14. type de relation dans laquelle il est impliqué : Dans cette hypothèse, l’omission de Madame B2C, C2C, B2B et C2B. Kamenova de fournir certaines informations clés au consommateur relèverait de la notion Lorsque le vendeur est qualifié d’« entreprise » de pratique commerciale trompeuse dans et que l’acheteur a la qualité de « consomma- la mesure où celui-ci a été induit en erreur teur » (relation B2C), les dispositions de droit par l’annonce publiée, ce qui a pu l’amener à de la consommation trouvent à s’appliquer. prendre une décision commerciale qu’il n’au- Celles-ci sont principalement rassemblées dans rait pas prise autrement15. le livre VI du Code de droit économique16 et ont notamment pour objet de prescrire des obliga- Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’une tions d’information à l’« entreprise », d’octroyer personne physique, qui publie simultané- un droit de rétractation au « consommateur » ment, sur un site Internet, un certain nombre et d’interdire certains types de pratiques, telles d’annonces offrant à la vente des biens neufs que les pratiques commerciales déloyales et les et d’occasion, ne doit être qualifiée de « profes- clauses abusives. À l’inverse, et contrairement à sionnel » et qu’une telle activité ne constitue ce que l’on pourrait croire, la qualification du une « pratique commerciale » que lorsque cette vendeur en « consommateur » n’a pas pour personne agit à des fins qui entrent dans le effet d’affranchir la relation juridique (C2C) cadre de son activité commerciale, industrielle, du respect de toute règle. En effet, certaines artisanale ou libérale. dispositions de droit commun devront être observées, notamment l’article 1641 du Code civil qui permet à l’acheteur d’intenter une action en garantie des vices cachés contre le 13 Commission européenne, « Document de travail des services de la Commission. Orientations concernant la vendeur. Dans les relations B2B et C2B, rappe- mise en œuvre/l’application de la directive 2005/29/ lons que la théorie générale des obligations CE relative aux pratiques commerciales déloyales », et des contrats constitue généralement le SWD (2016) 163 final, 25 mai 2016, pp. 37 et 38. 14 C.J.U.E., arrêt Komisia za zashtita na protebitelite seul corpus de règles à respecter17. S’agissant c. Kamenova, op. cit., point 42. Voy. l’article 2, d), de la directive sur les pratiques commerciales et l’article 1.8, 23°, du Code de droit économique. 16 Code de droit économique, M.B., 29 mars 2013. 15 Directive sur les pratiques commerciales déloyales, 17 H. Jacquemin, « Les plateformes de l’économie collabo- considérant 14 et article 6 ; article VI.99 du Code de rative à l’épreuve du droit des obligations et des règles droit économique. de protection du consommateur », Enjeux et défis juri- UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 135 JURISPRUDENCE toutefois des relations B2B, il est important de En droit de l’Union, il faut aussi avoir égard à la souligner le nouveau régime des pratiques de notion d’« entreprise », telle qu’interprétée par marché déloyales18, qui interdit, à l’instar des la Cour de justice dans le cadre de l’application règles applicables en matière de pratiques des articles 101 et 102 du Traité sur le fonction- commerciales déloyales à l’égard des consom- nement de l’Union européenne22. Elle consacre mateurs, les pratiques de marché trompeuses en effet une conception « fonctionnelle » de la et agressives entre « entreprises ». notion, qui dépend uniquement de la fonction (économique) exercée par l’entité, et non de sa B. Les notions de « professionnel » et forme23 24. d’« entreprise » selon le droit de l’Union européenne C. La notion d’« entreprise » selon Tel que cela ressort des directives relatives aux le droit belge pratiques commerciales déloyales et aux droits Suivant l’enseignement consacré en droit euro- des consommateurs, la notion de « profes- péen de la concurrence25, le législateur belge sionnel » implique, en droit européen de la a défini la notion d’« entreprise », au sens du consommation, que la personne physique livre VI du Code de droit économique, comme ou morale concernée agisse à des fins qui « toute personne physique ou personne entrent dans le cadre de son activité commer- morale poursuivant de manière durable un but ciale, industrielle, artisanale ou libérale. A économique, y compris ses associations »26. contrario, la notion de consommateur vise Cette définition était auparavant applicable, « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libé- mation dans le nouveau code de droit économique, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 27. rale »19. Afin de conserver une correspondance 22 Voy. notamment C.J.C.E., Höfner et Elser c. Macrotron, avec le droit dérivé, le législateur belge a trans- 23 avril 1991, C-41/90, Rec., I, 1991, pp. 2010 et s., posé fidèlement cette seconde définition dans point 21. 23 À titre d’exemple, mentionnons la jurisprudence de l’ordre juridique belge20. En revanche, la notion la Cour de justice selon laquelle les règles en matière de « professionnel » n’est pas consacrée dans d’ententes et d’abus de position dominante ne le Code de droit économique, qui lui préfère le s’appliquent pas aux organismes qui participent au régime légal de sécurité sociale. Notons que l’ensei- concept distinct d’« entreprise »21. gnement de cette jurisprudence ne vaut que lorsque ces organismes poursuivent un but de nature pure- diques de l’économie de plateforme, J. Clesse et F. Kéfer, ment sociale. À l’inverse, voy. notamment C.J.U.E., (dir.), Limal, Anthemis, 2019, pp. 90 et s. arrêt AOK Bundesverband, C-264/01, 16 mars 2004, 18 Loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit écono- C-306/01, C-354/01 et C-355/01, EU:C:2004:105, dispo- mique en ce qui concerne les abus de dépendance sitif. économique, les clauses abusives et les pratiques du 24 J. Stuyck, « Le droit de la consommation : protection marché déloyales entre entreprises, M.B., 24 mai 2019. du consommateur à l’encontre de qui ? Quelques 19 Voy. notamment l’article 2, 1), de la directive relative réflexions sur la notion d’entreprise/professionnel aux droits des consommateurs et l’article 2, a), de la après la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit directive sur les pratiques commerciales déloyales. des entreprises à la lumière du droit européen et de 20 Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2009-2010, Doc. 54 2340/001, la transformation de la société de la consommation », p. 38 ; voy. l’article I.1, 2°, du Code de droit économique. D.C.C.R., 2020/1, p. 5. 21 Y. Ninane et A. Bochon, « Actualités en matière de 25 Plus précisément, le législateur belge remplace, dans contrats de consommation », Le droit de la consom- la définition de la notion d’entreprise au sens du droit mation dans le nouveau code de droit économique, de la consommation, l’activité économique par le but Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 80 ; A. Puttemans et économique. Cependant, cette modification n’a pas L. Marcus, « L’interdiction des pratiques déloyales… d’incidence pratique. envers les consommateurs », Le droit de la consom- 26 Article I.8, 39°, du Code de droit économique. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
136 REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 JURISPRUDENCE sauf exceptions, à l’ensemble des dispositions de professionnel »33. Le champ d’application du Code de droit économique. Cependant, à la personnel du droit de la consommation serait suite de l’adoption de la loi du 15 avril 201827, donc, à suivre le législateur national, plus elle est devenue particulière28 à certains de étendu en droit belge qu’en droit européen. ses livres29, au nombre desquels figurent, Cependant, celui-ci perd de vue que la défini- sans surprise, le livre IV intitulé « Protection tion de l’article I.8, 39°, du Code de droit écono- de la concurrence » et, de manière plus éton- mique implique l’exercice d’une activité écono- nante, le VI relatif aux pratiques du marché et mique de manière durable, exigence nullement à la protection du consommateur. En d’autres requise en droit européen de la consomma- termes, la notion d’« entreprise », au sens du tion. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour livre VI du Code de droit économique, trouve de justice retient « une notion de professionnel son pendant européen dans la notion d’« entre- plus large que celle d’entreprise »34. En effet, prise », consacrée en droit de la concurrence, et à l’occasion de son arrêt BKK Mobil35, la Cour non dans celle de « professionnel », applicable considère qu’une caisse d’assurance-maladie en droit de la consommation. ne relèverait pas de la notion d’« entreprise » Que penser de la définition d’« entreprise », au sens du droit de la concurrence, en raison mentionnée à l’article I.8, 39°, du Code de de sa participation à la gestion de la sécurité droit économique, et applicable au livre VI du sociale (et donc, de l’exercice d’une mission Code de droit économique ? Selon les travaux d’intérêt général). La Cour de justice exclut parlementaires des lois du 6 avril 201030 et du effectivement de la notion d’« entreprise » les 21 décembre 201331, cette définition « présente organismes qui participent au régime légal de l’avantage d’un rattachement immédiat avec la sécurité sociale étant donné que, contraire- la loi sur la protection de la concurrence ment à la définition qu’elle a retenue, ceux-ci économique »32 et « englobe toutes les situa- n’exercent pas une activité économique. Par tions visées expressément dans la définition contre, la haute juridiction tient un raison- nement différent s’agissant de la notion de « professionnel ». Tout d’abord, elle précise que, pour les besoins de l’application de la direc- 27 Loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des tive sur les pratiques commerciales déloyales, entreprises, M.B., 27 avril 2018. 28 À vrai dire, le nombre de livres dans lesquels la défini- cette notion et celle d’« entreprise » « revêtent tion « particulière » d’entreprise est appliquée est à ce une signification et une portée juridique point élevé que l’on peut légitimement se demander identiques »36. Ensuite, elle qualifie la caisse laquelle des définitions citées dans le Code de droit économique revêt un caractère général. d’assurance-maladie de « professionnelle » 29 De même qu’au sein des livres IV, V, XV, VXI et du au motif notamment que cette notion reçoit livre III, titre 3, chapitre 1er du Code de droit écono- une conception large dans la directive sur les mique. 30 Loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et pratiques commerciales déloyales et n’exclut à la protection du consommateur, M.B., 12 avril 2010. 31 Loi du 21 décembre 2013 portant insertion du titre VI 33 Doc. parl. Ch. repr., sess. ord. 2012-2013, Doc. 53 « Pratiques du marché et protection du consomma- 3018/001, p. 5. teur » dans le Code de droit économique et portant 34 J. Stuyck, op. cit., p. 8 ; E. Terryn, « La transposition de insertion des définitions propres au livre VI, et des la directive droit des consommateurs en Belgique – dispositions d’application de la loi propres au livre VI, Champ d’application personnel et exclusions », dans les livres Ier et XV du Code de droit économique, R.E.D.C., 2013, p. 372. M.B., 30 décembre 2013. 35 C.J.U.E., BKK Mobil Oil, 3 octobre 2003, C-59/12, 32 Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2009-2010, Doc. 52 EU/C/2013/634. 2340/005, p. 7. 36 Ibidem, point 31. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 137 JURISPRUDENCE pas les entités poursuivant une mission d’in- tion est plus délicate à apprécier dès lors qu’il térêt général, ni celles qui revêtent un statut convient de déterminer si l’activité en cause de droit public. Par ailleurs, la Cour dépasse le présente une certaine permanence41 ou, a texte même de la définition de « professionnel » contrario, si elle est exercée de manière occa- en relevant que l’organisme en question exerce sionnelle. Assez naturellement, les difficultés une activité rémunérée37. liées à cette appréciation apparaissent dès Ces mêmes arguments sont non seulement qu’un particulier s’investit dans la vente de épinglés dans l’arrêt étudié mais en outre biens autres que ceux trouvés dans son grenier étendus à la directive relative aux droits des ou hérités de ses grands-parents42. consommateurs, la Cour étant, ainsi que cela Cela étant, il n’en reste pas moins que le juge a été précisé, en faveur de l’interprétation belge doit interpréter le droit national à la homogène de la notion de « professionnel »38. lumière des dispositions du droit de l’Union Par ailleurs, pour apprécier celle-ci, la Cour fait dont il découle. Or, nous l’avons observé, la référence, dans chacun de ces deux arrêts, à Cour de justice prescrit, à l’occasion de l’arrêt la notion de « consommateur » et à la position commenté, une appréciation « au cas par cas » d’infériorité que celui-ci occupe39. Cependant, de la notion de « professionnel », qui tient à la différence de l’arrêt BKK Mobil, la Cour ne compte des circonstances particulières de précise pas si elle considère que Madame l’espèce, telles que, notamment, le caractère Kamenova exerce une activité rémunérée organisé, lucratif et/ou régulier des ventes et lorsqu’elle publie simultanément plusieurs la position de supériorité de l’une des parties annonces de vente en ligne. À cet égard, le juge à la cause. Les nouvelles orientations relatives européen renvoie la balle au juge national. à l’application de la directive sur les pratiques Se pose à présent la question de savoir commerciales déloyales allaient déjà dans comment un juge belge apprécierait un cas ce sens et relevaient également que « les similaire à celui dont furent saisies les juridic- personnes dont la principale activité consiste à tions bulgares. Comme on l’a souligné concer- vendre des produits en ligne de manière très nant la définition jurisprudentielle de la notion fréquente, en achetant des produits pour les européenne d’« entreprise », celui-ci devrait revendre à un prix plus élevé, pourraient par seulement avoir égard à la nature – écono- exemple relever de la définition de “profes- mique – de l’activité exercée par le vendeur et à sionnel” »43. son caractère durable. Concernant la première En conséquence, il appartient au juge belge condition, il y a lieu d’entendre, par activité d’interpréter de manière extensive la notion économique, l’offre de biens ou de services d’entreprise lorsqu’elle détermine le champ sur un marché déterminé40. La seconde condi- d’application des dispositions qui transposent les directives qui ont pour but de protéger les consommateurs44. En effet, nous l’avons 37 Notons que cette jurisprudence n’est pas isolée dès lors que, plus récemment, la Cour a tenu le observé, la notion de « professionnel » est, même raisonnement dans son arrêt Karel De Grote, compte tenu de l’objectif de protection du voy. C.J.U.E., Karel De Grote Hogeschool, 17 mai 2018, C-147/17, ECLI:EU:C:2018:320. 38 C.J.U.E., arrêt Komisia za zashtita na protebitelite 41 Voy. Civ. Mons, 24 mars 2011, Act. Fisc., 2011, liv. 1249, c. Kamenova, op. cit., points 30 et 31. p. 12. 39 Ibidem, point 34 ; C.J.U.E., BKK Mobil Oil, op. cit., 42 H. Jacquemin, op. cit., p. 92. point 35. 43 Commission européenne, op. cit., pp. 37 et 38. 40 E. Terryn, op. cit., p. 381. 44 E. Terryn, op. cit., p. 382. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
138 REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 JURISPRUDENCE consommateur, consacrée de manière large spécifier au consommateur si le vendeur est par le législateur européen et interprétée tout un « professionnel » ou un « consommateur », aussi largement par la Cour de justice. sur la base de la déclaration que ce dernier aura faite préalablement47. En effet, le législa- III. LES DROITS DES teur européen a constaté que le consomma- CONSOMMATEURS ET LEUR teur qui utilise une place de marché en ligne RÉPARATION AMÉLIORÉS PAR ne sait pas toujours clairement qui sont ses LA DIRECTIVE « OMNIBUS » cocontractants et quelles en sont les impli- Les deux directives étudiées dans l’arrêt cations pour ses droits et obligations48. Nous commenté ont récemment été modifiées en avons posé le même constat lors de l’analyse vue d’améliorer l’application des droits des de l’arrêt commenté puisque les juridictions consommateurs et les réparations dont ils bulgares elles-mêmes ne s’entendaient pas sur peuvent bénéficier45. Arrêtons-nous briève- la qualification à donner à l’activité de Madame ment sur deux nouveautés introduites en ce Kamenova. Par ailleurs, la directive « omnibus » sens par la directive « omnibus », qui doit être dispose que les places de marché devront transposée par les États membres avant le également préciser l’impact de cette qualifi- 28 novembre 2021. cation sur les droits du consommateur49. Ainsi, un article 6bis est inséré au sein de la directive A. Application des droits sur les droits des consommateurs, listant toute des consommateurs une série d’informations à livrer avant que le La directive relative aux droits des consom- consommateur ne soit lié, sur une place de mateurs a été modifiée en vue d’imposer une marché en ligne, par un contrat ou une offre obligation d’information aux places de marché à distance. en ligne, c’est-à-dire aux services « utilisant un À cet égard, il est intéressant de rappeler que logiciel, y compris un site internet, une partie les places de marché en ligne étaient déjà de site internet ou une application, exploités auparavant invitées à respecter une obliga- par un professionnel ou pour son compte qui tion similaire par application de la directive permettent aux consommateurs de conclure sur les pratiques commerciales déloyales des contrats à distance avec d’autres profes- ou, plus précisément, des orientations de la sionnels ou consommateurs »46. Commission européenne à ce sujet. En effet, En effet, compte tenu de l’asymétrie infor- dans ce document, qui n’a aucune valeur juri- mationnelle à l’œuvre dans les contrats de dique contraignante, la Commission précise consommation conclus en ligne, le législateur que les places de marché en ligne sont européen s’applique, au fur et à mesure de ses tenues de prendre les mesures appropriées interventions, à intensifier l’obligation générale d’information en faveur du consommateur. La 47 Voy. l’article 7, f, de la directive sur les pratiques dernière initiative en date s’est matérialisée commerciales déloyales, l’article 6bis, 1. b), de la direc- par l’adoption de la directive « omnibus » qui tive relative aux droits des consommateurs et le consi- dérant 27 de la directive « omnibus ». impose aux places de marché en ligne de 48 Voy. le considérant 24 de la directive « omnibus ». 49 Naturellement, lorsque les règles de protection ne s’appliquent pas, l’information pourra être plus brève 45 Voy. le considérant 3 de la directive « omnibus ». dans la mesure où, dans cette hypothèse, « les four- 46 Voy. l’article 2, n), de la directive sur les pratiques nisseurs ne devraient pas être tenus d’énumérer les commerciales déloyales et l’article 2, 17), de la direc- droits spécifiques des consommateurs », voy. considé- tive relative aux droits des consommateurs. rant 27 de la directive « omnibus ». UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 139 JURISPRUDENCE pour permettre, d’une part, aux fournisseurs restitution du bien vendu. Cette faculté, qui est professionnels, de respecter la législation euro- laissée à l’appréciation du juge, est toutefois péenne, d’autre part, aux consommateurs, de peu appliquée en pratique. savoir avec qui ils concluent. Or, ces deux obli- gations relèvent du critère de diligence profes- B. Réparation des droits des consommateurs sionnelle, exigé par l’article 5 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. En Les directives susmentionnées ont également d’autres termes, selon l’avis de la Commission, été modifiées afin d’améliorer les voies de la place de marché qui ne respecte pas l’une de recours existantes, d’en introduire de nouvelles ces obligations est actuellement susceptible et surtout, de permettre aux consomma- de se voir reprocher une pratique commer- teurs d’en tirer parti. À cet égard, le considé- ciale déloyale dans la mesure où la violation de rant 16 de la directive « omnibus » précise que l’obligation en cause est susceptible d’induire les consommateurs, lésés par des pratiques en erreur les consommateurs50. commerciales déloyales, devraient disposer de recours afin d’éliminer tous les effets de ces La récente intervention du législateur euro- pratiques, dont l’appréciation pourrait porter péen transforme donc en obligation la recom- notamment sur leur gravité et leur nature, le mandation, adressée aux plateformes en ligne, préjudice subi par le consommateur, ainsi que de préciser aux consommateurs avec qui ces d’autres circonstances pertinentes, telles que derniers concluent. Cela présente un intérêt, la faute du « professionnel » ou la violation qui est, cependant, tout à fait théorique. En du contrat. À cette fin, la nouvelle directive effet, en pratique, les règles du jeu peuvent introduit un article 11bis au sein de la direc- facilement être tronquées étant donné qu’il tive sur les pratiques commerciales déloyales suffit, pour les vendeurs professionnels, de se selon lequel « les consommateurs victimes de faire passer volontairement pour des consom- pratiques commerciales déloyales disposent mateurs afin d’échapper à l’application des de recours proportionnés et effectifs, qui exigences protectrices du droit de la consom- comprennent la réparation des dommages mation. Ce faisant, ces vendeurs commettraient subis par le consommateur et, le cas échéant, toutefois une pratique commerciale déloyale une réduction du prix ou la fin du contrat ». trompeuse en vertu de l’article VI.100, 22°, du Code de droit économique. En effet, cette Tel qu’indiqué, l’article VI.38 du Code de droit disposition qualifie de pratique commerciale économique permet déjà au consommateur déloyale trompeuse en toutes circonstances le d’obtenir le remboursement des sommes fait d’« affirmer faussement ou donner l’impres- payées et de garder le bien acheté, pour autant sion que l’entreprise n’agit pas à des fins qui que, dans la majorité des hypothèses, le juge entrent dans le cadre de son activité profes- l’ait décidé. Dès lors, il pourrait être opportun sionnelle, ou se présenter faussement comme de modifier l’article VI.38 du Code de droit un consommateur ». Dans ces circonstances, économique afin de déterminer, à l’aide des le consommateur peut introduire une action, critères relevés dans la directive « omnibus », en vertu de l’alinéa 2 de l’article VI.38 du Code des hypothèses dans lesquelles le juge serait de droit économique, afin que le juge ordonne tenu de prononcer le remboursement des le remboursement des sommes payées, sans sommes payées, sans restitution du bien acheté. Dans ces circonstances, le consomma- teur serait alors encouragé à introduire une 50 Commission européenne, op. cit., pp. 139 et s. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
140 REVUE DU DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION - N° 76-77/2019 JURISPRUDENCE procédure visant à exercer ses droits, ce qui le juge bénéficie d’une grande liberté d’appré- permettrait de rencontrer l’objectif poursuivi ciation, qui est intensifiée par les conceptions par la directive « omnibus ». (législative et jurisprudentielle) larges de la notion de « professionnel » et encouragée par CONCLUSION l’objectif de protection du consommateur. En La notion d’« entreprise » est polysémique. Tout conséquence, la notion d’entreprise au sens de d’abord, à l’échelon européen, où la Cour de l’article 1.8, 39°, du Code de droit économique justice l’assimile à la notion de professionnel doit être interprétée de manière extensive. dans le cadre de l’application des direc- Concernant l’objectif de protection du tives relatives aux pratiques commerciales consommateur, nous avons noté l’adoption de déloyales et aux droits des consommateurs. la directive « omnibus », qui impose aux places Ensuite, à l’échelon national, où le législateur de marché d’informer les consommateurs de la définit, au moins de deux façons différentes, qualité de leur cocontractant. Cette exigence la notion d’« entreprise », dont l’une, particu- semble malheureusement légère au regard lière au livre VI du Code de droit économique, de l’objectif de transparence poursuivi et de emprunte la définition fonctionnelle retenue la facilité avec laquelle un « professionnel » en droit européen de la concurrence (qui doit peu scrupuleux pourrait s’en écarter. Il appar- néanmoins être interprétée plus largement51). tient donc au législateur belge de dissuader L’utilisation d’un même terme pour se référer les « professionnels » de faire une déclaration à des réalités économiques distinctes est volontairement erronée, éventuellement en évidemment source d’insécurité juridique. permettant au juge d’ordonner, en cas de Cependant, l’appréciation, « au cas par cas », de mauvaise foi, le remboursement des sommes la notion d’« entreprise » en droit de la consom- payées par le consommateur, sans restitution mation, telle que décidée par la Cour de justice du bien vendu. dans l’arrêt commenté, permet à cette notion Pauline Limbrée d’évoluer de concert avec la société. En effet, 51 C.J.U.E., BKK Mobil Oil, 3 octobre 2003, C-59/12, EU/C/2013/634. UNamur On Campus (138.48.8.152) L’appréciation des notions de «professionnel » et d’«entreprise» : démarche « au cas par cas » et protection du consommateur... Éditions Larcier - © Larcier - 17/09/2020
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